2018 – FEUILLES D’AUTOMNE, une chronique de Denis Billamboz

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Denis Billamboz

Vers sur les feuilles

Que de jolis vers sont tombés avec les feuilles d’automne sur le pas de ma porte, au fond de ma boîte aux lettres, sur mon bureau…, j’en ai pris une belle brassée que j’ai bien serrée pour en faire une belle gerbe que j’ai déposée au creux de cette chronique. Des vers à entendre, sentir et goûter, des vers qui miaulent comme un chaton, des vers qui fleurent bon le terroir, des vers qui mijotent doucement au fond de la casserole. Des vers gourmands que je partage avec vous !

 

MAISONS HABITÉES 

Philippe LEUCKX

Bleu d’encre

Dans ce petit recueil fait de courts poèmes en vers ou en prose, Philippe Leuckx évoque avec une douce nostalgie sa terre natale, celle qui lui a donné la vie, l’envie d’écrire et l’inspiration.

« Ma poésie a puisé je crois à la terre natale la sève du silence des granges, le silence des sillons longés pour désherber, la patience des mains pour le pis des vaches, l’odeur des blés, des herbes, la solitude des yeux curieux. Ma poésie vient de cet enfant-là. »

Certes, ce plat pays chanté par le Grand Jacques n’est pas le mien mais, comme Philippe, je porte toujours sous mes semelles la terre de ma campagne, celle où j’ai lu les premières lignes d’une très longue série. Et, l’homme de la terre que je suis resté au fond de mon âme, est profondément touché par l’amour que Philippe porte à sa terre, à sa ville, à sa maison natale. On sent que si lui a habité sa maison, elle, elle l’habite encore et l’habitera jusqu’à sa mort. Sa terre, comme sa ville, comme sa maison, est poème, elle a fait germer les mots qui aujourd’hui composent sa poésie.

« C’est une ville ancienne où serpentent des ruelles, des impasses. Sans doute le passé y a-t-il niché des placettes, des belvédères, des parcs.

Elle existe en plein cœur

Elle est inépuisable

Ses réseaux sont poèmes. »

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Philippe Leuckx

Et ce fameux hasard qui fait souvent trop bien les choses dans certaines œuvres littéraires, a réuni mes mots, même si mon talent est beaucoup plus modeste, avec ceux de Philippe au creux d’un monde virtuel où ils pourraient créer un univers chthonien nourri de nos nostalgies réciproques parfumées à l’odeur de nos fraîches campagnes. Je ne connaissais rien des origines de Philippe avant de lire ce recueil, je savais seulement qu’il a un grand talent littéraire, qu’il m’émeut souvent et, aujourd’hui, je sais pourquoi.

« On a le souvenir touché ».

Le recueil sur le site de BLEU D’ENCRE

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LA QUINCAILLE DES JOURS

Francesco PITTAU

Les Carnets du Dessert de Lune

Photo

Francesco, c’est comme un gros nounours qui grogne juste pour faire croire qu’il est de mauvaise humeur, mais dans ce recueil, il apparaît comme un gamin plein d’insouciance qui profite avec joie et bonheur des choses les plus infimes que la nature offre pour se prélasser mollement dans l’azur d’un ciel clair et la lumière d’un soleil éblouissant.

« Saoulé d’azur

et de lumière

couché dans l’herbe

de la prairie

je regarde passer

les nuages. »

On ne peut pas avoir quelques racines du côté de l’Italie et ne pas aimer la balle ronde qui rebondit au bon gré d’habiles pieds. Francesco, lui, ne joue peut-être pas à ce jeu mais il sait à merveille jongler avec les pieds, ceux des vers, qu’il dépose avec délicatesse sur son petit carnet, terminant souvent son poème par un joli contre-pied.

«  Dans le petit carnet

retrouvé

j’ai écrit au crayon

bleu

une suite de mots

qui ne veut rien dire

de plus

que toutes mes phrases

arrangées… »

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Francesco Pittau

Sur les pages de son carnet, il a mis tous les petits bonheurs qu’il capte au gré de ses pérégrinations autour de sa maison, rarement plus loin, et dans l’armoire il a enfermé sa mauvaise humeur d’ours grognon pour ne garder que les petites et grandes joies que lui offre la vie.

« Dans l’armoire

aux conserves

j’ai rangé ma vieille

colère

celle qui grigne

celle qui grogne

je l’entends râler

et rager

pendant que je tartine

du soleil sur mon pain blanc »

Dans notre époque où tout semble vouloir tourner à la folie, quel bonheur de lire un recueil d‘une telle fraîcheur, d’un tel irénisme, écrit avec un tel talent. Francisco, c’est un grand homme de lettres, c’est le Giovanni Rivera de la poésie, l’homme aux pieds d’or. Je ne m’en lasse jamais !

Le recueil sur le site des CARNETS DU DESSERT DE LUNE

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130 HAÏKUS à entendre, sentir et goûter

Iocasta HUPPEN

Bleu d’encre

Iocasta Huppen, roumaine d’origine, installée en Belgique est une « haïjin » (terme japonais qui désigne une personne qui écrit des haïkus), elle excelle particulièrement dans cet art, elle a été l’initiatrice du Kukaï de Bruxelles qui réunit quatre fois par an des auteurs de haïkus. Dans le présent recueil, elle propose, je n’ai pas compté mais comme elle l’écrit dans son titre, je lui fais confiance, 130 haïkus qui évoquent tous ou presque des scènes champêtres, des scènes qui dégagent calme et sérénité, des images qu’on croirait venues directement du pays du soleil levant.

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Iocasta Huppen

Elle nous dit aussi, dans le titre de ce recueil, que ces haïkus sont reliés à trois de nos sens : l’ouïe, l’odorat et le goût. Alors, j’ai suivi le chemin qu’elle nous a tracé, j’ai écouté :

« Le bruit de l’eau

seul bruit que j’emporterai

dans le grand voyage »

puis j’ai humé l’odeur annonçant mon repas :

« Square ensoleillé –

un fumet de potage

me rappelle l’heure »

et enfin, j’ai goûté la délicate saveur d’un :

« Cigare dominicain

un goût de champignon

et de sous-bois sec »

Ces haïkus ayant mis mes sens en éveil, j’ai cherché celui que je préférais mais, contrairement à ce qu’écrit l’auteure, il ne dégageait pas le moindre petit bruit, pas la moindre odeur, je n’ai même pas pu le goûter :

« Pas sur le pont –

en contrebas

nous continuons à nous embrasser »

Comme il devait être doux !

Le recueil sur le site de BLEU D’ENCRE

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CÉLÉBRATION DU CHAT

Anne DAVIS

Bartillat

C

Dans son avant-propos à ce florilège de poèmes célébrant les chats, Anne Davis prétend que ce fidèle félin est le meilleur ami du poète car c’est « une sorte d’artisan en chambre ». « Avec l’écrivain ou le poète, le chat est tranquille. Il peut dormir sur ses deux oreilles pendant que son maître écrit ». Il est aussi bien son plus fidèle complice dans l’euphorie de la création que son amical compagnon de misère devant la feuille blanche qui refuse obstinément de se noircir. Nombreux sont les écrivains qui ont eu cet animal pour leur tenir compagnie dans l’exercice solitaire de leur art. Anne Davis a ainsi regroupé quarante-huit poèmes écrits par presque autant d’auteurs différents pour célébrer le chat dans tous ces états à travers cette anthologie qu’elle a mise en forme.

Elle a puisé aux meilleures sources empruntant des vers à du Bellay et la Fontaine aussi bien qu’à Apollinaire dont nous venons de célébrer le centième anniversaire de la mort, Baudelaire, Rostand, Boris Vian ou d ‘autres poètes tout aussi talentueux. Elle ne s’est pas limitée à la littérature française, elle a trouvé de très jolis vers célébrant les chats dans des poèmes de Yeats, Wordsworth, Rilke, Garcia Lorca, Borges… et d’autres encore.

En ce qui me concerne, j’ai surtout rencontré des chats dans mes lectures nippones, Ils y sont très présents et l’auteure, ou l’éditeur, le sait bien, il a choisi une estampe japonaise pour illustrer la couverture de ce recueil. Je me souviens que Yasuchi Nosaka, l’auteur de la si émouvante nouvelle, « La tombe des lucioles », a écrit « Nosaka aime les chats » mais qu’il ne leur reconnait pas que des qualités, « Ce sont de vrais compagnons mais aussi de véritables tyrans ». Takashi Hiraide a lui aussi écrit un fort joli texte sur un chat : « Le chat qui venait du ciel ». Mais ce sont deux textes en prose et Anne Davis a choisi de proposer une anthologie en vers. Les chats sont tellement nombreux à se faufiler entre les lignes entassées sur les rayons des bibliothèques que je retiendrai surtout ceux qui ont inspiré les poètes choisis par Anne Davis.

Comme ce mignon chaton niché au creux de la première strophe du poème « Nous les chats » de Marc Alyn :

« Si vous saviez ce qu’il y a

Dans l’œil sans fond d’un petit chat,

Qu’il soit jaune, vert ou lilas

Vrai, vous n’en reviendrez pas ! »

Et celui qu’Apollinaire voudrait voir chez lui aux côtés de sa femme et de ses amis pour faire belle compagnie en toute saison :

« Je souhaite dans ma maison :

Une femme ayant sa raison,

Un chat passant parmi les livres,

Des amis en toute saison

Sans lesquels je ne peux pas vivre ».

