LES LECTURES d’EDI-PHIL #47 (février 2023) – COUP DE PROJO SUR LES LETTRES BELGES

Les lectures d’Edi-Phil

Numéro 47 (février 2023)

Philippe REMY-WILKIN (par Pablo Garrigos Cucarella)

Coup de projo sur le monde des Lettres belges

sans tabou ni totem, bienveillant mais piquant…

A l’affiche :

deux objets (très) littéraires non identifiés (Luc Dellisse, Alexandre Millon), cinq romans (Vincent Engel, Nathalie Stalmans, Ziska Larouge, Charles Bertin, Tom Lanoye), un micro-essai (Nausicaa Dewez), un recueil de nouvelles (Marc Quaghebeur), un roman graphique (Gérard Bedoret/Pierre Klein/Olivier Corten) et quatre recueils de poésie (Yves Namur, Philippe Colmant, Pierre Yerlès et Pïerre Schroven) ; les maisons d’édition (françaises) Eléments de langage, Lettres vives, Fayard, Futuropolis, Les escales/10/18 et La différence, (belges) Lamiroy, Murmure des soirs, Samsa, Academia, Espace Nord, Ker, Bleu d’encre et L’arbre à paroles.

= = =

(1)

Vincent ENGEL, Le miroir des illusions, roman, Les escales/10-18, Paris, 2016, 526 pages.

De Vincent Engel, j’avais déjà lu plusieurs ouvrages et découvert diverses facettes : intellectuel engagé, brillant éditorialiste, concepteur de projets, fervent défenseur de l’art de la nouvelle, etc. Mais, à considérer l’écho qui l’entoure, me manquait d’avoir pleinement rencontré le romancier d’Oubliez Adam Weinberger et Retour à Montechiarro, les mystères entourant les récurrences de personnages ou l’utilisation d’un double littéraire.

Un hasard ! Et Le miroir des illusions a atterri sur mon bureau avant Montechiarro. Et pourquoi pas ? Les deux livres s’avèrent connectés, plusieurs personnages se baladent de l’un à l’autre, créant une apparence de fresque élargie, de complicité renforcée avec le lecteur fidèle, un peu comme chez Hergé ou Balzac.

Que dit le résumé de l’éditeur ?

« Genève, 1849. Le jeune Atanasio, tout juste arrivé d’un petit village de Toscane, apprend le décès de son protecteur de toujours, Don Carlo. Le notaire lui remet une lettre cachetée du défunt, accompagnée de cinq portraits : trois femmes, deux hommes. C’est le legs d’un père à celui qui ignorait être son fils. Un legs doublé d’une mission : venger Don Carlo par-delà la mort, en tuant tous ceux et celles qui ont empoisonné son existence.

Venise, 1800. Une enfant naît dans un palais en ruine : Alba. Radieuse et sauvage, elle grandit en se moquant des hommes comme de la morale, et n’entend pas changer de vie en épousant le prince Giancarlo Malcessati, alias Don Carlo.

Une nuit, au coin d’une rue mal famée, surgit Wolfgang. L’Allemand s’éprend aussitôt d’Alba. Entre eux, pourtant, il s’agira moins d’adultère que de crime… »

Le retour d’un romanesque atemporel ?

Le nombre de pages, les années qui défilent, le titre même, les décors (Venise et ses palais déliquescents, ses gondoles et ses ponts, Milan et son opéra, l’Allemagne, les Etats-Unis, Genève), les thématiques (la vengeance, l’amour passion), l’époque (XIXe siècle), la bande sonore même (Liszt, Schubert, etc.), tout concourt à nous transporter dans un univers d’un autre temps, qui croiserait Balzac et Dumas. Il fallait oser aller à contre-temps tout en échappant aux écueils de l’entreprise, en modernisant l’ensemble en douceur, en privilégiant une grande fluidité de langue et de mouvement :

« Elle l’avait effrayé par sa fougue désespérée, par une avidité qu’il ne lui connaissait pas, une violence des gestes, des morsures, des ongles plantés dans son dos, une manière de se cabrer, de crier, de mener la danse, effrayé et émerveillé en même temps, tandis qu’elle découvrait dans ce lit, ruisselante de sueur, dévorant le corps de son amant, combien elle s’était perdue, combien Venise lui manquait, combien son père avait dû être désespéré et épuisé pour croire qu’une vie avec Giancarlo la rendrait plus heureuse que l’existence qu’elle menait à Venise. ».

Au large les digressions pesantes et les descriptions trop longues ! Toute la place est offerte aux personnages et aux trames qui les connectent, les décors et les atmosphères sont esquissés à la manière d’un coup de crayon d’Hugo Pratt, un pointillé laissant notre imaginaire compléter le tableau à partir de nos réminiscences de films, de documentaires.

Plus intimement…

Avec Vincent Engel, je croise une fraternité d’univers. Comme auteur, je me suis aventuré dans des zones limitrophes. Comme lecteur, j’ai placé au plus haut Le quinconce de Palliser, La créature de Fowles ou Le cercle et la croix de Pears. Me surprend certes le choix de Vincent Engel de restituer plusieurs épisodes d’action, de les glisser dans la marge du récit, ce qui tend souvent le roman vers une dramaturgie plus théâtrale que cinématographique. Mais l’essentiel est ailleurs, la réussite littéraire : le roman parvient à nous captiver tout en évacuant les poncifs du genre historique et en surprenant du début à la fin, quitte à bousculer, renverser nos points de vue sur les divers personnages. Ce qui insinue, mine de rien, une véritable morale loin de toute morale lénifiante et normative : le binaire n’existe pas, la plupart d’entre nous oscillent entre des pôles contradictoires et un rien peut incurver une identité :

« Notre destin ! C’est ce que nous serons devenus à défaut d’avoir été tout ce que nous aurions pu, si les circonstances avaient été différentes. »

Restons aux aguets ! Dans nos lectures et nos analyses, dans la vie de tous les jours.

Je poursuis ma rubrique, Le plat pays qui est le mien… de cœur, qui me permet de retrancher le mot « francophones » adossé à « Lettres belges » dans le sous-titre de cette mini-revue. Donc, après Pieter Aspe (et ses polars brugeois) ou David Van Reybrouck (figure de l’intellectuel engagé), voici…

*

(2)

Tom LANOYE, Esclaves heureux, roman, traduit du néerlandais (Gelukkige slaven, en 2013) de Belgique par Alain van Crugten, Paris, La Différence, collection Littérature étrangère, 2015, 348 pages.

L’auteur

Tom Lanoye, né en 1958, est considéré comme l’un des plus grands auteurs flamands contemporains. De fait, il est l’un des plus lus et primés. C’est un créateur éclectique, qui écrit des romans et de la poésie, des chroniques et des scénarios, des pièces de théâtre. Adapté en série télé, il a lui-même adapté pour la scène des pièces de Shakespeare, Euripide, Eschyle, Tchékhov, etc.

Le livre

Le roman, découpé en 3 parties (La chute, La réunion, L’espoir), commence par alterner deux scènes ou, plus précisément, les aventures survenant à deux hommes a priori différents et sans connexion, hormis un nom commun : Tony Hanssen. Jusqu’à il y a peu, l’un accumulait les petits boulots un peu partout sur les mers (steward sur des paquebots de luxe, marin dans la marine marchande, etc.) quand l’autre était confortablement arrimé à une vie familiale très bourgeoise et une réussite professionnelle haut-de-gamme comme expert informatique dans une grande banque. Si dissemblables hier, un Loser et un Winner, de singulières convergences les rapprochent aujourd’hui : perte d’adéquation avec leurs vies respectives, dérive loin de leurs racines belges (flamandes) et au bout du monde (l’un à Buenos Aires, l’autre dans un parc naturel sud-africain), moment de bascule à travers des actes et des rebondissements dramatiques, une confrontation avec la mort.

Après une centaine de pages, la narration n’a pas beaucoup évolué ou, plutôt, si, elle a progressivement pivoté mais sans déploiement d’intrigue. L’auteur, en fait, nous a offert deux grandes scènes, très étirées, ralentissant le temps pour nous plonger de plain-pied auprès de ses deux homonymes avant, pendant et après un moment censé incurver leurs destinées. Tout en infiltrant des notations sur leurs passés, leurs psychologies tourmentées. On songe à un Jean-Philippe Toussaint, pour sa science de la scène qui imprime l’imaginaire.

Deux suspenses, donc. Engendrés pour chacun par la nécessité de se refaire une santé financière (ou de survivre ?). Tony 1 joue les guides/gardes du corps pour l’épouse, âgée, d’un très puissant (et très redoutable) homme d’affaires chinois, mais celle-ci, lors de leur périple en Amérique du Sud, ajoute sa satisfaction sexuelle au cahier de charges, il se soumet avec ennui sinon répulsion. Tony 2 s’est mué en braconnier, fondant tous ses espoirs sur la corne d’une femelle rhinocéros, sauf qu’il sombre dans des atermoiements sentimentaux avant l’acte, hésite, voit apparaître un autre chasseur, dénué de scrupules et cruel, le dégoût l’envahit et…

Ne déflorons pas les deux intrigues, qui ont à voir avec la gestion d’une sortie de route appuyée, qui en suit d’autres, des allures de mises en abyme spectaculaires du destin. Que vont-ils faire ? Et comment vont-ils gérer les conséquences de leurs choix ? Et vont-ils se rencontrer ? Vont-ils être confondus, chacun ayant son lot de casseroles et de menaces derrière lui ? Sont-ils unis par quelque lien secret ?

J’ai été illico séduit par la langue de l’auteur, sa consistance et sa modernité, son humour et son originalité. J’ai été ensuite impressionné par l’art de la mise du récit en scènes clés, à la fois cinématographiques et littéraires. Mais, in fine, j’ai été emporté par le mouvement orchestral de la narration, jusqu’à me passionner pour le devenir des personnages, la perception progressive de leurs essences psychologiques face aux rencontres désopilantes (Mme Mercedes en Argentine, le policier sud-africain Khumalo à Canton) et aux coups du sort.

En arrière-plan se dessine une vision sombre et décapante du monde moderne et de la mondialisation, du progrès et de la réussite, du pouvoir. A tel point que les divers personnages en acquièrent des dimensions métaphoriques. Toute l’histoire de l’Afrique, quasi, est résumée à travers le récit et les considérations de Khumalo. Quant aux deux Hanssen, nul doute qu’ils représentent les faces contrastées d’un Occident poussé dans les cordes, des « esclaves heureux » de la machine infernale qui mène le monde à coups d’algorithmes et de fake news, de consumérisme, vers quelque sinistre précipice. Les faces d’une même pièce ? Qui aurait à voir avec l’abandon des vraies valeurs, une déresponsabilisation, une régression vers le paradis (infernal) d’avant la pomme (et le choix, l’audace) ? Est-cela le destin de l’humanité ? Revenir avant le point de bascule qui l’a mythiquement fondée pour brouter dans l’hébétude ?

Pourtant, a contrario du cynisme ambiant, une leçon de sagesse humaniste s’infiltre discrètement :

« Mais une main sur la joue, c’était déjà beaucoup. C’était plus qu’il ne le méritait, trouvait-il. (…) Etonné de lui-même. Parce qu’il ressentait une chose qu’il n’avait plus éprouvée depuis longtemps, sauf pour Martine et Klaartje. Une préoccupation. Du souci. »

Un thriller économico-philosophique ? Un très bon livre en tous les cas, original et percutant. Qui appelle d’autres lectures.

Pour en savoir davantage sur l’auteur et son œuvre

Voir la fiche Wikipédia de Tom Lanoye :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Tom_Lanoye

Bonus : une anecdote !

Tom Lanoye est traduit en français par un Belge très réputé (et primé), Alain Van Crugten. Or ce dernier a été mon professeur à l’université (cours sur le préromantisme à l’ULB) mais il a surtout décidé de ma vie privée… en conseillant à ma future épouse, quelques années plus tôt, lors d’un intérim dans l’enseignement secondaire, de privilégier une candidature préalable en langues romanes avant une licence en journalisme (qu’elle ne fit jamais, restant à mon côté).

*

(3)

Nausicaa DEWEZ, Shéhérazade, père et fille, micro-essai, Lamiroy, collection L’article, Bruxelles, 2022, 43 pages.

Bien qu’Amélie Nothomb ne soit pas ou plus (car j’avais beaucoup aimé ses deux premiers romans) ma tasse de thé, j’ai lu pour Nausicaa Dewez, leur connexion (profonde) autrice/commentatrice, la curiosité d’un regard avisé et expert. Et… ?

Lisons d’abord l’éditorial du directeur de collection :

Ce que dit Maxime Lamiroy m’interpelle. Nos auteurs belges doivent-ils en passer par un attrait pour « une autre culture », « une autre terre natale » ? Amélie et le Japon, donc et soit. Mais je réalise soudain… Je lis présentement Vincent Engel, la passion pour l’Italie imprègne tant et tant son œuvre, sa vie (voir supra), or il se bat tant et plus pour notre microcosme, jusqu’à diriger la collection Belgiques chez Ker, ressusciter la revue Marginales ou initier le projet Liber Amicorum.

Ensuite ?

Nausicaa Dewez nous livre un texte agréable à lire, une perspective originale sur la romancière, ses œuvres, l’associant à des figures mythiques comme Shéhérazade mais Orphée aussi, Barbe-Bleue. Jusqu’à réussir à démontrer combien Amélie Nothomb, qui semble à bien des détracteurs superficielle ou artificielle*, entretiendrait in fine un rapport intime, viscéral avec le fait littéraire même. Jusqu’à justifier l’autofiction faussée ou réinventée. Le droit au secret. La littérature est-elle une sur-vie plus réelle et dotée de sens que la vie réelle ? La vraie vie ? Ou alors la littérature (l’art, plus généralement ?) est-elle ce qui peut sauver de « la seule vraie mort, qui est l’oubli » (Amélie Nothomb, Hygiène de l’assassin, pp. 181-182) ? D’où la mise en fiction du père Patrick Nothomb… Et la phrase finale de Nausicaa Dewez, qui sonne comme une profession de foi :

« Car l’écriture, la littérature donnent vie à tout ce qu’elles touchent et métamorphosent l’écrivain en démiurge. »

Eh bien, mission accomplie par le texte Shéhérazade, père et fille ! J’irai revisiter un de ces jours l’œuvre de la romancière, quitte à affronter mes préjugés.

* Michel Torrekens, qui a interviewé Amélie Nothomb, m’a confié avoir été frappé par sa sincérité.

*

(4)

Nathalie STALMANS, D’or et de grenat, roman, Samsa, Bruxelles, 226 pages.

Voir mon article dans Le Carnet :

Comme ce livre a décroché le Coup de cœur du Carnet, je lui offre ici quelques bonus, qui dépassaient les limites du format imposé.

Un récit féministe ?

La suite des tableaux historiques démontre à la fois, et par un faux paradoxe, à quel point les femmes ont été atrocement brimées et secondarisées à travers les siècles, mais aussi comment d’aucunes, subtiles et avisées, dictent la marche du monde depuis les coulisses. Dès le premier faux-chapitre, Basine et Geneviève volent la vedette au roi Childéric. Dans la suite, les protagonistes masculins sont souvent falots : le chanoine de la cathédrale de Tournai Philippe Chifflet ; son frère Jean-Jacques, médecin du gouverneur des Pays-Bas espagnols ; l’archiduc Léopold-Guillaume ; etc.. Les premiers rôles féminins, a contrario, impressionnent : Alexandrine mènera Félix par le bout du nez* ; la maîtresse du père de celui-ci perçoit la réalité des uns et des autres avec une lucidité confondante** ; la belle et intrépide vicomtesse Delphine de Nays-Candau réussit à échapper à Vidocq, fascine et émeut – mais finit par arborer une tonalité woke***-,  etc.).

* « Le plus simple (NDLA : songe Félix) serait qu’Alexandrine décide de tout. »

** « (…) je pense à notre pauvre Félix, un jeune homme brillant, rendu si fragile par les horreurs vécues (…) Félix donc sourit à son père (…) Et que ce sourire lui va bien. »

*** « Ces hommes, elle allait siphonner leur confiance en eux, les dépouiller de leurs atours, s’en moquer. »

Une deuxième Affaire du Collier !

Le fil 1831-1833 conclut le livre avec la percussion du premier texte. Un micro-thriller historique qui m’a rappelé le ténébreux complot ourdi contre le cardinal Rohan et la reine Marie-Antoinette, une préface de la Révolution française pour d’aucuns, starisant  l’aventurier Cagliostro et l’irrésistible Jeanne de la Motte. Mais aussi le feuilleton télévisuel Vidocq, dont la baronne sulfureuse, ennemie jurée du grand policier (et ex-bagnard), semble avoir été inspirée par Delphine de Nays-Candau.

L’épilogue du dernier fil narratif et du livre entier est réussi. Le trésor, fondu, va disparaître définitivement et, soudain, se croisent les deux dernières abeilles, portées en broches par la vicomtesse et son hôtesse genevoise, une descendante d’Adrien Quinquin, le paysan sourd qui a découvert le trésor en 1653. La boucle est bouclée, un parfum de Schnitzler (La ronde) et d’Ophüls (Madame de…) flotte dans l’air.

Que représentent les abeilles ?

Pour Basine, à l’origine de leur utilisation :

« En Thuringe, il s’agissait d’un symbole d’abondance et de vie éternelle. »

Pour Philippe Chifflet :

« Selon les mythes de l’Egypte ancienne, les abeilles seraient l’incarnation des larmes du dieu solaire Râ. Dans la pensée romaine, à en croire Virgile, les essaims seraient nés spontanément de la carcasse putride d’un veau. »

Pour Jean-Jacques Chifflet :

« Il en avait été convaincu sur-le-champ : ces abeilles aux ailes serrées étaient le véritable symbole des rois de France. A un moment donné de l’Histoire, elles avaient dû être mal dessinées et se transformer en fleurs de lys stylisées. »

Des abeilles métaphoriques

Le trésor et les abeilles incarnent la dilution du patrimoine et du souvenir, leur envol. Au départ, le trésor est conséquent : un squelette complet, un crâne plus petit, une outre avec des pièces, des armes rouillées (une lance, une hache de jet, une épée et un long couteau appelé scramasaxe), et des bijoux (un anneau sigillaire, trois cents abeilles, etc.). Mais, dès la découverte, il y a des vols, des détournements. D’autres suivront au fil des époques. La prédation et l’obscurantisme frappent partout et depuis toujours. Jusqu’à la disparition quasi totale de la merveille exhumée, qui se réduit aujourd’hui à peu de chose, dont deux abeilles.

Tournai au Ve siècle

On appréciera la balade dans un décor rarement entrevu :

« La cité (…) grouillait déjà d’activité. Des gens achetaient du pain et de la bière, des colporteurs et des prostituées arpentaient les rues poussiéreuses, des muletiers et des charretiers déchargeaient des sacs de grain. (…) Sur le quai, des porteurs attendaient les cargaisons. Les pêcheurs débarquaient leurs poissons tandis qu’un bon nombre de barges à fond plat amenaient des poules, du bois, divers légumes et, surtout, de la laine et du lin car les ateliers de confection de la ville étaient réputés. »

*

(5)

Luc DELLISSE, Parler avec les dieux, objet littéraire non identifié, Eléments de langage, collection O.L.N.I., Toulon, 2022, 66 pages.

Nous avons consacré des articles et des dossiers à Luc Dellisse, adoré son essai Libre comme Robinson ou son recueil de nouvelles Belgiques. Que nous livre-t-il cette fois ? Un OVNI. Enfin, un « O.L.N.I. », qui, comme le nom de la collection l’indique, est « un objet littéraire non identifié ». Ce titre ! Parler avec les dieux. Ensuite la quatrième de couverture :

« On reconnaît la divinité à ses pouvoirs mystérieux. Elle modifie la vie sans en avoir l’air. Elle laisse entrevoir un autre monde que le nôtre. C’est un sentiment diffus, un rêve, le souvenir d’un rêve. La divinité ressemble à l’amour. Elle fait rêver d’un infini dans les détails. Elle fait tourner la tête, puis s’éloigne les mains dans les poches. Son absence se referme comme l’eau d’un lac. Certains disent que la divinité n’est pas une race mais un moment. Que les dieux ne descendent pas du ciel pour se mêler aux humains. Que les dieux sont des humains saisis par un souffle magique, à un moment soudain d’une vie jusque-là banale. Que la divinité est en somme un accident. Un miracle imprévu, terrible. »

De quoi Luc Dellisse veut-il donc nous parler dans ce livre court, ces 50 textes répartis en 3 parties (Rues, Traces, Preuves) ? On entame la lecture. Des effluves de poésie, d’aphorismes, de philosophie nous balaient, mais ce n’est pas tout à fait ça, on est dans la prose, la pleine page, le concret. Des filets tissés en mots jetés sur des êtres, des situations pour en saisir, en extraire une poudre d’or ? Un gibier-licorne qui irait à l’encontre de ce que déversent nos écrans à longueur de journées ? Comme si le monde, in fine, ne se limitait pas à une comédie burlesque, une litanie d’horreurs (violence, prédation, vulgarité, égoïsme).

