DENIS BILLAMBOZ
Claude DONNAY, dans sa petite mais brillante maison d’édition, BLEU d’ENCRE, sélectionne toujours d’excellents recueils de poésie qu’il édite dans des supports toujours très sobres mais aussi très élégants. J’ai réuni dans cette chronique deux auteurs, Marcelle PÂQUES et Daniel CHARNEUX, que je connais bien et que j’apprécie tout autant avec un autre auteur que j’ai découvert à l’occasion de cette lecture, Dominique OTTAVI. Avec Claude, le charme opère à chaque fois, les auteurs sont brillants et l’éditeur est pointilleux, c’est donc un plaisir de vous offrir ces trois commentaires réunis dans une seule et même chronique
A bas bruit
Daniel Charneux
Bleu d’encre

Daniel Charneux, je l’ai croisé sur un site de littérature bien connu, un des tout premiers à s’installer sur la Toile, c’est ainsi que j’ai pu le rencontrer, deux fois, à Bruxelles à l’occasion de la Foire du livre. Ce fut un réel plaisir de découvrir l’homme et son œuvre, depuis j’ai eu la chance de lire plusieurs de ses livres : Maman Jeanne, A propos de Pre, Pierre Hubermont, écrivain prolétarien, de l’ascension à la chute (écrit avec deux co-auteurs)… Mais, c’est la première fois que je le lis dans de la poésie où il n’a, selon mes sources, publié jusqu’alors qu’un recueil de haïkus.
Dans chacun de ses livres Daniel raconte l’histoire de personnes qui l’ont particulièrement marqué : la mère dans Maman Jeanne, Steve Prefontaine, un champion de la course à pied qu’il pratique lui aussi mais à un autre niveau, et l’écrivain maudit et oublié, Pierre Hubermont, dont il a essayé de comprendre la dérive extrémiste. Dans ce recueil de poésie, Il évoque aussi les gens qui ont peuplé son enfance et sa jeunesse, qui ont contribué à construire l’homme qu’il est devenu alors qu’il n’était qu’un gamin rêvant d’aventures : « Il aimait les westerns / les bagarres dans les saloons, les carabines à canon scié / les attaques de diligences / Rio Bravo / Fort Alamo / Règlement de comptes à OK Corral… ». Tout comme moi !
Le frère absent occupe aussi une place importante : « … / un frère de sang « à la vie à la mort » / un frère de lait ou un frère lai / un frère trois-points / un frère d’armes ou un faux frères / … ». Les femmes sont elles aussi présentes dans ce temps de la construction : « Il regardait avec curiosité / les dames qui entraient à l’église / et qui allaient s’asseoir à gauche / parmi d’autres dames / dans un enclos à elles réservés // D’elles émanait un grand mystère / à peine dévoilé quand montant à l’échelle/ une fille un peu grande laissait flotter ses jupes ». Mais il y a aussi des fous-rires, des voyages dans les rêves, les chansons, les livres, …, dans un monde réel ou imaginaire. Un monde souvent indéfini « vers la vraie vie / ou vers le rêve », « Il s’est longtemps demandé / si l’extase était réelle ou non », « Elle lui avait donné rendez-vous place de l’étoile / elle n’avait pas précisé laquelle », … » . L’indécision mise en vers.
La poésie de Daniel est fluide comme un ru serpentant dans une nature hospitalière, propre à accueillir les aventures d’un enfant rêveur, les désirs d’un adolescent en plein éveil, les promenades réconfortantes d’un adulte à la recherche d’un peu de calme et de sérénité. Elle est construite avec un vocabulaire riche empli de mots doux et soyeux qui confèrent à ses poèmes une quiétude et une fraîcheur en parfaite harmonie avec le monde qu’il décrit.
Ce recueil me parle particulièrement car j’ai grandi dans un milieu semblable bien que fort éloigné de celui de Daniel. Un véritable bain nostalgique dans mon enfance et mon adolescence.
Le recueil sur le site des Editeurs singuliers
Le cœur en balade
Marcelle Pâques
Bleu d’encre

