EXCRÉMENTS d’ERJA ISTÄVÄ (Lamiroy) / Une lecture de Gaëtan FAUCER

Excréments C#12

Un délice pour les coprophiles, un état de siège pour les autres ! 
La scène se passe dans un musée, lors d’un pré-vernissage d’une expo de merdes…si si… Premier sens du terme !


Mais ça ne sent pas bon. On a retrouvé un cadavre dans une sale (salle) posture : un étron 
dans la bouche ! Il s’agit du corps d’une critique d’art. La crème fouettée de la profession.
Ses papiers étaient toujours bien écrits…en double, voire en triple épaisseur.

Que s’est-il passé ? Crime ? Vengeance ? Il n’y a pas eu de coup de feu… donc pas de 
chasse tirée. 
Très vite, l’enquête est en marche (on est en Finlande.) On ne tourne pas autour du pot.
Une commission (la grosse) est mise en place pour faire transiter l’affaire ! 
La suite est top secret, on ne peut surtout pas dévoiler la fin, ni en dire davantage. Il est
clair que certains vont devoir se laver les mains… Lunettes baissées, va falloir bien viser.

On retrouve ici le mot de Cambronne à toutes les sauces. L’écriture est drôle et facétieuse, on ne s’ennuie pas une seconde.

Un conte idéal pour les amateurs d’histoires qui restera dans les annales. (à l’inverse de cette critique)   

Excréments d’Erja Yastävä, Lamiroy (coll. Crépuscule), 4€ / 2€ en format numérique
(traduction d’Éric Lamiroy qui parle, comme tout le monde le sait, couramment la belle langue finnoise… )

Gaëtan Faucer

L’ouvrage sur le site de l’éditeur

2021 – MES FEUILLES D’AUTOMNE : À LIRE ET À ÉCOUTER / La chronique de Denis BILLAMBOZ

Encore une fois, je vous propose un peu de lecture et de musique pour vos petits : un livre CD écrit par Jérôme ATTAL qui raconte l’histoire d’une petite princesse qui veut devenir un petite fille toute simple soucieuse de l’avenir de la planète, et un autre livre, pour des plus petits, écrit par un trio qui dit et chante l’histoire de deux gamins et de leur doudou préféré qui s’évadent dans les étoiles. Les enfants ont besoin de rêver pour devenir un jour des adultes qui savent d’autres choses que des formules trop pragmatiques pour faire avancer le monde dans le bon sens.

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La princesse qui rêvait d’être une petite fille

Jérôme Attal (récit paroles)

Fred Bernard (illustrations)

Elise Reslinger (musique et chant)

Le Label dans la forêt

LA PRINCESSE QUI REVAIT D'ETRE UNE PETITE FILLE - LE LABEL DANS LA FORET - WEB

Après avoir écrit l’aventure de Duncan et la petite Tour Eiffel pour ce même label, Jérôme Attal propose une nouvelle histoire un brin fantastique mais puissamment ancrée dans le monde contemporain et notamment dans les problèmes cruciaux et même vitaux pour l’avenir de la planète. Pour écrire cette histoire, il s’est entouré d’un illustrateur, Fed Bernard, et d’une chanteuse, Elise Reslinger. Cet ouvrage est un concept un peu nouveau, il se compose d’un roman que l’enfant doit lire, ou qu’un adulte doit lui lire, en regardant au passage les jolis dessins de Fred et en écoutant à la fin de chaque chapitre les chansons pleines de fraîcheur, de poésie et d’entrain chantées par Elise.

Cette histoire, c’est l’histoire d’une petite princesse qui vit dans son grand château sans se préoccuper de son environnement jusqu’au jour où elle prend conscience qu’elle souille et détruit tout ce qui l’entoure au mépris de ceux qui vivent dans son entourage. Elle gaspille, souille, ne se préoccupe pas du sort de ceux qui satisfont ses caprices. Un jour pourtant, elle prend conscience de ses actes et de son comportement, elle supplie alors son père de la laisser devenir une petite fille comme les autres, une petite fille un peu différente toutefois, une sorte de petite Greta Thunberg élevée dans une famille recomposée dans un grand château.

Cette petite fille comme les autres, Lola-Loup, doit, pour faire comme les autres, trouver des amies, elle rencontre alors : Lucy dont les parents travaillent tous les deux, Poémia qui vit dans une famille recomposée et Superhawk 92 la fille d’un passionné d’armement. Trois filles différentes, c’est ça la diversité. Les quatre fillettes s’attachent à respecter, et même améliorer, leur environnement et surtout elles veulent libérer le serpent de mer qui alimente le bassin du jardin du château et favoriser l’élevage d’abeilles que le roi veut développer. Mais, la chère cousine de Lola-Loup, une autre petite princesse, elle très peste, met des bâtons dans les roues du carrosse de leurs bonnes intentions. Elles ne s’en laissent pas compter et se débattent comme de bonnes petites citoyennes respectueuses des autres et de leur environnement pour l’avenir de la planète et de ses occupants.

Plus qu’un conte, c’est une véritable leçon sur le monde tel qu’il deviendra si tous les habitants de la planète respectent la vie de tous les habitants et tout ce qui concourt à sa pérennité et à son développement. Et comme l’écrit l’éditeur « Cette histoire se lit comme un roman. Oh ! mais pas un roman comme les autres, ça non ! Un roman illustré. Avec des dessins qui font gambader l’histoire sous vos yeux. Et illustré aussi par des chansons … »

Le livre-cd sur le site du Label dans la forêt

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Chante voie lactée

Collectif

Le label dans la forêt

Le label dans la foret - Chante Voie Lactée - Cover

Loustic et Mastoc n’ont pas envie de s’endormir avec leur doudou singe Chewing-Gum, ils regardent le ciel et les étoiles et décident de s’évader dans l’espace. Martine Midous, Anne Picasso et Maria Portelli ont écrit leur aventure spatiale en seize textes en forme de dialogues entre les trois amis. Anne Froissart a, elle, écrit seize chansons, mises en musique par Lisa Portelli, qui s’intercalent entre chaque texte. Le tout : textes et chansons, est présenté sur un CD et sur un livre magnifiquement illustré des dessins de Pauline Robinson tout en douces rondeurs qui ondulent dans un univers de camaïeux allant du bleu au rouge en passant par une abondance de violet. Les trois petits spationautes découvrent un univers nouveau : une planète de bonbons, des trous noirs et surtout la Voie lactée. Mais, le petit doudou craint les trous noirs, il veut rentrer à la maison.

Les chansons qui racontent le monde des étoiles et l’épopée spatiale des juvéniles spationautes sont interprétées par les trois auteures (j’ai horreur du mot autrice qui sonne tellement mal dans cet univers de douceur qu’il écorche mes fragiles oreilles). Les trois chanteuses ont des douces voies claires d’une grande fraicheur et les mélodies sont, elles aussi, pleine de douceur et de fraîcheur.

Le monde du ciel est plein de merveilles mais nos petits héros de l’espace, surtout le petit doudou singe, sont très heureux de retrouver la terre ferme :

« Mastoc : Tu ne trouves pas qu’on est bien sur la Terre, Loustic ?

