L’ÉTÉ DU PEINTRE / VARA PICTORULUI de SONIA ELVIREANU d’après un tableau de MIRCEA BOCHIS

.

L’été du peintre

Une maison blanche-rose sur une colline,
un étrange ciel nuagé, azuré,
son dedans reflété en couleurs :

le bleu troublé par des tourbillons,
le blanc emporté par les éclairées du ciel,
le rose comme un souffle imprégné dans les murs,

entre les ennuagements du ciel glisse
sur le toit fata morgana,
descendant des peintures de Chagall,

la maison irise l’été sur la colline
avec son étrange lueur,
le blanc-rose sur le vert tout autour :

le vert du champ ensoleillé,
de l’herbe ombagée, de sombres buissons,
des cyprès qui montent vertigineusement au ciel,

des peupliers qui veillent son sanctuaire,
dans leur feuillage, l’ombre de deux êtres,
le vert du cèdre assombri,

le ciel est vert comme l’été
troublé par le blanc-rose
de l’étrange maison sur la colline.

*

Vara pictorului

O casă trandafirie pe deal,

un cer straniu, înnourat, havaiu,

lăuntrul casei răsfrânt în culoare:

.

albastrul tulburat de învolburare,

albul spulberat prin spărturile cerului,

rozul impregnat în perete ca o boare,

.

între înnourările cerului lunecă

pe acoperiș o fata morgana,

coborând din picturile lui Chagall;

.

casa irizează vara pe deal

cu strălucirea ei stranie,

trandafiriul pe verdele din jur,

.

verdele-galben de câmp însorit,

de iarbă în umbră, de tufișuri întunecate,

de chiparoși ce urcă vertiginos în cer,

.

de plopi străjuind al ei sanctuar,

în frunzișul lor, umbrele a două făpturi,

verdele de cedru întunecat,

.

cerul e verde ca vara

tulburată de tradafiriul

ciudatei case de pe deal.

*

Mircea BOCHIS sur Artnet

= = =

POÈMES D’AUREL PANTEA, traduits du roumain par SONIA ELVIREANU

Aurel Pantea (n.1952) – poète, prosateur, essayiste, critique, rédacteur en chef de la revue Discobolul, maître de conférence à l’Université « 1 Décembre 1918 » d’Alba Iulia, membre de L’Union des Écrivains de Roumanie, Filiale Alba-Hunedoara.
Prix de poésie : Prix de début des Éditions « Albatros » pour La maison des rhéteurs, 1980 ; Prix de poésie, 1992, revue « Poésis », Satu Mare ; Prix « Livre de l’Année » pour Noir sur noir, 1994, Salon national de livre et de publication culturelle, Cluj ; Prix « Octavian Șuluțiu », 1998, revue « Familia », Oradea ; Prix de poésie, 2005, revue « Târnava », Târgu Mureș ; Prix de poésie, 2006, revue « Ateneu », Bacău ; Prix National « Tudor Arghezi », 2012, Târgu Jiu, Prix « Balcanica », 2012, Brăila ; Prix ARIEL « Livre de l’Année », 2013, București ; Prix « Livre de l’Année », 2013, Cluj-Napoca ; Prix de poésie, 2015, Union des Écrivains de Roumanie ; Prix de poésie, 2015, revue « Familia », Oradea ; Prix National « Mihai Eminescu », 2018, Botoșani.
D’autres prix : Prix de critique littéraire pour Sympathies critiques, 2004, revue « Poésis » Satu Mare ; Prix d’essai littéraire pour Poètes de la pleine transcendance, 2004, Union des Écrivains de Roumanie, Filiale Târgu Mureș ; Prix de publication littéraire, 2006, Union des Écrivains de Roumanie, Filiale Târgu Mureș

