DENIS BILLAMBOZ
Mes Feuilles d’automne sont construites avec une partie de mes lectures estivales et même printanières, c’est ainsi que dans cette chronique vous trouverez deux commentaires de mes lectures de MICROCACTUS, la dernière-née des collections des CACTUS INÉBRANLABLE Editions. J’y ai réuni Mathieu JAEGERT et Jean-Loup NOLLOMONT, associés à Roger LAHU & Eric DEJAEGER publié par GROS TEXTES. Une belle brochette de talentueux auteurs qui contribuent brillamment à perpétuer le genre littéraire court à travers leurs recueils de micronouvelles.
Mathieu Jaegert
Ceci n’est pas un crime
Cactus inébranlable
Mathieu Jaegert est sans doute un grand voyageur, il a jeté l’ancre dans le port de Saint-Nazaire après une longue traversée … terrestre, en effet, il venait d’Alsace, ce qui constitue tout de même une belle odyssée. C’est là qu’il a publié son ton premier opus, celui-là même que je commente aujourd’hui, chez le célèbre éditeur, grand spécialiste des formes littéraires courtes, Cactus inébranlable, dans la collection des Microcactus. Il est ainsi l’auteur de l’opus #9.
Dans ce recueil, il propose une série de textes courts, deux par page petit format : des micronouvelles, des histoires courtes, des aventures qui se terminent presque toujours de manière radicale, définitive, souvent mortelle. Mathieu possède l’art de la nouvelle qu’il condense au maximum pour que la chute fatale explose brusquement sous les yeux du lecteur. Les histoires qu’il propose sont souvent féroces, cruelles, cyniques, …, mais elles sont toujours pleines d’humour, d’un humour certes noir, souvent très noir.
J’ai noté quelques exemples pour montrer le ton, la fulgurance, la radicalité, la férocité, …, des textes de Mathieu, en commençant par celui-ci qui pourrait coller à l’actualité tout en espérant que ce ne soit qu’une dystopie et non une prémonition :
« …, il avait annoncé qu’il tirerait toutes les conséquences de la crise. Pour l’heure, il songea en balayant du regard la salle des ministres et ces abrutis bâillonnés qu’il était grand temps de tirer les causes.
Puis il libéra le cran de sécurité de sa carabine ».
Et celle petite histoire qui que l’on pourrait croire réelle tant il y a de gens embrouillés sur notre belle planète :
« Julie est réconciliatrice de gens fâchés. Pour faire prospérer ses affaires, elle dispose d’une armée de collaborateurs dévoués. Tous formés aux subtilités du métier d’embrouilleur de gens ».
Ce ne sont certes pas des crimes mais c’est comme une célèbre marque de soda, ça en a l’odeur, la couleur et le goût. Et, c’est surtout un condensé de littérature noire, des thrillers en réduction.
Le recueil sur le site de vente en ligne du Cactus Inébranlable
Contre tous chacaux
Roger Lahu & Eric Dejaeger
Gros textes
Quelle surprise en découvrant ce petit recueil, je connais les deux auteurs et je n’aurais jamais pensé qu’ils se connaissaient entre eux jusqu’au point d’écrire ensemble, c’est tellement intime d’écrire ! Eric Dejaeger, le poète du Pays noir comme j’aime l’appeler, est un Carolorégien dont j’ai commenté au moins une vingtaine de titres, peut-être plus en ajoutant tous ceux qu’il a écrits avec d’autres. Il fait partie des premiers auteurs dont j’ai chroniqué un livre. Roger Lahu est lui un concitoyen à la mode Hollande, nous faisons partie de la même région, chacun citoyen de l’une des deux parties rassemblées par Hollande pour n’en faire plus qu’une. J’ai lu deux des recueils qu’il a écrits. Comme dit Eric dans sa « Postfrasque », « … on s’est bien marré en revisitant quarante aventures de Bob (Morane) et de Bill (Ballantine) ».
Et là est ma grande déception, le Bob et le Bill n’ont jamais franchi les rivières et vallées délimitant le plateau sur lequel je suis né. Dans mon village natal pas un môme n’avait ces romans ou BD chez lui, je n’ai donc jamais lu les aventures de ces deux énergumènes que je connais un peu plus maintenant même s’ils ont été remodelés par mes deux amis. J’ai ressenti sous la plume d’Eric la mauvaise influence de Maigros vite réprimée par l’autre auteur, comme ils se définissent souvent dans leurs textes. J’ai aussi humé des flaveurs suant directement des produits des côteaux du Mâconnais ou de la Côte chalonnaise dont Roger semble garnir méticuleusement sa cave.
