LES LECTURES D’EDI-PHIL #43 (mars 2022) : COUP DE PROJO SUR LES LETTRES BELGES

Les lectures d’Edi-Phil

Numéro 43 (mars 2022)

Philippe REMY-WILKIN (par Pablo Garrigos Cucarella)

Coup de projo sur le monde des Lettres belges

sans tabou ni totem, bienveillant mais piquant…

A l’affiche :

Une réaction (Armel Job), un récit de vie (Martine Rouhart), six romans (Joseph Ndwaniye, André-Joseph Dubois, Jean Lemaître, Michel Hellas, Didier Vanden Heede, Pieter Aspe), une maxi-nouvelle (Evelyne Wilwerth), un recueil de nouvelles (Jean-Pol Hecq), un recueil d’aphorismes et clins d’œil littéraires (Éric Allard), un essai (Björn-Olav Dozo et Dick Tomasovic) ;

les maisons d’édition MEO, Les impressions nouvelles, Weyrich, Jourdan, Murmure des soirs, Lamiroy, Le Cactus inébranlable, Genèse, F. Deville, Albin Michel/Livre de poche..


(1)

Martine ROUHART, Les ailes battantes, récit, MEO, Bruxelles, 2021, 64 pages. Avec une préface de votre serviteur.

J’avais lu La balade des pavés (Genèse) de Sylvie Godefroid sur la même thématique : une femme aux prises avec le cancer. Dans le livre de Martine Rouhart (une réédition d’un texte paru une première fois en 2010), il n’y a pas mise en roman mais récit de vie, carnets de voyage au pays de la maladie, volonté de coller au plus près avec les observations cliniques mais surtout les réflexions égrenées au cours des jours, de l’annonce initiale du problème à ses épreuves, ses étapes, son dépassement.

La richesse du livre déroule ses strates et nous plonge au cœur du phénomène. Il y a la douleur du traitement, bien sûr, la confrontation avec « la machinerie d’enfer » :

« Et puis, ça vient d’un coup. La tête s’embrase, envahie d’un vertige indécis, une tête pleine de vents furieux. Un engourdissement douloureux étrangle les tempes, creuse les orbites. Un étau méticuleux, obstiné, enserre lentement la gorge et y noue un lacet étroit. »

Mais il y a la personnalité de la malade surtout, qui ne se laisse pas aller, élabore des stratégies pour vivre avec le phénomène.

La résistance :

« Chaque jour, chaque minute, je tresse consciencieusement un cordage qui doit résister à la volonté de puissance de forces contraires. (…) C’est endurer sans se lamenter, sans apitoiement ni ressentiment, c’est patienter en écartant les oiseaux sombres qui tentent d’envahir mon cerveau pour se heurter dans ma tête. »

L’apprivoisement :

« Elle (la maladie) ne me veut peut-être pas tant de mal, peut-être son but secret est-il de disperser loin de moi les petites misères dérisoires et de m’accorder une plus grande fermeté d’âme… »

La lucidité :

« L’espérance, quand elle est forcée et peu raisonnable, débouche sur la tristesse ou la nostalgie, et celles-ci, à nouveau, sur de dérisoires espoirs, sans repos, sans fin. (…) Je sais qu’une petite étoile luit au loin et aussi que la joie n’est pas seulement au bout du chemin mais dans la marche. (…) Vivre au présent, ne pas se suspendre à des lendemains qui ne seraient faits que d’attentes hypothétiques, cela peut fonder un avenir plus serein. »

Au-delà de l’émotion suscitée par le témoignage, double parce que l’autrice est aussi une excellente collègue, il y a un texte, un très bon texte. Martine Rouhart réagit en philosophe ou tente d’y parvenir, en conjuguant ambition et humilité, acceptation des limites et volonté d’aller plus loin :

« Je ne voudrais surtout pas me tenir en lisière durant le reste de mon existence. (…) Il faut avant tout apprendre à bien vivre. »

Nous ne sommes pas maîtres des incidents de parcours qui nous arrêtent ou nous font chuter, mais notre liberté, notre dignité consistent à essayer de nous relever. Nous n’avons pas suscité la vague mais nous pouvons en épouser le mouvement. Elle-même se retourne sur son passé, mesure la dimension dérisoire de tant d’activités submersives, il y a l’essentiel et le contingent, elle profite du retrait pour aller en quête de soi :

« (…) laisser libre cours à ma nature contemplative (…) Se plonger avec volupté une journée entière dans un bouquin de philosophie, méditer à loisir sur chaque phrase et l’évolution de son âme, s’attarder sur les errements du passé, se remettre en cause, grandir un peu (…). »

La perception est subtile. Notre regard crée une appréhension de la réalité, confondue avec une réalité objective difficilement accessible :

« Victimes de fantômes qui nous empêchent de vivre, n’est-on pas souvent tourmentés par l’idée de certaines choses plutôt que par les choses elles-mêmes ? »

Et Martine Rouhart de nous indiquer le chemin, dans une bienveillance apaisée. Et sa voix acquiert une résonance toute particulière en ces temps de pandémie, de confinement, de privations. Il faut « éprouver au plus profond de soi la joie de ce que l’on a et se satisfaire des bonheurs bien présents ». Profiter des ressources technologiques (mobile, ordinateur) pour se connecter aux autres, comprendre leurs difficultés de communication et leur faciliter la tâche en toute simplicité, s’ouvrir, prendre en compte leurs soucis, plus graves ou moindres. « Agir et accueillir ».

L’autrice a été au bout du cheminement. Elle était juriste, elle a survécu à la maladie et s’est construit une nouvelle vie, en réalisant un rêve : écrire un livre. Elle a ensuite persévéré : elle a écrit plusieurs ouvrages, exploré divers sillons (roman, poésie…) et s’est imposée en quelques années comme une figure de nos Lettres, créatrice, médiatrice, animatrice au sens le plus fort du terme.

Il y a du traité moral dans cet opuscule émouvant mais tonifiant aussi, humaniste. A lire et relire !

PS

Une interview de Martine Rouhart par Tito Dupret, chez RCF :

https://rcf.fr/culture/philosophie/comment-ca-va-bien-martine-rouhart


(2)

Evelyne WILWERTH, Nuit sorcière, Lamiroy, collection Opuscule, Bruxelles, 44 pages.

Délicieux texticule de cette autrice dont l’écriture est toujours si animée, naturelle, vivante, sobre et charmante, dégraissée, équilibrée… et narrative !

Une nuit d’errance, celle d’un ancien mannequin (masculin), dont on perçoit qu’il a beaucoup sacrifié à sa carrière avant ce moment entre bascule et néant qui suit la date de péremption du produit marketing. Aventures, rencontres, suspense, émotion… Un modèle de petit récit maîtrisé, conjuguant explicite et implicite.

Le talent de l’autrice lui a valu un billet d’exception de l’éditeur : la collection annonce ne publier qu’un texte par écrivain mais Evelyne avait déjà publié La chambre 3 ! L’explication est sans doute simple : notre autrice se plie remarquablement aux lois du genre bref.


(3)

Une réaction d’Armel JOB…

…l’un de nos meilleurs romanciers, à nos commentaires sur deux de ses romans.

Pour comprendre l’échange, voir mon texte dans la mini-revue de septembre :

Puis les explicitations d’Armel Job, que je publie avec son autorisation :

« Cher Philippe,

J’ai lu avec plaisir vos chroniques sur mes romans « de disparition ». A très juste titre, vous évoquez les similitudes entre les deux romans chroniqués. En fait, il y a encore un roman de moi qui est un roman de la disparition. Il s’agit de Tu ne jugeras point. Je voulais faire une trilogie de la disparition. Tu ne jugeras point, c’est la disparition d’un bébé ; En son absence, celle d’une adolescente ; La disparue de l’île Monsin, celle d’une adulte. Dans les trois cas, il y a des similitudes de situation. Par exemple, le désaccord chez les parents du ou de la disparue. L’occasion sans doute de montrer qu’à partir des mêmes ingrédients, on peut obtenir des drames personnels très différents. Encore merci pour votre attention.

Amitiés.

Armel. »

(4)

Joseph NDWANIYE, En quête de nos ancêtres, Les impressions nouvelles, Bruxelles, 2021, 206 pages.

Le livre est un très bel objet : belles couverture et mise en page. Et il est bien écrit. Certes, l’écriture n’emporte pas mais elle réserve de jolies surprises au hasard d’un mot, d’une phrase, d’une image. La narration est fluide, simple, agréable :

« De la fenêtre de sa chambre située au quatrième étage, Antoine a vue sur la ville. Les toits sont couverts de tuiles rouges ou de tôles ondulées. (…) En cette fin d’après-midi, les montagnes aux sommets pointus qui entourent la ville tournent petit à petit le dos au soleil. Naît alors dans leurs sinuosités un jeu d’ombres et de lumière ponctué par quelques nuages blancs qui se détachent du ciel bleu. »

Si la narration est un peu trop sage pour moi, le récit fait du bien, on peut parler d’un Feel Good Book ! Un jeune infirmier, originaire du Rwanda mais installé avec sa famille à Bruxelles, se passionne depuis l’enfance pour le sort des esclaves noirs arrachés à son continent d’origine et envoyés dans la fameuse mine de Potosi. Il finit par prendre un congé pour aller travailler en Bolivie bénévolement et y chercher les traces des descendants de ces esclaves. Il fait des rencontres, toutes belles il est vrai. Et initiatiques.

J’ai aimé la démonstration de la polyvalence identitaire, la capacité de remise en question et de résistance, la quête (celle du héros se double de celle d’une jeune métisse, dont il tombe amoureux). Des thèmes majeurs sont abordés mais de manière feutrée : réalisation contre la famille, le poids des traditions ; capacité à affronter les secrets de famille, etc.