Et tous ceux que l’illustrateur a joliment dispersé au fil des pages de ce recueil.

Le livre sur le site de l’éditeur

 

 

 

RENTRÉE LITTÉRAIRE 2018 : ROMANS d’EXTRÊME-ORIENT

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Denis BILLAMBOZ

La rentrée littéraire concerne aussi un certain nombre de romans étrangers, comme on ne voit peu de livres venus d’Extrême-Orient sur les rayons des libraires, j’ai choisi de les mettre en évidence dans cette chronique. J’ai ainsi sélectionné un roman écrit par la Japonaise ITO OGAWA qui a déjà connu un grand succès avec Le Jardin arc-en-ciel et un second écrit par la Chinoise SHENG KEYI. J’ai beaucoup apprécié la lecture de ces deux romans qui sont, tous les deux, empreints de la sensibilité et de la douceur qu’on trouve souvent dans les textes venus d’Extrême-Orient même s’ils évoquent parfois des événements difficiles à accepter, désespérants, voire cruels, comme celui de Sheng Keyi qui traite d’un véritable trafic de nourrissons en Chine.

 

La papeterie Tsubaki

OGAWA Ito

Editions Picquier

Papeterie Tsubaki

Ito Ogawa qui nous avait émus avec son précédent ouvrage « Le restaurant de l’amour retrouvé », publie en ce mois d’août, en France, ce roman qui se déroule lui aussi dans le milieu commercial. La gastronomie qui ne laisse pas indifférente l’héroïne de ce nouveau roman, est très présente dans ce texte aussi. L’auteure décrit avec gourmandise les petits plats que son héroïne partage avec sa voisine ou qu’elle déguste au restaurant. Mais ce texte est avant tout un hommage à l’écriture, à la calligraphie et à la correspondance épistolière japonaise avec toutes ses convenances et ses usages qui doivent être respectés pour ne pas froisser les destinataires quels que soient les circonstances et l’objet du courrier.

Tante Sushiko qui partageait sa vie avec l’Aînée avant le décès de celle-ci, étant elle aussi décédée, Hatoko est revenue à Kamakura dans la région de Tokyo pour reprendre la papeterie que sa grand-mère, l’Aînée, lui a léguée. Elle avait fui sa famille, elle vivait avec les deux femmes, en fait deux sœurs jumelles séparées à la naissance qui s’étaient retrouvées. Elle ne s’entendait pas du tout avec l’Aînée qui lui infligeait une éducation très rigoureuse et même sévère. Elle avait voyagé de part le monde et pour poursuivre la tradition familiale, elle voulait maintenir l’activité de la papeterie et surtout l’art d’écrivain public que sa grand-mère lui avait enseigné avec opiniâtreté et sévérité. Elle raconte sa passion pour la calligraphie et le travail d‘écrivain public à travers une série de courriers particuliers commandés par des clients qui n’osent pas, ou ne peuvent pas écrire, ce qu’ils voudraient dire à leur correspondant.

Poppo, comme on l’appelle dans le quartier, renoue avec ses voisins, redécouvre son quartier, vend les vieux stocks de sa grand-mère mais se consacre surtout à sa passion : le métier d’écrivain public. Elle raconte comment elle choisit, selon l’objet du courrier et la qualité du destinataire et du commanditaire le support, l’encre, l’enveloppe, le timbre, l’outil pour écrire, les caractères et comment elle mûrit son texte avant de le porter sur le support qu’elle a choisi avant de l’envoyer après l’avoir laisser reposer pendant une nuit sur son autel particulier.

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Ito Ogawa

Ce livre est à la calligraphie ce que « Le Maître du thé » d’Inoué est au service du thé. C’est la description d’un rituel ancestral qu’il faut respecter avec la plus grande rigueur dans chacun des gestes à accomplir et dans le choix des matériaux et outils nécessaires. C’est un rite quasi religieux, un rite qui permet de perpétuer la tradition dans le respect de ce que les anciens ont transmis depuis des siècles. Hatoko, Poppo, a repris la suite de l’Aînée pour perpétuer ce rite et le transmettre à des enfants qui pourraient prendre sa suite. C’est l’expression du Japon éternel même si l’héroïne introduit quelques nouveautés dans le rituel comme le choix de stylos à plume ou à bille ou de papier contemporain.

Ce livre c’est aussi l’expression d’une certaine forme de convivialité, Ito Ogawa met en scène des personnages doux, conviviaux, des gens à l’écoute des autres qui cherchent toujours à faire plaisir ou à rendre service. C’est une façon pour elle de démontrer qu’on peut mener une vie beaucoup plus agréable en respectant et écoutant les autres et qu’une vie agréable est possible en partageant avec ses voisins et amis. Poppo s’entend à merveille avec sa vieille voisine Barbara et noue une réelle amitié avec une fillette de cinq ans. Une autre façon de montrer que la mixité des âges est possible et même très agréable. On retrouve dans ce roman la même douceur et la même tendresse qu’on avait pu apprécier dans le précédent.

Ce livre est in fine un hommage au Japon traditionnel capable d’intégrer une certaine modernité sans altérer ses traditions et une leçon d’amitié et de convivialité à tous les grincheux de la planète.

Le livre sur le site des Editions Picquier

 

Un paradis

SHENG Keyi

Editions Picquier

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Elle n’est pas tout là Wenshui, Pêche pour ses collègues, 168 pour l’administration de l’établissement où elle a été recueillie, elle est un peu simplette, son monde se résume à sa mère disparue, son enfance, les loubards qui l’ont maltraitée et les petits animaux, les oiseaux, les papillons, surtout son petit chien Mascotte le seul être pour lequel elle éprouve un peu de tendresse. Elle n’a pas eu beaucoup de chance, elle se retrouve vite seule après le décès de sa mère, elle vit dans un coin de remise où les loubards, profitant de son esprit simplet, la violentent sans vergogne et la violent si bien qu’elle se retrouve enceinte. Anéantie, sale, hébétée, elle est conduite dans le centre de Monsieur Niu, un type sans scrupule qui a fondé un établissement où les mères porteuses sont accueillies le temps de leur grossesse et de leur accouchement, le temps pour Monsieur Niu de vendre leur enfant, leur « produit », à une famille ayant les moyens d’en acheter un. Il y a, selon le marchand de bébés, un marché pour ce type de « produit ». On veut bien le croire, la politique de l’enfant unique a certainement dopé ce « marché » car lorsque celui-ci disparaît la mère est souvent trop âgée pour pourvoir à son remplacement.

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Sheng Keyi

Le centre créé par Monsieur Niu est un véritable camp de détention où les filles sont confinées jusqu’à ce que leur enfant soit remis à la famille acquéreuse. Le règlement est très sévère et les punitions pleuvent sous forme d’amendes notamment. Wenshui, Pêche, raconte avec ses mots la vie dans ce centre, les filles qui se rebiffent, les filles qui collaborent, les filles qui se laissent séduire, les filles qui séduisent, … Elle raconte ce qu’elle voit avec son regard d’enfant qui n’a pas grandi, ce qu’elle comprend avec sa candeur naïve. Elle subit, elle ne demande rien, ne se rebelle pas, elle sera selon Monsieur Niu, une bonne productrice qui ne pose pas de questions, car elle a une bonne santé. Avec ce regard naïf, l’auteure évoque le problème des mère porteuse, la cupidité du fondateur, la douleur de certaines filles, la perversité d’autres, l’immoralité du système, mais aussi la solidarité et la compassion qui peuvent exister entre les filles.

Ce texte, bien qu’il évoque un sujet particulièrement douloureux, déborde d’une grande poésie, il est empreint d’une tendre douceur et de beaucoup de tendresse. C’est un excellent document littéraire, l’auteure manie avec une grande virtuosité la candeur et la simplicité de l’héroïne pour dire de façon imagée ce qu’elle sait des femmes qui se livrent à ce commerce et de ceux qui en profitent éhontément. Elle ne les juge jamais, elle expose des situations choisies ou subies pour montrer les différentes facettes du problème en laissant le lecteur apprécier. Sheng Keyi est certainement une des belles plumes de la nouvelle littérature chinoise plus ouverte sur le monde occidental même, si personnellement, j’ai troué dans ce texte un ton et une forme qui ne renient en rien la littérature traditionnelle de l’Empire du milieu.

Les très jolies aquarelles que Sheng Keyi a peintes elle-même pour illustrer la version française de ce roman, démontrent, elles aussi sa grande sensibilité et la grande délicatesse des diverses facettes de son art.

Le livre sur le site des Editions Picquier

LA PHILO VAGABONDE de Yohan LAFFORT

arton117866-225x300.jpgpar DENIS BILLAMBOZ

 

 

 

 

 

 

la_philo_vagabonde.jpg?itok=xQISn7FnInvité à visionner ce film de Yohan Laffort sur la démarche du philosophe vagabond Alain Guyard, j’étais a priori un peu inquiet, le cinéma actuel ne m’inspire pas beaucoup, je préfère mettre mes propres images sur les mots que je lis et ma culture philosophique puise ses racines dans mes seules lectures et réflexions. Mais cette inquiétude a été rapidement vaincue, Yohan Laffort a su filmer le périple de Guyard en même temps qu’il filmait sa démarche, il a su accompagner le philosophe sans jamais imposer ses images. Il a su alterner ses enseignements avec les réflexions de ses auditeurs, avec les motivations de ceux qui l’invitent dans les lieux les plus insolites et parfois même incongrus, avec de magnifiques images du Gard et des environs, là où Guyard sévi.

