DENIS BILLAMBOZ
Dans les trois romans que j’ai réunis dans cette chronique, les auteurs racontent des histoires d’amour bien tortueuses, comme la plupart des histoires d’amour dans les livres, Carine-Laure DESGUIN dans un dialogue entre deux femmes évoquent un adultère resté secret pendant très longtemps, Jean-Pierre BALFROID raconte lui aussi un adultère dont le prix sera bien lourd à supporter pour les protagonistes et leur entourage et Albert DUCLOZ, lui, d’appuiera sur un fait réel pour décrire l’amour qui a réuni un officier allemand et une infirmière française pendant la seconde guerre mondiale. L’amour est un sujet inépuisable pour les auteurs.
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Mises à nu
Carine-Laure Desguin
Jacques Flament Editions

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Carine-Laure est un peu comme le couteau suisse des lettres, elle est capable d’écrire sur de très nombreux sujets et dans toutes les formes littéraires, ou presque, j’ai déjà lu de nombreux textes de sa plume dans des genres très divers. En la circonstance, elle aborde le dialogue, un genre littéraire qu’elle a déjà testé en écrivant une pièce de théâtre : « Le Transfert ». « Mises à nu » pourrait donc être mis en scène et présenté sur scène. Ce texte est un dialogue, dans un huis clos, entre deux personnages seuls : une veuve et l’ex maîtresse de son feu mari.
Marielle, l’infirmière qui prodiguait des soins à Monsieur Libert avant qu’il décède rencontre encore son épouse à laquelle elle doit faire des piqûres pour soigner une névralgie, pseudo-névralgie apparemment, et le jour où elle pratique l’ultime injection de ce traitement, Madame Libert souhaite avoir une discussion sérieuse avec son infirmière. Elle lui demande, de but en blanc, si elle a eu une liaison amoureuse avec son mari. Marielle tente d’esquiver la question mais elle doit reconnaître que cette relation a bien existé, elle ne souhaite faire aucun mal à la veuve en s’étendant sur les détails de cette aventure. Mais la veuve, femme très possessive, très matérialiste, très imbue de sa personne et surtout très fière d’avoir décroché la gros lot en épousant son patron, ne l’entend pas de cette oreille, elle veut tout savoir. C’est elle la veuve, l’épouse légitime, l’héritière, elle doit tout savoir quitte à en crever !
Le dialogue s’éternise, les détails deviennent de plus en plus cruels, de plus en plus sordides, de plus en plus humiliants, … , mais la veuve, dans une sorte de délire masochiste, veut en savoir toujours plus sur sa mésaventure et le batifolage des deux tourtereaux.
Ce texte est une véritable autopsie d’une tromperie parfaitement maîtrisée par les deux amoureux au grand dam de l’épouse légitime restée dans la totale ignorance de sa mésaventure. Carine-Laure expose avec une grande précision la mécanique de l’adultère : comment naît une aventure illégitime, comment les deux amoureux restent bien cachés, comment les deux amants s’attachent l’un à l’autre et comment la pauvre cocue se pavane devant ses amies sans savoir qu’elle porte une belle paire de cornes.
Ce texte est aussi une réflexion sur le couple, il n’est nullement une institution figée mais une union vivante, il évolue en fonction des époques de la vie, des activités professionnelles, des rencontres et de bien d’autres paramètres encore, il est donc nécessaire de veiller à sa bonne évolution et de faire en sorte qu’il s’adapte aux conditions de vie des deux époux. Et peut-être, au moins pour certains, que le couple n’est destiné pas à subsister jusqu’à ce l’un des deux conjoints décède. Ce n’est peut-être qu’une tranche de vie, aussi belle soit-elle, … ?
Et, attention quand la maîtresse devient légitime, elle devient souvent la nouvelle cocue sous le regard narquois d’une nouvelle maîtresse !
Le livre sur le site des Editions Jacques Flament
Le blog de Carine-Laure DESGUIN
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Ces étoiles dans la nuit
Jean-Pierre Balfroid
M.E.O.

