LES LECTURES d’EDI-PHIL #45 (octobre 2022) : COUP DE PROJO sur LES LETTRES BELGES

Les lectures d’Edi-Phil

Numéro 45 (octobre 2022)

Philippe REMY-WILKIN (par Pablo Garrigos Cucarella)

Coup de projo sur le monde des Lettres belges

sans tabou ni totem, bienveillant mais piquant…

A l’affiche :

trois romans (Michel Joiret, Sylvie Godefroid, Philippe Fiévet), deux micro-essais (Kate Millie, Frédéric Saenen), un récit de vie (Samuel Herzfeld), une parodie (Roger Lahu/Éric Dejaeger), une maxi-nouvelle (Thierry-Marie Delaunois), des fragments (Montaha Gharib, Louis Mathoux, Martine Rouhart) et un texte (Claude Donnay) poétiques ;

les maisons d’édition M.E.O., Le scalde, Lamiroy, Jourdan, Gros textes, L’arbre à paroles et Bleu d’encre.


(1)

Kate MILLIE, Emile Verhaeren, Balades dans les pas du poète, Lamiroy, collection L’article, Bruxelles, 2022, 39 pages.

L’aspect graphique de cette collection (mensuelle), L’article, ne me séduit pas autant que celui de cette autre, L’opuscule (hebdomadaire, fictionnelle) du même Lamiroy, mais je suis enthousiaste quant à la conception globale, au suivi éditorial.

De quoi s’agit-il à chaque fois ? D’un micro-essai, d’un long article ou d’une sorte de dérive autour d’un auteur, d’une autrice.  Prenons trois cas très différents. Véronique Bergen, évoquant Jacques De Decker, avait tenté de réaliser un portrait le plus complet possible du personnage, quitte à s’avérer très synthétique, des allures d’article encyclopédique transcendé par une écriture intense et flamboyante. Un Frédéric Saenen, a contrario… mais j’en parle plus bas. Ici, Kate Millie nous emmène à travers une série de lieux en rapport avec la trajectoire de Verhaeren (1855-1916). Verhaeren ? Les villes tentaculaires, Les campagnes hallucinées… Un ami de la reine Elisabeth… Cette mort épouvantable, quand ce chantre de la modernité, trop pressé, s’est avancé le long d’un quai, a glissé, s’est retrouvé sous un train…

Maxime Lamiroy, le directeur de collection et fils de l’éditeur, a remplacé une préface traditionnelle par une prose poétique, une esquisse de portrait, une très belle réussite, dont je vous livre les premières lignes :

« Sur la plage de galets, se détachant de l’ombre des cargos rassurants, de ces monstres toujours dérivants, se traîne une figure déchue. »

Cette « figure déchue », Kate Millie la ressuscite, réussissant la gageure, tout en nous distrayant et instruisant, de nous précipiter dans un appétit de lecture, de redécouverte de celui qui fut l’orgueil de la nation, adulé par les plus beaux esprits européens du temps (Rilke, Zweig, etc.) :

« Sa poésie est magnifique. Musicale. Lyrique. Vibrante. Imagée. Ses mots sont à la fois doux et ardents. Ses engagements, vigoureux, intemporels ont secoué plusieurs générations. »

En filigrane, l’autrice nous offre une utopie à laquelle nous accrocher : il fut un temps, bref mais ô puissant et fécond, entre la fin du XIXe siècle et le début du XXe, où la Belgique produisait quasi la meilleure littérature du monde. Comme il avait été un temps où elle avait dominé, des siècles durant, la peinture (ce qui est mieux connu) ou la musique (ce qui est totalement ignoré).

Ce faisant, Kate Millie nous confronte à une anomalie belge, cette faculté d’oubli, de négligence du pays pour ses enfants les plus brillants. Et on ira ensuite se plaindre de notre identité délavée et de nos complexes face à la Hollande, à la France… Mais c’est Mozart qu’on assassine chaque jour en notre (si) plat (plat même où il y a des bosses) pays, qu’il s’appelle De Coster ou Lemonnier, Verhaeren ou Gevers, etc.

Alors quittons-nous en relisant quelques vers d’Emile Verhaeren, grand auteur mais grand humaniste en sus :

« Les rails ramifiés rampent sous terre

En des tunnels et des cratères

Pour reparaître en réseaux clairs d’éclairs

Dans le vacarme et la poussière.

C’est la ville tentaculaire. »

(La ville, dans Les campagnes hallucinées, 1893).


(2)

Frédéric SAENEN, Camille Lemonnier, Et s’il entrait dans la Pléiade ?, Lamiroy, collection L’article, Bruxelles, 2021, 44 pages.

Dans son Editorial d’ouverture du livre, le directeur de collection Maxime Lamiroy, qui décidément ne parle jamais pour ne rien dire, infiltre une sorte de micro-manifeste :

« Le lecteur belge ou français ne découvre pas Molière ou Zola. Le nom et l’œuvre sont connus, un passage obligé. (…) Qu’un auteur aussi magistral (NDLR : que Lemonnier) soit ignoré de son propre peuple, qu’il ne soit pas inclus dans les programmes scolaires aux côtés des auteurs français, voilà ce qui scandalise le lecteur belge (NDLR : ô rare !). L’œuvre oubliée de Camille Lemonnier est le symbole même de notre ignorance et de notre désintérêt pour notre propre culture. »

Et Maxime Lamiroy de rejoindre ma vision de notre nation belge (francophone ?), « le peuple vagabond et sans attaches d’une terre d’exil ».

Passée l’observation lucide et (faussement, vu que le directeur de collection lutte, résiste avec fougue en publiant le texte qui suit) désenchantée, place à Frédéric Saenen, qui apporte une réponse tonique au débat via un texte très original. On s’attend à un micro-essai sur Lemonnier et on se retrouve de plain-pied au côté de l’auteur contemporain venu défendre un projet éditorial à Paris face à la responsable de la prestigieuse Pléiade. Un fragment de récit de vie ? Une relation journalistique ? Un embryon de pièce dramatique ? Le texte qui se déploie est aussi difficile à décrire qu’aisé, enthousiasmant à lire.

C’est que… l’air de ne pas y toucher… en narrant la rencontre d’une Parisienne et d’un Liégeois… Saenen nous livre un micro-choc des civilisations, qui juxtapose envie de se mieux connaître et éléments de barrage, l’idéal artistique et la rentabilité commerciale, etc. Le dialogue, vif et enjoué, permet d’infiltrer une série d’arguments, d’observations, de réflexions, de contrepoints qui relèveraient de l’essai ou du manifeste mais ils percutent d’autant mieux qu’ils sont incarnés et joués. Les mérites comparés de Zola et Lemonnier, les spécificités de ce dernier par rapport aux Belges pléiadisés Simenon, Yourcenar et Michaux (une belgité plus marquée, plus authentique) ou à celui qui pourrait l’être avant lui, Charles De Coster (l’auteur de notre plus grand livre, l’Ulenspiegel), la vie éditoriale contemporaine, le « complexe belge » et les responsabilités de notre manque d’identité, la place de nos Lettres dans l’histoire des Lettres françaises, les dérapages d’une biographie, quand il convient de discriminer essentiel et contingent, les mérites des plus grands titres mais des perles ignorées aussi, etc.

