Des mots du poète, chacun saisit ce qui lui plaît : mais leur sens
ultime est de tendre vers Toi la main.
Tagore, in : De l’aube au crépuscule
Le titre de ce recueil résume à lui seul le dire du poète : que reste-t-il de l’essentiel si ce n’est des franges ? Existe-t-il encore une place pour l’homme dans un monde à la schizophrénie ambiante, un monde qui se gorge de batailles, traîtrises et massacres, un monde où l’élan et la force de l’amour laissent place aux délires de puissance ?
On retrouve, dans ces textes, les thèmes favoris de l’auteur : l’essentiel du vivre, l’humour, la tendresse, l’amour, l’écoute attentive, la misère de l’autre, l’admiration du spectacle qu’offre la nature, car le poète peint ses fleurs dans les failles de l’aube.
L’auteur est un amoureux des mots, chaque page est un nid de diamants, un graal des mots. Il ponce, élargit, virevolte, jongle avec les virgules qui sont les cigales de la phrase, ose réveiller les termes d’antan, si loin de nos textos souvent incompréhensibles : et si l’on faisait de nouveau danser cornegidouille, ventrebleu ? Mais toutcela s’en est allé, faisant place à un franglais de pacotille.
Au lieu de se perdre dans les réseaux sociaux, égouts de la République, dont il ne restera rien dans quelques décennies, au lieu d’honorer le dieu ordinateur et ses mails en pagaille, écrivons pour garder une trace. Quels seront les sédiments de tout ce fatras de phonétique, de cette bouillie d’anglicismes et d’écriture inclusi.ve ?
Que restera-t-il de nos langages dans les années à venir, alors que les dessins des cavernes ou ceux des pyramides ont survécu durant des millénaires, les volumes du codex, quelques siècles durant ?Médite, lecteur, surla dématérialisation de la pensée, sur l’évanescence de nos supports…
Même si écrire est parfois un sacrifice, l’amour s’y infiltre, infuse dans ses lunes d’insomnie ; la géographie d’un désir y déroule sa carte du Tendre. La vestale désormais hante mes nuits : feu de mes entrailles.
Ce recueil est une ode à l’écriture, au pouvoir des mots, à leur force : écris, écris mon frère, car écrire estune prière, c’est soulever un coin de la foi, jubilation et blessure secrète, c’est palper un pli de la robe christique.
Il est temps d’écailler les mots aux ombres indolentes : les mouettes chères au poète passent, elles scandent quelques jacqueries à la face des bourrasques, c’est le temps du rêve, de la semaison de tendresse. Tiens ! Voici la première abeille du matin, qui va goûter son pollen, car faire du miel n’est en rien facile !
Lecteur burine ta page, écris avec le sang des roses, peut-être le désir du poète s’y réalisera-t-il ? J’aimerais tellement qu’un jour, des amoureux esquissent une ou deux de mes lignes sur la tombe qui sera mienne :superbe, mais désir à réaliser le plus tard possible.
La poésie de Luezior est une caresse, des pensées qui s’échangent dans les carrefours de la vie, des lèvres qui s’enlierrent, qui transforment les ténèbres en aube, des étoiles pour éclairer les jours sombres, des barques pour dériver.
Les mots de ce recueil sont des îles où s’ouvrent les tabernacles, où vit le dire et où s’enlumine l’essentiel. Comme l’écrit P. Emmanuel : dire c’est aimer, aimer non seulement le langage mais l’esprit qui se manifeste en lui. C’est ce que nous trouvons dans les lignes de Luezior.
Grâce au poète, peut-être nos yeux verront-ils / au-delà de nos convoitises/ l’appel vigoureux de la vie ?
Nous ne saurions terminer cette recension sans mentionner la toile « Composition » du peintre Jean-Pierre Moulinqui orne la première de couverture, toile qui exprime toute la tension, l’élan, la force, le possible, la vie qui pulse dans ce recueil.
Le 8 a tendance à filer droit vers l’infini avant de se coucher façon lemniscate. Un moment d’inattention et c’en est fait du système décimal qui tient nos comptes depuis plus de mille ans.
Sans aller jusqu’à cette extrémité, le huit pourrait basculer sur les chiffres voisins, le sept, déjà bien chargé en symbolique, ou le neuf, affecté au renouveau de tout un chacun. Il pourrait aussi, le fourbe, inviter des zéros, toujours enclins à démultiplier à bon compte les chiffres de la numération et à dissimuler leur nullité.
Imaginez la vie numérale sans 8 et la joie, non contenue, des Oulipiens munis d’une nouvelle contrainte ! On en viendrait vite à regretter le système octal qui tient nos yeux rivés aux écrans.
Que deviendrait la géométrie sans octogone ni octaèdre, et la roue du dharma, sans ses huit rayons? Elle verserait dans le cul-de-basse-fosse du bouddhisme pour yoguistes bloqués dans la posture de la taupe.
Quel numéro atomique pour l’Oxygène, comment figurer le nombre de planètes du système solaire (sauf à en disqualifier une), de tentacules de la pieuvre (sauf à dénaturer le poulpe) ? Que deviendraient les noces de coquelicot sanctifiant les sept (maléfiques) plus une année de mariage ? Et la musique pour octuor ? Celui en mi bémol majeur de Mendelssohn ? Et celui plus encore en fa majeur de Schubert ? Quel désarroi chez les amateurs de tarot sans l’arcane de la Justice, et leur Bateleur déchapeauté ?
Et les six femmes d’Henri VIII ? Sans parler de la rétrogradation du numéro des têtes couronnées ? Pie XII deviendrait le onzième de son papal prénom ; Louis XIV, le treizième, Charles X, le neuvième… Quel imbroglio pour les historiens contraints de reconfigurer toute leur ligne du temps !
Sur quelle autre chaîne que C8 recaser la bande de bouffons d’Hanouna ? Anal Plus ? WC5Monde ? France 3 Zone Raclures ?
Et qu’adviendrait-il du jeu d’échecs et de l’activation neuronale des joueurs voués à se rabattre sur les arcanes du Uno ? Du billard américain sans sa boule noire numéro huit ? Quel avenir pour la spiritualité mondiale sans les 8 bras du dieu Shiva, les 8 pétales du Lotus, les 8 sentiers du Tao, les 8 portes de Jérusalem, les 8 anges porteurs du trône céleste ? Une société matérialiste en butte aux élucubrations des pires sociétés laïques semi-secrètes ?
A ce propos, que deviendrait le culte cube sans ses huit sommets ? Un dé raillé ? Un dé tourné? Un dé molli ?
Et, last but not eight, que deviendrait l’année 68 de la Révolution postmoderne ? 67, l’année du flower power (& honey bees good), ou 69, l’année du sexe gainsbourgeois – de guingois ?
