
Trois baigneuses, une immense vague prête à les engloutir, à les broyer, le génie de Camille Claudel. L’Art Nouveau est en embuscade ; Camille, la rebelle, pressent un destin inexorable.
Auzou est manifestement émue par la scène. Toutefois, comme l’écrit Philippe Tancelin en quatrième de couverture, ces cinquante textes ne sont pas dans l’illustratif. Cinquante! Que va nous conter le poète quand tout ou presque a déjà été dit à propos de ce chef d’œuvre ? Sans véritable description de la sculpture. Quoique : au Xe degré, peut-être… Au contraire de Claudel, dont l’onyx et le bronze sont au bord de l’anéantissement, les lignes du poète esquissent la cambrure proche d’une réconciliation.
Oui, la docilité ronde de la réconciliation prend forme sous l’élégance de son verbe. Loin d’être pâle ou mièvre, la plume de Barbara Auzou ose les contraires, distille les images, fouille dans l’inconscient, extirpe un cri primal. Non celui d’avant l’engloutissement mais celui, quelque part, d’un espoir en la vie.
Vibre la trame dramatique sous-jacente jusqu’à la turbulence (…)
une louve dans le silence des eaux
ravaude les rêves d’un crépuscule
en larmes
et lape sa part d’éternité entre deux
pierres tendres

La langue est pure, la langue est belle : je dérive avec toi à chair de ciel et / à fleur d’orage. Barbara Auzou pétrit les mots comme Camille Claudel pétrit la matière. Au-delà de personnalités bien différentes, l’art les lie, les relie en une forme d’extase. Remontant le courant des gestes, le verbe n’explique pas la forme mais la transcende :
elle
elle voulait parler au soleil
dans des bras sans charnières
glisser à fleur d’eau sur l’épaule
décisive
son tendre mouvement de fuite
vers le soir
mais le poète précise :
debout la vague dansait
renaissait
de bleu sous la lune allusive
Non, la vague ne va pas broyer le personnage, la vague danse, renaît. Contrairement à Claudel qui sent déjà sa fin imminente, Auzou polit un espoir, une réconciliation entre le présent et le destin : le temps entier tient dans une main. La vague, devant un surfeur minuscule, ne va pas l’anéantir, mais le porter. Et les doigts de celui-ci pivotent avec adresse / pour caresser la vague / la réchauffer / et lui donner un nom. La proie est devenue complice.
Dichotomie à vif qui affronte l’énigme du monde ? Le tutoiement est parfois sur la crête. Loin d’être descriptif, ce recueil porte une dimension singulière : celle de mots espérants face à la dramaturgie de la forme et de la pierre.
La réconciliation Cinquante variations autour de La Vague de Camille Claudel,
de Barbara AUZOU, préface de Xavier Bordes, 65 p., Éd. L’Harmattan, Paris, 2022,
ISBN : 978-2-343-25293-3
Le livre sur le site de L’Harmattan