LA VOIX DU DÉLIT de JULIETTE NOREL (Lamiroy) / La lecture de Gaëtan FAUCER

Une histoire électrique où l’on suit un fil d’un bout à l’autre… une professionnelle du téléphone. Elle parle à ses clients. Elle ne connaît pas les visages de ces personnes. Jamais elle ne rencontre ou n’est censée voir son interlocuteur ! Jamais. C’est dans le contrat …

Jusqu’au jour où les rôles s’inversent. Elle en devient sa propre caricature, elle, une routinière dans son job.

Comment est-elle tombée dans le panneau ?

Tout ça pour l’effet d’une voix !

Incroyable récit rythmé et agréable à lire, de Juliette Norel qui fait son entrée dans la collection des Opuscules. Une jeune auteure à suivre.

« La voix du délit » de Juliette Norel, Editions Lamiroy, collection Opuscule #206 (sur le site de l’éditeur)

Le site de Juliette NOREL

LA FABRIQUE DES MÉTIERS – 99. ABRÉGEUR DE LOUANGES

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La louange heurte notre sens de la probité, de la tempérance, de la haine de soi. On voudrait se boucher les oreilles, hurler au louangeur d’arrêter son concert d’éloges. Plutôt écouter une pièce de Stockhausen ou l’intégrale de Bénabar que sa litanie de compliments à notre endroit ; ça fait moins mal.

On ne peut toutefois le faire de notre propre chef au point de susciter, par un retour de hype, une flopée de quolibets et le désamour de celui qui nous encensait l’instant d’avant. Le louangeur est versatile s’il n’est pas tout simplement fayot.
Et si toutefois, il avait raison ?

Si nous étions cet être admirable qu’il dépeint dans son dithyrambe et que, trop humble pour voir la réalité en face, nous nous étions fourvoyés sur le génie natif et le faisceau de talents qui s’échappait de nous, tel le bouquet lumineux d’une étoile au firmament de sa trajectoire céleste. Tel un selfie mille fois retouché qui donne de notre face des allures photogéniques.

Fort de la formation sélect reçue à la Fabrique des métiers par des maîtres réducteurs, l’abrégeur de louanges commence par modérer l’apologiste en lui rappelant que nul n’est parfait, loin s’en faut, qu’aucun être vivant sur terre (hormis les chat et les jars, quelques glycines triées sur le volet et quelques érivain.es de réseaux sociaux) ne possède autant de perfection. Nul n’est glorieux sinon Dieu et mon facteur quand il m’apporte ma pension, disait ma grand-mère catholique et vénale.

Puis, si malgré tout le flatteur poursuit son oraison, l’abrégeur de louanges prendra un malin plaisir à lui faire part d’une sélection de vos penchants les plus crapuleux pour faire taire l’importun ou, du moins, ruiner son propos.

À ce jour, aucune réclamation n’a été formulée auprès du SAV de La Fabrique des métiers à l’encontre de l’abrégeur. Il faut dire que, pour des raisons inconnues, les anciens louangés se sont donné la mort dans les jours suivants son action, comme s’ils ne pouvaient plus se supporter ou se voir en selfie. Ou comme s’ils avaient bien lu Roland Jaccard.

LA FABRIQUE DES MÉTIERS – 98. RECUEILLEUR DE TYRANS

Dans la peau d'un tyran | Monde | Actualités | Le Soleil - Québec

Le tyran n’est pas toujours un mauvais homme. Il a pu être le jouet d’une idéologie, d’un parti à l’extrême du spectre politique de son pays qui l’ont poussé à bout.

Pendant une période de sa vie, il fut au centre de toutes les attentions après avoir, au prix de mille souffrances (des autres, certes), bataillé pour une cause qu’il pensait juste et au bénéfice d’un homme (lui-même) qu’il jugeait (en son âme et peu de conscience) le plus adapté pour la fonction suprême.

Puis, quand le despote qui lui succède (son compagnon d’armes, son proche lieutenant, parfois) injustement, il va sans dire, le pousse vers la sortie, il doit alors quitter le pays précipitamment comme un moins que bien ou être exfiltré dans un pays ami. Il n’a pas toujours le temps d’emporter les économies d’une vie (ou de millions) et on le voit déguerpir comme un voleur voire un violeur (qu’il a pu être, dans l’affolement des sens et du pouvoir – les soumis sont tentateurs, on ne le sait que trop). Il doit de plus s’acquitter d’une énorme somme à payer au passeur sans foi ni loi pour les hommes qui comme lui ont payé de leur personne afin de concrétiser leur idéal, au risque d’entacher leur honneur d’honnête absolutiste.