Inutile de poursuivre la lecture même si vous êtes disposé à un ou l’autre biais cognitif affectant votre entendement, faute de suivre de trop près certains zinzintellectuels complotistes de votre réseau préféré, vous aurez compris l’importance du 8 dans le vide de tous les jours et celui de le garder bien en place, d’alimenter sa flamme huitique, sous la surveillance aiguë d’un veilleur de huit, à raison de huit heures par jour. Ce qui nous fait trois veilleurs par jour, et en application des règlements syndicaux les plus stricts, quatre veilleurs par mois, pas moins.
Une fois encore, LA FABRIQUE DES MÉTIERS augmente le taux d’emploi en Fédération Wallonie-Bruxelles avec un métier requérant peu de compétences sinon deux yeux en face des tours (de huit étages), une attention de tout instant et une ligne de fuite réduite au seul concept deleuzien.
Dès la première ligne, la narratrice nous annonce directement la tournure des événements. On sait que l’on ne va pas rigoler… Mais on sait aussi que l’on va aimer cette personne.
Pourquoi ? Elle tue ! Heureusement, pour notre plus grand plaisir, la littérature nous permet de le faire. En plus, quand il s’agit d’une dame qui dirige les manœuvres, le bonheur est décuplé.
Et ce n’est pas tout, elle se charge d’occire des enfoirés ! Le Graal ! Elle va même jusqu’à s’en délecter. S’il y a un petit truc qui la chiffonne, hop elle s’en débarrasse illico. Le tout avec une aisance digne d’une professionnelle.
Les femmes ! J’ai toujours dit qu’il fallait s’en méfier !
Je n’en dis pas davantage, l’histoire est prenante, l’auteure s’amuse, le lecteur se marre (jaune)…
Bref, tout le monde est content.
« Maille à partir »…
Le titre ne laisse en rien prévoir une telle aventure, c’est là le secret de la narratrice.
Mayana LAUREN, un nom à ne pas oublier. L’auteure a d’autres livres à son actif, s’ils sont aussi efficaces, vous savez ce qu’il vous reste à faire !
La revue Traversées a réuni une jolie cohorte de chroniqueurs pour rédiger un très bel hommage à Jean-Pierre OTTE, l’écrivain peintre belge émigré en Quercy. J’ai eu la chance de recevoir ce numéro spécial dédié à Jean-Pierre Otte et en y associant ma lecture et mon commentaire de son dernier ouvrage, Présence au monde, plaisir d’exister, j’ai pu ainsi relayer cet hommage sur le site Les Belles phrases. Ma manière à moi de rendre un hommage à auteur très talentueux que j’ai découvert il n’y a que quelques années et avec lequel j’ai vite lié un solide lien de sympathie.
Jean-Pierre Otte
Collectif Otte
Traversées N° 99 – 2021 – III
La revue Traversées consacre son n° 99 du troisième trimestre 2021 à l’écrivain belge résidant désormais en France, dans le Lot, Jean-Pierre Otte. A cette fin, les responsables éditoriaux ont rassemblé un riche aréopage d’auteurs proches de Jean-Pierre, tous plus talentueux les uns que les autres, chacun cherchant à évoquer une des faces de ce personnage, que ce soit à travers les pays qu’il a habités, la vie qu’il a connue et les œuvres qu’il a écrites. Ils n’ont surtout pas manqué d’évoquer l’ami qu’il fut pour tous au-delà de l’écrivain brillant et talentueux. J’en ai compté plus d’une vingtaine penchée autour de l’écritoire pour fignoler ce magnifique hommage. Il y a là, bien sûr, des Belges et des Français mais aussi bien d’autres venus, ou nés sous, d’autres cieux : espagnols, italiens, luxembourgeois, québécois, néerlandais, … Je ne les citerai pas tous car il faudrait que j’écrive moi aussi un numéro spécial particulièrement fourni, j’ai remarqué quelques noms que je connais mais aucun auteur que j’ai déjà lu.
Cette lecture a donc été pour moi une sorte de découverte de l’homme et de l’artiste, en réalité une seconde découverte car j’ai déjà une belle idée de son talent de plume après avoir lu et commenté son recueil d’aphorismes, « La bonne vie », paru aux Cactus inébranlable éditions. Ce numéro spécial de la revue de Patrice Breno a donc été pour moi la seconde occasion de croiser la plume de Jean-Pierre Otte, écrivain et peintre encyclopédique au talent protéiforme. Dans ce numéro spécial, les différents contributeurs ont dépeint l’homme amoureux de la nature et des lieux où il a résidé : l’Ardenne belge et le Lot en France. Son attachement à ces terroirs, à la végétation qui y pousse et à la faune qui les peuple. Ils évoquent aussi son œuvre, ses débuts littéraires dans la poésie et les textes courts, les romans et les essais qui ont suivis, les recueils d’aphorismes et les divers autres écrits. Ils n’ont pas oublié d’évoquer le peintre qui a réussi avec bonheur dans la peinture à la cire chaude. Ils ont souligné à l’unisson sa grande culture, son esprit ouvert et libre, sa sagesse, sa détermination dans l’action, sa clairvoyance de jugement, …
A travers tous les hommages rendus, on découvre l’homme prêt pour l’aventure, « Lever l’ancre, lâcher prise, larguer les amarres … », l’homme toujours prêt à partir dans un « voyage autour des profondeurs ottoniennnes » comme l’écrit Elisa Luengo Albuquerque. Celui qui « sacrifie la littérature à la nature… » ce qui permettra à Elsa de le rapprocher de Julien Gracq. L’un évoque l’Ardennais, l’autre l’émigré en France, tous l’ami et certains l’auteur, le penseur qui préconise qu’il faut se libérer devant les contraintes de la famille et de la société. La formule d’Anne Briet : « Ecrivain, penseur, conteur insatiable de l’histoire humaine, animale, végétale … amoureux fou de la vie », résume bien l’artiste tel qu’il apparait dans les lignes de cet hommage. Et l’artiste a ouvert largement son champ de pensée, comme l’évoque David Jauzion-Graverolles, à tous les mythes et à toutes les pratiques initiatiques des indigènes de toutes les contrées de la planète.
La femme est un autre thème cher à Jean-Pierre, la femme idéalisée, la femme dans le couple…, les femmes qu’il a aimées dans la vie et dans les écrits. Thème que Michel Otten étudie à la lecture de « Cette nuit à l’intérieur d’une bogue ». Et la femme, c’est bien connu, conduit au plaisir, on pourrait ainsi passer de Michel Otten à Mario Pelletier qui écrit : « Jean-Pierre Otte a acquis un mas dans le Sud-Ouest de la France pour répandre, de livre en livre, sa conception du plaisir d’exister ».
