BELGIQUES de ROSE-MARIE FRANÇOIS (Ker) / Une lecture de PHILIPPE LEUCKX

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Une prose gourmande pour dire l’affection d’un auteur à l’adresse de sa région, de ses souvenirs, des terres belges. Enfance, culture, passion des livres honorent le parcours.

Polyglotte (pas moins de quinze langues, pas toutes indo-européennes), l’auteure nous partage sa passion des langues et ses rencontres multiples.

Tant de souvenirs remontent à la surface du temps : liés à la mère, mélomane, violoniste, à son père, aux anciennes des Camps de vacances.

La Belgique chantante (de Brel à Julos, en passant par la méconnue Françoise Laroche) fait partie de la fête comme de larges extraits des poètes aimés (Jacqmin, Verlaine).

Rose-Marie François tutoie les moments forts d’une carrière toute dévouée aux langues, à la traduction et aux voyages. Riga, la Toscane relaient cette passion des périples linguistiques, cette frénésie de connaissances.

La table est aussi gourmande, et un chapitre entier honore les saveurs, d’un bout à l’autre du pays. De la gueuze au chicon, en passant par les boulettes et pruneaux, sans oublier les frites, certes.

Les peintres, les musiciens sont de la cohorte des hommages.

En dix-huit entrées, l’écrivaine donne sa vision belge des choses, sa culture immense, ses goûts, ses passions, ses traces passées.

Mons n’échappe pas avec son singe, son « Doudou » ni l’Italie si souvent visitée que les amis Gianni et Francesca traversent, au rayon des amitiés essentielles.

Ce livre, à la fois intime et universel, concentre le « bouillon de culture » que tout écrivain au regard aigu peut receler, puisqu’écrire prélève au réel le plus fort, le plus intense, le plus agréable d’une vie passée avec les mots.

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Rose-Marie FRANÇOIS, Belgiques, Ker éditions, coll.dirigée par V. Engel, 2022, 140 p., 12 euros.

Le livre sur le site de Ker Editions

Le site de Rose-Marie FRANÇOIS

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LE PIERROT DE VALDÈS de DIDIER GIROUD-PIFFOZ (Ella Ed.) / La lecture de PHILIPPE LEUCKX

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Comme dans d’autres ouvrages, l’auteur rend hommage à des parcours, à des lieux, à des vies, à des rites.

Rien de commun sans doute entre le Catenacciu de Sartène, Soeur Yvonne des léproseries indiennes ou sa chère, rencontrée dès les années 60.

Et pourtant une même ferveur habite cet homme qui cerne les réalités les plus difficiles pour en dégager l’humaine beauté, l’humanité.

Ce livre, donc, résume une vie, un parcours, des années 66/69 aux années 2010.

Le Pierrot de Valdès, aux cernes noirs, symbolise bien l’attachement à des personnes ou personnages qui ont nourri son périple intérieur.

La figure de Gabrielle Russier, les soeurs rencontrées en Inde pour le boulot le plus ingrat sans doute, soigner les rejetés d’une société, les pénitents corses : autant de signes que l’écrivain a su découvrir sur sa route pour faire connaître son monde : de tendresse et d’ouverture.

Les chapitres corses et indiens, sorte de journal présent et visuel (de belles images photographiques de l’ami Patrick ou de l’auteur), révèlent un tempérament prompt à faire du monde sa maison (comme le relatait S. Ray dans un film tiré de Tagore).

La spiritualité, certes, est un don, et l’auteur sait exactement où elle se niche : les témoignages d’anciens porteurs de croix ou ceux des soeurs des léproseries servent à faire grandir l’homme, souvent petit, souvent mesquin que nous sommes. Ce sont des expériences uniques, partageables, quelles que soient les misères abordées, ressenties.

D’une géographie l’autre, l’auteur nomme le réel qui le submerge, et ses nombreux voyages sont communicables eux aussi, par le don même des expériences profondes, intimes, du coeur et de l’esprit.

L’auteur qui a tant adressé de missives à ses proches (ses petits-enfants) l’a fait aussi de par le monde.

Un très beau livre, fécond et généreux.

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Didier GIROUD-PIFFOZ, Le Pierrot de Valdès, Ella Editions, 2022, 312 p., 20 euros

Le livre sur le site de la FNAC

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CONTRE-FUGUE de MILA TISSERANT (Editions du Cygne) / La lecture de PHILIPPE LEUCKX

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Résolument, voilà une très jeune poète française, née à Strasbourg en l’an 2003, contre tout ce que la poésie peut contenir de fadeur, de timidité. Résolument, elle arme ses mots, ses poésies en prose d’une vigueur sans relâche, maniant l’impératif et l’invective comme des outils de vrai poète « voyou ».

