NOTRE-DAME DE PARIS / JEAN-FRANÇOIS FOULON

.

L’incendie de Notre-Dame de Paris, le 15 avril 2019, est resté dans toutes les mémoires. Personnellement, cet événement m’avait bouleversé. J’avais eu l‘impression non seulement qu’un monument majeur de notre culture partait en fumée, mais que le témoin de mille ans d’histoire disparaissait à jamais. C’est que Notre-Dame était bien davantage qu’une simple cathédrale. Elle incarnait à la fois le sommet de la spiritualité occidentale et le théâtre des grandes pages de l’histoire nationale. Située au centre de la capitale française, sur l’Ile de la cité, elle avait connu la naissance et le renforcement de l‘autorité royale et la lente création d’un Etat moderne centralisé. Elle avait connu également la Révolution et la chute de l’Ancien Régime, puis des guerres successives. D’abord l’occupation par les troupes prussiennes après la défaite de Sedan en 1870, puis le risque de voir l’armée allemande enfoncer les fronts de la Marne et de la Somme en 14-18, et enfin l’occupation, bien réelle cette fois, des mêmes troupes allemandes en 40-45. Mais Notre-Dame, c’est aussi l’insurrection populaire suivie de la libération de Paris par la deuxième division du général Leclerc en août 44. Tout le monde connaît la descente des Champs-Elysées par le général de Gaulle, qui se termine par un Te Deum à Notre-Dame. Notons en passant que des dispositions avaient été prises pour que l’archevêque de Paris, le cardinal Emmanuel Suhard, soit absent. En effet, De Gaulle voulait sanctionner les ecclésiastiques compromis dans la collaboration. Comme des coups de feu éclatèrent à l’extérieur pendant la cérémonie, l’assemblée s’est finalement contentée de chanter le Magnificat (plus bref).

Notre-Dame c’est tout cela. On peut donc dire qu’elle faisait partie de l’inconscient collectif et que sa charge symbolique dépassait de loin sa beauté architecturale. D’autres édifices connurent des incendies, comme la cathédrale de Nantes, le 18 juillet 2020, sans provoquer de véritable émotion populaire. Certes, les dégâts furent moins importants (le grand orgue avaient tout de même été complètement détruit ainsi que des vitraux du Moyen Age), mais c’est surtout que cette cathédrale n’était pas revêtue de la même symbolique.

Cela étant dit, il faut bien se rendre compte que Notre-Dame n’a pas toujours joui du même prestige. La Révolution de 1789 et la période révolutionnaire qui la suivit avaient laissé d’importantes séquelles. L’état de délabrement était très important au point qu’au début du XIXe la cathédrale avait servi de carrière de pierres. Pour le sacre de Napoléon, en 1804, il fallut faire des réparations de fortune. On blanchit les murs extérieurs à la chaux et à l’intérieur on posa des panneaux et des tentures qui déguisèrent l’église en temple antique. En réalité, il s’agissait surtout de cacher l’état de délabrement avancé. Tout était faux donc, comme était fausse la représentation que le peintre David en fit quelques années plus tard. La mère de Napoléon, qui figure sur le tableau à la place d’honneur, n’était pas présente, car elle n’avait pas voulu assister à la cérémonie, et l’impératrice était beaucoup plus âgée que la jeune fille qui a été peinte. Par la suite, on célébra encore dans la cathédrale le baptême du roi de Rome (le fils de  Napoléon) mais on envisageait sérieusement d’abattre l’édifice entier.

C’est en fait Victor Hugo qui a réveillé les consciences. Il avait déjà écrit « Sur la destruction des monuments de France » et surtout « Guerre aux démolisseurs » où il fustigeait l’état de délabrement dans lequel la France laissait ses monuments. Puis, en 1831, paraît son roman Notre-Dame de Paris, dans lequel la cathédrale est pour ainsi dire un des personnages. Ayant bien perçu sa valeur symbolique, il s’exprime ainsi : « Chaque face, chaque pierre du vénérable monument est une page de l’histoire du pays. » Et en effet, c’est à Notre -Dame que Philippe le Bel convoqua les premiers états généraux du royaume, qu’Henri VI d’Angleterre, par ailleurs duc d’Aquitaine, y fut couronné roi de France pendant la guerre de Cent ans. C’est là également qu’eut lieu le mariage d’Henri IV avec Marguerite de Navarre et que Bossuet prononça l’éloge du Grand Condé.

Grâce à son roman, Hugo érige Notre-Dame en véritable mythe et crée un mouvement populaire en faveur de son sauvetage. Il provoque également un véritable engouement pour le Moyen Age, engouement qui caractérisera toute l’école romantique en littérature.

La restauration de Notre-Dame dura vingt ans et elle fut confiée à Jean-Baptiste Lassus et à Viollet-le-Duc. C’est ce dernier qui érigea la fameuse flèche de la croisée, celle que le monde entier a vu s‘effondrer dans les flammes en 2019.