Du grand large, j’attendais un souffle, une percussion mais, ma frustration digérée, je profite des qualités de l’ouvrage : profond mais tout en douceur, en humanisme, en empathie ; subtil, loin des clichés et de tout pesant didactisme (on apprend beaucoup de choses sur la Bolivie, ses paysages, ses traditions, etc.).

Quelques subtilités ?

. Une dimension christique : le héros apparaît lesté du poids du sort de toute une communauté. Et idem pour sa comadre Alba Luz.

. La visite de Potosi offre un parallèle à la visite d’un Juif à Auschwitz. Il s’agit d’un endroit chargé.

. Le rapport des mineurs (il est question de fierté et d’amour) à la montagne qui les tue, les asservit, présente une connexion avec le syndrome de Stockholm.

. Simba est un double du narrateur (qui est lui-même un double de l’auteur), il y a mise en abyme, quête dans la quête. Et rebelotte avec Alba.

. Une machine infernale ramène Simba, un personnage phare, à la condition de ses ancêtres.

. La mise en évidence de la nécessité du supplément de sens, de l’ancrage. Derrière la simplicité (ou grâce à celle-ci ?), Joseph Ndwaniye livre une fable sur la condition humaine. Quitte à présenter un côté « livre à l’ancienne », avec défense de valeurs intemporelles : respect des anciens, transmission, mais aussi capacité à couper le cordon à la Perceval (savoir rompre le silence), etc.

PS

J’ai découvert bien des affinités entre ce livre et le travail récent de Michel Torrekens (L’hirondelle des Andes, chez Zellige). Les deux auteurs explorent différemment des situations de départ proches : une jeune personne qui ose tout quitter pour tenter de trouver des réponses à des questions essentielles…. en allant pour ce faire jusqu’en Amérique du Sud. Il y a donc, dans les deux cas, une forme d’épopée tranquille, avant tout psychologique, faite de rencontres, un parcours initiatique, des côtés Bildungsroman et Road Movie. Un même mélange de grand large et t’intime.

J’ai donc suggéré aux deux auteurs d’échanger leurs livres. Et ils se sont en effet trouvé bien des affinités… jusqu’à envisager des collaborations.


(5)

André-Joseph DUBOIS, Le septième cercle, roman, Weyrich, Neufchâteau, 2020, 499 pages.

La trajectoire de l’auteur interpelle. Il s’offre deux premières parutions à Paris (Balland) il y a près de 40 ans puis disparaît durant 28 ans des écrans éditoriaux. J’ai mené enquête pour en savoir plus sur ce hiatus, il semble avoir été rebuté par les charges collatérales du métier. Je puis comprendre… bien qu’il existe de pires épreuves !

Ce gros roman est très bien écrit et le récit s’avère illico des plus enlevés :

« Et pourtant, pas facile à raconter, une vie. Tout à fait comme un lézard, on ne sait par quel bout la prendre. Un tronçon vous reste entre les doigts alors que l’essentiel a filé sous une pierre. »

Humour, souffle. On traverse l’Histoire (guerre d’Algérie, collaboration sous l’Occupation, etc.) et les mers, les océans (Maroc, Congo, Cuba, Brésil, etc.). Disons-le de manière nette : de tels ingrédients sont rarement disponibles dans les Lettres francophones et désignent un talent supérieur.

Pourtant et hélas, la belle machine littéraire tourne un peu à vide, narrant du connu sans en renouveler l’appréhension (les assassinats de Lahaut ou de Lumumba, par exemple), s’attachant aux pas d’un antihéros, Léon Bourdouxhe, « qu’on n’arrive pas à détester » (dit la 4e de couverture) alors qu’il participe à des séances de torture, des exécutions, affiche un profil d’extrême-droite. Certes, il y a un sous-récit touchant, à travers la relation avec Hanna (l’amie d’enfance), mais il est globalement difficile de ressentir de l’empathie en cours de lecture. Ou de saisir le but visé par l’auteur. Veut-il raconter une histoire souterraine du monde ? En ce cas, il a des décennies de retard, les dossiers évoqués ont été éclairés.  

In fine, que son héros, à la fin du livre, se révèle être le géant boiteux des Tueurs du Brabant, voilà la goutte qui fait déborder le vase du malaise. Etrange sensation donc que d’éprouver de la répulsion pour un livre mais de l’admiration pour son auteur.

A noter !

Ce livre, en octobre, a remporté le Prix de la Ville de Bruxelles 2021. Dans le Top 5 final, il affrontait au moins deux excellents livres : Ulrike Meinhoff (Véronique Bergen, chez Samsa) et Le second disciple (Kenan Görgün, chez Arènes).  En décembre, il a décroché le prix Emma Martin du roman décerné par l’AEB ! Joli doublé ! Et on se réjouit pour l’éditeur Weyrich (dont la réserve de livres a brûlé en 2020) et pour les directeurs de la collection, Christian Libens et Nausicaa Dewez.


(6)

Björn-Olav DOZO et Dick TOMASOVIC, Dark Vador, à feu et à sang, Les impressions nouvelles, coll. La fabrique des héros, Bruxelles, 2021, 140 pages.

Un très bel essai. Pop culture ?

Voir mon article dans Le carnet :


(7)

Jean LEMAITRE, Le vrai Colomb, (faux)roman et (fausse) étude historique, Jourdan, Bruxelles, 2021, 239 pages.

Une (fausse) étude historique ratée sinon honteuse dans ses procédés et sa prétention (« Le vrai Colomb » !) mais un (faux) roman émouvant.

Voir mon article dans Le carnet :

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(8)

Michel HELLAS, Taklamakan, roman, Murmure des soirs, Esneux, 2021, 352 pages.

Un livre ambitieux ! Qui détonne.

Voir mon article dans Le carnet :


(9)

Jean-Pol HECQ, Mother India, Genèse, Paris/Bruxelles, 2021.

Coup de cœur pour ces récits de voyages qui sont autant de mises en application du concept de la rencontre théorisé par Charles Pépin.

Voir mon article dans Le carnet :


(10)

Éric ALLARD, Grande vie et petite mort du poète fourbe, Cactus Inébranlable, Amougies, 2021, 70 pages.

Un recueil tonique, spirituel.

Voir mon article dans Le carnet :


(11)

Didier VANDEN HEEDE, Meurtres en trois couplets, F. Deville, coll. Œuvres au noir, Bruxelles, 2021, 340 pages.

Un polar émouvant.

Voir mon article dans Le carnet :


Pour terminer… une nouvelle rubrique, Le plat pays qui est le mien… de cœur, qui me permettra de retrancher le mot « francophones » adossé à « Lettres belges » dans le sous-titre de cette mini-revue. Oui, je vais tenter d’évoquer régulièrement des auteurs flamands, pour des raisons éthiques et intellectuelles (volonté de connaître les citoyens du nord du pays et de m’élargir un peu). D’autant que j’adore me balader en Flandre, j’y sens palpiter mon essence et m’interroge à ce propos.


(12)

Pieter ASPE, Le carré de la vengeance, Albin Michel/Le livre de poche, Paris, 2008 (1995 pour l’édition originale en langue néerlandaise), 377 pages.

Pieter Aspe (1953-2021), de son vrai nom Pierre Aspeslag, est un auteur flamand traduit en français, à Paris. Les aventures du commissaire Van In (une trentaine de tomes, le premier publié en 1995), à Bruges et aux alentours, ont été adaptées à la télévision et l’ont rendu célèbre. Avant de pouvoir vivre de sa plume et de s’installer à la Côte (Blankenberge), il a exercé de nombreux métiers, le plus improbable étant d’avoir été le concierge de la basilique du Saint-Sang, dans la Venise du Nord, durant douze ans. Il a écrit d’autres ouvrages, non traduits en français, certains pour adolescents. Il a décroché plusieurs prix.

Le carré de la vengeance consacre l’irruption de ce nouveau policier de papier et plante illico tous les éléments de la série, soit les personnages qui seconderont notre héros mais les décors aussi, une manière de promouvoir Bruges, son patrimoine, ses commerces, etc.

 Le pitch ?

Voici ce qu’annoncent la 4e de couverture du livre et le site du Livre de poche :

« À Bruges, la bijouterie Degroof a été cambriolée. Rien n’a été volé, mais le malfaiteur a fondu tous les bijoux dans un bain d’acide. Sa signature : un énigmatique message en latin…

L’enquête est confiée au commissaire Van In, un flic buté criblé de dettes, au sale caractère et à l’humour caustique. Amateur d’art, de cigares, de bières et de jolies femmes, il n’a pas son pareil pour déjouer les affaires les plus tordues.

Avec Versavel, jumeau d’Hercule Poirot à l’homosexualité revendiquée, et Hannelore Martens, substitut du procureur affriolante et ambitieuse, Van In plonge dans la grande bourgeoisie brugeoise où il ne fait pas bon déterrer les secrets enfouis… Premier volet de la série, Le carré de la vengeance fait de Pieter Aspe le « Simenon flamand ».

En lisant Van In, je retrouve les sensations croisées lors de mes lectures de la collection Grands détectives, créée par Jean-Claude Zylberstein chez 10/18, à Paris. Celle-ci avait d’abord mis en scène des récits policiers situés à travers l’espace et le temps (la Chine du VIIe siècle et du juge Ti – de Robert Van Gullik -, l’Angleterre médiévale de frère Cadfaël – par Ellis Peters, qui allait inspirer Le nom de la rose d’Umberto Eco !) avant de s’ouvrir au contemporain (avec Iain Pears, entre autres). Côté Belgique francophone, un auteur, Alain Berenboom, chez Genèse, explore ce sillon du récit policier gouleyant (avec la série Michel Van Loo), beaucoup plus léger qu’un thriller type anglo-saxon mais au cocktail savoureux de récréation d’une atmosphère, d’interconnexions avec une série de personnages secondaires très typés, de didactisme ludique, d’exploration sociologique aussi.