Car c’est ainsi qu’elle brandit, farouche, les mots pour les porter à la fureur du dire.

Rien de clément ici, ni d’apaisé : le verbe grince, ronfle, s’enhardit, les vers percutent et les métaphores bouillonnent.

Résolument, Mila Tisserant étonne et cherche à le faire savoir, s’en prenant aux poètes, s’en prenant aux traditions, « le poète n’est pas celui qu’on vous enseigne » (p.32).

Voilà une poésie qui ne laissera personne indifférent : ça éructe, ça sonne fort, c’est « endiablé ».

Nerveux poème qui se permet tant d’injonctions, tant d’exclamatives secousses.

Cette poète ira loin. Nul doute.

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Mila TISSERANT, Contre-fugue, Ed. du Cygne, 2022, 52p., 10 euros.

Le recueil sur le site des Editions du Cygne

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CLARTÉS DU SOIR de JACQUES ROBINET (Unicité) / Une lecture de PHILIPPE LEUCKX

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La nuit, c’est la « mort » qui vient, c’est l’heure où « la lumière décline », alors, il faut promouvoir au mieux cette clarté, annonciatrice du jour.

Le poète oeuvre dans le feu de l’autre et du silence, à force d’images qui puissent nier l’exil, l’absence, la perte :

« Une rose à la fenêtre

le gel au fond du coeur »

Le chemin est un élément important de la poétique de Robinet : il inaugure « l’ouvert », engrange « l’estuaire », afin que la parole circule et vienne « le bleu du ciel ».

Les poèmes, assez brefs, circonscrivent un domaine de réflexion : la présence de l’autre (ce « tu » obsédant), les impératifs dressés à soi (« reviens, n’écoute pas l’appel/ du vent »), les « traces » attendues, requises ou négligées.

« Perdu sur mon chemin

j’ai tressailli à ton approche »

Un aller-retour désir/ présence creuse les enjeux de cet intimisme brûlant : « la nuit respire/ ton silence ».

On comprend l’intensité qui s’y joue et l’étonnement métaphysique « d’être là », encore, et toujours, en quête du beau, de l’impossible, de ce réel qui nous joue des tours.

« Rôdeur », témoin des « nocturnes », le poète sait « où règne la nuit/se tisse la lumière ».

Lyrisme vivace, explorant les fins fonds de l’être : voilà où le poète nous mène, signe après signe, sans triche, énumérant les « passages incertains », « frottant les mots jusqu’à l’usure ».

Le lexique, ainsi, ressasse les mêmes vocables, dans une volonté dense de tout dire de ce désir de « clartés ».

Un beau livre.

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Jacques ROBINET, Clartés du soir, Unicité, 2022, 15 euros. Couverture de Renaud Allirand

Le recueil sur le site de vente en ligne des Editions Unicité

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ILS ONT PEUR de GEORGES CATHALO et LIONEL BALARD (Cahier des passerelles) / Une lecture de PHILIPPE LEUCKX

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La peur est une voisine encombrante et l’angoisse d’aujourd’hui souille nombre de relations et de vies.

Elle est là, rampante, irrépressible.

Le poète l’a bien saisie, cette peur omniprésente, dans le regard, dans le geste, dans la tension.

Avec la légèreté des quatrains – une vingtaine, à raison de deux par page, le poète dessine sa vision du monde, entre acuité, analyse et espérance d’un autre univers.

Le poème, référence à ses fameuses « Quotidiennes », traque le menu, les mots réfractés, les paroles enfouies, les « vieilles photos »: la solitude prévaut et encrasse, cette « peur de vivre » laisse ces êtres égarés, tourmentés.

Le livret rend bien compte d’une errance qui est devenue marque du temps, usage d’aujourd’hui, et le poème doit servir d’éclairage à nos vies malmenées.

Cathalo ne se fait aucune illusion d’un monde qui sait trop bien aller à vau-l’eau.

Par sa poésie, lucide, vigilante, il veut nous alerter sur les beautés à conserver, d’un monde qui n’est déjà plus là, sans doute, sauf les mots qui veillent, décrivent, animent.