Loustic : Ah oui, on est bien les deux pieds sur la Terre … »

« La Terre m’enchante / Et je chante, et je chante ! » entonne les trois petits amis en regagnant leur maison. Heureux qui comme Chewing-Gum a fait un long voyage dans les étoiles…

Je vais vite faire écouter ce CD et montrer ce livre à mes petits-enfants, je suis convaincu qu’ils vont les adorer et que tous les enfants de la même tranche d’âge, trois à huit ans, les aimeront beaucoup eux aussi.

Le livre-cd sur le site du Label dans la forêt

ENCRES LITTORALES de PHILIPPE REMY-WILKIN (Lamiroy) / Une lecture de Jean-Pierre LEGRAND

Encres littorales #217

Encres  littorales est un bien joli titre qui tient toutes ses promesses.

Les encres s’y mêlent comme les sangs d’une lignée entée sur un territoire, ne formant plus à la fin qu’un seul récit. L’encre, c’est aussi le matériau de prédilection de Spilliaert, peintre favori de l’auteur dont le personnage féminin semble, dans son immatérielle évanescence, tout droit sorti d’une toile de l’artiste.

L’argument de la nouvelle est simple. Nathan, un jeune écrivain se promène dans les parages du musée Delvaux, à Saint Idesbald. Il aperçoit la silhouette furtive d’une jeune femme qui se faufile parmi les visiteurs puis, la perd de vue. Quelque chose s’est passé, s’est creusé dans la trame du réel : comme le « coup de grisou » de connivences secrètes. Nathan doit impérativement retrouver l’inconnue.
Commence une traque, à la fois quête et enquête, questionnement identitaire sur fond d’introspection.
Le tout est écrit dans style nerveux et sans fioriture, bien accordé au rythme du récit.

Philippe Remy-Wilkin étage savamment les plans narratifs et contextuels de sa nouvelle. Des inserts en italique à la première personne ponctuent la narration menée à la troisième.
Par instant cette voix en italique semble se dédoubler. Qui parle ? L’auteur lui-même dans ses repérages? Le jeune écrivain dans une sorte de carnet inspirateur du récit ? Les deux se confondent dans leur entrecroisement.

En arrière-plan – cela m’a lointainement fait penser à la vidéo parfois utilisée au théâtre  – la Côte belge déroule  son histoire culturelle et humaine: « J’analyse celle-ci comme une mise en abyme de la Belgique. Ou de métaphore de son identité . Une bande littorale très effilée de 70 kilomètres entre la France et la Hollande. Le Plat pays, le vrai (…) Il y a l’entrechoquement des langues et ces vacances communes aux deux communautés, cette sédimentation des mémoires et des souvenirs, ce tram mythique qui unifie l’ensemble. La présence royale disséminée partout et comme nulle part ailleurs »

Erudite sans ostentation, Encres littorales brasse toutes les admirations de son auteur dans le domaine littéraire, pictural, musical et cinématographique. C’est amené avec beaucoup de naturel et la porosité entre les différents plans narratifs fait des références culturelles un élément qui participe de la dynamique de la nouvelle.

J’ai beaucoup aimé cette dernière publication de Philippe Remy-Wilkin.

J’admire la virtuosité avec laquelle, sur trente pages, il est parvenu à structurer une polyphonie où plusieurs voix évoluent en parallèle, puis semblent  se croiser pour finalement s’écarter sans jamais entraver le rythme de la nouvelle. La mise en abyme de la côte belge comme précipité de notre histoire est particulièrement réussie. De ce point de vue le texte aurait aussi trouvé sa place dans un recueil de la belle collection Belgiques. Qu’importe, cet Opuscule # 217 lui sert d’écrin.

J.-P. Legrand

Philippe Remy-Wilkin, Encres Littorales, Lamiroy (collection Opuscules), 4 € / 2 € en format numérique

La nouvelle sur le site des Editions Lamiroy

Le blog de Philippe Remy-Wilkin

Philippe REMY-WILKIN

2021 – MES FEUILLES D’AUTOMNE : RACISME AU BOUT DU MONDE / La chronique de Denis BILLAMBOZ

DENIS BILLAMBOZ

Depuis longtemps j’ai perdu l’habitude de vous emmener, avec mes chroniques, à l’autre bout du monde à la découverte de peuples et de cultures dont on parle bien peu souvent dans les livres qui garnissent les rayons de nos librairies. Avec cette chronique, je vais pour une fois encore vous emmener vers des civilisations lointaines où la couleur de la peau est toujours un fort handicap. Witi IHIMAERA écrit une histoire qui masque mal le malaise existant toujours, en Nouvelle-Zélande, entre les indigènes et les colons et Nicole DENNIS-BENN, elle, raconte l’histoire d’une famille jamaïcaine essayant de sortir de sa condition malgré l’emprise des Blancs sur l’économie locale.

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Faux-semblant

Witi Ihimaera

Au vent des îles

Ebook: Faux-semblant, Witi IHIMAERA, Au vent des îles, Litterature,  2960168857053 - Leslibraires.fr

En 1935, en Nouvelle-Zélande, Paraiti, une vieille maorie qui a hérité des connaissances et aptitudes de son père pour guérir, soigner, réparer, …, les corps malades ou abîmer, se prépare pour accomplir le périple annuel qui la conduit à la rencontre des malades qu’elle suit régulièrement, de ceux qui viennent enrichir cette troupe, des esquintés de la vie, de tous ceux qui n’ont pas les moyens de payer la médecine des blancs pour conserver ou retrouver leur santé. Son père lui a enseigné l’usage des plantes, leur conservation ou leur transformation pour en extraire les principes actifs. Il lui a aussi appris comment réparer les os et soulager les muscles et les organes par des massages traditionnels pratiqués par les chamanes qui ne connaissaient pas les médicaments. Dans sa postface, l’auteur raconte comment, lui-même, enfant, a été sauvé par une guérisseuse dont il a donné le nom à son héroïne, alors que tous les médecins ne lui prédisaient qu’un faible espoir de vie.

Authors and Editors - W - Witi Ihimaera - Auckland University Press
Witi Ihimaera

Paraiti est aussi surnommée la Balafrée, la Ravagée, depuis qu’elle a été marquée par un tison ardent alors qu’elle n’était qu’une très jeune enfant, par des soldats blancs qui poursuivaient les gens de son clan accusés d’hérésie révolutionnaire parce qu’ils suivaient la religion prônée par Te Kooti, leur prophète, qui avait créé une religion propre à eux, fondée sur un syncrétisme entre le protestantisme et des croyances animistes ancestrales. Défigurée, elle est restée avec son père qui lui a transmis son savoir afin qu’elle puisse assurer sa vie seule, sans compagnon de route.

Dans ce court roman, l’auteur décrit tous les soins qu’elle apporte à la population qui la vénère : de l’accouchement à la réduction de fractures en passant par les fausses-couches et les soins de la peau, des yeux, etc… Mais un jour une servante maorie la reconnait et la recommande à sa maîtresse encombrée d’un bien lourd fardeau que son mari risque de ne pas tolérer. Paraiti refuse de telles pratiques mais elle devine bien vite que la belle bourgeoise blanche ne lui a pas tout dit et que sa situation est bien plus complexe qu’elle ne la dévoile. Elle s’engage donc dans une aventure périlleuse pour la patiente, pour l’enfant à venir, et pour elle et quelques autres encore. « J’ai misé gros, ce soir, … J’ai joué au jeu de la vie et de la mort. Prions que je puisse gagner ».

