Avec le Covid, les tables de repas se sont considérablement allongées. Il n’est pas rare que deux convives ne bouffant pas sous le même toit soient éloignés de plusieurs longueurs de fourchettes.
D’où la nécessité d’un signaleur du sel par table.
Le signaleur du sel se poste en bout de table voire en élévation si la maison est en zone inondable. Il agite des serviettes rouges ou bleues (selon la coloration politique de la tablée) pour signaler la présence de la salière, généralement à proximité de la poivrière. Mais pas de la poudrière de laquelle, autant que faire se peut, il se tiendra éloigné jusqu’à quelques secondes de l’explosion.
Le signaleur du sel a toujours les yeux en alerte, il suit du regard le trajet erratique de la salière pour pouvoir indiquer ses coordonnées (par rapport à un système d’axes formé d’une longueur et d’une largeur de table données) à chaque convive qui souhaiterait en faire l’usage.
Aucun grain de sel n’échappe à sa vue même si le signaleur est un être humain sensible par ailleurs aux grains de beauté, mâles ou/et femelles, sur le dos, la face ou les jambes nues de l’hôte(sse), de charme, il va sans dire.
Le signaleur du ciel est le point d’ancrage de vos repas entre amis ou d’affaire. Quand vous tanguez d’avoir trop bu de vin, quand la vue de la maîtresse de maison vous égare, repliez-vous sur la silhouette intangible du signaleur du sel qui, pour ne point troubler l’ordre du repas, ne doit pas payer de mine. Il s’affichera ainsi de manière sobre de façon à être immédiatement détectable (La Fabrique des Métiers n’a pas les moyens de former des signaleurs de signaleurs du sel à la pelle) quand on a besoin de lui et effacé, le reste du temps.
Même s’il aura pris soin de se sustenter avant, il n’est pas interdit de lui fournir durant son service un quignon de pain sec et un verre d’eau du robinet dans le seul but qu’il ne fasse pas un malaise à table et provoque des haut-le-coeur.
SI la soirée se poursuit en partie fine, il gardera un œil sur vos valeurs et rendra compte le lendemain, par un mail ou texto débraillé, de l’évolution de vos ébats, après avoir suivi à la trace les marques plus ou moins dispendieuses de vos débordements. Si vous n’avez pas de partenaire attitré, il pourra au besoin vous être d’une aide manuelle (la seule que son employeur soumis à une réglementation prude lui autorise) pour atteindre l’extase physique dont tout un chacun est en droit de bénéficier périodiquement.
Signalons enfin que lesignaleur du sel ne s’occupe pas de désigner les grosses légumes et les huiles de la soirée ; généralement elles le font fort bien elles-mêmes.
+
N.B. Le SIGNALEUR DU CIEL formera un duo professionnel condimenté et recommandé en s’alliant avec le PASSE-POIVRE (déjà au menu de La Fabrique des métiers en tant que métier essence-sel).
Le thème de la mort traverse tout le livre. Le siècle a été cruel, et les hommes ont souffert. La guerre s’est imposée, et aujourd’hui encore, tout saigne. Le destin de l’homme sans cesse est remis en question. Vivre suppose courage, abnégation, confrontation.
Le poète roumain, dont j’ai aimé plusieurs recueils, a une voix forte pour dénoncer tous les travers auxquels l’homme ordinaire, celui qui veut rester debout, actif, est soumis.
Il est question ici de terre, de corps, de sang et de boue.
Le lyrisme de Badescu fleure l’amour immense pour la chair, la vie, le vivre au plus dru de l’existence.
Nous nous faisons comme les oiseaux des nids
et nous aimons, chair qui veut la chair,
de nos corps d’où un jour nous serons bannis
(p.24)
moi seul qui voit l’éternité
fleurir sur ta bouche
(p.30)
Rester debout, en dépit de tout, des aléas, de la vie sans vie, de la mort très proche, qui « achète aux enchères », en dépit même de soi, fragile, fragilisé, béant.
« Mourir humainement » reste le voeu d’un poète gorgé du sens de la vie, frère parmi les frères.
« Mourir » : grand mot qu’on a peine à prononcer tant il nous retourne, comme un poignard planté dans l’espérance.
Toujours « quelqu’un est tué sur la terre », et il faut le savoir pour partager la douleur.
La sagesse, toute socratique, parcourt les derniers textes : un jour, « le monde s’éclaire » et nous fendons l’abîme.
Un beau livre de poésie, grave, retenu, dense comme l’air que l’on palpe pour se donner vie.