Ah, comme notre regretté Jacques De Decker eût apprécié ce texte, forme et fond, qui m’a rappelé ses Philosophes amateurs. Ou la démarche de l’auteur, lui qui prisait tant la résistance face à l’oubli. Et il y a encore que l’homme Saenen séduit et émeut, se battant énergiquement pour un projet tout en refusant d’être envisagé comme un expert idéal, ou ressentant, in fine, le besoin d’aller se recueillir sur un lieu mémoriel.

Ecoutons les derniers mots d’un auteur qui ressuscite le sens de l’engagement ou la notion la plus pure et concrète de l’intellectuel :

« Lemonnier dans la Pléiade, ce serait une résurrection, pas du tout un coffrage stérilisant. Il faut maintenant que l’idée fasse son chemin, plaise et surtout convainque. Elle ne m’appartient déjà plus, et sa destinée devient à son tour le jouet de forces invisibles. Ainsi en va-t-il de toute littérature, et c’est très bien comme ça. ».  

Puisse Frédéric Saenen être entendu !


(3)

Michel JOIRET, Stella Maris, roman, M.E.O., Bruxelles, 2022, 176 pages.

Le pitch

Damien De Man ne se remet pas de la mort de son épouse Adèle et se perçoit dans un abandon complet, celui qu’il a connu avant l’arrivée de celle-ci dans sa vie. Quand il ne se remettait pas de la mort de sa mère, du départ de son père.

Eléments singuliers et policiers : le père a disparu après le meurtre de l’une de ses compagnes, Lucie. A-t-il tué cette femme qu’il semblait adorer et dont Damien entrevoyait qu’elle pourrait être une mère de substitution ?

Direction la Côte belge et Ostende, où Damien, comme son père, comme tant de De Man avant eux, a été l’élève des Frères lasalliens. Enquête chez les bons pères, donc, qui conduira à rebours jusqu’à l’époque napoléonienne. En passant par la résidence Stella Maris où Damien a été si heureux en couple. Pour démêler les fils de sa vie, en remontant à cet avant-Adèle, qu’il a mis entre parenthèses durant leur histoire commune.

Au deuxième regard…

Il sera question d’une malédiction familiale et d’atmosphères picturales, notre protagoniste se baladant entre des tableaux dignes d’Ensor (le Bal du Rat mort) et de Spilliaert, croisant une guide d’origine indienne, Neela, qui présente un contrepoint de vie, d’altérité voire de futur possible.

Stella Maris s’avère un beau livre ! Bien écrit et mystérieux :

« Il ferme les yeux. Les flots dans sa tête se mettent à rugir, il se voit les bras tendus tout au bout du brise-lames où mille chiens de mer se disputent ses fragments contradictoires. »

Un livre qui juxtapose les saveurs. L’enquête policière, l’intrigue amoureuse entrevue, mille lieux nous parlent mais, au-delà du premier degré, s’érigent des interrogations essentielles sur le sens de la vie, la manière d’être au monde, de se remettre sur les rails de l’adéquation à celui-ci.

Plus intimement…

Voilà un livre qui m’a troublé ! Plus que diverti, troublé. C’est que… dans ma vie d’auteur, j’ai écrit et publié en 2021 un Encres littorales, mon ouvrage le plus court (30 pages) dont Stella Maris m’a semblé, à tort ou à raison, un possible prolongement, comme le deuxième pan d’un diptyque qui aurait débuté par mon récit.

Dans les deux cas, un homme abandonne Bruxelles (et tout) pour venir errer au littoral, un littoral qui conjugue mise en abyme de notre belgité et de notre histoire nationale, creuset de nos enfances et de mille souvenirs individualisés aussi.

« Errer » ? Il faut s’arrêter sur le terme ou son sens. Car les deux errances, d’une part, s’inscrivent dans une atmosphère profondément ostendaise (Spilliaert chez moi, le même mais Ensor en sus pour Michel Joiret) ; d’autre part, il s’agit d’errances accoudées à un sens, une enquête (policière), une quête (identitaire).

Deux livres jumeaux ? Oui et non. Il y a une foultitude d’ingrédients communs mais les traitements sont très contrastés. J’avais choisi de resserrer au maximum mon intrigue, privilégiant l’intensité ; mon collègue a élu le temps long, la profondeur de l’imprégnation. Avons-nous offert en chorus une leçon de narration et d’écriture ou, plutôt, pour parler plus modestement, ouvert un sillon de réflexion sur le domaine littéraire ?

Troublé, donc, et ému, certainement bousculé par la subjectivité et le fantasme de la fraternité d’âmes, j’aimerais croire que le livre de Miche Joiret se situe dans un temps postérieur au mien. Mon ouvrage évoque un homme qui quitte tout pour chercher une femme, or, dans Stella Maris, un homme a trouvé la femme idéale mais, après des années de vie conjugale, il l’a perdue, il en est aussi éperdu que le mien mais, au lieu de se laisser aller, il agit, réagit, décide de reprendre le cours de sa vie en amont, de creuser les mystères qui ont traumatisé sa jeunesse… avant la rencontre de l’aimée. Cette dimension m’a paru très originale et éthique, courageuse. Comme une ode à la vie et au récit de vie vers lequel on doit tendre, le supplément de sens et d’âme qui doit venir colorier nos actes et pensées.


(4)

Sylvie GODEFROID, Salsa, roman, Le scalde, Bruxelles, 2022, 191 pages.

Qu’annonce la présentation éditoriale officielle ?

« Temps en apnée, heures élastiques et plongée comateuse pour un rendez-vous manqué. Dans la prison de son corps, Sophie crie au secours. Nul ne l’entend. Ni Amandine, sa fille prostrée à son chevet, ni l’équipe médicale au pronostic pessimiste. Que divulgue son amie ? Où se cache Luis, son amoureux cubain ? Seule, sur son lit d’hôpital, sous la caresse de draps rêches, souvenir d’une plage de sable fin, sa mémoire danse la salsa des robinsons.

Entre confidences, délires et procès d’assises, Sylvie Godefroid nous offre un nouveau roman, l’occasion d’une réflexion sur la peur, le manque, le doute, la honte et la culpabilité. L’auteure explore les relations transgénérationnelles. »

L’art de Sylvie Godefroid

La postface de Pascal Vrebos évoque « une véritable romancière ». Ce qui m’interpelle.  C’est que le roman est ma religion, comme lecteur, comme auteur… C’est que j’ai déjà beaucoup médité sur les différences qui séparent un Proust d’un Giono, un Flaubert d’un Dumas, un Modiano d’un Werber. Ces auteurs, répertoriés comme de grands romanciers, ne répondent pas aux mêmes paramètres, au même cahier de charges, je pressens que Pascal Vrebos et moi partons de perspectives contrastées mais tout autant légitimes, je sais qu’il n’est pas nécessaire non plus qu’un roman soit un « véritable roman », au sens où moi je l’entendrais, pour être un ouvrage intéressant, réussi, brillant ou pas.