Guyard c’est une bête de scène comme on dit à la télé où les mots se raréfient plus vite que l’eau dans le désert. Guyard c’est Depardieu dans Crésus, c’est Mélenchon sans son égo démesuré et ses  ambitions ineptes, c’est une force, une puissance d’évocation, un tribun éclairé, un virtuose du vocabulaire, un grand acteur, une culture immense, une intelligence supérieure. Il m’a rappelé un professeur d’histoire qui nous expliquait avec des mots savants mais toujours très simples, comme ceux de Guyard, la mythologie grecque, la ramenant à une explication toute simple de la vie des populations de cette époque et de leurs préoccupations. Guyard fait la même chose avec la philosophie, il décortique, dissèque, dénoyaute les écrits, les pensées, les recommandations des auteurs, notamment des auteurs de la Grèce antique qu’il semble particulièrement affectionnés.

Il ne cherche pas à éclairer l’auditeur, il cherche à  l’embrouiller encore plus pour qu’il remette en question tout ce en quoi il croit, tous les cadres que la société a fabriqués pour que la majorité vivent selon les normes que certains ont définies : normes morales, normes sociales, normes économiques, normes religieuses, normes culturelles, … Tout ce fatras de normes qui devrait permettre de vivre en société alors que l’homme est avant tout individu et qu’il ne vit que pour lui-même, pour se confronter à la vie et à la mort qui n’en est que le dernier épisode.

Laffort a mis ses souliers dans les pas de Guyard allant de la librairie à la médiathèque, de la prison à la ferme, de chez le boulanger à l’école des puéricultrices partout où les gens s’interrogent sur leur existence, leur raison d’être, leur façon de rendre leur vie possible et peut-être agréable. Et, chaque fois, Guyard les a pris par surprise, leur faisant comprendre que tout ce qu’ils croyaient allait à l’encontre de ce qu’ils recherchaient. Le bonheur s’oppose à la joie, la violence populaire n’est que la manifestation de sa force, l’expression de la nécessité de renouveler la liste de ceux qui détiennent le pouvoir, l’accumulation des richesses n’est que l’expression de l’angoisse, de la peur, de la vie, de la nécessité de se protéger. De conférence en conférence, Guyard adapte ainsi son discours à son public pour toujours revenir à l’essentiel, à l’individu, à son essence même, à la nécessité dans laquelle il est d’échapper aux forces qui le séquestrent dans l’un des systèmes inventés par les puissants. L’amour sans frustration n’est pas amour, l’éthique est personnelle et non professionnelle, la volonté prime sur la moralité, … chaque public reçoit le message qui lui est adapté.

Se situant lui-même « entre Coluche et la métaphysique », Alain Guyard redonne une nouvelle dimension à la philosophie gravement dévaluée par les philosophes de télé qui essaient d’en faire une marchandise de librairie. J’ai retrouvé toute la puissance que Guyard à mis dans « La soudure », toute sa détermination à vouloir faire comprendre aux hommes que la vraie vie était en eux et que tous les systèmes étaient pervers. La philosophie ça dérange, « ça fout la merde » dans les esprits parce que la vie, la raisons de vivre, ça ne s’explique pas, le philosophe est comme « l’homme qui pédale sans savoir qu’il pédale et qui doit descendre de vélo pour savoir s’il pédale bien et donc cesser de pédaler ». C’est la machine infernale, le mouvement perpétuel de la remise en question permanente. Il reste à chacun de déterminer ce qu’est pour soi « la valeur de l’existence ».

Un film qui vaut bien la quasi-totalité des discours que nous devrons subir lors des prochaines campagnes électorales où l’adage de Nietzsche sera encore confirmé : « Nous sommes des décadents ». Il nous restera alors la transgression pour créer un autre du monde hors du cadre défini actuellement.

Et pour conclure, je voudrais ajouter que je partage avec Guyard cette façon d’aller à la rencontre des acteurs de nos territoires, des vraies gens, pour les écouter et les conforter dans leurs démarches souvent à la marge des idées reçues. Là sont les vraies forces !

Le film est dans les salles françaises depuis le 5 octobre 2016.

Le site consacré au film

Lien direct vers la bande-annonce

Alain Guyard sur le site du Dilettante

La soudure d’Alain Guyard par Denis Billamboz sur Benzinemag.net

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LORGNER PAR-DESSUS LE MUR CORÉEN

arton117866-225x300.jpgpar DENIS BILLAMBOZ

La littérature nord-coréenne n’encombre pas les rayons des librairies, c’est pourquoi je voudrais vous offrir cette chronique composée après la lecture de deux livres écrits par deux auteurs nord-coréens qui ont approximativement le même âge : Bandi, un écrivain contestataire qui a réussi, avec beaucoup de complice, à faire sortir de Corée du Nord ses nouvelles accusatrices et Baek Nam-Ryong, un auteur plus respectueux des consignes gouvernementales qui laisse cependant soupçonner le poids de la pesanteur du régime sur les familles coréennes. Dans les deux cas, un bon témoignage de la vie en Corée du Nord sous le régime des Kim père et fils.

 

61z11MsvsfL.jpgLA DÉNONCIATION

BANDI (1950 – ….)

Le préfacier présente Bandi comme le Soljenitsyne nord-coréen car comme lui, il a fait sortir ses textes de son pays pour dénoncer la cruauté, l’injustice, la cupidité, du régime dictatorial qui y sévit. En coréen Bandi signifie luciole, c’est le pseudonyme choisi par cet écrivain clandestin, vivant toujours dans la partie nord de la presqu’île, qui essaie de faire comprendre au reste du monde l’étendue de la souffrance de son peuple. Son manuscrit se compose de sept nouvelles dénonçant la dictature autoritaire et cruelle du parti unique au pouvoir et toutes les aberrations du régime. Dans un court prologue en vers, il explique sa démarche :

« Je vis en Corée du Nord depuis cinquante ans,

Comme une machine parlante,

Comme un homme attelé à un joug.

J’ai écrit ces histoires,

Poussé non par le talent,

Mais par l’indignation,

Et je ne me suis pas servi d’une plume et d’encre,

Mais de mes os et de mes larmes de sang. »

Ses nouvelles racontent des faits certainement inspirés d’événements qu’il a vécus ou qu’il a connus, c’est un condensé de toutes les misères qui peuvent s’abattre à tout moment, sans réelles raisons, aveuglément, arbitrairement, sur n’importe quel citoyen qui n’est pas ostensiblement protégé par le régime.

Un vieux cocher qui vient de recevoir sa treizième médaille, abat l’arbre totem qu’il avait planté dans son jardin en souvenir de son inscription au parti, Il vient brusquement de réaliser que sa vie n’a été qu’un leurre, qu’il a sué sang et eau chaque jour espérant des jours radieux qui ne sont jamais venus, alors qu’il ne peut même pas chauffer sa chambre.

Un couple doit élever un enfant qui a la phobie des portraits de Karl Marx et du dictateur coréen, ils ne pourront pas longtemps cacher cette lourde tare et devront en assumer les conséquences. « Nous préférons tous mourir et oublier la vie d’ici plutôt que de continuer à vivre ce calvaire ».

Un homme, devenu mineur contre sa volonté, veut retourner au pays voir sa mère qui se meurt mais l’administration lui refuse le titre de voyage nécessaire. Une longue et cruelle épopée commence alors pour lui.

Une femme subit les pires tourments pour que le mari qu’elle aime, n’apprenne pas l’indignation qui la frappe parce qu’un membre de sa famille est considéré comme ennemi du régime. L’opprobre est héréditaire en Corée du Nord.

Une vieille femme abandonne son mari et sa petite-fille coincée dans une foule compressée et affamée pour aller chercher des victuailles, elle est rejointe par le cortège du Grand Leader qui l’invite à bord d’une voiture et la place sous sa protection. Elle est instrumentalisée par la propagande gouvernementale alors que son mari et sa petite-fille son piétinée par la foule affamée. Elle culpabilise d’être la vedette d’une cause qu’elle réprouve et qu’elle n’a pas choisie.

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Tout le monde pleure le Grand Leader décédé, tout le monde feint de pleurer le Grand Leader même ceux qui souffrent cruellement pour une raison plus personnelle. Il est obligatoire de pleurer la mort du Grand Leader. « N’avez-vous pas peur de cette réalité qui transforme les gens du peuple en comédiens hors pair capables de simuler le chagrin à la perfection ? »

Un technicien de haut niveau est déporté parce que le frère de sa femme a fui au Sud, il travaille comme un forcené pour nourrir la population de la région mais reste le bouc-émissaire qui endossera les incapacités des dirigeants locaux.

