2022 – FLEURS DE TEXTES : POÈMES À L’ENCRE BLEUE / La chronique de Denis BILLAMBOZ

DENIS BILLAMBOZ

Claude DONNAY, dans sa petite mais brillante maison d’édition, BLEU d’ENCRE, sélectionne toujours d’excellents recueils de poésie qu’il édite dans des supports toujours très sobres mais aussi très élégants. J’ai réuni dans cette chronique deux auteurs, Marcelle PÂQUES et Daniel CHARNEUX, que je connais bien et que j’apprécie tout autant avec un autre auteur que j’ai découvert à l’occasion de cette lecture, Dominique OTTAVI. Avec Claude, le charme opère à chaque fois, les auteurs sont brillants et l’éditeur est pointilleux, c’est donc un plaisir de vous offrir ces trois commentaires réunis dans une seule et même chronique


A bas bruit

Daniel Charneux

Bleu d’encre


Daniel Charneux, je l’ai croisé sur un site de littérature bien connu, un des tout premiers à s’installer sur la Toile, c’est ainsi que j’ai pu le rencontrer, deux fois, à Bruxelles à l’occasion de la Foire du livre. Ce fut un réel plaisir de découvrir l’homme et son œuvre, depuis j’ai eu la chance de lire plusieurs de ses livres : Maman Jeanne, A propos de Pre, Pierre Hubermont, écrivain prolétarien, de l’ascension à la chute (écrit avec deux co-auteurs)… Mais, c’est la première fois que je le lis dans de la poésie où il n’a, selon mes sources, publié jusqu’alors qu’un recueil de haïkus.

Dans chacun de ses livres Daniel raconte l’histoire de personnes qui l’ont particulièrement marqué : la mère dans Maman Jeanne, Steve Prefontaine, un champion de la course à pied qu’il pratique lui aussi mais à un autre niveau, et l’écrivain maudit et oublié, Pierre Hubermont, dont il a essayé de comprendre la dérive extrémiste. Dans ce recueil de poésie, Il évoque aussi les gens qui ont peuplé son enfance et sa jeunesse, qui ont contribué à construire l’homme qu’il est devenu alors qu’il n’était qu’un gamin rêvant d’aventures : « Il aimait les westerns / les bagarres dans les saloons, les carabines à canon scié / les attaques de diligences / Rio Bravo / Fort Alamo / Règlement de comptes à OK Corral… ». Tout comme moi !

Le frère absent occupe aussi une place importante : « … / un frère de sang « à la vie à la mort » / un frère de lait ou un frère lai / un frère trois-points / un frère d’armes ou un faux frères / … ». Les femmes sont elles aussi présentes dans ce temps de la construction : « Il regardait avec curiosité / les dames qui entraient à l’église / et qui allaient s’asseoir à gauche / parmi d’autres dames / dans un enclos à elles réservés // D’elles émanait un grand mystère / à peine dévoilé quand montant à l’échelle/ une fille un peu grande laissait flotter ses jupes ». Mais il y a aussi des fous-rires, des voyages dans les rêves, les chansons, les livres, …, dans un monde réel ou imaginaire. Un monde souvent indéfini « vers la vraie vie / ou vers le rêve », « Il s’est longtemps demandé / si l’extase était réelle ou non », « Elle lui avait donné rendez-vous place de l’étoile / elle n’avait pas précisé laquelle », … » . L’indécision mise en vers.

La poésie de Daniel est fluide comme un ru serpentant dans une nature hospitalière, propre à accueillir les aventures d’un enfant rêveur, les désirs d’un adolescent en plein éveil, les promenades réconfortantes d’un adulte à la recherche d’un peu de calme et de sérénité. Elle est construite avec un vocabulaire riche empli de mots doux et soyeux qui confèrent à ses poèmes une quiétude et une fraîcheur en parfaite harmonie avec le monde qu’il décrit.

Ce recueil me parle particulièrement car j’ai grandi dans un milieu semblable bien que fort éloigné de celui de Daniel. Un véritable bain nostalgique dans mon enfance et mon adolescence.

Le recueil sur le site des Editeurs singuliers


Le cœur en balade

Marcelle Pâques

Bleu d’encre


Voilà un nouveau recueil de Marcelle avec, comme toujours derrière les mots, son sourire, sa fraicheur, sa bonne humeur, comme l’écrit Eric Allard, l’excellent préfacier, « Marcelle Pâques cultive l’art de la joie » même si parfois elle la trouve un peu acide :

« Parlons-en de la vie ! / Elle se la joue indignée / Assise genoux serrés / Comme une vieille fille aigrie ».

Elle reste un beau rêve porteur d’illusions… peut-être ? :

« La vie / Une illusion ? / Je rêve d’une oasis / Qui ne serait pas un mirage ».

Mais la vie est fugace, éphémère, provisoire, polymorphe :

« La vie / Insaisissable / Aux multiples visages / Construit sur le rivage / De beaux châteaux de sable ».

Chez Marcelle, la vie c’est la communion avec la nature et ceux qui la peuplent, ce sont aussi les errances, les déambulations, les évasions, les balades au hasard des chemins et des sentiers de son coin de Belgique ou d’ailleurs :

« Après la pluie… / Le pépiement des oiseaux / Un concert de carillons / Soignies se balance / … »

« Baguenauder / Sortir du cadre / Bouleverser / L’ordre des choses / Importantes / Dans quel sens ? ».

L’évasion c’est aussi le voyage en Espagne, en Provence ou ailleurs encore :

« Voyage / La forêt et l’âme / recèlent une clairière / une source où s’abreuver / Le chant du monde / se révèle / au cœur attentif ».

Le voyage est aussi une déambulation dans le temps : deux fois en avril et une fois en décembre avec le cœur en hiver.

Ces textes légers, plutôt iréniques même s’ils contiennent une pointe d’inquiétude à peine dissimulée, sont placés entre un incipit de Rilke et un dernier poème de Cendrars gages de l’excellence des références littéraires de Marcelle. Sans oublier les jolies illustrations de Catherine Hannecart qu’elle présente comme sa belle-fille.

Et pour conclure, je citerai ces deux vers de Blaise Cendrars comme une pensée du jour et même une philosophie de vie :

« Sauf ce rire que nous aimons / Il faut savoir être bête et content ». Alors rions même si certains nous trouvent bêtes, nous, nous resterons contents d’avoir lu ce joli recueil plein d’optimisme réconfortant dans la lourdeur de l’ambiance qui règne actuellement dans notre monde.

Le recueil sur le site des Editeurs singuliers


A tire d’ailes, Bruxelles

Dominique Ottavi

Bleu d’encre


Dominique Ottavi introduit ce recueil par une stance à Rio di Maria, autre poète venu du Sud, disparu il y a tout juste deux ans. Je ne l’ai pas connu mais notre passion pour la littérature nous a conduit souvent sur les mêmes pages de la Toile où nous nous sommes régulièrement croisés. Il était de Sicile, il a vécu à Liège. Comme le dit Dominique dans son long poème :

« … / Nous venions du Sud / Avec nos pastels / Nos 4L / … ».