Luc Dellisse a raison et son Parler avec les dieux pose un acte citoyen, artistique fort, métaphorisant dans ses textes un « Ailleurs », un « Autrement » qui se faufilent depuis toujours et partout, tendant un étendard d’espoir, qui n’est pas chimères mais alter-réalité :

« Il s’agit de saisir ce moment d’intensité, avant qu’il ne s’efface. »

Des traces, des indices, des preuves. Incarnées dans des figures visibles :

« Personne au monde ne connaît aussi bien qu’eux le silence. Personne ne sait mieux ce qui peut s’échanger dans un bref moment d’éternité, sans un mot. Ils ont cessé de parler. Ils ne se taisent pas pour autant. »

Cette démarche rejoint mon malaise devant la récente production audiovisuelle où des séries, des films d’un noir absolu dépeignent un monde atrocement glauque. Et, ce faisant, nous mentent sur la réalité quasi tout autant que l’ère hollywoodienne Disney/Capra avec son rose bonbon. Ce qui n’est pas anodin. Car nos perspectives et nos attitudes s’éliment, se pervertissent. Mimétisme, peur de la candeur, de l’idéal… Or non ! Les ténèbres nous environnent, soit, mais il y a eu, il y a, il y aura des passeurs de lumière et de chaleur, des embrasements et des éclairs :

« Fuyant la foudre, ils auraient pris le chemin de traverse. Ils auraient mis du soin et du temps à se glisser tout doucement dans les failles du chemin. Ils auraient décidé d’être tout entiers dans l’instant. De ne pas avoir de projet, ni de certitude. »

Le secret de la vie, du bonheur, ne réside-t-il pas dans l’adéquation ? Au monde, à un autre, à l’instant ?

« S’arrêter le jour venu, au bon endroit, à la bonne place, retrouver l’autre, devenir un moment de son temps à lui, sortir de sa substance et entrer dans le moment délicieux de la communion par le rire. »

Luc Dellisse a-t-il écrit une sorte de manifeste a contrario des temps moroses (dérèglement climatique et catastrophes naturelles, retour des impérialismes et des populismes, pandémie et complotisme, etc.) ? Une ouverture de vie, loin du lourd pensum, un arc-en-ciel d’instantanés trouant lumineusement nos horizons ?

Pour en savoir plus sur l’éditeur…

http://www.elementsdelangage.eu/

Qui se définit ainsi :

« (…) éléments de langage est un comptoir éditorial indépendant spécialisé dans la littérature hors la loi du marché. Il ne recherche pas le profit mais de nouveaux espaces littéraires pour y faire résonner des voix singulières. Mettre le langage en réflexion pourrait être sa devise car il ne craint ni la pompe ni la blague. Il décortique les discours comme les crustacés, avec les doigts. Sa figure de prédilection pourrait être celle du retournement. Délibérément pyromane, il n’a qu’un but : mettre le feu à la langue de bois (ressource plus que renouvelable), pour dégeler les paroles et les laisser fondre sur vous, plus vives que jamais. »

*

(6)

Alexandre MILLON, Les heures claires, recueil d’instantanés, Murmure des soirs.

Voir mon article dans Le Carnet :

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(7)

Ziska LAROUGE, L’affaire Octavia Effe, roman policier, Academia.

Voir mon article dans le cadre de Lisez-vous le belge ? :

*

(8)

Marc QUAGHEBEUR, Belgiques, recueil de nouvelles, Ker.

Voir mon long article écrit dans le cadre de Lisez-vous le belge ? :

*

(9)

Charles BERTIN, Journal d’un crime, roman, Espace Nord.

Voir mon long article écrit dans le cadre de Lisez-vous le belge ? :

A noter que les livres de Charles Bertin et Marc Quaghebeur ont terminé dans mon Top 10 de 2022 et été évoqués aussi en radio :

(10)

Gérard BEDORET (dessin), Olivier CORTEN et Pierre KLEIN (textes), Une histoire du droit international, roman (essai) graphique, Futuropolis.

Voir mon article et mon coup de cœur dans Le Carnet :

Et une évocation en radio aussi, comme membre de mon Top 10 2022 (deuxième heure de l’émission, avec un problème de son pour ma partie) :

= = =

Et pour terminer… selon mon habitude, loin de toute analyse, dans le plaisir pur de la perception… un peu de poésie, quelques extraits puisés dans divers recueils, non commentés…

*

(11)

Yves NAMUR, N’être que ça, Lettres vives/collection Entre 4 yeux, Paris, 2021.

« (…) je cherche une maison ou une haie. Mais pas n’importe laquelle. La maison la plus éloignée, celle où l’on ne sait rien, celle où tout peut encore advenir. Quant à la haie, j’entends qu’elle accueille à la fois les oiseaux, les murmures, les silences et les heures creuses comme sont les nids ou les mains entrouvertes du pèlerin. »

« (…) une voix me parvient du dedans d’un livre que je tiens en mains : Le regard n’est pas le savoir, mais la porte. Voir, c’est ouvrir une porte. »

« (…) Naître, serait-ce savoir que quelque chose advient enfin, que quelque chose devient… et entre en soi ? »

« (…) Naître et écrire : le poète en parle souvent comme étant une seule et même chose. »

*

(12)

Philippe COLMANT, Maison mère, Bleu d’encre, Yvoir, 2022.

« Le soleil est tombé

Au bout du champ du jour.

Il est l’heure d’aller,

D’éteindre les miroirs,

De descendre en rappel

Dans le puits intérieur

Pour dans le creux des paumes

Boire un peu d’eau d’enfance. »

« Marcher allègrement

Dans les copeaux de vie,

Avaler le brouillon,

Alléger la besace,

Acclamer chaque rire

Et aérer le ciel.

A force de gravité

On s’appesantit trop

Sur l’essence des choses. »

*

(13)

Pierre YERLES, Élégies paisibles, Bleu d’encre, Yvoir, 2021. Avec une belle préface d’Alain Dantinne.

Cet homme, que je ne connaissais pas du tout (qui semble avoir été un professeur d’université – à Louvain – mémorable et s’avère le père du comédien Bernard Yerlès), se fend d’un premier recueil de poésie à plus de quatre-vingt ans, pour dire au revoir aux proches, aux amis, à la vie.

Pour en savoir plus sur le recueil, lire la belle recension de mon collègue Daniel Laroche dans Le carnet :

« Ainsi sont nées ces élégies

de mes quatre-vingt-trois ans

humble liturgie

de nos derniers instants »

« Comme avant tout voyage,

s’y préparer à temps, sans hâte,

même sans valise à boucler

ni billet de retour à quérir

(…)

Comme avant tout voyage,

du séjour prévu

préciser l’adresse :

la nuit étoilée

et l’herbe de futurs printemps

(…) »

« Tu te meurs Cyrano

mon grand ami mon frère

(…)

Tu te meurs

mais tu chantes encore

 la beauté des feuilles mortes

dans leur gracieux vol

jusqu’à la terre »

*

(14)

Pierre SCHROVEN, Preuves de la vie même, L’arbre à paroles, Amay, 2009.

« Que faire d’une minute de silence

Sur laquelle l’infini a déroulé ses fantasmes

C’est ma question

Quand je regarde par la fenêtre d’un poème

Posant son grain de folie

Entre les pages de ma vie endormie »

« Quand je danse

Je voyage

    j’ai des ailes

Qui n’attendent qu’un vent de folie

Pour courir les paysages du temps

A la recherche d’un monde

                        où le sol est absent »

« Où va cet instant

Qui s’allie à tout ce qui bouge

Et fait des signes dont on ne sait rien

Sinon qu’ils ont encore la force

                          de se sentir des ailes »

***

LES LECTURES d’EDI-PHIL #46 : TOP 10 des LECTURES BELGES 2022

Les lectures d’Edi-Phil

Numéro 46 (décembre 2022)

Coup de projo sur le monde des Lettres belges

sans tabou ni totem, bienveillant mais piquant…

Spécial Tops de fin d’année !

Top 10 des lectures belges 2022

Philippe REMY-WILKIN (par Pablo Garrigos Cucarella)

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(1)

Vincent ENGEL, Retour à Montechiarro, roman, Le livre de poche/Fayard, Paris, 2001, 725 pages.

Alain BERENBOOM, Hong Kong Blues, roman, Genèse éditions, Bruxelles/Paris, 2017, 317 pages.

(3)

Charles BERTIN, Journal d’un crime, roman, Espace Nord, réédition 2022 d’un texte édité en 1961, Bruxelles.

(4)

Gérard BEDORET, Olivier CORTEN et Pierre KLEIN, De Salamanque à Guantanamo, une histoire du droit international, BD, Futuropolis, Paris, 2022, 251 pages.

(5)

Marc QUAGHEBEUR, Belgiques, recueil de nouvelles, Ker, Hévillers 2022.

(6)

(7)

Bernard ANTOINE, Aquam, roman, Murmure des soirs, Esneux, 2022.

Jean-Pol HECQ, Mother India, Des nouvelles de l’Inde, recueil de nouvelles, Genèse, Paris/Bruxelles, 2022.

(8)

Luc DELLISSE, Belgiques, 2021, 137 pages.

Laurent DEMOULIN, Belgiques, 2021, 142 pages

(10)

Frédéric SAENEN, Camille Lemonnier, Et s’il entrait dans la Pléiade ?, Lamiroy, collection L’article, Bruxelles, 2021, 44 pages.

=

J’ai parlé de tous ces livres en 2022 dans ma mini-revue Les lectures d’Edi-Phil, de quelques-uns aussi dans Le Carnet (Bédoret/Corten/Klein, Antoine, Hecq) ou lors de l’opération Lisez-vous le belge ? (Bertin, Quaghebeur). Un seul, Montechiarro, a été passé sous silence car un gros dossier est mis en réserve pour une revue prestigieuse, à paraître en mars 2023.

Philippe REMY-WILKIN.

LISEZ-VOUS LE BELGE ? L’AFFAIRE OCTAVIA EFFE de ZISKA LAROUGE (Academia) par PHILIPPE REMY-WILKIN


Les Belles Phrases participent, pour la deuxième année consécutive, à l’opération Lisez-vous le belge ?

En connexion, cette fois, avec l’émission littéraire de Guy Stuckens Les rencontres littéraires de Radio Air libre.

La campagne de cette troisième édition court du 1er au 30 novembre 2022. Elle est organisée par le PILEn, nos contacts y étant Flore Debaty (chargée de mission) et Nicolas Baudoin (chargé de programmation).

Rappel des objectifs de l’opération :

« (…) célébrer la diversité du livre francophone de Belgique (…) faire (re)découvrir au grand public, toutes générations confondues, un panel varié de genres littéraires : du roman à la poésie, de l’essai à la bande dessinée, des albums jeunesse au théâtre ».


Ziska LAROUGE, L’affaire Octavie Effe

Couverture L'Affaire Octavia Effe

Il s’agit d’un roman de 165 pages, publié par Academia, à Louvain-la-Neuve, en septembre 2022, dans la nouvelle collection Noirs desseins, dédiée aux polars « teintés d’un joli accent belge ».


On entre aisément dans le récit. Un coup de fil est reçu par la gendarmerie de Telloure, dans le Gers. Une dame signale un accident de circulation, la présence d’un motard casqué inerte, ensanglanté, et la fuite apparente d’une voiture rouge. Ce qui pourrait se réduire à un banal fait divers prend rapidement un relief plus escarpé. L’homme n’est pas mort mais plongé dans un coma profond. Il se révèle être le mari, ô combien mystérieux et caché, d’une autrice mondialement célèbre, Octavia Effe, qui a elle-même disparu. Le relief se fait bientôt vertigineux : le mari avait lui-même loué la voiture qui l’a renversé et… il n’existe pas (officiellement : il n’est pas répertorié dans les fichiers de la gendarmerie).

Un thriller gouleyant

Le mystère et le suspense s’ancrent d’entrée dans la lecture, la tension se faufile et l’appétit du lecteur, qui tourne les pages avec jubilation, d’autant que l’écriture est alerte, la narration fluide, juxtaposant un accent sociologique à la trame policière.

La suite ? Ne déflorons pas l’intrigue, qui nous mènera à Genève ou à Bruxelles, auprès des millions envolés de l’autrice ou d’un père très inquiétant. Divers suspects se profilent, des ombres rôdent. Autour de la propriété d’Octavia, dans l’hôpital où on soigne le blessé, au sein même de la gendarmerie…

Des personnages attachants

Deux couples retiennent notre attention, celui formé par les chefs de l’enquête Joy Froissart et Michaël Cornillac, cet autre constitué d’une gendarme, Jessica, et d’une infirmière, Cora. Dans les deux cas, un membre du duo est en crise profonde mais l’autrice creuse davantage le sillon Joy/Michaël, nous plongeant dans les affres de la dépression post-partum. Qui n’empêche pas (ou favorise ?) l’investissement croissant de Joy pour son enquête. Jusqu’à paraître progressivement possédée par les récits d’Octavia Effe. Jusqu’à se confronter à de déchirants paradoxes. Elle se révèle incapable d’accorder la moindre attention à sa petite Lynette mais, s’identifiant à l’héroïne récurrente de la disparue, elle semble se tromper d’enquête et chasse frénétiquement le tueur d’enfants au cœur des huit tomes de la série littéraire. Folie ou… ? Il est vrai que les ouvrages possèdent de troublants prologues, des allures de récit-cadre issu d’une autre réalité :

« Au début, l’assassin dormait beaucoup. Il lui semblait qu’il avait des années de sommeil à rattraper. Sans doute était-ce le cas. Parfois, il regardait la femme, et l’envie de la tuer le prenait. Elle s’en doutait, cela se voyait à la légère crispation sur son visage, mais elle se contentait de l’observer en retour avec curiosité. »

Et si…

Ma conclusion ?

Fidèle à sa manière d’écrire et de raconter, Ziska Larouge, avec L’affaire Octavia Effe, nous a à nouveau offert un roman sans temps mort, tonique et varié. Où défilent les registres (mail, SMS, fragment de roman de la disparue, scène de film, article Wikipédia, etc.) et les tons (thriller, humour, psychologie, degré ludique avec les indices à tamiser, les clins d’œil au réel – entre autres, « Effe » est le pseudonyme d’Effira… comme notre Virginie nationale).


Pour en savoir davantage sur Ziska Larouge et ses livres…

J’ai précédemment évoqué deux de ses romans, tous deux parus chez Weyrich :

Hôtel Paerels :

https://karoo.me/livres/le-printemps-du-livre-un-must

La grande fugue :

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D’autres livres évoqués par Les Belles Phrases durant l’opération Lisez-vous le belge ?

. Les sœurs noires (roman policier situé à Tournai) :

. Le journal d’un crime (roman policier patrimonial) :

. Belgiques (recueil de nouvelles) :

2 ou 3 autres articles suivront encore, de Jean-Pierre Legrand et Éric Allard…

Edi-Phil, alias Philippe REMY-WILKIN.


LES LECTURES d’EDI-PHIL #45 (octobre 2022) : COUP DE PROJO sur LES LETTRES BELGES

Les lectures d’Edi-Phil

Numéro 45 (octobre 2022)

Philippe REMY-WILKIN (par Pablo Garrigos Cucarella)

Coup de projo sur le monde des Lettres belges

sans tabou ni totem, bienveillant mais piquant…

A l’affiche :

trois romans (Michel Joiret, Sylvie Godefroid, Philippe Fiévet), deux micro-essais (Kate Millie, Frédéric Saenen), un récit de vie (Samuel Herzfeld), une parodie (Roger Lahu/Éric Dejaeger), une maxi-nouvelle (Thierry-Marie Delaunois), des fragments (Montaha Gharib, Louis Mathoux, Martine Rouhart) et un texte (Claude Donnay) poétiques ;

les maisons d’édition M.E.O., Le scalde, Lamiroy, Jourdan, Gros textes, L’arbre à paroles et Bleu d’encre.


(1)

Kate MILLIE, Emile Verhaeren, Balades dans les pas du poète, Lamiroy, collection L’article, Bruxelles, 2022, 39 pages.

L’aspect graphique de cette collection (mensuelle), L’article, ne me séduit pas autant que celui de cette autre, L’opuscule (hebdomadaire, fictionnelle) du même Lamiroy, mais je suis enthousiaste quant à la conception globale, au suivi éditorial.

De quoi s’agit-il à chaque fois ? D’un micro-essai, d’un long article ou d’une sorte de dérive autour d’un auteur, d’une autrice.  Prenons trois cas très différents. Véronique Bergen, évoquant Jacques De Decker, avait tenté de réaliser un portrait le plus complet possible du personnage, quitte à s’avérer très synthétique, des allures d’article encyclopédique transcendé par une écriture intense et flamboyante. Un Frédéric Saenen, a contrario… mais j’en parle plus bas. Ici, Kate Millie nous emmène à travers une série de lieux en rapport avec la trajectoire de Verhaeren (1855-1916). Verhaeren ? Les villes tentaculaires, Les campagnes hallucinées… Un ami de la reine Elisabeth… Cette mort épouvantable, quand ce chantre de la modernité, trop pressé, s’est avancé le long d’un quai, a glissé, s’est retrouvé sous un train…

Maxime Lamiroy, le directeur de collection et fils de l’éditeur, a remplacé une préface traditionnelle par une prose poétique, une esquisse de portrait, une très belle réussite, dont je vous livre les premières lignes :

« Sur la plage de galets, se détachant de l’ombre des cargos rassurants, de ces monstres toujours dérivants, se traîne une figure déchue. »

Cette « figure déchue », Kate Millie la ressuscite, réussissant la gageure, tout en nous distrayant et instruisant, de nous précipiter dans un appétit de lecture, de redécouverte de celui qui fut l’orgueil de la nation, adulé par les plus beaux esprits européens du temps (Rilke, Zweig, etc.) :

« Sa poésie est magnifique. Musicale. Lyrique. Vibrante. Imagée. Ses mots sont à la fois doux et ardents. Ses engagements, vigoureux, intemporels ont secoué plusieurs générations. »

En filigrane, l’autrice nous offre une utopie à laquelle nous accrocher : il fut un temps, bref mais ô puissant et fécond, entre la fin du XIXe siècle et le début du XXe, où la Belgique produisait quasi la meilleure littérature du monde. Comme il avait été un temps où elle avait dominé, des siècles durant, la peinture (ce qui est mieux connu) ou la musique (ce qui est totalement ignoré).

Ce faisant, Kate Millie nous confronte à une anomalie belge, cette faculté d’oubli, de négligence du pays pour ses enfants les plus brillants. Et on ira ensuite se plaindre de notre identité délavée et de nos complexes face à la Hollande, à la France… Mais c’est Mozart qu’on assassine chaque jour en notre (si) plat (plat même où il y a des bosses) pays, qu’il s’appelle De Coster ou Lemonnier, Verhaeren ou Gevers, etc.

Alors quittons-nous en relisant quelques vers d’Emile Verhaeren, grand auteur mais grand humaniste en sus :

« Les rails ramifiés rampent sous terre

En des tunnels et des cratères

Pour reparaître en réseaux clairs d’éclairs

Dans le vacarme et la poussière.

C’est la ville tentaculaire. »

(La ville, dans Les campagnes hallucinées, 1893).


(2)

Frédéric SAENEN, Camille Lemonnier, Et s’il entrait dans la Pléiade ?, Lamiroy, collection L’article, Bruxelles, 2021, 44 pages.