Ceux qui liront ce livre découvriront que cette aventure n’est pas qu’un problème moral, de convenance, de santé, de standing, c’est avant tout un conflit racial bien caché. A cette époque, et même aujourd’hui encore, la cohabitation entre les Maoris et les Blancs n’étaient pas facile et même souvent conflictuelle. Il n’était pas de bon ton de s’allier avec une indigène. Ce racisme qui se glisse jusque dans le jeu de mots qui constitue le tire du roman : Faux-semblant ou Faux sang blanc ? L’auteur est un fervent défenseur des us et coutumes locaux et un ardent protecteur du patrimoine naturel local que les Blancs ont souvent détruit pour leur seul profit.

Le livre sur le site de l’éditeur

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Rends-moi fière

Nicole Dennis-Benn

Editions de l’Aube

Dans un village indigène à proximité de Montego Bay, sur la côte nord de la Jamaïque, Tandhi, jeune adolescente douée et travailleuse porte tous les espoirs des femmes qui vivent avec elle : sa grand-mère, sa mère, marchande haute en couleurs de colifichets pour les touristes, et sa sœur qui a la chance de travailler dans un grand hôtel où elle fait des heures supplémentaires avec des touristes fortunés attirés par ses charmes. Personne ne connait ses activités extra professionnelles, elle s’acharne pour gagner quelques sous pour sortir sa famille de la misère mais surtout pour que sa sœur puisse poursuivre des études supérieures et avoir une carrière professionnelle gratifiante et enrichissante. Elle n’avoue pas qu’elle cherche aussi à gagner beaucoup d’argent pour s’offrir une vie digne de celle des riches blancs qui la cajolent.

Nicole Dennis-Benn raconte l’histoire de cette famille où les hommes ne font que passer, laissant parfois une graine germée dans le ventre de l’une des femmes qui la compose. Ces femmes ne sont que de pauvres miséreuses, comme toutes celles du quartier, qui se débrouillent pour survivre. Ces trois femmes explorent chacune une voie différente, celle qui leur semble la mieux correspondre à leurs aptitudes : les petits boulots qui rapportent juste de quoi ne pas mourir de faim ; la prostitution qui peut rapporter gros mais aussi générer des contraintes très ennuyeuses : grossesse non désirée, dépendance, asservissement, honte et avilissement, … ; les études qui coûtent très cher, beaucoup trop pour les miséreux qui constituent la population des indigènes. La mère s’échine à vendre des bibelots sans valeur aux touriste. Margot, la grande sœur, nettement plus âgée, joue de son charme et de son sexe avec habileté et sans scrupule pour amasser un petit magot. A quinze ans, Tandhi, elle, a bien compris que sa peau très sombre n’est pas le meilleur atout pour réussir dans la vie, même si elle est très douée à l’école, aussi essaie-t-elle de l’éclaircir par divers moyens plus ou moins efficaces.

Niole Dennis-Benn

A travers les épisodes épiques, dramatiques, picaresques, sadiques, cyniques, désolants, l’auteur confronte ces trois femmes à la dure réalité dans laquelle elles sont plongées et où elles se débattent avec plus ou moins de bonheur. La dure réalité de la vie des femmes jamaïcaines, surtout quand elles n’ont pas eu la chance de naître de la bonne couleur. Plus elles sont sombres, plus leur vie est difficile. Ces trois femmes doivent tout d’abord, comme tous les indigènes, vivre dans un quartier insalubre où les soins ne leurs sont pas accessibles et les études guère plus. Dès qu’elles pensent voir le bout du tunnel la spoliation ou la puissance de l’argent les contraignent à leur misère. La corruption n’est jamais loin. Le racisme s’applique à l’aune de la pigmentation de la peau, plus elles sont sombres moins elles sont considérées. Et l’homophobie n’est pas que le fait des Blancs, elle est encore plus le fait des Noirs eux-mêmes sous la pression de la religion qu’on leur a inculquée. La prostitution n’est bien souvent qu’un recours contre la faim, la misère, elle s’impose comme une solution ultime.

L’auteure a bien connu tous ces problèmes, elle a vécu en Jamaïque jusqu’à l’âge de dix-sept ans avant de rejoindre son père en Amérique pour y poursuivre des études supérieures. Elle est la première femme jamaïcaine à avoir épousé une autre femme. Ce texte n’est donc pas seulement un roman, une fiction, c’est aussi une image crue et sans concession de la société jamaïcaine et de la misère dans laquelle se débat le peuple indigène, surtout les femmes depuis que les Blancs ont imposé leurs lois, leur puissance, leur richesse et même depuis peu leurs seule présence à travers un tourisme trop souvent humiliant, dégradant, arrogant pour les autochtones.

Le livre sur le site de l’éditeur

2021 – MES FEUILLES D’AUTOMNE : COMMENT LE MONDE VA MAL… / La chronique de Denis BILLAMBOZ

DENIS BILLAMBOZ

Pour cette chronique, j’ai rassemblé deux essais politiques qui s’efforcent de démontrer comment le monde pourrait aller mieux car il suffit d’ouvrir un journal, un poste de télévision, un réseau social sur Internet pour se convaincre que tout va mal et même très mal. Raoul VANEIGEM nous rappelle que depuis longtemps il a déjà signalé des dysfonctionnements auxquels il propose d’apporter des solutions pragmatiques. Régis DUFFOUR et Philippe GODARD, eux, reviennent sur la crise sanitaire et économique actuelle pour en rappeler les lointaines origines et les erreurs commises par les dirigeants du monde pour essayer de la résoudre en ne laissant pas le monopole de la fortune à quelques-uns.

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Retour à la base

Raoul Vaneigem

Cactus Inébranlable Editions

Comme de nombreuses autres personnes, Raoul Vaneigem a constaté que la pandémie a sérieusement accéléré le processus de dégradation sociale et économique déjà très engagé avant que le virus perturbe le fonctionnement de la société. Le pouvoir n’a bientôt plus que le nom de pouvoir, il semble totalement démuni face aux nouvelles données sanitaires, économiques, sociales et humaines. Les entreprises et les organes économiques sont fortement déstabilisés par l’émergence de nouveaux besoins mais surtout par la perturbation du fonctionnement de l’outil de production. L’administration ne sait pas faire face à une telle situation, elle n’a pas été formée pour ça, pas plus que l’hôpital n’a été conçu pour faire face à cette épidémie. La société explose, elle n’a plus que sa voix pour faire entendre les cris de désespoir qu’elle porte dans ses tripes.