Cette flèche, finalement, datait du XIXe siècle, mais au vu de tout ce que représente Notre-Dame, on comprend mieux l’émoi que suscita cet incendie. C’est que cette cathédrale est plus qu’un simple édifice. Pour moi, en effet, je la voyais à travers les yeux d’Esméralda et de Quasimodo car, comme je l’ai déjà dit ailleurs, la littérature nous donne une grille de lecture qui transforme à nos yeux les paysages et les monuments. Il existe donc une sorte de vérité virtuelle qui n’existe que dans notre imaginaire et qui a été construite par nos lectures. Quand j’avais visité Notre-Dame autrefois et que je m’étais retrouvé au haut des tours, devant les gargouilles et les chimères, j’avais eu l’impression d’entrer de plein pied dans le roman de Victor Hugo. Pourtant, ce dernier n’avait pas connu les restaurations de Viollet-le-Duc, qui avait ajouté un nombre impressionnant de ces créatures fantastiques.

Et puisque qu’on parle littérature, notons que c’est à Notre-Dame que Claudel eut la révélation de sa foi. Je ne suis pas croyant, bien au contraire, mais je ne peux pas ne pas vous inviter à lire le célèbre texte de Claudel :

« Tel était le malheureux enfant qui, le 25 décembre 1886, se rendit à Notre-Dame de Paris pour y suivre les offices de Noël. Je commençais alors à écrire et il me semblait que dans les cérémonies catholiques, considérées avec un dilettantisme supérieur, je trouverais un excitant approprié et la matière de quelques exercices décadents. C’est dans ces dispositions que, coudoyé et bousculé par la foule, j’assistai, avec un plaisir médiocre, à la grand’messe. Puis, n’ayant rien de mieux à faire, je revins aux vêpres. (…) J’étais moi-même debout dans la foule, près du second pilier à l’entrée du chœur à droite du côté de la sacristie. Et c’est alors que se produisit l’événement qui domine toute ma vie.

En un instant mon cœur fut touché et je crus. Je crus, d’une telle force d’adhésion, d’un tel soulèvement de tout mon être, d’une conviction si puissante, d’une telle certitude ne laissant place à aucune espèce de doute, que, depuis, tous les livres, tous les raisonnements, tous les hasards d’une vie agitée, n’ont pu ébranler ma foi, ni, à vrai dire, la toucher. J’avais eu tout à coup le sentiment déchirant de l’innocence, de l’éternelle enfance de Dieu, une révélation ineffable. »

Villon, Péguy ou Théophile Gautier ont également évoqué Notre-Dame dans leurs oeuvres. Sans parler de peintres comme Utrillo, Chagall et Picasso qui immortalisèrent sa façade. Tout cela, on le savait quand on a vu la toiture s’effondrer et ce fut donc non seulement un pan de l’histoire, mais également une partie de notre monde intérieur qui partit en fumée ce soir-là. D’où l’émotion intense que cet événement a suscitée.

Le comble, c’est que Victor Hugo, pour terminer avec lui, avait en quelque sorte eu la prémonition de l’incendie de Notre-Dame dans son roman :

« Tous les yeux s’étaient levés vers le haut de l’église. Ce qu’ils voyaient était extraordinaire. Sur le sommet de la galerie la plus élevée, plus haut que la rosace centrale, il y avait une grande flamme qui montait entre les deux clochers avec des tourbillons d’étincelles, une grande flamme désordonnée et furieuse dont le vent emportait par moments un lambeau dans la fumée. Au-dessous de cette flamme, au-dessous de la sombre balustrade à trèfles de braise, deux gouttières en gueules de monstres vomissaient sans relâche cette pluie ardente qui détachait son ruissellement argenté sur les ténèbres de la façade inférieure. À mesure qu’ils approchaient du sol, les deux jets de plomb liquide s’élargissaient en gerbes, comme l’eau qui jaillit des mille trous de l’arrosoir. Au-dessus de la flamme, les énormes tours, de chacune desquelles on voyait deux faces crues et tranchées, l’une toute noire, l’autre toute rouge, semblaient plus grandes encore de toute l’immensité de l’ombre qu’elles projetaient jusque dans le ciel. Leurs innombrables sculptures de diables et de dragons prenaient un aspect lugubre. La clarté inquiète de la flamme les faisait remuer à l’œil. Il y avait des guivres qui avaient l’air de rire, des gargouilles qu’on croyait entendre japper, des salamandres qui soufflaient dans le feu, des tarasques qui éternuaient dans la fumée. Et parmi ces monstres ainsi réveillés de leur sommeil de pierre par cette flamme, par ce bruit, il y en avait un qui marchait et qu’on voyait de temps en temps passer sur le front ardent du bûcher comme une chauve-souris devant une chandelle. »

En relisant cet extrait, je ressens la même impression que j’avais eue lorsque j’avais lu le roman, dans ma vingtième année. Et je me rends compte que je me souvenais parfaitement de cette scène, qui avait marqué mon esprit. Quasimodo errant entre les tours de Notre-Dame en flammes, c’est exactement ce à quoi on le public médusé a assisté le 15 avril 2019.

= = = = =

Publicité

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s