Ainsi à travers ses petits textes, Eric et Roger revisitent les aventures héroïques des deux énergumènes en leur donnant un côté loufoque, burlesque, surréaliste souvent hilarant et quelque peu satirique. Ils charrient volontiers ces héros picaresques en moquant leurs exploits tellement improbables et si peu crédibles. Mais tout ça n’est qu’une vaste rigolade entre deux amis férus des belles lettres toujours à la recherche de mots rares, peu usités et enrichissants pour le vocabulaire du lecteur.
Et près cette lecture gouleyante comme un vin du Mâconnais, il faut aussi réécouter la fameuse chanson du groupe Indochine, « L’aventurier » :
« Égaré dans la vallée infernale
Le héros s’appelle Bob Morane
À la recherche de l’Ombre Jaune
Le bandit s’appelle mister Kali Jones
Avec l’ami Bill Ballantine
Sauvé de justesse des crocodiles
Stop au trafic des Caraïbes
Escale dans l’opération Nadawieb
…. »
Le livre sur le site de vente en ligne de Gros Textes
Contes à rebours
Jean-Loup Nollomont
Cactus inébranlable
Jean-Loup n’est pas un inconnu pour moi, j’ai déjà et lu et commenté deux de ses recueils, l’un d’aphorismes, « Pensées nyctalopes », et l’autre de micro-textes, « Cécité interdite », édités tous les deux chez le même éditeur que le présent recueil mais dans la désormais célèbre collection Les P’tits Cactus. Comme le laisse supposer ces deux titres, Jean-Loup est affecté d’un problème visuel qui, s’il altère sa vue, n’entache en rien son acuité intellectuelle, sa finesse d’esprit, son autodérision et la qualité de son écriture. Dans son anthologie des aphorismes belges, Michel Delhalle le présente comme un individu n’ayant fait que des études relativement banales, « tout à fait secondaire… », ce qui ne l’empêche pas d’avoir une très fine perception des femmes et des hommes et de leur comportement en privé ou en société.
Dans ce recueil, édité dans la dernière-née des collections des Cactus Inébranlable Editions, Microcactus, Jean-Loup Nollomont propose trois-cent-trente-quatre micro-textes numérotés, à rebours, de 333 à 0, des histoires courtes, voire très courtes, des micro-contes, des fabulettes. Des textes qu’on pourrait situer entre la micronouvelle et l’aphorisme, comme une idée que l’auteur n’aurait pas pu réduire suffisamment pour en faire un aphorisme, ni développer suffisamment pour en faire une micronouvelle, tout en en gardant la saveur fondamentale.
« Il revenait d’avoir été se faire foutre. Il n’y retournerait plus. » Celle-ci, elle est particulièrement courte mais elle aussi tellement savoureuse que j’ai eu envie de la partager avec vous. J’en ai noté quelques autres que je tiens aussi à vous rapporter. Notamment celle-ci qui montre bien la grande dérision et la résilience dont sait faire preuve Jean-Loup : « Lorsqu’elle reçut de son fiancé une lettre écrite en braille, elle se cacha le visage dans les mains et comprit que l’amour l’avait rendue aveugle ». J’ai bien aimé aussi les petites histoires absurdes, comme celle-ci : « Le sommet de l’échelle reposait à même le sol. Il était très facile d’y grimper pour aller cueillir au pied de l’arbre les pommes tombées au ras des pâquerettes », ou incongrues, comme cette autre : « Tous deux prenaient de la drogue. Lui en cachet. Elle en cachette ».
Jean-Loup a aussi l’art de dépouiller une idée au maximum sans en retirer une once de sens, d’humour, de drôlerie, … : « Il s’était offert de la raccompagner. Et il l’avait raccompagnée. Et elle s’était offerte ». Certains romans d’amour comportent moins de romantisme que ces quelques mots. Et certains livres dits un peu osés suggèrent beaucoup moins d’érotisme que cette toute petite histoire : « Je suis certain qu’elle ne porte pas de culotte. Je le tiens de mon petit doigt ». Les petits doigts, ça sait tout, c’est bien connu, celui de Jean-Loup est particulièrement bien informé et très coquin !
Les Microcactus sont les livres idéaux à lire pour patienter dans une salle d’attente ou voyager dans les transports en commun, on peut interrompre leur lecture à tout moment, n’importe où, et la reprendre sans jamais avoir perdu le fil de l’histoire, elles sont tellement courtes et se succèdent sans aucun lien entre elles. Alors, un Microcactus aussi drôle que celui de Jean-Loup et vous pouvez faire un grand voyage comportant de nombreuses escales ou patienter dans une salle d’attente en étant sans cesse interrompu par un voisin trop bavard.
Le recueil sur le site de vente en ligne du Cactus Inébranlable