Les Lectures d’Edi-Phil

Numéro 41 (juin 2021)
Coup de projo sur le monde des Lettres belges francophones
sans tabou ni totem, bienveillant mais piquant…
A l’affiche :
Six romans (Kenan Görgün, Marie-Pierre Jadin, Arnaud Nihoul, Benoît Roels, Francisco Palomar Custance, Maxime Benoît-Jeannin), des recueils de nouvelles (Véronique Bergen, Ralph Vendôme) ou de poésies (Luc Dellisse, Yves Namur), deux récits (Foulek Ringelheim, Adrien Roselaer) ; les maisons d’édition Les arènes et Arfuyen (France), Genèse (France/Belgique), Ker, 180°, Diagonale, Academia, Le scalde, Samsa et Le cormier (Belgique).
Un coup d’œil dans le rétroviseur et un autre en direction de l’horizon…
J’ai entamé la critique au sens large (recensions, analyses, brèves, dossiers, reportages, interviews, tops 3/5/10 annuels) en 2001 dans la revue Indications (devenue Karoo en 2014). , il y a donc 20 ans. En 2017, j’ai intégré Les Belles Phrases ; en 2018, Le Carnet et les instants; en 2019, les rencontres littéraires de Radio Air-Libre (mes duos avec Jean-Pierre Legrand ont été momentanément suspendus pour cause de pandémie).
Dès 2018, j’ai eu l’idée de cette mini-revue, qui présente bien des avantages par rapport à des recensions séparées, dont une orchestration signifiante. Sur l’édition belge, son actualité principalement mais en osant quelques entorses.
Mais…
La médiation culturelle ne constitue qu’une de mes trois vies.
Mais…
La médiation culturelle me voit travailler sur divers supports.
Mais…
La médiation culturelle, sur la seule plateforme d’Éric Allard, me voit juxtaposer (seul, en duo, en trio, en sextuor même) des feuilletons sur l’histoire du cinéma, celle de la musique occidentale ou celle des Lettres belges… en sus du feuilleton initial évoqué supra et où nous nous trouvons.
Du coup, ne voulant pas être submergé, ou désirant échapper à la pression des auteurs et éditeurs, qui, je l’ai noté, érode quelques enthousiasmes de collègues, j’ai décidé d’espacer et donc réduire Les lectures d’Edi-Phil, qui devraient désormais paraître trois fois par an. Il n’est pas question non plus de proposer des mini-revues plus longues, je veux rester fidèle à un gabarit, ne pas assommer le lecteur ou le gestionnaire du site. Je vais dès lors essayer d’être plus concis, utiliser à l’occasion des présentations extérieures (sites éditoriaux, lectures de collègues estimés), me réservant pour des considérations personnelles.
(1)
Ce livre détonne par une puissance de feu (fond, forme) inusitée en nos Lettres. Ou, à tout le moins, fort rare. Plusieurs personnalités du microcosme m’avaient alerté. Pour Luc Dellisse, Daniel Simon ou David Giannoni, Kenan Görgün méritait d’obtenir le prix Rossel, le plus prestigieux en FWB (il a décroché la finale 2020). Claude Donnay renchérissait :
« Puissant est le mot adéquat. Ce roman m’a pris aux tripes et emporté. KG est un écrivain majeur et incontournable aujourd’hui. »
De quoi est-il question ?
La présentation officielle du livre (par son éditeur) :
« Xavier Brulein, ancien militaire de retour du Moyen-Orient, est écroué après une rixe sanglante dans un bar. En prison, il rencontre Abu Brahim, prédicateur islamiste, l’un des cerveaux du terrible attentat de la Grand-Place. Seul membre de son réseau capturé, Brahim est convaincu d’avoir été sacrifié. Converti avant sa remise en liberté, Xavier devient Abu Kassem, adoptant l’un des noms du Prophète de l’islam. Il infiltre une cellule terroriste pour démasquer ceux qui ont trahi Brahim, devenant l’instrument de sa vengeance, un homme-machine que rien ne saurait faire dévier de sa mission : En comparaison, le 11 septembre sera l’enfance de l’art. »
Dans Le carnet, Joseph Duhamel élargit la perspective :
« L’histoire se déroule à Bruxelles, après les attentats qui ont profondément marqué la Belgique. De jeunes hommes envisagent la suite à leur donner (…) Chacun de ces militants a suivi un trajet de vie différent. Certains peuvent avoir subi l’exclusion, tandis que d’autres peuvent se targuer d’une réelle réussite sociale. Pour tous, la vie a basculé (…) une rencontre qui les marque, celle d’un imam autoproclamé, dont les moyens de persuasion sont finement décrits. (…) Chacun a des raisons différentes de s’engager, des buts différents poursuivis avec des moyens différents. C’est cela que Kenan Görgün décrit : un panel varié de militants, la vie de chacun d’eux et celle d’une cellule terroriste, avec ses tensions. »
Une lecture en trois temps