Bandi ne sait pas que depuis longtemps les exactions des régimes communistes totalitaires sont connus de tous, aussi ainsi-t-il vivement pour que nous lisions ses textes en espérant que nous prenions conscience de l’étendue de la souffrance de son peuple.

« Mais, cher lecteur,

Je t’en prie, lis-les ! »

Il n’a pas la plume de Soljenitsyne même si ses nouvelles sont d’excellente facture, il m’a surtout fait penser à quelques auteurs albanais (Helena Gushi-Kadaré, Bessa Myftiu, Ylljet Aliçka,…) qui ont rapportés les exactions d’Enver Hodjai ressemblant étonnamment à celles des Kim père et fils. Les Coréens du sud ont lu ces textes en 2014 et ne sont pas spécialement émus. Je reviendrai sur ce sujet dans une prochaine chronique consacrée à un livre que Benjamin Pelletier a écrit après un séjour d’un an à Séoul. Espérons que l’opinion publique française et européenne sera plus réceptive au message désespéré de cet auteur qui a pris des risques énormes, avec d’autres évidemment, pour nous faire passer ses textes. Accepter la prière de Bandi, lire ses textes, c’est déjà compatir, c’est déjà résister, c’est déjà lutter avec lui et c’est aussi un excellent moment de lecture car ces nouvelles sont très poignantes et très émouvantes.

« Ce champignon rouge arrachez-le ! Ce champignon toxique, arrachez-le de cette terre, de toute la planète, pour toujours ! »

Le livre sur le site des Editions Picquier

 

108856_baek_nam_ryong.jpgDES AMIS

BAEK NAM-RYONG (1949 – ….)

« Comment le bonheur des parents peut-il exister sans le bonheur des enfants et de leurs descendants ? » Baek Nam-Ryong posait, déjà en 2011, cette intéressante question qu’on a peu entendue en France lors du récent débat sur les nouvelles formes de famille. Tout ce livre, dans un langage, sobre, clair, dépouillé, expose cette idée centrale en traitant du sujet de la famille, du divorce et de l’éducation des enfants.

Pour expliciter son avis sur cette question, l’auteur raconte l’histoire du juge Jong qui reçoit dans son cabinet une cantatrice qui veut divorcer, elle veut quitter son mari, tourneur dans une usine, qu’elle a connu quand il est venu installer des machines nouvelles dans l’atelier où elle aussi travaillait à cette époque. Le juge enquête sur la famille pour savoir s’il doit autoriser ce divorce mais surtout pour savoir à qui accorder la garde de l’enfant. Il rencontre ainsi le mari qui lui raconte sa passion pour son métier et comment il a rencontré sa future épouse en lui apprenant l’art du tournage.

Grâce à son talent, la jeune femme a gravi quelques échelons de l’échelle sociale et ne peut plus supporter que son mari se contente d’un statut de vulgaire ouvrier alors qu’il pourrait suivre des cours pour devenir cadre dans l’entreprise. Le couple se défait progressivement mais l’enfant vit mal le malaise familial ce qui perturbe encore davantage les époux mais aussi le juge pour qui le sort de l’enfant est prioritaire.

« Le temps avait passé. Il avait vieilli en supportant le mariage et la vie de famille au nom de la réalité, pas pour l’idéal. » Parallèlement à cette affaire, le juge considère l’évolution de son propre couple, son mariage avec une scientifique qui l’abandonne de plus en plus fréquemment avec la charge de surveiller et d’entretenir ses échantillons de plantes qu’elle souhaite adapter dans la région montagneuse d’où elle est originaire. Il confronte les difficultés familiales qu’il a surmontées, et qu’il surmonte encore, à celles de ces deux jeunes qui ne savent pas affronter les aléas de leur existence. Il déploie des efforts considérables pour leur faire comprendre qu’ils peuvent retrouver l’harmonie entre eux et élever leur enfant au sein d’une famille unie et aimante, car si « Les gens ont besoin d’eau, les enfants ont besoin de l’amour de leur père et de leur mère ». Ce texte est un véritable réquisitoire contre le divorce et un plaidoyer en faveur des enfants élevés par leur mère et par leur père, un livre en complet déphasage avec l’actualité nationale et les aspirations de notre société.

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Ce texte un peu emphatique, un peu candide, un peu moralisateur, plein de pudeur et de retenue contient aussi beaucoup de tendresse et d’humanité. A travers le regard de ce juge donneur de leçon, c’est le fonctionnement de la société nord-coréenne qu’on aperçoit et qui n’est pas conforme aux clichés habituellement véhiculés même si on peut deviner facilement l’emprise du pouvoir sur la vie personnelle, familiale et sociale des citoyens. « Ce que vous avez fait est un crime. Parce que vous avez entravé l’accomplissement des orientations de la révolution et la politique économique de notre Parti ! Je vais vous faire endosser la responsabilité de votre crime. »

Le livre sur le site des Editions Actes Sud

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POÈMES POUR PETITS ENFANTS

arton117866-225x300.jpgpar Denis BILLAMBOZ

Au pays de Tintin, on nous a appris que les livres s’adressaient aux enfants de sept à soixante-dix-sept ans, je pense qu’il en est de même pour les blogs littéraires qui concernent, je l’espère, même ceux qui ont dépassé l’âge limite. J’en suis même convaincu pour Les Belles phrases qui ouvre largement ses lignes à tous ceux qui savent lire. Après avoir un peu gâté les plus âgés, il devenait donc urgent que je propose une chronique pour les plus jeunes. La publication de deux recueils de poésie à destination des enfants, nous sommes évidemment tous des enfants, respectivement par l’ami Éric, Dejaeger pour une fois, et par Chantal Couliou m’a fourni l’occasion de leur proposer les deux textes ci-dessous.

 

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Eric DEJAEGER (1958 – ….)

Je ne sais lequel a enrichi le document de l’autre, la fille a-t-elle commencé à faire des dessins ou le père a-t-il écrit d’abord les textes ? J’aimerais à croire que la jeune femme, se souvenant des dessins réalistes dans toute leur naïveté, chatoyant des couleurs les plus vives, qu’elle s’appliquait (en tirant la langue ?) à garnir son cahier quand elle n’était encore qu’une gamine haute comme trois pommes, a voulu, par affection envers les petits bouts de sa famille, leur offrir quelques uns de ces dessins revisités par sa main désormais plus rompue au dessin publicitaire (mais la publicité aime tellement les enfants).

Oui j’aimerais à croire que la jeune femme, un peu par nostalgie, beaucoup par affection, a dessiné ces quelques illustrations que le « pépEric » n’a pas pu s’empêcher d’enrichir de quelques mots dont il a le secret. Des textes évidemment courts, même très courts, comme il les affectionne. Mais ces textes ne sont pas seulement des poèmes pour enfants destinés à les initier aux belles lettres, c’est aussi un grand message d’amour et de tendresse de « pépEric » pour ses petits-enfants chéris. J’ai pensé avec beaucoup de nostalgie en lisant :

« J’ai des moustaches

Et je m’en mets partout

Papa devient fou

Devant tant de taches »

A la chanson « La petite Josette » d’Anne Sylvestre que mes enfants ont tellement écoutée quand ils étaient, eux aussi, hauts comme trois pommes. Et, comment ne pas rester ému devant ce joli petit poème, c’est tellement mignon, je suis sûr que les petits enfants de « pépEric » diront un jour :AVT_Eric-Dejaeger_7384.jpeg

« Le haut-de-forme

De mon pépé

Est fatigué

Il faut qu’il dorme »

Il ne sert à rien que je m’évertue à parler de tendresse et d’affection « pépEric » à tout dit dans sa conclusion :

« Mes petits-enfants

Quand ils seront grands

Reliront ces lignes

Trouveront les signes

De mon affection

De mon attention

… »

COURT, TOUJOURS!, le blog d’Éric DEJAEGER

 

31E7aoPC71L._SX195_.jpgLE CHUCHOTIS DES MOTS

Chantal COULIOU (1961 – ….)

Chantal Couliou présente dans ce petit recueil une trentaine de petits poèmes inspirés par la vie d’un enfant, qu’on dirait un peu solitaire,

« Inlassablement

Tu observes le globe

Et d’un océan à l’autre

Tu navigues

Ton père à Sydney

Ta mère à Brest

Et toi entre les deux

-Tiraillé –

… »

qui va à l’école et qui meuble son temps en observant son environnement, les petites choses qui l’entourent :moton207.jpg

« Dans le square

La balançoire s’ennuie toute seule

…. »

« Dans la cour désertée

Des mouettes rieuses

Jouent à la marelle »

Pour mettre ce petit monde de l’enfant en couleur, pour le faire vivre plus concrètement, Chantal Couliou a confié l’illustration de ce recueil à Charlotte Berghman qui a dessiné ces illustrations aux fraîches couleurs pastelles de l’univers de cet enfant. Elle propose des dessins très sobres, un peu naïfs même, qui évoquent bien l’univers d’un petit écolier rêveur.

Un joli recueil, frais, et comme l’écrit l’auteure elle-même :

« Une émotion,

Teintée de poésie

Devant ce labyrinthe de couleurs,

Les mots,

Impossibles à ordonner

La parole hésite pour dire

Cet abandon

Face à la porte de la peinture.