Soyons plus concret. Prenons deux auteurs dont les trajectoires pourraient a priori se rapprocher. Claude Donnay et Sylvie Godefroid, depuis des décennies, sont des poètes, puis tous deux se lancent dans le roman. Mais. Claude, face à chaque chantier au long cours, plante un nouvel univers, se laisse investir par des personnages autonomes, qui lui échappent et jouent leurs cartes, il crée une fiction, un décor, des enjeux extérieurs. Sylvie, a contrario, élabore une situation de départ (inventée, rencontrée, vécue ?) à laquelle elle pourra arcbouter des mots et des saillies, des sensations et des réflexions personnelles, des souvenirs, des projections de son vécu, de ses aspirations, etc. On pourrait dire, en caricaturant, que Claude se fuit pour découvrir l’altérité quand Sylvie se cherche, décalant tout ce qui la touche (Cuba, la salsa, la relation avec une jeune femme de l’âge de sa fille, etc.).

Sylvie est une poétesse ! Avant tout ! Ce qui éclate dès la première page, les premières lignes :

« Que de temps perdu au piano des apparences ! »

Un peu plus loin :

« Parfois je glissais sous tes pieds le tapis volant qui manquait à tes voyages. »

Sylvie, pourtant, écrit un roman (Pascal Vrebos a retenu les ingrédients qu’elle utilise et moi plutôt la manière dont elle les convoque), écrivaine en quête de progrès, de renouvellement, de défi, elle juxtapose plusieurs écritures, au moins deux, osant la vitesse narrative et la modernité :

« Satanée course contre la montre. Vendredi pourri. »

Il y a aussi un fond Sylvie Godefroid, l’assurance de retrouver des interrogations et des indignations de l’autrice, des retrouvailles avec ses traumatismes de jeunesse, une volonté d’authenticité, qui la pousse à gratter sous son apparence ou ses pulsions. Jusqu’à oser soupirer devant la dégradation par les années, exprimer une répulsion pour un physique, une odeur, une situation, loin du formaté ambiant, du politiquement correct :

« Je n’ai pas envie d’être gentille, pas aujourd’hui. ».

In fine, Sylvie Godefroid offre des pages habitées, qui multiplient les saveurs (plaisir du mot ou de la phrase, passage méditatif ou informatif, infiltration d’un suspense sur la situation exacte de la narratrice).

La narratrice

Oublions les interactions avec l’autrice, l’autofiction perçue (à tort ou à raison) et concentrons-nous sur son rôle dans la fiction.

On part d’une situation qui rappelle un thriller récent de Barbara Abel, soit une femme qui, en apparence, a sombré dans un coma profond, un état végétatif. Sauf qu’ici ce qui importe, ce ne sont pas les personnages tournant autour du légume mais le légume lui-même qui, pour un légume, pense beaucoup mais beaucoup, de manière élaborée. Un faux légume, alors ? Parce que beaucoup plus vivant, imaginatif et réactif que la plupart des vivants ?

Il y a évolution du statut de la narratrice. Infiltration d’indices, de notations singulières (allusions, par exemple, à un procès d’assises) ouvrant d’autres possibles.

Et si… Et si les éléments mis sous notre nez n’étaient pas ce qu’ils semblent être ? Et si ce livre nous faisait glisser vers un tout autre univers, hanté par des Rossano Rosi ou Carino Bucciarelli, soit un univers de faux-semblants, une ère du soupçon, un basculement du réel ? Mais n’en disons pas plus, pour ne pas corrompre l’appétit du lecteur.

En clair ?

Le livre se lit aisément tout en mixant les écritures et les accents, de l’autofiction au thriller en passant par le sociologique, tout en faufilant la complexité. Mais il y a beaucoup plus essentiel : ce récit interroge sur l’adéquation (au réel, au monde, à l’autre, enfant ou mari, amant, lieu de vie), qui est la clé d’une existence, un serpent de mer, l’Eldorado, le seul. Jusqu’à en acquérir une dimension allégorique. Qui pourrait n’être ni le fruit du hasard ni celui d’une volonté.  Mais alors ? Un bonus collatéral ? Le fruit d’un engagement viscéral, d’un don de soi, qui, seul, permet de passer dans une autre dimension ?


(5)

Samuel HERZFELD, Jürgen Löwenstein, destin d’un enfant juif de Berlin, récit de vie, Jourdan, Waterloo/Paris, 2022, 135 pages.

Mon fils et moi nous sommes beaucoup impliqués dans la réussite du projet de Samuel, un ami. Il m’est donc difficile, déontologiquement, d’en parler. Mais je dois y faire écho, c’est un livre si intéressant, une démarche si admirable (celle d’un jeune trentenaire tombé en amitié avec un survivant de la Shoah).

Alors ?

D’une part, je vous renvoie à ce que dit l’éditeur :

Jürgen Löwenstein, destin d’un enfant juif de Berlin

D’autre part, à ce que disait notre ami Guy STUCKENS dans sa présentation de la fin août 2022 (émission Cocktail Nouvelle Vague, sur Radio Air-Libre, avec lecture des pages 71-72) :

« C’est l’histoire d’une rencontre : celle d’un adolescent, Samuel Herzfeld, en vacances en Israël avec ses parents, et d’un rescapé des camps nazis qui y a refait sa vie.

Après la guerre, comme beaucoup de rescapés, Jürgen Löwenstein s’est enfermé dans le silence. Il n’a jamais parlé de la Shoah à ses filles, mais, à la surprise de celles-ci, il répond à sa petite-fille, qui le presse de questions sur cette période. De là part sa prise de conscience du besoin de témoigner. Là où d’autres ont tenté d’oublier, tant bien que mal, ce qu’ils ont vécu, rongés par le remords d’être toujours vivants et la crainte de ne pas être crus, Jürgen se souvient. Et même à chaque page, comme le fait remarquer Marianne Sluszny dans sa préface.

Ce n’est certes pas le seul livre consignant la Shoah, l’histoire et le destin de certains survivants. Mais celui-ci présente la particularité de nous parler aussi de la vie d’avant les camps, de la manière dont un survivant s’est reconstruit après avoir émigré en Israël.

Avant.

Dès l’adolescence, Jürgen participe à des camps de la Hachscharah (« préparation » en hébreu), dont le but est de former des jeunes Juifs à la vie future en Israël. Comme il n’a pas beaucoup de contacts avec ses parents, il ne souffre pas de leur éloignement.

Vivre à Auschwitz et dans les autres camps nazis est inimaginable. C’est comme vivre sur une autre planète. Il ne faut pas penser au présent, mais l’espoir fait vivre. Il y a moyen de survivre grâce à la solidarité apprise avec la Hachscharah.

Après.

Comme il s’y était préparé dès avant la guerre, Jürgen a rejoint un kibboutz communiste en Israël. La vie y est dure et les résultats ne correspondent pas à ce dont les kibboutzim avaient rêvé. L’idéal de ces pionniers va lentement s’effilocher. Lui qui avait refusé de retourner en Allemagne comprendra la nécessité d’aller témoigner devant les nouvelles générations.  