Lui, Dominique, il a échu à Bruxelles,

« Bruxelles, Bruxelles / Bruxelles si je t’oublie / Bruxelles à tire d’ailes / Bruxelles mon éternelle / … »

Bruxelles dont il s’est épris, Bruxelles et sa vie nocturne, Bruxelles capitale de la jeunesse européenne en liesse, Bruxelles chanté par moult écrivains belges ou immigrés dont l’auteur en cite de nombreux. Bruxelles qu’il chante comme le port d’attache des longs voyages qu’il a entrepris.

« … / Bruxelles ce port / qui cherche encore sa mère / … »

Kerouac a écrit sa route sur un long rouleau de papier, Homère a conté en un long poème la périlleuse Odyssée maritime d’Ulysse, le voyage a été le prétexte à de très nombreux textes. Dominique Ottavi a lui écrit sa vie en un long, long, long poème composé de courts, courts, très courts vers qui dévalent les pages comme un train avale ses rails, pour dire le long périple qu’elle fut. Un périple mouvementé, enchanté, plein de musique et de chansons, qui l’a toujours ramené à Bruxelles son Ithaque à lui. Il me semble que Dominique est lui aussi un chanteur et qu’il a peut-être connu la vie des saltimbanques gagnant quelque argent en chantant aux terrasses des cafés ou ailleurs encore.

« … / Bac passé / Le début des vagabondages / Routes en tout genre, / Gagnant ta vie chantant aux terrasses / … »

Et chaque voyage le ramène à Bruxelles où il trouvera toujours une bière à partager avec des amis.

« … / La bière est dans le verre / Le ver est dans le fruit / Et la vie est à nous / … »

Sans jamais oublié qu’il vient d’ailleurs, qu’il a une histoire qui l’a conduit dans cette ville.

« Bruxelles / Venir au monde / Il s’agit d’une histoire / Ancienne / Dont je n’ai jamais consommé / L’oubli / … »

Pour conclure cette balade, en forme de ballade poétique, je voudrais laisser mon dernier à mot à cet autre poète qui a lui aussi aimé Bruxelles avec telle ferveur qu’il l’a magnifiquement chantée :

« C’était au temps où Bruxelles rêvait / C’était au temps du cinéma muet / C’était au temps où Bruxelles chantait / C’était au temps où Bruxelles bruxellait ».

Dominique et Jacques, deux grands poètes voyageurs qui ont, un jour ou l’autre, jeté l’ancre à Bruxelles après avoir parcouru, les routes, les mers, les villes et les villages, …, toujours en écrivant des poèmes pleins de couleurs, d’amour et d’amitié, rythmés comme le voyage d’un train qui parcourt les grandes prairies. Des poèmes qu’ils chantaient à chaque étape.

« … / Je vais-je vais / Sans me laisser distraire / Par les mendiants / Ni par les routes / Tous les pays toutes les rivières / Toutes les montagnes / Et toutes les villes / … »

Le blog de Dominique Ottavi


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LA FABRIQUE DES MÉTIERS – 116. POÈTE DE CHAMBRE


Installé à portée du lit, le poète de chambre assouvit vos besoins en poésie.

Quand vos rêves manquent d’inspiration et se contentent de calquer le réel, quand vos méditations peinent à vous extraire du monde, quand vos pensées souffrent à vous sortir de votre circuit neuronal habituel, le poète de chambre vous apporte votre ration d’imaginaire dans une langue vive et non moins relaxante.

Car il ne faudrait pas que le poète de chambre vous ôte le sommeil ou vous fasse rejoindre, au milieu de la nuit, la vraie vie, une brocante nocturne, un apéro festif d’avant petit-déjeuner, une retraite aux rimbauds, un club échangiste sur fond d’une musique techno laserisante.
Le poète de chambre saura éveiller et élever votre esprit sans qu’il vous rende insomniaque ou astronaute.

Le poète de chambre a le sens des réalités, il sait qu’au matin, vous devrez faire face à une nouvelle journée de merde à vous taper des sous-sous chefs avides de monter d’un échelon dans la hiérarchie des voleurs ainsi que votre lot quotidien de vexations, déceptions et flicages en tout genre.

Pendant sa formation, l’apprenti poète suivra de nombreux ateliers d’écriture dans tous les genres que la littérature du sommeil comprend et une master class avec Eric-Emmanuel Script, un écrivain réputé résidant à deux pas de La Fabrique des métiers et usant d’un subtil pseudo pour ses activités plus lucratives.

Le jury chargé de d’évaluer son tfe, allongé sur un lit géant (offert par Plum’Art) sera composé de belles plumes (de traversin) régionales (faisant partie de l’anthologie Une coucherie intemporelle paru dans la collection somnambulique, Espace literie) et d’un grand paresseux des Lettres édité à la Maison du Sommier.     


LA FABRIQUE DES MÉTIERS – 115. ETREIGNEUR DE LUMIÈRE


En fin de journée, les lumières baissent avant de virer au rouge, elles peinent à la tâche et ressentir un besoin pressant de soutien. Les étreindre alors leur donne un supplément d’âme pour rallier la nuit tombante et se répandre dans la mer de l’obscurité.

L’étreigneur de lumière se placera en amont de l’estuaire, là où la barque de lumière ralentit, perd des candelas et qu’on ne sait si elle atteindra le ponton.

Etreindre la lumière nécessite une bonne dose d’empathie pour ce qui provient en droite ligne du soleil. Aucun a priori sur les zones de vide traversées et les particules ombreuses croisées ne doit venir chatouiller l’esprit du jobiste !

Seul le sentiment de la lumière naissante, étincelante, aurorale doit guider la lampe de l’étreigneur !

Il écarte les bras en pensant à l’infinité du cosmos, il prend une grande bouffée d’oxygène, il a une pensée pour la chaîne de clartés éteintes et, dans son geste d’offrande, vient s’insérer la paquet déclinant qui, au contact de la chaleur manuelle, retrouve l’énergie nécessaire pour gagner l’orée des rêves.

Avant d’entrer dans la nuit, l’étreigneur de lumière veillera à bien fermer la porte du jour.


2022 – FLEURS DE TEXTES : LETTRES DE JEAN-LOUIS MASSOT / La chronique de Denis BILLAMBOZ

DENIS BILLAMBOZ

Pendant de nombreuses années j’ai lu des recueils de poésie sélectionnés avec grand soin par Jean-Louis MASSOT. Maintenant qu’il a mis un terme à sa carrière d’éditeur, il a plus de temps pour écrire lui-même de la poésie. J’ai eu la chance de pouvoir lire deux de ces derniers recueils, l’un édité chez l’excellent Le Chat polaire et l’autre mis en forme par le Centre de créations pour l’enfance de Tinqueux. Deux occasions de lire de la belle poésie de Jean-Louis.


