J’ai 53 ans. Je vis en Normandie où j’enseigne les lettres depuis 29 ans.
Si je n’ose publier mes poèmes que depuis 2017, je peux dire que j’écris depuis toujours et c’est davantage une manière de vivre qu’une activité. En tout cas je ne conçois pas l’écriture poétique comme telle. Si j’ai pour habitude de dire que l’inspiration n’existe pas c’est que je ne connais pas l’attitude qui consiste à chercher le quoi dire et le comment.
J’écris beaucoup, plusieurs heures par jour, y compris lorsque j’enseigne, partout, toute la journée, sur un coin de table ou sur un coin de bureau et toujours dans un cahier à spirales- et cette nécessité de dire est une façon d’être et de vivre, ce qui n’exclue pas un vrai travail du poème par la suite bien évidemment. Je ne connais pas d’affres d’écriture. Je la vis comme un plaisir quasi-musculaire et je ne suis jamais mieux que lorsque j’écris beaucoup, que ma journée est dédiée à cela.
On aura remarqué que l’amour est mon thème de prédilection. Ce n’est pas la traduction d’un bonheur candide ou béat-je ne m’interdis d’ailleurs pas d’autres thèmes plus sociaux voire politiques- mais plutôt la conviction que l’on n’écrit au fond jamais autre chose.
J’ai la métaphore facile et c’est heureux. Faire naître des images belles et insolites me semble être la mission de la poésie et j’ai du mal avec la tendance actuelle qui consiste à écrire dans un langage de tous les jours dénué de toute image. Je ne ponctue pas mes poèmes laissant le soin aux lecteurs de trouver leur propre respiration et beaucoup de recensions ont dit de mon écriture qu’elle était exigeante envers le lecteur. Je crois qu’il faut être exigeant. Pour soi. Pour la vie. Pour la salubrité du monde.
Le blog que je tiens chaque jour s’est révélé être une véritable rampe de lancement pour mes publications en recueils mais aussi le lieu de magnifiques rencontres. Je publie désormais dans de nombreuses revues poétiques et d’autres projets de recueils sont en cours dont une suite de L’envolée mandarine en association avec Francine Hamelin.
Lit solaire
en balance dans la saison de tes mains
je mesure enfin le tremblant de nos luttes
celui de nos victoires
et la place de l’accueil comblée enfin
c’est comme si l’insupportable douceur
savait depuis toujours où établir
sa belle élégance
où dresser son lit solaire
et ce peu de givre dans les sapins
répète à l’envi ce matin
mes baisers à fleur d’eau sur ton front
exclusif
j’épouse les dimensions du simple
elles ont la noblesse d’un chat furtif
l’éclat d’or d’un au-delà sauvage dans les feuilles
regarde-moi
je suis aujourd’hui assez nue pour voir au travers
Terre fumée
par le sommeil je te devine encore
t’essayer à la peau douce du temps
au poids juste et idéal de l’âme
et je reviens te donner l’eau
chauffer le chant dans la gorge de l’oiseau
d’une joie sans pareille
d’une élégance qui sait se taire
et fleurir d’aubes à l’abri des circonstances
l’instant nu peut se lever
sur cette terre fumée de récompense
nous voici à niveau
les ailes trop pures pour nous déguiser plus loin
nous prenons de plein fouet la couleur qui danse
avec tous ses soleils
nous prenons ensemble les mêmes chemins
et l’écorce la plus proche est une main de chair
posée au coeur d’une grande nuit imperméable
Un soleil posé sur sa source
j’emmène un souvenir en appui
le paysage pacifié d’un rêve
et c’est un soleil posé sur sa source
qui posséderait son équivalent de silence
une impatience tout entière contenue dans les bras
longs de la patience
je file ma ronde et me fraie un passage de choix
dans la vie provisoire
ma main peut jouer ravie avec son lendemain
en éprouver doucement le poids
je place au répertoire des hautes images le bois
de rose de nos sourires
quand il est si près des mousses encore
et du simple argument de douceur
qu’il signe la page bleue des saisons
d’une belle entropie berceuse
Soixante-dixième lettre pour toi
je redoute plus que jamais le lundi obèse de son bruit
je t’écris
comme on lance une plainte
et j’aimerais pouvoir fuir les longues théories des gens pressés
la maison toute blessée de leur fenêtre inquiète et bavarde où se cogne un oiseau sec
il faut tant de temps pour prendre l’empreinte d’un visage
son buisson de jubilation
son balancement secret
le secret de la fleur dans son sourire sans en dérober son vol
ton visage est un enfant-dieu qui joue obstinément contre un siècle de démesure sur une peau conforme
j’en caresse le coulé minéral qui va des commissures à la phrase courbée et un peu folle que suscite l’or du vivant
et je m’en fais un manteau de signes moi qui ne crois en rien sinon en un printemps idéal
il fallait que tu fusses terre d’amour et écho de mes propres pas pour que j’arrache avec toi autant de chants à la paume des prémonitions
et quand la grâce ne sait plus où tomber je couche ta présence caressée sur les genoux du temps