Silence »

Que je respecterai…

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CROISIÈRES AMÈRES

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Denis BILLAMBOZ

En cette période estivale où de nombreux lecteurs de ce blog s’offrent une petite croisière dans des mers clémentes et accueillantes, j’ai eu une petite pensée pour ceux qui ont connu la mer dans d’autres circonstances et dans d’autres conditions, la mer qui se déchaîne, gèle, se démonte, agressant les bateaux et terrorisant les hommes… J’ai lu au printemps dernier ces deux ouvrages déjà anciens, quelque peu oubliés, et j’ai pensé qu’ils méritaient d’être mieux connus des lecteurs actuels, je vous propose donc de les découvrir à travers lire les deux chroniques ci-dessous avant, peut-être, de plonger dans les flots tourmentés de ces romans.

LesEffroisDeLaGlaceEtDesTenebresChristophRansmayr.jpgLES EFFROIS DE LA GLACE ET DES TÉNÈBRES

Christoph RANSMAYR (1954 – ….)

 

Brrr !!!! Je suis enfin sorti, congelé et terrifié, de l’enfer glacé du Grand Nord et de ce roman où, son auteur, selon une note liminaire, « raconte deux histoires à la fois parallèles et imbriquées, encadrées l’une dans l’autre et constamment reliées par le biais d’un narrateur omniprésent… D’une part, le voyage en 1981 de Joseph Mazzini, personnage fictif vers le cercle polaire arctique et, d’autre part, l’épopée de l’expédition Payer-Weyprecht » qui resta bloquée deux ans an nord de la Nouvelle-Zemble et découvrit en août 1873 la Terre François-Joseph à plus de 79° de latitude nord.

Ce roman est presque un récit d’expédition, il propose de nombreux textes documentaires évoquant le contexte et l’expédition, il cite notamment de larges extraits des écrits des acteurs mêmes de l’aventure notamment Payer, Commandant de l’expédition sur terre, et Weyprecht, Commandant de l’expédition sur mer, mais aussi de Haller, premier chasseur, et de certains autres membres de l’équipage. Le texte est en majeure partie consacré à la tragique épopée des marins de l’Admiral Tegetthoff qui s’aventurèrent vers des latitudes où personne n’était encore allé, dans des conditions qui peuvent apparaître au-delà de l’extrême. Le voyage de Mazzini occupe relativement peu de place dans le roman et n’est là, à mon sens, que pour apporter une couleur romanesque au texte sans rien ajouter au récit du voyage des aventuriers. Le lecteur s’attache inéluctablement au sort de ces pauvres bougres perdus au milieu de l’immensité la plus hostile avec des moyens techniques encore bien sommaires, frissonne avec eux, souffre avec eux, gèle avec eux, dépérit avec eux, tombe malade, subit la nature dans toute sa furie.

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Christoph Ransmayr

Ce texte écrit tout à la gloire de cette expédition austro-hongroise qui reçut un triomphe à son retour mais qui fut bien vite oubliée, certains lui contestant même l’existence des terres découvertes, met en évidence la folie de celui qui conduisit ses troupes au-delà des limites de l’humanité. Mais ceci semble être le propre de tous les grands découvreurs qui moururent en chemin ou découvrirent de nouvelles terres, de nouvelles routes, de nouveaux passages ou encore gravirent des sommets jusque là inaccessibles.

C’est plus un livre d’aventure qu’un roman même si l’expédition solitaire de Mazzini apporte une touche fictive à ce récit très pragmatique. L’auteur liste même les passagers à bord du bateau, chiens y compris, dresse la biographie des principaux membres à bord, recense les diverses expéditions qui ont essayé de forcer le passage de l’est ou de l’ouest pour rejoindre l’Atlantique et le Pacifique. La note fictive est apportée pour mesurer ce qui fut à l’aune de ce qui aurait pu être. « Ce récit est un procès du passé, un examen attentif, une pesée, une supposition, un jeu avec les possibilités de la réalité. Car la grandeur et le tragique, de même que le ridicule de ce qui s’est passé se mesure à ce qui aurait pu se passer ».

J’aurais aimé que ce texte souffle un peu plus fort le vent de l’aventure, de l’épopée, on sent bien la météo qui se déchaîne mais le ton reste, à mon avis, trop documentaire, le tourbillon glace, terrorise mais n’emporte pas. Ransmayr reste sur le plan pratique, cherche l’intérêt que peuvent avoir de telles expéditions, s’interroge sur leur sens et leur coût en souffrance et en vies humaines. « Il est temps de rompre avec de telles traditions et d’emprunter d’autres voies scientifiques plus respectueuses de la nature et des hommes. Car on ne saurait servir la recherche et le progrès en provoquant sans cesse de nouvelles pertes en hommes et en matériel ». Et pourtant, il faut toujours un grain de folie, parfois même un gros grain, pour que le monde bouge, avance, regarde derrière les portes, derrière les montagnes, au-delà des mers et des glaces et que les pionniers emmènent l’humanité vers son avenir.

 

LE BATEAU-USINE

Kobayashi TAKIJI (1903-1933)

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« C’est parti ! En route pour l’enfer ! » Dès la première phrase de ce roman Takiji annonce la couleur, on sait immédiatement où va nous emmener le Hakkô-maru, navire-usine qui quitte le port de Hakodate, un port de l’île de Hokkaido, à la pêche aux crabes dans la Mer d’Okhotsk en défiant les Russes encore ennemis privilégiés du Japon après la guerre russo-japonaise. La vie à bord de ses bateaux est encore pire que dans les mines décrites par Zola. Ces bateaux ne sont pas considérés comme des navires et échappent donc aux lois régissant la vie à bord et tout autant à celles réglementant le travail dans les usines, c’est un véritable espace de non-droit où même le capitaine n’est pas maître à bord, il doit subir le pouvoir de l’intendant représentant de l’armateur et véritable patron à bord après l’empereur. Le Hakkô-maru affronte des tempêtes et des grains que Takiji décrit aussi brillamment que Joseph Conrad quand il dépeint un Typhon en Mer de Chine ou que Francisco Coloane quand il nous entraîne Dans le sillage de la baleine dans les mer du sud. Les bateaux-usines japonais sont des rafiots déglingués, vieux navires hôpitaux ou transports de troupes mis au rebut après la guerre russo-japonaise et transformés, au moindre coût, en navires-usines pour le plus grand profit des capitalistes qui arment ces navires pour la très lucrative pêche aux crabes sans aucune considération pour la vie des très nombreuses personnes employées à bord pour la conduite du navire, la pêche et la fabrication des conserves.

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Kobayashi Takiji

Ce livre écrit par Takiji en 1929, fut immédiatement interdit et son auteur recherché par la police dans le cadre de la lutte contre les mouvements de gauche fleurissant à cette époque au Japon. Takiji fut donc contraint de se réfugier dans la clandestinité pendant deux ans, il fut finalement arrêté par la police et mourut sous la torture en 1933. La publication, en 2008, dans la presse d’un échange entre deux éminentes figures de la gauche japonaise, évoquant ce livre dans leur propos, provoqua un véritable raz-de-marée littéraire. Ce texte devint alors un classique de la littérature prolétarienne japonaise et fut édité dans de nombreuses langues. Il reste aujourd’hui un ouvrage de référence pour étudier la lutte prolétarienne contre le capitalisme galopant.

Ce livre a une réelle dimension littéraire, il n’est pas abusif de comparer certains passages, certaines scènes concernant la vie en mer, notamment quand celle-ci est mauvaise, à des textes de Conrad ou de Coloane mais il faut bien admettre que Takiji a écrit ce roman pour démontrer l’emprise du patronat capitaliste sur le sous-prolétariat constituant la main d’œuvre à bord de ses navires et la possibilité pour celui-ci de renverser les rôles en se soulevant, à l’unisson, contre les profiteurs l’exploitant. Il a situé ce manifeste, ce manuel de révolte, sur un navire pour disposer d’un monde clos où les deux forces en présence pouvaient s’affronter sans intervention extérieure, même si un destroyer se mêle un peu de l’affaire. Ce livre servit donc très souvent de manuel de propagande pour le parti communiste auquel appartenait Takiji sans que cela retire quoi que ce soit à sa qualité littéraire.

Le livre sur le site des Éditions Allia

HISTOIRE DE RIEN

arton117866-225x300.jpgpar Denis BILLAMBOZ

Le rien qui nous préoccupe tellement et qui remplit souvent discours, émissions de télévision, journaux, propos divers, conversations imposées, raisonnements, etc… méritait bien une petite chronique sur ce blog hautement intellectuel. C’est du côté des Editions Louise Bottu que j’ai trouvé matière à remplir de rien le vide de ma chronique bimensuelle. Une chronique toute légère, appropriée, je l’espère, à cette période de farniente, de détente et de repos aussi bien physique qu’intellectuel.

 

 

dictionnaire-de-trois-fois-rien-de-marc-emile-thinez.jpgDICTIONNAIRE DE TROIS FOIS RIEN

Marc-Emile THINEZ

« Algèbre … Une contrainte qui compte. Jean n’aime pas les maths, les Arabes non plus ». La première définition de ce dictionnaire est édifiante, le raccourci est fulgurant. Jean est déjà sur la sellette. Jean c’est apparemment le père de l’auteur, du moins dans cet ouvrage, c’est un cruciverbiste fidèle, il fait chaque jour la grille de l’Huma car Jean est communiste, un peu franchouillard, communiste comme d‘autres sont catholiques ou philatélistes. Il ne conteste jamais la parole du parti, l’Huma est son bréviaire. Il ne se pose pas de questions, ce n’est pas un intellectuel, il exécute et fait des mots croisés avec son fidèle dictionnaire, « Le dictionnaire est Le Livre, sa bible à lui, le mécréant ».