Abonné.e.s absent.e.s

Jean-Louis Massot

Le chat polaire


Avant d’avoir lu une seule ligne de ce recueil, j’ai déjà été épaté par la qualité du livre support, un très bel objet littéraire, belle qualité du papier, de la mise en page, de la typographie et surtout les éblouissantes peintures de Ronan Barrot illustrant le texte et la couverture.

Jean-Louis Massot, je l’ai bien connu comme éditeur et un peu moins comme auteur, c’est un personnage important des lettres francophones de Belgique et même de France où il a vécu avant de s’installer à Bruxelles. Dans ce recueil, il étale toute la finesse littéraire qui lui a permis de détecter les fines plumes qui ont fait la renommée des éditions Les Carnets du dessert de lune pendant un quart de siècle au moins.

Dans le présent recueil, à mon sens, il évoque la solitude, non pas solitude qui ronge les hyperactifs et les impatients qui ne savent pas s’occuper et qui ont toujours besoin des autres pour exister ; pas plus que celle de celui qui s’ennuie à regarder le temps s’écouler trop lentement. Non, il évoque la solitude de ceux qui, ayant déjà vécu un certain temps, un temps certain pour quelques-uns, savent avec sagesse prendre du recul pour regarder le monde qui s’agite, se démène, souvent avec une grande puérilité. Ces gens qui savent regarder, écouter les bruits de la rue, d’un bistrot ou d’ailleurs encore, le mouvement et la musique de la vie.

« Cerné par l’agitation urbaine, il laisse lentement s’écouler son attente tandis que se diluent les glaçons dans les verres de menthe à l’eau que le serveur a posés sur la table et qu’il ne touche pas. Personne ne viendra. Il en a pris l’habitude ».

Cette solitude se combine souvent avec d’autres thèmes comme la course après les mots qui refusent de se précipiter sur la page blanche. «… il aurait tant aimé voyager en compagnie de mots fréquentables qui l’auraient aidé à terminer ce roman qui s’éloignait dans ce train qu’il venait une nouvelle fois de rater ». Ou, avec la pêche aux poissons au cours de laquelle «… il cherche à puiser des mots dans les pages d’un livre qu’il a emporté comme s’il savait depuis le début que les poissons et les mots ne sont pas toujours au rendez-vous ».

Il y a aussi ceux qui, atteints du mal de notre temps, s’agitent avec frénésie sur le clavier de leur téléphone pendant que « Lui, il reste assis du matin au soir devant les images de sa télévision ; il a coupé le son, ne sait pourquoi mais rigole ». Et, à la fin, il reste l’aïeul qui s’évade progressivement vers un autre monde, « Sa maladie n’est pas bien grave, juste que parfois il ne sait plus trop bien qui il est et pourquoi quelqu’un lui a stupidement acheté des tennis roses ».     

J’ai beaucoup aimé la finesse de ces textes où se glisse une petite dose de malice, juste ce qu’il faut pour en relever le goût et la saveur. Jean-Louis le sait bien et il le prouve, quand on est seul, on n’est pas toujours aussi seul que certains le croient ! La solitude peut être précieuse comme un silence un jour de vacarme !

Un recueil qui conjugue à merveille l’élégance de la forme et du fond qui correspond si bien à Jean-Louis.

Le recueil sur le site du Chat Polaire


Jean-Louis Massot

Aussi les gens

Jean-Louis Massot

Edition du centre de créations pour l’enfance de Tinqueux


Depuis presque toujours, la poésie nourrit l’imaginaire de Jean-Louis Massot, il a édité, pendant un quart de siècle, de très nombreux recueils toujours d’une excellente qualité. Le regard qu’il pose sur les choses les plus infimes mais sur « Aussi les gens » est très perçant, il détecte le moindre détail, la plus petite faille, la courbe douce ou l’angle saillant, la couleur chatoyante ou simplement l’ombre en noir et blanc. Son œil détecte, comme le rayon d’un radar, tout ce qui enchante la nature et la vie en général. Mais il est implacable quand il relit les épreuves des auteurs qui lui adressent un manuscrit, rien ne lui échappe, seuls les meilleurs textes passent dans son tamis.

La poésie c’est son adrénaline, son oxygène, sa sérotonine, …, sa raison d’exister. Il la fait encore merveilleusement vibrer dans ce petit recueil de poésie en prose en lui donnant la vie qu’il donnerait à une jeune fille qu’il voudrait séduire. Comme la fille aguicheuse, la poésie peut-être aussi espiègle et déroutante. « La poésie nous avait annoncé sa venue. Nous avions astiqué les cuivres …, mais la poésie n’est même pas passée en coup de vent ».

Chez Jean-Louis, la poésie est aussi gourmandise, elle se mange, se déguste même si les experts des guides étoilés peuvent la bouder. « Les critiques gastronomiques étaient dans ce restaurant, qu’ils avaient récompensé d’un macaron, à barguigner si la poésie méritait une étoile dans leur guide, mais ils ne devaient pas être dans leur assiette car ils sont partis sans laisser d’étoile ni de pourboire au personnel.

Alors la poésie est retournée mijoter le plat du jour ».

Jean-Louis met la poésie en couleur dans le texte, « … les feuilles des marronniers. Mordorées (le plus joli adjectif de la langue française), cuivrées, jaunies, mortes, … » mais en noir et blanc dans les illustrations de Thomas Venet. Ces dessins m’ont fait penser à ceux que Cocteau glissait dans ses recueils, tout réside dans la finesse du trait, dans l’esquisse du sujet représenté. Ce recueil en forme de carnet à spirale, comme celui que chantait William Sheller, est un véritable bouquet de printemps dans les rayons de ma bibliothèque

La collection Petit VA ! de l’édition du Centre de Créations pour l’Enfance de Tinqueux


UN ANCIEN TESTAMENT  ·  DÉLUGE DE VIOLENCE de Claude LUEZIOR (L.-G. Racine) / Une lecture de Michel BÉNARD


Cet ouvrage récent de Claude Luezior « Un Ancien Testament déluge de violence » est sans doute dans sa longue bibliographie une de ses œuvres la plus révélatrice, mais également la plus lucide et à n’en pas douter la plus incisive.

L’Ancien Testament ! Nous le savions, mais c’est pour le moins sidérant, car au-delà de toutes ces horreurs divines, il s’agit bien parait-il d’un « bon Dieu » d’amour et de compassion. Cependant les révélations donnent froid dans le dos.

Il est des livres dits Sacrés ou Saints qu’il vaut mieux ne pas mettre entre les mains de certaines personnes fragiles ou avides de pouvoir, ce qui pourrait leur donner de très mauvaises idées, car, de par leurs penchants naturels, ils n’ont vraiment pas besoin de conseils douteux ou mal interprétés.

