
Vers sur les feuilles
Que de jolis vers sont tombés avec les feuilles d’automne sur le pas de ma porte, au fond de ma boîte aux lettres, sur mon bureau…, j’en ai pris une belle brassée que j’ai bien serrée pour en faire une belle gerbe que j’ai déposée au creux de cette chronique. Des vers à entendre, sentir et goûter, des vers qui miaulent comme un chaton, des vers qui fleurent bon le terroir, des vers qui mijotent doucement au fond de la casserole. Des vers gourmands que je partage avec vous !
MAISONS HABITÉES
Philippe LEUCKX
Bleu d’encre
Dans ce petit recueil fait de courts poèmes en vers ou en prose, Philippe Leuckx évoque avec une douce nostalgie sa terre natale, celle qui lui a donné la vie, l’envie d’écrire et l’inspiration.
« Ma poésie a puisé je crois à la terre natale la sève du silence des granges, le silence des sillons longés pour désherber, la patience des mains pour le pis des vaches, l’odeur des blés, des herbes, la solitude des yeux curieux. Ma poésie vient de cet enfant-là. »
Certes, ce plat pays chanté par le Grand Jacques n’est pas le mien mais, comme Philippe, je porte toujours sous mes semelles la terre de ma campagne, celle où j’ai lu les premières lignes d’une très longue série. Et, l’homme de la terre que je suis resté au fond de mon âme, est profondément touché par l’amour que Philippe porte à sa terre, à sa ville, à sa maison natale. On sent que si lui a habité sa maison, elle, elle l’habite encore et l’habitera jusqu’à sa mort. Sa terre, comme sa ville, comme sa maison, est poème, elle a fait germer les mots qui aujourd’hui composent sa poésie.
« C’est une ville ancienne où serpentent des ruelles, des impasses. Sans doute le passé y a-t-il niché des placettes, des belvédères, des parcs.
Elle existe en plein cœur
Elle est inépuisable
Ses réseaux sont poèmes. »

Et ce fameux hasard qui fait souvent trop bien les choses dans certaines œuvres littéraires, a réuni mes mots, même si mon talent est beaucoup plus modeste, avec ceux de Philippe au creux d’un monde virtuel où ils pourraient créer un univers chthonien nourri de nos nostalgies réciproques parfumées à l’odeur de nos fraîches campagnes. Je ne connaissais rien des origines de Philippe avant de lire ce recueil, je savais seulement qu’il a un grand talent littéraire, qu’il m’émeut souvent et, aujourd’hui, je sais pourquoi.
« On a le souvenir touché ».
Le recueil sur le site de BLEU D’ENCRE
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LA QUINCAILLE DES JOURS
Francesco PITTAU
Les Carnets du Dessert de Lune
Francesco, c’est comme un gros nounours qui grogne juste pour faire croire qu’il est de mauvaise humeur, mais dans ce recueil, il apparaît comme un gamin plein d’insouciance qui profite avec joie et bonheur des choses les plus infimes que la nature offre pour se prélasser mollement dans l’azur d’un ciel clair et la lumière d’un soleil éblouissant.
« Saoulé d’azur
et de lumière
couché dans l’herbe
de la prairie
je regarde passer
les nuages. »
On ne peut pas avoir quelques racines du côté de l’Italie et ne pas aimer la balle ronde qui rebondit au bon gré d’habiles pieds. Francesco, lui, ne joue peut-être pas à ce jeu mais il sait à merveille jongler avec les pieds, ceux des vers, qu’il dépose avec délicatesse sur son petit carnet, terminant souvent son poème par un joli contre-pied.
« Dans le petit carnet
retrouvé
j’ai écrit au crayon
bleu
une suite de mots
qui ne veut rien dire
de plus
que toutes mes phrases
arrangées… »

Sur les pages de son carnet, il a mis tous les petits bonheurs qu’il capte au gré de ses pérégrinations autour de sa maison, rarement plus loin, et dans l’armoire il a enfermé sa mauvaise humeur d’ours grognon pour ne garder que les petites et grandes joies que lui offre la vie.
« Dans l’armoire
aux conserves
j’ai rangé ma vieille
colère
celle qui grigne
celle qui grogne
je l’entends râler
et rager
pendant que je tartine
du soleil sur mon pain blanc »
Dans notre époque où tout semble vouloir tourner à la folie, quel bonheur de lire un recueil d‘une telle fraîcheur, d’un tel irénisme, écrit avec un tel talent. Francisco, c’est un grand homme de lettres, c’est le Giovanni Rivera de la poésie, l’homme aux pieds d’or. Je ne m’en lasse jamais !
Le recueil sur le site des CARNETS DU DESSERT DE LUNE
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130 HAÏKUS à entendre, sentir et goûter
Iocasta HUPPEN
Bleu d’encre
Iocasta Huppen, roumaine d’origine, installée en Belgique est une « haïjin » (terme japonais qui désigne une personne qui écrit des haïkus), elle excelle particulièrement dans cet art, elle a été l’initiatrice du Kukaï de Bruxelles qui réunit quatre fois par an des auteurs de haïkus. Dans le présent recueil, elle propose, je n’ai pas compté mais comme elle l’écrit dans son titre, je lui fais confiance, 130 haïkus qui évoquent tous ou presque des scènes champêtres, des scènes qui dégagent calme et sérénité, des images qu’on croirait venues directement du pays du soleil levant.