Jürgen Löwenstein, destin d’un enfant juif de Berlin n’est pas un roman mais un témoignage, recueilli par Samuel Herzfeld, illustré de nombreuses photos. Néanmoins, la manière dont ce jeune auteur (il a une trentaine d’années) nous présente son récit ne manque pas de qualités littéraires. Malgré son objet tragique, l’auteur nous donne envie de connaître la suite : on veut savoir comment le jeune Jürgen va s’en sortir, comment il va échapper à la mort et refaire sa vie après la guerre.

La conclusion du livre est claire :

« Hitler est mort, le Troisième Reich s’est effondré. Mais le peuple d’Israël vit ».

Le livre commence par un poème de Primo Levi et se termine sur une citation de Martin Gray, deux des premiers survivants à avoir témoigné de l’horreur des camps nazis. »

Also sprach… Guy Stuckens.

Entretemps, le déferlement russe en Ukraine aura ramené sous nos yeux hébétés l’horreur des années 1930/1940, et ces mots qu’on espérait disparus, ou amenuisés, comme « purification », « éradication », « camps de filtration », « déportation », etc. Ce faisant, ce livre en acquiert une nouvelle dimension : il porte témoignage sur des invariants, soit des mécanismes qui se sont produits, se produisent et se produiront toujours, en rapport avec la nature même de la gent humaine. Ce qui nous oblige définitivement à la lucidité et à la résistance.


(6)

Thierry-Marie DELAUNOIS, Syncope, maxi-nouvelle, Lamiroy, collection Opuscule, Bruxelles, 2018, 39 pages.

 Au départ, le style m’a surpris. Positivement. Osant rompre avec un certain académisme, suivant le rythme de la pensée. Ensuite, je note la simplicité globale. De l’écriture, de la narration. On lit aisément. Une aventure angoissante. Entre relents policiers et horrifiques. Une fillette a disparu. Mère affolée. Suspects envisagés. A côté, la forêt et d’autres dangers…

J’ai pensé un moment aux films initiaux de Romero, les premiers zombies, où la tension, le suspense naissent d’un rien, sans grands moyens. Ce qui renvoie, selon moi, à notre nécessité à tous/toutes, auteurs/autrices, de réviser parfois nos fondamentaux. Car la première règle d’un récit est de donner envie de suivre le cours de la ligne, de la page. Il faut conter !

Je ne déflorerai pas l’intrigue, ce qui serait criminel. Mais j’ai achevé avec la sensation que le récit pourrait s’intégrer dans une collection pour la jeunesse. Une observation positive : les jeunes attendent non une surenchère d’effets mais une histoire.


(7)

Roger LAHU et Éric DEJAEGER, Contre tous chacaux, A Tribute to Bob Morane, Gros Textes, Châteauroux-les-Alpes (France), 2022, 132 pages.

Une parodie décapante !

Voir mon article dans Le carnet :


(8)

Philippe FIEVET, Une colonne pour le paradis, roman, M.E.O., Bruxelles, 2022, 237 pages.

Un récit original situé dans la Syrie du Ve siècle.

Voir mon article dans Le carnet :


Et pour terminer…

…selon mon habitude, loin de toute analyse, dans le plaisir pur de la perception… un peu de poésie…

(9)

Dans la livraison estivale de la revue Bleu d’encre (publiée par la maison d’édition… Bleu d’encre de Claude Donnay, à Yvoir), son numéro 47, j’ai été happé par deux fragments :

. un haïku de Louis MATHOUX :

« Le béton pousse

  • Printemps de laideur froide

Sur nos regards »

. un extrait de Montaha GHARIB :

« Vis ta vie

En flagrant délit

De tous ses interdits »


(10)

Martine Rouhart

Sur Facebook, une poésie du jour, inédite, a attiré mon attention le 17/9/22. Elle émane, il est vrai, d’une autrice bien connue (poétesse, romancière, médiatrice), Martine ROUHART :

« J’ai mal au cœur

d’avoir parfois

si mal aimé

les embellies »


(11)

Claude DONNAY, Pourquoi les poètes n’ont jamais de ticket pour le paradis, L’arbre à paroles, Amay, 2022, 101 pages.

Le premier texte est épatant, avec sa perception aiguisée et sa résistance, mais je note la qualité du tout, jusqu’au contenant (le livre est un très bel objet), en passant par la présentation de Pierre Schroven.

POÈME POUR UNE ÉPOQUE ÉTEINTE

         Nous vivons une époque éteinte,

une vie de couvre-feu sous la cendre des villes et des rires,

une époque de portes borgnes et de voix assourdies,

de printemps rangé dans une boîte à trésors,

à côté d’une plume de cormoran, d’un marron chiffonné

et d’un sous-verre estampillé Bière d’Abbaye.

         Nous vivons une vie de l’instant étiré jusqu’à l’ultime brin,

un présent sans futur rapproché – pauvre grammaire, peau de chagrin.

Te rappelles-tu le doux corps à corps de nos doigts,

                                             le jeu secret de mes lèvres sur ton oreille ?

En ce temps-là, le temps lissait ses plumes sous nos caresses et

à visage découvert, je te mangeais le cou à la première

d’un blockbuster sirupeux, dans un cinéma sans peur.

         Nous vivons une époque éteinte, dis-moi

où vont les oies

                     quand elles désertent notre ciel ?

Dans quelle autre vie dansent-elles leurs ailes,

                     les oies qui enfoncent leur coin criard

dans le jour gris,

dans le temps éteint où nous flambons derrière nos fenêtres,

nos portes closes,

         où nous mangeons le pain des départs, le pain de l’exil,

         derrière les portes rougies au sang des souvenirs,

         nos portes closes sur les ondes, sur les voix,

                                             sur les solitudes câblées, connectées,

         nos portes closes, nos fenêtres poumons,

la vie réduite au cliquetis de nos doigts sur le clavier,

         aux visages tremblants dans l’écran solidaire,

                                             aux mots meurtris dans les écouteurs ?

         Nous vivons une époque éteinte,

mais moi je brûle à pleine peau,

                                 à peau  de soleil,

                                 à peau de couleur,

                                 à peau de papouilles et de silences sucrés,

je brûle en partance,  je brûle en absence, en confidence balancée,

en transhumance salon-chambre à dormir-troisième sans ascenseur,

je brûle d’un temps présent dans mon ventre, d’un présent à enfanter,

à déchirer, émietter au hasard des lèvres,

                     d’un présent à vivre entre les tenailles des mains,

                     qui prennent le monde, travaillent la terre et la chair,

je brûle à l’endroit et à l’envers, en coup droit et en revers,

je prends feu dans cette époque éteinte,

         petite et frêle lumière, que je tends par-delà les

confinements

et les discours sans,

         petit fanal dans la nuit pour appeler sans un cri,

et dire qu’il ne faut pas craindre la nuit,

                     qu’une simple flamme suffit pour croire au jour.

PS

Et zut ! La rubrique Le plat pays qui est le mien… de cœur, initiée en ce début 2022 avec Pieter Aspe puis prolongée avec David Van Reybrouck, est reportée au numéro suivant. Je me rattraperai en continuant mes leçons sur Babbel.

Edi-Phil, alias Philippe REMY-WILKIN.


LOCATAIRE de PASCAL FEYAERTS (Le Coudrier) / La lecture de PHILIPPE LEUCKX


On n’est jamais propriétaire de rien. Ni de la vie, ni de la mort. Juste locataire, avec le prix existentiel à payer.