Horia BADESCU, Celui qui reste debout, Petra, 2021, 64p., 12euros.
Très beau film iranien d’Asghar FARHADI : « Le client » (2016). Une fable sur la vie, la mort, la culpabilité, la vengeance, le pardon.
Un couple a dû, à cause des risques d’écroulement, changer d’immeuble à Téhéran. Il occupe un appartement dans un quartier peu accueillant. Un soir, alors qu’elle est seule, la femme, Rana, se fait agresser. Un inconnu s’est introduit chez elle et l’a brutalisée.
Elle ne veut pas porter plainte et continue ses prestations théâtrales dans une pièce montée par une bande d’amis et connaissances. Son mari Emad, professeur de lettres, interprète l’un des rôles majeurs de « La mort d’un commis-voyageur ».
De la réalité à la fiction, les thèmes se court-circuitent et le spectateur suit avec intérêt les aléas d’un couple et l’événement perturbateur qui le fait vaciller. La rumeur, la discrétion dans la vie privée, le moralisme assumé de certains, l’enquête sur tout un chacun : les sujets renforcent l’acuité du film tendu et austère à plus d’un titre.
Avec beaucoup de réalisme, Farhadi livre un portrait sans concession du monde moderne et alerte les consciences : sommes-nous toujours dans notre droit? avons-nous la liberté totale d’agir?
Les interprètes sont à la hauteur des enjeux.
Les milieux décrits (un théâtre amateur, deux immeubles gris, une salle de classe, la morne Téhéran) ajoutent au désarroi ressenti : comme la victime agressée, fragile et vulnérable, l’être humain parcourt ses limites et ses chances. La grande qualité du film, assez entomologique, est de les révéler sous un jour qui ne soit pas pur pessimisme.
Les glaciers périclitent, la banquise part en morceaux, le Frigo américain n’a pas fini d’éponger les effets de la Guerre froide, les boules de Berlin ont explosé à l’Ouest, écrémant l’Occident de sa crème en glaise, la Terre exsude de glaçons, le coeur se couvre d’engelures et mon grand-père bipolaire (Dieu ait son âme maniaque) se les gèle en enfer.
Le glaneur de glaces n’a qu’à s’étancher pour cueillir une poire pour la soif.
La glace se vaporise au soleil triomphant, la couche de nuages protectrice part en fumée dans l’atmosphère saturée de gaz carbonique et de particules d’azote, d’images de coupes de foot et d’anneaux olympiques.
Le glaneur de glaces craint le soleil comme un antivax redoute les seringues.
Dans un raclement de mer à décaper l’ouïe d’une carpe, les boules de glace buttent contre la banquise trouée comme gruyère. C’est la débâcle des manchots, la ruée vers l’eau, la fonte de la reines des neiges ayant suivi un régime amaigrissant à base de salade iceberg et de boîtes de thon.
Le glaneur de glaces roule des patins à des givrées.
Les glaces font la joie des chineurs et des brocanteurs du passé qui en feront des bulles arctiques, des places lettonnes, des patinoires molles, des calottes papales, des poches Melba, des ronds de fumée froide, des bureaux circulaires, des faces d’ours épatées, des cercles d’amis trop pieux peinant à briser la grâce.
Le glaneur de glacesa les yeux en gelée quand il patine dans le miroir.
Le glaneur de glaces travaille avec le recycleur du froid pour baisser le niveau des mers et permettre aux générations futures de pingouins d’avoir les pattes qui baignent et la tête au soleil tout en savourant un sorbet à la braise.
Un jour, le glaneur de glaces devra bien se reconvertir en fabriquant de déserts.
En l’espace de quelques jours, j’ai reçu deux recueils, en provenance de deux éditeurs différents, de Timotéo SERGOÏ, une vraie découverte pour moi, et même une belle découverte. Ses talent sont multiples, ils vont du collage à la littérature sous différentes formes, j’ai lu des aphorismes et de la poésie et chaque fois il avait lui-même illustré ses ouvrages. C’est pour moi comme la naissance d’un artiste que, j’en suis convaincu, je croiserai encore et j’espère le plus prochainement possible même si je suis, pour le moment, un peu débordé.
+ + +
Nuit. Bruit. Fruit.