Extraits du recueil Le destructeur

                                    ***

Qui vit maintenant, te ressemble,
mon énorme dégoût, les contemplatifs partis,
les fossés sont restés nous surveiller, reste, ne pars pas,
mourant, l’amour fait aujourd’hui sa dernière confession, que ce n’est pas lui, que ce n’est pas lui,
qu’en aucun cas, ce n’est pas lui…
qui vit maintenant, te ressemble, mon énorme dégoût.
Sur une terrasse, en plein midi, la lumière coupe le cou
de la demoiselle d’à côté, à la table voisine le monsieur est très préoccupé
de couper ses veines, un souffle froid vient, signe que l’invité par tous attendu
est proche, mais tout le monde est très concerné, je me souviens
de mon ami mort il n’y a pas longtemps, il sentait quand l’invité était proche
et il injuriait terriblement, j’aurais besoin d’un poignard
pour cette normalité

                                               ***

Ni l’homme des philosophes, Dieu, ni l’homme des religions,
ni la créature des politiciens,
à moi vient le visage de quelqu’un accompagné de faiblesse et de débauche,
celui où les riens riaient, le reste de l’homme, après avoir triomphé dans sa vie les philosophes,
les théologiens, les politiciens,
tout le monde le reconnaît il vient des endroits où les prières ne pouvaient pas naître,
avec lui vient la prière sans foi,
en lui s’ouvrent les soupapes du langage, il porte les discours
comme autant d’enfers, il est la mémoire déchirée, la mémoire
brisée qu’on peut voir les entrailles du temps

                                        ***

Aujourd’hui , j’ai vu mon cœur, il battait de très loin,
il me semblait que ce n’était pas mon cœur, à côté, près d’un appareil sophistiqué,
la femme médecin aux yeux bleus m’a laissé écouter un instant
ses rythmes, j’ai entendu de gros torrents et un sifflement,
le temps se tourmentait en grandes fleuves, ce serait vrai,
a dit la femme médecin, si on était au milieu,
si on revenait dans son cœur, on verrait les souterrains
d’où vient le destructeur

                                                    ***

                                                               dédié à monsieur Mihai Șora

L’amour tombe la bouche dans la terre,
l’œil impitoyable rassemble de partout des paysages épuisés,
et pourtant ne laisse aucune chance à la mort de naître,

les amours viennent de longues errances, ils portent
les traces des refus, beaucoup s’endorment près du crime commis, et pourtant
ne laisse aucune chance à la mort de naître,

le temps vivant montre sa grande douleur,
de ceux partis s’élèvent des regards qui ont tout compris,
le prix payé pour être vivant se transmet plus loin,
plus loin, et pourtant
ne laisse aucune chance à la mort de naître,

il injecte en nous le siècle de morphine
placides, avares, la femme et l’homme trouvent, à la fin,
le lieu où ont commencé leurs solitudes oxydantes, de leurs vies
sortent en séries des bêtes fugaces, et pourtant
ne laisse aucune chance à la mort de naître

***

POÈMES de MARIAN DRĂGHICI, traduits en français par SONIA ELVIREANU, en suédois par STÂNIȘOARA STÂNCEL MĂRGINEAN


moi, Marthe et Marcel

que quelqu’un me montre tous les jours voici la phrase
par laquelle on doit commencer aujourd’hui le poème
pour aller loin.

une phrase éclatante, rayonnante
ayant le pouvoir de sauver (justifier)
toutes les obscurités
que le texte aurait retenues par la suite.

quelque chose de ce genre :
je me suis enfin levé, j’ai tourné au coin de la rue,
et tout à coup a surgi devant moi
verticale
la mer.

≪ tu as frappé à toutes les portes qui ne donnent sur rien
et contre la seule par laquelle on puisse entrer
et que tu aies cherchée en vain cent ans de suite
tu te heurtes sans le savoir et elle s’ouvre ≫
(Le temps retrouvé, tome I)

Marthe : oh ! mais naturellement !
et moi j’allais perdre puisque l’heure avançait.

donc je me suis levé décidé, j’ai tourné au coin de la rue
j’y ai fait quelques pas
et soudain a surgi devant moi
la mer.

vous comprenez ? non pas un bout de mer,
ni un petit golfe quelconque avec une plage splendide,
mais la mer debout
verticale et menaçante.

il n’y avait que moi et la mer
nous mesurant des regards
(Marcel : je suis extrêmement préoccupé par
la manière dont les visages vieillissent)
dans une solitude de plus en plus étrange et accablante,
si bien que j’y suis entré habillé, je l’ai traversée
jusqu’au lendemain vers le soir
lorsque j’ai atteint l’autre bord
où voilà que je m’arrête à attendre (hallali hallali :
air de cor de chasse
d’habitude il annonce que le cerf est capturé)
assis sur un banc à trois-quatre pas d’un coin
d’une rue dont je ne me souviens plus hallali hallali.