Marc- Emile c’est le fils, le fils doué qui sait lire très tôt les bulles de Pif le chien dans l’Huma, c’est lui plus tard qui établira ce dictionnaire des termes qui définissent le mieux son père. Ces mots dont il donne une version littéraire, lexicologique, et une illustration appliquée à l’usage que Jean en fait ou à la description de l’univers de Jean.

Ce dictionnaire est bien sûr très drôle, l’auteur joue avec les mots comme d‘autres avec les balles ne rechignant jamais à formuler calembours, aphorismes et autres jeux de mots toujours savoureux. Mais tous ces jeux avec les mots cachent mal une satire acerbe de la France profonde manipulée par les partis politiques et les leaders d’opinion, Jean est communiste mais il pourrait appartenir à n’importe quel autre parti, il se comporterait de la même manière, comme un bon vieux godillot, comme un électeur sûr et convaincu, comme un militant zélé ne contestant jamais les décisions prises par les instances supérieures. Sous cette satire acide, il y a aussi beaucoup de tendresse pour ce père qui n’a pas eu la chance de poursuivre ses études bien longtemps, il a quitté l’école à onze ans, et qui voudrait apprendre encore en faisant ses mots croisés avec son dictionnaire fétiche. Jean est le père que de nombreux enfants ont eu au siècle dernier quand il y avait encore des ouvriers et des agriculteurs qui apprenaient tout sur le tas.

Une fois encore, la preuve est faite qu’un tout petit livre peut contenir beaucoup, beaucoup de choses. Ainsi, on pourrait évoquer aussi la réflexion de l’auteur sur l’ambigüité du langage à qui on peut faire dire tout ou rien ou tout et rien. En lisant ces lignes, je n’ai pas pu m’empêcher de penser à ces réunions auxquelles j’ai participé et au cours desquelles on essayait d’écrire en commun une délibération, une clause, une motion, … Le déficit de langage n’est pas le propre des ouvriers de la fin du XX° siècle, elle perdure encore même chez des gens qui ont fréquenté l’université, ils sont capables de parler de tout et de rien pendant des heures sans rien décider du tout. Tout le monde ne met pas « La même application à chercher le bon mot que son prédécesseur le bon champignon ».

Un tout petit livre qui n’a l’air de rien mais qui dit tout sur le rien et le tout et sur la grande difficulté qu’il y a encore à se comprendre avec seulement des mots comme le savent bien ceux qui fréquentent assidûment les réseaux sociaux et les débats houleux qu’ils génèrent pour de simples incompréhensions.

Le livre sur le site des Editions Louise Bottu

 

72702.jpgL’AIR DE RIN

Bruno FERN (1960 – ….)

On ne peut pas s‘imaginer comme rien occupe de la place, tellement de place qu’après le dictionnaire que lui a consacré Marc-Emile Thinez aux Editions Louise Bottu, cette maison publie un nouvel opus consacré à ce fameux rien qui encombre notre vie : « L’air de rin ». En fait l’air de rin c’est surtout un fil sur lequel Bruno Fern, équilibriste du vocabulaire, a composé des variations à partir de deux vers : l’un de Mallarmé :

« Aboli bibelot d’inanité sonore »

l’autre de Guillaume d’Aquitaine :

« Ferai un vers de pur néant »

Bruno Fern propose centre-trente-deux variations du premier en application à autant de circonstances ou de contextes. « On le voit, on l’entend : de petits faits quotidiens ou moins, entre humour et mélancolie » comme l’écrit le préfacier Jean-Pierre Verheggen. Je dirai que, moi, j’ai vu beaucoup d’humour, un peu d’espièglerie et quelques petites piques bien affûtées et tout aussi bien ciblées :

« Lucide : Accomplis coquelicot ta destinée record »

« Faux-cul : Applaudit en plateau mais maudit en dehors »

« Coquet : Assorti aux rideaux le gilet du croquemort »

Et soixante six variations du vers de Guillaume d’Aquitaine, juste la moitié du précédent total :

« Ecrivain : Phraserai matières et compléments »

« En slip léopard : Feulerai par terre face au divan »

« Fan d’Apollinaire : « Fesserai l’postère en versifiant »

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Mine de rien, «L’air de rin » est tout de même le résultat d’une longue réflexion et d’un talentueux exercice de créativité accomplis par l’auteur, il n’est pas toujours évident de recréer en de multiples exemplaires ce qui existe déjà en lui donnant à chaque fois un sens, une couleur, une apparence différents mais en lui conservant sa sonorité. Un exercice de fildefériste sur le fil tendu du vocabulaire, un exercice gymnique, où il ne faut surtout pas se prendre les pieds dans le tapis, plein de pirouettes exécutées sur le praticable de la sémantique. In fine, un exercice poétique et « vocabularistique » qui montre toute l’étendue de la langue française et les multiples usages que l’on peut en faire. Je pourrais conclure avec le lieu commun actuel : Bruno Fern a étiré au maximum le champ des possibles contenus dans les vers de Mallarmé et Guillaume d ‘Aquitaine.

Le livre sur le site des Editions Louise Bottu

APRÈS LA GUERRE

arton117866-225x300.jpgpar Denis BILLLAMBOZ

Un coup de nostalgie ? Une opportunité de lecture ? Je ne sais pas trop mais j’ai lu récemment le livre de Mérindol et j’avais lu peu de temps avant le roman d’Audiard qui sommeillait depuis de longues années dans mes tiroirs et j’ai eu envie de rapprocher ces deux textes. Celui d’Audiard évoque plus l’occupation que l’après-guerre mais ce qui m’intéresse surtout c’est la montée en puissance de cette génération qui a rebâti la France détruite par la guerre, la génération qui a grandi pendant la guerre et qui a donné naissance aux fameuses Trente Glorieuses. Les premières images que j’ai découvertes, les premiers souvenirs qui ont imprimés ma mémoire, … tout cela figure dans ces livres et d’autres de cette même période.

 

893811.jpgFAUSSE ROUTE

Pierre MÉRINDOL (1926 – 1913)

« L’histoire de cette histoire commence au comptoir… », comment bouder un livre qui commence au comptoir, même s’il ne s’agit que de la préface, une préface goûteuse comme une assiette de charcuterie dégustée à l’heure du casse-croûte sur le zinc d’un bar, avec un pichet de brouilly ou de côte du Rhône. Un morceau d’anthologie qu’il ne faut surtout pas éluder. Cette histoire sent le cambouis, le gasoil, la goldo froide ou fumante selon les moments, le chou, le poireau ou un autre légume encore selon le chargement transbahuté à l’arrière et, les jours de bonne fortune, les relents des étreintes passagères. C’est un road movie des années cinquante, une histoire de routiers qui s’ennuient à longueur de journée dans un camion poussif qui se traîne entre Marseille et Paris pour garnir le ventre affamé de la capitale.

Avec son pote Edouard, le narrateur, fait la route sillonnant la France selon l’axe nord-sud, où l’inverse, en faisant halte dans des auberges ou des hôtels dont les tenanciers sont, à la longue, devenus des amis, la nourriture est riche et goûteuse, les vins ne sont pas frelatés, le gîte est bon et la patronne pas toujours farouche. La route est leur résidence, l’hôtel et l’auberge un lieu de passage indispensable pour satisfaire les besoins élémentaires. Une vie simple, sans histoire, réglée par l’obligation de livrer à une heure bien précise, une vie qui laisse le temps de flâner le soir, le dimanche et les jours sans frets.

Et pourtant, un jour, Edouard arrête le camion pour prendre à bord une jeune femme seule sur le bord de la route, il n’espère qu’une étreinte passagère mais la fille s’installe bientôt à bord pour faire la route avec les deux amis s’incrustant de plus en plus dans la vie d’Edouard au point que ce dernier finit par acheter un bar à la Moufte pour installer sa belle à demeure. Ainsi va la vie jusqu’à ce qu’un ancien pote d’Edouard débarque à Paris pour lui demander d’accueillir son fils venu suivre ses études à Paris. Le jeune homme donne un coup de main à la tenancière du bar pendant que le routier sillonne la France mais celui-ci n’est pas tranquille, il a flairé l’embrouille, le drame se noue…

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Pierre Mérindol

Le préfacier, Philibert Humm, prévient : « Le roman justement, puisque c’est de lui qu’on cause, n’est pas un chef-d’œuvre inconnu. Autant vous le dire tout de suite. Et c’est précisément ce qui nous plaît ». Non, ce roman n’est peut-être pas le livre inoubliable qu’on imposera aux potaches de France et de Navarre, c’est une histoire simple, une banale tragédie domestique dont regorgent les journaux, évoquant les gens simples qui se démenaient pour construire une vie décente après avoir traversé une guerre horrible. C’est aussi un portrait de la France de l’après-guerre avec ses bistrots, ses stations-service, ses hôtels de préfecture, ses routes sinueuses et ses lourds camions que nous guettions, sur le bord des routes, avec une grande curiosité. C’est la France de la reconstruction, l’aube des trente glorieuses, une bouffée de nostalgie qui évoque l’enfance de ceux de ma génération. C’est aussi la preuve qu’il ne faut pas laisser les auteurs comme Mérindol enterré à jamais dans le cimetière des écrivains oubliés. N’oublions pas que cet auteur, avant de faire une longue carrière journalistique au Progrès de Lyon, a traîné sa misère du côté de Montparnasse avec Robert Giraud et Robert Doisneau avant que celui-ci devienne célèbre et laisse ses camarades de bohème orphelins.