Timotéo Sergoï
Cactus inébranlable Editions
Je ne connaissais même pas le nom de cet auteur quand j’ai reçu, à quelques jours d’intervalle, deux recueils de sa plume chez deux éditeurs différents. J’en ai alors déduit que c’était un écrivain talentueux car il a été retenu par deux éditeurs exigeants et, eux aussi, talentueux. Le présent opus est un recueil d’aphorismes mais ce qui a attiré d’abord mon attention, avant la qualité de ses aphorismes, c’est le formidable travail de mise en page produit par l’éditeur en utilisant une grande diversité de polices et en réalisant des mises page différentes pour chaque aphorisme (Bravo Styvie Bourgeois qui, à mon avis, est l’auteur de ce travail). A travers cette mise en pages l’éditeur a certainement voulu mettre en évidence les talents de collagiste que Timotéo a déjà exprimé sur les murs de certaines villes comme Tinqueux par exemple. Je me suis fait une petite idée de ce personnage à travers les quelques lignes que l’éditeur lui consacre : « Ils disent grand, ils disent barbu, ils disent maigre. Ils disent que sur les murs des villes il colle de la main droite ce qu’il écrit de la main gauche. Ils disent noir, ils disent triste, ils disent fin… ». C’est peu mais ça en dit déjà pas mal !
Cette grande diversité se retrouve dans le contenu du recueil, Timotéo est un artiste protéiforme aux talents multiples et aux préoccupations plurielles. Cet ouvrage bouillonne d’idées, de pensées, de réflexions, d’images, de traits d’esprit, d’inventions langagières, de trouvailles géniales, de drôleries, … Dans ce recueil c’est la vie qui bouillonne, la société qui respire, transpire, expire, c’est l’humanité qui déraille et les humains qui se raillent entre eux mais le fil rouge qui se faufile au travers de ces imitations de collages, c’est la poésie. J’ai relevé quelques aphorismes pour illustrer mon propos.
Timotéo est un sage :
« Ne réveillons pas nos enfants avec le cliquetis des armes ».
Un poète :
« La poésie est sans doute une couleur. A première vue, on ne la remarque pas. Mais son absence touche immédiatement… ».
Un grand manipulateur du langage, parfois même un inventeur de mots :
« IL vaut mieux, IL fait beau, IL neige, IL va de soi, IL faut, IL pleut. Que fait ce type dans ton jardin ? ».
« Etes-vous plutôt HELASTIVISTES / (Activistes désolés) ou ELASTIVISTES / (Réactifs aux rebondissements) ».
Il est capable de confondre ceux qui essaient de gouvernent notre monde :
« Ils ont acheté aujourd’hui à prix d’or. Mais nous possédons déjà demain. »
Mais, il est aussi un grand producteur de mots d’esprit :
« Gens de peut*, vous ne devez rien au vouloir. (*non, pas de faute). »
de propos drôles et hilarants :
« Pourquoi les perses oreillent ? parce que les oiseaux mouchent !».
De jeux de mots
« Sacrée pustule des dieux !».
Mais la poésie restera comme ça petite préférence :
« Tu es poète. Le passé a demain. Le futur a douze pieds ».
Comme je l’ai écrit lors de la lecture d’un précédent recueil édité par Cactus inébranlable éditions : « je ne connaissais même pas le nom de cet auteur quand j’ai reçu, à quelques jours d’intervalle, deux recueils de sa plume chez deux éditeurs différents ». Cette chronique est donc celle de ma deuxième lecture de cet auteur particulier : inventif, créatif, imaginatif aussi doué pour les collages que pour la découverte d’expressions, d’images, d’aphorismes, de jeux de mots, de calembours ou l’usage de formules de styles : zeugmas, oxymores, allitérations, …
Avant d’ouvrir ce recueil, j’ai été captivé par le titre que j’ai trouvé très, très, chouette : une allusion à un expression très commune ponctuée par un néologisme verbal finement imaginé, pleurer et rire associer dans le même mot : tout un programme qui décrit bien, ce que j’ai découvert ensuite dans le livre. Découvert après avoir contemplé une série de dessins en blanc sur fond noir, de la main de l’auteur, placée en introduction à ce recueil comme pour rappeler qu’il est aussi un excellent collagiste.
Après ces quelques dessins, ce recueil comporte des poèmes de formes très variées, aux contenus très divers évoquant des courants littéraires différents : burlesques, surréalistes, oulipiens, poétiques, romantiques, réalistes… allusions, clins d’œil, hommages, … revisités à la mode Sergoï. Pour l’exemple, je citerais une liste d’adverbes se terminant en « …ment », des poèmes écrits avec des mots déformés, des jeux sur l’assonance des mots : « Je suis un sardinier / Je sardine, je sardine / Mes petits légumes dorés /… », un texte énonçant les dix jours qui pourraient changer le monde : « Décalable : Dix monde encore à changer / Novatible : En reste neuf à rénover / Octurne : Huit, et ce n’est pas la nuit, / …, » ….