Ce numéro comporte aussi quelques poésies de Jean-Pierre lui-même, une nouvelle inédite de son épouse, Myette Ronday, quelques poèmes d’un auteur insuffisamment connu à son goût : Jacques Carlot et aussi, bien évidemment, de très jolies illustrations du maître en personne. Jean-Pierre est en effet un peintre-écrivain. Nicole Détourbe déclare que pour Jean-Pierre « depuis le début « le recours aux couleurs » est aussi naturel que le recours aux mots… ». Le trait et la couleur font partie intégrante de son vocabulaire artistique tout comme les mots et la ponctuation.
Je ne comprends pas comment j’ai pu passer aussi longtemps à côté d’un si grand artiste qui a été plusieurs fois l’invité de Bernard Pivot, Patrick Poivre-d’ Arvor, Monique Atlan, François Busnel pour ne citer que ceux l’ont accueilli le plus souvent. Mais, je sais que je lirai bientôt son prochain ouvrage, alors…
Jean-Pierre Otte
Présence au monde, plaisir d’exister
Jean-Pierre Otte
Le temps qu’il fait
J’ai découvert Jean-Pierre Otte en lisant son P’tit Cactus, « La bonne vie », un titre qui a lui seul pourrait déjà résumer cet écrivain et peintre au talent protéiforme et à la culture aussi vaste qu’un domaine en Quercy. Ces impressions ont été totalement confirmées par tous ses amis qui ont participé au bel hommage rendu par la revue Traversées avec l’édition d’un numéro spécial particulièrement élogieux. C’est donc avec une certaine impatience que j’attendais la lecture de ce recueil de chroniques, j’avais très envie de retrouver l’ami chaleureux, l’amoureux de la nature, l’auteur inspiré et le peintre talentueux dépeint par les artistes réunis pour rédiger l’hommage qu’il méritait tant.
Dans ce recueil, Jean-Pierre Otte démontre tout le talent que j’avais déjà découvert dans les deux ouvrages cités ci-dessus : le contemplatif qui s’enthousiasme devant le moindre brin d’herbe qui est pour lui une merveille pure, l’ami nostalgique, le compagnon de tous les souvenirs qu’il décrit avec son grand talent littéraire mais aussi avec beaucoup d’émotion. Cette évocation de son enfance en Ardennes belges est un véritable bain de jouvence, il raconte avec tellement de douceur, d’émotion, d’empathie le pays qui l’a vu naître et grandir, ceux qu’il a aimés, sa famille et ses amis et quelques femmes accortes, et tous le petit bestiaire qui peuplait les plaines et les bois environnants.
En lisant ce livre, j’ai senti mon environnement se dissoudre progressivement, s’effacer, laisser la place à cet autre monde où enfant, j’inventais, seul ou avec les gamins de mon quartier, des aventures fabuleuses, héroïques, rocambolesques, des aventures qui n’avaient rien à voir avec celles que nous avons vécues l’âge adulte venu. Nostalgie ! Nostalgie !
Ce recueil comporte aussi des chroniques relatant les impressions et sensations qu’il a ressenties lors d’un séjour dans le Sud-Ouest. Mais la partie la plus conséquente et peut-être la plus riche est celle qu’il consacre à sa vision de la littérature, aux auteurs qui l’ont fait vibrer. Là encore, j’ai retrouvé des émotions, des sensations, des idées que je partagerais volontiers. Et pour clore ce copieux recueil, Jean-Pierre Otte ajoute une série de réflexions, parfois générales, parfois très précises, sur l’existence et les aléas de la vie.
Ces chroniques sont de véritables poésies en prose, le vocabulaire en est particulièrement riche et j’ai beaucoup apprécié la volonté de l’auteur de réintroduire dans son langage des mots que certains jugent désuets et qui ont presque disparu malgré leur grande précision et leur saveur littéraire. L’auteur attache une grande importance aux mots tout comme au langage et à sa relation avec la terre, le terroir et même la gastronomie. Ils forment ensemble notre patrimoine identitaire et culturel, ils constituent l’empreinte de nos corps, le fond de notre pensée et la sensibilité de nos cœurs.
Ce recueil pourrait être l’ébauche d’un texte testamentaire que Jean-Pierre écrira peut-être dans des années que nous espérons encore très lointaines. Je me souviens d’avoir écrit à l’occasion d’une autre chronique les quelques mots ci-dessous qui me semblent de plus en plus de circonstance. « J’adopterais volontiers toute la philosophie contenue dans la quasi-totalité des pensées qui figurent dans ce recueil, tant elles m’ont semblé emplies de sagesse, de bon sens, de détermination et de clairvoyance, … ».
Yves NAMUR, né en Belgique en 1952, est poète, essayiste, prosateur, le directeur de la Maison d’édition Le Taillis Préet de la revue Le journal des poètes, académicien depuis plus de 20 ans et le secrétaire perpétuel de l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique. Il a publié plus de cinquante livres et réalisé aussi des livres d’artiste en collaboration avec les peintres. Ses poèmes, traduits en quinze langues, ont gagné des prix prestigieux : PrixGeorges Lockem (1974), PrixCharles Plisnier (1985), Prix Jean-Malrieu (1992), PrixGauchez Philippot (1993), Lauréat de la Fondation Spes (1994), Prix Emma Martin (1998), Prix de la BiennaleRobert-Goffin (2000), Prix Louise Labé (2001), Prix Maurice Carême (2003),Prix Tristan Tzara (2004), Prix littéraire du Parlement de la Communauté Française (2005), Grand prix international de poésie Eugène Guillevic (2008), Prix Mallarmé (2012).
Il est traduit aussi en roumain par Valeriu Stancu, Doina Ioanid et Sonia Elvireanu. Son recueil La tristesse du figuier (prix Mallarmé 2012) vient de paraître en version roumaine Tristețea smochinului dans la traduction de Sonia Elvireanu chez les Éditions Școala Ardeleană de Cluj-Napoca, en Roumanie, dans une très fine et élégante édition. Le directeur des Éditions, Vasile George Dâncu, a lancé ce livre lors du Festival international „Lucian Blaga” de Cluj-Napoca, à sa 30-ième édition en 2022. Invité d’honneur au festival, Yves Namur a a honoré cette prestigieuse manifestation culturelle par une communication sur la poésie de Lucian Blaga dont il est le promoteur en Belgique.
Sorina Stanca, Sonia Elvireanu, Yves Namur et Horia Bădescu
Dar când aşadar veni-va ziua aceea Pe care prietenul meu o numeşte ziua fără nimic[2]?
Poate trebuie pentru asta Uneltele vechi să-mi îngrop chiar în fundul grădinii,
Cu gândurile-mi tulburi, săptămânile-mi prea pline Şi frica mea de-a trăi?
Poate-i nevoie Să-mi golesc toată casa?
Poate-i nevoie s-aştept Să se-oprească ploaia în cărţile mele
Ori ca iubirea să nu-i mai facă pe oameni să viseze Când pe atâţia alţii îi face să sufere?