elle reprend un instant la chanson de l’eau qui s’en retourne au bois et les mousses se plissent pour saluer la beauté en son endroit
Les yeux fous de l’étendue
je laisserai le miel
adoucir l’aplomb du temps
glisser sa pluie aphone et drue dans ta bouche-abeille
jusqu’au solaire de nos mots
jusqu’au blé apprivoisé à la meule d’un monde incertain
jusqu’à ton sein sûr comme une pomme
je suis en route fragile et forte vers le seul tumulte
des moissons
je viens recolorer l’incarnat léger des merveilles
celui des saisons
ta main vivante dans ma main attendrie te prolonge
te berce doucement de chants lointains
soudain levés sur le grain du songe
et les yeux fous de l’étendue
Le plus court chemin
l’arbre hospitalier
me laisse ce matin des fagots d’étoiles
et je rêve à des choses profondes
tandis que s’essaie au loin
la première aventure de l’aube
comme une anticipation d’amour
il est des espaces où l’on peut s’étendre
avec ce délié opiniâtre qui n’appartient qu’à soi
quand tout autour semble tracé au cordeau
il est des relents de rondes aux flancs conciliants
qui doucement se déplacent d’un temps vide
à un temps plein
je reprends mon chemin rassurée de soleil
et c’est un ancrage dans le mouvement
où je me déchagrine
tu as souri et pourtant
tu dors encore dans le rêve pur d’un oiseau
dans la corbeille de mes mains que tu devines
Epure
je ne peux te voir
qu’à travers une épure
débarrassée de la durée
un cérémonial qui reprend partout
sa nécessaire importance et l’insensée
recherche du signe suivant
et je prends soin de son tendre chargement
j’assemble des morceaux de royauté
et puis d’enfance
je recompte les oiseaux qui ouvrent tes paupières
te rince de pairies au pouls puissant
je te tiendrai loin de tout ce qui peut effrayer
la vie
avec des mots qui ne seront jamais des mots
mais un corps entier d’écriture
à la tendre salinité
et au regard toujours surpris
où tu pourras enfin dormir d’aimer
Les rameaux roses de la perspective
laisse encore dans mes cheveux
ta main entière
et tes yeux sans rhétorique sur mon rêve chaud
l’air ce matin est transparent de certitudes
beau comme un bal champêtre
un soleil poussé dans le dos
la terre a les yeux grand ouverts
et le ciel ému à bleu tremble
entre les rameaux roses de la perspective
je te rejoindrai partout où l’on froisse
les rires entre deux silences
et dans tous les nids méticuleux
dans la tendre crédulité du vert
qui prend des poses et danse devant l’hiver
je te rejoindrai pour ce qui veut vivre
malgré tout ce qui est blessé
dans le cri des oiseaux de novembre
L’ampleur des pistes
prends ma main et viens avec moi
t’asseoir dans les yeux de l’instant
regardons danser celles qui consentent
à s’étonner d’être là
dans l’ampleur des pistes
et dans le désordre des pierres à feu
dis-moi encore le banc
dans l’étendue tremblante de l’entre-saison
qui descend voir la rose du sang
au plus profond
dis-moi aussi des corps le tendre abandon
les plumes du soleil tout autour
comment les arbres ces grands lecteurs du vent
feront la toilette du rire sans raison
quand l’attente aura pris fin
rien ne ment si longtemps
sans susciter le chant l’alouette et puis l’amour
L’ouvert et l’aveugle
dans la dérision des vents
sur l’étendue pierreuse
sur les années aveugles cernées de symboles
que l’on n’avait pas su voir
on agite parfois son grand corps de silence
tu sais celui qui voudrait la mer
sans jamais avoir touché l’eau
et vieillir longtemps en enfance
pris dans les plis et le tremblé du temps
qu’on félicite et qu’on met dans un vase faute de mieux
je me continue sans référence
j’observe doucement la montée de la lumière
comme au premier séjour
et mes mains très petites tentent partout
de te retenir dans l’ouvert
ma voix de balise me coule par les yeux
rien n’aura raison de l’amande du rêve
de l’essaim sur la peau
qui contient et dépasse l’existence
et l’air tousse en gerbes d’auréoles
des nuées récurrentes d’oiseaux
Douceur dont je t’avise
pas à pas je te construirai un jour d’exception
ça finira bien par prendre chair
j’ai une lumière primitive dans les yeux
qui redresse la marge d’erreur
sur l’épi dansé du silence
et prend tout au rire du plus grand sérieux
j’ai mendié des ailes
pour ne pas annuler l’oiseau de nos traces
niché dans l’arbre de bonne volonté
j’ai mis l’échelle sur mes mots
laissé le chant au pied de l’enfance
quitté ma robe pour tes doigts de vin doux
rendu mon âme à ses besognes de pain
ma bouche à l’étoile gonflée des lendemains
la peau sans fin et la douceur dont je t’avise
suffiront bien à adoucir le feu du monde
et le terrible hiver
plus personne ne rêvera à notre place
je n’aurai plus à imaginer comment tu dors
sans moi
LIRE, DIT-ELLE, le riche site de BARBARA AUZOU en textes personnels et d’autrui
L’ENVOLÉE MANDARINE, le dernier ouvrage de Barbara AUZOU à partir de sculptures de Francine HAMELIN (avec une préface de Jeanne CHAMPEL GRENIER) aux Editions 5 SENS