Partant de ce constat, l’auteur cherche à réhabiliter, ou à faire découvrir ou redécouvrir, toutes les bonnes vieilles méthodes et pratiques prônées en d‘autres temps mais jamais réellement testées. J’ai retrouvé dans son propos des solutions issues du bouillonnement soixante-huitard, des idées que j’ai défendues lors de mon engagement dans les organes représentatifs de l’économie sociale et solidaire, d’autres que j’ai connues par d’autres canaux encore ou par mes lectures et même un certain relent des théories imaginées par mes concitoyens utopistes : Charles Fourrier, Joseph Proudhon, …

Dans cet opuscule en forme de manifeste ou même de programme électoral, même si l’auteur n’a aucune prétention en la matière, il se contente de donner des conseils, de rappeler ce qui existe, ce qu’on pourrait faire, tenter, essayer, … pour espérer encore. Raoul Vaneigem rappelle un certain nombre de pistes à explorer : comment sortir de l’écologie dogmatique pour agir concrètement, comment ne pas sombrer sous les coups des manipulations par la peur, comment aborder efficacement l’émancipation de la femme, comment contourner la marchandisation de la santé, et bien d’autres pistes concernant l’alimentation, l’école, la culture, l’énergie, la monnaie, le pouvoir politique…

C’est un cri de ralliement que pousse l’auteur, une invitation à la rébellion contre toutes les formes dictatoriales qui gangrènent la société actuelle. Chacun pourra y puiser ce que bon lui semble, ce qui pourrait apporter des réponses aux questions qu’il se pose devant l’incapacité des divers pouvoirs à résoudre les problèmes actuels de la société.

Le livre sur le site du Cactus Inébranlable

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Tout est pour le mieux dans le pire des mondes

Régis Duffour

Philippe Godard

Cactus Inébranlable Editions

Davos, tout le monde connait désormais ce petit coin des Grisons suisses qui évoquent immédiatement pour chacun la fortune, la puissance, la domination du monde. Davos qui n’était connu, au début du XX° siècle, que pour son sanatorium est désormais la capitale mondiale de la ploutocratie dominante. Duffour et Godard ont associé leur plume pour donner leur version de ce qui se passe dans le secret des fameux échanges qui réunissent les hommes le plus puissants et les personnages le plus riches de la planète afin que ces derniers fassent entendre à ceux qui dirigent leurs exigences pour que rien ne change et que les dirigeants attentifs et studieux restent en place.

Les auteurs analysent, sur la base de publications officielles, pour la période courant de 2013 à 2020, les propos tenus par les intervenants lors des fameux échanges. Ils commencent ces analyses en 2013, l’année où le patron de Google fait une déclaration fracassante annonçant que seul un monde numérique offrira à la planète les moyens de surmonter les défis qui se présentent actuellement. La numérisation des activités humaines permettra de réguler les populations afin d’éviter la surpopulation qui menace la survie de la planète. Pour la période qui commence en 2020, les auteurs se livrent plutôt à des spéculations puisqu’ils n’existent aucune publication officielle. Ces spéculations sont pourtant étayées par des faits et des écrits réels, seule leur interprétation pourrait éventuellement faire l’objet d’une contestation.

Les deux analystes ont retenu que pour limiter la population dont l’essor met en danger la planète, les dominants pourraient avoir recours à la guerre, la famine ou la maladie, les deux premières options présentent trop d’aléas, la maladie semble plus facile à gérer. Comme une sélection de la population à réduire s’impose, la maladie est plus efficace sur les peuples les plus démunis, les moins bien lotis pour s’offrir les moyens de lutte contre les épidémies. Limiter la population c’est aussi réduire l’allongement de la vie, adopter des méthodes de fin de vie volontaire pour inciter les individus à mourir plutôt mais dans la dignité. L’objectif reste de constituer une population active et productive, capable de gagner suffisamment d’argent pour surconsommer.

Seules des politiques volontaristes, pragmatiques, dépourvues de toute sensibilité, peuvent permettre d’atteindre ces objectifs, il est donc nécessaire que le pouvoir soit contrôlé par des structures stables, pérennes, dotées de moyens suffisants pour contrôler ceux qui exercent les pouvoirs étatiques. Il est temps d’en finir avec des démocraties obsolètes qui ont démontré toute l’étendue de leur incapacité à faire face aux enjeux actuels. Ceci implique aussi de rester attentif à la montée des contrepouvoirs qui peuvent bousculer les équilibres actuels (Anonymous, gilets jaunes, terroristes, …).

Pour bien comprendre l’objet de ce pamphlet, un véritable essai sur la concentration des richesses et sur la façon d’agir de ceux qui les possèdent pour qu’ils continuent à jouir de fortunes de plus en plus colossales en dominant le monde à travers des pantins qu’ils manipulent, j’ai pensé qu’il serait plus clair que je leur laisse la parole : « Le rire est notre planche de salut. Ils nous veulent tristes, apeurés et désespérés. Nous leur opposons une lecture jubilatoire. A travers une fiction pamphlétaire, le lecteur est invité à s’en payer une tranche sur les grands de ce monde ». Pour eux tout n’est que manipulation, affolement, pression, …, pour maintenir les peuples sous le joug afin de pérenniser leur domination et leur fortune. Les narguer et leur faire comprendre en les singeant que leurs sales manipulations sont trop évidentes pour ne pas révolter les populations.

Cette fiction pamphlétaire mêlant lectures de documents officiels et créations de personnages fictifs est un véritable essai sur la gestion actuelle de notre monde et sur son avenir possible. Un essai que chacun lira avec ses propres convictions.

Le livre sur le site du Cactus Inébranlable

COMME UN TANGO de LORENZO CECCHI (Traverse) / Une lecture d’Éric ALLARD

Comme un tango | Objectif plumes

Dans Comme un tango, un homme se raconte, de 1947 à 2019. Cet homme, c’est Lorenzo CECCHI et c’est son dixième livre (depuis 2012). Il appelle ces souvenirs personnels faux témoignages, attribués à son narrateur, Vincent, histoire de laisser le champ libre au travail de la mémoire. Celui qui fournit des faux témoignages a-t-il la volonté de brouiller les pistes, de laisser entendre que la vérité est autre part, que des zones sombres subsistent ou, même, qu’il existerait un point aveugle à partir duquel tout se fonderait, s’éclairerait ? Peu importe, le faux témoin est un conteur d’histoires à l’inventivité narrative éprouvée.

C’est, dans ces quelque 280 pages, toute une existence qui défile par tranches, plus ou moins épaisses, poignantes ou savoureuses, en tout cas toujours consistantes, car l’auteur sait rendre vivantes les scènes rapportées, densément et sans pathos.

La première partie est placée sous le signe du padre, Osvaldo, ayant dû quitter son Italie natale pour venir travailler dans les derniers charbonnages du Pays noir où il fondera une famille. À sa retraite, à l’âge de 36 ans, le père se sentant toujours gaillard reprend durant sept années une fermette à Marcinelle, à la périphérie de Charleroi, et entraîne sa famille aux activités de la ferme, ce qui nous vaut les passages les plus drôles du livre. L’auteur y parle aussi avec tendresse d’un oncle mélomane resté en Italie, différent, un peu moqué, admirateur de Leopardi et poète à ses heures…

Dans la seconde partie, le narrateur rend compte de moments plus spécifiques, de rencontres personnelles importantes à divers titres, des hauts lieux de culture d’une ville principalement, Charleroi, de sa passion aussi pour la peinture expressionniste à travers, notamment, l’histoire étonnante (qui l’a mis aux prises avec un critique d’art et prof de philo à la moralité douteuse) de l’acquisition de l’œuvre figurant en couverture du livre, Sophia d’André Aubry, ce qui fournit d’ailleurs son titre à la seconde partie de l’ouvrage.