Dans son Editorial d’ouverture du livre, le directeur de collection Maxime Lamiroy, qui décidément ne parle jamais pour ne rien dire, infiltre une sorte de micro-manifeste :

« Le lecteur belge ou français ne découvre pas Molière ou Zola. Le nom et l’œuvre sont connus, un passage obligé. (…) Qu’un auteur aussi magistral (NDLR : que Lemonnier) soit ignoré de son propre peuple, qu’il ne soit pas inclus dans les programmes scolaires aux côtés des auteurs français, voilà ce qui scandalise le lecteur belge (NDLR : ô rare !). L’œuvre oubliée de Camille Lemonnier est le symbole même de notre ignorance et de notre désintérêt pour notre propre culture. »

Et Maxime Lamiroy de rejoindre ma vision de notre nation belge (francophone ?), « le peuple vagabond et sans attaches d’une terre d’exil ».

Passée l’observation lucide et (faussement, vu que le directeur de collection lutte, résiste avec fougue en publiant le texte qui suit) désenchantée, place à Frédéric Saenen, qui apporte une réponse tonique au débat via un texte très original. On s’attend à un micro-essai sur Lemonnier et on se retrouve de plain-pied au côté de l’auteur contemporain venu défendre un projet éditorial à Paris face à la responsable de la prestigieuse Pléiade. Un fragment de récit de vie ? Une relation journalistique ? Un embryon de pièce dramatique ? Le texte qui se déploie est aussi difficile à décrire qu’aisé, enthousiasmant à lire.

C’est que… l’air de ne pas y toucher… en narrant la rencontre d’une Parisienne et d’un Liégeois… Saenen nous livre un micro-choc des civilisations, qui juxtapose envie de se mieux connaître et éléments de barrage, l’idéal artistique et la rentabilité commerciale, etc. Le dialogue, vif et enjoué, permet d’infiltrer une série d’arguments, d’observations, de réflexions, de contrepoints qui relèveraient de l’essai ou du manifeste mais ils percutent d’autant mieux qu’ils sont incarnés et joués. Les mérites comparés de Zola et Lemonnier, les spécificités de ce dernier par rapport aux Belges pléiadisés Simenon, Yourcenar et Michaux (une belgité plus marquée, plus authentique) ou à celui qui pourrait l’être avant lui, Charles De Coster (l’auteur de notre plus grand livre, l’Ulenspiegel), la vie éditoriale contemporaine, le « complexe belge » et les responsabilités de notre manque d’identité, la place de nos Lettres dans l’histoire des Lettres françaises, les dérapages d’une biographie, quand il convient de discriminer essentiel et contingent, les mérites des plus grands titres mais des perles ignorées aussi, etc.

Ah, comme notre regretté Jacques De Decker eût apprécié ce texte, forme et fond, qui m’a rappelé ses Philosophes amateurs. Ou la démarche de l’auteur, lui qui prisait tant la résistance face à l’oubli. Et il y a encore que l’homme Saenen séduit et émeut, se battant énergiquement pour un projet tout en refusant d’être envisagé comme un expert idéal, ou ressentant, in fine, le besoin d’aller se recueillir sur un lieu mémoriel.

Ecoutons les derniers mots d’un auteur qui ressuscite le sens de l’engagement ou la notion la plus pure et concrète de l’intellectuel :

« Lemonnier dans la Pléiade, ce serait une résurrection, pas du tout un coffrage stérilisant. Il faut maintenant que l’idée fasse son chemin, plaise et surtout convainque. Elle ne m’appartient déjà plus, et sa destinée devient à son tour le jouet de forces invisibles. Ainsi en va-t-il de toute littérature, et c’est très bien comme ça. ».  

Puisse Frédéric Saenen être entendu !


(3)

Michel JOIRET, Stella Maris, roman, M.E.O., Bruxelles, 2022, 176 pages.

Le pitch

Damien De Man ne se remet pas de la mort de son épouse Adèle et se perçoit dans un abandon complet, celui qu’il a connu avant l’arrivée de celle-ci dans sa vie. Quand il ne se remettait pas de la mort de sa mère, du départ de son père.

Eléments singuliers et policiers : le père a disparu après le meurtre de l’une de ses compagnes, Lucie. A-t-il tué cette femme qu’il semblait adorer et dont Damien entrevoyait qu’elle pourrait être une mère de substitution ?

Direction la Côte belge et Ostende, où Damien, comme son père, comme tant de De Man avant eux, a été l’élève des Frères lasalliens. Enquête chez les bons pères, donc, qui conduira à rebours jusqu’à l’époque napoléonienne. En passant par la résidence Stella Maris où Damien a été si heureux en couple. Pour démêler les fils de sa vie, en remontant à cet avant-Adèle, qu’il a mis entre parenthèses durant leur histoire commune.

Au deuxième regard…

Il sera question d’une malédiction familiale et d’atmosphères picturales, notre protagoniste se baladant entre des tableaux dignes d’Ensor (le Bal du Rat mort) et de Spilliaert, croisant une guide d’origine indienne, Neela, qui présente un contrepoint de vie, d’altérité voire de futur possible.

Stella Maris s’avère un beau livre ! Bien écrit et mystérieux :

« Il ferme les yeux. Les flots dans sa tête se mettent à rugir, il se voit les bras tendus tout au bout du brise-lames où mille chiens de mer se disputent ses fragments contradictoires. »

Un livre qui juxtapose les saveurs. L’enquête policière, l’intrigue amoureuse entrevue, mille lieux nous parlent mais, au-delà du premier degré, s’érigent des interrogations essentielles sur le sens de la vie, la manière d’être au monde, de se remettre sur les rails de l’adéquation à celui-ci.

Plus intimement…

Voilà un livre qui m’a troublé ! Plus que diverti, troublé. C’est que… dans ma vie d’auteur, j’ai écrit et publié en 2021 un Encres littorales, mon ouvrage le plus court (30 pages) dont Stella Maris m’a semblé, à tort ou à raison, un possible prolongement, comme le deuxième pan d’un diptyque qui aurait débuté par mon récit.

Dans les deux cas, un homme abandonne Bruxelles (et tout) pour venir errer au littoral, un littoral qui conjugue mise en abyme de notre belgité et de notre histoire nationale, creuset de nos enfances et de mille souvenirs individualisés aussi.

« Errer » ? Il faut s’arrêter sur le terme ou son sens. Car les deux errances, d’une part, s’inscrivent dans une atmosphère profondément ostendaise (Spilliaert chez moi, le même mais Ensor en sus pour Michel Joiret) ; d’autre part, il s’agit d’errances accoudées à un sens, une enquête (policière), une quête (identitaire).

Deux livres jumeaux ? Oui et non. Il y a une foultitude d’ingrédients communs mais les traitements sont très contrastés. J’avais choisi de resserrer au maximum mon intrigue, privilégiant l’intensité ; mon collègue a élu le temps long, la profondeur de l’imprégnation. Avons-nous offert en chorus une leçon de narration et d’écriture ou, plutôt, pour parler plus modestement, ouvert un sillon de réflexion sur le domaine littéraire ?

Troublé, donc, et ému, certainement bousculé par la subjectivité et le fantasme de la fraternité d’âmes, j’aimerais croire que le livre de Miche Joiret se situe dans un temps postérieur au mien. Mon ouvrage évoque un homme qui quitte tout pour chercher une femme, or, dans Stella Maris, un homme a trouvé la femme idéale mais, après des années de vie conjugale, il l’a perdue, il en est aussi éperdu que le mien mais, au lieu de se laisser aller, il agit, réagit, décide de reprendre le cours de sa vie en amont, de creuser les mystères qui ont traumatisé sa jeunesse… avant la rencontre de l’aimée. Cette dimension m’a paru très originale et éthique, courageuse. Comme une ode à la vie et au récit de vie vers lequel on doit tendre, le supplément de sens et d’âme qui doit venir colorier nos actes et pensées.


(4)

Sylvie GODEFROID, Salsa, roman, Le scalde, Bruxelles, 2022, 191 pages.

Qu’annonce la présentation éditoriale officielle ?

« Temps en apnée, heures élastiques et plongée comateuse pour un rendez-vous manqué. Dans la prison de son corps, Sophie crie au secours. Nul ne l’entend. Ni Amandine, sa fille prostrée à son chevet, ni l’équipe médicale au pronostic pessimiste. Que divulgue son amie ? Où se cache Luis, son amoureux cubain ? Seule, sur son lit d’hôpital, sous la caresse de draps rêches, souvenir d’une plage de sable fin, sa mémoire danse la salsa des robinsons.

Entre confidences, délires et procès d’assises, Sylvie Godefroid nous offre un nouveau roman, l’occasion d’une réflexion sur la peur, le manque, le doute, la honte et la culpabilité. L’auteure explore les relations transgénérationnelles. »

L’art de Sylvie Godefroid

La postface de Pascal Vrebos évoque « une véritable romancière ». Ce qui m’interpelle.  C’est que le roman est ma religion, comme lecteur, comme auteur… C’est que j’ai déjà beaucoup médité sur les différences qui séparent un Proust d’un Giono, un Flaubert d’un Dumas, un Modiano d’un Werber. Ces auteurs, répertoriés comme de grands romanciers, ne répondent pas aux mêmes paramètres, au même cahier de charges, je pressens que Pascal Vrebos et moi partons de perspectives contrastées mais tout autant légitimes, je sais qu’il n’est pas nécessaire non plus qu’un roman soit un « véritable roman », au sens où moi je l’entendrais, pour être un ouvrage intéressant, réussi, brillant ou pas.

Soyons plus concret. Prenons deux auteurs dont les trajectoires pourraient a priori se rapprocher. Claude Donnay et Sylvie Godefroid, depuis des décennies, sont des poètes, puis tous deux se lancent dans le roman. Mais. Claude, face à chaque chantier au long cours, plante un nouvel univers, se laisse investir par des personnages autonomes, qui lui échappent et jouent leurs cartes, il crée une fiction, un décor, des enjeux extérieurs. Sylvie, a contrario, élabore une situation de départ (inventée, rencontrée, vécue ?) à laquelle elle pourra arcbouter des mots et des saillies, des sensations et des réflexions personnelles, des souvenirs, des projections de son vécu, de ses aspirations, etc. On pourrait dire, en caricaturant, que Claude se fuit pour découvrir l’altérité quand Sylvie se cherche, décalant tout ce qui la touche (Cuba, la salsa, la relation avec une jeune femme de l’âge de sa fille, etc.).

Sylvie est une poétesse ! Avant tout ! Ce qui éclate dès la première page, les premières lignes :

« Que de temps perdu au piano des apparences ! »

Un peu plus loin :

« Parfois je glissais sous tes pieds le tapis volant qui manquait à tes voyages. »

Sylvie, pourtant, écrit un roman (Pascal Vrebos a retenu les ingrédients qu’elle utilise et moi plutôt la manière dont elle les convoque), écrivaine en quête de progrès, de renouvellement, de défi, elle juxtapose plusieurs écritures, au moins deux, osant la vitesse narrative et la modernité :

« Satanée course contre la montre. Vendredi pourri. »

Il y a aussi un fond Sylvie Godefroid, l’assurance de retrouver des interrogations et des indignations de l’autrice, des retrouvailles avec ses traumatismes de jeunesse, une volonté d’authenticité, qui la pousse à gratter sous son apparence ou ses pulsions. Jusqu’à oser soupirer devant la dégradation par les années, exprimer une répulsion pour un physique, une odeur, une situation, loin du formaté ambiant, du politiquement correct :

« Je n’ai pas envie d’être gentille, pas aujourd’hui. ».

In fine, Sylvie Godefroid offre des pages habitées, qui multiplient les saveurs (plaisir du mot ou de la phrase, passage méditatif ou informatif, infiltration d’un suspense sur la situation exacte de la narratrice).

La narratrice

Oublions les interactions avec l’autrice, l’autofiction perçue (à tort ou à raison) et concentrons-nous sur son rôle dans la fiction.

On part d’une situation qui rappelle un thriller récent de Barbara Abel, soit une femme qui, en apparence, a sombré dans un coma profond, un état végétatif. Sauf qu’ici ce qui importe, ce ne sont pas les personnages tournant autour du légume mais le légume lui-même qui, pour un légume, pense beaucoup mais beaucoup, de manière élaborée. Un faux légume, alors ? Parce que beaucoup plus vivant, imaginatif et réactif que la plupart des vivants ?

Il y a évolution du statut de la narratrice. Infiltration d’indices, de notations singulières (allusions, par exemple, à un procès d’assises) ouvrant d’autres possibles.

Et si… Et si les éléments mis sous notre nez n’étaient pas ce qu’ils semblent être ? Et si ce livre nous faisait glisser vers un tout autre univers, hanté par des Rossano Rosi ou Carino Bucciarelli, soit un univers de faux-semblants, une ère du soupçon, un basculement du réel ? Mais n’en disons pas plus, pour ne pas corrompre l’appétit du lecteur.

En clair ?

Le livre se lit aisément tout en mixant les écritures et les accents, de l’autofiction au thriller en passant par le sociologique, tout en faufilant la complexité. Mais il y a beaucoup plus essentiel : ce récit interroge sur l’adéquation (au réel, au monde, à l’autre, enfant ou mari, amant, lieu de vie), qui est la clé d’une existence, un serpent de mer, l’Eldorado, le seul. Jusqu’à en acquérir une dimension allégorique. Qui pourrait n’être ni le fruit du hasard ni celui d’une volonté.  Mais alors ? Un bonus collatéral ? Le fruit d’un engagement viscéral, d’un don de soi, qui, seul, permet de passer dans une autre dimension ?


(5)

Samuel HERZFELD, Jürgen Löwenstein, destin d’un enfant juif de Berlin, récit de vie, Jourdan, Waterloo/Paris, 2022, 135 pages.

Mon fils et moi nous sommes beaucoup impliqués dans la réussite du projet de Samuel, un ami. Il m’est donc difficile, déontologiquement, d’en parler. Mais je dois y faire écho, c’est un livre si intéressant, une démarche si admirable (celle d’un jeune trentenaire tombé en amitié avec un survivant de la Shoah).

Alors ?

D’une part, je vous renvoie à ce que dit l’éditeur :

Jürgen Löwenstein, destin d’un enfant juif de Berlin

D’autre part, à ce que disait notre ami Guy STUCKENS dans sa présentation de la fin août 2022 (émission Cocktail Nouvelle Vague, sur Radio Air-Libre, avec lecture des pages 71-72) :

« C’est l’histoire d’une rencontre : celle d’un adolescent, Samuel Herzfeld, en vacances en Israël avec ses parents, et d’un rescapé des camps nazis qui y a refait sa vie.

Après la guerre, comme beaucoup de rescapés, Jürgen Löwenstein s’est enfermé dans le silence. Il n’a jamais parlé de la Shoah à ses filles, mais, à la surprise de celles-ci, il répond à sa petite-fille, qui le presse de questions sur cette période. De là part sa prise de conscience du besoin de témoigner. Là où d’autres ont tenté d’oublier, tant bien que mal, ce qu’ils ont vécu, rongés par le remords d’être toujours vivants et la crainte de ne pas être crus, Jürgen se souvient. Et même à chaque page, comme le fait remarquer Marianne Sluszny dans sa préface.

Ce n’est certes pas le seul livre consignant la Shoah, l’histoire et le destin de certains survivants. Mais celui-ci présente la particularité de nous parler aussi de la vie d’avant les camps, de la manière dont un survivant s’est reconstruit après avoir émigré en Israël.

Avant.

Dès l’adolescence, Jürgen participe à des camps de la Hachscharah (« préparation » en hébreu), dont le but est de former des jeunes Juifs à la vie future en Israël. Comme il n’a pas beaucoup de contacts avec ses parents, il ne souffre pas de leur éloignement.

Vivre à Auschwitz et dans les autres camps nazis est inimaginable. C’est comme vivre sur une autre planète. Il ne faut pas penser au présent, mais l’espoir fait vivre. Il y a moyen de survivre grâce à la solidarité apprise avec la Hachscharah.

Après.

Comme il s’y était préparé dès avant la guerre, Jürgen a rejoint un kibboutz communiste en Israël. La vie y est dure et les résultats ne correspondent pas à ce dont les kibboutzim avaient rêvé. L’idéal de ces pionniers va lentement s’effilocher. Lui qui avait refusé de retourner en Allemagne comprendra la nécessité d’aller témoigner devant les nouvelles générations.  

Jürgen Löwenstein, destin d’un enfant juif de Berlin n’est pas un roman mais un témoignage, recueilli par Samuel Herzfeld, illustré de nombreuses photos. Néanmoins, la manière dont ce jeune auteur (il a une trentaine d’années) nous présente son récit ne manque pas de qualités littéraires. Malgré son objet tragique, l’auteur nous donne envie de connaître la suite : on veut savoir comment le jeune Jürgen va s’en sortir, comment il va échapper à la mort et refaire sa vie après la guerre.

La conclusion du livre est claire :

« Hitler est mort, le Troisième Reich s’est effondré. Mais le peuple d’Israël vit ».

Le livre commence par un poème de Primo Levi et se termine sur une citation de Martin Gray, deux des premiers survivants à avoir témoigné de l’horreur des camps nazis. »

Also sprach… Guy Stuckens.

Entretemps, le déferlement russe en Ukraine aura ramené sous nos yeux hébétés l’horreur des années 1930/1940, et ces mots qu’on espérait disparus, ou amenuisés, comme « purification », « éradication », « camps de filtration », « déportation », etc. Ce faisant, ce livre en acquiert une nouvelle dimension : il porte témoignage sur des invariants, soit des mécanismes qui se sont produits, se produisent et se produiront toujours, en rapport avec la nature même de la gent humaine. Ce qui nous oblige définitivement à la lucidité et à la résistance.


(6)

Thierry-Marie DELAUNOIS, Syncope, maxi-nouvelle, Lamiroy, collection Opuscule, Bruxelles, 2018, 39 pages.

 Au départ, le style m’a surpris. Positivement. Osant rompre avec un certain académisme, suivant le rythme de la pensée. Ensuite, je note la simplicité globale. De l’écriture, de la narration. On lit aisément. Une aventure angoissante. Entre relents policiers et horrifiques. Une fillette a disparu. Mère affolée. Suspects envisagés. A côté, la forêt et d’autres dangers…

J’ai pensé un moment aux films initiaux de Romero, les premiers zombies, où la tension, le suspense naissent d’un rien, sans grands moyens. Ce qui renvoie, selon moi, à notre nécessité à tous/toutes, auteurs/autrices, de réviser parfois nos fondamentaux. Car la première règle d’un récit est de donner envie de suivre le cours de la ligne, de la page. Il faut conter !

Je ne déflorerai pas l’intrigue, ce qui serait criminel. Mais j’ai achevé avec la sensation que le récit pourrait s’intégrer dans une collection pour la jeunesse. Une observation positive : les jeunes attendent non une surenchère d’effets mais une histoire.


(7)

Roger LAHU et Éric DEJAEGER, Contre tous chacaux, A Tribute to Bob Morane, Gros Textes, Châteauroux-les-Alpes (France), 2022, 132 pages.

Une parodie décapante !

Voir mon article dans Le carnet :


(8)

Philippe FIEVET, Une colonne pour le paradis, roman, M.E.O., Bruxelles, 2022, 237 pages.

Un récit original situé dans la Syrie du Ve siècle.

Voir mon article dans Le carnet :


Et pour terminer…

…selon mon habitude, loin de toute analyse, dans le plaisir pur de la perception… un peu de poésie…

(9)

Dans la livraison estivale de la revue Bleu d’encre (publiée par la maison d’édition… Bleu d’encre de Claude Donnay, à Yvoir), son numéro 47, j’ai été happé par deux fragments :

. un haïku de Louis MATHOUX :

« Le béton pousse

  • Printemps de laideur froide

Sur nos regards »

. un extrait de Montaha GHARIB :

« Vis ta vie

En flagrant délit

De tous ses interdits »


(10)

Martine Rouhart

Sur Facebook, une poésie du jour, inédite, a attiré mon attention le 17/9/22. Elle émane, il est vrai, d’une autrice bien connue (poétesse, romancière, médiatrice), Martine ROUHART :

« J’ai mal au cœur

d’avoir parfois

si mal aimé

les embellies »


(11)

Claude DONNAY, Pourquoi les poètes n’ont jamais de ticket pour le paradis, L’arbre à paroles, Amay, 2022, 101 pages.

Le premier texte est épatant, avec sa perception aiguisée et sa résistance, mais je note la qualité du tout, jusqu’au contenant (le livre est un très bel objet), en passant par la présentation de Pierre Schroven.