Quant à prêter serment ou jurer sur la Bible cela peut apparaitre comme une insoutenable hypocrisie et un mensonge éhonté.

Au travers de son ouvrage « Un Ancien Testament déluge de violence » Claude Luezior ne porte aucun jugement, simplement il se place en simple observateur. Belle clairvoyance sur ces plaintes mortifères ayant poussé sur un terreau dénaturé.

Claude Luezior soulève et remet en question les aspects majeurs des livres Saints ou Sacrés, censés nous oindre des huiles de leurs sages paroles ou aphorismes, alors que le plus fréquemment ce n’est qu’un déferlement de violence, de haine, de vengeance, d’intolérance, bien évidemment le tout brodé par les fils de l’ignorance.

Claude Luezior ne fait que souligner les points sensibles et les excès des religions, des controverses, des révélations aveugles et primaires, des drames oubliés ou détournés par les absurdités de certaines lois dites divines.    

La légende perdure, Dieu créa l’homme ! Mais à n’en pas douter il semblerait que ce soit plutôt l’homme qui créa Dieu ! Mais à qui adresser la plainte pour cette supercherie ? Cet Ancien Testament était déjà la base fondamentale de La Commedia dell Arte. Même les enfants auraient du mal à cautionner ces bouffonneries. Mensonges, délations, trahisons, incestes, sodomies, toute la panoplie du genre humain de la plus méprisable espèce.

Ici, le souffle divin n’est guère porteur d’amour, il dispense des senteurs de génocides, de terres brulées, de crimes contre l’humanité avant le nom, la grande farandole biblique s’organise, le tout cautionné par la sainte contribution des miracles inexpliqués autant qu’inexplicables.

Claude Luezior nous offre un ouvrage qui extirpe de l’ombre les esprits obtus en dénonçant les inepties des religions, sans parler des multiples duperies et arrangements des écritures apocryphes. Simple jeu de bon sens.

C’est à croire que l’histoire se renouvelle malgré l’expérience du passé et les dangers programmés. Les incohérences, les infantilisations, les grandes mascarades et bouffonneries prennent la dimension de la mise en scène biblique. Les absurdités sont pléthores.

Notre poète souligne ou ironise sur l’absurde kafkaïen des situations, les constats sont multiples et croustillants, il suffit de lire simplement cette démonstration biblique où carnages, guerres, génocides, lynchages, mise à mort ou ce besoin de juger sont toujours à l’honneur. Dieu en sa grande mansuétude est juste et bon, ses actes ne peuvent être remis en question ou gare ! Sans oublier que notre Dieu tout puissant a ses serviteurs zélés dans la lignée des Savonarole en autres où les buchers purificateurs ne sont jamais bien loin.

Inepties, controverses, aberrations sont de mises à chaque page du Saint Livre. Même sur le plan de la symbolique la plupart de ces préceptes bibliques, ne sont qu’interprétations des lois en fonction d’une cause ou d’une autre, l’ensemble se révélant être que d’inquiétantes incohérences.

Claude Luezior qui a le sens de l’humour, n’en a pas moins le sens du sacré, du mysticisme, se pose la question devant les épouvantables colères célestes : « Vous avez dit bon Dieu ? »

C’est sous cette éclairage courageux, lucide, critique, mais toujours objectif, que notre poète évoque tout le questionnement que peut soulever ce livre, ces livres prétendus Saints.

Mais avant de conclure, il me semble que tous les auteurs, traducteurs, exégètes et théologiens de tout ordre auraient dû consulter Erasme, auteur de l’ « Eloge de la folie » qui sans  doute aurait trouvé le remède et les aurait aidés à démêler tous ces imbroglios bibliques au risque lui-même d’être frappé par la colère divine.   

« Le nombre de fous est infini. » (Ecclésiaste 1, 15, selon la Vulgate.)

Un espoir cependant, tout à la fin de cet ouvrage qui comporte plus de 350 citations bibliques: Luezior, qui ne prétend nullement être un théologien, distingue bien entre l’Ancien et le Nouveau Testament. Perspective humaniste et de paix entre les peuples, au milieu de ces plaies d’Egypte et affres d’ailleurs : ce qui est rassurant, c’est que le premier à les avoir remis en perspective est un rebelle d’un nouveau genre, incarnation du pardon et de l’amour, le Nazaréen Jésus Christ.

Lisez ce livre « Un Ancien Testament déluge de violence » vous serez étonnés, voire bousculés dans vos convictions, mieux, d’accord ou pas d’accord avec les dits de Claude Luezior vous serez emportés dans la spirale d’une interrogation qui ne vous laissera pas insensibles.  

Michel Bénard


Claude LueziorUn Ancien Testament déluge de violence

Liminaire et illustration de couverture de l’auteur.

Format 13 x 21 ½ – Nombre de pages 158 –

Editions – Librairie-Galerie Racine – Paris- VI -ème

Le livre sur le site des Editions Librairie-Galerie Racine


LA FABRIQUE DES MÉTIERS – 114. CONTRÔLEUR DE LEVIER


Depuis la sentence un rien péremptoire d’un Archimède agacé d’avoir pris un bain à une mauvaise température le 21 juillet (c’était un samedi) de l’année 252* avant JCé, Donnez-moi un point fixe et un levier et je soulèverai la Terre, certains l’ont pris au mot et les leviers sont devenus un objet de convoitise.

Non content de soulever leur derrière, leur moitié, leur charge mentale, leur progéniture, les hommes guignent vers les leviers pour faire basculer faune, flore, formicidés et crabes de la politique dans le vide intersidéral.  

Même si de nombreux mécaniciens amoureux de l’ordre terrestre ont alerté l’opinion tout au long des millénaires passés, jamais rien de concret n’a été mis en place par les autorités, tu m’étonnes.
Il aura fallu attendre le 21 juillet 2022 pour qu’un corps de métier soit créé, afin de pallier (avec des palans, tiens !) le manque criant d’initiative dans ce domaine.

Le contrôleur de levier (qui agira en binôme, pour plus d’efficacité) sera affecté de jour comme de nuit à la surveillance d’une série de leviers (l’argent débloqué pour les sinistrés des invasions et inondations ne permet pas d’en prévoir un par appareil) de façon à dissuader ou, au pire, à prendre sur le vif ceux qui seraient tentés de manoeuvrer un engin de levage à des fins déstabilisatrices.

Car les leviers sont partout, tels les vilains démons de la vie pratique : tape-cul, balance, pince à épiler, à chiqueter, à cliqueter, à étiqueter…, casse bonbon, brouette thaïlandaise, pied-de-biche hongrois, décapsuleur wallon, frein à main muscle triceps brachial du bras, pelle, pince-tenaille et diables en tout genre… C’est dire si le contrôleur devra avoir l’œil sur toutes les machines simples.