Le carré de la vengeance se lit très aisément. L’écriture et la narration sont fluides, dynamiques. Il y a moins d’action que de saillies verbales cependant, des dialogues percutants, un vocabulaire recherché (la traductrice est une écrivaine : Emmanuèle Sandron) s’infiltre subtilement (« réniforme », « potiquet », etc.), comme une exploration de contenus historiques voire des notations philosophiques :

« La mémoire est un labyrinthe, un embrouillamini de ruelles intriquées où les souvenirs errent sans répit. Mais que l’un d’entre eux rencontre subitement un élément neuf, et une idée originale peut soudain jaillir. »

Le meilleur réside peut-être dans un décryptage de la société flamande nantie. Quels secrets masquent les grandes réussites économiques ou politiques, etc. ?

En résumé ? Une distraction pure mais de bonne tenue, inscrite dans un certain raffinement. A tel point… que j’ai eu envie de creuser ce sillon-là à mon tour comme auteur !

Bémol !

Mis en appétit pour la série, j’ai commandé les deux aventures suivantes du bon Van In, Chaos sur Bruges et Les masques de la nuit. Mais, dès le premier, d’un coup, je cale devant les recettes (les échanges téléphonés entre Van In et sa muse Hannelore, son adjoint Versavel ; la confrontation systématique entre un puissant sournois, méprisant et sans scrupules et un représentant du peuple, etc.), le peu d’action pure aussi, la passivité des protagonistes, qui passent plus de temps à gérer leurs problèmes qu’à faire avancer l’enquête. Ici, les éléments décisifs (pour comprendre l’affaire puis la résoudre) sont apportés sur un plateau par une prostituée ou le fils d’un des coupables.

Philippe Remy-Wilkin.

2022 – PREMIÈRES LECTURES : LE MONDE DU TRAVAIL ET SES PERVERSITÉS / La chronique de Denis BILLAMBOZ

DENIS BILLAMBOZ

Dans cette sélection, j’ai rassemblé trois livres qui montrent les difficultés qu’on peut rencontrer dans le monde du travail que ce soit au niveau des cadres supérieurs comme dans le roman de Marin DE VIRY, dans le monde de la bureaucratie comme dans l’histoire racontée par Anne-France LARIVIERE ou comme dans le dur monde des mineurs de fond comme dans te texte poignant de Samira EL AYACHI. Partout règne la compétition, l’exploitation, la concurrence et surtout la nécessité fondamentale de gagner sa vie pour continuer à vivre. Trouver un emploi n’est pas facile pour tout le monde mais s’y épanouir est encore une autre paire de manches…


L’arche de mésalliance

Marin de Viry

Editions du Rocher

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Marius, directeur dans une firme proposant des applications liées au développement personnel au niveau international est mis en concurrence avec Priscillia une autre directrice d’origine anglaise. Sa culture traditionnelle française, aristocratique et catholique, s’oppose directement à la culture anglo-saxonne et militante féministe de sa collègue et rivale. Ils ont été tous les deux formés dans les institutions spécialisées dans l’instruction et l’éducation des cadres de hauts niveaux chargés de gouverner le pays ou d’en gérer les grandes entreprises constituant leur puissance économique. Leur patron leur propose le même poste présenté sous deux angles différents : il était le gars qui incarnait la France rassurante avec sa culture et ses traditions, elle était l’Empire britannique avec sa force conquérante et son rayonnement culturel international. Elle était aussi la voix des femmes, une certaine forme de modernisme.

Dans les grandes tours du quartier de la Défense à Paris, serrées comme les voyageurs du métro sur le quai des stations aux heures de pointes, là où se construisent toutes les théories, stratégies, applications, opérations, là où se prennent toutes les décisions, là où se pense tout ce qui devrait être bon pour le peuple et pour la France mais, en fait, tout ce qui est profitable pour ceux qui bénéficient des richesses accumulées par la grande finance internationale et pour ceux qui ne pensent qu’à faire avancer leur carrière dans la gestion des entreprises qui nourrissent ces grands financiers. Dans ces tours qui incarnent si bien l’arrogance, la suffisance et le mépris de ces grands financiers et des gouvernants qui leur servent la soupe, Marius et Priscillia s’affrontent, ou plutôt font mine de s’affronter, pour un poste prestigieux.

Marin de Viry : "Ma vie d'usager de la SNCF" - Valeurs actuelles
Marin de Viry

Marius est secrètement amoureux de Priscilla, sa concurrente anglaise, même s’il ne veut pas l’avouer. Elle prendrait un malin plaisir à l’écraser mais leur meilleur client leur laisse comprendre qu’ils ont été mis en concurrence dans le seul but de faire le jeu de leur patron. Ils décident donc de ne pas tomber dans ce jeu sadique et cynique et de trouver un arrangement à l’amiable. Sans avertir quiconque, ils font mine, devant leurs équipes, de se livrer une lutte impitoyable. Dans son scénario, Marin de Viry modifie les données du problème, Le meneur de jeu n’est plus celui qui a inventé ce stupide jeu mais les victimes qu’il voulait asservir. Les résultats, les statistiques, les données quantifiées ne sont plus les seules valeurs servant à évaluer d’autres données en jeu : les sentiments, les émotions, le bon sens, … Le monde des chiffres est brusquement bousculé par un humanisme que les élites fabriquées sur mesure ont oublié depuis longtemps.

Je me suis délecté à la lecture de ce livre, je connais bien le monde de l’entreprise, même si je ne l’ai fréquenté qu’à un étage beaucoup plus bas, j’en ai appris bien des vices et peu de vertus. Je sais comment se construisent les carrières, les images et les réputations. J’ai souri plusieurs fois quand j’ai lu l’ironie avec laquelle l’auteur traitait son sujet. J’ai apprécié la satire qu’il a insufflée dans la peinture qu’il a dressée de la société individualiste, fondée sur le paraître nourrissant les égos et les fortunes, qui se meure peu à peu aujourd’hui. Les Trente glorieuses se dissolvent interminablement en des soubresauts pathétiques que Marin décrit avec beaucoup de justesse, d’ironie et de drôlerie aussi. Il a bien compris que cette société n’a pas d’avenir, qu’il faudra, pour faire naître un nouvel espoir, retrouver le bon sens et l’humanisme égarés dans les statistiques des technocrates embastillés dans les tours de la Défense. Marius et Priscilla, Sean et Paula semblent, eux aussi, l’avoir compris…

Le livre sur le site de l’éditeur


L’expérience du vide

Anne-France Larivière

Editions de L’Aube

L'expérience du vide, Roman

Louise, fille d’une famille plus proche de la décomposition que de la recomposition, décide de passer un concours pour entrer dans une administration territoriale afin de subvenir à ses besoins et à ceux de son frère tout en remboursant les prêts contractés par sa mère avant de prendre la tangente. Elle est admise parmi les candidats qui peuvent postuler un emploi dans une de ces administrations. Elle pose sa candidature, elle est acceptée, elle démarre sa carrière professionnelle en même temps qu’elle découvre une grande administration.

Elle est affectée dans le service qui traite des affaires culturelles (impossible de me souvenir de l’acronyme qui le désigne, tout comme Louise, je me noie dans leur océan). Elle ne comprend pas bien la mission qui lui est confiée, ne sait que faire, s’ennuie à mourir… Elle découvre plus vite les personnels que les lieux où elle se fourvoie régulièrement. Elle s’égare, tout autant, dans les procédures, les organigrammes, les fonctions des différentes personnes qui le peuplent mais constate bien vite qu’il y a beaucoup de lèche bottes, de fayots, de planqués, de fainéants, de tire au flanc, de vicelards, de profiteurs avec tout en haut les inaccessibles juste au-dessus de ceux qui sèment la terreur parce qu’ils détiennent le pouvoir de virer, de contraindre, …, de sévir de moult façons …. Les « cons » sont partout même si elle découvre quelques personnes sympathiques. Heureusement, Louise a une passion : la musique, elle chante dans un groupe fondé par son petit copain. Comme toute les petites chanteuses éphémères qui défilent régulièrement sur les plateaux télévisés « depuis qu’elle est gamine elle a toujours voulu chanter ! (comme si c’était une fatalité) ».

Anne-France Larivière

Elle découvre rapidement que celui qu’elle remplace s’est suicidé, elle comprend vite que ce sujet est brûlant mais finit par apprendre qu’il avait monté une combine pour détourner des subventions pour son compte personnel. Toujours en manque d’argent pour rembourser les prêts contractés par sa mère, entretenir son petit frère abandonné, payer le loyer et les divers éléments de son modeste train de vie, …, elle décide de reprendre cette combine à son compte mais en s’associant avec son collègue chargé du versement des subventions et joueur invétéré donc toujours à court d’argent lui aussi. Le pari est risqué mais elle doit se donner les moyens de quitter l’enfer dans lequel elle ne peut plus respirer, dans lequel son supérieur l’humilie régulièrement…

Anne-France Larivière a écrit ce roman comme un journal dont chaque journée commence par un extrait de l’intranet interne très formel, technocratique, impersonnel, froid même s’il cherche à recueillir l’empathie des lecteurs. En contrepartie, l’intrigue, est, elle, rédigée, en totale opposition, dans une langue proche de la langue vernaculaire, proche du parler de la rue, vive, alerte, imagée, remplie de formules lapidaires et de traits d’esprit. Ce roman, c’est l’histoire de la rencontre d’une jeune fille appartenant à frange de la génération désabusée qui a connu la décomposition familiale, tâté de nombreux stimulants, cette génération qui ne croit pas plus à la politique qu’aux vertus du travail, avec la rigueur, toute aussi formelle qu’inefficace, régnant dans les grandes institutions ; notamment dans les nombreuses administrations créées ou développées à l’occasion de la dernière réforme territoriale. Le choc entre deux mondes aux valeurs inconciliables, celles des cités et celles enseignées par les grandes écoles qui forment les cadres de ces administrations et des grandes entreprises. Le monde de la débrouillardise et de l’improvisation contre le monde de la règle et de la procédure, celui des dépourvus contre celui des nantis. L’auteure semble bien connaître le milieu qu’elle décrit, son histoire sent le vécu. « Son expérience du vide dans une grande administration lui a inspiré cette histoire pleine d’humanité, cynique et drôle ».