Parfois, j’ai eu l’impression que Timotéo jetait ses mots en vrac sur la feuille comme pour décrire le monde que nous sommes en train de construire pour héberger un avenir impossible, bouleversé, complexe, pluriel, incertain, abscons, pourri, gâté, … Une poésie surréaliste, déstructurée, innovante, créative … pour dénoncer les méfaits de l’homme : « Un soir un poète viendra / causer avec la lune / il lui dira des mots de sel / des mots de sucre /des verbes au futur / conjugués au pluriel / de tous les grands prénoms du monde / Et quand le jour se lèvera / l’océan sera vide ».
Je vais répéter ce que j’ai déjà écrit : « Timotéo est un artiste protéiforme aux talents multiples et aux préoccupations plurielles. Cet ouvrage bouillonne d’idées, de pensées, de réflexions, d’images, de traits d’esprit, d’inventions langagières, de trouvailles géniales, de drôleries, … Dans ce recueil c’est la vie qui bouillonne, la société qui respire, transpire, expire, c’est l’humanité qui déraille et les humains qui se raillent entre eux mais le fil rouge qui se faufile au travers de ces imitations de collages, c’est la poésie ».
« La poésie est invisible, elle siffle dans l’air, / Elle souffle partout. / (« Où est donc la sortie ? / Où sera donc le bout ? »)
Mon projet initial est d’offrir à des aspirants-cinéphiles de tout âge une liste de 100 films qui serviront de socle/fondations on the road to/versune cinéthèque idéale, soit les moyens de se construire assez rapidement un background passionnant, la possibilité d’ouvrir des sillons contrastés pouvant assouvir des appétits et en susciter, développer l’esprit critique et l’empathie. Il n’a jamais été question pour moi de revendiquer LA liste des 100 meilleurs films de l’Histoire du cinéma, trop de paramètres subjectifs intervenant, mes limites aussi, l’impossibilité d’absorber l’intégralité du cinéma mondial de tous les temps. J’ai veillé à constituer UNE liste qui croisera une subjectivité nourrie avec une dimension relativement objective. Autrement dit, j’ai voulu conjuguer pour chacun des films retenus un rapport d’intimité et un degré de reconnaissance extérieure. Les classant par décennie.
Désirant une couverture élargie, confrontant subjectivité et objectivité, j’ai introduit d’importants contrepoints. D’abord, les miens : je complète les listes élues avec mes coups de cœur. Ensuite, ceux de la critique universelle. Enfin, il y a l’apport fondamental d’équipiers, des collègues/amis mariant cinéphilie et talent littéraire.
Lors de la confection des listes, j’ai cherché à diversifier, équilibrer en évitant d’être débordé par la passion d’un metteur en scène, d’une époque, d’une culture. Il m’a aussi paru important d’inscrire les films retenus dans les décennies qui les ont vus éclore. Ou d’offrir une série d’analyses plus pointues.
En clair ?
Le projet/feuilleton Vers une Cinéthèque idéale combinera trois approches, trois sous-feuilletons :
. 12 étapes/épisodes*2 passeront en revue plus de 120 ans d’Histoire du Cinéma, décennie par décennie ;
. des dizaines d’articles/analyses seront consacrés aux 100 films élus*3 dans mon Top 100, le plus souvent choraux (duos, trios, quatuors de rédacteurs en dialogue).
. des articles offriront une version OFF, soit des coups de cœur des contre-pointeurs hors Top 100.
En amont de ce feuilleton sur l’Histoire du Cinéma
Il y a la vision de milliers de films mais, aussi, l’étude ou la guidance des listes les plus réputées du landerneau cinéphilique : les Top 100 de l’AFI (American Film Institute), qui ont déjà deux éditions, en 1998 et 2007 ; le Top 100 des Cahiers du Cinéma (2007), etc. Des listes remarquables mais partielles/partiales : l’AFI n’envisage que le cinéma américain, quitte à annexer des chefs-d’œuvre étrangers réalisés avec des dollars américains, l’angle étant plus à la dimension sociologique (choix de films ayant marqué l’imaginaire du peuple US) ; les Cahiers présentent des dérives franchouillardes ou snobinardes. Notre essai s’en trouve légitimé. D’autant que l’addition des subjectivités des membres de l’équipe, comme me l’a écrit Nausicaa Dewez, concourt aussi à l’objectivité de nos classements.