Il devra aussi être en mesure de pratiquer les mesures de rééquilibrage qui s’imposent au cas où le malfrat aurait entamé sa néfaste manœuvre. En pesant de toute sa masse sur le bras de levier résistant, comme l’a montré la loi du levier de Walter Fendt (un des premiers à avoir posé un acte fort pour se prémunir d’un tel danger)… Ou bien en allongeant la distance s’éparant l’endroit où s’exerce la forme motrice du fameux point d’appui (aussi appelé pivot quand le levier fait bascule).

Une fois de plus, La Fabrique des métiers se félicite d’avoir anticipé le principal risque qui menace notre planète, ceci afin que continuent à tourner toujours dans le meilleur sens les nominations politiques éhontées et autres affaires bancales de notre si belle humanité.

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*C’était trois jours avant la découverte de la poussée d’Archimède accompagné de son fameux Eurêka qui allait donner le coup d’envoi de l’hydrostatique, une branche de la physique qui plonge ses racines dans la matière liquide.


2022 – FLEURS DE LETTRES : CLIN D’OEIL À OLIVIER HERVY / La chronique de Denis BILLAMBOZ

DENIS BILLAMBOZ

Après que j’ai lu et commenté son P’tit Cactus paru au Cactus Inébranlable, Olivier HERVY m’a proposé de découvrir deux petits recueils d’aphorismes édités chez d’autres éditeurs, Denis Editions et Fly, dans lesquels j’ai retrouvé la même adresse dans l’utilisation des mots et la même vivacité d’esprit pour inventer de jolis aphorismes. Dans ces deux derniers recueils, il change un peu son approche en spécialisant chacun de ces deux opus dans des domaines bien définis. Dans l’un il campe un personnage insupportable et dans l’autre il évoque des voisins particulièrement typés avec lesquels il partage des aventures rocambolesques et même ubuesques. De l’aphorisme en général à l’aphorisme appliqué à un contexte bien défini.

Olivier HERVY

Etrangler l’anguille

Olivier Hervy

Cactus Inébranlable Editions


Comme je l’avais déjà noté lors de la publication de son premier recueil dans la collection des P’tits Cactus, « Olivier Hervy rassemble des aphorismes comme de véritables petites nouvelles, des miettes d’existence, des fragments de vie, des instants figés, directement inspirés de son quotidien … ». J’ai eu l’impression qu’il testait une éventuelle publication dans la nouvelle collection des Microcactus, à mon avis, ces micronouvelles pourraient tout à fait trouver leur place dans cette collection.

Olivier décrit des événements insolites, incongrus, inattendus, impossibles, drôles tout en ménageant à chaque fois une chute surprenante. Il regroupe ses micro-textes dans des sortes de rubriques comme « Série ma fille rigoler », « Pavillons, je vous hais », « Série deux fois veuve », etc…

Il prétend que l’art de l’aphorisme se situe aussi dans l’habileté à relier deux faits, ou deux éléments, qui n’ont aucun rapport entre eux, comme une porte et la paternité, navigant entre le zeugma et l’oxymore :

« Un ami me confie qu’un jour, une jeune femme a sonné chez lui et a déclaré être sa fille. Aussi, je n’en reviens pas, ce matin, de voir le facteur devant la porte de mon vieux voisin ».

Il écrit aussi des syllogisme improbables :

« « Je ne monterai plus jamais sur des échasses ! », me dit M. après sa violente chute. Plus tard il se coupe le doigt en tranchant du pain et je m’inquiète alors : comment va-t-il vivre sans toucher un couteau ! ».

Son champ d’inspiration va de la satire du comportement humain :

« A cet ami fier d’avoir déniché le dernier potager pour y construire son pavillon, je ne proposerai pas la promenade dans la vallée si calme. Il pourrait y construire une résidence secondaire. »

Au travail de l’aphoriste :

« Souvent nos actions ont pour résultat le contraire exact de l’effet escompté et l’on enrage. Sauf, l’aphoriste qui se frotte les mains et prend des notes. »

En passant par la poésie, elle est incontournable :

« Les sacoches à l’arrière de son vieux vélo servent surtout à promener les souvenirs de mon enfance. »

Et bien d’autres thèmes encore qui se rattachent, pour la plupart, à la vie quotidienne des humains sur la planète qu’ils occupent si mal ! Un très bon recueil qui, à mon sens, montre que le champ de l’aphorisme est très vaste, qu’il peut s’étendre à de nombreuses formes littéraires et qu’on peut utiliser cette forme d’expression à diverses fins.

Le recueil sur le site de l’éditeur


Promenades avec le déplaisant P.

Olivier Hervy

Denis Editions

J’ai découvert Olivier Hervy à la lecture des deux recueils d’aphorismes qu’il a édités au Cactus inébranlable, l’obstination du liseron et Etrangler l’anguille. Après avoir lu mes deux chroniques, il a souhaité me faire découvrir d’autres écrits qu’il a publiés dont ce petit recueil d’aphorismes qui se situe directement dans la ligne des deux précédemment cités. Dans les deux recueils publiés au Cactus inébranlable, Olivier « rassemble des aphorismes comme de véritables petites nouvelles, des miettes d’existence, des fragments de vie, des instants figés, directement inspirés de son quotidien notamment de ses relations avec sa charmante vieille voisine toujours impeccable, son bruyant voisin bricoleur, sa boulangère revêche, … ». On pourrait presque dire que le présent recueil se situe dans la droite suite des deux précédents, en effet, dans celui-ci, il évoque tous les désagréments qu’il y a à vivre avec un voisin déplaisant.

Une personne, comme Le déplaisant P., qui « demande une baguette pas trop cuite » ne peut pas être une personne avec laquelle je partirais en vacances, le pain c’est fait pour être mangé cuit !!! A part ça, Monsieur Déplaisant a de nombreux autres défauts, il est égoïste, égocentriste, puant, sans-gêne, collant, envahissant profiteur même si à première vue c’est plutôt un brave type certes désagréable par inconscience ou par cynisme pur, difficile de se prononcer sur cette question.

Olivier décrit des petites scènes pleines d’humour dans lesquelles le triste sire met en évidence ses fâcheux défauts :

« Vous me direz pourquoi ne pas rompre ? Pourquoi ne pas le rayer de nos carnets d’adresses ? c’est que P. n’est pas franchement désagréable . il s’en garde bien, il est prudemment déplaisant ».

« Ce qui nous agace tous, c’est l’indécente santé du déplaisant P. Car nous enrageons de savoir qu’il nous enterrera tous ». Pas très charitable l’auteur !

« Je dirais bien ses quatre vérités au déplaisant P., mais ce serait trop long ».

« Le déplaisant P. se désole : des hirondelles nichent chez tous les voisins mais pas chez lui ».