Comme dit Christophe Esnault dans une nouvelle publiée dans le recueil : « Mollo sur la win » édité par Cactus inébranlable éditions : « Entre le grand public, abreuvé par les clichés déversés par les médias, et les patients (citoyens), aux prises avec une institution qu’ils ne peuvent que rejeter, elle reste persuadée qu’une relation humaine peut s’instaurer. » A condition que…

Le livre sur le site des Libraires.fr


Le ventre des hommes

Samira El Ayachi

Editions de l’Aube


Hannah a été emmenée par les gendarmes au commissariat pour s’expliquer sur une faute grave commise dans l’exercice de sa fonction d’institutrice. Comme elle craint d’être mal comprise, elle veut raconter sa vie, la vie de son père, la vie de sa famille nombreuse, deux grands, deux moyens et deux petits. Elle est l’un des moyens. Son père, Berbère du sud marocain, s’est porté volontaire pour venir travailler en France, la pluie avait fait défaut, les dattes n’avaient pas bien poussé, le village menaçait famine, le miroir aux alouettes agité par les recruteurs a attiré le jeune homme déjà père d’un enfant. A cette époque, il ne savait pas qu’il venait en France pour assurer la fin de l’exploitation des houillères du Nord-pas de Calais, lui et les autres de sa région constituaient une main d’œuvre supposée malléable, non bénéficiaire du statut de mineur donc facile à licencier quand le moment serait venu de fermer les mines de moins en moins productives. Mais le père, avec ses collègues et les syndicats, s’est battu comme un beau diable pour bénéficier des avantages de ce statut, il est même passé à la télévision.

Hannah, elle, est née en France après le regroupement familial, elle raconte sa vie plutôt misérable dans les corons où cependant régnait une vraie chaleur humaine, l’amitié, la solidarité, l’insouciance de l’enfance pendant que les adultes complotaient pour obtenir un statut plus juste. Sa vie dans les rues du quartier avec les enfants des Polonais, des Italiens, des Algériens, … toute une société multiethnique où se brassaient les langues, les jargons, les idiomes, les patois, où se mêlaient les cultures et les religions. Le coron ne connaissait pas le racisme que l’école connaissait mieux surtout quand, comme Hannah, on est une bonne élève est qu’on veut fréquenter les grandes institutions.

Image dans Infobox.
Samira El Ayachi

Ce texte ce n’est pas seulement un roman social qui raconte la fermeture des houillère du Nord-pas de Calais et le triste sort des derniers embauchés, les mineurs marocains, c’est aussi un plaidoyer pour le sort des femmes, marocaines ou autres, qui n’ont jamais été intégrées, dont on ne s’est jamais préoccupé. Ces laissées-pour-compte de l’intégration avaient pour seul moyen d’expression leur langue vernaculaire. L’auteure, enseignante, insiste sur l’importance de la langue dans l’éducation, l’instruction et l’intégration. L’intégration qui n’est pas facile non plus pour les enfants nés en France qui souvent ne parlent plus que la langue apprise à l’école et éprouvent des difficultés pour communiquer avec leurs parents accentuant ainsi le décalage générationnel déjà fortement impacté par la migration et le mélange des populations.

Il faut aussi faire face au racisme, au rejet, à la stigmatisation, au sentiment d’usurper une place qui n’est pas la sienne. Et, quand, comme Hannah, on rêve d’absolu, d’un monde idéal évoqué par les montagnes de livres qu’elle a ingurgitées, le dérapage peut survenir. Faut-il accepter tout ce que les décideurs, les penseurs, la hiérarchie, … cherchent à imposer, ne faut-il pas se dresser pour exiger un monde meilleur comme un mineur se dresse pour avoir un meilleur sort ?

Ainsi ce livre n’est pas seulement un roman social qui rapporte et réclame, c’est aussi un livre militant, idéaliste, une réflexion politico-philosophique sur le rôle de l’individu dans la société construit à travers des tableaux, des scènes, des récits d’événements, de drames, de joies, de déceptions, …, autour du fil rouge de son interrogatoire au commissariat de police. C’est un document qui montre comment elle s’est construite, comment quantité de jeunes enfants d’immigrés se sont construits et ont cherché leur chemin dans cette nation que leurs parents ne connaissaient pas. C’est ainsi un véritable document que les historiens pourront consulter quand ils étudieront cet épisode de l’histoire de France et des pays qui lui on fourni la main d’œuvre nécessaire à son redressement après les énormes destructions de la guerre.

Un roman d’une grande richesse documentaire, un texte très littéraire, une construction originale et surtout une conviction d’un militantisme indéfectible.

Le livre sur le site de Decitre.fr


EN AVANT, LES ADVERBES ! – P, Q, R

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P

Pacifiquement, immerger la hache de mer.

Parallèlement, joindre les deux bouts en tirant sur sa fin.

Parcimonieusement, poser deux mots sur le papier pour un poème minimaliste.

Paresseusement, cueillir un aphorisme confit dans un champ de bonbons mots.

Partiellement, réussir son examen d’embauche pour un job à mi-temps.

Parfois, parfaire l’amour.

Partout, remettre l’état des lieux à l’ordre du jour.

Passionnément, se foutre de l’amour fou.

Paternellement, limiter l’extension du domaine de l’enfance à tous les âges.

Pathologiquement, déposer son bilan de santé sur la table de dissection.

Patiemment, retirer les marrons glacés avec la langue de feu.

Pécuniairement, amasser de l’art jean pour le spectacle de Corinne.

Pensivement, donner à manger aux oiseaux dans la lune.

Perfidement, cacher l’énigme du secret au coeur du mystère.

Périodiquement, perdre ses règles de conduite.

Pernicieusement, placer un caillou de marche dans le chausson de la sieste.

Perpendiculairement, prendre la tangente au rayon d’action.

Personnellement, militer pour l’indistinction de nos existences.

Peut-être, asseoir son pouvoir sur une chaise à bascule.

Pieusement, invoquer le dieu des nombres lors d’un office oulipien.

Piteusement, entrer dans la bataille de fleurs avec un bouquet artificiel.

Piteusement, sortir de la prise de mains les pieds en éventail.

Placidement, ne pas ciller du regard lors d’une attaque d’yeux.

Plaisamment, adresser un vent léger au marchand de printemps.

Platement, retomber sur les pattes du canard.

Pleinement, peiner.

Pléonastiquement, couper le goût de la mer avec de la fleur de sel.

Poliment, remercier l’ogre avant qu’il fasse de vous une bouchée.

Pompeusement, inclure son écriture dans un programme grammatical.

Posément, arrêter sa ligne de conduite pour faire le point.

Positivement, nier les traits de désunion.

Postérieurement, demander un droit de regard sur son passé oculaire.

Pourtant, écou(r)ter Aznavour.

Poussivement, charger la bête de somme d’une suite de Cauchy dans un espace métrique.

Pratiquement, recycler ses roues de vélo.

Précipitamment, se jeter dans les brasses avant de savoir crawler.

Précieusement, garder ses boutons d’or fermés.

Précocement, se démonter avant le clou du spectacle.

Présomptueusement, corriger une virgule à la phrase de l’auteur culte.

Presque, presser la détente.

Prestement, jeter trois notes sur le pavé musical pour faire pousser un accord.

Prétentieusement, prendre son nombril pour un œil-de-bœuf.

Préventivement, jeter les bases de discussion au rebut du débat.

Prioritairement, s’engager dans l’impasse.

Prodigieusement, tourner l’adage dans le sens des aiguilles d’un conte.

Profitablement, remuer le couteau du capitalisme dans la plèbe.

Proprement, laver ses doutes avec un savon sûr.

Proprement, ramasser les miettes du plaisir après avoir déchargé son pain.

Provisoirement, renoncer à ses rêves d’immortalité.

Prudemment, céder le passage au feu de Dieu pour regarder passer un ange

Prudemment, voter à gauche pour continuer à vivre chichement.

Puis, puiser la suite de la phrase…

Psychanalytiquement, s’allonger sur le divan sans retirer son transfert.

Pudiquement, affaler ses voiles pour naviguer à vue.

Puérilement, taper des pieds de bois pour obtenir le bon pieu.

Pusillanimement, accrocher une étoile naine à un ciel de lit d’enfant.

Q

Quatrièmement, tenter le triolisme

Quasiment, sortir du champ en emportant le cadre.

Quatorzièmement, fêter les juilletistes.

Quelquefois, créer du lien dans un sac de noeuds.

Quelque part, faire son déni.

Quinzièmement, jouer une partie de rugby.

R

Rapidement, passer à la lenteur supérieure.

Rarement, trouver à relire.

Rationnellement, se voir plus faux qu’en vérité on a été.

Réglementairement, porter ses cheveux blancs à la décharge de couleurs.

Régulièrement, se remettre à l’heure pour rattraper le temps perdu.

Religieusement, se fondre dans le paysage clérical pour passer inaperçu de Dieu.

Rétrospectivement, reconnaître ses défauts de procrastination.

Réellement, croire à l’irréalité.

Rêveusement, donner à voir à une étoile.

Révolutionnairement, retourner la situation sur la tête d’un situationniste.

Ridiculement, se rouler en boule au passage d’un avion en papier.

Rigoureusement, tenir le mot droit dans un aphorisme bancal.