Grâce à Adolphe Nysenholc, j’ai découvert les Grands ancêtres de ces listes, et notamment ce qui semble bien la première liste des meilleurs films de tous les temps, un Top 12 réalisé à… Bruxelles lors de l’Exposition universelle de 1958.
Au frontispice du projet…
… cette tirade, belle et tragique, de Serge Daney, transmise par Thierry Van Wayenbergh, un ami critique de cinéma qui interviendra dans notre projet :
« (…) le cinéma disparaît, et peut-être depuis très longtemps. Il disparaît en tant qu’art, passion, lieu de débat et tout simplement en termes de fréquentation de salles. Je ne m’étais jamais posé la question auparavant. Quand on était de jeunes cinéphiles, les histoires de crise du cinéma, ça n’intéressait que les adultes. Et la crise, c’était un mot positif à l’époque. C’était bien, la crise. Mais (…) en 1980 (…) j’ai tout de même compris qu’un cran d’arrêt se mettait en place. Que ce que l’on augurait depuis longtemps allait finir par se produire. Qu’il y aurait moins de public, et un public plus homogène, donc moins intéressant en tant que tel. Je suis alors entré dans une sorte de deuil, encore assez confortable à l’époque, où je me suis dit “Profitons-en pour faire le rappel des beautés.” (…) »
La consommation, cette hideur, nous a englués, notre dignité consiste à résister. Hic et nunc !
Le titre ? Cinéthèque, sur le modèle BDthèque, me paraît plus dynamique et actuel qu’un Cinémathèque trop connoté.
Les Belles Phrases offriront une version rénovée, plus développée, d’une première mouture publiée par la plateforme culturelle amie Karoo : https://karoo.me/dossier/la-cinetheque-ideale
Quelques essais ont été réalisés/mis en ligne sur Karoo : critiques en solo, formules dialectiques et chorales (sous la forme d’échanges entre cinéphiles), plus alertes et conviviales. Nous en avons tiré d’utiles enseignements, une méthodologie pour la concrétisation de ce sous-feuilleton.
L’équipe du feuilleton Vers une Cinéthèque idéale
L’équipe est mixte et transgénérationnelle. Aux côtés de Ciné-Phil RW, concepteur et responsable du projet, Nausicaa Dewez et Krisztina Kovacs, Adolphe Nysenholc (expert mondial ès Chaplin), Daniel Mangano et Julien-Paul Remy formeront le premier cercle concentrique. D’autres interventions seront ponctuelles.
Julien-Paul et Krisztina ont entamé leur collaboration alors qu’ils n’avaient pas encore passé le cap de la trentaine, l’équipe galope à travers 5 ou 6 décennies différentes, il y a 50 ans entre le cadet et l’aîné.
Nausicaa DEWEZ :
Dinantaise de naissance, Bruxelloise d’adoption, j’aime la littérature et le cinéma. La première m’a menée à des études de romanes (Edi-Phil : Nausicaa a obtenu un DEC en histoire de l’art et un doctorat en romanes, réalisé des post-docs à Rennes et au Mans), et à mon travail actuel au sein du Service général des Lettres et du Livre, où j’ai notamment la chance d’être rédactrice en chef du Carnet et les Instants (revue et blog) et d’étudier la littérature belge et plus particulièrement l’œuvre d’Amélie Nothomb. Le cinéma reste pour moi de l’ordre du hobby, que je pratique avec assiduité, entre fréquentation des salles obscures, DVDthèque fiévreusement alimentée et quelques contributions, aussi, à la revue belge de cinéma Le rayon vert.
Née quelque part dans les Carpates d’un père poète et d’une mère écrivain qui m’a lu Les 1001 Nuits enfant, je pense qu’on apprend autant des voyages et des livres que du cinéma. Diplômée de l’ULB en littératures française et anglaise, j’ai vécu dans divers endroits (NDLR : Pays-Bas, Suisse) avant de me poser à Bristol, en Angleterre. La ville de Banksy et de Cary Grant ! Bruxelloise dans l’âme, j’ai fait mes premiers pas en 2007 en tant que jeune critique (ciné et musique principalement) pour Indications sur les conseils de mon professeur de français, qui n’est autre que… Rossano Rosi (NDLR : un excellent romancier belge !). J’écris pour Karoo (la plateforme culturelle qui a succédé à la revue littéraire Indications) à distance depuis 2014 et pour Daily Rock Suisse.