Marthe : pendant qu’il me retenait en me regardant
de ses grands yeux tristes.

Marcel : maintenant que vous savez le chemin
j’espère que vous reviendrez
(il ne faut pas surtout regarder mon visage
car j’ai l’air d’être mort).

+

jag, Martha och Marcel

någon ska visa mig varje dag här är frasen
som man ska idag börja med
för att nå långt.

en stark fras, strålande
kapabel att skydda (motivera)
oavsett vilka oklarheter
texten vidare skulle innehåla.

något som det här:
jag reste mig äntligen, jag vände runt hörnet
och plötslig dök det upp framför mig
vertikalt,
havet.

”du har knackat på alla dörrar
som inte leder någonstans
och den enda du kan gå igenom
och som du kontinuerligt har letat efter i hundra år
du rör utan att veta och den öppnas”
(Le Temps Retrouvé, tom I)

Martha: åh, men visst!
Jag skulle också förlora så länge tiden avancerade.

så jag reste mig bestämd, jag vände runt hörnet,
bara några steg
och plötsligt dök det upp framför mig
havet.

förstår ni? det handlar inte om en del av havet,
inte någon liten vik med någon underbar strand,
utan havet som stod upp
vertikalt och hotfullt.

vi var där, jag och havet fanns,
tittande på varandra

(Marcel: jag är mycket intresserad av
hur mänskliga ansikten åldras)
i en allt mer märklig och tryckande ensamhet,
så jag gick påklädd in i havet, jag vandrade genom det
tills nästa dag på kvällen
när jag kom till andra sidan
där jag sitter och väntar (hallali, hallali:
jakthornssång
som brukar omtala att rådjuret hamnar i hörn)
väntar på en bänk tre-fyra steg från hörnet
av en gata vars namn undslipper mig hallali hallali.

Martha: medan han höll mig tillbaka genom att titta på mig
med sina stora och ledsna ögon.

Marcel : maintenant que vous savez le chemin
j’espère que vous reviendrez
(bara att du inte lägger märke till mitt ansikte
för jag ser död ut).

+

eu, Martha şi Marcel

(en roumain)

cineva să-mi arate în fiecare zi iată fraza
cu care trebuie să începi astăzi
pentru a ajunge departe.

o frază puternică, luminoasă
în stare a mântui (justifica)
oricâte obscurităţi ar conţine
în urmă textul.

ceva în genul acesta:
m-am ridicat în sfârşit, am dat colţul
şi deodată îmi apăru în faţă
verticală,
marea.

„ai bătut la toate uşile
care nu dau nicăieri
şi de singura prin care poţi intra
şi pe care ai căutat-o în zadar o sută de ani întruna
te loveşti fără să ştii şi ea se deschide”
( Le Temps Retrouvé, tom I )

Martha: oh, dar desigur!
şi eu aveam să pierd devreme ce ora înainta.

aşadar m-am ridicat decis, am dat colţul străzii
numai din câţiva paşi
şi deodată îmi apăru în faţă
marea.

înţelegeţi? nu o parte din mare,
nu un golfuleţ oarecare cu vreo splendidă plajă,
ci marea stând în picioare
verticală şi ameninţătoare.

eram, existam eu şi marea
măsurându-ne din priviri
(Marcel: mă interesează deosebit de mult
cum îmbătrânesc chipurile)
într-o singurătate din ce în ce mai stranie şi apăsătoare,
aşa că am intrat în ea îmbrăcat, am parcurs-o
până a doua zi către seară
când ajunsesem pe malul dimpotrivă
unde iată stau şi aştept (hallali hallali:
arie de corn de vânătoare
de obicei vesteşte că cerbul este încolţit)
aşezat pe o bancă la trei-patru paşi de colţul
unei străzi al cărei nume îmi scapă hallali hallali.