POÈME POUR UNE ÉPOQUE ÉTEINTE

         Nous vivons une époque éteinte,

une vie de couvre-feu sous la cendre des villes et des rires,

une époque de portes borgnes et de voix assourdies,

de printemps rangé dans une boîte à trésors,

à côté d’une plume de cormoran, d’un marron chiffonné

et d’un sous-verre estampillé Bière d’Abbaye.

         Nous vivons une vie de l’instant étiré jusqu’à l’ultime brin,

un présent sans futur rapproché – pauvre grammaire, peau de chagrin.

Te rappelles-tu le doux corps à corps de nos doigts,

                                             le jeu secret de mes lèvres sur ton oreille ?

En ce temps-là, le temps lissait ses plumes sous nos caresses et

à visage découvert, je te mangeais le cou à la première

d’un blockbuster sirupeux, dans un cinéma sans peur.

         Nous vivons une époque éteinte, dis-moi

où vont les oies

                     quand elles désertent notre ciel ?

Dans quelle autre vie dansent-elles leurs ailes,

                     les oies qui enfoncent leur coin criard

dans le jour gris,

dans le temps éteint où nous flambons derrière nos fenêtres,

nos portes closes,

         où nous mangeons le pain des départs, le pain de l’exil,

         derrière les portes rougies au sang des souvenirs,

         nos portes closes sur les ondes, sur les voix,

                                             sur les solitudes câblées, connectées,

         nos portes closes, nos fenêtres poumons,

la vie réduite au cliquetis de nos doigts sur le clavier,

         aux visages tremblants dans l’écran solidaire,

                                             aux mots meurtris dans les écouteurs ?

         Nous vivons une époque éteinte,

mais moi je brûle à pleine peau,

                                 à peau  de soleil,

                                 à peau de couleur,

                                 à peau de papouilles et de silences sucrés,

je brûle en partance,  je brûle en absence, en confidence balancée,

en transhumance salon-chambre à dormir-troisième sans ascenseur,

je brûle d’un temps présent dans mon ventre, d’un présent à enfanter,

à déchirer, émietter au hasard des lèvres,

                     d’un présent à vivre entre les tenailles des mains,

                     qui prennent le monde, travaillent la terre et la chair,

je brûle à l’endroit et à l’envers, en coup droit et en revers,

je prends feu dans cette époque éteinte,

         petite et frêle lumière, que je tends par-delà les

confinements

et les discours sans,

         petit fanal dans la nuit pour appeler sans un cri,

et dire qu’il ne faut pas craindre la nuit,

                     qu’une simple flamme suffit pour croire au jour.

PS

Et zut ! La rubrique Le plat pays qui est le mien… de cœur, initiée en ce début 2022 avec Pieter Aspe puis prolongée avec David Van Reybrouck, est reportée au numéro suivant. Je me rattraperai en continuant mes leçons sur Babbel.

Edi-Phil, alias Philippe REMY-WILKIN.


LES LECTURES d’EDI-PHIL #44 (juillet 2022) : COUP DE PROJO sur LES LETTRES BELGES

Les lectures d’Edi-Phil

Numéro 44 (juillet 2022)

Philippe REMY-WILKIN (par Pablo Garrigos Cucarella)

Coup de projo sur le monde des Lettres belges

sans tabou ni totem, bienveillant mais piquant…


A l’affiche :

une biographie (Benoît Mouchart), un essai venu de Flandre (David Van Reybrouck), cinq romans (Nathalie Skowronek, Olivier Hecquet, Patrizio Fiorelli, Bernard Antoine, Alex Pasquier), une commémoration en discours (Académie RLLFB), un recueil de poésies (Arnaud Delcorte) ; les maisons d’édition Les impressions nouvelles, Ker, Murmure des soirs, F. Deville, Académie royale, Névrosée, L’arbre à paroles, Actes Sud et Grasset.


(1)

Benoît MOUCHART, A l’ombre de la ligne claire, Jacques Van Melkebeke entre Hergé et Jacobs, biographie, Les impressions nouvelles, Bruxelles, 2014 (édition originale en 2002), 222 pages.

J’entorse ! Auteur français ! Mais qui se donne à notre belgitude comme peu. J’avais déjà évoqué le merveilleux Emile Bravo, dont la reprise de Spirou, fait rarissime, est au niveau du modèle (Franquin), quoiqu’en rivalisant bien autrement. Mouchart, lui, nous a offert des livres sur des monuments de la BD belge : Greg, Hergé et Jacobs (en compagnie de François Rivière, réédité augmenté tout récemment, encore aux Impressions nouvelles de… Benoît Peeters, cet autre Français acquis à Bruxelles, la BD belge, notre microcosme).

Très bon livre dès le titre, des allures de mise en abyme : on va évoquer une personnalité qui, a priori, révulse et attire, un homme condamné comme collaborateur après la Deuxième Guerre mondiale mais auquel on devrait, selon diverses rumeurs, une grande partie de nos plaisirs d’enfance, un fragment de l’étoffe dont notre imaginaire belge est tissé. Un traître et un enchanteur ?

Le livre va étudier très précisément l’itinéraire de l’artiste, de son enfance dans les Marolles à sa carrière internationale comme scénariste et metteur en scène de romans-photos. Edifiant, si je puis dire, passionnant, émouvant, obligeant à méditer sur la responsabilité, le sens de la vie et de la réussite, etc. De qui parle-t-on ? D’un homme qui a voulu toute sa vie se définir et réussir comme peintre. Qui a été critique aussi, féroce. Journaliste dans Le soir volé (par les Allemands), etc. On parler surtout d’un homme qui serait à l’origine des aventures de Blake et Mortimer (…et le modèle physique de ce dernier !), qui aurait écrit ou participé (un peu, beaucoup, à la folie, pas du tout ?) aux scénarios de ceux-ci, aux récits de Tintin, de Corentin, d’Hassan et Kaddour, etc. Qui aurait été le 5e mousquetaire des débuts de l’hebdomadaire Tintin, celui qui inspirait les 4 autres (Laudy, Jacobs, Hergé, Cuvelier). Un fantôme des planches belges, somme toute.

Son itinéraire pose des questions qui renvoient à l’essence de nos vies. Peut-on mener sa barque sans se préoccuper de ce qui se passe autour de nous ? Quel poids (et quelle sanction) attribuer à une faute ponctuelle (un article, UN SEUL, où il incrimine des résistants) provoquée par un contexte particulier ? Peut-on se tromper sur le sens de notre vie, ne pas percevoir où est notre réussite majeure (lui, il change l’histoire de la BD belge, intervient dans la création de nos mythes, mais méprise cet art mineur à ses yeux) et chercher la gloire dans un métier où l’on montre des limites (son talent est entravé, en peinture, par une incapacité à prendre en compte la modernité et la réflexion sur l’art) ? Son cas, bouleversant, renvoie à mille autres : Diana Rigg incarne de manière légendaire la plus grande héroïne de l’histoire de la télé mais elle snobe Emma Peele pour le théâtre et le cinéma avant de mesurer qu’elle a été le grand rôle de sa carrière ; Gainsbourg aurait voulu être peintre et méprise, relativement, la chanson ; Jacobs voulait être chanteur lyrique et devient le monument de la BD réaliste de l’Âge d’or ; Voltaire ne jure que par son théâtre et son épopée, il sera immortalisé par ses contes ; etc.

En filigrane aussi, toute l’ambiguïté d’Hergé, tantôt d’une générosité et d’une loyauté admirables, tantôt si rigide ou naïf. Les ombres de la ligne claire !


(2)

Alex PASQUIER, Le vitrail en flammes, roman, Névrosée, collection Les sous-exposés, Bruxelles, 2021, 166 pages.

Avant de plonger dans le livre, abordons un projet global, celui de la fondatrice des éditions Névrosée, Sara Dombret, de sa directrice de collection Anna Menese. Il s’agit de donner une nouvelle lisibilité à des autrices (le premier élan, d’où le nom de la maison, « Névrosée », pied-de-nez teinté d’autodérision dégainé en réponse à un certain machisme), des auteurs belges de talent abandonnés par les trompettes de l’Histoire. Un objectif positif, un acte de résistance éthique et citoyen, osons les grands mots, qui renvoie à des évidences amères : le peu de cas fait de nos talents créatifs par nos autorités publiques, l’oubli qui nous guette tous et toutes. Il n’est qu’à songer à tous ces noms, ces bustes croisés dans les galeries des académies…

Voir :

Le site de la maison d’édition : https://www.nevrosee.be/

Le discours de l’éditrice recoupe mon combat, celui de quelques camarades, une résistance à une anomalie, des allures de scandale :

On notera d’ailleurs avec regret que Sara Dombret ignore les efforts de notre plateforme Les belles phrases. Ou ceux d’un éditeur comme Samsa, d’une revue comme Que faire ?, etc., ce qui renvoie à l’immense difficulté du faire-savoir, à la nécessité de synergies.

Il ne suffit pas d’être animé par de belles idées, encore faut-il bien accoucher. Pari tenu ! Le livre est un très bel objet, dès sa couverture. Un Spilliaert en incrustation. Le restaurant, un tableau de 1904. Spilliaert ! Une passion flamande (ses peintures transcendent le premier regard porté sur 5 de mes livres) partagée avec plusieurs auteurs (Kate Millie, Evelyne Wilwerth, Claude Donnay, etc.) ou éditeurs (Gérard Adam, Christian Lutz) belges francophones. Spilliaert et la Spilliaerthuis au cœur de la narration de mon dernier micro-roman (Encres littorales, chez Lamiroy, 2021). Un très bel objet, du début à la fin, jusqu’à la quatrième de couverture, en passant par une mise en page soignée, un suivi éditorial impeccable.

Alex Pasquier

Né en 1888, cet avocat a écrit divers essais et romans, sans doute avec un certain succès : certains ont été réédités (celui que nous tenons en mains est sorti en 1930 aux éditions de La Gaule puis en 1941 chez Labor, en 1943 chez L’étoile) ; il a accédé à la présidence de l’AEB, l’association des écrivains belges de langue française. « Gloria fugit. » Pasquier, après sa mort, a glissé dans les limbes de l’histoire littéraire, seulement maintenu à la surface ténue du souvenir par l’existence d’un prix littéraire décerné par ladite société d’auteurs. Jusqu’à ce que…

Le secrétaire de l’AEB, Frédéric Vinclair, ayant eu un jour la bonne idée d’inventorier, trier les archives de l’association, a mis la main sur des trésors escamotés, documents, manuscrits. Notamment dudit Pasquier. Et Vinclair d’ouvrir le sillon d’une résurrection via une première publication (Le cerveau électrique), commentée, que nous avions applaudie dans cette mini-revue en 2020 :

La préface

Névrosée a tendu la plume ou le clavier à Frédéric Vinclair, qui se fend de 5 pages de présentation et de mise en contexte.

Le roman s’écarte de la production habituelle de Pasquier, délaissant les thématiques plus sociétales (le milieu estudiantin de la capitale, l’enfance fauchée par le malheur, la Première Guerre mondiale, etc.) pour une odyssée plus psychologique, individuelle. Sans doute faut-il percevoir un second degré, une ironie en filigrane du récit : à peine l’auteur a-t-il asséné (via son protagoniste) sa répulsion à l’encontre des romanciers jouant aux apprentis-psychologues qu’il délivre dans la foulée « exploration psychologique » et « description des sentiments », des allures de fragments d’un traité sur la conjugalité. Avec succès.

Le pitch

Vinclair, dans sa préface, nous livre une merveille de concision et d’intensité fluide :

« Depuis sept ans, dom Maxence Marvillac s’est cloîtré à l’abbaye d’Aubemont. Il s’est fait moine, après avoir mené une vie de compositeur qui ne lui promettait que succès. Il cache un lourd secret : sa conscience écartelée par le remords brûlant d’une passion amoureuse interdite et d’une rivalité fatale. »

Les années « de calme et de recueillement » dans un « enclos feutré » s’évaporent suite à un coup de tonnerre : la montagne, du Chamonix, a rendu le corps d’un disparu de ses amis. On croyait la mort accidentelle mais « sur le cadavre, des stigmates » dirigent à présent vers un meurtre, un autre ami, le grand ami de ses années de guerre, Fortier, est accusé. Or Marvillac en sait long sur le contexte qui a préludé au drame. Et il est appelé à témoigner.

La matière du livre

La structure est singulière pour un récit si ancien. Ou, plutôt, elle rappelle à quel point l’innovation, l’audace sont de tout temps, débutant bien avant le radicalisme du Nouveau roman, des siècles en arrière même, sans doute des millénaires. Pasquier, en l’occurrence, découpe son roman en trois parties fort distinctes, qui épousent des tonalités, des instances narratives, des rythmes différents. La première, très poétique, nous faufile de plain-pied dans un lieu hors du temps et de l’espace, Aubemont :

« D’argent noir dans le ciel rouge montent les tours du monastère ; de précision dans les flots des collines, de ferveur dans l’indifférence des solitudes. »

Il y a là comme le choc entre l’Idéal et le Matériel, représenté par l’irruption de l’actualité dans l’atemporalité : il existe un autre monde, de chair et d’os, de conflits, de passions, où un crime a eu lieu. La deuxième partie, la plus longue – le roman proprement dit, pourrait-on dire, enchâssé entre prologue et épilogue déguisés en parties -, nous projette dans le passé, avant le drame, tenue comme un journal de bord par un Marvillac qui s’appelle dorénavant (et s’appelait donc dans la vie réelle) « André ». Ses aventures en diverses villégiatures (Bretagne, Alpes), avec un groupe de camarades, nous plongent dans nos souvenirs de vacances, de voyages, quand tout est possible. Jusqu’au meilleur, jusqu’au pire. Mais ne déflorons pas le suspense. Quant à la troisième partie, elle apporte une conclusion et des réponses tout en se glissant astucieusement dans un allusif relatif.

L’écriture, très travaillée, balance sans cesse entre le suranné et la modernité, exigeant un certain lâcher-prise pour un plaisir maximal. Je suis souvent conquis, par la percussion, l’inventivité, la petite musique dégagée :

« Wagons-lits… Mystère d’acajou et de cuivre, repos balancé, cadences, cadences, multipliées à en perdre l’imagination… »

A d’autres instants, je suis agacé par un excès sensitif, qui me fait penser aux décorations de Noël, à la surcharge festive :

« Le cri rugueux d’un sifflet précède le train qui racle le quai de son souffle chaud. »

Souvent, j’oscille, songeant que chaque lecteur gourmet place son curseur de satiété à un point d’acmé différent :

« (…) sa présence, comme d’invisibles mains, parcourait mon âme ainsi qu’une lyre et arrachait des accords exquis aux cordes de mon cœur. »

La distorsion se prolonge dans les contenus. On peut retenir les tableaux lyriques de décors hors du temps ou d’une jumellité d’âmes, une aspiration à la Beauté et à la Bonté donc, un élan romantique. Ou, a contrario, se focaliser sur l’idée que la civilisation n’est qu’un vernis qui se désagrège bien aisément, sombrer alors dans un réalisme assez sombre. Ou, encore, demeurer en surplomb, accroché à la manière si contemporaine ou vivace dont Pasquier interroge le livre en train de s’écrire, interpelle son lecteur.

En conclusion…

Si le texte n’est pas parfait, manquant peut-être de sobriété à droite ou de densité à gauche pour atteindre à la sublimité des Villiers, et autres Mérimée, ces experts de la nouvelle ou du court roman qui l’ont précédé, admettons qu’il en rappelle la fragrance et propulse des appétits, ce qui le situe bien au-dessus de la moyenne des publications contemporaines.


(3)

Nathalie SKOWRONEK, La carte des regrets, roman, Grasset, Paris, 2020, 142 pages.

Véronique Verbruggen, la quarantaine, éditrice renommée, idéaliste et dynamique, est retrouvée morte le long d’un sentier montagnard, dans les Cévennes. Suicide, accident, crime ? Le sillon policier est rapidement évacué, pas de fausse piste en vue, les enjeux sont à mille coudées. L’écriture annonce la couleur. Dès les premières lignes :

« A la fin de l’article on ne savait pas à quoi s’en tenir. Il était beaucoup question d’amour. Véronique Verbruggen était pleurée mais on ne comprenait pas. Qui aimait qui, qui était aimé de qui. »

L’écriture, fluide et sobre, n’est pas mise au service d’une narration romanesque (au sens où on l’entend dans un roman policier ou historique, un thriller, etc.), elle est la matière première, distillant une musique originale, douce et tonique à la fois, qui rapporte certes une vie, des vies et des événements mais qui, surtout, creuse une interrogation identitaire, en intercalant une distance : l’instance narrative est perçue, on ne vit pas les faits de plain-pied. J’avais relu récemment un livre de Marguerite Duras, Moderato cantabile, et il y a quelque de chose de cette littérarité pure, de ce recul hors récit chez l’autrice. Si la restitution m’apparaît en général une tare rédhibitoire chez de nombreux romanciers, un mécanisme qui les englue dans le poussif, rien de tout cela ici, la distance n’est pas faiblesse mais pratique artistique bien maîtrisée. On lit pour une écriture, l’exploration d’une âme ou d’un choral de personnages, de relations. Mais un double suspense, ou un suspense étagé, se faufile. En filigrane, un mystère relève d’un rapport prégnant à une peinture aux allures de mise en abyme. A l’avant-plan, de manière structurelle, il y a le discours d’hommage programmé par le mari, Daniel, pour son épouse tant chérie. Celui-ci aura-t-il vraiment lieu ? Sera-t-il conforme aux aspirations de départ ? Et en présence de qui se déroulera-t-il ? Car, entre le décès et les funérailles, une vie cachée se révèle, une double vie. D’où une série d’interrogations sur le couple, l’adéquation, la faute, la réalisation ? Qui, in fine, pourra le mieux revendiquer cette femme partagée entre un métier, une fille, un mari et un amant (Titus) ? Quelle position adoptera Mina, la fille unique, la vingtaine, au terme de son enquête, de sa quête ?

Une « Princesse de Clèves contemporaine », comme le dit la 4e de couverture ? Il y a de cela et le roman a davantage parlé à mon esprit qu’à mon cœur ou mes tripes.


(4)

Olivier HECQUET, Les mots des morts, roman, Ker, Hévillers, 2022, 142 pages.

Voir mon article dans Le carnet :


(5)

Patrizio FIORILLI, Au commencement, il y eut le mal, roman, F. Deville, 2022, 234 pages.

Un policier anticonformiste au temps de Jésus.

Voir mon article dans Le carnet :


(6)

Yves NAMUR, Nadine VANWELKENHUYZEN, Hélène CARRERE D’ENCAUSSE, David BONGARD, Danielle BAJOMEE, Jean Claude BOLOGNE et S.A.R. Laurent DE BELGIQUE, Centenaire de l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique, 1920-2020, Textes des discours prononcés lors de la séance solennelle du 16 octobre 2021, Académie royale de langue et de littérature françaises, 2022, 81 pages.

Une très belle surprise et un « Coup de cœur du Carnet » !

Voir mon article :


(7)

Bernard ANTOINE, Aquam, roman, Murmure des soirs, Esneux, 2022, 466 pages.

Un très bon livre, un thriller littéraire, auquel j’ai attribué le « Coup de cœur du Carnet ».

Voir mon article dans Les phrases belges, en duo avec Jean-Pierre Legrand :


(8)

David VAN REYBROUCK, Zinc, essai, Actes Sud, collection Lettres néerlandaises, Arles, 75 pages.

Coup de cœur ! Pour ce petit essai qui n’en est pas vraiment un, en ce sens que le très médiatique (et inaccessible !) David Van Reybrouck a légitimé un nouveau genre, hybride, mélange d’essai (il réalise des recherches d’historien en bibliothèque, explores archives et ouvrages de référence), de littérature pure (ce qu’il narre est véritablement écrit, comme un journal de bord, un récit de vie) et d’investigations journalistiques (l’auteur va sur le terrain, rencontre des témoins, se balade sur les lieux, juxtapose les tableaux et les perceptions). Un mélange risqué a priori, à l’heure des étiquettes et des tiroirs, mais qui a rencontré un immense et très mérité succès, populaire et critique, avec son Congo, une brique retraçant toute l’épopée belge en Afrique mais plus encore une histoire du pays, une mise en évidence du futur qui s’esquisse, etc. Oserai-je confesser mon admiration pour cet auteur, l’un des très rares à s’engager dans la construction citoyenne et donc pleinement digne du statut d’intellectuel ? Oserai-je avouer ma synergie avec sa démarche, ayant osé naguère un Christophe Colomb alternant lui aussi les genres et les niveaux ?

Zinc !