Poate că-n toate astea e calea Ca să intru o dată măcar în ziua fără nimic.
*
Oriunde Mă uit:
La fel e mereu, aceleaşi greutăţi, aceleaşi imposibile trude, aceleaşi tulburări, şi-aceleaşi învârteli viclene Şi inutile.
Dar există cu-adevărat materie de poezie?
Căci ştii de mult timp: Poezia nu-i tocmai o afacere[3].
E ca ciobanul fără de oi, Căruia i-ai zice: Du-te şi paşte-ţi cuvintele altundeva, Pramatiede fals cioban [4]? (Août 2010)
*
Vreau de-acum Să rămân să-aştept pulberea,
Aşa cum aştepţi un mic miracol, Un pelerin himeric ori doar ploaia,
Aştept pulberea.
Poemul meu, îţi spun, ar putea bine să-nceapă aşa,
Căci uneori nu ştii de fapt de ce scrii una ori alta Dar scrii orice-ar fi,
În ciuda mierlei, În ciuda ploii ce pătrunde-acum în casă, Fără voia mea şi-a oamenilor ce nu vor înţelege niciodată nimic Din aşteptările smintite ale poeţilor.
*
Lasă-mă să-ţi mai vorbesc de pulbere :
De cea din inima amanţilor fără poveste reală,
De cea care-ncurcă gramatici Şi discuţii interminabile despre orice regulă,
Şi de aceea de care nu eşti mândru Pentru că regrete acoperă şi proaste-obiceiuri.
Lasă-mă să-ţi mai vorbesc de pulberea Din care faci munţi de minciuni Ori de poeme,
Pentru că trebuie desigur să vorbeşti de ceva Ce câteodată rimează
Şi uneori cu nimic nu rimează.
*
Spune-mi: să nu te gândeşti la nimic.
Şi s-o spui sincer într-un poem, E chiar util?
Toate lucrurile acestea sunt raţionale şi pot fi spuse Atunci când deja o ploaie obscură Cade pe oameni şi pe acoperişul casei tale?
Spune-mi,
N-ar fi mai bine să-ţi laşi îndată poemul, Cum un fermier îşi lasă ogorul obosit În voia cerului şi-a păsărilor,
N-ar fi bine Să mergi în sfârşit cu oamenii,
Cu tristeţile, cu patima lor de-a trăi ori muri, Cu casele lor goale ori pline?
Spune, poetule, Ce vrei să faci acum din poem, Din măruntele tale afaceri
Şi din povestea cu ploaia de care mereu vorbeşti?
*
Mai spune-mi:
Ce diferenţă-i între un poem Şi leul înaripat pe tavan pictat?
Unul şi altul nu se-asemănau Când liber pe pajişte-alergau?
Când, obosiţi, se priveau Ori aceeaşi apă de fântână sorbeau Ori a oamenilor tristeţe?
Şi nu-s amândoi asemeni cu tine Ce culegeai nepăsător lacrimile îngerilor
Şi gura uşor amară-a nebunei?
(Biserica din Fonday, Alsacia)
*
În tristeţea smochinului
Mai trăiesc bărbaţi şi femei Cu suflet chinuit şi viaţă Deja arsă.
Sunt ca oile fără cioban, Care nu mai aşteaptă nimic, nici viaţă Nici moarte,
Ni măcar pământul ce li s-a promis.
Tot ce mai speră-i să nu ne tulbure acum prea mult.
______________________
[1] Fernando Pessoa, Je ne suis personne (Eu nu sunt nimeni).
[2] Israël Eliraz, La porte rouge (Poarta roşie).
[3] Jean-Claude Pirotte, Le couloir magique (Culoarul magic).
[4] Andre Schmitz, Les prodiges ordinaires (Minunile obişnuite)
Mort l’été dernier à l’âge de 80 ans, Claude Javeau fut un infatigable arpenteur de chemins de traverse, un pourfendeur de doxas et un malicieux provocateur. Professeur de sociologie émérite à l’U.L.B. (Il fut directeur de l’Institut de sociologue dans les années 80), on lui doit de nombreux ouvrages scientifiques à la rigueur intransigeante mais aussi quelques essais plus iconoclastes dans lesquels, au risque de paraître un vieux bougon réactionnaire, il piétine tous les hochets de la postmodernité dont, au passage, il écrabouille les nouveaux prophètes adulés par les médias. Taxé parfois de laïcard il fut un pointilleux défenseur du libre examen. Militant de gauche, il était aussi, espèce plus rare sous nos latitudes, un républicain convaincu. J’allais oublier : pendant 11 ans, ce drôle de paroissien tint dans La Libre Belgique une chronique fort attendue chaque semaine.
À l’ombre du gnangnan regroupe quatre essais : Dieu est-il gnangnan ? Esquisse d’une histoire naturelle du plouc; La culotte de Madonna, et, enfin, Fragments d’une philosophie de la parfaite banalité (augmenté du Triomphe du gnangnan). Ils ont été publiés une première fois en 1999. Devenus introuvables, ils ont été réédités voici déjà quelques années par La Lettre volée sous la forme d’un élégant coffret. Saluons une fois de plus le travail soigné de cet éditeur auquel nous devons de très beaux livres d’art et une passionnante Collection Essais.
Le gnangnan
Le gnangnan est donc la toile de fond des quatre essais mais le sujet central du premier. Un tantinet provocatrice, la question Dieu est-il gnangnan ? peut abuser le lecteur. L’adepte d’un athéisme du charbonnier ne trouvera pas ici la réponse affirmative qu’il attendait peut-être. Ce n’est pas Dieu qui est gnangnan : c’est la façon d’en parler. Et Claude Javeau de pointer son bazooka sur une de ses bêtes noires : Gabriel Ringlet très en vogue à l’époque.
Que reproche donc Javeaux à notre sémillant abbé ? D’être le plus pur propagandiste d’une religion à la carte, celle des « je suis catholique mais » (je suis catholique mais de là à suivre le pape ; je suis catholique mais je ne vais pas à la messe), bref de nous fourguer un « Dieu soft » pas théologique pour un sou et d’œuvrer sous couleur d’ouverture, à une magistrale confusion comme dans son livre-phare L’Evangile du libre penseur. En un mot Ringlet – avec d’autres comme Comte-Sponville et Ferry que Javeau abomine – serait une sorte de tête de pont de la « culture gnangnan ». S’inspirant du philosophe américain Robert HUGUES et de son Cuture of complaint, Javeau entend par culture gnangnan une culture de l’édulcoration qui privilégie le lisse, le correct, le « light », et surtout, occulte toute contextualisation économique, culturelle ou sociale. Le gnangnan est une manière de désamorcer les enjeux les plus aigus et les plus urgents en les ramenant à « une simple question de confort personnel, de bon rapport de soi à soi ». Bref ce que Javeau déplore, c’est le repli du politique et de l’émancipation collective au profit de l’épanouissement personnel.