Voilà un nouveau recueil de Marcelle avec, comme toujours derrière les mots, son sourire, sa fraicheur, sa bonne humeur, comme l’écrit Eric Allard, l’excellent préfacier, « Marcelle Pâques cultive l’art de la joie » même si parfois elle la trouve un peu acide :
« Parlons-en de la vie ! / Elle se la joue indignée / Assise genoux serrés / Comme une vieille fille aigrie ».
Elle reste un beau rêve porteur d’illusions… peut-être ? :
« La vie / Une illusion ? / Je rêve d’une oasis / Qui ne serait pas un mirage ».
Mais la vie est fugace, éphémère, provisoire, polymorphe :
« La vie / Insaisissable / Aux multiples visages / Construit sur le rivage / De beaux châteaux de sable ».
Chez Marcelle, la vie c’est la communion avec la nature et ceux qui la peuplent, ce sont aussi les errances, les déambulations, les évasions, les balades au hasard des chemins et des sentiers de son coin de Belgique ou d’ailleurs :
« Après la pluie… / Le pépiement des oiseaux / Un concert de carillons / Soignies se balance / … »
« Baguenauder / Sortir du cadre / Bouleverser / L’ordre des choses / Importantes / Dans quel sens ? ».
L’évasion c’est aussi le voyage en Espagne, en Provence ou ailleurs encore :
« Voyage / La forêt et l’âme / recèlent une clairière / une source où s’abreuver / Le chant du monde / se révèle / au cœur attentif ».
Le voyage est aussi une déambulation dans le temps : deux fois en avril et une fois en décembre avec le cœur en hiver.
Ces textes légers, plutôt iréniques même s’ils contiennent une pointe d’inquiétude à peine dissimulée, sont placés entre un incipit de Rilke et un dernier poème de Cendrars gages de l’excellence des références littéraires de Marcelle. Sans oublier les jolies illustrations de Catherine Hannecart qu’elle présente comme sa belle-fille.
Et pour conclure, je citerai ces deux vers de Blaise Cendrars comme une pensée du jour et même une philosophie de vie :
« Sauf ce rire que nous aimons / Il faut savoir être bête et content ». Alors rions même si certains nous trouvent bêtes, nous, nous resterons contents d’avoir lu ce joli recueil plein d’optimisme réconfortant dans la lourdeur de l’ambiance qui règne actuellement dans notre monde.
Le recueil sur le site des Editeurs singuliers
A tire d’ailes, Bruxelles
Dominique Ottavi
Bleu d’encre

Dominique Ottavi introduit ce recueil par une stance à Rio di Maria, autre poète venu du Sud, disparu il y a tout juste deux ans. Je ne l’ai pas connu mais notre passion pour la littérature nous a conduit souvent sur les mêmes pages de la Toile où nous nous sommes régulièrement croisés. Il était de Sicile, il a vécu à Liège. Comme le dit Dominique dans son long poème :
« … / Nous venions du Sud / Avec nos pastels / Nos 4L / … ».
Lui, Dominique, il a échu à Bruxelles,
« Bruxelles, Bruxelles / Bruxelles si je t’oublie / Bruxelles à tire d’ailes / Bruxelles mon éternelle / … »
Bruxelles dont il s’est épris, Bruxelles et sa vie nocturne, Bruxelles capitale de la jeunesse européenne en liesse, Bruxelles chanté par moult écrivains belges ou immigrés dont l’auteur en cite de nombreux. Bruxelles qu’il chante comme le port d’attache des longs voyages qu’il a entrepris.
« … / Bruxelles ce port / qui cherche encore sa mère / … »
Kerouac a écrit sa route sur un long rouleau de papier, Homère a conté en un long poème la périlleuse Odyssée maritime d’Ulysse, le voyage a été le prétexte à de très nombreux textes. Dominique Ottavi a lui écrit sa vie en un long, long, long poème composé de courts, courts, très courts vers qui dévalent les pages comme un train avale ses rails, pour dire le long périple qu’elle fut. Un périple mouvementé, enchanté, plein de musique et de chansons, qui l’a toujours ramené à Bruxelles son Ithaque à lui. Il me semble que Dominique est lui aussi un chanteur et qu’il a peut-être connu la vie des saltimbanques gagnant quelque argent en chantant aux terrasses des cafés ou ailleurs encore.
« … / Bac passé / Le début des vagabondages / Routes en tout genre, / Gagnant ta vie chantant aux terrasses / … »
Et chaque voyage le ramène à Bruxelles où il trouvera toujours une bière à partager avec des amis.
« … / La bière est dans le verre / Le ver est dans le fruit / Et la vie est à nous / … »
Sans jamais oublié qu’il vient d’ailleurs, qu’il a une histoire qui l’a conduit dans cette ville.
« Bruxelles / Venir au monde / Il s’agit d’une histoire / Ancienne / Dont je n’ai jamais consommé / L’oubli / … »
Pour conclure cette balade, en forme de ballade poétique, je voudrais laisser mon dernier à mot à cet autre poète qui a lui aussi aimé Bruxelles avec telle ferveur qu’il l’a magnifiquement chantée :
« C’était au temps où Bruxelles rêvait / C’était au temps du cinéma muet / C’était au temps où Bruxelles chantait / C’était au temps où Bruxelles bruxellait ».
Dominique et Jacques, deux grands poètes voyageurs qui ont, un jour ou l’autre, jeté l’ancre à Bruxelles après avoir parcouru, les routes, les mers, les villes et les villages, …, toujours en écrivant des poèmes pleins de couleurs, d’amour et d’amitié, rythmés comme le voyage d’un train qui parcourt les grandes prairies. Des poèmes qu’ils chantaient à chaque étape.
« … / Je vais-je vais / Sans me laisser distraire / Par les mendiants / Ni par les routes / Tous les pays toutes les rivières / Toutes les montagnes / Et toutes les villes / … »
La revue et les Editions BLEU d’ENCRE sur Facebook