Comme dans le cas de Congo, le thème rencontre des aspirations citoyennes, mettant en lumière des pans méconnus de notre histoire. Mais on passe de Goliath (Congo) à Lilliput : il est ici question d’un fragment minuscule de notre territoire, accoudé à la plus petite composante de la nation belge, sa communauté germanophone.

En racontant l’histoire d’Emil Rixen, un homme mort l’année de sa naissance (en 1971), qui aura « eu non seulement onze enfants, mais aussi cinq nationalités et deux identités différentes », Van Reybrouck choisit de raconter l’histoire du Tout via l’une de ses parties. Ou d’utiliser une matière concrète, charnelle, pour brosser, par ricochet, un tableau complet hors abstractions universitaires, hors aridité de l’étude, etc. Le Tout ? L’épopée singulière d’un mini-Etat à peine plus grand que le Vatican ou Monaco, Moresnet-Neutre, qui aura vécu près de cent ans, de 1816 à 1914, à côté du Tripoint, cet endroit symbolique où se touchent aujourd’hui l’Allemagne, les Pays-Bas et la Belgique.

Zinc !

Pourquoi ce titre, pourquoi cette page historique surréaliste ?

Van Reybrouck nous ramène brièvement dans l’Antiquité, quand Pline l’Ancien, un scientifique romain, évoquait les qualités du laiton, un alliage métallique produit à partir de cuivre et de « cadmia », une pierre légère exploitée en Asie mais aussi quelque part en Germanie. Bond en 1526 : le célèbre alchimiste Paracelse redécouvre la « cadmia », parle d’un nouveau métal, aux propriétés avantageuses (il ne rouille pas) et le nomme « Zink » d’après la forme pointue de ses cristaux (en écho aux termes germaniques « Zahn » (dent), « Zacke » (pointe), « Zinne » (créneau) ou « Zinken » (pic).

Or donc… ce métal est exploité depuis des siècles à proximité de Maastricht et d’Aix-la-Chapelle, là où un village sera un jour belge et s’appellera « La Calamine » (« Kalamijn » en néerlandais ; « Kelmis » en allemand), d’après le mot « cadmia », son zinc donc, qui inspire aussi le nom d’une fleur unique au monde, la pensée calaminaire. Le gisement y est si riche (l’un des plus riches au monde) qu’il suscite des conflits à l’époque des ducs de Bourgogne, se voit nationaliser par Napoléon, etc. Et provoque la naissance du micro-Etat (un triangle de 3 km de long) quand le Congrès de Vienne, après Waterloo, n’arrive pas à départager Allemagne et Pays-Bas (puis Belgique, après 1830).

Laissons le suspense aux lecteurs de David Van Reybrouck, quant aux aventures de Moresnet-Neutre ou à celles de la famille Rixen. Mais glissons quelques ingrédients pour mettre en appétit : l’espéranto, qui croit trouver dans Moresnet-Neutre un écrin idéal d’affirmation ; l’utopie sociale (maisons ouvrières, école gratuite, impôts faibles, etc.) ; la survenue depuis divers pays de femmes en difficultés (dont la mère d’Emil, mise enceinte par un patron à Düsseldorf puis chassée) mais, tout autant, de malfrats aimantés par l’absence de juridiction, l’apparition d’un casino, la présence de soixante cafés et de distilleries, de souterrains permettant divers trafics entre les Etats voisins ; les tiraillements identitaires qui vont faire cohabiter Belges, Hollandais, Allemands et Neutres (descendants des habitants d’origine) mais provoquer des situations dramatiques lors des deux guerres mondiales, etc.

NB.

. Le livre est d’abord paru à Amsterdam, ce qui renvoie à un phénomène méconnu en Fédération Wallonie-Bruxelles : la mainmise de la Hollande sur le domaine littéraire flamand. A Bruxelles ou Namur, on se plaint de Paris mais…

. Philippe Noble, le traducteur, est aussi le directeur de la collection, dévolue aux Lettres néerlandaises. On applaudira l’initiative tout en se remémorant qu’Actes Sud est cette grande maison créée à Arles par un Belge d’origine, Hubert Nyssen, qui voulait décentraliser l’édition française, fuir l’omnipotence parisienne.


Et pour (vraiment) terminer…

…selon mon habitude, loin de toute analyse, dans le plaisir pur de la perception…

…des extraits d’un recueil de poésies…

(9)

Arnaud DELCORTE, Lente dérive de la lumière, L’arbre à paroles, Amay, 2022, 117 pages.

Contextualisation

Un bel objet, bien édité.

La dédicace (« A un amour particulier ») interpelle. Comme la présence de deux préfaces. Dans la première, Nathaniel Molamba met en exergue la composition graphique du recueil, dont ma sélection ne pourra rendre compte :

« (…) ses espaces blancs et ses marges tiennent du lieu imaginé où se déploient d’autres possibles »

 Dans la deuxième, le poète Pierre Schroven évoque la matière intrinsèque de l’ouvrage :

« Sensible au monde qui l’entoure, Arnaud Delcorte décrit ici les états d’un corps plongé dans le tourbillon insensé des sens et nous invite à communier pleinement. »

Extraits

(1)

« L’amie prodigieuse serre ma main

Tous ces matins où la pornographie régnait

Nous fermions les yeux

Aux pièges du lendemain

Ouverts comme des conques

Troglodytes

Aux espoirs sous-marins »

(2)

« L’ombre des grands pins

Froisse le souvenir

A chaque année qui passe

Ses grands pins

Ses cigales

La chaleur d’été

Défaite et oubliée »

(3)

« On ne peut rester

Insensible

Au charme des amandiers

Surtout

Lorsqu’il s’agit

De toi »

(4)

« Entre tes mains

Je deviens glaise

Puis amphore

Propre

A te recevoir

Encore »

(5)

« Le labyrinthe de l’échange

Se referme

Et je reste prisonnier

De ta pensée

Lorsque tu choisis

Le silence. »

Philippe Remy-Wilkin.

=) Pour en savoir davantage sur notre rédacteur/auteur et ses articles, dossiers, feuilletons, textes 


POUR EN SAVOIR PLUS SUR PHILIPPE REMY-WILKIN… et retrouver aisément n’importe lequel de ses articles

Philippe REMY-WILKIN

alias Phil RW, Ciné-Phil RW, Edi-Phil RW, etc.

(photo prise par le photographe professionnel Pablo Garrigos Cucarella)

Licencié en Philologie romane (ULB, 1983), je conjugue trois vies : un job administratif en soirée, la médiation culturelle (plus de 300 articles et dossiers) sur divers supports (revues, plateformes, radio) et, surtout, 7 jours sur 7, une carrière d’auteur (16 livres publiés à ce jour, deux prix littéraires dont le Sabam Award Littérature 2018).

Pour en savoir plus sur moi :

. www.philipperemywilkin.com

. https://fr.wikipedia.org/wiki/Philippe_Remy-Wilkin

. https://karoo.me/author/adamatraore1453

. https://www.marginales.be/philippe-remy-wilkin/.

Dans LE CARNET ET LES INSTANTS (dirigé par Nausicaa DEWEZ, édité par la FWB), je parle de l’actualité littéraire belge : https://le-carnet-et-les-instants.net/tag/philippe-remy-wilkin/

Dans la revue quadrimestrielle QUE FAIRE ? (dirigée par Christian LUTZ, éditée par Samsa), dès le numéro 3, je rédige en duo avec mon complice Jean-Pierre LEGRAND un feuilleton sur le patrimoine littéraire belge (lecture gratuite en streaming) : 

https://www.samsa.be/livre/que-faire-3

Sur RADIO AIR-LIBRE, avec Jean-Pierre LEGRAND et au micro de Guy STUCKENS, nous sommes chroniqueurs réguliers de l’émission Les Rencontres littéraires de Radio Air-Libre.

Sur la plateforme culturelle LES BELLES PHRASES animée par Éric ALLARD, je mène de front 7 feuilletons (en solo, en duo, en équipe) :

Vers une discothèque idéale, une histoire de la musique classique :

https://lesbellesphrases264473161.wordpress.com/category/vers-une-discotheque-classique-ideale/

Vers une cinéthèque idéale, unehistoire du cinéma :

https://lesbellesphrases264473161.wordpress.com/category/cinetheque-ideale/

. Les lectures d’Edi-Philsur l’actualité de l’édition belge :

https://lesbellesphrases264473161.wordpress.com/category/chroniques-de-philippe-remy-wilkin/

.

. une participation à une opération de promotion des Lettres belges organisée par pileN, Lisez-vous le belge ? :

https://lesbellesphrases264473161.wordpress.com/category/lisez-vous-le-belge/

Les phrases belges :

https://lesbellesphrases264473161.wordpress.com/category/les-phrases-belges/

. Les perles du patrimoine littéraire belge:

https://lesbellesphrases264473161.wordpress.com/category/les-perles-de-lhistoire-litteraire-de-belgique-francophone-jean-pierre-legrand-philippe-remy-wilkin/

Les hors-pistes d’Edi-Phil, qui explorent ma formation d’auteur, de médiateur, mes prédilections.

https://lesbellesphrases264473161.wordpress.com/category/les-hors-pistes-dedi-phil/

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TEXTES ET ARTICLES de Philippe REMY-WILKIN dans LES BELLES PHRASES :
PLAN et LIENS

2022 (12)

 Décembre, TOP 10 de l’année 

. Novembre, 4 articles dans le cadre de l’opération Lisez-vous le belge ? :

. Octobre, Edi-Phil (45). A l’affiche : trois romans (Michel Joiret, Sylvie Godefroid, Philippe Fiévet), deux micro-essais (Kate Millie, Frédéric Saenen), un récit de vie (Samuel Herzfeld), une parodie (Roger Lahu/Éric Dejaeger), une maxi-nouvelle (Thierry-Marie Delaunois), des fragments (Montaha Gharib, Louis Mathoux, Martine Rouhart) et un texte (Claude Donnay) poétiques ; les maisons d’édition M.E.O., Le scalde, Lamiroy, Jourdan, Gros textes, L’arbre à paroles et Bleu d’encre.. Voir :

 . Septembre, Les hors-pistes d’Edi-Phil (4), Un plongeon nostalgique… Sarah WATERS et Kate ATKINSON, deux grandes autrices britanniques :

. Août : Les hors-pistes d’Edi-Phil (3).  Un plongeon nostalgique…  James ELLROY, le Shakespeare du roman noir américain :

. Août, Les hors-pistes d’Edi-Phil (3), James Ellroy :

. Juilet, Les lectures d’Edi-Phil (44), A l’affiche : Benoît Mouchart, David Van Reybrouck, Nathalie Skowronek, Olivier Hecquet, Patrizio Fiorelli, Bernard Antoine, Alex Pasquier, l’Académie RLLFB, Arnaud Delcorte :

. Juin, Les phrases belges, feuilleton en duo avec J. Legrand, (3), Aquam de Bernard Antoine :

. Mai, Les phrases belges, feuilleton en duo avec J. Legrand, (2), Hong Kong Blues d’Alain Berenboom :

. Avril, Vers une cinéthèque idéale, 4 volets pour le dossier 1950 du feuilleton :

Décennie, Ciné-Phil RW avec Adolphe NYSENHOLC, Daniel MANGANO, Nausicaa DEWEZ et Krisztina KOVACS :

Joseph Mankiewicz, Nausicaa et Phil :

Madame de…, Phil :

La nuit du chasseur, Julien-Paul REMY, Thierry VAN WAYENBERGH et Ciné-Phil RW :

. Mars, Edi-Phil (43). A l’affiche : une réaction (Armel Job), un récit de vie (Martine Rouhart), six romans (Joseph Ndwaniye, André-Joseph Dubois, Jean Lemaître, Michel Hellas, Didier Vanden Heede, Pieter Aspe), une maxi-nouvelle (Evelyne Wilwerth), un recueil de nouvelles (Jean-Pol Hecq), un recueil d’aphorismes et clins d’œil littéraires (Éric Allard), un essai (Björn-Olav Dozo et Dick Tomasovic) ; les maisons d’édition MEO, Les impressions nouvelles, Weyrich, Jourdan, Murmure des soirs, Lamiroy, Le Cactus inébranlable, Genèse, F. Deville, Albin Michel/Livre de poche :

. Février, Les phrases belges, feuilleton en duo avec J. Legrand, (1), La collection Belgiques :

. Janvier, Vers une discothèque idéale, feuilleton avec Jean-Pierre LEGRAND + 3 experts, Judith ADLER DE OLIVEIRA, Jean-Pierre DELEUZE et Olivier DE SPIEGELEIR, (3) L’ère classique :

L’ère classique :

Les quatuors de Haydn :

Une interview de JADO :

Une interview d’ODS :


2021 (16+2)

. Novembre/Décembre : opération Lisez-vous le Belge ? avec 25 articles et dossiers :

https://lesbellesphrases264473161.wordpress.com/category/lisez-vous-le-belge/

. Octobre, Vers une cinéthèque idéale (dossier 1940), feuilleton avec Adolphe NYSENHOLC, Nausicaa DEWEZ, Daniel MANGANO et Julien-Paul REMY.

(UN) Décennie 1940 :

(DEUX) Le ciel peut attendre, en trio avec Nausicaa DEWEZ et Julien-Paul REMY :

(TROIS) Le voleur de bicyclette, en trio avec Adolphe NYSENHOLC et Daniel MANGANO :

. Septembre, Edi-Phil (42). A l’affiche : cinq romans (Carino Bucciarelli, Armel Job 2x, Barbara Abel, Nicole Thiry), un récit (Véronique Bergen), une maxi-nouvelle (Claude Donnay), une revue, une biographie, deux recueils de poésies (Florence Noël, Françoise Lison-Leroy) ; les maisons d’édition MEO, Samsa, Belfond, Robert Laffont/Pocket, Murmure des soirs, Lamiroy, Les impressions nouvelles et Bleu d’encre :

. Août, Les Hors-pistes d’Edi-Phil (2), Mes premiers pas dans la critique il y a vingt ans :

. Juillet, Les perles du patrimoine, feuilleton en duo avec Jean-Pierre LEGRAND (4), Jacqueline HARPMAN et son roman La plage d’Ostende :

. Juillet, Vers une cinéthèque idéale (0), feuilleton avec Adolphe NYSENHOLC, Nausicaa DEWEZ, Daniel MANGANO, Krisztina KOVACS et Julien-Paul REMY, nouvelle introduction avec présentation de l’équipe, plan et liens menant aux dossiers :

. Juillet, Vers une cinéthèque idéale (dossier 1920), nouvelle version d’un article sur Caligari, en trio avec Adolphe NYSENHOLC et Nausicaa DEWEZ :

. Juin, Edi-Phil (41). A l’affiche 6 romans (Kenan Görgün, Marie-Pierre Jadin, Arnaud Nihoul, Benoît Roels, Francisco Palomar Custance, Maxime Benoît-Jeannin), des recueils de nouvelles (Véronique Bergen, Ralph Vendôme) ou de poésies (Luc Dellisse, Yves Namur), 2 récits (Foulek Ringelheim, Adrien Roselaer) ; les maisons d’édition Les arènes et Arfuyen (France), Genèse (France/Belgique), Ker, 180°, Diagonale, Academia, Le scalde, Samsa et Le cormier (Belgique) :

. Mai, Vers une discothèque idéale, feuilleton en duo avec Jean-Pierre LEGRAND (2), Musique baroque :

. Avril, Vers une cinéthèque idéale (dossier 1930), feuilleton avec Adolphe NYSENHOLC, Nausicaa DEWEZ, Daniel MANGANO, Krisztina KOVACS et Julien-Paul REMY.

(UN) Décennie 1930 :

(DEUX) L’impossible M. Bébé, en trio avec Nausicaa DEWEZ et Julien-Paul REMY :

(TROIS) Une femme disparaît, en trio avec Nausicaa DEWEZ et Julien-Paul REMY :

(QUATRE) Le magicien d’Oz, en duo avec Krisztina KOVACS :

(CINQ) La grande illusion, en trio avec Adolphe NYSENHOLC et Daniel MANAGNO :

. Mars, Les Hors-pistes d’Edi-Phil (1), VILLIERS-DE-L ’ISLE-ADAM:

. Février, Edi-Phil (40). A l’affiche : 2 romans (Vincent Engel et Kate Milie), 1 bookleg (Agatha Storme), 1 recueil de nouvelles (Michel Torrekens), 1 nouvelle (Éric Allard), 1 micro-essai (Véronique Bergen), 1 périodique (Que faire ?), 1 essai/anthologie (Jean-Michel Aubevert) et 1 salve de poésies ; les maisons d’édition Samsa, Maelström, Ker, Lamiroy, 180°, Le coudrier et Bleu d’encre :

. Janvier, Vers une discothèque idéale, feuilleton en duo avec Jean-Pierre LEGRAND (1), Musique du Moyen-Age et de la Renaissance :


2020 (30 + 3 supervisés comme chef de projet)

. Décembre, Un hommage à Eric Allard via un article sur son opuscule paru chez Lamiroy, mis en parallèle avec les réactions/analyses de plusieurs collègues :

. Décembre, Top 10 de l’année (JDD, Sel, Bergen, Dieudonné, Dellisse, Millon, Donnay, Noir Corbeau, SAS, Wilwerth/Buciarelli/Simon/Jauniaux/Rigaux) :

. Décembre, Edi-Phil (38). A l’affiche : deux contes (Geneviève Génicot, Luigi Capuana), un recueil de nouvelles (Marianne Sluszny), un micro-roman illustré (Jacques De Decker/Maja Polackova), un thriller fantastique (Noëlle Michel), deux romans (Laurent Demoulin, Michel Corentin), une biographie (Jacques De Decker), un recueil de poésies (Luc Dellisse) ; les éditions MaelströmKerLilysLe Livre en papierLe Cormier, Gallimard :

. Novembre, Vers une cinéthèque idéale, feuilleton, années 1920 (3).

(UN) Greed/Les rapaces en duo avec Daniel Mangano :

(DEUX) Le cuirassé Potemkine, en duo avec Nausicaa DEWEZ :

(TROIS) Caligari :

(QUATRE) Décennie 1920 :

. Octobre, Les perles du patrimoine, feuilleton en duo avec Jean-Pierre LEGRAND (3), Camille LEMONNIER :

. Septembre, Edi-Phil (36). A l’affiche : un essai (Luc Dellisse), un récit (Jean Lemaître), trois romans (Stanislas Cotton, Patrick Dupuis/Agnès Dumont, Benoît Sagaro), un conte fantastique (Alex Pasquier) et deux recueils de poésies (Sylvie Godefroid et Carino Bucciarelli) ; les éditions La Lettre volée, OtiumMurmure des SoirsWeyrich/Noir CorbeauLes Nouveaux AuteursAEB, Le Scalde et L’Herbe qui tremble :

. Août, Edi-Phil (35), un reportage sur un webinaire de la FWB :

. Août, Edi-Phil (34), un dossier sur Jacques De Decker et la nouvelle, à l’occasion de l’anniversaire de JDD :

. Août, Les perles du patrimoine, feuilleton en duo avec Jean-Pierre LEGRAND (2), Marie GEVERS :

. Juillet, Les perles du patrimoine, feuilleton en duo avec Jean-Pierre LEGRAND (1), Charles DE COSTER :

. Juin, Edi-Phil (31). A l’affiche : un coup de cœur pour Martine ROUHART et un hommage adressé à notre très cher Jacques DE DECKER ; des romans (Claude Donnay, Valentine de le Court, Rossano Rosi et Patrick Delperdange), un conte/bookleg (Morgane Vanschepdael) et un essai (Joseph Van Wassenhove) ; les éditions Murmure des Soirs, MEO, Mols, Les Impressions Nouvelles, Les Arènes, Maelström et Samsa :

. Juin, Vers une cinéthèque idéale (2), feuilleton avec Adolphe NYSENHOLC, Nausicaa DEWEZ, Daniel MANGANO, Krisztina KOVACS et Julien-Paul REMY.

(UN) Décennie 1910 :

(DEUX) Naissance d’une nation :

(TROIS) Intolérance :

(QUATRE) Alice GUY, par Nausicaa DEWEZ :

(CINQ) Les vampires, en trio avec Daniel MANGANO et Krisztina KOVACS :

. Mai, Edi-Phil (30). A l’affiche : trois maisons dédiées à la poésie, avec interviews des fondateurs/directeurs :

. Mai, Vers une cinéthèque idéale (1) feuilleton avec Adolphe NYSENHOLC, Nausicaa DEWEZ, Daniel MANGANO, Krisztina KOVACS et Julien-Paul REMY.