Si le détour par le malheureux Ringlet paraît un peu forcé, le constat est partiellement justifié. Depuis la sortie de ces textes, on ne peut que constater l’évaporation progressive de toute idée de destin collectif et l’émergence d’une société obèse qui refoule ses exclus et tente, comme elle le peut, d’oublier ses véritables défis. Impossible cependant de nier que le principe de réalité est en train de se rappeler à nous et que l’actualité de ces derniers mois ainsi que le réchauffement climatique interrogent notre rapport au monde à nouveaux frais. Le collectif revient au galop. Il n’est toutefois pas certain que nous ayons toujours tout à y gagner.
Les pages très caustiques consacrées à la montée en puissance du développement personnel au tournant des années 2000 n’ont rien perdu de leur pertinence. Elles annonçaient l’actuelle vague submersive d’ouvrages philosophico-psycho-machins et autres empilages de lieux communs dus à la plume infatigable (mais très fatigante) des Charles Pépin, Christophe André et Boris Cyrulnik.
Au-delà des excès inhérents au genre du pamphlet, c’est dans sa déconstruction de l’individualisme moderne dans ce qu’il a de plus superficiel que Javeau ajuste le mieux sa cible. Si, en apparence, le « moi-je » contemporain dispose en tous domaines d’un choix quasi infini, au final, il suit presque toujours la pente du plus grand nombre. Le « moi-je » s’est mué en « nous-je ». Le relativisme absolu accouche d’un insolite unanimisme : « Sortez du rang ; rejoignez-nous »
Le plouc
Le plouc est le rejeton du gnangnan. Il est partout et prolifère dans toutes les classes sociales. Claude Javeau lui consacre son deuxième essai.
D’entrée de jeu, il rassure son lecteur : nous avons tous nos moments de faiblesse ; nul n’est à l’abri d’un accès de « plouquitude » et peut un jour affubler les rétroviseurs de sa voiture de housses aux couleurs des diables rouges. Le plus grave n’est pas d’entrer en plouquitude mais de ne pas en sortir…
En bon sociologue Javeau suggère une amusante typologie du plouc. Du bas de l’échelle monte la plainte du plouc geignard : ce sont toujours les petits qui se font broyer et, en politique, on prend les mêmes puis on recommence. Ecrasant les doigts du geignard qui le précède, le plouc jobard gravit les échelons intermédiaires : c’est un adepte du « vu à la télé », tout ce qui est nouveau est beau ; il n’est pas raciste mais comprend qu’on finisse par le devenir. En haut, pétri de certitudes plus ronflantes encore, le plouc costard jouit du point de vue : plus c’est cher, mieux c’est. Il est souvent snob, « mais pas au point d’y mettre de l’intelligence ou de la provocation » nous glisse Javeau, pensant peut-être à lui-même.
Trait commun à ces trois types de plouc et qui renforce encore leur plouquitude : ils se détestent férocement.
Côté culture, le plouc nourrit un respect immodéré pour les lois du marché. Il veut bien se farcir la musique de ce scieur de long de Bach mais pour autant qu’elle soit jouée par le pianiste dont un présentateur de JT à la tignasse jaunasse lui aura préalablement garanti – chiffres de vente à l’appui – qu’il était le meilleur de tous les temps. En la matière, « le plouc est toujours davantage un consommateur qu’un amateur, une cible qu’un électeur, un dévot qu’un vrai fidèle ».
Un plouc ça s’éduque. On ne badine pas avec les études du petit. Mais le plouc a horreur de la théorie. Il lui faut du concret, du performant, des passerelles avec la sacro-sainte entreprise, en un mot des débouchés. Sur ce plan, la satire de Javeau a sans doute un peu vieilli : de plus en plus de jeunes s’éloignent de cette logique consumériste et, au grand dam de leurs ploucs de parents, s’orientent vers des études toujours plus exotiques. A la recherche d’un supplément d’être, ils sont (parfois temporairement) insoucieux de reproduire le mode de vie de leurs géniteurs.
Claude Javeau (1940-2021)
La vie sexuelle du plouc
On ne serait pas complet si on ne jetait pas un œil dans la chambre du plouc. On y entre avec le troisième essai intitulé La Culotte de Madonna.
Dans le célèbre jeté de culotte de la chanteuse Madonna, Claude Javeau voit le symbole de l’exhibitionnisme et de l’inflation d’images qui caractérisent la sexualisation de notre société. Poursuivant la réflexion, il s’attèle à un essai sur la misère sexuelle liée à la sexualité de masse.
La sexualité de l’homme, qu’il soit plouc ou non, est à la croisée de trois ordres: l’ordre biologique : nous sommes des « singes » qui faisons usages de nos organes sexuels ; l’ordre symbolique : nous sommes des singes certes, mais des singes grammairiens capables de parler d’un objet en son absence et donc de discourir sur notre sexualité et enfin l’ordre structurel qui tient compte des rapports de domination dans le sexe.
Ces trois ordres se combinent : faire l’amour est lié à un discours, fût-il réduit, et engage un rapport de pouvoir.
Selon Javeau, notre société postmoderne a accouché d’un individu tautologique exaltant un « je suis moi » qui réduit l’autre à un moyen.
Cette réduction atteint un niveau paroxystique dans le cybersexe caractérisé, selon la belle formule d’Annie Lebrun, par un environnement pléonastique : le corps est le corps, le sexe est le sexe. Le « trop de réalité » s’inverse en son contraire : un monde virtuel vidé de toute présence réelle et profondément mortifère.
A côté des sites purement pornographiques, les sites de rencontre participeraient eux aussi d’une forme d’appauvrissement. On y trouve un réel surabondant mais privé de toute dimension symbolique. La dérobade, le suggestif, le mystère et tout ce qui relève de la dimension proprement affective de la relation amoureuse sont évacués: nous sommes, écrit Javeau, sur un marché où chacun s’investit et s’auto-gère comme une micro-entreprise. L’autre n’existe pas comme tel mais comme élément d’un environnement obéissant à des règles économiques.
Javeau reconnait bien volontiers que la misère sexuelle ne date pas d’hier. La différence est que jusqu’ici elle ne s’était jamais prétendue libératrice. L’auteur plaide en faveur d’un amour nourri de présence réelle et rejoint en cela Emmanuel Levinas pour qui « penser autrui relève de l’irrémédiable inquiétude pour l’autre ».
J’avoue n’avoir aucune expérience des sites de rencontre. Mais concernant plus globalement les réseaux sociaux, il me semble que Claude Javeau diabolise l’outil sans tenir compte de toutes ses potentialités. Les réseaux sociaux sont effectivement un lieu de dérives mais ils peuvent susciter de vraies rencontres ou, à tout le moins, y contribuer.