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Après « Le Choix de Mia », son précédent roman publié chez le même éditeur, Jean-Pierre Balfroid propose dans ce roman une nouvelle version du rude combat dans lequel s ‘affrontent Eros et Thanatos. Dans un petit village de l’Ardenne, au cœur d’un triangle ayant pour sommets Charleville, Sedan et Bouillon, Ruffin un fier bûcheron épouse Flore l’institutrice. Ils vivent un grand amour dans ce petit village où tout le monde se connaît, s’entraide, médit, s’aime ou se déteste. Le village prend de l’ampleur, un lotissement se développe à côté du vieux village, le village bleu aux toits d’ardoise voit émerger un village rouge aux toits de tuiles. Ce nouveau village attire une nouvelle population composée principalement de riches Bruxellois en manque d’espace et d’air pur.
C’est ainsi que Cyril et Shirley s’installent dans ce nouveau village avec leurs enfants jumeaux, ils sympathisent vite avec Ruffin qui leur vend du bois de chauffage. Mais Flore supporte mal cette promiscuité car elle n’arrive pas à avoir l’enfant qu’ils désirent tellement, la vue de ceux de Cyril et Shirley la désespère encore plus. S’ennuyant un peu dans cette campagne isolée, Shirley séduit Ruffin et tombe bien tôt enceinte ne sachant lequel de son mari ou de son amant est le père de l’enfant qu’elle porte. Flore est de plus en plus désespérée, elle plonge dans la dépression.
Ruffin est victime d’un grave accident qui le laisse défiguré et affaibli, il n’est plus le fier bûcheron. Flore le soigne avec beaucoup de dévotion pendant que Shirley élève, sous son nez, un troisième enfant, Adeline, la petite fille qu’elle a mise au monde sans connaître le père. Flore sombre de plus en plus dans la dépression, Ruffin qui se rétablit lentement, lui propose de passer quelques jours chez des amis en Auvergne où elle trouve la mort dans un accident de voiture.
Et le sort s’acharne encore sur ces deux familles Adeline est victime d’une maladie rare qui demande des soins très importants et très onéreux. Elle lutte avec un courage exemplaire et beaucoup de résilience, elle parvient à vivre après une greffe du rein et, plus tard, et malgré une cécité complète. Sa volonté et sa ténacité lui permettent de suivre de brillantes études malgré ses handicaps. Elle noue une très forte amitié avec Ruffin qui l’accompagne dans sa découverte du monde obscur où elle trouvera quand même le chemin de l’amour.
Mais malgré l’intervention d’Eros, Thanatos continuera à sévir sur ces deux familles comme si le péché de chair devait être puni de la plus cruelle des sanctions. Ce livre juxtapose les plus douloureuses épreuves de la vie et les plus belles luttes que ceux qui souffrent peuvent mener contre la maladie, c’est une véritable leçon de courage, de volonté mais aussi de résilience pour accepter la douleur, le handicap et même la mort quand il n’y a plus rien à espérer.
Jean-Pierre Balfroid se faufile dans les arcanes des familles et des populations villageoises pour les faire vivre dans la joie, l’amour, la souffrance et la mort. Les plus belles âmes et les cœurs les plus tendres y côtoient les langues de vipères, les caractères ombrageux, les êtres les plus vicieux, le plus jaloux et le plus envieux… Le monde comme il est partout !
Le livre sur le site des Editions M.E.O.
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La promesse de Lucile
Albert Ducloz
Editions de Borée

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Fille de diplomate, Lucile s’engage dans le conflit de la Grande Guerre comme infirmière, elle soigne les soldats blessés provenant du front. Un jour, les brancardiers amènent par erreur un soldat allemand très gravement blessé et le place avec les morts et les mourants. Lucile constate qu’il vit toujours et convainc le médecin de service de le soigner. Peu à peu le blessé reprend vie et forme, Lucile le cache dans la tente des morts jusqu’au jour où l’hôpital de campagne doit-être évacué. Le jeune soldat et la belle infirmière devenus amoureux doivent se séparer, lui s’enfuit vers on pays, elle est démobilisée.
Animée du toujours très fort désir de porter secours aux autres, Lucile s’implique dans le soutien au jeunes femmes guéries de la tuberculose qui se retrouvent seules sans emploi, livrées à elles-mêmes et souvent aux proxénètes. Grâce au soutien d’un capitaine qu’elle a soigné pendant la guerre, elle obtient le droit d’occuper l’ancien hôtel de ses parents à proximité de Valence. Elle y installe quatorze filles qui travailleront toutes, sauf une, dans les ateliers de chaussures, sous-traitants pour les usines de Romans. Elle doit aussi secourir six autres filles, quatre juives en fuite et deux filles soupçonnées de sabotage dans leur usine de bottes pour la Wehrmacht. Ces dernières sont placées dans des fermes à la campagne sur le chemin du Vercors emprunté par ceux qui fuient le STO et gagnent le maquis.
Lors de l’occupation de la zone libre, un escadron de transmission s’installe dans l’ancien hôtel désormais dirigé par Lucile qui à sa grande surprise et son tout aussi grand plaisir reconnait, sous l’uniforme de l’Hauptmann commandant cet escadron, son cher Ludwig, l’amoureux allemand qu’elle a soigné, quitté par obligation et recherché vainement pendant vingt ans. La flamme est toujours aussi brûlante entre les deux amoureux qui deviennent vite amants en toute discrétion pour ne pas éveiller les soupçons de la hiérarchie allemande et des membres de la résistance…
Mais, la guerre à ses règles et ses cruelles obligation : Lucile et Ludwig essaient de rester distants tout en s’aimant à la folie. Pourtant, leur destin bascule le jour où un ami de Lucile est fait prisonnier. Ludwig ne veut pas trahir son pays mais il doit choisir entre son amour et son combat. Après le débarquement en Provence, la guerre s’installe avec toute sa cruauté dans la région de Valence et les deux amoureux sont de plus en plus impliqués dans les péripéties violentes, souvent mortelles, de cette guerre encore plus sale que les précédentes. Entre la résistance et l’occupant, l’espace est très mince et la petite troupe de Lucile doit s’y faufiler pour survivre. Mais la guerre l’entraîne dans des combats qu’elle ne souhaitait pas vraiment même si l’implication dans la résistance est pour certaines et certains un véritable engagement humain et patriotique.
Ce livre, c’est une belle histoire d’amour impossible où les protagonistes doivent se faufiler entre les arcanes de l’Histoire pour ne pas être séparés et vivre l’amour qu’ils avaient créé dès 1918. Mais c’est aussi une évocation de ce que furent les Français pendant et après la guerre : de vrais résistants trop peu nombreux et un peu suicidaires mais, plus souvent hélas, des êtres veules et profiteurs avant de devenir les rois de l’épuration pour faire oublier leurs actions bien peu glorieuses en se rangeant, une nouvelle fois, du côté des vainqueurs.
Cette fiction est inspirée de faits réels qui montrent bien que ceux qui ont été dits « justes » n’étaient pas forcément dans les élites mais bien souvent dans un petit peuple où le courage, la volonté, la dignité et même le sacrifice sont des valeurs cardinales. Ils étaient la vraie France et des défenseurs de l’humanité.
Le livre sur le site de l’éditeur
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