(UN) Introduction :

(DEUX) L’équipe :

(TROIS) Le voyage dans la lune, par Julien-Paul REMY :

(QUATRE) Le vol du grand rapide :

(CINQ) L’assassinat du duc de Guise, par Daniel MANGANO :

(SIX) Préhistoire du cinéma :

. Avril, Edi-Phil en duo avec Jean-Pierre LEGRAND. Feuilleton en 3 parties consacré à Véronique BERGEN.

(1)

https://lesbellesphrases264473161.wordpress.com/2020/04/13/special-veronique-bergen-iii-par-jean-pierre-legrand-et-philippe-remy-wilkin/ (L’anarchie et Barbarella)

(2)

https://lesbellesphrases264473161.wordpress.com/2020/04/10/special-veronique-bergen-ii-par-jean-pierre-legrand-philippe-remy-wilkin/ (Tous doivent être sauvés ou aucun, Guérilla)

(3)

https://lesbellesphrases264473161.wordpress.com/2020/04/08/special-veronique-bergen-par-jean-pierre-legrand-philippe-remy-wilkin/ (Kaspar Hauser)

. Mars, Edi-Phil (26). A l’affiche : un essai (Adolphe NYSENHOLC) et trois romans (Jean-Marc RIGAUX, Claude FROIDMONT, Patricia HESPEL) ; les éditions Didier DevillezMurmure des SoirsWeyrich et Mols :

. Février, Edi-Phil (25). A l’affiche : deux romans (Michel Torrekens et Myriam Leroy), un bookleg/monologue (Céline de Bo), une DB/doc (Arnaud de la Croix), une BD (Frank et Bonifay), une revue (Traverses) ; les éditions Zellige et SeuilMaelströmPetit à Petit et DupuisTraversées :

. Janvier, 2e partie d’un TOP 100 des songs pour les Fêtes de fin d’année :

. Janvier, Edi-Phil (24). A l’affiche : deux romans (Adeline Dieudonné et Francis Groff), un récit de vie (Marianne Sluszny), une BD/Doc (Arnaud de la Croix) et une pièce de théâtre (Jacques De Decker) ; les maisons d’édition L’IconoclastePetit à PetitAcademiaWeyrich et L’Ambedui :


2019 (18+10)

. Décembre (fin), Edi-Phil 23. Spécial Denis BILLAMBOZ :

. Décembre, Top 10 2019 d’Edi-Phil RW :

. Décembre (fin), 1e partie d’un TOP 100 des songs pour les Fêtes de fin d’année :

. Décembre, Edi-Phil 22. A l’affiche : deux pièces de théâtre (Charles Van Lerberghe), des promenades littéraires (Daniel Simon), trois romans (S.A. Steeman, Pierre Hoffelinck et Salvatore Minni), un récit de vie et de deuil (Isabelle Fable) ; les maisons d’édition Espace NordCouleur LivresLibrairie des Champs-ÉlyséesMurmure des SoirsM.E.O. et Slatkine & Cie ; l’émission Les Rencontres Littéraires de Radio Air-Libre :

.  Novembre, Edi-Phil 21. A l’affiche : deux romans (Marcel Sel et Ziska Larouge), une BD-Doc (Arnaud de la Croix et Cie), une pièce de théâtre (Jacques De Decker), un témoignage (Inge Schneid) et un recueil de nouvelles (Jean Jauniaux) ; les maisons d’édition Onlit, Weyrich, Petit à Petit, Lansman, Couleur Livres et Ker.

. Octobre, Edi-Phil 20. Spécial Prix Emma Martin du roman. A l’affiche : sept romans (Alexandre Millon, Daniel Adam, Victoire de Changy, Claudine Tondreau, Elodie Wilbaux, Bruno Wajskop et Gilles Horiac) ; les maisons d’édition Samsa, Murmure des Soirs, Onlit, M.E.O., Autrement, Bord de l’eau et 180° :

. Septembre, Edi-Phil 19. Reportage. Soirée Sabam sur l’état des lieux du livre en FWB :

. Septembre, Edi-Phil 18. Spécial Luc DELLISSE en trio (avec Jean-Pierre Legrand et Julien-Paul Remy), épisode 3 :

. Septembre, Edi-Phil 17. Spécial Luc DELLISSE en duo (avec Jean-Pierre Legrand), épisode 2 :

. Septembre, Edi-Phil 16. Spécial Luc DELLISSE en duo (avec Jean-Pierre Legrand), épisode 1 :

. Août, Edi-Phil 15. A l’affiche : un essai (Luc Dellisse), une BD (la reprise de Blake et Mortimer par Schuiten/Durieux/Gunzig/Van Dormael), deux romans policiers (Francis Groff, Christian O. Libens), et une note poétique (Salvatore Gucciardo) ; les maisons d’édition Les Impressions Nouvelles, Blake et Mortimer, Weyrich/Corbeau Noir :

. Juillet, Edi-Phil 14. A l’affiche : suite et fin des feuilletons Jacques De Decker (4 épisodes) et Véronique Bergen/Kaspar Hauser (3 épisodes), deux romans (Georges Simenon et Aly Deminne), un témoignage (Thierry Grisar), deux essais (Christian Libens et Jean Jauniaux) ; les maisons d’édition La MuetteLes Impressions Nouvelles/Espace Nord, Le Soir et Weyrich/Corbeau Noir, Banc d’Arguin, Flammarion…. et une émission radiophonique :

. Juin, Edi-Phil 13. Spécial Jacques DE DECKER et le théâtre (en duo avec Julien-Paul Remy) :

. Mai, Edi-Phil 12. A l’affiche : une mini-série BD (les Spirou d’Emile Bravo), des bonus (connectés à un dossier) sur Rossano Rosi, un roman (de Christian Libens), un recueil de nouvelles (d’Anne-Michèle Hamessse), la suite du feuilleton Kaspar Hauser (d’après un roman de Véronique Bergen) ; les maisons d’édition DupuisLes Impressions Nouvelles, Weyrich, Le Cactus Inébranlable, Espace Nord) :

. Avril, Edi-Phil 11. Spécial Jacques DE DECKER et le roman :

. Mars, Edi-Phil 10. A l’affiche : le lancement de deux feuilletons, consacrés à deux grands coups de cœur : Jacques De Decker et Kaspar Hauser (un roman de Véronique Bergen), deux romans (Carino Bucciarelli et Nadine Monfils), un recueil de poésies (Carino Bucciarelli) ; les maisons d’édition M.E.O., Espace Nord/Les Impressions NouvellesL’Arbre à paroles :

. Février, Edi-Phil 9. A l’affiche : trois romans (Lorenzo CECCHI, Nathalie STALMANS, Evelyne WILWERTH) et trois recueils, de nouvelles (Jean-Marc RIGAUX), d’aphorismes (Michel DELHALLE) et de poésies (Philippe LEUCKX) ; les maisons d’édition Murmure des soirsLiLysLe Cactus Inébranlable, M.E.O., Genèse, Bleu d’Encre :

. Janvier/février. Feuilleton en 9 épisodes, en duo avec Vincent Tholomé, réédité post-1e parution sur Karoo, Twin Peaks III, épisode 9 :

https://lesbellesphrases264473161.wordpress.com/category/twin-peaks-iii-visions-croisees/

. Janvier/février. Feuilleton en 9 épisodes, en duo avec Vincent Tholomé, réédité post-1e parution sur Karoo, Twin Peaks III, épisode 8 :

. Janvier/février. Feuilleton en 9 épisodes, en duo avec Vincent Tholomé, réédité post-1e parution sur Karoo, Twin Peaks III, épisode 7 :

. Janvier/février. Feuilleton en 9 épisodes, en duo avec Vincent Tholomé, réédité post-1e parution sur Karoo, Twin Peaks III, épisode 6 :

. Janvier/février. Feuilleton en 9 épisodes, en duo avec Vincent Tholomé, réédité post-1e parution sur Karoo, Twin Peaks III, épisode 5 :

. Janvier/février. Feuilleton en 9 épisodes, en duo avec Vincent Tholomé, réédité post-1e parution sur Karoo, Twin Peaks III, épisode 4 :

. Janvier/février. Feuilleton en 9 épisodes, en duo avec Vincent Tholomé, réédité post-1e parution sur Karoo, Twin Peaks III, épisode 3 :

. Janvier/février. Feuilleton en 9 épisodes, en duo avec Vincent Tholomé, réédité post-1e parution sur Karoo, Twin Peaks III, épisode 2 :

. Janvier/février. Feuilleton en 9 épisodes, en duo avec Vincent Tholomé, réédité post-1e parution sur Karoo, Twin Peaks III, épisode 1 :

. Janvier, Taxi Driver, article polyphonique en trio (avec Krisztina KOVACS et Thierry VAN WAYENBERGH) issu du dossier Vers une cinéthèque idéale, déjà publié par Karoo :

. Janvier, Edi-Phil 8. A l’affiche : deux romans (Claude DONNAY et Stanislas-André STEEMAN), un essai (Adolphe NYSENHOLC), une poétesse (Françoise LISON-LEROY), un héraut du faire-savoir (Eric ALLARD) ; les maisons d’édition M.E.O. et Espace Nord/Les Impressions NouvellesRougerie :


2018 (14+3)

JANVIER

. Arnaud DE LA CROIX, Ils admiraient Hitler (Racine) :

FEVRIER

. Maxime BENOIT-JEANNIN, Brouillards de guerre (Samsa) :

MARS

. Marcel SEL, Rosa (Onlit) :

. Edi-Phil 1 (A), avec des livres de Sébastien Ministru (Grasset), Isabelle Bielecki (MEO), Lew Bogdan (MEO), Carino Bucciarelli (Encre rouge) et Guy Stuckens :

. Edi-Phil 1 (B), avec des livres de Françoise Lison (Rougerie), Eric Allard (Le cactus inébranlable), Unimuse :

MAI

. Patrick ROEGIERS :

JUIN

. Edi-Phil 2. A l’affiche : romans/poésies/nouvelles/études/BD de Guy Gilsoul, Claude Raucy, Alain Berenboom, Patrick Weber/Baudouin Deville, Philippe Leuckx, Raymond Reding, Willy Lefèvre ; des éditions Jourdan ou Genèse, etc. :

. Ciné-Phil RW, Le parrain, article à 4 voix (avec TVW, KK et Bertrand GEVAERT) réédité après Karoo, épisode 3 :

. Ciné-Phil RW, Le parrain, article à 4 voix (avec TVW, KK et Bertrand GEVAERT), épisode 2 :

. Ciné-Phil RW, Le parrain, article à 4 voix (avec TVW, KK et Bertrand GEVAERT), épisode 1 :

AOUT

. Edi-Phil 3. A l’affiche : trois romans (Bernard Antoine, Vincent Engel et Eric Russon) mais aussi un recueil de poésies (Marie-Clotilde Roose) et une revue sportive culturalisée ; les maisons d’édition Murmure des Soirs, Ker, Robert Laffont et Brandes :

SEPTEMBRE

. Edi-Phil 4. A l’affiche :trois romans (Jacques De Decker, Jérôme Colin et… Charles De Coster), un recueil de poésies (Thierry-Pierre Clément) et un héraut du faire-savoir (Jean Jauniaux) ; Weyrich, Allary, la collection patrimoniale Espace NordLe Non-Dit, etc. :

OCTOBRE

. Edi-Phil 5. A l’affiche : un recueil de textes brefs (Daniel Simon), une aventure théâtrale au parfum de biographie (Albert-André Lheureux), un essai historique (Arnaud de la Croix), un roman (Yves Wellens), une nouvelle (Jean Jauniaux) et un héraut du faire-savoir (Michel Torrekens) ; les éditeurs M.E.O., GenèseRacineKerAu Hibou des Dunes/Fondation Paul Delvaux :

. Alix, le retour :

NOVEMBRE

. Edi-Phil 6. A l’affiche : un essai (Pascal Durand et Tanguy Habrand), deux romans (Thierry Robberecht, Luc Fivet), une nouvelle (Evelyne Wilwerth), un recueil de poésies (Thierry-Pierre Clément), un héraut du faire-savoir (Philippe Leuckx) ; les éditeurs Les Impressions NouvellesWeyrichBaker StreetAd Solem et Lamiroy :

DECEMBRE

. Edi-Phil 7. A l’affiche : spécial LE PRINTEMPS DU LIVRE/coproduction Impressions Nouvelles/OnLit/Weyrich/Espace Nord. Reportage sur le happening éditorial puis suivi des rencontres :

. Top 5 de Phil RW :

2017 (5+1)

SEPTEMBRE

. Jean-Pol HECQ, Tea Time à New Delhi (Luce Wilquin) :

. Bertrand SCHOLTUS, Guerre sainte (Ker) :

. Barbara ABEL, Je sais pas (Belfond) :

OCTOBRE

. Gérard ADAM, Stille Nacht (MEO) :

NOVEMBRE

. Sylvie GODEFROID, Hope (Genèse) :

DECEMBRE

. Micro-essai réédité, sur la liberté d’expression et le blasphème :

LES LECTURES D’EDI-PHIL #43 (mars 2022) : COUP DE PROJO SUR LES LETTRES BELGES

Les lectures d’Edi-Phil

Numéro 43 (mars 2022)

Philippe REMY-WILKIN (par Pablo Garrigos Cucarella)

Coup de projo sur le monde des Lettres belges

sans tabou ni totem, bienveillant mais piquant…

A l’affiche :

Une réaction (Armel Job), un récit de vie (Martine Rouhart), six romans (Joseph Ndwaniye, André-Joseph Dubois, Jean Lemaître, Michel Hellas, Didier Vanden Heede, Pieter Aspe), une maxi-nouvelle (Evelyne Wilwerth), un recueil de nouvelles (Jean-Pol Hecq), un recueil d’aphorismes et clins d’œil littéraires (Éric Allard), un essai (Björn-Olav Dozo et Dick Tomasovic) ;

les maisons d’édition MEO, Les impressions nouvelles, Weyrich, Jourdan, Murmure des soirs, Lamiroy, Le Cactus inébranlable, Genèse, F. Deville, Albin Michel/Livre de poche..


(1)

Martine ROUHART, Les ailes battantes, récit, MEO, Bruxelles, 2021, 64 pages. Avec une préface de votre serviteur.

J’avais lu La balade des pavés (Genèse) de Sylvie Godefroid sur la même thématique : une femme aux prises avec le cancer. Dans le livre de Martine Rouhart (une réédition d’un texte paru une première fois en 2010), il n’y a pas mise en roman mais récit de vie, carnets de voyage au pays de la maladie, volonté de coller au plus près avec les observations cliniques mais surtout les réflexions égrenées au cours des jours, de l’annonce initiale du problème à ses épreuves, ses étapes, son dépassement.

La richesse du livre déroule ses strates et nous plonge au cœur du phénomène. Il y a la douleur du traitement, bien sûr, la confrontation avec « la machinerie d’enfer » :

« Et puis, ça vient d’un coup. La tête s’embrase, envahie d’un vertige indécis, une tête pleine de vents furieux. Un engourdissement douloureux étrangle les tempes, creuse les orbites. Un étau méticuleux, obstiné, enserre lentement la gorge et y noue un lacet étroit. »

Mais il y a la personnalité de la malade surtout, qui ne se laisse pas aller, élabore des stratégies pour vivre avec le phénomène.

La résistance :

« Chaque jour, chaque minute, je tresse consciencieusement un cordage qui doit résister à la volonté de puissance de forces contraires. (…) C’est endurer sans se lamenter, sans apitoiement ni ressentiment, c’est patienter en écartant les oiseaux sombres qui tentent d’envahir mon cerveau pour se heurter dans ma tête. »

L’apprivoisement :

« Elle (la maladie) ne me veut peut-être pas tant de mal, peut-être son but secret est-il de disperser loin de moi les petites misères dérisoires et de m’accorder une plus grande fermeté d’âme… »

La lucidité :

« L’espérance, quand elle est forcée et peu raisonnable, débouche sur la tristesse ou la nostalgie, et celles-ci, à nouveau, sur de dérisoires espoirs, sans repos, sans fin. (…) Je sais qu’une petite étoile luit au loin et aussi que la joie n’est pas seulement au bout du chemin mais dans la marche. (…) Vivre au présent, ne pas se suspendre à des lendemains qui ne seraient faits que d’attentes hypothétiques, cela peut fonder un avenir plus serein. »

Au-delà de l’émotion suscitée par le témoignage, double parce que l’autrice est aussi une excellente collègue, il y a un texte, un très bon texte. Martine Rouhart réagit en philosophe ou tente d’y parvenir, en conjuguant ambition et humilité, acceptation des limites et volonté d’aller plus loin :

« Je ne voudrais surtout pas me tenir en lisière durant le reste de mon existence. (…) Il faut avant tout apprendre à bien vivre. »

Nous ne sommes pas maîtres des incidents de parcours qui nous arrêtent ou nous font chuter, mais notre liberté, notre dignité consistent à essayer de nous relever. Nous n’avons pas suscité la vague mais nous pouvons en épouser le mouvement. Elle-même se retourne sur son passé, mesure la dimension dérisoire de tant d’activités submersives, il y a l’essentiel et le contingent, elle profite du retrait pour aller en quête de soi :

« (…) laisser libre cours à ma nature contemplative (…) Se plonger avec volupté une journée entière dans un bouquin de philosophie, méditer à loisir sur chaque phrase et l’évolution de son âme, s’attarder sur les errements du passé, se remettre en cause, grandir un peu (…). »

La perception est subtile. Notre regard crée une appréhension de la réalité, confondue avec une réalité objective difficilement accessible :

« Victimes de fantômes qui nous empêchent de vivre, n’est-on pas souvent tourmentés par l’idée de certaines choses plutôt que par les choses elles-mêmes ? »

Et Martine Rouhart de nous indiquer le chemin, dans une bienveillance apaisée. Et sa voix acquiert une résonance toute particulière en ces temps de pandémie, de confinement, de privations. Il faut « éprouver au plus profond de soi la joie de ce que l’on a et se satisfaire des bonheurs bien présents ». Profiter des ressources technologiques (mobile, ordinateur) pour se connecter aux autres, comprendre leurs difficultés de communication et leur faciliter la tâche en toute simplicité, s’ouvrir, prendre en compte leurs soucis, plus graves ou moindres. « Agir et accueillir ».

L’autrice a été au bout du cheminement. Elle était juriste, elle a survécu à la maladie et s’est construit une nouvelle vie, en réalisant un rêve : écrire un livre. Elle a ensuite persévéré : elle a écrit plusieurs ouvrages, exploré divers sillons (roman, poésie…) et s’est imposée en quelques années comme une figure de nos Lettres, créatrice, médiatrice, animatrice au sens le plus fort du terme.

Il y a du traité moral dans cet opuscule émouvant mais tonifiant aussi, humaniste. A lire et relire !

PS

Une interview de Martine Rouhart par Tito Dupret, chez RCF :

https://rcf.fr/culture/philosophie/comment-ca-va-bien-martine-rouhart


(2)

Evelyne WILWERTH, Nuit sorcière, Lamiroy, collection Opuscule, Bruxelles, 44 pages.

Délicieux texticule de cette autrice dont l’écriture est toujours si animée, naturelle, vivante, sobre et charmante, dégraissée, équilibrée… et narrative !

Une nuit d’errance, celle d’un ancien mannequin (masculin), dont on perçoit qu’il a beaucoup sacrifié à sa carrière avant ce moment entre bascule et néant qui suit la date de péremption du produit marketing. Aventures, rencontres, suspense, émotion… Un modèle de petit récit maîtrisé, conjuguant explicite et implicite.

Le talent de l’autrice lui a valu un billet d’exception de l’éditeur : la collection annonce ne publier qu’un texte par écrivain mais Evelyne avait déjà publié La chambre 3 ! L’explication est sans doute simple : notre autrice se plie remarquablement aux lois du genre bref.


(3)

Une réaction d’Armel JOB…

…l’un de nos meilleurs romanciers, à nos commentaires sur deux de ses romans.