Rituellement, se déguiser en encensoir pour gagner sa place près de l’autel.

Rondement, renaître de ses centres après avoir fait le tour de soi.

Royalement, se payer l’oeuvre d’un écrivain révolutionnaire.

Rudement, frapper un grand clou avec le manche du marteau.



LA CONQUÊTE DE PLASSANS d’EMILE ZOLA (Le Livre de poche) / Une lecture de Jean-Pierre LEGRAND

La Conquête de Plassans


La conquête de Plassans est le quatrième volet de l’épopée des Rougon-Macquart. Il est l’un des moins lus de la série.

Pour ce volume, Zola a décidé de revenir à Plassans, lieu imaginaire inspiré d’Aix en Provence, la ville de sa jeunesse. C’est à Plassans que tout a commencé. Petits marchands d’huile, Pierre et Félicité Rougon-Puech ont habilement suivi les conseils de leur fils aîné Eugène, avocat et agent secret du prince-président. Ils ont suscité dans leur ville un courant bonapartiste qui triomphe lors du coup d’État du 2 décembre 1851 installant le Second Empire.

Le présent épisode de la saga s’ouvre dans la sérénité. Nous sommes en 1857, chez Marthe, la fille de Pierre et Félicité. Elle a épousé son cousin germain François Mouret issu de la banche bâtarde des Macquart.  La soirée est déjà avancée. Marthe et ses enfants attendent le retour du mari parti depuis  le matin pour affaires et pour rendre visite à leur aïeule, la grand-mère Adélaïde Fouque, enfermée dans un asile d’aliénés.

François rentre enfin. La famille va commencer son repas dans la paix du soir quand la vielle servante, Rose, annonce une visite. Il s’agit de l’abbé Ovide Faujas accompagné de sa mère . Dans l’après-midi, sans rien en dire à son épouse, François leur a loué le second étage de la maison familiale. L’abbé entre donc, sa haute figure noire faisant « comme une tache de deuil sur la gaité du mur blanchi à la chaux ».

Qui est cet abbé ? Que vient-il faire à Plassans ?

Ce roman surprend par l’originalité de sa facture et de sa conception. Rompant (un peu) avec la posture de l’auteur omniscient et la manie du commentaire, Zola multiplie les dialogues entre les divers personnages :  quelques détails, des bribes d’informations échappées comme par mégarde , dissipent peu à peu l’opacité de l’intrigue. De cette manière habilement oblique, nous comprenons que Plassans est au centre d’un enjeu politique. Lors des récentes élections générales qui ont suivi le coup d’État, une alliance contre-nature ourdie par François Mouret entre les républicains et les légitimistes a permis l’élection à la députation d’un royaliste notoire. Intriguant et d’une noire ambition, l’abbé Faujas mystérieusement téléguidé depuis Paris, est chargé de réconcilier les forces conservatrices et de ramener Plassans au gouvernement impérial. S’emparant de l’esprit de Marthe, tel une hydre, le prêtre va étendre son pouvoir sur toute la ville.

Remarquable également est la géographie socio-politique de la ville imaginée par Zola. Plassans est divisée en trois quartiers distincts : le vieux quartier habité par un petit peuple qui ne compte guère, le quartier Saint-Marc où réside la noblesse recroquevillée sur sa grandeur passée  et enfin la Ville neuve, un quartier d’avenir qui se bâtit autour de la sous-préfecture, « le seul possible, le seul convenable… » A cette tripartition se juxtapose la réalité politique : le coup d’État a réussi parce que la ville est conservatrice. Mais, avant tout, elle est légitimiste et orléaniste.
Presque toute la progression du roman se structure à partir du point focal à la fois politique et géographique occupé par François Mouret. Artisan de l’éviction du candidat bonapartiste, sorte de François Bayrou avant l’heure, Mouret campe physiquement sur une position centrale : sa maison est à la jonction du quartier Saint-Marc et de la Ville neuve qu’elle surplombe tandis que son jardin s’ouvre d’un côté sur le parc de la sous-préfecture et, de l’autre, sur les jardins des Rastoil, tête de pont du parti légitimiste. Tout se passe comme si la difficile réorganisation politique de la ville et donc sa reconquête, passait par la conquête préalable autant physique que morale de la « maison Mouret ». Cette progression de l’action romanesque dictée par le quadrillage de l’espace est une trouvaille.
On retrouvera ce procédé bien plus tard sous une forme plus complexe chez Michel Butor dont le beau roman L’Emploi du temps se passe lui aussi dans une ville imaginaire dont la structure étrange s’imprime dans le cours des événements.

La sourde cabale menée par l’abbé Faujas est l’occasion pour Zola de nouer sa fibre anticléricale à son fond misogyne. On parle bien peu de Dieu dans cette Église dont les prêtres sont obsédés par une volonté de puissance et d’emprise. Le pouvoir perdu dans les soubresauts de l’histoire, c’est par les femmes – redoutées et méprisées – qu’il se regagnera.

Emile Zola (1840 - 1902) – série de podcasts à écouter – France Culture
Emile Zola (1840-1902)


Comme nombre de personnages féminins du cycle des Rougon-Macquart, Marthe est d’une nature nerveuse – entendre hystérique – qu’une sexualité refoulée taraude et ne demande qu’à être sublimée en délire religieux. « Elle vivait dans une grande douceur. (…) Les approches de la foi étaient pour elle une jouissance exquise ; elle glissait à la dévotion, lentement, sans secousse ; elle s’y berçait, s’y endormait  charmée par cette vague odeur d’encens qui se dégage de la soutane du prêtre ». Sorte de Sulamite de province, Marthe se consume d’amour : « Elle souffrait trop, elle se mourait, et il lui fallait venir prendre la nourriture de sa passion, se blottir dans les chuchotements des confessionnaux, se courber sous le frisson puissant des orgues, s’évanouir dans le spasme de la communion » Bientôt, certaines nuits, des crises nerveuses la prennent durant lesquelles elle se martyrise. L’adoration équivoque qu’a su lui inspirer Faujas se tourne en haine contre son mari. Insidieusement, elle suscite puis laisse courir le bruit que François, devenu fou, la bat. C’est lui qui sera interné. Ce comportement retors et pervers peut sembler un rien « too much ». Et pourtant… Zola s’est inspiré d’un fait divers réel et quasi identique. Ceci souligne, s’il le fallait, les rapports ambigus qu’entretiennent  la vraisemblance romanesque et la réalité dans sa véracité supposée. C’est sans doute Mark Twain qui a raison lorsqu’il affirme que « La réalité dépasse la fiction, car la fiction doit contenir la vraisemblance, mais non pas la réalité »

Le roman se termine dans une apothéose quasi wagnérienne et très sombre : le mal ne succombe qu’en apparence ; les forces obscures triomphent.

Ce roman de Zola m’a semblé moins « fabriqué » que les autres. Il doit davantage au propre vécu de l’auteur qu’à la collecte journalistique d’informations, préalable de nombre de ses œuvres. Son style efficace mais qui ne rechigne pas aux morceaux de bravoure, emporte le lecteur qui, à l’époque plus encore qu’à la nôtre, dut être ébloui par le sens du découpage de la dramaturgie zolienne. Toutefois, une vision simpliste de l’hérédité et la visée programmatique de son projet romanesque aboutissent à des personnages surdéterminés. Ainsi, d’un coup d’œil, le (trop) diabolique abbé Faujas pénètre l’être profond de Marthe : « (…) il croyait deviner d’anciens combats dans cette nature nerveuse , apaisée aux approches de la quarantaine . Et il s’imaginait ce drame, cette femme et ce mari parents de visage, que toutes leurs connaissances jugeaient faits l’un pour l’autre, tandis que, au fond de leur être, le levain de la bâtardise, la querelle des sangs mêlés et toujours révoltés, irritaient l’antagonisme de deux tempéraments différents ». Ces lignes sont l’exacte traduction des prémisses érigés par Zola au rang de loi universelle : « l’homme est régi par une série de lois physiologiques et intellectuelles qui agissent sous la double influence de son hérédité et du milieu dans lequel il vit ».

Reste un intérêt qui frôlerait l’anachronisme s’il n’avait été relancé dans les années 50 par l’historien et politologue René Rémond dont la thèse des trois droites est reprise à nouveaux frais à chaque campagne présidentielle depuis 15 ans, la dernière ne faisant pas exception. Depuis le XIXème siècle jusqu’à nos jours, la droite serait fractionnée en un bonapartisme autoritaire, un orléanisme libéral et un courant légitimiste qui rejette les acquis de la Révolution française et attend qu’on en finisse enfin avec les Droits de l’Homme. Si ce n’est pas le lieu ici de remplir ces cases, il est plaisant de noter que cette grille de lecture de l’actualité politique reste partagée par l’ensemble des commentateurs français, symptôme d’un rapport au passé que nous avons parfois du mal à comprendre nous qui sommes le plus souvent amnésiques de notre histoire.

Le roman sur le site du Livre de poche

PROSES SOUFFLÉES (101-120) / Éric ALLARD

Aujourd’hui-01, Mixte sur papier – 16x24cm, Claire MÉRIEL, 2018

101.

Mes pas rétrécissent, j’écourte la marche avant le signal du départ. Mon cheval grandit, il prend la place du galop, sa crinière recouvre la tête de la course et je dois réfréner mes projets de victoire pour ne pas dépasser le mur du songe.


102.

L’encre se détache du ciel pour colorer les pierres des palais. Elle garde de la lumière la faculté d’écrire sur les ombres la calligraphie du soleil. Puis elle s’infiltre dans la nuit pour dessiner les contours incertains du rêve qu’on imprimera sur l’aube.


103.

Pour simplifier le tableau, il faut clarifier les poses, allonger le modèle nu sur un tapis de roses. Frapper à la porte du peintre pour faire entrer la lumière. Déposer délicatement les ombres. Ne pas oublier d’arroser la composition après avoir caressé les chairs.