Martha: în timp ce el mă reţinea privindu-mă
cu ochii lui mari şi trişti.

Marcel: maintenant que vous savez le chemin
j’espère que vous reviendrez
(numai să nu-mi luaţi în seamă chipul
căci par mort).


la clarté polémique. le persiflage

(au souvenir d’un après-midi d’hiver
avec Mircea Ciobanu)

le poète comme l’abeille sidérée,
le rayon sans cesse sur sa voie
jusqu’à l’aube alluma
le mur en cire de son travail.

et encore: tous s’étaient endormis, il pleuvait
le petit verre rempli était sur la table
et le chien aboyait encore
à l’étrangère de la maison.

est-ce vraiment pour rien que l’ange a crié
dans cette clarté polémique,
dans le silence le plus éthéré :

le poète comme l’abeille sidérée
le rayon sans cesse sur sa voie
jusqu’à l’aube alluma
le mur en cire de son travail ?

+

den polemiska klarheten. skämtet

( minnet av en vintereftermiddag
med Mircea Ciobanu)

poeten som ett chockat bi,
så sa du. strålen alltid på väg
fram till dagen antände
hennes verk vaxväggen.

och alla sov fortfarande, det regnade
det lilla glaset stod fullt på bordet
och hunden fortsatte att skälla
på främlingen i huset.

har ängeln ropat förgäves
i den där polemiska klarheten,
i den välvalda tystnaden:

poeten som ett chockat bi,
strålen alltid på väg
fram till dagen antände
hennes verk vaxväggen?

+

clarul polemic. persiflarea
(en roumain)

(amintirii unei după-amiezi de iarnă
cu Mircea Ciobanu)

poetul ca albina înmărmurită,
aşa ai spus. raza mereu pe cale
până la ziuă aprinse
zidul de ceară al muncii sale.

şi încă: toţi adormiseră, ploua
păhăruţul era plin pe masă
şi câinele tot mai lătra
la străina din casă.

au de florile mărului îngerul său a strigat
în clarul acela polemic,
în liniştea cea mai aleasă:

poetul ca albina înmărmurită
raza mereu pe cale
până la ziuă aprinse
zidul de ceară al muncii sale?



le poème de la crainte

d’où jaillira l’étincelle de ce poème ?
le champ est désert, clair,
les pluies ne sont pas encore tombées,
on ne voit nulle part un bosquet,
même défeuillé.

l’homme est nu, quelqu’un
(à peine)
l’a aperçu.

mets un manteau sur tes épaules et viens,
viens en automne cueillir le raisin/
la vie sur la colline.
voilà ce qui nous y attire.
(soit, le fil de la langue s’est rompu).

rien de sentimental, l’existence continue,
cependant cette dame, je ne sais pas comment tu l’appelais,
est-elle toujours seule ?
je passerais parfois chez elle, surtout en hiver
mais est-elle vraiment seule ?

je crois qu’elle a de plus en plus de peine
à tresser seule ses cheveux, blancs,
perfides cheveux, ils cachent quelque chose
l’étincelle de ce poème ?
une asperge ? tu sais, cette plante comme un petit sapin
vert-vert
oui, oui,
cette plante qui ne sert à rien
même si parfois, lorsque j’étais enfant
je l’ai apportée dans la maison.

puisqu’elle était verte et fraîche.

et cachait quelque chose.

+

blyghetens dikt

vart ifrån kommer denna dikts skäl?
fältet är tomt som din handflata
regnet har inte fallit på länge
ingen buske ses någonstans, även om utan
blad.

människan är naken, någon har
(knappt)
sett den.

klä på dig rocken och kom
kom till hösten för att samla vinstocken/
livet på backen.
där är man lockad att gå
(visst, det lockande språket försvann).

inget sentimentalt, existensen fortsätter
åtminstone den damen, jag vet inte vad du kallade henne
är hon alltid ensam?
jag vill gärna besöka henne ibland, speciellt på vinter
men är hon verkligen ensam?
jag tror att det blir svårare och svårare för henne
att fläta helt ensam sina vita flätor
satans flätor, gömmer de något? diktens skäl?
smalbladig sparris? du vet? den där plantan som liknar granen
grön, grön,
ja, ja
den där plantan som man inte har nytta av
även om ibland, som barn
jag har tagit med den hem.

för den var grön och häftig.

och den gömde något.