Cecchi dresse le portrait d’une vie d’une famille ayant dû trouver ses marques, batailler dur, pour permettre aux descendants de vivre sur une terre qui ne leur est plus hostile, avec des perspectives d’avenir. On verse du cocasse au tragique en passant par toutes les formes d’émotion et ce, par la force et l’intensité de la narration qui vont puiser à la racine de l’homme dans ses rapports aux autres, proches, amis, relations de travail. Cette densité, cette attention à autrui, comme déjà dit, font penser à John Fante.

C’est, de la sorte, tous les types et tous les milieux humains qui sont croqués, portraiturés, fouillés même. Peu d’états d’âme du narrateur mais des émotions, des sentiments nés des actions auxquelles il se trouve mêlé ou qu’il initie, animé par une force vitale qu’il tire de son enfance et de son milieu d’origine.

C’est le roman d’une vie composé de plusieurs mouvements, dans des tonalités diverses. Et tout cela sur quatre temps, dans un tempo proche du battement du cœur humain, comme dans un tango, cette danse contrastée, tour à tour allègre et funèbre, langoureuse et légère, triste et belle ; haletante, certainement.

Le roman de Lorenzo Cecchi sur le site des Editions Traverse

Dix questions à Lorenzo Cecchi

L’AUBE DE CRISTAL de SALVATORE GUCCIARDO (Ed. des Poètes français) / Une lecture de PHILIPPE LEUCKX

Peut être une représentation artistique de texte qui dit ’Salvatore Gucciardo L'aube de cristal Éditions les EditionsesPf Poètes’

Le peintre et poète Gucciardo a l’âme lyrique et son dernier recueil de textes – poèmes en prose entrelardés de textes versifiés – ne déroge guère à son dessein : faire parler le cosmos, édifier par le poème cette relation particulière avec les éléments, leur force, leur énergie, disons-le, leur couleur.

Le poète ainsi en quatorze actes délivre une pensée cosmique, très énergique, qu’il noue comme une « forme vivante » « dans la sphère humaine » .

Il replace ainsi les étapes de sa naissance et de son évolution, réservant à la mère, aux femmes en général, une belle place chaleureuse, loin des clichés et poncifs.

Tout ici respire l’explosion des formes, des couleurs, des messages positifs, à l’aune du scintillement graphique et coloré de l’oeuvre picturale.

Les poèmes sont généreux, fertiles en images, qui « idéalisent l’éphémère », féconds en adjectifs qui puissent donner couleur et vie à « la sagesse des nations, des prophètes ».

« J’ai offert tout l’or du monde, tous les joyaux de la terre aux guerriers de l’apocalypse, afin qu’ils n’entament pas le chant de guerre » (p.52)

Un livre qui en outre peut servir de tremplin à la méditation.

Salvatore GUCCIARDO, L’aube de cristal, éditions des poètes français, 2021, 64p., 15 euros.  Préface de Elisabeta Bogatan et postface de Michel Bénard

Le recueil sur le site de la Société des Poètes Français

MES FEUILLES D’AUTOMNE – LECTURES EN VERS / La chronique de Denis BILLAMBOZ

DENIS BILLAMBOZ

Cette année, l’automne était la saison du traditionnel Marché de la poésie de l’esplanade Saint-Sulpice à Paris, c’était aussi ma première visite à ce salon. En l’honneur de tous les poètes réunis, je propose cette chronique qui comporte deux recueils édités par Les Carnet de desserts de lune, j’ai eu le plaisir de faire la connaissance de la nouvelle responsable de cette collection et un autre publié par Louis Bottu éditions. De bien jolis recueils de Véronique JOYAUX et Hortense RAYNAL et un autre très contemporain, très novateur, d’Ana TOT.

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Hauts lieux de vivre

Véronique Joyaux

Les carnets du dessert de lune

Pour ma deuxième lecture d’un recueil édité par Les Carnets du dessert de lune, version Normandie, j’ai eu le plaisir de déguster des vers de Véronique Joyaux, des vers par lesquels elle reconstitue un pays charmant, un pays où j’ai plongé dans une ambiance tout de douceur de vivre, d’harmonie, de simplicité, de tendresse et peut-être aussi d’un peu d’amour. Un pays paisible et calme où l’on peut gambader dans les prés inondés de fraîche rosée, étreindre des arbres,

« On regarde l’arbre vivre / / On le sent battre en soi / rassembler les fatigues. »

Regarder un soleil lumineux mais si doux qu’on peut le suivre dans son voyage dans un ciel d’azur sans se brûler les yeux, flâner au bord d‘une mer fraîche mais accueillante…

Véronique a construit de monde irénique « dans le frisson des mots », comme elle l’écrit pour introduire cet ouvrage, où se mêle une nature paisible et vivifiante, des êtres et des hêtres heureux (un peuple vivant animal et végétal), calmes et détendus.

« Hêtre sans racines tu erres dans la plaine / … »

Véronique Joyaux (auteur de Sillages improbables) - Babelio
Véronique Joyaux

Et aussi et peut-être surtout des mots qui gambadent sur la page comme l’auteure gambade dans le prés de sa campagne qu’elle semble tant aimer. Les mots qui se fondent pour constituer le livre, le livre qui sera le tout, le guide et le protecteur de l’enfance avant d’être celui qui apporte le savoir et le plaisir à l’adulte.

« Déjà enfant les livres prenaient toute la place / / Les murs de la chambre étaient couverts / et me protégeaient des grands ».

Ce texte est une ode à la joie de vivre, une véritable potion magique contre la morosité ambiante véhiculée par les médias et les fameux réseaux sociaux, une leçon de vie simple et douce au cœur de la nature avec un bon livre. L’auteure sait la douleur et la souffrance mais elle sait aussi comment passer par-dessus pour aller voir ailleurs, là où tout est simple, reposant, enthousiasmant comme la lecture d’un poème de Véronique Joyaux.

« Toi qui connais l’amer / toi qui connais le deuil / desserre le nœud de ta gorge / Rappelle-toi qu’il fait bon de vivre. »

Seul peut troubler ce calme ambiant la tendresse indiquant l’intrusion de l’autre, peut-être celui qui apportera l’amour.

« Ce silence que tu as su briser de ta voix profonde / est un étang au milieu de la clairière »

Et alors tout sera réuni pour que le bonheur soit complet et que le message de Véronique soit empli de « Cette joie qui éclabousse la page / de son sillage que nul n’effacera. »

Alors oui, « Rien n’est perdu s’il reste une trace des mots. » !