Déjà enfants personne ne le supportait :

« « Enfant, je gagnais toujours à la cachette » me dit fièrement le délaissant P., « si bien que l’on devait même m’appeler pour que je sorte, quand mes parents venaient me chercher » ».

Le déplaisant P. ne manque pas d’atouts, il possède de nombreuses aptitudes à se rendre désagréable : « Humour grinçant, vexations, rebuffades, maladresses, indélicatesses, grossièretés…. Le déplaisant P. a plus d’une corde à son arc ».

La seule lecture, pour l’exemple, de ces quelques extraits vous laissera penser, comme moi, que l’auteur devrait vite déménager, surtout quand on connait le voisinage dont il dresse le tableau dans un précédent recueil.

Le recueil sur le site de l’éditeur


Promenades accompagné

Olivier Hervy

Fly


Après avoir lu, il y a peu, « Promenades avec le déplaisant P. », j’ai lu cette semaine « Promenades accompagné »,  un recueil d’aphorismes de la même inspiration que le précédent. Ce nouveau recueil se présente exactement de la même façon que celui que j’ai lu avant : même format, même mise en page, même police, etc…, éditeur différent mais éditeur domicilié à la même adresse que celui qui a édité le précédent recueil. Donc, nous pouvons dire que ces deux recueils ont été écrits et édités dans les mêmes conditions par les mêmes personnes et, donc, qu’ils se situent dans la droite suite des trois précédents opus  (les deux que j’évoque plus les deux édités par Cactus Inébranlable Editions).

Je pourrais donc répéter ce que j’ai déjà écrit lors de ma précédente chronique : Olivier « rassemble des aphorismes comme de véritables petites nouvelles, des miettes d’existence, des fragments de vie, des instants figés, directement inspirés de son quotidien notamment » des personnes de son entourage proche. Comme s’il passait son temps à observer ses voisins pour distribuer les bonnes ou les mauvaises impressions qu’elles lui laissent pour les consigner dans son recueil.

Dans le précédent opus, il évoquait principalement les faits et gestes de son voisin le plus déplaisant, dans ce nouvel opus il décrit les faits et gestes de plusieurs de ses voisins :

V. qui parle à voix trop basse pour qu’on comprenne ce qu’elle dit. « Mon amie V ? qui parle toujours à voix basse à un cheveu sur la langue, mais personne ne s’en est encore aperçu ». Ce travers prête à de nombreuses espiègleries de l’auteur.

Le boucher qui, à la longue, ficelle ses rôtis mécaniquement « comme on fait pour un lacet ». Cette habitude le conduit à préparer son étal toujours de la même manière et l’auteur à en faire une jolie description : « En rang par quatre, les tomates farcies reproduisent l’erreur des soldats de la Grande Guerre : leur uniforme rouge attire l’attention. Aucune n’en réchappera ».

La pingre de C. qui fait tout à l’économie. « … et tu ne crains pas qu’un jour cette pingre de C. ne lise ce livre et se reconnaisse ? », me demande mon ami W. Impossible, il coûte quatre euros ». Pingrerie et radinerie sont les deux mamelles de la moquerie, elles donnent beaucoup de matière aux auteurs observateurs et perspicaces.

Le gendarme à la retraite qui voudrait tout régimenter comme il le faisait, ou ne pouvait pas le faire, avant. « En remontant de sa parcelle, le vieux gendarme ramasse un bâton, pousse une pierre, coupe une ronce. Il sécurise la zone ». Le gendarme est un peu la tête de truc de l’humoriste … alors …

L’élégant J.P., prêt à tout pour paraître mieux que les autres. « J’envisage d’offrir une statuette d’angelot en plâtre, pour l’anniversaire de l’élégant J.P. Pour le voir, une fois, avec un objet laid en mains ».

Le facteur revêche mais indispensable au bon fonctionnement de la société. « Nouveau mode opératoire ? Aujourd’hui sur chacune des lettres il y a les empreintes digitales du facteur revêche. Non, il a déraillé ».

Au cours de ces promenades, l’auteur a trouvé matière à écrire ces « minuties » comme il dénomme ces micro-textes, il a rencontré une galerie de portraits guère plus flatteurs que celui du déplaisant P. Il semblerait bien qu’Olivier n’aime pas les grincheux, les rustres, les frustes, les fauteurs de troubles, …, globalement les gens désagréables qui rendent la vie des autres moins souriante. Son œil est perçant et sa plume est affûtée, il sait comment les débusquer et les dénoncer pour le plus grand plaisir de ses lecteurs et, peut-être, de ses voisins.

Le recueil sur le site de l’éditeur


PROSES SOUFFLÉES (181-200) / ÉRIC ALLARD – PEINTURES de ROSE KONDRATIV


181.

Le dessous des roses est tapissé de piquants. Celui des choses repose sur les mots. Le dessous du vent supporte les nuages. Celui de l’oeil donne assise au regard. Celui de la caresse à venir se fond dans les lignes de la main. Sous ses dessous la chiromancienne est nue.


182.

Un sommeil sans rêves est comme une rivière sans rives. Tu coules jusqu’au matin sans pouvoir écluser les affres du jour. Dans l’impossibilité de contrer le courant tu sombres sous ton poids d’être. À l’aube, la lumière te pèse, des étoiles mortes jonchent le sol.


183.

Je plains la nuit qui vient entre tes bras et la neige qui tient entre tes jambes car ils devront se battre pour gagner le pic de ton âme. Je plains le soleil qui se couche et la mer qui se lève car ils devront composer pour préparer une aube à la hauteur de tes rêves.


184.

J’appelle la poésie à se couvrir d’écailles. J’appelle le sang de l’amour à fuir les veines du couple. J’appelle les braises du bruit à recharger le feu du silence. J’appelle à l’enlèvement des oiseaux de leur lieu d’envol. J’appelle toute vie à finir par recommencer.


185.

Je protège mes lèvres des morsures d’un nouveau soleil. Sur le chemin de ronde, la nuit remue les pierres du souvenir. Douceur des lumières explorant tes ombres. Effroi d’un passé délivré de ta bouche J’allume la lune, le chat de sable s’allonge sur la dune.


186.

La fleur que je protège, le temps la coupe. Le sang que je verse, la lumière la dore. La branche que je casse, le vent l’emporte. La rivière que je longe, les poissons la peuplent. La langue que j’apprends, les étoiles la parlent entre elles.


187.

Reste que la lune retient la mer au bord du sable. Reste que le vent au verbe se mêle pour balayer le dire. Reste que l’ombre faite au poème nuit à mon sommeil. Reste que la division multiplie les pertes de sens.


188.

Je t’accueille sur mes terres, tu m’abandonnes au bord de l’eau. Je te confie les clés, tu me laisses à l’ombre. Je te fais nuit, tu m’offres la lune. Je t’appelle, tu m’aventures. Je t’hésite, tu me doutes. Je te sème, tu me plantes. Tu me retournes sur toi-même.