La bible du plouc
Venons-en au dernier essai du coffret : Fragments d’une philosophie de la parfaite banalité.
Ce texte tient de la pochade et du canular. D’humeur badine, le sociologue prétend être tombé par hasard sur un ouvrage du XVIIIème siècle attribué à la plume du père Joost van der Leughen (1719-1785). Il s’agirait de la traduction en néerlandais d’aphorismes tirés d’entretiens du bon père avec le Zhu Zhu Lama, éminente autorité religieuse tibétaine.
Tout est évidemment inventé.
C’est l’occasion pour Javeau de brocarder l’engouement pour les pseudo-sagesses et plus encore les philosophies simplistes de nos « piètres penseurs ». C’est encore une manière de railler ce cher plouc qui aime tant se raccrocher à une philosophie de vie mais sans prise de tête inutile et est toujours prêt à suspecter d’élitisme tout qui ne partage pas son enthousiasme béat.
Il y a un peu de déchets mais tout de même quelques perles…
Si tu ressens un courant d’air, ferme la porte (ou la fenêtre)
On ne boit pas la soupe avec une fourchette.
Le cheval court plus vite que l’âne.
Le milieu est juste parce que les extrêmes sont injustes.
Si tu dois te moucher, utilise tes propres doigts.
Que conclure ?
Ce petit coffret, A l’ombre du gnangnan, est d’une lecture réjouissante. C’est plaisant, caustique à souhait et solidement documenté. Certains ont reproché à l’auteur son élitisme : il n’en avait cure : il le revendiquait et refusait de confondre toutes les productions de l’esprit dans une même panade culturelle.
Les quatre textes réunis par La lettre volée sont une invitation à quitter notre « profil bas » à l’égard du monde et de ses problèmes. Il s’agit d’en penser la complexité et pas seulement de se contenter de vibrer de l’émotion que suscitent toutes les horreurs du monde. Ces dernières sont le symptôme d’un désordre où nous avons tous notre part.
De manière très visible le sociologue ne porte guère dans son cœur l’essor des nouveaux outils informatiques et des réseaux sociaux qu’il n’a sans doute guère pratiqués. Cette réticence de principe charge son propos de préventions à mes yeux excessives.
J’ai terminé ma lecture sur un petit fantasme : qu’aurait donc écrit Claude Javeau sur l’angoissante période qui vient de s’ouvrir et suscite déjà un flot d’analyses simplistes ?
Claude Javeau, A l’Ombre du gnangnan, La Lettre volée, Collection Essais, 2013
Ecrivaine et peintre à la fois, Anne-Marielle Wilwerth vient d’enrichir sa bibliographie déjà longue d’un nouveau recueil poétique publié aux Editions du Cygne. Son titre ? Vivre au plus près. Tout un programme pour une auteure qui possède cette qualité rare de rester fidèle à elle-même tout en sachant évoluer constamment au fil de ses parutions successives. Comme c’était déjà le cas dans ses opus précédents, les textes de la poétesse nivelloise marient concision du verbe et densité du signifié, chaque mot étant soigneusement choisi et accordé avec d’autres pour constituer des ensembles bien élagués et très « parlants ». D’autre part, l’absence de ponctuation permet de mieux mettre en valeur la force qui se dégage de ceux-ci.
Le résultat frappe, non seulement par son étonnante harmonie stylistique, mais aussi et surtout par l’émotion qui en émane et qui ne peut que submerger le lecteur, pour autant que celui-ci accepte de se laisser envoûter par l’imaginaire ainsi déployé sous ses yeux. Sur le plan formel, on y retrouve – comme d’ailleurs dans les œuvres antérieures de l’auteure – cette caractéristique majeure de l’écriture wilwerthienne que constitue la substantification d’adverbes, d’adjectifs qualificatifs, de participes passés, voire même d’infinitifs : « le regard n’a plus d’horizon pour y semer son encore » (p. 47), « avant que ne s’immobilisent les possibles » (p. 14), « le bleu du promis » (p. 24), « resserrer son étreinte autour de l’écrire » (p. 15).
Il en résulte, ça et là, de véritables pépites qui confèrent à ce recueil un charme tout à fait particulier. A travers ces images souvent originales, la poétesse tente de cerner au plus près « le fragile », « l’infime » ou encore « le peu » de notre condition humaine caractérisée avant tout par une finitude radicale. Les textes de Vivre au plus près ne sont d’ailleurs pas sans évoquer par endroits l’univers de Christian Bobin où la plénitude apparente de l’être s’efface le plus souvent devant l’absence ou le vide : « Ecouter le vertige prodigieux du rien / et s’en trouver bien » (p. 33).
On assiste, au fil de ces pages, à la quête d’une proximité avec soi-même et avec le monde, mais on y décèle aussi l’aspiration au vrai, à l’authentique, à « l’autre versant de soi » (p. 22) qui nous est trop souvent masqué par les artifices, l’incertain, le « rideau du vent » (p. 40) derrière lequel se dissimule trop souvent l’essentiel.
Cette poésie est celle de l’intimité, mais également celle de l’apaisement et de la sérénité, lesquels tranchent résolument avec le négativisme trop souvent exhibé au fronton de la société actuelle. La thématique de l’espérance y est notamment évoquée à plusieurs reprises – « la marée montante renouvelle notre espoir en son sable » (p. 39) –, de même que celle de l’exultation intérieure – « (Le temps) qui révèle les cris du monde et les transformera en puits de joie » (p. 14). Cette vision optimiste et confiante de l’existence se cristallise en particulier dans la célébration récurrente de la couleur du ciel chère à l’auteure : « Se rouler dès lors dans l’apaisement soyeux d’un clapotis de bleus » (p. 15).
Bref, ce recueil de poèmes souvent courts mais toujours ciselés avec soin questionne les certitudes établies pour mieux nous inviter à revenir « au plus près » de notre vécu quotidien, et ce dans une quête sans cesse renouvelée de l’authenticité et de la vérité. Une incontestable réussite, tant sur le plan de la forme que du fond !
La nouvelle est un genre littéraire bien défini et pourtant, dans la masse des textes édités sous cette étiquette, on peut trouver des choses bien différentes. Pour construire cette chronique, je ne me suis donc pas privé, j’ai assemblé trois nouvelles de forme et de fond bien différents. Franz GRIERS propose des nouvelles très courtes ; Mark TWAIN avait, lui, écrit des nouvelles historiques plus proches du récit que de la nouvelle classique et, enfin, François DEGRANDE, a, lui, proposé une unique nouvelle dans la riche collection Opuscules des Ed. Lamiroy.
« Ce livre est une collection de nouvelles courtes, voire très courtes » annonce l’éditeur ; je préciserais même que ce recueil comporte, dans la plupart des cas, une nouvelle par page, certaines dépassent la longueur de la page et quelques-unes seulement ne l’atteignent pas.