J’entre aisément dans le livre, impressionné par ses allures de thriller au souffle anglo-saxon (un parfum de James Ellroy), sa tonalité originale, la plongée dans un Bruxelles « de l’autre côté du Canal », aux alentours de Molenbeek ou Koekelberg, au nord-ouest de la capitale, à mille coudées du Pentagone historique, artistique et touristique, ou des banlieues méridionales, verdoyantes et résidentielles. Un cadavre immergé remonte à la surface, des attentats se préparent, le fil narratif se tend. Mais, très vite, les réflexions des protagonistes, Xavier/Abu Kassem et Abu Brahim, prennent le devant du texte. Le flux de leurs pensées, de leurs passés, de leurs errances, de leurs déviances, l’insinuation du doute, la quête d’une identité insaisissable :
« Il faut être fait différemment pour faire la différence. (…) Que puis-je manger de moi sans en mourir ? (…) La première fois qu’il accomplit une chose, l’homme n’est jamais ordinaire. Il met son cœur à l’ouvrage. Il veut vivre la chose à fond. Il se hisse au sommet de sa volonté. Il accomplit l’acte comme si personne ne l’avait fait avant lui. Il agit comme s’il inventait l’acte. (…) il est conscient de la portée de ses gestes. Il sait que chaque geste jette des fondations. Il les veut solides. Sur ces fondations, le pionnier construit l’avenir. »
Je cale après une centaine de pages. Les sillons psychologique, sociologique voire philosophique donnent son épaisseur et sa touffeur au récit, mais embourbent son volet narratif ; des procédés littéraires tiennent à distance : le fil Abu Brahim se déploie sous la bannière d’une deuxième personne du singulier (« Tu as mis dix minutes pour y aller »), bien des épisodes sont restitués plutôt que vécus en live. Le livre possède une gangue de thriller mais son noyau dur est littéraire, l’action, les rebondissements sont rares, les perceptions et les cogitations luxuriantes. « Trop ! me dis-je. » Je doute de ma lecture, comme les protagonistes Xavier/Abu Kassem et Abu Brahim doutent de leurs trajectoires :
« J’ai besoin d’ordre pour recoller les morceaux (…) De la mémoire imaginaire. Ça rafistole des faits pour les faire cadrer avec une thèse. (…) Certains soirs, le doute est un requin blanc jailli du canal. (…) Si on ne fait rien d’autre de notre foi, elle va périr. Elle sera détestée de tous. Même, un jour, de nos coreligionnaires. (…) Abu Kassem va tuer des personnages. Des rôles. Des rôles qui, comme le sien, bouffent le reste. (…) Ça veut dire que n’importe lequel d’entre nous peut mourir dans l’attentat d’une autre cellule alors qu’on est en pleins préparatifs ! »
Thèse, antithèse, synthèse
Passé un sas de réadaptation, l’ambition et les réussites du livre m’emportent comme un raz-de-marée. Mes réticences, attachées à des attentes formatées par les lois supposées d’un genre, sont balayées. L’action s’enclenche (différents plans se croisent, du réseau islamiste, de Xavier ou Brahim, en passant par la survenue d’une mystérieuse Fraternité aryenne) et on s’intéresse au destin des anti-héros (à leurs connexions possibles au réel via la famille, l’amour). Surtout, l’analyse, personnages et motivations, réactions des entourages ou accompagnement par la justice, conjugue subtilité et puissance. Une gageure ! L’auteur semble avoir infiltré une cellule, avoir vécu des années auprès de ses membres, en avoir perçu les mille et un tenants et aboutissants. Et son regard est réaliste, loin de toute posture idéologique. Il ne nous présente pas des monstres mais des êtres très humains dont il révèle, pourtant, la monstruosité. L’analyse est sans concession, cinglante et, consubstantiellement, humaniste :
« Qu’est-ce qui nous a fait devenir ce qu’on est ? ».
Conclusions
Comme le note Joseph Duhamel, l’auteur est « un observateur fin » et « bien documenté des phénomènes sociaux » à l’œuvre en nos pays (et, notamment, à Bruxelles), il décrypte « les marges et le risque que celles-ci font peser sur le vivre ensemble », il « extrapole » et « imagine une évolution vers un futur possible, non sans une inquiète lucidité », affichant une « volonté de faire comprendre, par le biais d’une fiction efficacement menée, des phénomènes mal perçus, si pas franchement caricaturés ». Cette capacité à anticiper, ou du moins à oser une vision prospective, filigrane des lectures prégnantes, comme Soumission (Michel Houellebecq, Flammarion) ou Les vieux ne parlent plus (Vincent Engel, Ker). La description d’un Bruxelles alternatif, mais ô combien réel, interroge l’identité du Tout et sa survivance.
Des questions m’ont paru s’égarer en cours de route (la trahison du réseau à l’égard d’Abu Brahim, la vengeance orchestrée via Abu Kassem), des interactions avec des personnages secondaires adroitement esquissés (L. ou Jean-Christophe) en restent au pointillé, mais ce ne sont là que détails. La fin du livre vous explose l’esprit entre interrogations sur notre avenir (une guerre des fanatismes, un « Brux-Hell » ?) et interpellations sur la manière dont une société doit être reconstruite.