Le recueil sur les site des Carnets

Feuilles d'automne - En direct Drouot

Ruralités

Hortense Raynal

Les Carnets du dessert de lune

Quel plaisir de retrouver les recueils de Les carnets du dessert de lune après leur migration de Bruxelles en Normandie, sur une île de la Seine là où siège la Maison de la poésie de Normandie qui perpétue la magnifique œuvre de l’ami Jean-Louis Massot. Pour ce premier opus normand, j’ai eu la très grande chance de lire un recueil évoquant le milieu rural où j’ai passé mon enfance, mon adolescence et ma jeunesse, toute une partie de ma vie dont je garde de merveilleux souvenirs. Ce pays est bien loin de l’Aveyron d’Hortense, un coin de France qui m’est particulièrement cher, comme mon plateau jurassien, il est très rural mais c’est aussi mon lieu de vacances privilégié, j’y ai passé de très bons moments dans des lieux que j’aime beaucoup comme Villefranche-de-Rouergue ma cité de caractère préférée parmi toutes celles qui embellissent la France.

J’ai retrouvé aussi dans ce recueil l’élégance et la sobriété de la mise en page et de la présentation des poèmes mais surtout l’exigence littéraire qui faisait la marque des ouvrages édités par Les Carnets du dessert de lune et son maestro, Jean-Louis Massot. Celui d’Hortense Raynal se situe parfaitement dans la lignée des quarante que j’ai déjà commentés pour cet éditeur.

Espalion : premier livre pour Hortense Raynal - centrepresseaveyron.fr
Hortense Raynal

J’ai particulièrement apprécié cette facilité avec laquelle Hortense joue avec les mots pour rendre les saveurs, les odeurs, les sons, la lumière, les couleurs, la douceur, la douleur, …, tant dans la faune que dans la flore, de ce monde rural qu’elle semble tant chérir. Ce recueil m’a laissé penser qu’elle éprouvait une profonde nostalgie des moments qu’elle a passé dans cette région et, peut-être aussi, une certaine point de culpabilité au moment de se séparer des lieux où ses aïeux ont passé toute leur existence. Et, où, elle, elle a connu la magie, la féérie que la nature seule sait offrir à ceux qui savent l’écouter, la regarder, l’entendre et l’apprécier à sa juste valeur. J’ai connu et éprouvé tout ça il y a bien longtemps hélas…

Pendant que mes yeux suivaient ces vers, j’entendais un véritable plaidoyer, un cri du cœur, un cri du corps, pour réhabiliter ce monde rural si longtemps décrier, narguer et même parfois mépriser. Ce monde rude, dur mais tellement authentique et si plein de charmes avec ses couleurs, ses odeurs et tous ses bruits, cris, sons, musiques, chants, hurlements, grincements, …, toutes ces manifestations de la vie dans son bouillonnement originel. La vie à la campagne, c’est l’aventure, « …c’est tracteur c’est fourche d’est trois kilomètres comme ça sans le permis engins c’est pommes de terre à planter avec l’index ». L’aventure dans un monde inconnu, « Des noms de villages qu’on dirait des noms d’oiseaux ». « Des odeurs de brebis au bout des doigts ».

Comme la mère d’Hortense, j’ai connu l’envie d’apprendre, de savoir, de raconter … : « … / elle a douze ans / écrit une rédaction / veut être haut placée / sera Paysanne ». Moi, je me suis évadée vers une autre vie peut-être pas meilleure, peut-être pas aussi belle, à coup sûr moins noble ! Hortense, elle, elle a compris le pays et avec ses mots, elle sait le faire revivre même si elle croit ne pas savoir : « Je sais mal les champs / Je sais le paysage je sais pas le pays / et que dire du pays dans un poème ? / Je sais pas le « faire » bon sang ».

Non seulement Hortense nous envoie de bien jolis poèmes, elle nous adresse aussi une bouffée de nostalgie, un morceau de son vécu, un peu de son âme, un souffle frais et vivifiant de son pays et beaucoup d’amour pour ses racines. Hortense, la poésie est dans le pré …

Le recueil sur le site des Carnets

Feuilles d'automne - En direct Drouot

Nique

Ana Tot

Louise Bottu éditions

Couv - Ana Tot - Nique - Louise Bottu - Un dernier livre avant la fin du  monde

Ana Not est une auteure pluridisciplinaire et passionnée comme le souligne son éditeur, elle s’implique de façon quasi obsessionnelles dans de multiples activités qui tournent autour du livre : l’édition, la traduction et bien sûr l’écriture jusqu’à la poésie. D’origine hispanique, elle navigue au gré de ses occupations de part et d’autre des cimes pyrénéennes. Dans le présent recueil, elle propose de la poésie « pauvre » qui est comme le signale la quatrième de couverture : « mécanique, prosaïque, enfantine et infantile, érotique… ».

Pour ma part, moi qui ne suis pas un théoricien de la poésie mas seulement un lecteur assidu qui cherche des émotions entre les vers mais aussi dans la forme des poèmes, j’ai trouvé dans ce recueil une démarche oulipienne, une recherche des contraintes, et même, dans certains textes, une démarche parnassienne dans l’élaboration des formes textuelles. Ana prend les mots comme certains les prennent avec une fourchette ou une pique, les petites niques qu’on grignote autour d’un barbecue où assis dans l’herbe fraîche d’un pré. Ces niques, elle les pique, les étire, les tortille, les allonge, les déforme, les multiplie pour en faire des brochettes comme elle tricote des vers avec les mots qu’elle triture. Elle nous propose de déguster ses niques comme d’autres dégustent les brochettes. Sa recette est fondée essentiellement sur l’utilisation poussée à l’extrême de l’allitération et de l’assonance, du doublement, voir du triplement, de certains mots pour donner plus de poids à ceux-ci mais aussi pour scander le ver, pour en mieux rythmer la musique. Ces poèmes, parfois courts souvent longs, sont comme des solos, plus souvent des sonates parfois même des concertos et d’autres fois de véritables symphonies. Le mot trituré peut devenir variation, soliste face à un tutti ou thème d’une longue symphonie.

J’aime à voir dans ces poèmes très contemporains une analogie avec la gastronomie simple et campagnarde et avec la musique que la répétition des mots souligne. Ana d’après ma lecture et les quelques documents que j’ai pu consulter semble une artiste très libre, très créatrice, très novatrice. Elle n’enferme pas le lecteur dans un discours didactique ou émotionnel, elle lui propose un plan, comme un jazzman, qu’il devra reprendre à son compte pour boucher les espaces qu’elle lui laisse.

Dans la dernière partie du recueil Ana ose l’érotisme cru mais pas vulgaire ni pornographiques, elle dit seulement les fonctions végétatives nécessaires à la procréation et au plaisir de vivre à deux ou à plusieurs.

« ose ana montre-moi / ana tes fesses en liesse / ana mes phrases emphase / ose ana montre-moi ».

Le mot est au cœur de la démarche d’Ana comme la nique est au centre de tout pique-nique, elle l’accommode aux diverses sauces qu’elle a préparés avec en filigrane toujours la terre, la campagne, la famille, les amis, les racines et aussi mais après seulement l’autre, celui qui colporte l’amour … éventuellement. Malgré les angles un peu vifs de certains textes et la rigueur polyphonique des répétitions, ces poèmes laissent filtrer un rai de tendresse, une certaine douceur de vivre, un peu d’espoir dans ce monde en déroute. Je ne sais pourquoi en lisant ces textes, j’ai pensé à Philippe Jaffeux, son énorme résilience et sa recherche langagière. Lui aussi a confiance dans les mots,

« les mots (qui) séduisent / du moins / ceux qui les prononcent / ne trompent plus / personne / ne trompe personne ».