104.

Cette région du monde regorgeait d’écrivains assassins : c’était un coupe-gorge. Pour les assagir, on leur octroyait des prix, des prix sans fin. Malgré cela, ils continuaient de sévir, de ruiner des pans entiers de la littérature. *


105.

Je me suis endormi au soir sur ton cou. Au matin, j’étais au plus bas, sur la pointe de tes pieds. Toute la journée, j’ai tenté de remonter la pente : impossible d’escalader un seul mètre. À la fin du jour, tu t’es allongée : j’ai bondi sur tes lèvres.


106.

Elle transporte l’idée de la neige, la nuit. Chaque bonhomme de rêve a le coeur dur comme la glace. A pierre fendre, il gèle sur les peaux des statues. Et le sel qu’on verse sur les routes pour conduire la lumière sert à cicatriser les blessures de l’aube.


107.

Partager son souffle sans retenir sa respiration. Marcher à demi-mots vers la clairière d’un poème. Escalader un murmure par le versant du silence. Mordre la poussière, embrasser la terre, arroser la rose des vents. Rester sensible à un sourire.


108.

Je me méfie de l’âge. Dans la lumière, le temps n’existe pas et l’ombre ne laisse pas de trace. J’ensable mes morts dans l’allée de la mer. Le moment où les oiseaux picorent mes rêves est venu. La nuit dort sur un trésor de lumière. Mon sommeil me ressemble.


109.

Je m’arrange avec la goutte de pluie pour obtenir un rendez-vous avec un nuage. Le soleil observe de haut mes palabres. Il serait bien capable d’intervenir pour que je n’exauce pas mon rêve : m’entretenir avec un représentant de la masse nuageuse sur l’état du ciel.


110.

Pour faire la nuit, on avait mis le rêve devant la fenêtre. Sur le dos, allongé, je voyais le ventre blanc de la lune bomber le rideau. Du linge pendait sur le fil de l’horizon. Une femme coupa mon sommeil avec de la lumière pour que je dorme clairement.



Anne-Luisa-8, Mixte sur papier, 15×19 cm, Claire MÉRIEL, 2016

111.

Avec la fourche de tes jambes, j’ai ramassé le foin du désir. Mes vaches ont meuglé de plaisir. À mon chien astral, j’ai donné l’os du soleil à ronger. Dans la grange aux souvenirs, je retourne souvent dormir. Je rêve de fenaison en broutant la nuit.



112.

À l’ombre du cheval, l’éclair d’un galop. Et l’espoir dans sa crinière. Chevaucher l’essentiel n’empêche pas d’attraper l’accessoire au lasso. Le doute retient la certitude à l’écurie, le temps de débrider le hasard. Je cravache ma monture pour voir plus loin.


113.

Dans mes rêves je me noie quand la nuit manque de sel. Et que pour mourir il n’y pas assez de ténèbres dans l’air. Le blé est salace, il crie plus que de raison quand on le bat. Quand la lumière s’allonge sur la terre, il est trop tard pour émerger.


114.

Je relis l’histoire du cygne et du serpent. La grâce et la fourberie, l’étang et l’été, leurs amours et leur mort. Lors de leur incinération, le peuple des reptiles et celui des palmipèdes étaient présents. Sous la cendre des plumes et des écailles, tout le feu d’un baiser brûlant.


115.

Je t’ai jetée avant que tu reprennes tes habitudes de m’aimer. Dans la corbeille, tu as souri et j’ai sauvé ton sourire de l’oubli. De l’enfer de la décharge, tu me mépriseras, à raison, car je vaux moins qu’une rognure d’ongle du mendiant qui te sortiras de l’immonde.


116.

Ma nuit ne vaut pas ta nuit et je ne compte pas les étoiles qui nous séparent. Sur ta peau je franchis des distances astrales. Sur le boulier compteur du rêve, je calcule la profondeur de mon inconscient. Je retiens ton souffle pour mesurer la longueur d’un baiser.


117.

Dans les fonds bleus mes tympans plongent. Ils raclent le son de la piscine. Mes antennes songent à émonder le chêne hurleur. Des branches de bruit tombent dans une flaque de silence. Je remonte à la surface pour aspirer un cri.


118.

Elle parle aux portes et aux fenêtres. Elle ignore les murs.  Elle manque de respect aux poutres et aux solives. Elle pisse dans les gouttières. Elle a une dette de coeur envers les jardins pour avoir trop aimé les fleurs.


119.

Je rends à l’ordre établi le chaos de ta peau. Je tends à la main serrée une poignée de doigts bleus. En nageant vers le tendre, je bois les bras nus d’un sauveteur. Nulle embarcation ne m’empêchera de faire le coup de poing avec la mer ni de prendre langue avec la flamme.


120.

De l’aube tombe sur mes genoux pendant que l’arbre ronfle et que les pierres se reposent. Une histoire du bruit a commencé il y deux cents silences. Il faut songer à refermer les portes de l’enfance avant d’appeler les étoiles à témoigner contre la nuit meurtrière.



Anna-Luisa-14, Mixte sur papier, 15X19 cm, Claire MÉRIEL, 2016

Découvrir le site de CLAIRE MÉRIEL, dessins et peintures

Une trentaine d’ouvres de CLAIRE MÉRIEL sur KAZoART



2022 – PREMIERES LECTURES : DERNIER COMBAT / La chronique de Denis BILLAMBOZ

DENIS BILLAMBOZ

Je vous propose aujourd’hui deux livres très poignants, deux livres écrits par des auteurs qui racontent le dernier combat de celle qui est leur épouse, c’est sûr pour Gérard HADDAD et son Antonietta, ça l’est moins pour Jean-louis VANHERWEGHEM et Michèle, je n’ai pas pu m’en convaincre à la lecture de son texte.

Les deux auteurs sont tous les deux des médecins très confirmés, ils connaissent très bien le mal dont souffre leurs épouses respectives, ils peuvent suivre l’évolution de leur maladie mais ils restent avant tout des maris qui se battent, impuissants, aux côtés de leur conjointe.


Antonietta

Gérard Haddad

Editions du Rocher

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Un beau jour, rentrant de courses les mains encombrés de paquets, Gérard Haddad est accueilli, à sa grande surprise, bien peu chaleureusement par son épouse :

« Va-t’en ! Va-t’en ! Et ne remets plus les pieds ici ! C’est fini ! Je ne veux plus te revoir ! »

« Ca fait trois nuits que tu découches ! Trois jours que je ne te vois pas ! »

Il ne comprend rien, il venait juste de la quitter en sortant de chez le médecin pour acheter les médicaments prescrits à la pharmacie. Il ne le savait pas encore mais le mal sournois venait de dévoiler ses premiers symptômes. Bientôt, il saurait mettre un nom sur cette maladie dégénérative qui allait emporter sa femme après une longue et cruelle agonie

Dans ce récit Gérard Haddad raconte cette agonie, cette descente aux enfers, une descente qui n’est pas linéaire mais au contraire remplie de périodes de rémission, d’espoir de guérison, d’espaces de paix et de quiétude. Des épisodes de calme entrecoupés, hélas, de crises parfois très cruelles, toujours avilissantes et souvent très difficiles à gérer. Il adresse ce livre à sa femme sous la forme d’un merci pour ce qu’elle a fait et a été pour lui et sous la forme d’une demande de pardon pour tout ce qu’il lui a fait. Le sous-titre du livre, « Lettres à ma disparue », évoque clairement sa forme et tout aussi clairement son contenu.

Il a commencé son récit alors que le mal était déjà tapi au fond des chairs et des organes d’Antonietta mais pas encore très perceptible. Il introduit ses épitres par des éloges qu’il adresse à sa femme qu’il n’a pas toujours respecté comme il l’aurait dû. Ce récit s’articule autour des aléas de la santé d’Antonietta mais plus encore autour des nombreux voyages qu’ils ont entrepris tout d’abord pour visiter leurs parents et amis restés dans leur pays d’origine respectif : la Vénétie pour elle, la Tunisie pour lui et puis pour des congrès ou des vacances plus ou moins culturelles. Il relate avec beaucoup de précision les rencontres, les découvertes et hélas les accidents de santé d’Antonietta.

Il raconte aussi leur jeunesse, leur rencontre, leur vie de couple parfois un peu agitée mais toujours très riche et très soudée malgré quelques écarts de sa part, l’écriture qu’il partage, elle s’activant surtout pour la dactylographie que lui ne maitrise pas. Et puis, viennent les temps difficiles, le temps du handicap de plus en plus lourd de plus en plus invalidant, le temps des séjours hospitaliers de plus en plus sinistres, le temps de l’hospitalisation à domicile avec des personnels très dévoués et pourtant loin de la famille et même de la France. Le handicap qui fait fuir dramatiquement certains amis et même certains de leurs enfants. Le temps des déception et le temps des nouveaux amis, des personnes de grand cœur.

Et puis vient le temps de la fin de vie, du décès, des obsèques et enfin de la solitude qu’il faut affronter en attendant sa propre fin. Toute une vie à deux concentrer dans ce livre plein d’amour mais pas seulement car il recèle beaucoup d’empathie, de tendresse, de complicité et aussi d’amitié et de respect pour les autres malgré les déceptions et les défections à endurer.

Le livre sur le site des Editions du Rocher


ARDS

Jean-Louis Vanherweghem

M.E.O.

Ards - Jean-Louis Vanherweghem - Meo - Grand format - Le Hall du Livre NANCY

L’ARDS est l’acronyme anglo-saxon équivalent en français de SRAS qui signifie : syndrome respiratoire aigu sévère. Jean-Louis Vanherweghem, spécialiste en médecine interne et néphrologie, professeur émérite de l’Université libre de Bruxelles, ex-doyen de la Faculté et recteur de l’Université toujours à Bruxelles, a écrit ce court récit pour raconter les dix-sept jours passés par Michèle, l’épouse du narrateur, dans les services de soins intensifs de l’Hôpital universitaire de cette même ville. Je ne sais pas si l’auteur et le narrateur sont confondus dans le même personnage, le texte ne permet pas d’en juger.