Ce roman, comme le Kipjiru de Jean-Marc Rigaux, va bouger in extremis les lignes de mon Top 10 de la décennie :
https://le-carnet-et-les-instants.net/2020/05/03/le-top-des-annees-2010-de-philippe-remy-wilkin/
NB. Voir l’article complet de Joseph Duhamel dans Le carnet :
https://le-carnet-et-les-instants.net/2019/11/06/gorgun-le-second-disciple/
(2)
Véronique BERGEN, Belgiques, recueil de nouvelles, Ker, Hévillers, 2020, 98 pages.

Près de 100 pages et 10 textes courts sur la Belgique, revisitée spatialement (les cantons de l’Est ; Saint-Idesbald et la Côte ; Bruxelles et sa Grand-Place, son abbaye de la Cambre, ses Marolles, son hôtel Métropole, ses châteaux néo-Renaissance, ses hôtels de maître, sa forêt de Soignes) et temporellement (la Deuxième Guerre mondiale, un attentat contre le roi Léopold II, les travaux de la jonction Nord-Midi, etc.). Les thèmes de prédilection de l’autrice (l’écologie, l’agonie de la planète, la préservation du patrimoine, mais la musique aussi, avec Martha Argerich) se faufilent entre les textes, comme le chat mélomane de La rue des pianistes.
« Un ouvrage mineur de notre autrice belge préférée, loin des sublimes Kaspar Hauser ou Barbarella ? » ai-je pensé un instant, ayant butiné à droite et à gauche, lisant les textes dans le désordre. Puis j’ai remis « de l’ordre dans la ronde », comme aurait dit Jacques De Decker, et repris en commençant par le premier texte, Une forme, une mesure, un chiffre. Et là, au débotté, comme Lagardère trucidant tel ou tel spadassin, l’autrice m’a inscrit sa botte de Nevers en plein front, c’est-à-dire au fond de la tête, là où ça pense et perçoit.
Une forme, une mesure, un chiffre ! Derrière un trompe-l’œil de formules tirées d’un cerveau de génie mathématique, un apport incantatoire scandant le texte, se tend la voile d’une perle littéraire, mise en abyme d’un art et d’une pensée. Et je confesse l’impossibilité de rendre compte de ce qui est lu, on ne peut qu’en effleurer une part de richesse, de mystère, d’intensité.
Dès la première page s’ouvre une distorsion vertigineuse entre la théorie et la vie authentique, les préoccupations qui tissent un destin individuel (la passion des mathématiques, leurs révélations) et l’imbrication dans le Grand Tout du monde, de la Terre, du cosmos. Une distorsion qui renvoie à la perte d’adéquation entre l’humain et la matrice naturelle, qu’il n’a de cesse de meurtrir mais qui le domine de sa puissance assoupie, prête à l’engloutir. Une distorsion d’autant plus tsumamiesque que l’humain confronté n’est pas banal, quand l’orage auquel il fait face l’est… tout en renvoyant à l’insaisissabilité et à la démesure de Dame Nature. Fascinant ! Le texte est lui-même orage. Et le phénomène de croître, de se déployer. En réalité et en idées. La distorsion initiale devient magistrale dès la deuxième page où se faufile un nouveau leitmotiv, celui des racines du génie et d’un drame originel : Auschwitz. La Shoah et la mort du père, anarchiste. L’interrogation fulminante du Sens. Les immenses possibilités de l’esprit humain se fracassent à l’aune des tragédies de l’Histoire ou des explosions de Gaïa, notre planète nourricière.
Le médiateur/lecteur, semblable au protagoniste du récit, s’avance au cœur du phénomène, serti d’émotions et de réflexions mais submergé, amenuisé, dirigé vers un lâcher-prise qui ne correspond pas à la nature humaine, rupture et angoisse, un retour à l’adéquation primordiale, amniotique. Le secret de notre condition et de notre spécificité ? De notre monstruosité ?
Il faut lire et relire ce texte. Comme une poésie de Mallarmé, une nouvelle de Villiers, une aventure du Gordon Pym des jumeaux Poe et Baudelaire. Ressentir la collusion de l’espace et du temps, des temps. Distinguer les invariants bergeniens qui traversent la foudre et les « crises de nerf du ciel ». Qu’ils soient lexicaux (les listes de mots : « Oursins, tourelles, coquillages, poissons, crabes, méduses » ; les expressions associatives : « les voix miradors ») ou thématiques (le respect de la gent animale mène à user d’un chien comme interlocuteur privilégié ou de divers chats comme témoins et narrateurs ; la présence juive en Belgique et son assassinat ; plus largement, une lutte de l’autrice contre l’amnésie, sous toutes ses formes, qui renvoie, une fois encore, à notre ami commun Jacques De Decker, qui en avait fait un credo de vie et d’œuvre). Jusqu’à buter sur l’énigme originelle :
« J’ai beau calculer l’abscisse et l’ordonnée des yeux qui nous observent, le corps de leur propriétaire me demeure inconnu. »
Ou sur la nostalgie la plus déchirante :
« Mes mains gardent le souvenir des châteaux de mon enfance. Quels châteaux de sable, élève Alexandre, quelle enfance ? Vous savez bien que vous n’avez pas eu d’enfance, que dans les cendres de votre père, vous n’avez construit aucun château-fort. »
La percussion de ce texte inclinerait à ne pas commenter le recueil plus avant, mais une poignée d’indices s’imposent. Ainsi, dans Le sourcier des Marolles, l’autrice pourrait, consciemment ou pas, commenter son propre travail, son œuvre :
« Ma mission ? Récupérer les choses mises au rebut, leur redonner vie, créer des espaces de rêve, assembler des familles d’objets qui relient la terre et le ciel. »
Une lecture idéale glisserait peut-être en contrepoint du premier texte, halluciné, le troisième, Le château de Watermael-Boitsfort, tout en douceur amère, ravinée. Une mise en abyme, encore ! De la destruction du patrimoine et de la perte d’âme bulldozérisée par des criminels en col blanc. J’ai moi-même longtemps et « soventes fois » erré à l’ombre des ruines du château « cousin », dans le parc Tournay-Solvay, embrumé par des salves oniriques. Et ces pages seront relues sur un banc, au coin du potager ou, un peu plus loin, en bordure des Etangs.