Le recueil sur le site de l’éditeur

Feuilles d'automne - En direct Drouot

2021 – MES FEUILLES D’AUTOMNE : HISTOIRE D’UN COUPLE, D’UNE FAMILLE, D’UN LIGNAGE / La chronique de Denis BILLAMBOZ

DENIS BILLAMBOZ

Dans cette rubrique j’ai rassemblé trois ouvrages qui parlent de la famille, au sens le plus large du terme : la phratrie, le « génos », comme on la désignait dans l’antiquité et de tous les problèmes qu’elle peut connaître. Olivier BAILLY raconte la destruction d’un couple, Anne DUVIVIER évoque la recomposition d’une famille éclatée et Edmée DE XHAVÉE remonte le cours d’un long lignage qui conduit la narratrice sur plusieurs continents dans des mondes où elle ne pensait pas avoir des ancêtres et donc des gènes qui ont contribué à sa construction. Un large regard sur ce qu’est la famille au moment où on cherche à faire évoluer ses fondements.

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Dis, petite salope, raconte-moi tout …

Olivier Bailly

Cactus inébranlable éditions

L’auteur s’adresse au héros du roman, le plus gros de la classe qui est amoureux de Vanessa, la plus belle, qui, évidemment, l’ignore totalement. Pour perdre enfin sa virginité, Il se laisse séduire par la plus moche qu’il rejette quand, à la faculté, il finit par obtenir un baiser de Vanessa qui le snobait au lycée, elle s’est, comme lui, inscrite à la faculté de médecine où il la protège du bizutage infligé par les deuxièmes années. Il devient son héros et elle finit par l’épouser et par lui donner une adorable petite fille qu’il vénère comme une déesse.

Il est heureux en famille mais les amis et collègues de sa femme le stigmatisent et l’évitent, il n’est qu’un vulgaire commercial qui fourgue n’importe quelle marchandise aux ménagères de moins de cinquante ans en faisant du porte à porte. C’est un excellent commercial, il gagne beaucoup d’argent, grimpe dans la hiérarchie de sa profession et développe son entreprise. Mais, il reste le fils d’un cheminot décédé trop tôt, il est convaincu qu’il n’est pas digne de sa femme, qu’il n’est pas assez bien pour elle et qu’un jour un autre, rentrant mieux dans les codes définissant la société des amis et collègues de sa femme, la séduira et l’emmènera avec lui. Il devient soupçonneux, jaloux jusqu’à l’intolérable. Il surveille sa femme comme un maton veille sur les détenus, il perd peu à peu pied, se réfugie dans l’alcool qu’il consomme de plus en plus excessivement. Il s’enfonce dans une paranoïa destructrice dans laquelle il entraîne tous ceux qui pourraient l’aider.

Olivier Bailly - Babelio
Olivier Bailly

C’est un très beau roman que propose Olivier Bailly, un véritable plaidoyer contre l’envie, le désir de posséder et d’être aimé par une personne qui peut prétendre à des amours plus gratifiantes. Un plaidoyer contre le manque de résilience et d’acceptation de sa personnalité qui conduit à une jalousie destructrice. Un plaidoyer aussi contre la société qui fixe les critères définissant ceux qui sont beaux, ceux qui ont du charme, ceux qui sont intelligents, ceux qui ne sont dignes d’aucun intérêt, ceux qui doivent se réfugier dans la marge où ils pourront grignoter les rebus de la classe des élus.

Après avoir lu ce beau texte finement écrit, nourri de traits d’esprits fulgurants et d’images fort expressives, j’ai pensé à cette citation de Coluche : « Il y en aura qui seront noirs, petits et moches. Et pour eux, ce sera très dur » que l’on pourrait parodier en écrivant : « Il y en aura qui seront frustrés, gros, et moches. Et pour eux ce sera très dur ». Le monde est très injuste et chacun n’a pas les qualités ni les possibilités de l’accepter sans se rebeller, préférant se réfugier dans la convoitise, la jalousie, l’alcool et d’autres substances euphorisantes ou anesthésiantes. Certains méritent peut-être plus d’attention que d’autres ?

Le livre sur le site du Cactus Inébranlable

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Cendres

Anne Duvivier

M.E.O.

L'heure des olives

Lila et sa petite sœur Violette reçoivent une lettre de leur cousine Hélène qui les informe que son père, leur oncle Robert, a demandé a être incinéré et que ses cendres soient dispersées, en leur présence, au large de la petite île italienne d’Ischia. Surprises par cette requête de leur oncle, les deux sœurs acceptent cette invitation en forme de convocation testamentaire. Elles ne peuvent refuser une telle mission, surtout que leur oncle a été très présent dans leur vie quand leur père a disparu dans l’incendie d’un grand magasin bruxellois, il a alors joué le rôle du père et Lila et Violette lui en sont fort reconnaissantes. En contrepartie, elles, surtout Violette, aiment moins la cousine Hélène qui a très mal accepté qu’elles empiètent sur son terrain où auparavant elle était seule et très choyée.

Anne Duvivier
Anne Duvivier

Les trois filles décident de remplir leur devoir de fille et nièces, elles pensent que ce sera l’occasion de renouer des liens familiaux plus chaleureux entre cousines et, au pire, de passer une belle semaine de vacances sur cette île méditerranéenne à quelques encablures de Capri. Le séjour se déroule bien, les filles apprécient le soleil, la mer, la cuisine et les personnes qu’elles rencontrent jusqu’à ce qu’Alessandro fasse son apparition et révèle des informations sidérantes qu’elles ne connaissaient pas, des informations qui changent profondément la vision et l’opinion qu’elles avaient jusques là de leur famille et surtout de leurs parents.

Avec ce court roman, Anne Duvivier évoque les difficultés qui trop souvent perturbent la vie familiale et la bonne entente au sein des fratries ou sororités. Dans son histoire, les couples sont peu stables, se font et se défont, les pères ne sont pas toujours ceux que les autres pourraient penser. Un plaidoyer pour la vie familiale calme ou paisible ou plutôt un réquisitoire contre la famille qui n’est que prétexte à mensonges, tromperies et autres vilenies. Chacun lira ce livre à sa façon mais tous le liront avec intérêt et plaisir… sans doute.

Pour ma part, je suis convaincu que toute la poussière qu’on pousse sournoisement sous le tapis finit, un jour, par ressortir en enrhumant beaucoup de monde et en générant bien des douleurs et des rancœurs.

Le livre sur le site des Editions M.E.O.