Le sixième livre de poèmes édité au Coudrier rassemble une trentaine de textes très denses, où la mort et la quête de lumière sont indissociables.

Il faut peu de mots à l’auteur pour exprimer le doute, l’impossible pari, la poussière qui peut recouvrir, « les plaies intimes ».

Cette densité poétique ramasse le réel en gouttes de sens, partageables et universelles :

« Connaître le poids du sable/ C’est s’en remettre au désert « (p.32)

Le poète « donne/ corps à ses mots », présence, « fait lampe ».

Un beau livre d’âme, de « dévotion » à la mère, de silence.

« juste un mot… rendre au poème… la clarté de son encre »


Pascal Feyaerts, Locataire, préface de Philippe Leuckx, Illustrations de Derry Turla, Le Coudrier, 57 p., 16 €.

Pour commander le recueil sur le site des Editions Le Coudrier

Les recueils de Pascal Feyaerts au Coudrier


MAISON MÈRE de PHILIPPE COLMANT (Bleu d’Encre) / Une lecture d’Eric ALLARD


L’enfance retrouvée

Le titre du recueil de Philippe Colmant m’a fait penser à Maisons habitées de Philipe Leuckx (chez le même éditeur) qui signe d’ailleurs la préface du présent ouvrage écrit en vers hexamètres, ce qui assure un cadre souple au poète pour lui venir ciseler ses images.

La maison mère, c’est celle de l’enfance, une maison entre les murs desquels la nostalgie vient trouver refuge, faire provision de souvenirs, se révélant une source permanente, jamais tarie, qui autorise à poursuivre le cours d’une existence.

Cela commence par la naissance à une « vie en noir et blanc », « sur le tard / tombé avec la neige », un dimanche soir d’hiver,

Au départ, tout était
Musique sans paroles.
Puis sont venus les mots
Jusqu’à la rhétorique.

J’ai mesuré plus tard
L’urgence du silence.

Guère d’épanchement toutefois, d’anecdotes saillantes ; les parents, la grande soeur sont évoqués, telles des âmes bienveillantes destinées à ne jamais disparaître d’entre les murs de la demeure familiale.  

Le feu qui craque, le grincement de la porte du grenier, le crépitement de la pluie sous la tabatière composent un  « douillet vacarme », que tout le monde entend, a perçu un jour… On le voit ici, le poète est celui qui sait trouver les mots pour universaliser une expérience personnelle, un affect, la faire résonner comme jamais encore.

Au fil de la lecture, on lit que « la maison a vécu / et embarqué pour l’ombre […] Elle s’est effondrée ».

Pas « le puits et sa margelle / pris de mousse et d’ennui ».

Pas l’enfance qu’elle abritait qui fait une musique au cœur du poète, innerve sa vie et « retrousse sa mémoire ».

En lisant, si justement formulé, que  « l’enfance / n’est jamais loin / à vol d’oiseau », on comprend qu’il suffit de quelques battement d’ailes dans la bonne direction du temps pour regagner son nid, avec, certes, dans son bagage, une poésie aussi sensible aux vibrations de l’être que celle-ci.


Philippe Colmant, Maison mère, Bleu d’encre, préface de Philippe Leuckx, 64 p., 12 €.

Le recueil sur le site d’Objectif Plumes


L’ARTICLE de NAUSICAA DEWEZ consacré à AMÉLIE NOTHOMB (Lamiroy) / La lecture de GAËTAN FAUCER


On retrouve dans ce récit, une agréable façon, guidée par Nausicaa Dewez, de nous embarquer à bord d’un vaisseau tout à fait original. Une aventure bien à elle à travers un prisme atypique qui nous fait découvrir autrement l’auteur de « L’hygiène de l’assassin ».

En effet, la vision proposée ici est à l’image des aventures des « Contes des mille et une nuits » : truffées d’histoires invraisemblables, d’aventures rocambolesques et de personnages aux allures tantôt grotesques, tantôt gracieuses… 

Là se situe tout le paradoxe de l’œuvre à la Dame au chapeau.

Le voyage est plaisant, on y découvre de nouvelles pistes, de nouveaux angles jusque-là noyés dans les divers «contes» de notre Shéhérazade moderne. 

Lors de cette excursion, Nausicaa incarne en même temps une excellente capitaine de bord et un guide ; le tout pour honorer une auteure tellement prolifique…

Un Article agréable et intéressant à lire (ou à dévorer). C’est beau quand une femme raconte une femme.


Nausicaa Dewez, Amélie Nothomb : Shéhérazade Père et Fille, Ed. Lamiroy, coll. L’Article, Illustration : Hugues Hausman, 4€ en version papier / 2€ en version numérique

Sur le site de l’éditeur (avec l’Editorial de Maxime Lamiroy)


2022 – FLEURS DE TEXTES : L’AMOUR PLUS FORT QUE TOUT / La chronique de DENIS BILLAMBOZ

DENIS BILLAMBOZ

Dans cette rubrique, j’ai réuni deux textes qui démontrent que l’amour peut triompher de tous les problèmes s’il remplace la haine, la colère, la violence, la jalousie et tout ce qui peut générer de violents conflits. Myette RONDAY raconte une histoire qui a peut-être été inspirée par des faits réels, l’histoire d’une femme française amoureuse d’un soldat allemand pendant la dernière guerre. Robert MASSART a, lui, décrit les débats d’un groupe hétéroclite contre l’administration et les malfrats qui s’en sort, malgré les différence entre ses membres, grâce aux relations d’amour qui les soudent.


Un héritage d’amour

Myette Ronday

Editions complicités


Agnès, la fille que Mathilde a conçue avec Leni, un soldat allemand dont elle est tombée amoureuse en 1942, inventorie, en 1996, la maison laissée par sa mère après son décès alors que des promeneurs découvrent dans l’estive dont elle a hérité dans les Pyrénées, les restes d’un cadavre. La découverte des ossements et leur identification bousculent les plans ourdis par les quelques personnes concernées par cette affaire. Dans la maison de sa mère, Agnès découvre ses origines et son enfance à travers les cartes postales que son père lui a adressées et que sa mère ne lui a jamais remises, les lettres que sa mère a écrites à son père sans jamais les lui envoyer et enfin, dans les confidences d’un homme encore très jeune à l’époque, un témoignage sur la vie que le jeune couple a mené à l’estive.