Exilé, rétribué une misère par la Société protectrice des tyrans (avec laquelle La Fabrique des Métiers a signé un juteux accord secret), le recueilleur de tyrans sera chargé de redonner goût à la vie au satrape déchu. Il lui rendra le sourire et des motifs de revivre ainsi que des raisons de combattre le fourbe dictateur qui lui a succédé pour le faire bientôt revenir en ayatollah triomphant (soutenu par les intellectuels foucaldiens du moment) au pays de ses tourments.

Il pourra créer un groupe Facebook, sécurisé, verisure, pour obtenir des dons, des idées de reclassement, des ateliers de bien-être, un Spa non inondable, un abonnement aux publications de Cyrulnik ainsi qu’à un institut de réflexologie plantaire réputé.

Le recueilleur de tyrans veillera toutefois à ce que son hôte ne verse pas dans l’altruisme naïf ou la haine de l’impérialisme américain génocidaire (on évitera de l’abonner à la chaîne de Michel Colon, par exemple) ou encore le secours des pays dans le besoin.

ATTENTION, il est vivement déconseillé d’accueillir deux tyrans sous le même toit (même si le sort des déshérités constitue votre raison de vivre ou votre gagne-pain) car des études de sciences politiques pointues ont montré qu’ils tentent immanquablement de prendre le leadership sur un territoire donné au prix de querelles parfois hargneuses (moins toutefois que sur les réseaux sociaux – on n’a pas affaire à des fous furieux, quand même) !

Si toi aussi, donc, tu as un cœur de pierre, une mentalité de pourfendeur des démocraties parlementaires, et que tu es ivre de la liberté d’un seul homme, inscris-toi à la formation donnée par des pédagogues mercenaires aux méthodes de rééducation éprouvées dans des contrées paradisiaques.

PROMESSE DU JOUR de Francis GONNET (Alcyone) / La lecture de Philippe LEUCKX

Lumière et silence (les deux sections du livre) fondent la poésie de Francis Gonnet, par ailleurs peintre à la légèreté de touche, qui n’est pas sans rappeler Dufy.

L’élément tactile (« toucher le soir ») est aussi prégnant.

Creuser la nuit pour atteindre l’aube, comme l’arbre pour toucher l’aubier, tel est le voeu de ce poète versé dans la nature qu’il épèle avec grâce, dans de brefs poèmes, circonscrits par une sorte de pudeur lyrique :

« je bois les premières lueurs du jour »

ou

« Il faut que je frotte le bois de ma mémoire »

Il y est question de souffle, de « peau », de regards « où coule la lumière ».

N’empêche, parfois il faut « racler jusqu’à la dernière goutte de soleil », et l’errance souvent présente aborde le coeur.

Les poèmes lus sont comme le « pollen » des approches, de fines traces volatiles qui « tracent sur les murs la plainte du vent ».

Au bout, il y a l’assurance du jour, la promesse d’une parole qui grave légèrement sa trace.

Francis GONNET, Promesse du jour, Alcyone, 2021, 112p., 22 euros.

Le recueil sur le site de LaLibrairie.com

Les Editions Alcyone sur Facebook

2021 – MES LECTURES ESTIVALES : SOUS FORME D’APHORISMES / La chronique de Denis BILLAMBOZ

DENIS BILLAMBOZ

Cactus Inébranlable Editions a fait preuve d’une belle vitalité tout au long de ce dernier semestre, voilà donc encore deux opus tirés de sa désormais emblématique collection « Les P’tits Cactus ». Deux recueils d’aphorismes qui évoquent chacun un domaine bien défini : Gaëtan SORTET vient du monde de l’image, il a incorporé de nombreuses illustrations dans le sien, Etienne PICHAULT, lui, vient de la cuisine, il nous fait saliver tout au long de son texte.