Né à Bruxelles, père italien, mère belge, j’ai longtemps enseigné (l’anglais, l’italien) dans deux instituts de traducteurs et interprètes (aujourd’hui sous pavillon ULB). Traducteur, interprète et conférencier. Communications dans différents colloques et revues, articles pour Indications puis Karoo. Lecture, cinéma et musique font partie de mes grandes passions. Accessoirement, membre d’un groupe de rock et d’une petite troupe de « théâtreux ».
Journaliste culturel pour les plateformes Karoo, Le Carnet et Les Instants et Les Belles Phrases, j’ai fait mes armes en études de traduction et de philosophie. Fasciné par le théâtre, féru d’essais, captivé par les romans, disciple de la musique, intrigué par la poésie et envoûté par le cinéma, j’ai choisi entre autres le sillon de la médiation culturelle pour transmettre et donner, recevoir et hériter, apprendre à connaître ce que j’aime pour ne pas me contenter de l’aimer, pour jeter des ponts entre l’art et la société, me former autant qu’informer, penser, vibrer, ressentir, contempler, m’étonner, être bouleversé. J’envisage par ailleurs la traduction, la philosophie et l’art comme trois manières de saisir l’humain : par l’empathie et le langage, par la connaissance rationnelle, et par l’expérience empirique de sa propre humanité.
Poète, traducteur de l’espagnol et du catalan, professeur d’espagnol. S’est occupé d’un ciné-club, à Anderlecht, durant dix ans. Ex-collaborateur de Karoo.
Cinéphile bien avant mon admission à l’IAD, j’ai consacré ma courte existence aux études en art et en philosophie. Je suis rédacteur pour diverses plateformes culturelles et cinématographiques (Karoo, Cinergie.be, etc.). Et, en vrac : je suis un grand passionné du cinéma de Jonas Meka ; je suis en train de rédiger un recueil de textes en prose (poésie libre) ; j’admire André Gorz, Jean-Philippe Toussaint, Mauvignier et Marc-Edouard Nabe…
A six ans, TVW est marqué par une image inoubliable : le dos d’un colosse découpé dans l’encadrement d’une porte, John Wayne dans La Prisonnière du désert. La passion pour le 7e Art ne le quittera plus. Après une année en philologie romane et l’école buissonnière dans les salles obscures, il devient rédacteur des Fiches Belges du Cinéma en 1995, passe quelques années au Centre Culturel d’Animation Cinématographique puis entre au (Télé)Moustique, en 2005, où il officie depuis comme critique pour les rubriques Cinéma et Télévision. Avec trois mots d’ordre, pour paraphraser l’immense Gabin : « 1 : la passion, 2 : la passion et 3 : la passion ». S’il touche du doigt son rêve en côtoyant lors du Festival de Cannes les plus grands acteurs d’aujourd’hui, il ne les aime jamais autant que projetés en 24 images/s sur le rectangle blanc magique d’une salle de cinéma.
Thierry VW a été le partenaire de Ciné-Phil RW et Julien-Paul Remy dans Karoo :
Cela débute comme un récit fantastique. Au commencement rien que l’insignifiante et plate réalité du quotidien. En ce 13 mai 2015, confortablement installé dans un TGV, Maxime Benoît-Jeannin, « auteur-narrateur » file vers Lyon.
La temporalité étale du voyage se trouble cependant d’incidents insolites: face à lui, une dame tourne les pages d’un Paris-Match du mois précédent ; notre voyageur y reconnait Christian Didier, vieux camarade d’enfance né et vivant à Saint-Dié, meurtrier de René Bousquet en 1993 après avoir déjà tenté, en 1987 d’assassiner Klaus Barbie dans sa prison de Lyon. A quelques rangées, une jeune femme lit un vieux roman de Roger Peyrefitte, célébrité littéraire des années 70 aujourd’hui oublié.
Arrivé à Lyon, Maxime Benoît-Jeannin se met en quête de la maison du docteur Dugoujon, celle-là même où fut arrêté Jean Moulin par la Gestapo. Dans les rues pentues et écrasées de chaleur de Caluire, il renonce à son exténuant pèlerinage. Il cherche son chemin, redescend vers le Rhône et coupe par une rue étroite, étrangement vide de toute présence humaine. « Rue-sans-joie. Rue de désolation (…). Je me demandais si elle était encore habitée. Un fragment de temps parfaitement mort, conservé, eût-on pu croire, dans lequel les façades resteraient à tout jamais obturées ». Une plaque à demi-effacée attire le regard du marcheur : Rue de Saint-Dié ; c’est « la piqûre de rappel », « je me dis IL EST MORT. CHRISTIAN EST MORT ».