Dans ce recueil, « Des personnages inadaptés te racontent leur rapport tourmenté au monde », des personnages ou un personnage ? Je dirais des personnages qui pourraient se fondre en un seul qui s’adresse au lecteur sous la couverture d’un « je » qui serait un quidam quelconque, un type tout ce qu’il y a de plus banal, un type qui bosse juste pour gagner sa croûte, qui n’a ni ambition, ni besoins surdimensionnés. Il raconte les avatars de son existence quotidienne qu’il vit dans les transports en commun, sur la voie publique, au boulot, partout où un gars lambda s’en va gagner sa croûte mais aussi dans les bars qu’il fréquente assidûment et dans d’autres lieux où il se rend au hasard de ses déambulations et occupations dans Paris qu’il connaît aussi bien que Modiano, et parfois ailleurs. « J’étais un personnage simple, avec un objectif simple… ».
Au bout d’un certain nombre de pages, spontanément, j’ai pensé à Blondin, à Mérindol, à tous ces auteurs plus ou moins pochtrons qui ont hanté les rues et les rades de la capitale. Je me suis demandé si Franz Griers n’était pas un peu leur petit-fils spirituel. Evidemment, je ne voudrais pas l’accuser de pochtronner comme eux mais il a, comme eux, cet art de la déambulation, cette aisance devant le comptoir, cette agilité dans la plume, cet art de la narration vivante, alerte, directe, colorée. Bien sûr les temps ont changé, il faut accepter cette comparaison « mutatis mutandis » comme on dit chez les juristes.
Franz, lui, dans un ton à la fois hyper réaliste et surréaliste, tendre, triste, désolant et burlesque et même fantastique parfois, raconte les déboires de ce quidam avec les femmes, sa navigation de femmes en femmes, ses heurts avec les décrets de la société et de ses représentations plus ou moins officielles, ses déboires avec ses concitoyens, le désespoir qu’il exprime : « Je n’ai pas trouvé ma place dans ce monde, mais je la cherche, chaque jour. Puis cette place, je finis par l’inventer. Ce sera mon métier puisque les mammifères comme nous doivent en avoir un ».
Le fait de présenter une nouvelle à chaque page densifie notoirement le texte ce qui offre de belles heures de lecture surtout à ceux qui comme cette jeune fille mise en scène par l’auteur pense que « Le monde tel que vous l’avez ordonné m’a tout pris, mes joies et mes espérances… ». Heureusement que les textes de Franz, eux, nous redonnent le rire et la bonne humeur.
Dans ce recueil, l’éditeur a choisi de publier cinq textes de Mark Twain, relativement courts et fort différents les uns des autres, réunis par le seul fait qu’ils racontent tous des histoires particulières de la grande Histoire. Des histoires contées qui pourraient appartenir aux « Contes choisis » que j’ai lus il y a déjà plusieurs décennies.
Les deux premiers textes peuvent être lus ensemble puisqu’ils racontent le quotidien du premier couple de l’humanité en combinant « Extrait du Journal d’Adam » et « Le Journal d’Eve ». Dans ces deux textes, présentés de façon à constituer une seule et même histoire, Mark Twain raconte comment Adam a découvert le monde terrestre et comment il a rencontré Eve qui, elle, décrit ceux qui animent et peuplent ce monde, les éléments et les animaux. Elle rapporte aussi comment elle a su s’adapter dans cet univers, en tirer profit pour rendre sa vie, puis leur vie, plus confortable afin d’y créer une famille. Cette vision de la création de l’humanité respecte bien les codes bibliques mais les détails de la vie quotidienne du couple ne sont que le fruit de la seule imagination de l’auteur.
Dans le troisième texte, Mark Twain reprend sa plume de journaliste en présentant le récit de la mort de Jules César comme un article de presse qui aurait été publié dans le journal romain Les Faisceaux du soir. En traitant ce fait historique comme un fait divers l’auteur propose une autre vision de ce tragique événement qui a changé la face du monde.
Le quatrième texte pourrait appartenir intégralement à la geste médiévale, il raconte une histoire digne des romans installés sur les rayons « héroïque fantaisie » des bibliothèques et librairies. Tous les ingrédients de cette littérature y figurent : le seigneur ambitieux et félon, la jolie princesse instrumentalisée, les intrigues machiavéliques, la justice immanente, le dénouement sanglant, … Dans ce texte, Mark Twain a pu donner libre court à sa folle imagination tout en respectant bien les codes de ce genre littéraire.
Pour conclure ce recueil, l’éditeur a astucieusement choisi de publier un petit essai de Mark Twain évoquant l’art de raconter une histoire pour faire rire son auditoire. Avant de révéler le secret de l’art de faire rie, l’auteur précise qu’il existe deux sortes d’histoires humoristiques : les histoires américaines et les histoires françaises et anglaises dont la mécanique humoristique n’est pas identique.
La diversité des textes proposés dans ce recueil démontre l’ampleur du talent de Mark Twain en mettant en évidence sa capacité à écrire, avec le même talent et le même bonheur, dans des genres littéraires fort différents : journal, article de presse, épopée médiévale, essai littéraire. De nombreux auteurs montrent souvent comment les petites histoires contribuent à écrire la grande Histoire, en entreprenant une démarche inverse Mark Twain montre comment la grande Histoire peut accoucher de petites histoires fort alléchantes.
Pour rédiger la nouvelle présentée dans le numéro #224 de sa célèbre collection Opuscule, les Editions Lamiroy ont ouvert leurs pages à François Degrande qui a proposé un texte entre burlesque, absurde, satire et dénonciation de l’incompétence de la justice et de la police.
Ce texte, c’est une histoire mise au moins en quatre niveaux d’abyme. C’est l’histoire du meurtre d’une jeune femme, chanteuse et guitariste, qui devait donner, avec son conjoint, un concert dans une petite ville de la côte belge de la Mer du Nord. La jeune femme ayant été retrouvée morte dans la chambre de l’hôtel qu’ils occupaient, après enquête, la police déclare qu’elle a été assassinée par son mari. La jeune juge d’instruction à qui l’affaire a été confiée organise une reconstitution avec le mari qui déclare vivement qu’il n’est pour rien dans cette affaire, et une jeune fille servant de mannequin vivant pour remplacer la poupée gonflable emportée par un fort vent de mer. La reconstitution est si probante que le mannequin n’y résiste pas et, à son tour décède… Les opérations sont suspendues jusqu’à ce qu’une nouvelle reconstitution soit confiée à un autre juge d’instruction qui organise en même temps une reconstitution de la reconstitution, avec, vous l’aurez compris les mêmes résultats que la première… Il faut donc… Jusqu’à ce que chacun des acteurs ayant participé aux reconstitutions précédentes se présente pour la suite des opérations accompagné de son avocat, ce qui vous l’aurez compris représente une foule considérable !