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Mes Prescriptions

Gaëtan Sortet

Cactus inébranlable éditions

Depuis un bout de temps, je croise souvent dans mes lectures d’aphorismes ou de textes courts des auteurs qui fréquentent aussi le monde de l’image : dessin, collage, peinture, … comme si le fameux « le poids des mots, le choc des photos » pouvait s’appliquer aussi à ce genre littéraire. Gaëtan Sortet lui aussi s’adonne à l’art de l’image, ses aphorismes en sont généreusement empreints. Son éditeur signale dans sa note bibliographique qu’« Il se définit comme un artiste pluriel, multiple et protéiforme dont les bases de son travail sont l’image et le langage ». J’ai eu comme l’impression qu’il cherchait des formules proches du visuel, capables d’impressionner le lecteur dès le premier regard, capables aussi de le déstabiliser par une modification de perception, d’angle, de netteté, …

Pour atteindre les effets qu’il veut provoquer, l’auteur utilise de différents procédés comme le détournement des mots fondé sur l’utilisation d’homonymes phonétiques induisant un sens tout à fait autre à ses phrases. « Le destin n’est pas prédéfini. Le destin est grêle ». La dimension sonore de ses aphorismes est très importante, elle est à la base de plusieurs d’entre eux : « Le monde selon Greg LeMond », « J’ai dansé une valse à 9 temps sur le Pont9 pour l’An 9 ? J’ai mangé un 9 à la coque. 9orçons pas le destin ». On entend bien que le son prime sur l’écrit ou que l’écrit doit rendre le son, quitte à utiliser des subterfuges comme cette substitution des chiffres aux lettres.

Pour lire ce recueil, il faut aussi rester très vigilant car Gaëtan fait de très nombreuses allusions, sa culture semble immense, parfois même extrêmement subtiles. « Nuit machine, nuit maligne, nuit mamour », ça sonne comme une vieille chanson ; « On se lève tous pour la Poésie », cette allusion est beaucoup plus triviale, elle se niche dans le creux des publicités trop vues. Ainsi va Gaëtan, de détournement en allusion, de transformation en substitution, …, mais toujours gardant le sens de l’humour, tous ses aphorismes ou presque sont drôles et même parfois hilarants. Je ne dirais pas que c’est de l’humour élaboré, j’ai eu souvent l’impression qu’il avait envie de se marrer, que ses pensées relevaient plutôt de la rigolade, de la déconnade, comme un clin d’œil malicieux adressé à ses lecteurs.

Il parsème aussi ce recueil de ses « Prescriptions » comme celle-ci qui rend hommage à la poésie qui est le véritable pivot de ce recueil tant l’auteur semble admirer poètes et poèmes. C’est une véritable ode à la poésie qu’il évoque dans de très nombreux aphorismes et souvent dans ses « Prescriptions » : « Mes Prescriptions. / Parce que la Poésie que vous lisez est aussi importante que l’air que vous respirez », « Le poète ne fait qu’ébaucher son poème. C’est lorsqu’il est lu qu’il se crée » (point de vue de lecteur !), « Poète tu es maçon. Tes briques sont des mots et tu construis ta propre maison-œuvre ».

Tout un lot de bons mots récupérés, recyclés, retravaillés, réinventés pour dire d’autres choses pleines de malice et de connivence. Des choses plus lourdes que cette frêle fille : « Guère épaisse la petite Anna-Karen (Hine ?) m’a dit Léon ».

Le recueil sur le site du Cactus Inébranlable

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Le cuisinier se poile

Etienne Pichault

Cactus inébranlable éditions

Dans sa biographie, l’éditeur précise qu’Etienne Pichault est avant tout restaurateur, il tient avec sa femme et ses enfants « Amour, maracas et salami », une enseigne qui est déjà tout un programme et qui pourrait inspirer nombre d’auteurs. Cependant, la cuisine ne le comble pas totalement, il a un faible pour la littérature, son biographe, pour la circonstance, cite Proust, Jarry, Beckett et même Corneille et Racine… Il ose l’écriture et, en 2019, publie, dans un tirage très limité, « Le cuisinier se poile » que « Cactus inébranlable éditions » réédite cette année. Ce nouvel opus dans la fameuse collection des « P’tits cactus » se présente comme une originalité, les artistes de la bonne chair ont inventé moult formules pour vendre le produit de leur art culinaire aux gourmands et gourmets de la planète. Etienne a inventé l’ « aphoristonomie » comme d’autres avant lui on inventé la bistronomie. Sous sa toque, il concocte les meilleurs jeux de mots, traits d’esprits et aphorismes qu’un cuistot peut pêcher dans le chaudron où il mitonne sa potion magique.