Le livre sur le site des Éditions Le Dilettante

 

2260014895.08.LZZZZZZZ.jpgLE P’TIT CHEVAL DE RETOUR

Michel AUDIARD (1920 – 1985)

Audiard, j’ai dégusté sans modération aucune les dialogues qu’il a mis dans la bouche de Gabin et de bien d’autres acteurs de la même génération. J’ai couru les salles de cinéma pour me repaître de tous les films dont il en avait écrit les dialogues. Aujourd’hui, enfin, j’ai l’opportunité de me goinfrer de sa prose par la lecture, non plus par la parole des autres, en lisant ce roman qui raconte l’histoire de trois jeunes garçons qui, craignant l’arrivée des Allemands dans leur quartier parisien, ont vite enfourché leur bicyclette pour fuir vers le sud sans savoir réellement où ils allaient, Ils voulaient seulement fuir la guerre. « En somme, cette guerre, on voulait bien la gagner, à la rigueur la perdre, ce qu’on ne voulait surtout pas, c’était la faire. Ca, à aucun prix ! » Ils avaient entendu trop de choses sur cette guerre, « On s’était même fait des idées à propos d’elles, des idées très précises, très mûries. Notamment, que la guerre moderne – donc technique – était une affaire de spécialistes et qu’il ne faut jamais déranger les spécialistes dans leur spécialité ».

Je suis un grand admirateur de sa prose argotique, vernaculaire, rabelaisienne, il invente des formules désopilantes, créé des images hilarantes, emprunte des raccourcis foudroyants dans un langage qu’il a gardé de son enfance dans les rues du XIV° arrondissement de Paris. Il peint un monde de jeunes gens fort démunis qui vivent de la débrouille, de quelques larcins, de petites combines, rien de bien grave, juste de quoi épater les filles du quartier en espérant trousser leurs jupons le plus vite et le moins longtemps possible pour ne pas s’attacher et garder leur liberté. Mais après, les drôleries de la Drôle de Guerre, il faut bien se rendre à l’évidence, les Boches sont aux portes de Paris et il est plus prudent de prendre les devants en quittant la capitale au plus vite. Voilà, juste « Pour expliquer bien clairement pourquoi on s’était retrouvés à vélocipède sur un itinéraire aussi fantasque, peut-être convient-il de replacer la photo de famille dans son cadre : juin 40. Un temps inouï. Un soleil de feu ».

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Michel Audiard

Leur fuite à bicyclette prend des allures de chevauchée fantastique dans le flot de la France en pleine débâcle, sous les bombes des Stukas et la mitraille des Messerschmitt, puis, comme ils avançaient beaucoup moins vite que les panzers, au milieu de l’armée allemande fonçant, elle aussi, vers le sud. Au long de cette épopée picaresque, ils rencontrent des personnages étonnants en essayant de chaparder leur nourriture et de trousser, à chaque occasion, des filles et des femmes souvent très compréhensives mais pas toujours très séduisantes ni très jeunes. Peu importe, ils voulaient surtout devenir des hommes, des vrais, des hommes qui savaient parler aux femmes et les satisfaire. Ils menaient ainsi une existence un peu bohême avec la seule contrainte de trouver leur pain quotidien dans un pays en pleine déliquescence où toutes les règles semblaient abolies. « Elle était marrante la France d’alors !… Inconséquente…. feignasse…. alcoolique… putassière…. moscoutaire…cagoularde…. mais merveilleusement légère et gaie. Ceux qui ne l’ont pas connue à cet âge-là ne sauront probablement jamais … comme elle a pu être gentille et drôle ».

Avec ce récit drôle, hilarant, Audiard donne sa vision de la France de la Débâcle qui n’était pas encore celle de la collaboration ou de la résistance, la vision d’un jeune homme de vingt ans, il appartient à la première classe qui n’a pas été mobilisée. Cependant sous la blague, le bon mot, le raccourci, l’image désopilante, la formule colorée, il y a le regard acéré, le regard qui débusque la France qui va mal tourner, les affres de la veulerie, de la trouille, de la cupidité, de la vengeance facile par occupants interposés. L’aigreur perce vite sous la croûte de l’amuseur, il avait compris qu’une époque mourrait et que la suivante serait très différente, que des appétits nouveaux étaient en train de naître. « Ah, on y était vraiment dans la métamorphose des générations ! Le passage de témoins, comme disent les coureurs de relais !… madame Manière était sans doute un des derniers spécimens d’un romantisme décadent, un bel animal aux pulsations lentes, la fin d’une race à laquelle succéderait de petits fauves rudimentaires ». La belle décadente était le symbole de cette France en pleine mutation dans le malheur et la douleur.

OSER LA POÉSIE

arton117866-225x300.jpgpar Denis BILLAMBOZ

D’aucuns prétendent que la poésie ne fait plus recette et pourtant, les poètes sont de plus en plus nombreux à oser la publication. Aujourd’hui, je voudrais rendre hommage à Eric Allard, le maître de ce blog qui laisse souvent, dans son espace virtuel, une belle place à la poésie. La publication de l’excellent recueil qu’il a produit avec Denys-Louis Colaux et la superbe préface qu’il a offerte à Carine-Laure Desguin pour son dernier recueil a été pour moi l’occasion de publier cette chronique en forme d’hommage. Ecoutons le père Hugo, c’est lui qui disait, il semble, « Seul le poète a le front éclairé » ou quelque chose de ce genre, ma mémoire n’est plus très fiable.

 

image2231.jpgLES LIÈVRES DE JADE

Denys-Louis COLAUX (1959 – …)

Eric ALLARD (1959 – …)

Allard et Colaux semblent avoir en commun certains gènes littéraires, aucune analyse ne pourra le confirmer mais leurs écrits le laissent indubitablement penser. Ils ont donc décidé d’écrire un recueil à quatre mains, Colaux présente le projet dans sa note liminaire : « Allard, lui ai-je écrit, je vous propose une aventure de coécriture. Plaçons, pour épicer l’affaire, ce projet sous quelques consignes. Il sera question de la Lune, nous écrirons chacun quinze épisodes d’une dizaine de lignes, et dans le récit, nous nous croiserons. Rien d’autre ». Le cadre était dressé, il ne restait qu’à écrire et nos deux lièvres sont partis, pour une fois, à point, ils ont fait gambader leur plume respective chacun sur sa plage/pré pour finir par se rencontrer comme ils l’avaient prévu. Et comme le résultat était probant, ils ont décidé d’écrire une seconde série de quinze textes.Denys-Louis-Colaux-nb.jpg

La Lune est leur totem, ils l’avaient inscrit dans les contraintes imposées à leurs récits, ils la vénèrent avec les mots, les phrases, les aphorismes, les images, les clins d’œil, les allusions, …., avec toutes les armes pacifiques du poète. Ils l’adulent car la Lune est mère de toutes les femmes qui nourrissent leurs phantasmes, « Les femmes sont enfants de la Lune », la femme est la muse du poète, les femmes sont nourriture du poème. Colaux la chante, dans sa première série de textes, comme un chevalier médiéval, comme Rutebeuf, comme Villon, comme … d’autres encore qui ont fait que l’amour soit courtois et le reste. Allard m’a fait très vite fait penser à Kawabata et plus particulièrement à Kawabata quand il écrit « Les belles endormies », je ne fus donc pas surpris qu’il cite le maître japonais au détour d’un de ses textes et qu’il intitule un autre précisément « Les belles endormies ». Pas surpris mais tout de même étonné que nous ayons en la circonstance les mêmes références, peut-être avons-nous, nous aussi, quelques gènes littéraires en commun ?3922229249.jpg

Il y a une réelle proximité ente ces deux poètes, leur mode de pensée respectif semble très proche et ils expriment le fruit de leurs pensées dans un langage et un style qui pourraient leur être commun. Dans la seconde quinzaine de textes qu’il propose, Colaux m’a rappelé les textes d’Allard dans « Les corbeaux brûlés » que j’ai commentés il y a bientôt dix ans, on croirait ses textes immédiatement issus de ce recueil, les femmes qu’il dessine ressemblent étonnamment à celles qu’Eric fait glisser entre les pages de son recueil. Il y a du Léo Ferré dans ces deux séries de textes. Colaux dessinent des filles tout aussi liquides, tout aussi fluides, que celles qu’Allard fait ondoyer dans « Les corbeaux brûlés », comme celle que Ferré chante :

« C’est extra, une fille qui ruisselle dans son berceau

Comme un marin qu’on n’attend plus ».