PS
Notre collègue Jean-Pierre LEGRAND partage notre admiration pour une autrice frisant souvent la combustion. Dans une analyse récente, il s’attarde sur d’autres nouvelles ou aspects du recueil, mais il nous rejoint sur le premier texte, ô joie de l’empathie et de la confirmation, y apporte un éclairage complémentaire, ose des noms qui sarabandent avec les miens : Shakespeare, Wagner.
Lisons-le :
(3)
Ralph VENDÔME, La théorie du parapluie, recueil de nouvelles, Le scalde, Bruxelles, 2020, 199 pages.

Un premier livre publié ! Et par un éditeur encore assez neuf, Le scalde a été fondé par Eric Fagny en 2017 :
https://www.editionslescalde.be/
Mystère et suspense, donc. Mon entrée dans le livre est distraite un moment par quelques détails : la couverture dessinée et naïve, les photos d’auteur et l’inversion des codes de présentation livre/écrivain. A contrario, la plongée dans le recueil est très agréable : la mise en page est aérée et en parfaite adéquation avec le contenu des seize textes proposés.
Faux paradoxe ! Seize textes évoquent ces âges inquiétants des extrêmes, enfance/jeunesse et vieillesse, abordent des thématiques teintées de gravité, qui ont à voir avec la marginalisation, l’amenuisement ou l’humiliation, le deuil, etc., mais, ô surprise, ô plaisir, ils se déclinent dans une langue fluide et gouleyante, traversée par des pointes d’humour, d’humanisme. En clair ? Un charme opère ! Qui aboutit à une lecture agréable et enjouée, du début à la fin. Un charme ! Insistons. L’appréhension globale transcende les contenus et les analyses, et renvoie à ce qui fonde un talent littéraire. A ce qui distingue un écrivant neutre ou malhabile d’un véritable écrivain.
Allons y voir de plus près.
Une première réussite : l’orchestration du recueil
Les premier et dernier textes offrent une mise en abyme du travail de Ralph Vendôme. Dans Messi, un garçonnet joue au football mais tout seul, dans la rue, son ballon lui échappe, dévale jusqu’à un camion poubelle, jusque sous la plante du pied d’un éboueur. Menaçant. Très :
« Une sorte de défenseur central intraitable, infranchissable, qui n’hésite pas à jouer de sa stature et de ses bras pour empêcher l’attaquant adverse, le numéro « 10 », de poursuivre sa course vers le but. Un type capable » de mettre le pied pour le faire trébucher, de lui donner un coup de coude, d’essuyer ses crampons sur sa cuisse. »
Dans Une évasion, un prisonnier, lors d’un déplacement en fourgon, est libéré par ses complices et s’envole dans la nature… en embarquant involontairement un vieillard, qui a confondu la voiture des gangsters avec un taxi. Les deux textes, vifs et mouvementés, dégagent suspense et tension, inquiétude quant à l’avenir de nos deux protagonistes (junior et senior). Pourtant, sans déflorer suites et chutes, admirons l’art de la feinte de notre auteur, il dribble nos attentes et incurve le sens des deux trames.
Mise en abyme ! L’ensemble des textes nous balade entre des vécus d’enfants et de personnes âgées. Des nouvelles ? Plutôt que de petites histoires dénouées, on a la plupart du temps des tranches de vie. Modulées. Certaines s’apparentent à des constats mais la plupart sont des points d’inflexion, elles placent un personnage face à un moment de bascule. Et un étendard se hisse, celui d’une foi en la vie, en l’espoir. Très jeune ou très vieux, il n’est pas toujours trop tôt ou tard pour décider de son destin, de sa trajectoire, en changer le cours.
Une deuxième réussite : le ton
Une saine fraîcheur domine la lecture, côté fond et forme :
« Un ballon comme une planète d’enfant, sans frontières, sans hémisphères, sans mers (…). »
Une fraîcheur dans l’appréhension du réel, la perspective du lecteur se renouvelant en embrassant celle des protagonistes, car la vie n’est pas perçue identiquement, ni même l’horizon, selon que l’on ait sept ans ou nonante ans, que l’on soit aveugle ou veuf, etc.
Une fraîcheur dans l’appréhension de l’auteur lui-même. Dont on devine le plaisir à écrire et à raconter.