Affectée depuis un certain temps par des douleurs d’origine apparemment liées au nerf sciatique, Michèle souffre terriblement, elle doit prendre régulièrement des médicaments de plus en plus forts : corticoïdes, dérivés de la morphine, etc. Lors d’une dernière crise, son mari, le narrateur, décide d’augmenter encore la dose et d’emmener son épouse dans le sud de la France, à Fontvieille, pour changer d’air, se reposer et se détendre en essayant d’oublier la douleur sous l’effet de l’augmentation des doses médicamenteuses. Mais, une nuit après une belle soirée passée au restaurant sous un ciel étoilé, Michèle est prise de violentes douleurs à l’abdomen.

De retour en Belgique, un matin, son mari ne peut la réveiller, elle est dans le coma, elle est hospitalisée et soignée par les meilleurs praticiens de la ville qui diagnostiquent un choc septique des suites d’une occlusion du côlon qu’elle a trop long. Les antidouleurs ont occulté les douleurs abdominales qui auraient dû alerter la patiente et son entourage. Dès lors la course est engagée entre l’infection qui détruit ses poumons et les soins que lui prodiguent les médecins. Son mari est là tous les jours à son chevet, il dialogue avec les soignants, les guide, les stimule, les écoute et parfois refuse de les entendre.

Cette lutte dure dix-sept jours, pendant lesquels le trio patient, soignants, conjoint se soutiennent, se confrontent, s’affrontent dans un combat mortifère tout en sachant que le conjoint est, par sa formation et les relations qu’il entretient avec le corps médical, en même temps soignant et conjoint. Ce court récit expose avec précision et empathie les soins que doivent subir les patients atteints du SRAS, ils sont les mêmes que ceux reçus par les malades atteints d’une forme grave de la Covid 19. Il montre également comment la tragédie se noue très rapidement autour d’un malade souffrant de cette affection.

Dans ce texte, l’auteur met aussi en évidence un sujet qu’il a déjà exploré dans d’autres ouvrages : la confrontation du point de vue de la personne qui cherche à oublier sa douleur et de son entourage avec celui de la médecine qui cherche plutôt à éradiquer les origines du mal pour le vaincre définitivement. Une mécompréhension qui peut entraver des traitements nécessaires et même indispensables à la guérison du patient, une incompréhension qui démontre la nécessité d’un meilleur dialogue malade-soignant.

Ce petit livre très documenté et très précis peut apporter à chacun un éclairage à méditer au moment où la pandémie sévit violemment sur nos territoires.

Le livre sur le site des Editions M.E.O.


ARDS de JEAN-LOUIS VANHERWEGHEM (M.E.O.) / Une lecture d’Éric ALLARD

Livre : ARDS : récit écrit par Jean-Louis Vanherweghem - M.E.O.

Le 9 août 2018 au matin, Jean-Louis Vanherweghem découvre sa femme inconsciente à côté de lui, « sa respiration profonde encombrée de râles humides ». Il appelle l’aide médicale urgente.

Le narrateur de ce poignant récit, qui se déroule sur dix-huit jours, n’est pas que le mari d’une patiente atteinte d’un ARDS – syndrome de détresse respiratoire (dont quelques mois plus tard de nombreux patients seront atteints pendant l’épidémie de Covid) -, il est, entre autres, médecin spécialiste et professeur de néphrologie à la retraite. Il a aussi été doyen de la faculté de médecine de l’ULB.

Tout au long de la chronique de l’évolution de la maladie de son épouse, jusqu’à l’issue fatale, il sera tiraillé entre sa raison de médecin et ses craintes et attentes de mari, au bord du désespoir à l’idée que la science médicale, dont il a suivi les progrès durant les cinquante dernières années, ne peut pas sauver sa femme. Le conflit intérieur opposera « le médecin, qui ne peut pas ignorer et le mari qui préférerait ne pas savoir ».

Durant ses relations avec le personnel médical ou soignant, qui plus est dans l’hôpital universitaire où il a exercé des fonctions importantes et où l’épouse sera transférée, il se demande s’il doit faire jouer ses relations, faire valoir son ancienne autorité et son passé d’homme influent pour obtenir des traitements de faveur, ce à quoi son éthique personnelle ne lui a jamais permis..

Quand il se résout à le faire, pour le bien, il va sans dire, de son épouse, il faut constater que cela n’apporte pas de plus car le personnel médical est de toute façon animé d’une volonté de soigner dans l’intérêt du patient. Tout au plus se rassure-t-il sur les diagnostics établis et les traitements suivis.


Conférenciers : Jean-Louis VANHERWEGHEM – lacademie.tv
Jean-Louis Vanherweghem

Au fil des jours, entre statu quo, régression ou progression de l’état de santé de la malade, le narrateur rend compte en termes techniques, expliqués en notes de bas de page bienvenues, des pathologies que le corps atteint accumule. Pour les profanes, le compte rendu journalier permet de se faire une bonne idée du fonctionnement du corps humain où une défaillance dans le mécanisme peut entraîner très vite le dérèglement en cascade des parties de l’ensemble, et cela n’est pas l’aspect le moins édifiant du livre.

Ce récit dessine aussi le portrait d’une femme rencontrée cinquante-cinq ans plus tôt par le narrateur dans le milieu universitaire, éprise de théâtre, mais aussi de littérature et de cinéma, passionnée et cocasse, qui sera animée sa vie durant d’une joie de vivre communicative.

La relation, écrite durant le confinement, fait aussi écho à la souffrance des patients mis sous respirateur artificiel pendant la pandémie et à l’impossibilité pour les proches d’apporter un soutien affectifs aux malades en fin de vie et, surtout « au courage de tous les professionnel des unités de soins intensifs pour leur compétence, leur courage et leur dévouement ».

Ce livre qui répond à la nécessité pour un homme de témoigner d’un épisode dramatique de son existence avec son regard de médecin se révèle riche d’humanité et d’enseignements.


Jean-Louis Vanherweghem, ARDS, Ed. M.E.O., 2021, 72 p., 10€

L’ouvrage sur le site des Editions M.E.O.

Jean-Louis VANHERWEGHEM a déjà publié chez M.E.O., dans la collection « Musée de la Médecine« , Les médecins de Molière au chevet de Louis XIV, « une truculente étude historique sur le témoignage que nous ont laissé au jour le jour les « premiers médecins » du Roi-Soleil ».

ENCRES LITTORALES de Philippe REMY-WILKIN (Lamiroy) / Une lecture d’Éric ALLARD

Encres littorales #217

Un écrivain, Nathan, piste d’un musée à l’autre du littoral belge une jeune femme qu’il a rencontrée à la gare de Gand, « L’Agneau mystique de Van Eyck et un vague projet de roman policier [l’] avaient attiré. »

Dans un récit alternant les passages écrits à la troisième personne et ceux narrés à la première. on suit le parcours et la pensée erratiques de l’écrivain happé par une rencontre prodigieuse, qui mobilise toutes ses forces et secoue son imagination…

« C’est ELLE, cette fille-là, ELLE et aucune autre… […]

Au début, il y a l’éblouissement physique ! Qui a à voir avec l’intrinsèque ou avec l’expérience personnelle, une chaîne de correspondances ? ELLE, ainsi, me renvoie à une image ancienne, un choc électrique. »

En circonscrivant un lieu, le littoral belge, représentatif de l’histoire nationale, ce texte dense, riche de multiples références culturelles, fait de ce lieu singulier un condensé d’histoires, personnelle et publique. Au fil de ses déplacements pour retrouver la jeune femme, qui lui apparaît pour aussitôt disparaître, Nathan, plonge dans son passé propre comme dans celui de la Belgique pour, enfin, retourner à La Panne, la station balnéaire d’origine des deux antériorités, après un périple qui tient du vertige.

« La mer. dans le train qui me ramène à la Côte belge, et, qui sait ?, vers mon destin, j’assimile celle-ci à une mise en abyme de la Belgique. Ou une métaphore de son identité ? Une bande littorale très effilée de 70 kilomètres entre la France et la Hollande, le Plat pays, le vrai… »

Un fait d’histoire nous rappelle que c’est à La Panne que le premier roi des Belges a fait son entrée en Belgique, via Dunkerke où il avait débarqué en provenance d’Angleterre. 

« La Panne, ancre littorale ? De la nef de notre belgité ? »

Soumis au chaud et au froid de ses aventures spatio-temporelles, la peau de Nathan est régulièrement prise de frissons, de picotements, signe d’une fièvre intérieure, voire d’un trouble physique ou mental, qui fait évidemment signe vers les sueurs froides hitchkockiennes, citées par ailleurs dans le texte.

À plus d’une confidence du narrateur, on comprend qu’il revit avec cette jeune femme fabuleuse, aussitôt retrouvée que perdue, une histoire ancienne, problématique, irrésolue et fondatrice, à l’écart d’une mère trop protectrice… La mer également omniprésente, sur le plan spatio-temporel, mais comme regardée de loin, tenue à distance respectueuse (Nathan n’est jamais mis en scène sur la plage, a fortiori dans la mer), semble faire écho à ses premières amours… En parcourant le littoral belge de long en large, c’est l’imaginaire maritime qui est favorisé via notamment les peintres et les écrivains flamands ou d’inspiration flamande qui en ont fait le moteur de leurs oeuvres (Permeke, Spilliaert, Rodenbach…).