Elle nous dit aussi, dans le titre de ce recueil, que ces haïkus sont reliés à trois de nos sens : l’ouïe, l’odorat et le goût. Alors, j’ai suivi le chemin qu’elle nous a tracé, j’ai écouté :
« Le bruit de l’eau
seul bruit que j’emporterai
dans le grand voyage »
puis j’ai humé l’odeur annonçant mon repas :
« Square ensoleillé –
un fumet de potage
me rappelle l’heure »
et enfin, j’ai goûté la délicate saveur d’un :
« Cigare dominicain
un goût de champignon
et de sous-bois sec »
Ces haïkus ayant mis mes sens en éveil, j’ai cherché celui que je préférais mais, contrairement à ce qu’écrit l’auteure, il ne dégageait pas le moindre petit bruit, pas la moindre odeur, je n’ai même pas pu le goûter :
« Pas sur le pont –
en contrebas
nous continuons à nous embrasser »
Comme il devait être doux !
Le recueil sur le site de BLEU D’ENCRE
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CÉLÉBRATION DU CHAT
Anne DAVIS
Bartillat
Dans son avant-propos à ce florilège de poèmes célébrant les chats, Anne Davis prétend que ce fidèle félin est le meilleur ami du poète car c’est « une sorte d’artisan en chambre ». « Avec l’écrivain ou le poète, le chat est tranquille. Il peut dormir sur ses deux oreilles pendant que son maître écrit ». Il est aussi bien son plus fidèle complice dans l’euphorie de la création que son amical compagnon de misère devant la feuille blanche qui refuse obstinément de se noircir. Nombreux sont les écrivains qui ont eu cet animal pour leur tenir compagnie dans l’exercice solitaire de leur art. Anne Davis a ainsi regroupé quarante-huit poèmes écrits par presque autant d’auteurs différents pour célébrer le chat dans tous ces états à travers cette anthologie qu’elle a mise en forme.
Elle a puisé aux meilleures sources empruntant des vers à du Bellay et la Fontaine aussi bien qu’à Apollinaire dont nous venons de célébrer le centième anniversaire de la mort, Baudelaire, Rostand, Boris Vian ou d ‘autres poètes tout aussi talentueux. Elle ne s’est pas limitée à la littérature française, elle a trouvé de très jolis vers célébrant les chats dans des poèmes de Yeats, Wordsworth, Rilke, Garcia Lorca, Borges… et d’autres encore.
En ce qui me concerne, j’ai surtout rencontré des chats dans mes lectures nippones, Ils y sont très présents et l’auteure, ou l’éditeur, le sait bien, il a choisi une estampe japonaise pour illustrer la couverture de ce recueil. Je me souviens que Yasuchi Nosaka, l’auteur de la si émouvante nouvelle, « La tombe des lucioles », a écrit « Nosaka aime les chats » mais qu’il ne leur reconnait pas que des qualités, « Ce sont de vrais compagnons mais aussi de véritables tyrans ». Takashi Hiraide a lui aussi écrit un fort joli texte sur un chat : « Le chat qui venait du ciel ». Mais ce sont deux textes en prose et Anne Davis a choisi de proposer une anthologie en vers. Les chats sont tellement nombreux à se faufiler entre les lignes entassées sur les rayons des bibliothèques que je retiendrai surtout ceux qui ont inspiré les poètes choisis par Anne Davis.
Comme ce mignon chaton niché au creux de la première strophe du poème « Nous les chats » de Marc Alyn :
« Si vous saviez ce qu’il y a
Dans l’œil sans fond d’un petit chat,
Qu’il soit jaune, vert ou lilas
Vrai, vous n’en reviendrez pas ! »
Et celui qu’Apollinaire voudrait voir chez lui aux côtés de sa femme et de ses amis pour faire belle compagnie en toute saison :
« Je souhaite dans ma maison :
Une femme ayant sa raison,
Un chat passant parmi les livres,
Des amis en toute saison
Sans lesquels je ne peux pas vivre ».
Et tous ceux que l’illustrateur a joliment dispersé au fil des pages de ce recueil.
Le livre sur le site de l’éditeur