Une troisième réussite : l’équilibre du recueil
La qualité ne faiblit guère durant les 200 pages : L’éclipse de Charles, L’amant de Tantine (et la leçon de résistance qui pointe le nez quand on ne l’attend plus), Les jardins secrets, L’ambassadeur, Devoirs inachevés…
Une quatrième réussite : un parfum poétique
Une écriture primesautière et une narration claire n’entravent nullement l’insinuation de la littérarité. Des texticules poétiques viennent entrecouper les nouvelles et assènent un supplément de sens, d’empathie :
« L’homme d’aujourd’hui est lourd des hommes successifs qu’il a été, depuis que l’enfant s’est terré. » ;
« On ne comprend pas toujours les poèmes qu’on récite sans faute. »
Il y a aussi de discrètes insinuations d’un background culturel (qui épanouit la complicité avec le gourmet littéraire) : « Sappho et Vanzetti », etc. Et le naturel des images, le plaisir d’un délié du mot, de la phrase.
Conclusions ?
Plongez vite dans ce recueil ! Il ne peut guère décevoir, tant l’émotion, l’invention et donc la surprise guettent à chaque coin de page et ce sans le recours factice à la surenchère.
(4)
Marie-Pierre JADIN, Brasiers, roman policier, Ker, Hévillers, 2020, 153 pages.

Ce roman, le premier publié par Marie-Pierre Jadin, a obtenu le prix Fintro en 2019. Un prix attribué à des récits policiers dus à des auteurs qui n’ont pas encore été publiés à compte d’éditeur. Avant d’attaquer, on notera la couverture en noir/sépia d’Eva Mizeqari, que nous avons déjà louée en ces pages (son travail sur la collection Belgiques du même Ker est remarquable) : le lecteur est illico précipité dans une atmosphère sombre, des mystères irradiant une propriété, une ferme reculées.
L’article de Michel Torrekens, dans Le carnet, était très complet, excellent, et je préfère y renvoyer pour la mise en situation, l’extrait (j’aurais choisi les mêmes lignes) et l’analyse globale :
https://le-carnet-et-les-instants.net/2020/03/08/brasiers-prix-fintro-ecritures-noires/
Mes observations personnelles ?
C’est un roman en demi-teintes, feutré. A tous points de vue. L’écriture ou la narration ne bousculent pas (la première page thriller citée par mon collègue supra n’aura pas d’équivalent dans la suite du livre) il n’y a pas pléthore de rebondissements ou d’analyses, on n’est pas emporté par des sentiments puissants d’angoisse, de peur, d’empathie, etc. Mais, dès le début et jusqu’à la dernière page, on lit avec facilité et plaisir, au gré d’une écriture sobre, d’un récit équilibré qui n’a de cesse de nous intriguer, de poser de petits questionnements qui, tous, nous alertent. Le tracteur disparu : qui, pourquoi ? Le cadavre dans la niche de la maison d’Antonio et Cécile. Le comportement erratique du premier et le désarroi de sa compagne. Les motivations du disparu. Le drame familial vécu par l’un des deux héros du livre, le jeune policier Delcourt. Etc.
Un paradoxe de détail : les personnages ne sont pas décrits physiquement, ou si peu, alors qu’ils sont habilement esquissés quant à leurs personnalités (la policière Ruth, le fermier Willocq, Madame Lefebvre, etc.). Un choix ?
De nombreux éléments sont posés calmement, pour asseoir le plaisir de lire, de comprendre. Judicieusement. Par exemple, les malles qui débarquent chez Cécile, la deuxième protagoniste du récit. Qui entrouvrent une enquête parallèle. Distillent naturellement la perception du sous-texte énigmatique.
Brasiers, de par son économie d’effets et de moyens, son aspect sautillant et abouti pourtant, serait un très intéressant objet d’études dans un milieu scolaire (secondaire) ou un atelier d’écriture. Comment planter un décor, un suspense ? Comment ensuite le nourrir ? Etc.
(5)
Arnaud NIHOUL, Claymore, roman policier, Genèse, Paris/Bruxelles, 2020, 272 pages.

J’ai attaqué avec appétit. Le premier roman de cet architecte namurois, Caitlin, avait recueilli les faveurs du public (Prix Saga Café) et de l’establishment (Prix Sabam Littérature), l’auteur possède l’originalité de planter ses décors dans des réalités exotiques.
Pour l’intrigue ou les ingrédients qui m’ont poussé vers la lecture, je vous renvoie à l’article de l’excellent Ghislain Cotton et à sa touche d’humour :
https://le-carnet-et-les-instants.net/2020/04/15/nihoul-claymore/
Je partage le sous-texte de mon collègue, qu’il faut pouvoir lire entre les lignes : il insinue une appréhension en deux temps. Et je vais décliner ma lecture en trois temps.
Premier temps
Arnaud Nihoul dépose sur la table du lecteur une série d’ingrédients de qualité : les décors écossais (Hébrides, une île isolée battue par les vents, une distillerie de whiskey, un manoir), la volonté de tisser une trame narrative nourrie (près de 300 pages et des mannes de détails finissant par révéler leur utilité), des esquisses de vie pour chacun de ses personnages, une langue classique, des scènes marquantes (le cadavre dans le tonneau, la poursuite en bateau, le tourbillon et ses secrets, etc.), un écho des réalités du monde (des investisseurs prêts à tout). Le lecteur francophone, indubitablement, trouve ici une ambition rare, une volonté de raconter une histoire avec des personnages bien campés.