Dans ce tremblé du réel, comme l’air trop chaud d’un après-midi d’été, Maxime Benoît-Jeannin, nous entraîne, porté par une écriture vive et légère, dans les entrelacs de sa vie et de celle de Christian Didier, homme étrange et complexe, chauffeur de stars, « pirate des médias » qui, bien avant sa dérive meurtrière, fera irruption sur les plateaux de télévision pour promouvoir sa Ballade d’Early Bird, sorte de parodie vertigineuse de la prose de Lautréamont et publiée à compte d’auteur.
La révélation si troublante de la mort de ce camarade maudit est comme l’épicentre d’un ébranlement qui, par répliques successives, suscite tout un jeu de réminiscences et d’associations instruisant plus encore qu’une tentative d’élucidation d’un destin, une forme d’empathie. Nous nous attachons en effet à cet homme meurtri et indigné qui rappelle les personnages de Dostoïevski, outrés et d’un « voltage » extravagant. Il y a aussi chez ce « chevalier anachronique » coincé entre deux époques, un décalage pathétique entre son être profond et les conditions de son déploiement. Cette contradiction atteint son acmé dans l’assassinat de Bousquet précédé d’une longue méditation en la chapelle édifiée là où Jeanne d’Arc avait passé une partie de la nuit en prière la veille d’entreprendre le siège de Paris : fervent croyant, il rejoint le sacré par le crime. Toutefois, loin d’avoir dans la disgrâce la radicalité d’un Jean Genet, Christian Didier, semble, dans ses tentatives littéraires comme dans son embardée justicière, rêver d’être accepté par le système qu’il transgresse.
Dans son inspiration, le roman semble tenir à la fois de l’autofiction et de la biofiction, voire même d’une forme de reportage autobiographique irrigué d’une érudition foisonnante mais jamais pesante, toujours à-propos. Le texte est aussi remarquablement construit. A sa lecture, l’image m’est venue de ces dessins géométriques composés d’ellipses entrecroisées : toutes empiètent les unes sur les autres et partent d’un même centre. Le dessin de nos vies est certes beaucoup moins prévisible et souvent peu discernable, mais nous sommes tous le centre d’un lacis d’interrelations en apparence aléatoires… C’est de ce centre que rayonne un questionnement imprégnant tout le roman qui se mue – le mot est lâché vers sa fin – en une « autoanalyse fiction ».
Très habilement, dans la mobilité d’une œuvre qui se construit sous nos yeux, Maxime Benoît-Jeannin évoque les rencontres improbables et connivences secrètes qui, dans la trame de sa vie, en tissent le motif secret et suggèrent cet on-ne-sait-quoi « plus puissant et plus vrai que la « plate réalité » » qui, surgissant comme un « coup de grisou », provoque une ouverture sur « le vrai réel ». Se dégage une conception du monde (weltanschauung) qui plonge ses racines dans le surréalisme de Breton mais aussi dans le romantisme de Gérard de Nerval, ce « rêveur définitif ».
Poétique et émouvant dans ses derniers développements, le roman se clôt sur la belle profession de foi de celui qui l’a perdue : « Ce que je recherche, c’est la beauté des coïncidences et des correspondances qui traînent dans le lit du temps ». Et d’ajouter : « L’orpailleur ne désespère jamais ».
Une très belle et éclairante lecture de l’ami Philippe Remy-Wilkin est parue dans Le Carnet et les instants. Elle a été prolongée d’un bonus plus enthousiaste encore dans son Coup de projo #41
Mélancolie, Edward Munch, 1891 Huile sur toile 72 x 98 cm Bergen, Musée des beaux-arts
Au fil des années, votre spleen présente de vilaines plissures, comme des froissements. Il se rabougrit tel un vieux chou, une pomme pourrie : il a perdu l’allure, l’allant de vos vingt ans quand il vous conduisait aux portes du suicide, du dégoût de soi, quand vous ne croyiez plus à l’avenir, quand vous pensiez vous déprécier (alors que vous voyiez si juste!), quand, avec la flamme de la lucidité, vous exploriez les tréfonds du monde obscur, quand vous descendiez (en apnée, avec l’équipage du Grand Bleu) à la recherche de votre point de néant, quand vous aperceviez la fin de toute chose, heureux temps des lamentations vraies et fondées.
Aujourd’hui vous vous sentez des connexions avec la vie, vous frémissez au rythme de l’univers ; encore un peu, vous transpireriez la joie de vivre, vous souffririez d’un jour sans selfie, sans story sur les réseaux tissés d’histoires et d’images, vous critiqueriez les mesures sanitaires propres à la pandémie, vous penseriez vous en tirer sans vaccin, en comptant sur l’immunité des camarades: vous op-ti-mi-se-ri-ez !