Le père de Mathilde, chef dans la Résistance, avait conduit le jeune couple dans une cabane très sommaire sur son estive, le temps que la jeune femme assure sa grossesse. La guerre finie, le jeune couple, avec son bébé, a rejoint la vallée où le papa allemand a été traité comme un prisonnier de guerre mais dans les meilleures conditions tout de même, à proximité de sa femme et de son enfant. Bientôt, Leni doit rentrer à la maison en forêt Noire pour redresser l’entreprise familiale en déroute, il propose à Mathilde de le rejoindre mais elle refuse, elle a placé sa fille dans des internats pour qu’elle soit à l’abri des quolibets et maltraitances de la part des enfants du village. La relation entre la mère et la fille n’en n’est nullement renforcée, d’autant plus que la mère n’évoque jamais les origines de jeune fille, allant même jusqu’à lui donner un père qu’elle épouse pour sauver la face. En grandissant, Heide, désormais Adèle, se pose des questions et commence à comprendre certaines choses qui l’incitent à chercher ses véritables origines…

Cette histoire pourrait faire partie de la constellation des dégâts collatéraux qui ont détruit de très nombreuses familles et communautés pendant et après la dernière guerre. Myette raconte les malheurs de Mathilde et la quête d’Agnès avec beaucoup de sensibilité et d’émotion, de douceur et de tendresse, malgré tous les arias qui encombrent le chemin de cette famille cherchant un avenir possible, un amour familial et même une relation sentimentale en ce qui concerne Mathilde. L’écriture très poétique de Myette apporte encore plus de douceurs et de tendresse dans le monde de violence où évolue cette famille détruite, cet amour éventé, cet avenir en pointillé…

Myette connait aussi très bien la nature où elle a conduit ses personnages, la flore, notamment les plantes sauvages, est son royaume, elle les connaît toutes comme aucun paysan ne les connait pas, elle sait les nommer, désigner leur propriétés, … Ainsi, elle a su mettre de l’amour et de la tendresse dans les prés de l’estive et de la vallée. Nous avons, aujourd’hui, tellement besoin de tendresse et d’amour qu’il faudrait que Myette nous enseigne la poésie et la botanique pour calmer les ardeurs des va-t’en guerre qui peuplent la planète en l’enflammant.

Un petit post scriptum pour dire que j’ai bien apprécié son art de l’utilisation des mots que certains croient désuets et qui sont pourtant tellement savoureux et si expressifs.

Le roman sur le site de l’éditeur


La déclaration

Robert Massart

M.E.O.


Sylvain, un bon bougre bruxellois, se laisse convaincre d’accepter la présidence d’une association à but non lucratif, juste pour rendre service à un ami trop empressé. Cette association a pour objet de défendre l’enseignement de la langue française mais elle n’a aucun moyen ni ressources. Etant vite réduite à l’incapacité d’agir, le nouveau président décide de la dissoudre, les nombreuses démarches effectuées, il se sent soulagé et libéré de cette charge inutile. Mais, il se leurre car l’administration fiscale décide de mettre son nez, qu’elle a très pointu, dans ce dossier. Elle rappelle au président liquidateur qu’il n’a pas effectué toutes les démarches nécessaires alors que l’association était encore en activité. Sûr de son bon droit et d’avoir accompli toutes les démarches légales, il décide de passer outre aux injonctions de l’administration. Mais, comme chacun le sait, l’administration est tenace, surtout lorsqu’elle tient dans ses serres un brave citoyen peu rompu aux arcanes du droit administratif, En l’occurrence, elle s’acharne sur le brave ex-président s’entêtant dans son immobilisme qu’il juge de bon droit.

Le conflit devient de plus en plus aigu, Sylvain est au bord de la rupture, au point d’inquiéter sa nouvelle aide-ménagère, Line, une ancienne étudiante qui n’a pas eu les moyens de financer la fin de ses études. Elle l’assiste dans ses démarches et l’initie à l’utilisation des outils informatiques et des téléprocédures. La représentante de l’administration ne lâche rien, alors, pris de colère, Sylvain envisage de menacer, par personne interposée, la fonctionnaire tenace. Line lui propose de demander l’assistance de son mari cubain, Fran, qui connait de petits voyous capables d’exécuteur cette mission. Mais, rien ne se déroule comme prévu, une femme est violentée dans son quartier, la fonctionnaire est victime de deux accidents, son bureau est pollué par des grigris inquiétants, … Sylvain culpabilise et craint le pire qu’il essaie de prévenir.

Ce différend entre l’administration et l’un de ses administrés sent trop le vécu pour ne pas avoir un fondement quelconque. Ayant été moi-même président de nombreuses associations, j’ai connu de nombreux démêlés avec divers services de l’Etat et des collectivités territoriales . Ce roman me semble donc posé, une nouvelle fois, le délicat problème de la relation des pouvoirs publics avec leurs administrés. Robert Massart n’est pas un violent, il prône le dialogue, l’empathie, l’entente cordiale, … tout ce qui peut rendre la vie plus facile et plus heureuse. Il faudrait que nos dirigeants et les fonctionnaires à leur service lisent ce livre, ils amélioreraient sans doute leurs relations avec leurs administrés…

Le roman sur le nouveau site des Editions M.E.O.


LA FABRIQUE DES MÉTIERS – 123. PENCHEUR


Là où le penseur réfléchit, le pencheur fléchit.

Tout lui est bon pour courber l’échine, tout lui est prétexte à baisser la tête, à vaciller sur son axe, à flirter avec le déséquilibre, à manquer tomber à la renverse ou bien tête la première dans les pommes ou le compost.

À quoi sert le pencheur dans la vie d’aujourd’hui ?

1) à fabriquer de l’énergie.

Que serait l’homme de l’automne 2022 sans la dive énergie ? Un démonteur d’éoliennes, un déplaceur de panneaux photovoltaïques, un dynamomètreur sur deux jambes instables et robotatives.
Justement, en basculant comme un cheval de bois, en se mouvant dans tous les sens, tel un épileptique au climax de sa transe, un parkinsonien au sommet de son art, tel un courant alternatif, s’il est bien relié à un transformateur adéquat, le pencheur de Pise ou d’ailleurs transformera sa folle mécanique en de l’électricité pour les portables des ménages et les pécés fixes des boomers, ceux qui ont vu les mails apparaître et disparaître au profit des textos, bien plus rapides pour exprimer ce qu’il vaut seulement la peine d’être raccourci.

Bref, le pencheur est une pile énergétique.

2) à produire des ondes positives…

… chez les consommateurs de développement personnel et autres pratiques ésotériques assises, accroupies ou couchées.

L’homme qui fléchit et ne tombe pas, l’homme qui s’abaisse mais ne s’allonge pas, l’homme qui lèche les culs mais ne se fait pas chier dessus est un modèle de résilience, de force de caractère, un être de lumière. Franc comme le maçon sur le mur qu’il a édifié de ses mains pleines de mortier, il guidera les moyens portants et les à demi-démolis vers toujours plus de portance voire vers l’élévation de l’axe de rotation de ses idées fixes vers les idées essentielles et forcément astrales, amstramgram, pic et pic de pollution et collagène pour dames !   

Bref, le pencheur est une mine de bien-être, une sorte de smiley rigolard en position de lotus.

Les modules de la formation seront donnés par des prof de pilates, de yoga violent et des acrobates du Cirque des étoiles tombés de haut.

(Se pencher sur le sujet relève bien sûr du tour de farce.)


LA FABRIQUE DES MÉTIERS – 122. FAUCHEUR DE TOUR


Parfois les tours, allant par deux, comme qui dirait jumelles, s’érigent de façon arrogante dans un rectangle de ciel étoilé strié de bandes rouges et blanches, narguant le monde non occidental, les religions non émancipées, les futurs conspirateurs, les allergiques aux vaccins et à la science comme aux films catastrophes des années septante, ne supportant pas les caricatures de leur gourou, et l’envie bien légitime de les faire s’effondrer est plus forte que toute éthique primaire.