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Georges CATHALO, Ils ont peur, poèmes, Cahier des passerelles n°54, 2023. Belles gravures de Lionel Balard, qui s’est souvenu de Tardi. 5 euros.

Contact pour vous procurer l’ouvrage : Les.passerelles@laposte.net

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ANTOINE ARMEDAN À MARCHE-LEZ-ECAUSSINNES / PHILIPPE LEUCKX

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Selon un concept « train-vélo-guitare », au fil de rencontres musicales à la chandelle, ANTOINE ARMEDAN, jeune auteur-compositeur-interprète de chez nous (il a vécu à Braine et vit à Enghien) distille l’essentiel de son nouveau disque sur scène, ici, chez nous, « Notre maison », à Marche-lez-Ecaussinnes.

« Des plumes sous les comètes », titre de son dernier album (le 3e depuis 2012), reste fidèle à ses choix intimistes, de chansons qui visent au « good feeling » dans l’air du temps. Le covid séparateur, les questionnements sur notre devenir, l’exigence d’être « ensemble » et de faire de la vie « une fête » rameutent les thèmes singuliers de l’artiste.

Sensible au sort des sans abri (Des draps de carton), revendiquant son statut d’artiste (Plan A), alerté par les besoins profonds en humanité dans une époque désolée et meurtrie, l’auteur sent bien les choses et les traduit pudiquement, en termes souvent poétiques. Le rythme alerte de la guitare fait le reste.

Avec sa seule guitare et sur treize chansons (un set personnel plus deux compositions de Beaucarne liées à Ecaussinnes), Antoine Armedan réussit à mobiliser une assistance nombreuse, chandelle en mains.

De nombreuses dates sont prévues en 2023, au travers de la Wallonie.

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Le site d’ANTOINE ARMEDAN

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CLOSE ou L’APPRENTISSAGE DU DEUIL / Une chronique de PHILIPPE LEUCKX

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Lukas Dhont, qui s’est fait reconnaître par « Girl », poursuit son exploration intimiste des sentiments dans un film prenant, au titre clos comme cette espèce de chagrin qui assombrit la vie de plusieurs des personnages.

Rémi et Léo, intimement liés, des frères, comme le rappelle l’un d’eux, vivent la bascule de l’adolescence et des changements profonds. Quelque chose se passe, lorsqu’ils entrent en secondaire et qu’on ose mettre en question leur amitié. Alors, quelque chose se brise. Les deux amis vont s’éloigner progressivement jusqu’au drame.

L’essentiel du film est ce deuil poignant qui force le respect : les mères des deux adolescents, surtout, témoignent de ce vide abyssal dans leur vie. Léo, le survivant, égrène un chagrin, légèrement corrigé par l’affection de son frère aîné.

Tout est dans la nuance : on sent le poids de la rumeur (scolaire), on sent l’effritement des amitiés et des éloignements mal digérés. On sent le talent du cinéaste pour débusquer les non-dit, les sentiments cachés. Léo a un sens aigu de sa culpabilité et il lui faudra longtemps pour apprivoiser ce chagrin qui le submerge.

L’interprétation de haut vol rassemble Eden Dambrine et Gustaaf De Waele (dans les rôles de Léo et de Rémi), les remarquables mères (Léa Drucker et Emilie Dequenne).

Un film qui s’adresse au coeur, remarquablement mis en scène.

VESDRE de LUC BABA (L’Arbre à paroles) / La lecture de PHILIPPE LEUCKX

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Lu d’une traite ce beau récit poétique, « Vesdre » de Luc Baba.

C’est nu, épuré, radical, comme quand une blessure vous laisse juste le cri.

Le poète, après quelques pages où il nomme les beautés de sa terre, s’attache à décrire, jour après nuit, l’intense bataille contre l’eau, lors de la crue terrible de l’an passé.

Ces mots perforent la réalité épouvantable, visent à saisir l’impensable surgi de l’eau : les morts, la boue, les plastiques, la déflagration d’une rivière et de ses berges.

L’horreur.

Les pages, toutes constituées du témoignage d’un sinistré, coupé de tout, disent avec effroi la perte, la solidarité née des ordures et des huiles répandues, de l’odeur affreuse dans la vallée.

Tous ont perdu, face à la crue, personnes, souvenirs, intérieurs choyés, vue imprenable. Tous ont souffert à l’aune des enfants, des personnes âgées.