Deuxième temps
Un manque, une frustration viennent interférer et brouiller l’élan du lecteur. Sans doute en rapport avec un académisme omniprésent. Dans le fond et la forme. Côté écriture, la phrase est fluide et sans aspérité, mais, maniaque du crayon, je n’ai guère coché, ce qui indique la rareté de saillies poétiques ou dialectiques, tout en pointant des passages initiant à un univers (la distillerie), une pratique (le goût).
Côté récit, il y a un grand paradoxe : les ingrédients narratifs sont supérieurs à la moyenne, largement même (les personnages ont un background consistant, il y a des idées originales, des moments significatifs feraient de belles scènes de cinéma), mais leur mise en œuvre nous tient à distance : telle scène palpitante nous est décrite quand on connaît déjà son épilogue, telle autre nous est restituée mais on ne la vit pas de l’intérieur.
Curieusement, je quitte le roman sur une belle réussite, une surprise toute en subtilité et émotion, jusque dans les mots :
« Dans sa paume, cette plume était lourde comme le poids d’une âme qu’on ne veut pas laisser partir. »
Au débotté, je me rappelle avoir adoré l’entrée dans le livre, un mini-thriller vif et décapant. Entre les deux ? Cette impression que l’auteur a troqué la complexité contre la complication. Alors qu’il aurait dû dégager le terrain pour ses lignes de force.
Troisième temps
Comme des effluves entre deux tonneaux, un charme entêtant persévère au-delà de la dernière page. Et je comprends soudain ce qui constitue la vraie réussite du livre. L’auteur a dressé un beau portrait de héros avec son maître assembleur Erwyn et tissé tout autour de celui-ci, via une série de personnages-relais, une philosophie humaniste qui confine à l’utopie (au sens le plus noble, l’esquisse d’un monde idéal rendu possible par l’élévation de pensée de ses participants), une utopie blottie sur une île isolée et sauvage mais contre laquelle viennent se fracasser la violence et l’immoralité du monde globalisé.
Et si l’ouvrage relevait de la mise en abyme ? Qu’il ne fallait pas s’arrêter à ses apparences et se tromper d’attentes ? Si, tel un vin ou un whiskey de qualité, il fallait laisser filer la première salve de perceptions (voire les premières) pour s’ouvrir patiemment à une infiltration plus profonde ?
(6)

Qu’annonce l’éditeur sur son site ?
« Deux jeunes femmes gagnent une croisière dans le Pacifique mais le séjour est ponctué d’incidents inquiétants : qui joue avec les nerfs des participants ?
Loin de ce voyage tumultueux, un couple atypique a pour mission de visiter les grands musées et poser pour un selfie insolite devant chacun des chefs-d’œuvre de l’Histoire de l’Art. Et si tous ces acteurs étaient les pions d’une même volonté artistique effroyable ? La dernière œuvre d’un malade ou d’un fou ? »
Des éléments attractifs
Il y en a beaucoup. Une immersion dans le monde de l’art, un parfum de thriller, un voyage au bout du monde (Vietnam, Mongolie, Chine, Sibérie, Venise, etc.) et un jeu énigmatique, un groupe de voyageurs aussi ou de participants aux divers pans du Plan, qui mêlent les profils (ethniques, sexuels, sociaux, intellectuels, générationnels). Du coup, on songe à ces films tirés des romans d’Agatha Christie (Mort sur le Nil, Le crime de l’Orient-Express, etc.), où un microcosme s’agite sous nos yeux, dévoilant progressivement ses petits secrets.
A charge et à décharge
Passé un prologue vif et mystérieux, mon appétit fond : les personnages manquent de définition (physique et psychique), le récit de consistance, la langue de charme. L’auteur offre pourtant des saillies bienvenues (« Le silence embruma la pièce »), divers passages, surtout, des allures d’encarts prolongés, méritent une lecture attentive et relancent l’intérêt. Il s’agit d’explications sur les œuvres observées, l’histoire de la peinture, jusqu’à sa mutation obligée face à la photographie, l’irruption et les métamorphoses de l’art moderne.
Avec un tout autre dosage et des aménagements, Benoît Roels aurait-il pu nous délivrer un Monde de Sophie de l’Art ou de la peinture ? Il en reste une fragrance.
In fine
Les pantins innocents n’est pas un roman destiné aux gourmets littéraires mais l’écriture et la narration sont fluides, au service d’un récit qui peut trouver son public, oscillant entre des fantasmes de télé-réalité et des interrogations sur la création, la vie des artistes, leur positionnement face à leur pratique ou à la société. On peut parler d’élan pédagogique : Benoît Roels prend un lecteur par la main depuis ce qui attire celui-ci trop aisément pour le mener vers une information et un questionnement.
(7)
Francisco PALOMAR CUSTANCE, Le fils du matador, Diagonale, Namur, 233 pages.