C’est ainsi que peu à peu « il a lié ses sauces avec une émotion certaine » pour mitonner « des jeux de mots, qui se suffisent à eux-mêmes et d’autres encore qui ouvrent l’horizon d’une réalité augmentée, auxquels s’ajoute l’une ou l’autre contrepèterie », confie le préfacier auteur de la « Mise en bouche » servie en entrée.

Gourmand je le suis, gourmet j’essaie de l’être, aussi me suis-je précipité sur le menu proposé par Etienne. En entrée j’ai commandé quelque des jeux de mots bien assaisonnés :

« Il était tard pour manger des grenouilles. »

« Je ne sais plus où j’ai mangé du lieu. »

Pour le plat de résistance, j’ai opté pour des traits d’esprit jouant sur le double sens des mots ou sur la confusion qu’ils pouvaient générer :

« Il ôta son veston pour manger des pommes de terre en chemise. »

« Ce soir je reçois ma femme de ménage : au menu, foie gras au torchon et raclette. »

Pour le dessert, je me suis contenté de quelques mignardises au goût particulièrement subtil :

« Allah soupe ! »

« Le chocolatier va au bal hautain. »

J’aurais pu être plus gourmand, le tenancier avait beaucoup de gourmandises en réserve mais je me suis contenté d’un cordial pour la route :

« J’ai bu le café avec l’athée hier. »

Et pour les plus voraces le patron a tout spécialement cuisiné des petites nouvelles en revisitant l’art de l’assonance et de l’altération, n’hésitez pas, abusez même, la cuisine du chef est tout ce qu’il y a de plus digeste ! Un abus ne pourrait que vous faire mourir de rire ! Et Pierre Kroll a jouté son grain de sel avec des dessins aussi drôles par le trait que par la légende.

Le recueil sur le site du Cactus Inébranlable

UNE FEMME DE FEU d’ALAIN DUAULT (Gallimard) / Une lecture de Nicole HARDOUIN

ALAIN DUAULT

                          UNE FEMME DE FEU   

                               Le roman de la Malibran 

                      Éditions Gallimard, avril 2021, 16,00 euros.

                               

Se souvenir, c’est en quelque sorte se rencontrer.  

                                                                                  K. Gibran

   

L’auteur rédige ici une autobiographie imaginaire, écrite à la première personne, géniale idée, résumé émouvant de la vie d’une diva romantique à la réputation considérable, une sorte de Callas du XIX siècle : la Malibran.

Avec une étincelante imagination couplée à un savoir évident de la vie de la cantatrice, l’auteur invente une précieuse découverte dans les ruines du château de Roissy, à savoir une caisse noircie contenant une masse d’archives demeurées inexplorées, il en faitlesderniers écrits de la Diva, rédigés en1836 peu de temps avant son décès, ce qui les rend encore plus émouvants.

Le musicologue, grand amateur d’opéras qu’est Alain DUAULT rédige, avec la gourmandise d’un chat ronronnant, ces écrits qu’auraient pu écrire la Malibran, il les accueille à fleur de peau, à fleur de source et les restitue dans ce livre pour le plaisir de ses lecteurs.

La Malibran ? c’est une voix qui écartèle le cœur, un chemin de fugues, une sirène apparaît et on rêve d’écailles. C’est un jaillissement de flammes, un âtre de feu et l’aube se tisse aux échos de sa voix d’or en fusion. Ce que l’auteur écrivait il y a quelque temps à propos de Cécilia Bartoli : [1]Un vertige tornade, incroyable vague qui renverse tout, elle affole les tranquilles éclaboussures, illumine les théâtres, il nous semble que ces mots peuvent s’appliquer aussi à la Malibran.

Depuis sa plus tendre enfance elle part avec son père, grand ténor ; Manuel Garcia, dans différents pays, elle assiste à toutes les répétitions, j’étais embobinée de bonheur.  C’est son père qui la fait travailler, j’avais l’impression qu’il me labourait comme un jardin.