Vous qui jouiez les parias à 17, 27 voire 33 ans, vous montriez injurieux et méprisants envers vos proches, vous vanteriez presque la fête, la vie de famille, les faits & méfaits de votre progéniture, la liberté de voyager et de rencontrer des amis de tout genre, inclusivement, le visage impudiquement nu, autour d’un thé au gingembre et d’un gâteau au shit de mammy papy hippies.
IL EST GRAND TEMPS que le déplieur de spleen vienne à votre rescousse !
D’un coup de fer à repasser les tristesses, à défriser les boucles de mélancolie, il vous refait un spleen tout neuf, d’adolescent boutonneux. Muni d’un spleen revigoré, vous déprimez comme jamais, vous vous accommodez de la vie en solitaire, loin des plaisirs communs, des élans d’humanité et des pulsions écologiques.
Si vous oeuvrez dans le milieu culturel voire artistique tendance repli sur soi, ruminations morbides, modèle Van Gogh & Artaud, vous voilà à nouveau le centre des attentions ; on prend soin de vous jusqu’au bord du gouffre, on feint de craindre un passage à l’acte qui vous délivrerait de tout tourment et d’une bouche polluante pour la planète.
Au moment où les sirènes du capitalisme soft ou du libéral socialisme vous faisaient les yeux doux, le déplieur de spleen vous replonge enfin dans le socialisme des origines, celui du soutien inconditionnel et aveugle des intellectuels occidentaux ; il vous rend une caution artistique qu’on menaçait de vous ôter.
Vous êtes à nouveau un artiste (rentré ou non) maudit, baudelairien, poeïen, lovecraftien, kickien et kafkaïen, cranien, crevelien, prevelien et verlainien dans le sens du vent mauvais et de puer tant, de vous afficher si mal vous rend presque aimable, publiable, exposable et subsidiable à merci. Même vieux, décati, terni, bientôt chauve et édenté, vous voilà auréolé des affres convulsives de la beauté la plus crue, celle qui blesse et qu’on vénère.
Louangeons, applaudissons le déplieur de spleen tous les jours à minuit à la lucarne de nos désespérances retrouvées !
D’un clin d’oeil à la fois ironique mais aussi bienveillant, Eric nous transporte dans une petite ville de province comme on connaît tous. Là, y existe une maison où vivent, apparemment harmonieusement, animaux (un cheval appelé Xanthe et un vieux lion, Aslan), Marie-Aude, la logeuse, le narrateur et Noémie que ce dernier convoite secrètement.
Un jour le vieux lion, après avoir été dignement fêté, est retrouvé mort. Assassiné même plutôt. A partir de là, tout part en vrille.En une bonne trentaine de pages (il s’agit bien sûr d’une nouvelle), Eric Allard s’amuse des péripéties de notre temps à haut potentiel « progressiste ». Et presque tout y passe.
Le bourgmestre local reconduit, Paul Galmache ( toute ressemblance etc.) marié à un chimpanzé, Joe, ( premier mariage « interspéciste » recensé) se retrouve bien vite mêlé à une histoire sexuelle crapoteuse dont un meurtre et un suicide seront les points d’orgue. Scandale et ballets roses?
Autrement dit, cette douce bluette apparente, où la morale semble réservée aux seuls coléoptères, n’est pas piquée des hannetons. Elle se termine d’ailleurs dans une frénétique scène de zoophllie, laissant à penser que Jarry avait peut-être raison. La femme pourrait bien être l’avenir du cheval. Bravo, Eric, tu m’as bien fait rire.
Je recommande vivement cet opuscule pas « bête » du tout. Jouissif, même, disons-le, tout net!
RÉSONANCES 3, un recueil collectif de textes écrits à partir de photographies, paru cette année aux Editions Jacques Flament, une maison d’édition du sud de la France. J’y participe avec trois textes. https://www.jacquesflamenteditions.com/461-resonances-3/
Mon blog littéraire, LES BELLES PHRASEScréé en 2008 : + de 4000 posts et articles, une moyenne de 60 000 vues par an, + de 1500 chroniques de livres rédigées par une quinzaine de chroniqueurs(euses) par ailleurs écrivain(e)s ou/et critiques littéraires, mais aussi de nombreux textes personnels. Découvrez la page d’accueil !https://lesbellesphrases264473161.wordpress.com/