Deux grands poètes qui ont magnifiquement chanté, en prose, la Lune, l’astre féminin par excellence, et la femme non pas la femme mère ou fille, non, seulement la femme éternel idéal féminin source de tous les phantasmes qui agitent les hommes depuis qu’Eve a croqué la pomme. Leurs textes sont d’une grande élégance, d’une grande finesse, tout en laissant la place à de nombreux artifices littéraires, à de jolies formules de styles et à des clins d’œil qu’il faut dénicher. Un chouette pari littéraire, de la belle ouvrage !

« Se pourrait-il que parfois la Lune aboyât aux chiens ? » (Colaux)

Le livre sur le site des Éditions Jacques Flament

 

9357077_orig.jpgDES LAMES ET DES LUMIÈRES

Carine-Laure DESGUIN (1963 – …)

Je connaissais Carine-Laure à travers les textes qu’elle a écrit en résonance à des romans de Marguerite Duras, je ne suis pas étonné de la retrouver cette fois armée de la plume du poète tant ses textes en hommage à la romancière respiraient la poésie. Dans le recueil qu’elle propose ici, elle présente des poèmes écrits en résonance, toujours, aux vingt-deux arcanes majeurs du tarot, tout en ajoutant six textes pour parvenir au nombre de vingt-huit. Selon Eric Allard, le brillant préfacier (il faut impérativement lire cette préface pour mieux comprendre les arcanes des textes), « la poétesse a pris des libertés avec les lames traitées individuellement pour atteindre à un nombre parfait (divisible par la somme de ses diviseurs) de textes bien accordés ». Je ne suis pas suffisamment versé en mathématiques et tarologie pour contester une aussi brillante démonstration. L’arcane majeur numéro 1, le Bateleur, ouvre donc la série en deuxième position des textes dans le recueil.

« Sur les tréteaux du bateleur

Les aiguilles des lendemains

Babillent. »

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Carine-Laure Desguin et Catherine Berael

Et le Bateleur passe la main à la Papesse qui cède à son tour la place à l’Impératrice et ainsi de suite jusqu’à l’arcane vingt-deux le Mat qui appelle le renouveau. Il ne faut surtout pas oublier d’évoquer les vingt-deux lames représentées par l’illustratrice, Catherine Berael, dans lesquelles surgit toujours une tache de lumière illuminant des mondes tout en nuances de gris allant du blanc éclatant de cette lumière au noir le plus obscur. Des gravures aux contours mal définis évoquant des mondes flous percés de rayons de lumières, des mondes ésotériques éclairés par les lumières des lames (les lumières sont toujours évoquées au pluriel comme aux Siècle des lumières). Dans cet exercice aux limites de l’ésotérisme, Carine-Laure Desguin excelle, sa langue riche, son style brillant, génèrent des textes lumineux et je n’ai pas pu m’empêcher de penser que ces poèmes étaient un peu comme la lame de l’épée du toréador, revêtu de son ami de lumière, captant un dernier rayon de soleil avant de plonger dans le garrot du toro.

Dans ces textes inondés de lumière, j’ai aussi voulu voir une forme d’optimisme, d’espérance, de foi en la vie, une croyance en des forces ésotériques qui sauveront le monde de sa morosité actuelle.

« Respires-tu les pays de lumières

De terres promises aux volcans de feux

Au-dessus des ciels des orages des éclairs

Quand les hommes aux costumes éphémères

Battent les cartes et coupent les jeux

Te guident vers les étoiles des amours heureux

Quand les hommes aux costumes éphémères

Te racontent les chemins des rites sulfureux »

 

« La victoire

C’est un chariot de soleil

S’élançant du septième ciel

Bousculant les matins et les soirs »

Mais l’arcane treize rappelle lecteur aux dures réalités :

« La treize la faux la mort

Sèche et tranchante à vous couper le souffle ».

La poétesse nous a révélé les forces qui animent les mondes, elle nous a montré les chemins des lumières, elle a fait briller les lames qui contiennent notre avenir dans ses textes lumineux, elle nous intronise :

« Soldat de la vie aux mouvements de cristal

Respires-tu les pays de lumières

Maintenant que d’ici tu connais

Ce que ton âme déjà savait ? »

Le livre sur le site des Editions Le Coudrier

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 Carine-Laure Desguin, Claude Donnay, Denys-Louis Colaux & Eric Allard à la Librairie D’Livres

QUAND PISSE LE POÈTE…

arton117866-225x300.jpgpar Denis BILLAMBOZ

Quand j’ai écrit ma chronique sur l’ouvrage d’Eric Dejaeger, je ne connaissais pas encore Pierre Autin-Grenier, depuis j’ai eu le plaisir de glisser un premier regard sur son œuvre en découvrant ce petit recueil publié récemment par Les carnets du dessert de lune, et je suis comblé par cette première expérience. Je retournerai le plus vite possible vers cet auteur. Cette lecture m’a donné l’occasion de proposer cette chronique dans laquelle les deux acrobates du langage se rejoignent pour pisser dans leur violon ou peut-être est-ce l’inverse, à vous de le décider.

 

400?fwLE POÈTE PISSE ENCORE DANS SON VIOLON

Pierre AUTIN-GRENIER (1947 – 2014)

Décédé en avril dernier, Pierre Autin-Grenier n’avait que quelques jours de plus que moi, j’ai été ému et heureux de recevoir ce petit recueil de textes retrouvés par Les Carnets du dessert de lune (un nom qui donne envie d’écrire pour faire partie de la ronde des desserts), un joli petit livre qui comporte des aphorismes de l’auteur avec en regard un facsimilé de son manuscrit. Ces quelques textes courts, publiés à titre posthume, dont l’auteur était un adepte apprécié : quelques lignes, quelques mots parfois, lui suffisaient pour énoncer une idée tranchante, fulgurante, hilarante, désopilante.

« N’étant que très rarement

D’accord avec moi-même

Comment voulez-vous

Que je sois d’accord avec les autres »

Dans les quelques textes présentés dans cet ultime recueil, l’auteur prouve que jusqu’à la fin il n’a rien perdu de sa rage de vivre dans un monde où il trouvait cependant bien peu d’humanité et de charité. L’autodérision lui a encore servi, dans ce recueil, d’esquive pour les embûches de cette société qu’il n’appréciait pas beaucoup.

« A chacun ses idées

Et les miennes

A moi »

On rit avec Pierre Autin-Grenier, on rigole plutôt, on se marre même, mais on n’évite pas la question cachée dans le creux de l’aphorisme ou la remarque fulgurante lancée dans une phrase cinglante.

« Voyez les gens d’ici :

Depuis longtemps

Ils ont touché le fond,

Mais ils creusent encore. »

Un joli petit livre, un beau texte, une mise en bouche alléchante pour aller plus loin à la rencontre de l’œuvre de cet auteur.

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Pierre Autin-Grenier

 

af1dc543.jpgLE VIOLON PISSE SUR SON POWÈTE

Éric DEJAEGER (1958 – ….)

Eric Dejaeger grand passionné du surréalisme essaie de faire revivre cette école littéraire à travers une œuvre multiforme : de l’aphorisme au polar en passant par le roman, la poésie et d’autres genres littéraires encore. Il dédie ce petit recueil d‘aphorismes à Pierre Autin-Grenier, auteur que je ne connais pas suffisamment pour en parler, je fais donc confiance à Wikipédia : « Pierre Autin-Grenier est devenu, au fil de son œuvre, un adepte reconnu de la forme brève au rythme et à l’écriture travaillé, il s’est construit de livre en livre une voix bien à lui où la révolte reste intacte. Même si on rit franchement à la lecture de ses livres, la rage de vivre dans un monde où la fraternité n’a plus beaucoup de sens pointe souvent derrière l’autodérision, la joyeuse gouaille et les phrases cinglantes avec lesquelles il aborde le quotidien le plus banal ». Une description qui conviendrait bien pour évoquer l’œuvre d’Eric, du moins ce que j’en ai lu à ce jour.

Dans ce présent recueil d’aphorismes, il ironise, stigmatisant tous ceux qui se prétendent poètes et ne sont capables que d’écrire de la powésie :

« Ecrire de la powésie parce que l’on se proclame powète est profondément ridicule. »

Le poète doit rester un être maudit, incompris, qui ne connaitra la gloire que quand il vivra dans l’autre monde, ou un autre, mais à coup sûr ailleurs.

« Le powète rêve d’être maudit, mais pas de son vivant. »

Le powète croit qu’en étant incompris, il est un vrai poète.

« Le powète continue à écrire pour se convaincre qu’il restera incompris. »

Le powète rêve d’édition, de lecteurs, d’admiration, de reconnaissance et de succès.

« Le powète rêve d’édition. De Gallimard en particulier. »

A coup d’aphorismes tous plus aiguisés les uns que les autres, Eric Dejaeger dénonce les faux poètes, les powètes, les pauvres hères des lettres, qui posent, se pavanent, publient et croient avoir du talent, mais la vraie poésie est un art de forçat, elle demande talent et travail et surtout humilité.

« La POESIE est un morceau de charbon qu’aucun diamantaire ne pourra jamais façonner. »

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Le blog d’Éric Dejaeger

 

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Le blog des Carnets du Dessert de Lune

Le site des Carnets du Dessert de Lune