Pour comprendre l’échange, voir mon texte dans la mini-revue de septembre :

Puis les explicitations d’Armel Job, que je publie avec son autorisation :

« Cher Philippe,

J’ai lu avec plaisir vos chroniques sur mes romans « de disparition ». A très juste titre, vous évoquez les similitudes entre les deux romans chroniqués. En fait, il y a encore un roman de moi qui est un roman de la disparition. Il s’agit de Tu ne jugeras point. Je voulais faire une trilogie de la disparition. Tu ne jugeras point, c’est la disparition d’un bébé ; En son absence, celle d’une adolescente ; La disparue de l’île Monsin, celle d’une adulte. Dans les trois cas, il y a des similitudes de situation. Par exemple, le désaccord chez les parents du ou de la disparue. L’occasion sans doute de montrer qu’à partir des mêmes ingrédients, on peut obtenir des drames personnels très différents. Encore merci pour votre attention.

Amitiés.

Armel. »

(4)

Joseph NDWANIYE, En quête de nos ancêtres, Les impressions nouvelles, Bruxelles, 2021, 206 pages.

Le livre est un très bel objet : belles couverture et mise en page. Et il est bien écrit. Certes, l’écriture n’emporte pas mais elle réserve de jolies surprises au hasard d’un mot, d’une phrase, d’une image. La narration est fluide, simple, agréable :

« De la fenêtre de sa chambre située au quatrième étage, Antoine a vue sur la ville. Les toits sont couverts de tuiles rouges ou de tôles ondulées. (…) En cette fin d’après-midi, les montagnes aux sommets pointus qui entourent la ville tournent petit à petit le dos au soleil. Naît alors dans leurs sinuosités un jeu d’ombres et de lumière ponctué par quelques nuages blancs qui se détachent du ciel bleu. »

Si la narration est un peu trop sage pour moi, le récit fait du bien, on peut parler d’un Feel Good Book ! Un jeune infirmier, originaire du Rwanda mais installé avec sa famille à Bruxelles, se passionne depuis l’enfance pour le sort des esclaves noirs arrachés à son continent d’origine et envoyés dans la fameuse mine de Potosi. Il finit par prendre un congé pour aller travailler en Bolivie bénévolement et y chercher les traces des descendants de ces esclaves. Il fait des rencontres, toutes belles il est vrai. Et initiatiques.

J’ai aimé la démonstration de la polyvalence identitaire, la capacité de remise en question et de résistance, la quête (celle du héros se double de celle d’une jeune métisse, dont il tombe amoureux). Des thèmes majeurs sont abordés mais de manière feutrée : réalisation contre la famille, le poids des traditions ; capacité à affronter les secrets de famille, etc.

Du grand large, j’attendais un souffle, une percussion mais, ma frustration digérée, je profite des qualités de l’ouvrage : profond mais tout en douceur, en humanisme, en empathie ; subtil, loin des clichés et de tout pesant didactisme (on apprend beaucoup de choses sur la Bolivie, ses paysages, ses traditions, etc.).

Quelques subtilités ?

. Une dimension christique : le héros apparaît lesté du poids du sort de toute une communauté. Et idem pour sa comadre Alba Luz.

. La visite de Potosi offre un parallèle à la visite d’un Juif à Auschwitz. Il s’agit d’un endroit chargé.

. Le rapport des mineurs (il est question de fierté et d’amour) à la montagne qui les tue, les asservit, présente une connexion avec le syndrome de Stockholm.

. Simba est un double du narrateur (qui est lui-même un double de l’auteur), il y a mise en abyme, quête dans la quête. Et rebelotte avec Alba.

. Une machine infernale ramène Simba, un personnage phare, à la condition de ses ancêtres.

. La mise en évidence de la nécessité du supplément de sens, de l’ancrage. Derrière la simplicité (ou grâce à celle-ci ?), Joseph Ndwaniye livre une fable sur la condition humaine. Quitte à présenter un côté « livre à l’ancienne », avec défense de valeurs intemporelles : respect des anciens, transmission, mais aussi capacité à couper le cordon à la Perceval (savoir rompre le silence), etc.

PS

J’ai découvert bien des affinités entre ce livre et le travail récent de Michel Torrekens (L’hirondelle des Andes, chez Zellige). Les deux auteurs explorent différemment des situations de départ proches : une jeune personne qui ose tout quitter pour tenter de trouver des réponses à des questions essentielles…. en allant pour ce faire jusqu’en Amérique du Sud. Il y a donc, dans les deux cas, une forme d’épopée tranquille, avant tout psychologique, faite de rencontres, un parcours initiatique, des côtés Bildungsroman et Road Movie. Un même mélange de grand large et t’intime.

J’ai donc suggéré aux deux auteurs d’échanger leurs livres. Et ils se sont en effet trouvé bien des affinités… jusqu’à envisager des collaborations.


(5)

André-Joseph DUBOIS, Le septième cercle, roman, Weyrich, Neufchâteau, 2020, 499 pages.

La trajectoire de l’auteur interpelle. Il s’offre deux premières parutions à Paris (Balland) il y a près de 40 ans puis disparaît durant 28 ans des écrans éditoriaux. J’ai mené enquête pour en savoir plus sur ce hiatus, il semble avoir été rebuté par les charges collatérales du métier. Je puis comprendre… bien qu’il existe de pires épreuves !

Ce gros roman est très bien écrit et le récit s’avère illico des plus enlevés :

« Et pourtant, pas facile à raconter, une vie. Tout à fait comme un lézard, on ne sait par quel bout la prendre. Un tronçon vous reste entre les doigts alors que l’essentiel a filé sous une pierre. »

Humour, souffle. On traverse l’Histoire (guerre d’Algérie, collaboration sous l’Occupation, etc.) et les mers, les océans (Maroc, Congo, Cuba, Brésil, etc.). Disons-le de manière nette : de tels ingrédients sont rarement disponibles dans les Lettres francophones et désignent un talent supérieur.

Pourtant et hélas, la belle machine littéraire tourne un peu à vide, narrant du connu sans en renouveler l’appréhension (les assassinats de Lahaut ou de Lumumba, par exemple), s’attachant aux pas d’un antihéros, Léon Bourdouxhe, « qu’on n’arrive pas à détester » (dit la 4e de couverture) alors qu’il participe à des séances de torture, des exécutions, affiche un profil d’extrême-droite. Certes, il y a un sous-récit touchant, à travers la relation avec Hanna (l’amie d’enfance), mais il est globalement difficile de ressentir de l’empathie en cours de lecture. Ou de saisir le but visé par l’auteur. Veut-il raconter une histoire souterraine du monde ? En ce cas, il a des décennies de retard, les dossiers évoqués ont été éclairés.  

In fine, que son héros, à la fin du livre, se révèle être le géant boiteux des Tueurs du Brabant, voilà la goutte qui fait déborder le vase du malaise. Etrange sensation donc que d’éprouver de la répulsion pour un livre mais de l’admiration pour son auteur.

A noter !

Ce livre, en octobre, a remporté le Prix de la Ville de Bruxelles 2021. Dans le Top 5 final, il affrontait au moins deux excellents livres : Ulrike Meinhoff (Véronique Bergen, chez Samsa) et Le second disciple (Kenan Görgün, chez Arènes).  En décembre, il a décroché le prix Emma Martin du roman décerné par l’AEB ! Joli doublé ! Et on se réjouit pour l’éditeur Weyrich (dont la réserve de livres a brûlé en 2020) et pour les directeurs de la collection, Christian Libens et Nausicaa Dewez.


(6)

Björn-Olav DOZO et Dick TOMASOVIC, Dark Vador, à feu et à sang, Les impressions nouvelles, coll. La fabrique des héros, Bruxelles, 2021, 140 pages.

Un très bel essai. Pop culture ?

Voir mon article dans Le carnet :


(7)

Jean LEMAITRE, Le vrai Colomb, (faux)roman et (fausse) étude historique, Jourdan, Bruxelles, 2021, 239 pages.

Une (fausse) étude historique ratée sinon honteuse dans ses procédés et sa prétention (« Le vrai Colomb » !) mais un (faux) roman émouvant.

Voir mon article dans Le carnet :

/

(8)

Michel HELLAS, Taklamakan, roman, Murmure des soirs, Esneux, 2021, 352 pages.

Un livre ambitieux ! Qui détonne.

Voir mon article dans Le carnet :


(9)

Jean-Pol HECQ, Mother India, Genèse, Paris/Bruxelles, 2021.

Coup de cœur pour ces récits de voyages qui sont autant de mises en application du concept de la rencontre théorisé par Charles Pépin.

Voir mon article dans Le carnet :


(10)

Éric ALLARD, Grande vie et petite mort du poète fourbe, Cactus Inébranlable, Amougies, 2021, 70 pages.

Un recueil tonique, spirituel.

Voir mon article dans Le carnet :


(11)

Didier VANDEN HEEDE, Meurtres en trois couplets, F. Deville, coll. Œuvres au noir, Bruxelles, 2021, 340 pages.

Un polar émouvant.

Voir mon article dans Le carnet :


Pour terminer… une nouvelle rubrique, Le plat pays qui est le mien… de cœur, qui me permettra de retrancher le mot « francophones » adossé à « Lettres belges » dans le sous-titre de cette mini-revue. Oui, je vais tenter d’évoquer régulièrement des auteurs flamands, pour des raisons éthiques et intellectuelles (volonté de connaître les citoyens du nord du pays et de m’élargir un peu). D’autant que j’adore me balader en Flandre, j’y sens palpiter mon essence et m’interroge à ce propos.


(12)

Pieter ASPE, Le carré de la vengeance, Albin Michel/Le livre de poche, Paris, 2008 (1995 pour l’édition originale en langue néerlandaise), 377 pages.

Pieter Aspe (1953-2021), de son vrai nom Pierre Aspeslag, est un auteur flamand traduit en français, à Paris. Les aventures du commissaire Van In (une trentaine de tomes, le premier publié en 1995), à Bruges et aux alentours, ont été adaptées à la télévision et l’ont rendu célèbre. Avant de pouvoir vivre de sa plume et de s’installer à la Côte (Blankenberge), il a exercé de nombreux métiers, le plus improbable étant d’avoir été le concierge de la basilique du Saint-Sang, dans la Venise du Nord, durant douze ans. Il a écrit d’autres ouvrages, non traduits en français, certains pour adolescents. Il a décroché plusieurs prix.

Le carré de la vengeance consacre l’irruption de ce nouveau policier de papier et plante illico tous les éléments de la série, soit les personnages qui seconderont notre héros mais les décors aussi, une manière de promouvoir Bruges, son patrimoine, ses commerces, etc.

 Le pitch ?

Voici ce qu’annoncent la 4e de couverture du livre et le site du Livre de poche :

« À Bruges, la bijouterie Degroof a été cambriolée. Rien n’a été volé, mais le malfaiteur a fondu tous les bijoux dans un bain d’acide. Sa signature : un énigmatique message en latin…

L’enquête est confiée au commissaire Van In, un flic buté criblé de dettes, au sale caractère et à l’humour caustique. Amateur d’art, de cigares, de bières et de jolies femmes, il n’a pas son pareil pour déjouer les affaires les plus tordues.

Avec Versavel, jumeau d’Hercule Poirot à l’homosexualité revendiquée, et Hannelore Martens, substitut du procureur affriolante et ambitieuse, Van In plonge dans la grande bourgeoisie brugeoise où il ne fait pas bon déterrer les secrets enfouis… Premier volet de la série, Le carré de la vengeance fait de Pieter Aspe le « Simenon flamand ».

En lisant Van In, je retrouve les sensations croisées lors de mes lectures de la collection Grands détectives, créée par Jean-Claude Zylberstein chez 10/18, à Paris. Celle-ci avait d’abord mis en scène des récits policiers situés à travers l’espace et le temps (la Chine du VIIe siècle et du juge Ti – de Robert Van Gullik -, l’Angleterre médiévale de frère Cadfaël – par Ellis Peters, qui allait inspirer Le nom de la rose d’Umberto Eco !) avant de s’ouvrir au contemporain (avec Iain Pears, entre autres). Côté Belgique francophone, un auteur, Alain Berenboom, chez Genèse, explore ce sillon du récit policier gouleyant (avec la série Michel Van Loo), beaucoup plus léger qu’un thriller type anglo-saxon mais au cocktail savoureux de récréation d’une atmosphère, d’interconnexions avec une série de personnages secondaires très typés, de didactisme ludique, d’exploration sociologique aussi.

Le carré de la vengeance se lit très aisément. L’écriture et la narration sont fluides, dynamiques. Il y a moins d’action que de saillies verbales cependant, des dialogues percutants, un vocabulaire recherché (la traductrice est une écrivaine : Emmanuèle Sandron) s’infiltre subtilement (« réniforme », « potiquet », etc.), comme une exploration de contenus historiques voire des notations philosophiques :

« La mémoire est un labyrinthe, un embrouillamini de ruelles intriquées où les souvenirs errent sans répit. Mais que l’un d’entre eux rencontre subitement un élément neuf, et une idée originale peut soudain jaillir. »

Le meilleur réside peut-être dans un décryptage de la société flamande nantie. Quels secrets masquent les grandes réussites économiques ou politiques, etc. ?

En résumé ? Une distraction pure mais de bonne tenue, inscrite dans un certain raffinement. A tel point… que j’ai eu envie de creuser ce sillon-là à mon tour comme auteur !

Bémol !

Mis en appétit pour la série, j’ai commandé les deux aventures suivantes du bon Van In, Chaos sur Bruges et Les masques de la nuit. Mais, dès le premier, d’un coup, je cale devant les recettes (les échanges téléphonés entre Van In et sa muse Hannelore, son adjoint Versavel ; la confrontation systématique entre un puissant sournois, méprisant et sans scrupules et un représentant du peuple, etc.), le peu d’action pure aussi, la passivité des protagonistes, qui passent plus de temps à gérer leurs problèmes qu’à faire avancer l’enquête. Ici, les éléments décisifs (pour comprendre l’affaire puis la résoudre) sont apportés sur un plateau par une prostituée ou le fils d’un des coupables.

Philippe Remy-Wilkin.

LISEZ-VOUS LE BELGE ? – ROSA de MARCEL SEL (Onlit) par Philippe REMY-WILKIN et Jean-Pierre LEGRAND

Les Belles Phrases participent à l’opération Lisez-vous le Belge ?

La campagne de cette deuxième édition court du 1er novembre au 6 décembre 2021.

Rappel des objectifs :

« célébrer la diversité du livre francophone de Belgique (…) faire (re)découvrir au grand public, toutes générations confondues, un panel varié de genres littéraires : du roman à la poésie, de l’essai à la bande dessinée, des albums jeunesse au théâtre ».

Merci à Clara Emmonot et Morgane Botoz-Herges (chargées de communication), à Nicolas Baudoin (chargé de programmation), du PILEn !

(25)

Marcel SEL, Rosa,

roman, ONLIT, Bruxelles, 2017, 296 pages.

Par Philippe Remy-Wilkin et Jean-Pierre Legrand.

Marcel Sel - Rosa – ONLIT Editions

LES RAPPORTS À SOI ET À L’AUTRE, AUX RACINES ET AU MONDE REVISITÉS À TRAVERS LE PRISME DE PAGES DE L’HISTOIRE ITALIENNE

 L’auteur

Rosa est le premier roman de l’essayiste Marcel Sel, une figure singulière, polémique, du paysage politique et culturel belge, un hybride de bloggeur et d’enquêteur indépendant.

Voir : Un blog de sel, le blog de Marcel SEL

Marcel Sel. Le blogueur le plus lu à Bruxelles - Brusselslife.be
Marcel SEL

L’éditeur

 ONLIT est une structure innovante, qui a joué les pionnières dans le registre numérique, pâti de la stagnation (temporaire ?) du genre mais été capable de rebondir en mode classique. Sel/ONLIT n’ont-ils pas décroché les prix Saga Café et des Bibliothèques de Bruxelles… tout en étant finalistes du prestigieux Rossel ou chez les lecteurs de Club ?

Voir : https://www.onlit.net/

Un départ en fanfare

Jean-Pierre :

Le roman démarre en trombe. Mise sur orbite immédiate : on ne le lâche plus.

Phil :

Les premières lignes :

« Tu vas écrire un roman, qu’il m’a dit. C’était un ordre.

– Et comment je fais pour vivre ?

– Tu as quel âge ?

(…) Depuis dix ans, il me verse un salaire mensuel, comme ça, sans rien en échange. Travailler, je ne peux pas. Il le sait. Je suis une sorte d’artiste. (…) il a son usine, alors il me paye. »

« Il », c’est « Le Père, c’est Albert Palombieri ».

Jean-Pierre :

Vivant au crochet du « Père », « le Fils », Maurice, se voit donc obligé d’obtempérer. Il sera rémunéré 30 euros la page. Ecrire, c’est bien beau, mais sur quoi ?  « On écrit toujours contre » nous dit Aragon. Après quelques tâtonnements, il trouve sa machine de guerre : il va resservir l’histoire de sa grand-mère Rosa, morte en déportation, victime du régime fasciste italien, non sans avoir d’abord été, comme des millions de concitoyens, subjuguée par le Duce.

Phil :

Le ton est direct mais en mode intimiste. Le narrateur est un jeune homme à la dérive, un « adultescent » en inadéquation quasi totale avec le monde, sa ville (Bruxelles), son père, les femmes (et l’amour, qu’il n’arrive pas à assumer sur la durée). L’émotion affleure rapidement, avec la narration d’un traumatisme d’enfance, qui semble avoir modelé un destin. Maurice, vers neuf ans, avait la passion de l’écriture et a déposé un poème sur le bureau paternel, en quête de reconnaissance. Aucune réaction. Alors il revient dans la pièce, cherche son œuvre :

« Je me précipite sous le bureau, entre un pied de chaise et la corbeille. Et juste avant qu’il n’éteigne la lumière d’un geste sec, je le vois, mon poème ! Il est dans la corbeille à papier grise, chiffonné. »

La scène se reproduira au fil des mois, des années. Avec le même résultat. Qui mène à la perte de confiance et à cette plongée dans l’altérité mise en scène dans les romans des Moravia, Camus, Sartre.

La suite du récit et son déploiement vertigineux

Phil :

Face à la demande paternelle (a priori saugrenue : écrire un roman pour un homme qui ne l’a jamais lu !), le narrateur se cabre puis décide de se venger. Il sait ce qu’il va faire, il va écrire « La Vengeance du Fils » ou « J’emmerde le Père », l’histoire d’un homme de trente ans qui se voit imposer un projet d’écriture mais le retourne contre son concepteur. Mise en perspective des vies, des destins dans un panorama élargi. Car Maurice possède une arme secrète : son grand-père Nonno, qui a quitté jadis l’Italie pour la Belgique, lui a raconté sous le sceau de la confidence absolue ce qu’il a toujours dissimulé à son fils : l’histoire de leur famille. Or celle-ci, épique, inscrite dans l’Histoire de son pays d’origine, charrie des secrets douloureux voire impossibles à gérer.

Jean-Pierre :

« Et je sais, moi, s’exclame Maurice, pourquoi Nonno s’est tu toute sa vie. Albert le saura lui aussi en temps utile. Je le lui écrirai. S’il peut me lire. S’il peut m’entendre. Je n’ai pas eu le père que je voulais mais, aujourd’hui, j’ai une chance de le lui faire savoir. »

Phil :

Commence un second roman (le livre du fils, envoyé au père en fragments), qui ressuscite toute une famille, un village, la saga du fascisme de son lustre à sa désagrégation, les années de guerre, l’alliance avec Hitler puis sa dislocation, la collaboration et la résistance, le rapport à la judéité.

Deux romans alternent. Avec leurs rebondissements, leurs suspenses. Le père, au début, paie sans lire. Comment le contraindre à affronter les démons du passé ? Mais le fils lui-même peut-il pénétrer l’étoffe de son travail d’écriture sans y plonger tout entier ? S’y brûlera-t-il les ailes ? Ou le roman muera-t-il en médiateur vers la rédemption ?

Au centre du récit, des récits, la figure de Rosa, la mère du « Père », la grand-mère du « Fils ». Une rousse « au regard brûlant » (des allures de Maureen O’Hara ?). Que l’on croise pour la première fois alors qu’elle embarque pour un train menant vers un camp de concentration. Sa vie et sa disparition. Depuis sa jeunesse insouciante et frondeuse jusqu’à l’amour, l’engagement, la trahison…

Rosa de Marcel Sel : meilleur premier roman ! | «Jacquesmercier Blog
Marcel SEL (en compagnie de Jacques Mercier) lors de la remise du prix Saga Café.