Au terme de la quête de Nathan, on comprend que son récit originel avait besoin de se ressourcer là, à la Mer, pour pouvoir poursuivre son écoulement narratif…

 » La vie est une parenthèse ouverte sur l’océan de la mort, perçoit-il, qui n’est jamais qu’une autre vie, plus large. Pour l’enchanter, songera-t-il un jour, il faut aux frêles esquifs humains une anse, à l’abri des récifs et des vents, une ancre et un récit où s’amarrer.  »

Dans la collection toujours surprenante des Opuscules des Editions Lamiroy, Philippe Remy-Wilkin donne un récit qui joue habilement sur toutes les cordes de la narration en proposant plusieurs niveaux de lecture pour nous entraîner à sa suite au cœur d’un texte troublant qui explore les abysses de la psyché comme de la création artistique.


Philippe Remy-Wilkin, Encres Littorales, Ed. Lamiroy, 2021, 4 € / 2€ en format numérique.

L’ouvrage sur le site des Editions LAMIROY

Le site de Philippe REMY-WILKIN


LA FABRIQUE DES MÉTIERS – 105. DÉMONTE-PENTE

Prix toiture : quel budget prévoir pour refaire/réparer le toit ?

Quand vous avez passé une bonne pente, vous n’en voyez plus l’usage et c’est ce qui vous distingue de l’animal bêta.

La limace qui a franchi un dénivelé, l’éléphant qui s’est tapé une longue inclinaison, la chatte montée sur un toit glissant n’a que faire de la déclivité passée : iel trace, iel barrit, iel miaule, iel se lance à toutes trompes sur le velours de l’avenir. Sans être désobligeant, il va sans gémir, avec la gent animale, qu’on aime dorloter, papouiller, déglutir lentement avec une salade bio bien assaisonnée.

Pour économiser des obliques, gagner des amplitudes d’angles, repliez les pentes derrière-vous et ne vous (dé)pensez plus qu’à l’horizontale ! Après une grimpette, tirez l’échelle, renversez l’escabelle, remisez à la cave le piédestal en or massif !

Soyez décroissant, (immuno-)déficient, déhiscent (comme les fruits du pavot et du tabac), réduisez vos escarpements, éliminez à mesure toute trace de vos changements d’altitude, enlevez la rampe du progrès, tenez-vous au garde-fou de la rationalité : l’humanité qui court à sa perte en gâchant ses énergies ne vous en saura jamais gré !

Passez sur l’autre versant du mont des ânes en un saut à l’aile lascive !

Tant que vous êtes sur la bonne (char)pente, évitez les raidillons, n’approchez plus les corniches, nucléarisez vos désirs, réduisez vos vents et marées, diminuez vos consommations forestières à base de cons cerfs, détrompettez les musiques célestes, ravalez la salive de vos hanches de clarinette, n’avalez plus de croyances toutes blettes (préférez les religions crues !), vivotez, bécotez, repliez vos envies au placard de l’ennui !

Bief, usez des écluses pour naviguer à vue des cours d’eau en dévalant par paliers vers la mer étale plutôt que d’escalader les à-pics de l’existence au risque de laisser dans la vertigineuse ascension quelques côtes utiles !


2022 – PREMIÈRES LECTURES : LES VERS DU CHAT / La chronique de Denis BILLAMBOZ

DENIS BILLAMBOZ

Avec cette chronique, je voudrais adresser un clin d’œil en forme d’hommage à Marie Tafforeau qui a su en quelques années créer une maison d‘édition de qualité, Le Chat polaire, spécialisée dans la poésie de grande qualité. Elle a su dénicher des poétesse et poètes de très grand talent. J’ai déjà eu l’occasion de lire des vers de Isolde Kovalitchouk, Jean-Jacques Marimbert et, aujourd’hui, je vous propose des vers de Samantha Barendson et de Blanche Baudouin. A ce travail de détection et de promotion, Marie Tafforeau ajoute un excellent travail de mise en page et en valeur des vers de ses auteurs. Et, j’ai déjà d’autres recueils à lire … !


Americans don’t walk

Samantha Barendson

Le Chat polaire


Dans ce recueil Samantha Barendson propose un long poème en vers très courts, quelques mots seulement, une sorte d’Odyssée racontant une épopée routière au travers les Etats-Unis d’Amérique à bord d’un 4×4. Elle raconte le rêve formulé par son compagnon pour ses cinquante ans : rallier San Francisco depuis La Nouvelle-Orléans comme l’indique sa dédicace : « Pour Jean-Christophe Géminard qui a conduit plus de 3 000 miles de la Nouvelle-Orléans à San Francisco ». Cette épopée commence à l’aéroport de La Nouvelle-Orléans où les bagages arrivent en retard après avoir été ouverts et fouillés, j’ai connu cette même mésaventure lors d’un voyage à La Nouvelle-Orléans.

« Cadenas ouverts / à la pince coupante / ils ont fouillé / farfouillé / confisqué »

Avec ses vers comme des images, ses poèmes comme des vidéos miniatures ou des gifs, Samantha fait vivre l’Amérique qu’elle découvre, celle des touristes mais aussi celle, plus confidentielle, des road movies littéraires, celle de la ruée vers l’Ouest, celle où sont nés les grands mythes fondateur du Far West. Ils ont quitté La Nouvelle-Orléans et son quartier français, la Louisiane et ses cajuns…

« Arcadie / Arcadien / Acadien / Cadien / Cajun »

Ils ont laissé les Cajuns sous la bonne garde d’Evangeline, leur icône mythologique, ils sont partis vers l’Ouest en rejoignant la tout aussi mythique route 66 où l’esprit de Jack Kerouac flotte encore dans ce pays de cowboys, de sheriffs, de bandits et de héros :

« Calamity Jane … / Buffalo Bill … / Sitting Bull … / Bonanza… »

Photographie de la poétesse Samantha Barendson
Samantha Barendson

Traversant le Texas pour franchir les Rocheuses et leurs magnifiques sites naturels, jouer à Las Vegas, avant de rejoindre l’autre Amérique, celle de l’autre côte, celle du cinéma, des nouvelles technologies, du farniente, du soleil et des incendies gigantesques. Non sans avoir eu une pensée pour les grands sacrifiés du rêve américains : les premiers occupants de ce sol, les Amérindiens. Eux, ils connaissent le confinement sur leur réserve depuis 1637, pour la premiers.

« A Paris, Texas / il y a une tour Eiffel / avec un chapeau / de cow-boy »

Enfin arriver à San Francisco où

« Les fantômes de la Beat Generation sont là / entre les livres et les photos aux murs / un parfum de Ferlinghetti »

Un grand road trip de plus de trois mille miles pour découvrir l’Amérique où tout est trop grand, trop gros (surtout), hors dimension, l’Amérique qui nous a fait rêver pendant les Sixties mais aussi l’Amérique qui nous déçoit trop souvent maintenant. Samantha a su avec ses mots images faire naître ou renaître, pour ceux qui la connaissent déjà, cette Amérique qui vit trop si vite que « Les Américains ne marchent pas », partout on leur apporte de quoi surconsommer ou on les transporte sur les lieux de consommation

Et tout ça toujours sous la bénédiction de Dieu comme le rappelle la Bible toujours bien rangées dans la table de chevet de tous les hôtels …

« Holy Bible / dans le tiroir / de la table de nuit ».

Le recueil sur le site du Chat Polaire


Je te vous toi

Blanche Baudouin

Le chat polaire

Comme l’indique le titre, ce recueil est une variation sur le thème de certains pronoms personnels : JE, TE, VOUS, MOI et leurs déclinaisons. Des pronoms personnels que Blanche met en vers pour raconter une histoire d’amour qui commence avec JE, le moi de l’histoire, pour enchaîner avec le TE, l’autre que je rencontre, pour constituer avec le VOUS le couple vu par les autres. Et, l’histoire termine par TOI ou le tu de l’engendrement…

« je VOUS dis / j’ai envie de VOUS / VOUS me dites / j’ai envie de VOUS // café / non merci / pas de café / vite / l’addition / vite ».

Cette histoire est une suite de poèmes extrêmement minimalistes, l’un des pronoms cités (ou une ou plusieurs de ces déclinaisons) et deux ou trois autres mots souvent monosyllabiques pour exprimer l’attirance, le rapprochement, la réunion, …,

« TOI / TU / TOI /TU l’aimes aussi / moi / TU / moi / je l’aime / aussi ».

Des poèmes minimalistes allant de TU à VOUS des lèvres horizontales où se dépose le premier baiser aux lèvres verticales où se concrétisent l’union, la fusion, l’amour qui provoquera l’engendrement.

Blanche Baudouin

Ce recueil est complété par des illustrations en noir, masculin, et blanc, féminin, d’Albertine. De véritables épures représentant des scène d’accouplement fort pudiques qui évoquent l’amour, la fécondité, la maternité, la continuité, la pérennité, …, la vie qui continue mais aussi l’affection débordante et le plaisir orgasmique.

Ces poèmes, illustrés par ces dessins tout aussi minimalistes, sont d’une poésie d’une grande intensité, ils ne disent pas seulement, ils évoquent, provoquent, convoquent l’amour et le plaisir qui deviendront chair dans un nouvel épisode, sur une nouvelle page blanche.

« NOUS NOUS aimons / essentiellement / sur le blanc / de la page / à venir ».

En lisant ces jolis poèmes réduits au minimum si on considère le vocabulaire utilisé mais qui exprime tellement d’émotion et de sentiments, j’ai pensé à Ken Saro Wiwa, le Prix Nobel de littérature nigérian condamné à la pendaison et exécuté pour avoir participé à la rébellion de son ethnie contre celle qui la dominait sans pitié. Il a écrit Sozaboy, un livre magnifique sur les enfants soldats avec un vocabulaire extrêmement réduit et tout aussi élémentaire, et pourtant son livre est un chef d’œuvre que je place tout en haut de mon panthéon littéraire.

Le recueil sur le site du Chat Polaire


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