Un premier roman de qualité, évoqué dans Le carnet :
https://le-carnet-et-les-instants.net/2021/02/24/palomar-custance-le-fils-du-matador/
(8)
Foulek RINGELHEIM, Boule de Juif, Genèse, Bruxelles/Paris, 2021, 134 pages.

Un beau récit de vie. Les heurs et malheurs d’un enfant juif, à Liège, avant, pendant et juste après la Deuxième Guerre mondiale. J’en ai parlé dans Le carnet :
https://le-carnet-et-les-instants.net/2021/03/10/ringelheim-boule-de-juif/
Cette lecture est à mettre en correspondance avec les beaux livres d’Adolphe Nysenholc (Bubelè, l’enfant à l’ombre, réédité par Espace Nord) et d’Alain Berenboom (Monsieur Optimiste, Genèse éditions).
(9)

Quel plaisir de découvrir sous toutes ses coutures un personnage lové depuis toujours dans mon imaginaire !
Ma recension dans Le carnet :
https://le-carnet-et-les-instants.net/2021/04/19/roselaer-dartagnan-obscur-ou-illustre/
(10)
Maxime BENOÎT-JEANNIN, On dira que j’ai rêvé, roman, Samsa/AAM, 183 pages.

Dans Le carnet, ce roman a eu droit à mon « Coup de cœur » :
https://le-carnet-et-les-instants.net/2021/05/20/benoit-jeannin-on-dira-que-j-ai-reve/
Il mérite un bonus, sous forme de confidences inter nos…
J’ai vécu un glissement inattendu : les souvenirs du narrateur, c’est-à-dire ceux de l’auteur, sont aussi, très souvent, les miens. Tout ce qu’il écrit résonne et m’engourdit. Qu’il décrive sa relation (particulière) à son épouse ou ses balades, emploie des mots rares comme « phalanstère » ou « épiphanie », évoque Saint-Dié ou Lyon (et le parc de la Tête d’or, la Cité internationale et son hôtel, etc.), un livre et un auteur oubliés comme Manouche et Peyreffite, l’Œdipe-Roi de Pasolini, etc. En fait, j’ai lu en ayant l’impression que le livre m’était adressé, qu’il était une sorte de machine à remonter le temps, à exhumer l’or du temps, de MON temps. Sensation unique ! Et je dois figer cette interaction. Pour Maxime, pour moi, pour le lecteur curieux. C’est qu’elle renvoie à l’objet même de la quête de l’auteur et prolonge sa réflexion, son questionnement.
L’art, ici, percute les soubassements de l’invisible, nous ne pouvons qu’enregistrer des faits que tout esprit ouvert estimera interpellants. J’ose ? J’ose. En distinguant trois catégories de signes.
1.
Beaucoup sont anecdotiques, logiques entre personnes vouées à la culture…
. Hergé est le personnage d’un de mes romans, l’ami de mon héros récurrent. Le Lotus bleu est sans doute l’album qui m’a le plus marqué au niveau sensibilité.
. Sartre et Le diable et le bon dieu, mes plus grands sujets de réflexion en fin d’humanités.
. Le Satiricon, retrouvé en version originale à l’université, m’a précipité dès l’adolescence dans une passion pour Fellini et le cinéma italien.
. Wallenberg, une aventure et un mystère qui m’ont passionné.
. Le chagrin et la pitié m’a révélé la véritable France de l’Occupation. Ce film documentaire, longtemps censuré, est dû à Marcel Ophüls, le fils d’une de mes icônes, Max Ophüls.
. Kerouac.
. Etc.
2.
D’autres sont plus troublants…
. Mon premier travail rémunéré comme écrivain (comme écrivant, alors) était consacré à un phalanstère.
. Le film de Pasolini et Œdipe étaient le cœur de mon mémoire de romaniste.
. Saint-Dié me ramène à une révélation-phare de mon étude sur Colomb (mon travail le plus long, étalé sur 20 ans).
. Lyon est ma ville de cœur à l’étranger, celle où je me suis le plus construit, y voyageant seul puis avec mes parents, mon meilleur ami, ma future épouse, etc. Ma marraine y avait épousé un architecte dont le bureau était situé place Bellecour. J’ai vécu une expérience mystique dans le parc de la Tête d’or, etc.
. Manouche ! Une des plus grandes audaces de mon adolescence. Aller dérober un des livres de mon père, qui avait des goûts si opposés à ceux (classiques) de ma mère, pour m’ouvrir d’autres horizons, alors que nous vivions hors du monde, sans voisins, au milieu de terres expropriées.
. Nerval ? Il a changé définitivement mon rapport à la fiction et à l’écriture quand, en fin de primaires, je lus les Filles du feu et me retrouvai partagé entre deux passions : Nerval et… Bob Morane. Qui allaient trouver dans la foulée, à l’entrée dans le secondaire, une forme de symbiose dans le roman inachevé et méconnu de Poe/Baudelaire Gordon Pym. Dont le secret consiste à raconter de l’aventure avec de l’écriture.
. Im Lauf der Zeit ! Un film emblématique, auquel j’ai consacré une longue analyse dans un feuilleton sur l’histoire du cinéma. Dans mon Top 100 de tous les temps et mon Top 10 des années 70. Le meilleur Wenders ! Un repère de ma construction.