Un arrière-plan luxuriant et passionnant

Phil :

Dans le sillage de Rosa, ce sont des pans d’Histoire qui quittent les limbes de l’Oubli. Et, lecteur francophone, on découvre avec étonnement un passé méconnu/inconnu, du ralliement du peuple italien au fascisme, vu comme un vecteur d’ordre, de modernité, de progrès, jusqu’aux prises de position du Duce : Musssolini se montre hostile aux théories racistes d’Hitler et ses militaires protègent les Juifs, les Romanichels, les Serbes… quitte à se confronter aux alliés allemands ou croates (Oustachis), MAIS, dès 1938, il retourne sa veste devant la nécessité d’un soutien nazi plus appuyé ou planifie le massacre de la communauté slovène.

Jean-Pierre :

Insérée dans le cadre narratif, la séquence fasciste est abordée avec beaucoup de naturel par la réfraction des souvenirs d’enfance de Rosa qui donne, au personnage de Mussolini, une coloration presque mythologique :

« Rosa pestait contre ce figlio di putanna de Mussolini. Ils avaient un contrat, depuis ses neufs ans, quand il l’avait saluée au Decennale et qu’elle avait chanté pour lui. Elle lui avait donné sa foi presqu’aussi forte que celle qu’elle avait pour le Tout-Puissant. Mais le 5 décembre 1943, le Ministère de l’intérieur avait ordonné l’arrestation de tous les juifs (…). Elle, menacée de déportation avait décidé de résister. »

L’innocence trompée d’une enfant recoupe le sentiment de trahison de tout un peuple, dont le retournement est saisissant. On peut y voir une versatilité opportuniste mais j’incline davantage à y reconnaître l’heureuse fatalité déjà décrite par Lamennais voici près de deux siècles et qui, tôt ou tard, abat les dictatures et les tyrannies de toutes sortes :

« S’enfonçant toujours plus loin dans le mal, elles rencontrent enfin une autre nécessité, supérieure à celle qui les pousse, l’invincible nécessité des lois qui régissent la nature humaine. Arrivées là, nul moyen d’avancer ni de retourner en arrière ; et le passé les écrase contre l’avenir. »

Phil :

On lit un roman très romanesque, palpitant et émouvant, avec de l’amour et de l’amitié, des rencontres inoubliables (Aaron Zeller dans le train de la Mort), des mystères. Mais on lit aussi un ouvrage historique, qui informe et fait réfléchir. Et un roman de mœurs, une saga familiale qui orchestre l’émancipation, la réalisation de soi. Maurice sera-t-il capable de laisser venir à lui son Hannibale (le fantasme de la femme conquérante) ? Accouchera-t-il son père en lui rendant son passé ? A moins que ça ne soit l’inverse ? Ou les deux ?

Jean-Pierre :

Le récit en abyme, qui reconstitue l’histoire de la famille, nous permet de suivre le parcours de l’immigration italienne en Belgique. De manière très subtile, via le récit à la première personne de Maurice, l’auteur explore la tension entre l’amour fantasmé de la patrie d’origine et la tendresse refoulée pour la patrie d’accueil, inconsciemment vécue comme territoire de la chute.

En imbriquant la temporalité de Rosa et celle du narrateur, Marcel Sel suscite une intéressante méditation sur la transmission. Quand les choses se passent bien, la vie circule au sein de cette galaxie qu’est une famille. Chez les Paliomberi et les Molinari tout se passe comme si le séisme fasciste puis le drame de la déportation, avec son poids de culpabilité et de trahison, détournaient le sang de sa source. Le non-dit envahit la scène familiale, plus rien ne circule, les échanges sont fonctionnels à l’image de cette fausse connivence entre Albert et son fils aîné ; seuls quelques gestes de tendresse – la façon furtive de Nonno de serrer deux fois la main de son petit-fils comme on le faisait dans la famille – ont subsisté, maigre héritage des années révolues. Un rapport névrotique au passé s’installe et contamine les générations suivantes. Le roman le montre bien ; en faisant de son petit-fils son confident, Nonno lui a imposé sa douleur et son désespoir tout en lui insufflant un paralysant nihilisme.

Phil :

On peut s’irriter devant l’incapacité du père et du fils à user des tuteurs de résilience, comme s’ils se complaisaient dans leur mise en tragédie. Mais on peut, à l’inverse, s’extasier devant l’importance conférée à l’écriture. Songer que les majuscules apposées au « Père » et au « Fils » colorent le récit d’une aura biblique. Ce qui implique une attention soutenue au symbolique, au métaphorique. Le Verbe n’est-il pas le principe créateur ? Nommer apportant sens et existence ? Maurice, qui veut écrire des romans mais échoue faute de sujet, ne pourra-t-il écrire des histoires qu’après avoir appréhendé la sienne ? Sur le modèle « Il faut avoir été aimé pour pouvoir aimer » ou « Il faut s’aimer soi-même pour pouvoir aimer les autres » ? Le livre comme matrice des personnages, qu’il ressuscite ou accouche ?

Jean-Pierre :

Le roman de Sel explore le rapport entre la sublimation de l’œuvre où tout se tient et l’apparente banalité de l’existence réelle. De quel roman sommes-nous le héros ; quel est la densité d’être de toutes ces personnes – simples protagonistes ou personnages ? – que nous côtoyons. Y a-t-il un sens dans la grisaille apparente de nos vies ?  Par la catharsis de l’écriture et la perspective nouvelle que celle-ci va dessiner, le narrateur assumera enfin son destin d’homme.

L’art de l’écrivain

Phil :

L’écriture, le plus souvent mise au service d’une narration efficace, s’autorise des envolées plus délicates, littéraires :

« (…) quand me sont apparus les yeux écorchés d’Aaron Zeller, à Trieste, ces yeux qui s’éteignaient pendant qu’agonisait l’humanité. »

Jean-Pierre :

En évitant l’écueil de la couleur locale, l’auteur parvient, par un style simple mais très imagé, à nous faire ressentir le charme si particulier de l’Italie, perceptible dès les premiers pas sur son sol. Ainsi l’arrivée à Vernazza, minuscule port de pêche engoncé entre mer et montagne :

« Ils arrivèrent à la grande maison rouge. Elle était entourée de deux bicoques étroites qui semblaient s’y adosser pour ne pas s’écrouler. Il n’y a d’ailleurs que ça dans la rue principale de Vernazza : des maisons ivres. »

Cette description par petites touches gagne aussi les personnages et singulièrement celui de Rosa, que le travail de mémoire saisit dans ce qu’elle a de plus impondérable et qui pourtant la caractérise le mieux : le mouvement, l’énergie.

« J’arrive dans la pièce, je vois sa robe qui se redresse et virevolte, une robe pleine de couleurs. »

Phil :

Des réminiscences intertextuelles m’auront souvent traversé. J’ai évoqué l’inadéquation mythifiée par L’Etranger, La Nausée ou La Désobéissance, mais d’autres échos affleurent. Le Monde de Sophie, avec le fil rouge tendu par un père démiurge qui dirige vers un apprentissage, un Bildungsroman. De beaux romans d’Adolphe Nysenholc ou Alain Berenboom, d’autres de Rossano Rosi ou Giuseppe Santoliquido, avec le dévoilement/rappel de nos immigrations juive et italienne, leurs drames et leurs apports à notre culture, notre vie nationale. Les romans de Mathilde Alet, avec la mainmise du Non-dit, du Mal dit ou du Trop peu dit dans les relations, les constructions identitaires. In fine, comment ne pas songer à une variation libre sur le thème de l’incommunicabilité père/fils, le syndrome de Karoo* mis en exergue dans un article des Belles Phrases** ?

Conclusions

Ce roman est une réussite épatante. Qui happe dès les premières pages et ne faiblit pas dans les dernières. Un travail de romancier et d’écrivain. Qui séduira grand public et gourmets.

Pour en savoir davantage sur les 1er et 2e romans de Marcel SEL

Rosa sur le site d’ONLIT 

Rosa en format poche

Marcel Sel - Rosa (format poche) – ONLIT Editions

Elise, via un article de Philippe paru dans Le Carnet :

Jean-Pierre Legrand et Philippe Remy-Wilkin

Karoo est un roman (extraordinaire !) de Steve Tesich, qui a donné son nom à une revue/plateforme culturelle formant la jeunesse à la critique (et à l’esprit critique) :

https://karoo.me/

** Le syndrome de Karoo explicité : 

Lisez-vous le belge ?

LISEZ-VOUS LE BELGE ? – LE SILENCE A GRANDI de Françoise LISON-LEROY (Rougerie) par Philippe REMY-WILKIN

Les Belles Phrases participent à l’opération Lisez-vous le Belge ?

La campagne de cette deuxième édition court du 1er novembre au 6 décembre 2021.

Rappel des objectifs :

« célébrer la diversité du livre francophone de Belgique (…) faire (re)découvrir au grand public, toutes générations confondues, un panel varié de genres littéraires : du roman à la poésie, de l’essai à la bande dessinée, des albums jeunesse au théâtre ».

Merci à Clara Emmonot et Morgane Botoz-Herges (chargées de communication), à Nicolas Baudoin (chargé de programmation), du PILEn !

(22)

Françoise LISON-LEROYLe silence a grandi,

recueil de poésies, Rougerie, Mortemart (France), 2015.

Par Philippe Remy-Wilkin.

Les invités du mercredi : Luc Dellisse | Objectif plumes

Une couverture dépouillée, blanche, une mise en page sobre mais efficace, un texte par page, resserré, appliquant quasi les principes du Yin et du Yang, le rapport contrasté du noir et du blanc, du vide et du plein, de l’absence et du sens. Dédié à un poète décédé en 2008, Paul André.

Je n’ai pas tout compris, mais est-ce nécessaire ? Un peu comme en religion ou dans ce qui touche au sacré, il y a une sensation délicieuse à se sentir dépassé, amenuisé face au Mystère. Qui vous prend par la main pour vous redresser ensuite, vous porter vers les nues et le dépassement, l’élévation, vous envoler.

Alors que tant d’auteurs en quête d’identité se réfugient dans la poésie ou la nouvelle par manque de temps, de souffle ou de talent, y enfouissant les limites de leur langue ou de leur imagination, il est de vrais poètes et nouvellistes, qui portent à bout de bras le Graal transmis par des Baudelaire, des Villiers, qui ont ce talent de décaper la phrase et le mot, de réinventer la langue, le sens, l’émotion avec intensité, densité. Françoise Lison-Leroy (récemment primée par l’Académie française) est de cette eau-là, on est fasciné/happé, dès les premiers mots, par la Beauté, inouïe :

« Vous êtes le prince enfui qui n’a lieu pour personne. »

Tout est du même acabit, ciselé et perforant :

« Le silence a grandi. Vous en ouvrez la porte, désormais, comme on plonge en un saut dans une galaxie. »

Bienvenue sur le site de Françoise Lison-Leroy
Françoise Lison-Leroy

J’adore plusieurs passages. Comme ce portrait envié :

« Vous étiez cet enfant grave et songeur, tendu vers l’improbable. On vous disait céleste, arrogant. On vous guettait aux abords des nuages. Vous interrogiez les cailloux, les fourmis ailées, la flaque aux merles tapageurs. Et le cœur piquant de la renoncule. »

Plus loin, magnifique :

« Vous édentiez les barreaux, piégés entre l’azur et vous. On ne vous connaissait pas de geôlier. »

Ou encore :

« Vous étiez ce champ libre qu’une averse féconde, ce creuset voué aux partitions.

(…)

Vous trouviez dans les livres ce qui ne se dit pas. Les mots du torrent oublié.

(…)

Comme vous, demeurer en chantier. (…) Ce qui s’achève est mort.

(…)

Et nous, cueilleurs de lunes et d’équinoxes, nous reprendrons nos filets haut perchés. »

Le silence a grandiFrançoise Lison-LeroyRougerie. Un recueil (primé à Paris !), une autrice (aussi talentueuse que modeste, généreuse, ouverte), un éditeur (exigeant, il ne publie que trois recueils par an) à lire d’urgence ! Pour s’arracher aux contingences, se confronter à la Grâce, à l’Essence.

Philippe Remy-Wilkin

Lisez-vous le belge ?" : une campagne qui ricoche - Le Carnet et les  Instants

LISEZ-VOUS LE BELGE ? – HISTOIRE DE L’ÉDITION EN BELGIQUE de PASCAL DURAND et TANGUY HABRAND (Les Impressions nouvelles) par Philippe REMY-WILKIN

Les Belles Phrases participent à l’opération Lisez-vous le Belge ?

La campagne de cette deuxième édition court du 1er novembre au 6 décembre 2021.

Rappel des objectifs :

« célébrer la diversité du livre francophone de Belgique (…) faire (re)découvrir au grand public, toutes générations confondues, un panel varié de genres littéraires : du roman à la poésie, de l’essai à la bande dessinée, des albums jeunesse au théâtre ».

Merci à Clara Emmonot et Morgane Botoz-Herges (chargées de communication), à Nicolas Baudoin (chargé de programmation), du PILEn !

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Pascal Durand et Tanguy Habrand, Histoire de l’édition en Belgique, essai, Les Impressions Nouvelles, 2018, 565 pages.

Par Philippe Remy-Wilkin.

LISEZ-VOUS LE BELGE ? – UN SANG D'ÉCRIVAIN de LUC DELLISSE (La Lettre  volée) par Philippe REMY-WILKIN – LES BELLES PHRASES

L’Ancien et le Nouveau Testaments !

On demeure muet d’admiration devant l’ampleur et la qualité de cet ouvrage, d’un idéalisme confondant. Car, disons-le tout net, on ne s’adresse pas ici au grand public, la niche visée est étroite, des professionnels du secteur (auteurs, éditeurs, journalistes culturels, bibliothécaires…) a priori. Et pourtant ! Cette nouvelle Bible de notre Histoire éditoriale mériterait d’inspirer un cours d’université, de voir venir y grappiller des perles des amoureux de culture, d’histoire, d’histoire belge, de belgitude, voire d’entreprenariat.

L’objectif des auteurs ?

Ces deux pointures du milieu universitaire, très impliquées dans le domaine du livre contemporain, ont souhaité offrir « le double éclairage d’une histoire propre à faire ressortir des tendances relevant de la longue durée » mais aussi « à procurer, pour chaque période envisagée, un tableau représentatif des principales maisons en activité ».

On parlera d’édition, au sens large, loin d’une limitation au fait littéraire. D’autant que la Belgique va s’affirmer dans des domaines marginaux : édition pédagogique (De Boeck, Wesmael-Charlier, Duculot, Dessain), BD (Casterman, Lombard, Dupuis), livre religieux ou de jeunesse (Marabout, Mijade, Pastel…), théâtre (Lansman), droit (Larcier)…

Les auteurs, lucides ou modestes, renoncent à l’exhaustivité, c’est pourtant mon seul (léger) bémol, ils sont tellement complets, précis qu’on finit par s’étonner des rares absences* remarquées : Le Hêtre Pourpre fin 90/début 2000, Murmure des Soirs aujourd’hui…

La matière brassée ?

Ce livre magistral offre ce que promet l’épigraphe (signé Didier Devillez, éditeur) : « Il existe entre tous ces auteurs, ces textes et ces œuvres, un fil ténu qui, si fragile soit-il, nous semble produire ce que tout être humain est en droit d’exiger d’autrui et de la vie : du SENS. »

Le livre est découpé en six sections : Le temps des imprimeurs (1470-1650) ; Le soleil noir de la contrefaçon (1650-1850) ; Entre Rome et Paris (1850-1920) ; La renaissance de l’édition belge (1920-1940) ; Industriels et artistes (1945-1980) ; Etat littéraire et marché du livre (1980-2000). Avec un épilogue prospectif : Au seuil d’un nouveau siècle.

Pour donner une idée de son contenu, évoquons ses premier et dernier chapitres. En insistant sur l’atmosphère générale : TOUT l’ouvrage témoigne d’écritures affinées et puissantes tout à la fois, d’une érudition mirandolienne et de recherches bénédictines, d’une conjugaison réussie du souffle et de la nuance.

Les débuts de l’imprimerie.

On remonte aux alentours de Gutenberg, au XVe siècle, pour aller gratter derrière des noms qui devraient parler à tout citoyen belge : Thierry Martens, Moretus, Plantin… On découvre avec fascination à quel point notre époque n’a rien inventé mais simplement intensifié les échanges culturels, la mobilité des corps, des idées et des produits. De voir notre Martens devenir l’ami intime ou l’imprimeur/éditeur attitré du Rotterdamois Erasme, publier un roman du futur pape italien Pie II, la Lettre de la Découverte du Génois Colomb ou la mythique Utopie de l’Anglais Thomas More (dont il réalise la première édition, à Anvers !), voilà qui laisse pantois. Puis songeur. Quels romans à écrire sur cette époque, ces aventures intellectuelles qui effacent les frontières ! Qu’attendons-nous, nous, gens de plume ?

Et que dire de la modernité des considérations dudit Martens ? Qu’il jette un regard lucide ou cynique sur son métier : « Un auteur ne cherche dans ceux qui le lisent que des admirateurs ; moi, j’y cherche des acheteurs. » Ou anticipe les récriminations de nos auteurs/éditeurs actuels : « J’ai souvent remarqué que les hommes, en général, ne font cas que de ce qu’on leur présente comme venant de l’étranger et importé de fort loin », « Tous les pays du monde entretiennent leurs industriels, le nôtre seul fait exception ». Au passage, un lecteur attentif s’interrogera sur le terme pays. Il y avait donc en nos terres une idée de nation, de patrie ? De quelle nature précise ? Passionnant, mais voilà qui quitte les limites de cet article.

Après Martens, Plantin, dont Balzac, au XIXe siècle, vantera encore la qualité extraordinaire des réalisations, consacrant le passage plus affirmé de l’impression à l’édition.

Trop à lire, à dire ! Je bondis par-dessus des centaines de pages.

Photos : Portrait of Pascal Durand and Tanguy Habrand, Professors at the  University of Liège - Valentin Bianchi - Photojournalist Liege Brussels  Belgium
Tanguy Habrand et Pascal Durand

L’édition de notre temps.

Le parcours est fascinant ! Jacques Antoine, Lysiane D’Haeyère et les Eperonniers… Puis ces noms qui recoupent mon itinéraire : Lombard, Yéti-Presse, Marabout, David Giannoni et Maelström, André Versaille, Christian Lutz… Mais, au-delà de la séquence nostalgie, il y a surtout la sensation de comprendre comment sont nés les sillons que nous pouvons aujourd’hui emprunter, il y a un approfondissement de la nature des diverses composantes. Qui aide à savoir d’où l’on vient, où l’on est, où l’on pourrait aller. On quitte l’histoire ou la réflexion sur le microcosme pour saisir encore un outil. En amont, des racines. En aval, du sens et des flèches.

Au détour des pages, on admire André Versaille, qui a réussi à traiter d’égal à égal avec Paris pour le domaine de l’essai (avec l’aide de Danielle Vincken), ou Emile Lansman, qui l’a réussi côté écriture théâtrale ; on s’étonne de l’importance d’un Mardaga, de l’apport considérable d’un Marc Quaghebeur ou d’un Jean-Luc Outers, etc.

Et puis, soudain, on tente de s’arracher au lamento des éditeurs et auteurs, qui ont certes souvent raison de stigmatiser un manque de soutien, de reconnaissance, mais qui, à force, en oublieraient des réussites ou spécificités très remarquables dont il convient de remercier nos instances (Communauté française de Belgique puis Fédération Wallonie-Bruxelles) : le concept Espace Nord**, une collection patrimoniale qui élargira son impact et sa philosophie en se faisant aussi anthologie de l’or littéraire du temps récent ou présent ; les très performantes et très citoyennes revues/plateformes culturelles Le Carnet et les Instants*** et Karoo**** !

En surplomb de la lecture…

…des interrogations sur la nature de l’édition belge, dont Roger Avermaete (magnifique auteur d’une Histoire belge décapée et décapante), disait, en 1929 déjà, qu’elle était « inexistante », la Belgique n’étant pas une « nation littéraire » comme la France, où « l’édition participe d’une volonté et d’une représentation », mais souffrant d’un déficit d’identité nationale, d’« un certain rapport distancié à la culture », d’une « position périphérique » par rapport à Paris ou Amsterdam.

Les auteurs nous ont offert un socle, et nul doute qu’on reparlera de cet ouvrage dans les décennies à venir. Bravissimo à tous deux et à leur éditeur !

Le livre sur le site des IMPRESSIONS NOUVELLES

Philippe Remy-Wilkin

Lisez-vous le belge ?