Elle fait un premier mariage à la veille de ses dix- huit ans, avec François Eugène Malibran, un caprice, une erreur, je me suis entichée de lui, alors que je ne savais de l’amour que les mots que je chantais sur les musiques de Monsieur Mozart, en fait Malibran était surtout à la recherche de trésorerie ! et rapidement je déchantais, le mot dit bien la chose !   C’est lui qui lui a donné la passion du cheval, funeste passion pour elle…Elle le quitte, résolue à partir pour Paris, c’est ainsi qu’ils se séparèrent, elle avait 20 ans !

De fait c’est bien la volonté d’être libre qui a toujours guidé ma vie de femme et d’artiste, en effet Malibran est passionnée, j’ai travaillé comme une damnée, la scène est pour elle une drogue, les applaudissements, les fleurs par brassées, c’était mieux, ô combien mieux qu’un mari !

Pourtant elle va tomber amoureuse d’un violoniste : Charles de Blériot. Après bien des péripéties, seulement en 1935, le tribunal prononce la nullité de son mariage et elle peut, de ce fait, épouser Blériot, son grand amour.

 De cette union va naître un bambin beau comme tous les dieux de l’Olympe, Charles-Wilfrid, confié à la sœur de Blériot, puis ensuite à Mademoiselle. Car la Malibran est pétillante, débordante de vitalité, elle brûle de sa passion pour le chant et a peu de temps à consacrer à son fils.

 Pour elle, les salles de concert sont des foyers enflammés, elle est flamme, elle est adulée, ovationnée.

C’est une femme courageuse. En effet, des suites d’une chute de cheval dont elle n’avait pas parlé à Blériot, elle souffre d’un hématome sous-dural. Elle est soignée aves des remèdes les plus fous, par exemple des compresses de vinaigre !  Je ne sens si lasse, comme si mon corps me refusait son abri. Et elle doit donner six concerts à Manchester, d’où sa réflexion : Manchester aura mes os…

Malgré tout, elle honore ce contrat, elle a conscience qu’elle ne peut plus, elle implore le chef des yeux, mais le public se déchaîne pour la rappeler, et elle donne cet ultime bis. Elle s’effondre en coulisses, dans un feulement du désespoir, la disparition de l’or.

 Il lui reste neuf jours à vivre, elle meurt à vingt-huit ans.

Charles de Blériot fera rapatrier la dépouille de son épouse en Belgique, on l’installe dans le salon tendu de noir, dans cette maison qui lui a servi de brèves haltes durant lesquelles elle tentait de souffler, de regarder grandir son fils, celui-ci qui va avoir quatre ans, ne comprend pas ce qui se passe.

 Elle sera enterrée au cimetière de Laeken. Un mausolée est édifié, toujours fleuri, elle est représentée par une statue de marbre blanc, à ses pieds, gravés dans la pierre, en matière d’épitaphe, quatre vers de Lamartine, nous en laisserons la découverte au lecteur.

Sa mort inspira à Musset les célèbres « stances à la Malibran » / faut-il croire, hélas ! ce que disaient nos pères,
Que lorsqu’on meurt si jeune on est aimé des dieux ?

Ombres gisantes, ombres grisantes, rien ne s’oublie dans un chapelet de ténèbres, dans la nuit du silence pour en tirer la lumière du feu. C’est ce qu’a su faire l’auteur en faisant revivre la Malibran dans ce livre émouvant, reflet d’une vie dans l’incandescence du temps.

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[1] IN « ce léger rien des choses qui ont fui. A. Duault, Mai 2017

Le roman sur le site de Gallimard

Les livres d’Alain Duault chez Gallimard

Le site de Nicole Hardouin

2021 – MES LECTURES ESTIVALES : EN VERS / La chronique de Denis BILLAMBOZ

DENIS BILLAMBOZ

Dans cette rubrique j’ai réuni des poètes d’origines différentes mais surtout de style et d’inspiration différents : Anne-Marie WILWERTH travaille beaucoup avec les mots pour exprimer l’univers, le cosmos, l’éther, …, Jean-Jacques NUEL, dans une collection originale, évoque sa nostalgie pour sa première machine à écrire, et, pour conclure, Thierry RADIÈRE nous offre sous forme d’abécédaire la liste des poètes qui l’ont inspiré et qu’il apprécie tout particulièrement. Tous les trois, chacun avec ses vers et son talent, ils m’ont mis à l’abri de l’ennui pendant cet été pluvieux.