189.

La porte n’a pas d’âge. La source pardonne à l’infini. Le nuage pleut du temps. La belle saison se terminera quand j’aurai couvert le toit de feuilles pour écrire ce qui m’abrite de l’hiver. Les oiseaux s’envoleront par la serrure.


190.

L’hirondelle ne fait pas le faisan. La perdrix tonne dans la buse. La pie parle au pélican. L’alouette se mire dans le paon. Le pic fait bégayer la perruche. Le harfang lance des cris d’orfraie. La linotte fait la tête à l’ara. Le petit oiseau va pourrir.


191.

Au loin l’idée du soir me faisait espérer la nuit. Dans ta chambre, la couleur du papier peint ressemblait au vin. Je buvais les murs, j’aspirais tes rêves. Sous les draps je touchais ta vie. L’aurore venue, j’ai réalisé que j’étais ton assassin. Vite, j’ai fermé les lumières.


192.

Sous la gueule d’un lion, j’ai posé ma langue. La poésie ne doit pas mourir. Sur le ventre d’une femme, j’ai posé mon désir. La poésie ne doit pas mourir. Dans l’hiver d’un feuillage, j’ai posé mon souffle. Près du soleil, j’ai posé mon ombre avant que la poésie ne meure.


193.

Je te cacherai du jour pour que la nuit te découvre. Je me cernerai de ténèbres pour que tu me voies. Je peux attendre. Je t’éloignerai du large pour que le sable t’appelle. Je me couvrirai de cendres pour que tu ravives ma flamme. Tous les feux peuvent attendre.


194.

L’histoire était en route pour le roman quand elle rencontra un vers qui poussait sur un tas de nouvelles. Un texte naquit de la rencontre, auquel on donna le nom pompeux d’épopée. Comme on n’y trouvait pas de héros, on en conclut que ce n’était là qu’essai poétique.


195.

L’arbre à l’oeil qui vrille sonde le fond des forêts à la recherche d’un regard creux. Le saule à la sauge se mêle, le thym au thuya s’accorde, l’anis à l’aucuba se joint, la cardamone au camélia s’offre, le lilas à la liane s’enroule pour des échanges de vue feuillus, suaves.


196.

Dans la nuit, je perds mes orages, dit le ciel. Dans les vitres, je perds mon tain, dit le miroir. Dans la clarté, je perds mon trouble, dit la chandelle. Dans le silence de la forêt, je perds ma voix, dit la faune. Dans le désert, je perds mon sang froid, dis-je au serpent.


197.

Dans l’espace de l’enfance, j’ai retrouvé l’étoile de ma naissance. Calée entre la Chevelure de Bérénice et l’Hydre mâle, elle peinait à trouver sa voie. Entre mer et ciel, mon existence a dérivé au gré des féeries diverses avant d’accrocher sa lampe à un crochet de lune.


198.

Mon serpent va à contresens de ses anneaux, il zigzague dans les veines, fait des méandres dans le cuir, tourne dans le sens des aiguilles de pin, sinue dans les simulacres du coeur, louvoie dans les circonvolutions de l’intestin, me sort par tous les trous en tortillant.


199.

À chaque doigt une branche lui pousse ; à chaque phalange, des feuilles. Cent oiseaux, bientôt mille, nichent dans sa ramure. Son corps est devenu une immense volière. Avec mon fusil, j’ajoute du rouge aux verts, j’étale les plumes multicolores sur ma chair trop blanche.


200.

Sur un ciel de traîne embrasé, je dépose un tablier de nuages, je couvre la flamme. J’arrête le sang s’écoulant de la gorge du passereau, je gonfle les plumes pour sortir à tire-d’aile de l’encrier rouge. Je cueille la fleur du soleil avant l’extinction des feux.


Les oeuvres reproduites sont à la vente sur le site de Mobil’art

Découvrez d’autres oeuvres de ROSE KONDRATIV sur son site !


LA FABRIQUE DES MÉTIERS – 113. REMOUILLEUR


On a tous connu cette situation. On revient de la piscine, de la plage, de la douche ou de la bouche de métro, et une envie soudaine nous prend de se faire à nouveau humecter par tous les pores de notre peau. Mais la source d’eau est trop lointaine pour que nous l’atteignions avant que l’envie nous passe. Et on ne se promène pas tous avec un magnum d’eau sur le dos.

Loué pour une courte période et par temps chaud, il va sans frire, le remouilleur disposera d’une lance d’arrosage portable à transformation de gaz en eau instantanée voire une bombe à fragmentation hydraulique (quand la technique la plus vaseuse s’allie aux opérateurs de formation les plus navrants). 

Le client, rafraîchi des pieds à la tête, se verra revigoré comme une flamme fontaine au coeur d’un feu de robinets.

Il pourra retourner vaquapoter à ses occupations favorites : scroller, liker, télétravailler, tuyauter les fakenews, poétiser sur Le Lac de Lamartine, aphorismer au bord de l’amer, alimenter la pompe conspirationniste, arroser les invasions tyrannesques de commentaires éclaboussants, se faire gripper ou griller, troller ou étriller, vider ou covoiturer, dieselliser ou électrifier, fouetter ou copieusement ouater…

Et boire tout son saoul, comme un convoi de chameaux au cœur d’une tournée minérale, histoire de s’imbiber un peu plus afin de se noyer dans ses cauchemars de bédouin tenté par une aride existence de nomade au milieu d’un désert sans fond ni fin, tel un profond mais vain puits martien.


FOUDROYER LE SOLEIL/FULMINARE IL SOLE de Denis EMORINE, traduit par Giuliano LADOLFI / Une lecture de Sonia ELVIREANU


Pourrait-il trouver un refuge contre la force dévastatrice d’une obsession qui l’empêche de jouir de la vie, ce poète hanté, à l’identité brisée par une histoire douloureuse ayant  glissé la mort dans son destin ? Au moins il essaie de le faire sans réussir vraiment à s’en libérer.

Tout l’univers poétique de Denis Emorine est imprégné de souffrance, du sentiment de l’exil ressenti au fond de lui-même, même s’il n’est pas un exilé. Il l’est intérieurement par le jeu cruel du destin de ses parents, une blessure infligée à jamais depuis son enfance par l’Histoire. Cela justifie la plus cruelle de ses obsessions, « la mort vient de l’Est », qui ne le quittera pas au fil de sa vie, thème récurrent dans ses poèmes, de même que certains motifs liés : la forêt de bouleaux, la femme russe, le petit enfant, la femme brune aux yeux bleus (sa mère).