Les faucheurs ont plus d’un tour d’avion dans leur sac de bord. Ils sont spécialistes du self control et possèdent un sens de l’organisation hors du commun des mortels.

Les faucheurs de tour produisent du spectacle haut de gamme avec des chutes vertigineuses, et de la pyrotechnie, tel qu’on a pu en cauchemarder dans nos nuits les plus rocambolesques. On ne peut qu’applaudir au spectacle de tant de haine et louer la performance technique, moins la couleur, car tout a vite viré au gris poussière. Toute entreprise du spectacle a ses aléas et ses alléluias, comme aurait dit un Debord débordé par son sujet.

Enfin des terroristes qui innovent, et non des extrémiste qui radotent, se contentant de détourner des avions sur des aires désertes, pour ensuite menacer de faire exploser l’appareil et ses passagers, ce qui conduit souvent à un fiasco : l’intervention manu militari des polices spéciales, aux effectifs super entraînés depuis leur berceau, puis, face à un tel scénario, des défections nombreuses chez leurs partisans qui résilient leur abonnement à la cause terroriste internationale et sa maison fondatrice au Moyen-Orient.

Ces actions conduisent en réponse à des réactions forcément inappropriées chez le dirigeant défait, humilié, de fond de classe maternelle, qui, en retour, frappera là où ses intérêts et ceux de sa faction et de ses industries porteuses le portent, provoquant le chaos dans le monde pour deux décennies au moins mais tout profit pour les faucheurs de tours et leurs adeptes qui se frotteront leurs mains pleines déjà du sang des sauteurs dans le vide ou des occupants de ces tours qui côtoyaient les étoiles la nuit et qui aujourd’hui sont au ras des caniveaux voie plus bas que terre.

Une fois de plus, faisant fi de la morale commune, LA FABRIQUE DES MÉTIERS, au bord du gouffre financier, sans les subsides promis par le secrétaire d’Etat à la Relance des Entreprises de formation, proposera une formation de faucheur de tours, proposant des cours de cartographie, de résistance des matériaux et d’aviation de premier biplan, en promettant maux et vermeilles aux apprenants, comme dix mille écoutes d’Angèle & Adèle (enfin, des stars aux prénoms en aile !) en récompense de leurs hauts méfaits et un statut de religion star ; quant aux autres, les derniers de classe, n’ayant pas bien appris le maniement de leur ceinture d’explosifs, ils retrouveront au centre de vils procès, confinés comme des animaux de cirque dans des box ultrasécurisés, sans le secours une assistance juridique du tonnerre, au cours de procès interminables qui se tiendront bien un jour, quelque part dans le metavers.*

_______________

*Cette phrase a concouru pour le prix de « La plus longue phrase dont on se rappelle encore le premier mot », organisé par Marcelin Proust, l’arrière petit cousin du romancier (elle a obtenu la 118ème place sur 127 participants).


BESSCHOPS OU LA LANGUE IRREGULIÈRE / Une chronique de PHILIPPE LEUCKX


Voici un recueil si mince – huit pages de textes. Et pourtant, quelle force, quelle intensité, quelle fulgurance dans ces quelques phrases qui disent à l’aune du titre « Faut-il que tout meure pour que rien ne s’achève? » (éd. L’Ane qui butine, coll. troglodyte) qu’il y a détresse à vivre.

David nous a habitués à user d’une langue personnelle qui crie, qui détrousse les banalités, qui soit l’expression d’un corps, d’une âme qui souffrent.

Le grand poète qu’il est, et qui n’est pas toujours reconnu à sa juste place, sait trouver le terrain miné des mots pour dire sa vérité.

Toute la terminologie de ce petit livre résonne de douleur : hébétude, impossible, éreintant, enfermement, vide etc.

Une hypersensibilité maîtrisée nous vaut des fulgurances comme ces « flèches jaunes » qui strient la peau.

Pour avoir tout lu de lui, je peux dire qu’on tient ici une singulière écriture d’un soi détesté, honni (« la vie étreint si mal »), disgracié.

Le silence souvent convoqué laisse encore dans les marges tant d’autres souffrances.

« L’enfance remonte à la surface » et le puits des mots est indéchiffrable.


David BESSCHOPS, Faut-il que tout meure pour que rien ne s’achève ?, L’Âne qui butine, coll. « Troglodyte », 2022, 11 €

L’ouvrage sur le site de L’âne qui butine

2022 – FLEURS DE TEXTES : LES FEMMES AU COEUR DE LA SOCIÉTÉ / La chronique de DENIS BILLAMBOZ

DENIS BILLAMBOZ

La condition des femmes est un sujet qui alimente, à juste titre, encore abondamment la littérature actuelle. J’ai donc choisi de réunir deux textes qui évoquent le rôle des femmes et toutes les contraintes qu’elles subissent encore dans la société contemporaine. Un texte de Leïla ZERHOUNI évoquant la transmission de la vie et toutes les souffrances que les femmes doivent subir pour perpétuer la gent humaine et un autre Stéphane BRET qui raconte l’histoire des années folles à travers les heurs et surtout malheurs de trois jeunes femmes et d’un banquier.


Femmes empêchées

Leïla Zerhouni

M.E.O.


Dans un petit village de l’Ardenne belge, Ania, un gamine née sous x dans une clinique de Lille, est adoptée par la boulangère restée célibataire avec en fort désir d’enfant insatisfait. Quand la petite atteint sa dixième année, la boulangère décide de lui parler de ses origines en lui révélant qu’elle n’est pas sa mère biologique mais sa mère affective et nourricière.

Tout s’embrouille dans la tête de la gamine qui ne sait plus très bien qui elle est et d’où elle vient. En proie à une véritable crise identitaire, Ania se réfugie dans le rayon librairie du bazar ouvert récemment au village par une femme seule elle aussi. Cette dernière initie la jeune fille à la littérature et l’emploie pour l’assister dans le rangement des livres. C’est là qu’elle rencontre un jeune journaliste dont elle s’éprend mais qui, hélas, la quitte pour parcourir le monde et sauver ceux qui sont en danger.

Son amoureux parti vers des contrées en effervescence, Ania poursuit son voyage sédentaire dans les livres, elle devient l’héritière de la libraire et conseille tous ceux qui cherchent des livres pour élargir leur monde. Un jour, elle rencontre son presque double, une jeune fille qui essaie de voler le livre qu’elle voudrait lire mais qu’elle n’a pas les moyens de s’offrir. Ania lui offre le livre, devient de son amie et, plus tard, après des années d’amitié, la marraine de sa fille.

Leïla Zerhouni, je l’ai déjà croisée dans un recueil de poésie édité chez Bleu d’encre où elle traitait de la séparation douloureuse. Dans ce roman comportant lui aussi quelques poèmes incrustés dans le texte, elle évoque la filiation, la vie que l’on transmet avec ou sans désir, par hasard ou pour volonté de transmettre sa propre vie, de perpétuer la famille… Dans ce texte, Leïla met en scène une femme abandonnant son enfant qu’elle n’a pas désiré et qu’elle n’a pas les moyens d’élever, une femme qui n’a pas trouvé de géniteur pour lui donner l’enfant qu’elle désirait ardemment, une femme qui accouche d’enfants jumeaux, une autre qui met volontairement un terme à sa grossesse pour ne pas accoucher d’un enfant sans père. Explorant tous les aspects de la maternité, elle met aussi en scène un médecin charitable qui assiste les femmes enceintes dans le plus profond désarroi.

