DENIS BILLAMBOZ
Il y a beaucoup de coudriers dans les buissons de ma campagne mais aucun ne porte des poèmes. J’ai donc été, à la fois, surpris et enchanté quand Joëlle Aubevert m’a proposé de lire ces deux recueils de poésie édités par cette maison qui a emprunté son nom à cet arbuste éponyme. Et ma lecture m’a confirmé que cet éditeur possède une grande exigence et qu’il sélectionne et édite des textes de grande qualité que j’ai lus avec grand plaisir.
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Poèmes écrits sur du papier
Le Coudrier

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J’ai lu cet opus comme un recueil de poésie en prose, comme le propose l’auteur dans son titre, mais je l’ai lu aussi un peu comme un essai ou plutôt comme un ensemble de fragments traitant de sujets différents. Je rejoins en ça le préfacier, Jean-Michel Aubevert, qui dans son très éclairé et très éclairant propos introductif écrit : » La poésie d’Arnaud utilise aussi la forme « narrative et discursive » « . Je trouve qu’il livre des descriptions de lieux, de choses, de sentiments, d’impressions, … avec une très grande finesse et une grande force d’évocation. Par ailleurs, il discourt fort habilement sur différents sujets qui l’ont interpellé. Ces descriptions et ces discussions sont toujours écrites dans une langue d’une extrême précision et d’une grande clarté, ce qui rend son texte toujours très accessible même quand il aborde des sujets fort complexes.
En lisant ces fragments, j’ai essayé de tirer les fils qui semblent relier les textes les uns aux autres ou du moins certains d’entre eux. Les discussion sur la langue, l’écriture, la littérature, la prolifération éditoriale font l’objet de plusieurs textes et sont une bonne partie du fondement de ce recueil. « Quoi qu’il en soit, quand je sors d’une librairie, je me dis qu’il est non seulement inutile, mais nuisible d’écrire. Qu’il est urgent non seulement que je cesse d’écrire, mais que tout le monde cesse d’écrire. Seule manière de mettre fin à cette répugnante dysenterie éditoriale ». Cette profusion littéraire inutile en elle-même l’est d’autant que « l’écriture est devenue inutile, du fait de la défection du lecteur… ».
Paradoxalement ce discours sur le trop-plein littéraire s’accompagne de récits sur la découverte de textes anonymes, épigraphie, manuscrits anciens – j’ai pensé au livre de Jean Potoki : Manuscrit trouvé à Saragosse – qui montre bien l’importance de l’écrit, qu’il soit aussi bien dans des textes scientifiques, littéraires, historiques, … comme une nécessité de transmettre un savoir, des idées, des avis, des opinions, des sentiments, des émotions…, pour nourrir la mémoire à laquelle on peut toujours se référer, et aussi pour construire une histoire de la littérature expurgée de tous les écrits qui n’apporte rien et ou ne rapporte que trop mal. L’appauvrissement de la langue étant la véritable gangrène de la littérature. « Dans la poésie, l’appauvrissement de la langue a conduit à un délitement inouï ». L’écriture, c’est aussi l’art de mettre en forme l’histoire. J’aime cette façon dont Arnaud voit l’histoire et la mythologie comme un passage entre les hommes et les dieux. « Transiter entre le monde des vivants et celui des morts est une de leurs occupations majeures. Transiter, et conjoindre : hommes/dieux, vivants/morts, plein/creux, chair/surfaces ornée ». L’homme a inventé les dieux pour s‘assurer une protection et un refuge, l’histoire et la mythologie ne sont que le livret de ce vaste oratorio.
Parmi les fils que j’ai tirés en lisant ce texte, il y a celui qui évoque la vie, la mort, la déchéance pire que la mort. Il y a aussi ceux qui dissertent sur la façon de remplir l’espace de la vie : est-il nécessaire de travailler, d’avoir un emploi, d’assurer une mission ? N’est-il pas plus utile de ne rien faire, de ne rien vouloir, de rien désirer, de se suffire de rien, des mots peut-être, de se contenter de vivre dans le dénuement ? « Là où j’irai, je ne me porterai acquéreur de rien de plus que dans les lieux que j’aurai quittés ; et il ne restera bientôt plus qu’à partir de nouveau ». Changer, toujours changer. « Une croyance m’a bercée pendant des années : la voie que je devais suivre dans cette existence, était celle du dépouillement. Abandonner, creuser, vider, décaper etc. ».
Dans ses textes poétiques, Arnaud disserte, discute, démontre, décrit, …, de la vie, de la mort, de l’humanité, des dieux, de la langue, de l’écriture, de la littérature, de l’histoire et peut-être tout simplement de sa vie à lui, des problèmes qui l’interrogent, des événements qui l’interpellent … ?
Le livre sur le site des Ed. Le Coudrier
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Transparences
Le Coudrier

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Dans la transparence des feuillages et canopées déposés par Joëlle Aubevert pour illustrer ce recueil, Jean-Michel a glissé ses poèmes courts, fluides comme des rus serpentant dans la campagne, frais comme les ombrages illustrant ses vers et lumineux comme les mots ensoleillés qu’il a choisis avec minutie.
Dans ces vers chatoyant, il évoque le cosmos, la nature, l’onde et même les plis laissés par les amoureux dans les draps devenus défraichis.
« Aux sables qu’ont foulés / leurs pas, à ces objets / qui en fixent les draps, / à des lits oubliés / que la nuit a rêvés / ils se sont tant aimés / que le temps s’est plié… »
Dans notre monde en ébullition, Jean-Michel a trouvé dans son riche langage des mots, des rimes, des assonances, …, qui chantent un monde ou la douceur de vivre aurait encore une raison d’être notre mode de vie, notre façon d’aimer…
« Longuement les aimés / ont goûté aux baisers / fruités. Le bel été / au loin les a portés. »
Tout ce monde qui s’étale sous le regard des beaux yeux qui illuminent les vers de Jean-Michel.
« On dit que les beaux yeux / Sont comme les jours / Qu’ils se vivent à deux. / Y cuve notre amour. »
Que notre monde est beau quand on le regarde à travers les yeux que Jean-Michel a dissimulé dans ses vers distillant des regards qui se glissent dans les feuillages de Joëlle.
C’est mon premier recueil déniché chez Le Coudrier mais je sais que ce n’est pas le dernier, le suivant est déjà sur mon chevet.
Le recueil sur le site des Ed. Le Coudrier
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Joëlle Billy présente les Editions Le Coudrier fondée en 2001
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