Dans une langue, où le chagrin est corseté, le poète déroule ici l’humanité souffrante comme peu le font, dans une oeuvre d’urgence, littéraire et généreuse. « J’imagine, dit-il, que nous n’aurons plus que le don des autres » (p.61)

En dépit du doute, de la « sale nuit », les messages du poète disent au plus près la douleur et la beauté d’exister. On lui en sait gré.

Luc BABA, Vesdre, L’Arbre à paroles, 120p., 14 euros.

L’ouvrage sur le site de la Maison de la poésie d’Amay

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FEMMES EMPÊCHÉES de LEÏLA ZERHOUNI (M.E.O.) / La lecture de PHILIPPE LEUCKX


Etre empêché : être contraint, soumis. Tel est le statut de certaines femmes qui ne se sentent pas prêtes à devenir mères. Alors, le déni s’installe. Alors, certaines décisions tombent, souvent aussitôt regrettées mais irréversibles, hélas.

Le premier roman de Leïla Zerhouni sert de tremplin romanesque à l’évocation intime, intense de ces femmes qui n’ont pu garder l’enfant, en ont souffert longtemps, dans leur chair, dans leur cœur.

Ce sujet d’actualité brûlant est au cœur de « Femmes empêchées », au plus près de la vie d’Ania qui n’a jamais connu sa mère biologique. Les faits se sont passés en 1997. L’eau a coulé sous les ponts. La voilà, adulte, en Ardennes, dans une librairie de village où l’on cultive la littérature. La rencontre d’Ania et de madame Kéra est lumineuse et décisive ; l’amour qu’Ania a pour les livres l’éloigne peu à peu du trauma de ses origines. Le lieu attire beaucoup de monde et les rencontres se multiplient : Ania fait la connaissance de Yasmine, qui a dû quitter son Algérie natale ; Niko, un journaliste épris de la beauté et du sort du monde.

Sans jamais peser, jouant de la chronologie (1996-1997-2017-2018-2071), la narration nous plonge dans la vie intérieure d’une jeune femme, en quête de vérité et de son passé.

En trois parties, bien structurées et bien écrites, la jeune romancière impose sa voix, sa justesse et l’importance de ses thèmes familiaux. La quête des origines, rendue indispensable au fil du vécu, illumine ce roman, dont nous ne révélerons pas l’épilogue, tant elle innerve les personnages, leurs descriptions, leur vie.

Une écrivaine à suivre, bien sûr.


Leïla ZERHOUNI, Femmes empêchées, M.E.O., 2022, 128p., 15 euros.

Le roman sur le site des Editions M.E.O.


JEAN-QUI-VOLE de FRANÇOISE HOUDART (Ed. Audace) / La lecture de PHILIPPE LEUCKX


La romancière hennuyère poursuit sa quête mémorielle avec ce beau récit. Après le portrait de proches dans « Au revoir Lisa », elle nous relate ici l’aventure peu commune d’un enfant orphelin, dans le Borinage de la fin des années quarante. Le récit est authentique.

Accueilli par son oncle Louis et sa tante Pauline, Jean qui n’a jamais connu sa mère Florida, grandit dans l’affection de ses « nouveaux parents ». Nous sommes à Elouges, patrie du grand peintre Victor Regnart.

La vie se partage avec les potes de la cité, les découvertes (la mer, les colonies de vacances), la recherche des origines.

Doué, vif, en quête de tout, l’enfant est assez turbulent mais toujours attachant. Il a le sens de l’amitié, des découvertes insolites, de l’Aventure. C’est un gamin intelligent, qui n’a peur de rien et s’initie vite à tout.

On est pris par ce qui lui arrive, on se met volontiers à sa place parce que ses expériences ont pu être les nôtres, dans un passé plus récent.

Houdart a l’art de planter ses décors, de décrire et de faire vivre ses personnages, de leur donner une histoire qui soit dense, chaleureuse, pleine.

L’écriture coule de source pour nous amener à partager ce « destin », hors du commun.

La mort est sans cesse au rendez-vous : après la mère, c’est le tour du père, du grand-père, et le petit héros, qui termine ses primaires à la première place, a multiplié les expériences de vie, les acquis, les souvenirs.

Aucune plainte. Aucun pathos.

Le livre se lit avec l’enchantement des histoires vraies, celles qui font grandir.

Aujourd’hui, Jean s’appelle Renild. Françoise, sa compagne, en a brossé une étonnante biographie.


Françoise Houdart, Jean-qui-vole, Audace, 2022, 108p., 15 euros 

Le livre sur le site des Editions Audace