Dans ce recueil, la mort est en arrière-plan, une présence qui flotte dans sa mémoire outragée, la toile de fond des poèmes sur laquelle le poète aimerait « sculpter le visage de l’amour » qu’il conjure comme unique refuge. C’est pourquoi la Femme revient au premier-plan de ses poèmes, source éternelle d’amour et chance de guérir. Ce sont les femmes de sa vie : sa bien-aimée Anne Virginie, sa mère aux yeux bleus, présence impalpable et constante dans ces poèmes, et celles croisées par hasard, toutes appelées à consoler et à faire oublier l’obscurité meurtrière ; mais aussi la femme russe sous ses multiples visages réels ou imaginaires, porteuse d’un message de douleur et d’exil : Natacha Rostova, comme Olga dans Romances pour Olga.

Le poète leur dédie ses « poèmes égarés aux carrefours du monde », lui-même un égaré dans le « labyrinthe surgi du passé » qui trouble sa vie, rend impuissant même l’amour fidèle de la femme restée à côté de lui pour le comprendre, le protéger contre les fantômes qui hantent son cerveau dont les yeux bleus de sa mère et le petit enfant souffrant sont prégnants. Lui-même se voit « une ombre parmi d’autres », ceux emportés par la guerre. L’image du petit enfant, « planté aux carrefours de la mémoire » traverse comme un fil rouge tous ses poèmes. C’est l’un des visages de l’exil, puis vient celui de l’adulte et de l’écriture : « mots qui trahissent les proscrits du monde », car les mots sont trop faibles pour parler de la cruauté du réel. L’écriture même a pour Denis Emorine le goût amer de l’exil intérieur, la barrière qu’il ne peut pas franchir : « la barrière est en toi », « écrire a le goût de l’exil depuis si longtemps ».

Si puissant qu’il soit, le mot perd sa force, impuissant devant la mort: « Que vaut la parole/ si fertile soit-elle/ face à la mort/  Est-il si difficile/ de scier les branches du monde/  avant de se jeter dans le vide ? »

« L’Est est en feu » devient leitmotiv tout comme « La mort vient de l’Est » de ses recueils. Reprise, la phrase rend plus fort le cri de désespoir de celui qui ne peut pas oublier, car la blessure se rouvre, brûle telle la flamme de la guerre rallumée à l’Est pour faucher d’autres vies. « Alors que la guerre me rejoint nuits et jours », « je me sentais perdu », seul, abandonné n’ayant que les mots pour combattre les fantômes de la mort gravée en lui : « je me sens abandonné/  je murmure les mêmes mots/ dans les ruines de ma vie ».

Le poète aimerait bien sortir vainqueur de ce combat harcelant, mais « comment fondre l’obscurité/ sans se briser », « Pourquoi ces traînées de sang qui tardent tant à renier la terre/ stagnent-elles dans ma tête »? se demande-t-il impuissant.

Que peut-on opposer à la hantise de la mort sinon l’amour, sa force que le poète ne cesse d’appeler au secours du tréfonds de son âme brisée pour cicatriser sa blessure et guérir ? Hélas, son souvenir est si fort que « Tout est à détruire, même l’amour », l’amour fidèle de la femme de sa vie, la seule à le comprendre et protéger.

Entre interrogations et confessions, le désespoir du poète se fait chemin incessant : « Je sais que souvent/  je suis au bord de la folie / quand tu es loin d’ ici/  J’ignore si/  la vie nous aura transportés/  ailleurs/  le petit pantin que je suis/s’agite en vain/  lorsqu’il est seul/  privé de ton amour / alors /dès que le vent d’estébouriffe mes idées/  je vois ton visage et/ la beauté de tes yeux/  qui irriguent ma vie/ et je hais les mots/  de trahir ce que je ressens/  en trompant la mort » // « J’ai trop souvent l’air perdu/ en essayant de trouver mon salut/  hors des forêts sans fin/ il me faut la forêt de tes bras/  pour sortir des gouffres que j’ai imaginés/ je ne veux pas t’aimer de loin/ Mon amour/  mon amour/  chaque mot déposé au creux de toi/ m’éloigne des forêts/ sans / issue ».

Aucun refuge, ni même l’amour ne saurait effacer de la mémoire le souvenir de l’Est meurtrier tel un cauchemar : « Il n’y a pas d’autres chemins/mais je l’ignore pour l’instant/ À force de me tourner vers l’Est/ j’ai perdu le sommeil/  Les voix de l’exil m’ont rejoint/  je les sens tout contre moi/ leur souffle chaud/ et comme une morsure à mon cou/ embrasent même le ciel ».

Le poète rejoint le cortège des exilés de l’Histoire par l’histoire tragique de ses parents. Son identité brisée entre l’Est et l’Ouest depuis son enfance ne cesse de troubler sa vie, son amour, car il ne réussit pas au fil des années à se réconcilier avec son passé douloureux.

L’écriture même s’avère impuissante : « je suis orphelin des mots qui m’ont trahi », « Trop de douleur /s’échappe de la terre/  tandis que je m’enfonce/ toujours plus/  dans le brouillard des mots/  je n’arrive pas à regarder/ la lumière du soleil/  Il s’est en allé un jour de reniement/  entre l’Est et l’Ouest »

Pourrait-il foudroyer le soleil noir de l’Est, celui de la mort, le faire disparaître de sa mémoire ? Au moins pour ce recueil, la réponse est là, dans le texte :« Tes doigts ne se poseront plus/ sur le clavier du piano/ Tu ne sais plus faire chanter/  les partitions de la vie/  Ton amour s’en rend compte/  alors que tu chemines les pieds nus/  dans quelque forêt du passé/ sans espoir de revoir/ la lumière de la page ».

L’Est est pour Denis Emorine la Russie, « ce pays glacé », maculé de sang, avec le fantôme de son père et la douleur de sa jeune mère qui traverse tous ses poèmes : «  À chaque carrefour du monde/  j’ai toujours peur de rencontrer/  une femme brune aux yeux bleus/  qui m’apportera peut-être en souriant/  l’odeur de la mort/  Je suis tombé un jour d’innocence/  sur les marches de l’Histoire/  je ne suis pas sûr de m’être relevé/  vraiment ».

Mais ce sont aussi les grands poètes russes, ses exilés, ses forêts sombres qui lui donnent le frisson de la mort. Il ne cesse de condamner la guerre et en même temps de rendre hommage à la grande culture russe qu’il rejoint par les racines slaves de ses ancêtres.

Recueil interrogatif en forme de confession, Foudroyer le soleil est descente dans l’abîme du soi, dans le labyrinthe d’une mémoire outragée par l’Histoire, mais aussi requiem pour l’Est par ses leitmotivs, sa voix grave, la musicalité et la fluidité des poèmes sans titre, sans ponctuation, écrits selon le principe héraclitien panta rhei.   

Sonia Elvireanu               


Denis Emorine, Foudroyer le soleil/ Fulminare  il sole. Poèmes/ poesie. Traduits par Giuliano Ladolfi. Traduzione  Giuliano Ladolfi,  Giuliano Ladolfi editore, 2022, 122 p.

Les Editions Ladolfi

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