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Les miroirs du désordre

Anne-Marielle WILWERTH

Le Taillis pré

Dans son précédent recueil, Anne-Marielle proposait des quintils, un sur chaque page en haut à gauche, dans celui-ci elle présente un quatrain par page avec la même économie de mots, quelques mots par vers, parfois même un seul. Ses poèmes ne décrivent pas, n’exposent pas, ne définissent pas, n’étalent pas, ils évoquent, avec des mots comme des souffles légers, l’univers, le cosmos, l’éther où nous évoluons :

« Le tout et le rien / soudés dans cette courte vie / détournent sans cesse / notre destin »

« Respirons l’air pur / d’une étreinte / afin de ressusciter / la clarté »

La lumière et la nuit que nous parcourons :

« Suivre nos doutes / à la trace / pour les empêcher / d’aller mordre la lumière »

« La lune déguise la nuit / et dévoile de nous / ce que l’on ignorait / jusque-là »

Que nous parcourons fugacement dans la grande fragilité de nos être :

« Artisans de l’inouï / nous n’avons pas encore fini / de façonner / le fugace »

« Sous la dépouille du vivre / un seul brin d’herbe / peut être porteur / d’immensité »

Dans les limites du temps qui nous est confié

« Le froid miroite / sur les flaques gelées / ajoutant à nos joies d’enfant / une pincée d’éternité »

Anne-Marielle confronte les différentes configurations cosmiques qu’elle évoque avec les mots qu’elle puise dans son trésor personnel :

« Empressons-nous / de récolter la sève des mots / avant que sous les doutes / ils ne ploient »

Ces poèmes d’une extrême légèreté, d’une texture arachnéenne, accrochent l’âme et le cœur du lecteur embourbé dans un quotidien infesté, interné dans les geôles de la réponse à la pandémie, le transportant dans l’éther purifié, là où les virus ne peuvent pas vivre, là où le lecteur ne connaîtra jamais la dépression. Les poèmes d’Anne-Marielle mélangés habilement et artistiquement dans les encres d’Eric Hennebique sont comme les traitements chamaniques, inexplicables, magiques sans doute, efficients certainement …

Je recevrais volontiers la seconde dose pour m’assurer de ma totale immunité !

Le recueil sur le site des Editeurs singuliers

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HERMES BABY ma machine à écrire

Jean-Jacques NUEL

La Boucherie littéraire

Jean-Jacques Nuel mon presque voisin, mon concitoyen depuis que la fameuse réforme territoriale a réuni nos régions respectives, m’a fait découvrir avec ce recueil une maison d’édition dont je n’avais jamais entendu parler : « La boucherie littéraire » créée par Antoine Gallardo dans le Lubéron en 2014. Cette maison « offre à lire exclusivement de la poésie », « une poésie à fleur de peau » comme l’écrit l’éditeur dans sa présentation. Elle propose diverses collections dont « Carné poétique » celle dans laquelle ce recueil a été édité, qui est selon l’éditeur « constituée de la viande des auteurs et des lecteurs… ». Les ouvrages qui y sont regroupés sont des livres-objets hybrides : quarante feuilles blanches au centre desquelles sont insérées vingt feuilles imprimées de poèmes.

L’exemplaire écrit par Jean-Jacques Nuel comporte sept poèmes dont celui éponyme qui rend hommage à la petite machine à écrie qui l’a accompagné pendant de nombreuses années.

« Il est bien tard pour lui exprimer / ma gratitude / et mon admiration / j’aurais dû m’inspirer / de sa solidité / sa simplicité / sa fiabilité / sa fidélité / sa patience / son endurance / sa résistance // qualités indispensables pour un écrivain… »

Une petite machine qui me rappelle celle avec laquelle j’ai rédigé ma maitrise sans avoir, au préalable, jamais touché une machine à écrire, mais j’étais tellement maladroit que j’ai renoncé à écrire avec ma main droite pourtant la plus habile des deux !

Les autres poèmes sont consacrés à l’art d’écrire, la difficulté de publier, la nécessité d’exister pour être reconnu et crédible avant de proposer le moindre texte à l’édition,… Des textes empreints de nostalgie mais aussi d’une certaine pointe d’aigreur trouvant peut-être sa source dans la difficulté qu’il a eue lui-même à se faire éditer ?