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La rivière des filles et des mères

Edmée de Xhavée

Chloé des Lys

La rivière des filles et des mères - Edmée de Xhavée - Chloe Des Lys -  Grand format - Librairie Pax LIÈGE

Zoya, enseignante, maman de trois enfants, vivant en Belgique dans un couple très banal, comprend vite qu’elle a un arbre généalogique beaucoup moins banal. « J’ai vite su que ma famille n’était pas construite comme tant d’autres » écrit-elle, sa famille est dispersée sur deux continents et elle a des origines diverses tant du point de vue géographique que du point de vue social. Elle comprend aussi que ses aïeux ont voyagé à travers terres, mers et océans. Elle décide alors de remonter le courant de sa généalogie comme d’autres remontent le cours d’une rivière pour en trouver la source, elle va chercher à remonter le plus loin possible pour comprendre comment elle s’est construite sur des racines aussi diverses.

Arrivée à ce qui n’est évidemment pas la source primaire de toutes les généalogies, mais à ce qui pourrait être un bon point de départ pour construire son histoire, elle élabore cet arbre généalogique en suivant la filiation de mère en fille pour arriver jusqu’à elle. Elle commence son récit généalogique en reconstituant la vie de Goguet et de sa petite indienne. Goguet et le fils puîné d’une famille de nobliaux normands qui a émigré pour une quelconque raison vers le Canada où il a troqué quelques marchandises, armes ou chevaux contre une toute jeune fille à des indiens Ojibwés. Ils se seraient aimés sans pouvoir se parler mais en déployant beaucoup de complicité. Lui partait pour de longues semaines de trappes la laissant seule, elle savait quand il rentrerait, elle avait une confiance absolue en lui.

Ce bon Normand et cette fière petite indienne constitue déjà un point de départ original pour cette généalogie. Ils eurent quatre enfants dont une fille élevée par les jésuites qui lui permirent d’épouser le fils d’un notable qui avait besoin de revaloriser son image ternie par son homosexualité bien mal acceptée en ce début du XIX° siècle. Eux aussi, ils s’aimèrent et eurent des enfants dont une fille qui, à son tour, a une fille qui à son tour… et ainsi de suite de génération en génération, Zoya raconte comment elle est venue au monde sur les bords de la Meuse où elle a aussi fondé une famille qui perpétue ce lignage cosmopolite.

edmée de xhavée | Laissez-moi vous écrire… | Page 20
Edmée de Xhavée

Tel un chirurgien des cœurs et des couples, Edmée, elle-même liégeoise, vivant sur les bords de Meuse, explore comment les unions maritales ou adultérines se construisent, grandissent, se fanent, s’étoilent, se déchirent,… Des couples qui ne correspondent pas toujours à la norme sociale, des couples qui n’en sont pas toujours. Elle suit le fil rouge de l’amour qui sème la petite graine qui permettra de passer à la génération suivante. Dans ce texte, on croise des parents qui n’étaient pas faits pour se rencontrer, des mariages arrangés, des mariages de raison, des liaisons adultérines, des amours de passage, des coups de foudre ravageurs, des enfants qui ne connaissent pas toujours leur géniteur, …, tout ce qui peut, in fine, constituer une bonne famille avec ses amours, affections, désaccords, … Edmée est une grande experte des amours chez les notables mais elle sait surtout les sentiments qui réunissent les êtres. « Il y a le désir, il y a le plaisir, il y a le sexe, le devoir, le « faire plaisir » pour la paix du ménage. Tant de choses et tant de variantes puisqu’on vit une histoire différente chaque fois. »

Cette généalogie n’est pas seulement un exercice historique c’est avant tout une dissection des rapports entre les hommes et les femmes mais aussi entre les femmes et les femmes et entre les hommes et les hommes. Ce texte est plein de sensualité, d’érotisme très pudique, jamais démontré seulement suggéré. Il évoque aussi la violence de la nature et des hommes mais jamais une violence littéraire destinée à émouvoir ou effrayer les lecteurs. J’ai lu ce texte comme une histoire de femmes dont les vies mises bout à bout comportent tous les tracas qu’une femme peut rencontrer au cours de sa vie : le mariage forcé, l’adultère, l’enfant illégitime, le mari homosexuel, le mari dédaigneux, le mari volage, le mari violent, les enfants perdus, le veuvage précoce, …  C’est un peu l’histoire de la femme à travers les continents pendant les deux derniers siècles. Mais la vie ne se réalise pas forcément avec un ou une autre, elle peut être très belle et bien remplie dans une existence solitaire. « Un vie est complète sans mariage, sans grand amour, sans orgasme, sans enfants, sans voyage astral, sans sixième sens, sans apparition de la vierge, sans gagner un prix Nobel, sans devenir riche sans expérience de vie transcendante. Oublie ça. Une vie est toujours complète sauf si on croit qu’elle ne l’est pas. »

J’ai aussi beaucoup apprécié les différents cadres décrits par l’auteure, sa documentation est certainement très fouillée mais je sais qu’elle a été complétée par des souvenirs personnels de voyages et de séjours dans de nombreux pays. Elle dresse ainsi un tableau d’une Amérique de la fin du XIX° et le début du XX° siècle où les grandes familles étaient organisées en clans très fermés mais où les nouveaux riches pouvaient encore trouver une place. C’est l’Amérique des pionniers venus d’Europe avec leurs rêves et leurs espoirs de fortune, racontée dans une belle et grande saga familiale.

Le livre sur le site de Chloé des lys

« Laissez-moi vous écrire », le blog d’Edmée de Xhavée qui comprend ses chroniques hebdomadaires


EN AVANT, LES ADVERBES ! – J K L

Les adverbes en Français

J

Jadis, jamais voulait dire toujours.

Jalousement, garder les volets fermés.

Joliment, détourner un complément de nom d’oiseau avec un adverbe de politesse.

Journellement, noircir le souvenir de ses nuits blanches.

Judiciairement, arrêter l’instant pour lui passer les menottes.

Judicieusement, déposer une peau de banane sous un piédestal.

Juridiquement, faire appel de la dérision.

K

Kaporalement, porter le képi.

Karatément, savater le judoka.

Kayakement, descendre la Lesse avec une Leffe.

Kermessement, faire la fête.

Kopeckement, rouler un Russe à la roublette.

Kraftement, emballer sec.

Khmèrement, cambogder.

Kurdement, erdoganer.

L

Laborieusement, là au bout de la fatigue, construire un pont entre le travail et le repos.

Lâchement, battre en retraite à l’arrivée de la pension.

Là-haut, se sentir pousser des ailes.

Lamentablement, se couvrir d’une petite peine pour échapper aux chaudes larmes.

Largement, échancrer ses souvenirs pour qu’on voie votre passé.

Lascivement, passer de vit à ébats à fond de bourses.

Latéralement, défendre son but contre toute attaque déplacée.

Légitimement, réclamer son dru à une pluie molle.

Lentement, démarrer au quarantième tour.

Librement, marcher sans bâton de dynamite dans un champ de mines.

Lisiblement, écrire à l’envers. 

Littérairement, faire impression.

Loin, porter ses (bé)vues.

Longuement, sonner à la porte de la patience.

Longtemps, se dépêcher de bonheur.

Lourdement, peser sur la balance pour qu’elle dénonce le gros de la bande.

Lucidement, se juger apte à jauger le taux de candeur.

Lucrativement, débarrasser l’horizon de la pauvreté de vues.

Lugubrement, recouvrir l’entrée du tunnel.

Lumineusement, féconder l’ovule de la nuit.

à suivre