Elle évoque aussi dans ce roman la mixité dont elle est elle-même issue, avec toute la richesse qu’elle comporte. C’est aussi, pour elle, l’occasion d’établir un pont culturel entre l’Ardenne belge cloîtrée dans sa paisible vie campagnarde et l’Algérie des années noires où la violence et la mort régnaient sans discernement. L’Algérie où le régime avait encore sensiblement altéré la condition des femmes déjà peu reluisante auparavant. Bien que publié avant la guerre qui y règne actuellement, l’Ukraine fait une petite apparition dans ce texte comme pays où les artistes ont du mal à exister. Ainsi, Leïla pointe du doigt de nombreux problèmes de la société actuelle tout en évoquant largement la littérature qu’elle semble beaucoup apprécier. Tout au long de son récit, elle cite de nombreux auteurs que j’ai, pour la plupart lus et appréciés, mais c’est avec un plaisir particulier et une certaine surprise que j’ai vu qu’elle citait Louis Scutenaire, Achille Chavée, Jean Amrouche (même si j’aurais apprécié d’y voir aussi sa sœur Taos, une de mes idoles littéraires), de grands auteurs trop souvent ignorés et quelque peu oubliés.

La transmission de la vie est souvent un exercice un peu compliqué, il faut que deux êtres partagent le même désir, puissent le faire perdurer dans le temps, se décident ensemble et que la nature et la société ne se mettent pas en travers de leur souhait commun. La vie est un chose précieuse qu’il faut savoir choyer pour la transmettre avec amour afin que les femmes soient empêchées…

Le livre sur le site des Editions M.E.O.


Séduisantes chimères

Stéphane Bret

Books on Demand


En commençant la lecture de ce livre, j’ai eu une impression de déjà vu, je ne savais pas que ce texte était la suite du précédent roman de Stéphane Bret. J’ai mis le temps de lire quelques pages avant de me souvenir d’Aude, d’Adrienne et d’Arnaud, les trois A, les trois principaux héros de « Pourquoi ont-ils tué Jaurès ? ».

Dans cet ouvrage, Stéphane raconte comment Aude, la jeune couturière, découvre le monde des travailleurs, la CGT, la SFIO, le féminisme, les suffragettes, l’homosexualité et son amante Adèle, comment Adrienne préfère le monde de la nuit, des plaisirs tarifés au bras de son client le plus assidu, comment Arnaud, banquier enrichi en investissant dans les nouvelles colonies, traversent La Belle époque avec tous les germes de la Grande guerre qu’elle comporte déjà.

Dans ce second ouvrage, les trois protagonistes, après avoir traversé la Grande guerre et la pandémie de Grippe espagnole qui l’a suivie, se lancent avec un réel plaisir mais aussi une certaine retenue, dans les Années folles pour oublier les affres des épreuves passées. Après s’être engagée dans le service chargé de la confection des uniformes de l’armée, Aude revient à son métier de couturière et intègre la célèbre maison de haute couture de Paul Poiret. Adrienne a abandonné les fastes de la maison close où elle œuvrait pour s’engager parmi les infirmières militaires et soigner les blessés puis les Gueules cassées. Arnaud siège désormais au conseil d’administration de sa banque et reste toujours assidu aux charmes des cocottes.

En faisant vivre ces trois personnages et Manon, la nouvelle amante d’Aude, Stéphane Bret jette un regard panoramique et synthétique sur les Années folles caractérisées par le besoin populaire d’oublier la guerre et l’épidémie mais aussi par la mise en place des pièces du puzzle qui constitue peu à peu la trame de ce qui conduira à l’autre guerre. Il évoque les vains efforts pour assurer une paix durable, les luttes ouvrières pour l’amélioration des conditions de travail, les innovations technologiques qui bouleversent le monde et la société, la lutte des premières féministes pour défendre la condition des femmes et quelques autres thèmes…

Ce court roman comporte tout ce que notre jeunesse devrait savoir sur ce qui a conduit, en deux décennies, le monde de la Grande guerre qui devait être « la der des der » à la suivante. Stéphane nous offrira peut-être bientôt la suite de cette analyse en projetant ses héros de la crise financière de 1929 aux abominations de la Deuxième guerre mondiale.

Le livre sur le site de la FNAC


SACHA GUITRY, L’ARTICLE de GAËTAN FAUCER (Lamiroy) / Une lecture d’Eric ALLARD


Avec le numéro 23 de L’Article, cette originale collection des Editions Lamiroy au format 10 x 14 cm consacrée à des grands noms des Lettres, Gaëtan Faucer s’inscrit à la fois dans l’air du temps où les éditeurs, surfant sur la popularité de leurs classiques, cherchent à dénicher, quand ils n’en composent pas de toutes pièces, des raretés ou inédits de leurs grands écrivains, tout autant qu’il fait signe vers les supercheries littéraires tout en questionnant sur la paternité, la propriété d’une œuvre, dans le sillage d’un Borges ou bien, comme l’indique Maxime Lamiroy dans son éditorial, de Roman Jakokbson à propos de Maïakovski.

Guitry lui-même a dit : Shakespeare n’a jamais existé, toutes ses pièces sont l’oeuvre d’un autre qui s’appelait également Shakespeare. « 

Ainsi, Faucer imagine qu’il aurait retrouvé, dans une malle, comme il se doit, une pièce inédite du grand dramaturge, et aussi cinéaste d’exception, intitulée Lhomme de la situation, « une histoire drôle et agréable à regarder » dans le milieu théâtral, avant qu’on apprenne que…

Ce texte qui joue sur les ressorts dramatiques, les trompe-l’œil et les faux semblants, se veut un hommage à un maître du théâtre mais aussi de l’aphorisme, chers à Gaëtan Faucer qui, lui-même, a écrit, dans L’année des d(i)eux : Aucune vérité ne remplace un vrai mensonge.

Le présent texte nous apprend bien des choses et des anecdotes au sujet du dramaturge qui savait se mettre scène dans la vie mondaine, avec humour et un sens de la composition. Faucer met un point d’honneur à corriger l’opinion commune sur la supposée misogynie du personnage, en posant notamment cette question : « Qui a été le premier auteur moderne à offrir la femme un premier rôle ? »

Un titre et une collection à découvrir – si ce n’était pas déjà le cas !

Cet ouvrage est déjà le troisième à titre personnel de Gaëtan Faucer aux Editions Lamiroy, après Le vin, c’est divin, une nouvelle fantastique, et, cette année, L’Année des d(i)eux, un recueil d’aphorismes à déguster jusqu’à la fin 2022 et, bien sûr, au-delà.


Gaëtan Faucer, Sacha Guitry, ça rend fou la littérature, 42 p., 4€ en version papier / 2€ en version numérique.

En savoir plus sur L’ARTICLE de Gaëtan FAUCER consacré à Sacha GUITRY