Un bel objet à offrir à un amoureux de la poésie qui pourra glisser ce carnet dans une petite poche et le sortir au moment opportun, peu importe le lieu, pour lui aussi écrie un, ou des poèmes, après avoir lu ceux de Jean-Jacques.

L’ouvrage sur sur Paper blog

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Abécédaire poétique

Thierry RADIÈRE

Gros Textes

Thierry Radière est un poète talentueux et prolifique, il a déjà publié de nombreux recueils chez plusieurs éditeurs et j’ai eu la chance de lire près d’une vingtaine de ses publications. Il a raconté dans une de celle-ci comment, chaque matin, très tôt, il s’installe pour écrire de la poésie et chaque jour il publie l’un de ses poèmes du matin sur les réseaux sociaux qu’il fréquente assidument. C’est là et chez les divers éditeurs qui le publient qu’il a rencontré de très nombreux amies et amis poétesses ou poètes comme lui.  Au fil des vers et des années, il a noué des relations littéraires et amicales avec beaucoup d’entre elles et eux et c’est ainsi qu’il a eu l’idée de leur dédier cet abécédaire poétique énumérant de Jean-Pierre Andrevon à Fabienne Yvert une centaine de poétesses et poètes qui l’ont inspiré. A chacun il dédie un court poème qui commence toujours par :

« Il suffit que je relise / quelques vers de … / et… »

Suit alors une évocation de ce que Thierry a retenu de ce poète, de ce qu’il lui a inspiré, de ce qu’il lui rappelé, …

Et, bizarrement, j’ai été touché, par mimétisme peut-être, par cette forme de lecture en croisant dans ce recueil de nombreux auteurs que j’ai eu la chance de lire, même de nombreuses fois pour certains, de croiser sur les réseaux sociaux et les sites littéraires ou même de rencontrer au hasard des rencontres littéraires. C’est ainsi que j’ai eu le plaisir de me remémorer des poèmes de poétesses et poètes allant d’Eric Allard, mon complice en lecture et ami dans la vie, à Thomas Vinau que j’ai eu le plaisir de lire dans plusieurs ouvrages.

Thierry a le don de tout savoir mettre en vers, il décrit souvent des petites choses qui constituent son univers quotidien et celui de sa famille dans lequel il a cette fois-ci intégré toutes ses amies poétesses et tous ses amis poètes.

Le recueil sur le site de Gros Textes

LA FABRIQUE DES MÉTIERS – 96. RAMASSEUR DE CYMBALES

Cymbale crash — Wikipédia

Lors des concerts, les cymbales volent à tous les angles de la salle.

Il n’est pas rare qu’un auditeur en reçoive sur la boule et perde durablement la faculté d’écouter du Girac de caravane ou du Cabrel de campagne. Quand il ne perd tout simplement pas la tête qui suit le mouvement de l’instrument lui ayant tranché le cou en filant comme une soucoupe sonnante ou un vinyl des Sex Pistols après avoir provoqué une gerbe d’un sang de mélomane.

Aussi, des mesures ont dû être prises par les directeurs de salles et les organisateurs d’événements qui voyaient leurs spectateurs périrent, de plaisir, soit, mais surtout disparaître de la liste des abonnés.

Désormais, lors de chaque représentation d’un orchestre, quatre ramasseurs de cymbales, deux aux extrémités de la scène et deux au fond de la salle, récolteront les instruments de percussion idiophones servis en dehors des lignes et les renverront au ramasseur en chef. Il s’empressera de les refixer sur la batterie de lancement pour entretenir une bonne rythmique de l’ensemble. Car que serait le son d’un orchestre sans les Zim! Boum! Bling! Dzz! Chtonc! Clang! incessants?

Les cymbales ayant trop souffert de mauvais services répétés et ne vibrant plus dans le sens du courant musical dominant seront envoyés à la ferraille avec les vieux cuivres et les lames de xylophones.

Elles pourront aussi être offertes aux nécessiteux qui hantent nos villes et nos entrées de lieux de grande consommation, en quête d’iPhones neufs ou de hamburgers non périmés, afin qu’ils s’en servent de couvre-chef lors d’intempéries ou de pluie de notes de frais dysharmonieuses. 