. Lawrence d’Arabie ! Mon héros historique, et sa photo surplombe mon clavier d’écrivain. Accaparé comme personnage de roman et ami (lui aussi !) de mon héros fétiche. Objet d’études approfondies. Peter O’Toole et le film de David Lean au sommet de mes prédilections cinéphiliques !
. J’ai croisé un personnage fort semblable à Christian Didier dans le microcosme littéraire belge, il s’est collé à mes basques, il était très inquiétant et j’ai réussi à m’en écarter.
. le « Serge » ami d’enfance de l’auteur semble parallèle d’un « Sergio » (pseudonyme), qui fut mon modèle entre 12 et 15 ans.
. Maxime évoque un « Quique » quand mon frère cadet, dont je fus longtemps inséparable, était surnommé « Kik ».
. « Christian », le prénom qui traverse tout le roman, est aussi le prénom de l’éditeur que je partage avec Maxime depuis de longues années.
3.
La dernière salve réunit les cas les plus déstabilisants…
. Le « 14 mai ». La date scande le roman et sa révélation, or c’est ma date fétiche, celle de la naissance de mon couple, que je vois comme ma vraie naissance, à vingt ans.
. « Epiphanie ». Le titre d’une pièce de Jacques De Decker, l’un des mots-clés de cet auteur auquel je consacre un essai, achevé juste avant ma lecture de Maxime. Et le titre d’un feuilleton proposé à l’éditeur de Maxime, il y a quelques mois, en hommage au même JDD.
. Le phénomène en marche ! Ma première soirée en compagnie dudit JDD nous a vus discuter des convergences, des signes et synchronicités. Intensément. Or ma mère est morte cette nuit-là en tombant ; j’avais rendu le matin même, et un mois à l’avance, une critique de livre intitulée Balance ta mère ! ; quelques heures plus tard, je décrochai mon premier prix littéraire pour le premier livre où apparaissait clairement celle qui venait de décéder.
. Le phénomène revisité ! Durant l’été 2020, entre deux confinements liés à la pandémie, j’ai réussi à revoir mes deux amis d’enfance et abordé la thématique précédente avec l’un d’eux, ma référence intellectuelle majeure, qui l’a mise en relation avec les synchronicités chères à Jung. Or celui qui m’a éclairé s’appelle Etienne quand son équivalent, pour Maxime Benoît-Jeannin, se nomme Stéphane. Stéphane et Etienne sont des variantes du même nom latin !
Quel lien, dès lors, m’unit à Maxime Benoît-Jeannin ? Je ne lui ai adressé que quelques mots de visu, notre premier échange remonte à une finale de prix littéraire dans le centre-ville mais ce Français venu des Vosges vit à cinq minutes à pied de chez moi.
Et pour terminer…
…selon mon habitude, loin de toute analyse, dans le plaisir pur de la perception…
…des extraits de deux recueils de poésies, livrés par deux figures référentielles de nos Lettres …
(11)
Luc DELLISSE, Le cercle des îles, Le cormier, Bruxelles, 2020, 98 pages.

Une deuxième salve, après celle de décembre 2020. J’ai choisi cette fois le texte 3 de Retour dans l’île, Une mémoire sicilienne (page 72) :
« Les matins écrasés dans le poing de la vigne
Ont laissé un pollen transparent dans l’air
Vertige remontant les créneaux de la
Paresse et gagnant le large
Et je reprends l’oiseau, le sillage des nerfs
J’appuie mes yeux sur le hublot
Je touche avec mon sang
Les trois pointes du regard. »
NB. Pour en savoir plus sur ce recueil, la recension de Frédéric Saenen :
https://le-carnet-et-les-instants.net/2020/12/01/dellisse-le-cercle-des-iles/
(12)
Yves NAMUR, Dis-moi quelque chose, Arfuyen, Paris-Orbey, 2021, 140 pages.

Une suite, 115 fragments, des sizains. J’en prélève trois (1, 8 et 11) dans la première partie, L’automne :
« Dis-moi quelque chose
Qui comblerait le manque
Ferait de nos yeux vides
Une forêt de cœurs orageux
Une pluie étoilée
Un poème entrouvert
(…)
Dis-moi quelque chose
Qui soit un murmure dans nos têtes
Et ferait de nous
Ce léger tremblement qu’on devine
Lorsque le matin s’invite
Sur la rosée
( …)
Dis-moi quelque chose
Qu’on pourrait remonter du puits
Un geste ancien
Une parole incertaine
Ou un seau de regrets
Tous ces riens abandonnés au temps »
Ces mots, découverts quelques jours après la date anniversaire de la disparition de Jacques De Decker, résonnent particulièrement et tissent un lien filigrané entre Yves Namur, qui lui a succédé à la tête de l’Académie Royale, Luc Delisse et moi, tous trois très attachés au disparu.
NB. Pour en savoir plus sur ce recueil, la recension de Charline Lambert :
https://le-carnet-et-les-instants.net/2021/05/04/namur-dois-moi-quelque-chose/
Philippe Remy-Wilkin.