Cette histoire totalement improbable se présente un peu comme un exercice de style dans lequel l’auteur joue sur la mise en abyme. Un exercice qui m’a rappelé un maître en la matière que j’ai lu il y a déjà bien des années, le Comte Jan Potocki qui a écrit :Le manuscrit trouvé à Saragossedans lequel les aventures des personnages s‘imbriquent les unes dans les autres toujours sous la même forme sur au moins six niveaux de narration.
On peut voir aussi dans ce texte une satire de la lourdeur et de la complexité de l’appareil judiciaire souvent mis en échec dans un certain nombre d’affaires pourtant fort retentissantes.
Vous les fils que nous tissons de nos doigts pour que le sang coure de veine en veine.
Ouvrir la toile. Faire parler la peau.
Faire parler ma peau.
Le texte d’ouverture donne bien le ton de l’ensemble constitué de trois sections, Prière de toucher, Take me home et La Lavande.
Les textes-poèmes formant chacun une entité verbale nous entraînent dans un espace de sensations jouant sur les couleurs, les temps, les personnages. Ecrits à la première personne, ils nous surprennent tout du long en rebattant sans cesse les cartes du thème dans un jeu poétique magistralement conduit, qui plus est par une poétesse dont c’est le premier texte publié.
Des correspondances se tissent, se défont, au fil des séquences. Des silhouettes plus ou moins imaginaires, comme des costumes, que la narratrice revêt, se dessinent pour dérouler le spectacle d’un théâtre intérieur : Jaime, Aline-Aimée, sa compagne décédée, mais aussi Romane, Violette.
Des prénoms comme des surnoms affectueux.
Je suis faite de sel. Je retire le costume de la peau de ma Romane imaginaire.
Il glisse sur mon corps.
La peau y est porte, tissu du texte à dire. Elle est le lieu poétique qui permet l’expression du traumatisme, de la sensation et, donc, de la poésie. C’est autant le réceptacle des joies que de celui des blessures, un lieu ouvert mais fragilisé du fait même de son exposition à l’air, à la vue et au contact des autres. Appât ou rempart, la peau se prête aussi bien aux caresses qu’aux agressions.
La peau est aussi bien ce qui enferme le corps, les grilles d’une cage, ce qui enserre et enjoint l’intériorité psychique et les souvenirs. L’histoire qui s’écrit sur le corps se grave dans la peau. Elle est surface autant que profondeur. Ce qu’il y a de plus profond en l’homme, c’est la peau, a écrit Paul Valéry.
Manon Godet exprime dans son texte cette polysémie de la peau ultrasensible. La peau n’est pas dénuée d’épines virtuelles qui maintiennent à distance de l’autre. Par elles, la peau génère sa propre insensibilité, le repli du corps du domaine social.
Les hérissons mangent des roses pour accélérer la pousse de leurs épines.
Plus loin, elle écrit :
Mes épines ne sont pas pour eux. Elles sont pour moi.
Elles tuent mes sens.
L’eau est omniprésente. L’eau qui peut noyer, certes, mais qui permet aussi la fluidité, les écoulements, les métamorphoses. Ainsi, la peau sert à l’opacité comme à la transparence.
Seule la nudité exclut le mensonge : Un mensonge ne tient pas devant un corps nu.
L’exercice d’écriture poétique consiste à permettre à l’ « empire de mots sous la peau » d’accéder aux chemins de l’écriture, de « trouver le corps du rêve ». De « rendre un Je. » Et de faire revivre la peau qui a pu, qui a dû mourir bien des fois.
Dans ces vers aux phrases mêlées, la cruauté voisine avec l’extrême douceur.
Dans la seconde section intitulée Take me home, le récit se resserre autour des personnages d’Aurore et de Mahaa mais aussi de Niniel et d’Alma.
Aurore, c’est la lumière de l’or : Aurore danse au milieu des flammes. Elle renvoie aux dents jaunes de l’homme à la barbe qui pique. Les épines du hérisson de la première partie font ici écho à la barbe qui pique de l’homme.
Il a laissé un hérisson mort dans mon vagin.
Les mots sont forts, perturbants, à la hauteur du traumatisme rapporté.
On y retrouve aussi l’eau et le feu, la peau, le peu, et le pleut.
Mahaa brûle. Aurore pleut. Je crie.
C’est la même Aurore qui, dans une partie saisissante va « racler le fond d’elle-même » avec un cintre.
Chacun de ses hoquets la faisaient trembler. Faisait tomber des caillots de sang.
Le long de ses cuisses.
L’ultime section, La Lavande, est un texte d’apaisement, de réconciliation. Un texte aussi pour que rien ne s’arrête…
On l’aura compris, PEAU de Manon GODET est un recueil riche, résistant à toute lecture univoque, qui pétille, happe, stupéfie, coule, transformant sans cesse ses composants, tout en maintenant une ligne directrice, qui la mène droit au lecteur, pour le rendre plus sensible, attentif à ce qui se joue à la surface et au-dedans du corps.
Où je parle de quelques-uns de mes ouvrages sur CFM RADIO, à La Louvière, dans Une heure à la bibliothèque, à l’invitation de Véronique JANZYK et, avec David BRUSSELMAN à la réalisation technique.
« On est toujours sur la sellette de quelqu’un, même quand on est quelqu’un de sympa, Eric Allard ne s’y trompe pas. Gentil, mais pas naïf… Il évoque aussi son dernier opuscule, La maison des animaux, aux éditions Lamiroy. Eric Allard est aussi auteur de poésie (voir son recueil Les Corbeaux brûlés, éd du Cygne). Un auteur qu’il apprécie ? René Char… »
« Régler ses comptes aux poètes mais pourquoi donc !? « Parfois ils m’insupportent, mais pas au moins de les haïr, non, parfois j’ai envie de moquer leurs travers. Le poète fourbe sert à se faire valoir par ses comportements, pas par son art. J’égratigne les faux rebelles… J’en observe et je ne m’exclus pas tout à fait de la catégorie ! » «
Je dédicacerai Grande vie et petit mort du poète fourbesamedi 21 mai2022 après-midi à la Bibliothèque Marguerite Yourcenar de Marchienne-au-Pont (Place du Perron, 38), dans le beau cadre du Château de Cartier, à l’occasion de la Journée mondiale de la diversité culturelle pour le dialogue et le développement.
Je dédicacerai La Maison des animauxdimanche 22 mai après midi à la librairie du Mot Passantà 1090 Bruxelles (300, Avenue de Jette) dans le cadre de la séance de dédicaces de plus de cent auteur des Editions. Lamiroy (pour l’occasion, tous les Opuscules seront à 2€ – au lieu de 4 €)