ICÔNE H. de VÉRONIQUE BERGEN (Onlit Editions) / Une lecture de Jean-Pierre LEGRAND

Bottines talons aiguilles, colliers en métal et corsetée latex, Hélène affole les mâles. Sa beauté est une entrée en guerre ; sa frénésie sexuelle un incendie aux flammes de glace. Elle se refuse autant qu’elle se donne : « J’ai la passion du mensonge car je n’aime pas qu’on descende au fond de mon cerveau. Pour recycler mes traumas et les conduire au pays de la guérison, j’ai trouvé deux auxiliaires : aguicher et raconter des bobards. Plus j’ouvre les jambes, plus je ferme l’accès à mes biographèmes, plus je brouille les pistes. Mon corps a beau être renversé à l’horizontale , je suis cadenassé dans l’illocalisable ». Hélène peut bien être prise par tous, elle ne laisse entrer personne.

Sous les espèces du fantasme et de la névrose, les époques et les lieux se brouillent : Hélène mythifie son entourage ; son monde bascule dans l’ombre des Atrides.
Icône sexuelle, Hélène s’enroule dans une syntaxe érotique sans autre loi que le désir fût-il celui d’être humiliée. Captive du regard des autres mais jamais totalement prisonnière, Hélène tortille des hanches et s’invente sur fond de cafouillis psychique.  

Face à elle, le séducteur Pâris n’a pas le rut très inspiré : « Son art de la narration relève de l’expertise comptable, un fastidieux souci du factuel, un esprit d’apothicaire, sans le moindre flonflon d’extravagance. On appelle ça la ligne claire, le degré zéro de la lipidité stylistique, une écriture blanche, rapide, efficace, davantage en phase avec l’époque  désenchantée que les contorsions de fond et de forme des épileptiques de la prose «.Erotisme et langage se croisent en une esthétique qui sous-tend la visée littéraire de Véronique Bergen.

Un personnage étrange contribue à la tension qui hystérise le roman, lui donne cette ambiance glauque à la David Lynch et sa pulsation distordue :  c’est Electre. Elle est l’ennemie jurée d’Hélène qu’elle poursuit d’un désir obsessionnel de vengeance. Elle entend faire d’elle son jouet érotique.

Le temps d’Electre semble s’être arrêté. Il s’absorbe tout entier dans son obsession dont la seule issue possible tient dans l’instant fantasmatique de l’asservissement complet d’Hélène .
Qui est Electre ? Une bâtarde oubliée ? Le minotaure intérieur d’Hélène, sorte de trou noir psychique ?
Qu’a donc vécu Hélène si avide d’être convoitée et faisant l’amour comme elle pourrait tout aussi bien s’ouvrir les veines ?  Beauté incendiaire, hypersexuée, fatale et fragile, Hélène est insaisissable. Ses volontés demeurent mystérieuses mais à toutes les tortures sexuelles d’Electre, elle oppose son irréductible espace de liberté, le point de fuite où elle « transmue douleurs, humiliations, désagrégations en jouissances ».  Par où elle ne cesse d’échapper à sa tortionnaire…

Avec Icône H. Véronique Bergen signe l’un de ses ouvrages le plus troublant et, peut-être, à sa manière, le plus intime. J’y vois aussi une forme de symétrie avec Kaspar Hauser : en surplomb des deux textes se lit une quête des origines et de la figure hallucinée et incandescente du père.

Polyphonique, multipliant les glissements de plans et les polarités, le texte nous prend dans une spirale  dont le mouvement tourbillonnaire nous projette d’un chapitre à l’autre, déplace les points de vue, fragmente notre vision et hérisse le récit d’équivoques, d’impasses et de paroxysmes.

Qui est qui ? Où s’arrête le moi ? Rien n’est acquis, tout est instable, mouvant. Au plus profond de l’être et de la jouissance tremble un miroitement sombre de souffrances, de vérités tues, de mensonges mais aussi de liberté.

L’inventivité de la langue impressionne, comme à chaque fois. Plus encore dans ce roman où pratiquement chaque mot, chaque phrase avec sa couleur, ses sons et son rythme construisent un affect. Petite réserve toutefois : au détour de l’une ou l’autre page, l’effet parfois pâtit d’avoir été trop recherché, surabondant.

Roman de l’ambivalence, Icône H. déconcerte : il nous rappelle que « l’érotisme est un état loin de l’équilibre ».

Le livre sur le site de l’éditeur

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