+

poemul sfielii
(en roumain)

de unde va sări iepurele acestui poem?
câmpul e gol ca în palmă
ploile încă nu au căzut
nu se vede nicăieri vreun tufiş, fie şi des-
frunzit.

omul e gol, cineva
(abia)
l-a zărit.

pune-ţi pe umeri o haină şi haide
vino la toamnă să strângem via/
viaţa pe deal.
acolo ne trage pe noi tare aţa
(fie, cea a limbii s-a rupt).

nimic sentimental, existenţa continuă
totuşi doamna aceea, nu ştiu cum îi ziceai
este întotdeauna singură?
m-aş duce uneori pe la dânsa, mai ales iarna
dar este într-adevăr singură?
cred că tot mai greu îi vine
să-şi împletească fără nimeni, albe, cosiţele.
ale naibii cosiţe, ascund ele ceva. iepurele acestui poem?
umbra-iepurelui? ştii, planta aceea ca un brăduţ
verde-verde
da, da
planta aceea care nu-i bună la nimic
chiar dacă uneori, copil
am adus-o în casă.

fiindcă era verde şi răcoroasă.

şi ascundea ceva.


quelque chose de plus réel que le néant

il existe peut-être
quelque chose de plus réel que le néant monsieur Beckett,
l’amour d’une femme qui n’existe plus
(la mort ni l’oubli ne nous ont pas séparés)
et que tout d’un coup on a envie de revoir
à tel point qu’on aimerait quitter la terre,

on aimerait quitter la terre
mais il n’est pas encore temps.

il suffit de dire
je reverrai bientôt peut-être ton visage, ma bien-aimée,
comme j’ai tant de fois regardé la mort en face
ou probablement de profil
au cours des jours de coup de feu de la révolte
en flânant dans les rues
dans l’espoir de te retrouver,
oui, de te retrouver
quelque part loin le soir d’après ta mort
auprès d’un petit feu de brindilles, auprès de la source,
absolument à l’abri des hommes,
absolument à l’abri des fauves,
au seul éclair des étoiles au-dessus et dans tes mouvements
la grâce de la nudité originaire.

+

något mer konkret än evigheten

det kan ändå finnas
något mer konkret än evigheten herr Beckett
en kvinnokärlek som inte längre finns
(varken döden eller glömskan har inte separerat oss)
och som man plötsligt saknar, på ett sådant sätt
att man skulle lämna jorden,

man skulle lämna jorden
men det är inte dags än.

det räcker bara att säga
kanske snart får jag se ditt ansikte min älskade
liksom så många gånger då jag sett döden rakt framifrån
eller kanske, från sidan
de där dum-dum revolterande dagarna
jag vandrande på gåtor
med hoppet om att hitta dig.
ja, jag kommer att hitta dig
någonstans långt borta på kvällen efter döden
bredvid en liten vedeld nära källan

helt skyddad från människor,
helt skyddad från djur
bara med glimten av stjärnor ovanför och med rörelser
i den fina primära nakenheten.

+

ceva mai real decât neantul
(en roumain)

poate că totuşi există
ceva mai real decât neantul domnule Beckett
iubirea unei femei ce nu mai este
(moartea nu ne-a despărţit, nici uitarea)
şi de care deodată ţi se face dor, la modul că
ai pleca de pe pământ,

ai pleca de pe pământ
dar încă nu e timpul.

destul să spui
poate-n curând am să-ţi văd faţa iubito
cum de-atâtea ori am privit moartea în faţă
sau mă rog, din profil
în zilele cu dum-dum ale revoltei
flanând pe străzi
în speranţa că am să te regăsesc,
da, am să te regăsesc
undeva departe în seara de după moarte
lângă un foc mic de vreascuri, lângă izvor
absolut ferită de oameni,
absolut ferită de fiare,
numai cu licărul stelelor deasupra şi în mişcări
cu graţia goliciunii originare.


*Marian Drăghici, lumière, doucement. Traduction en français et postface de Sonia Elvireanu. Préface de Michel Ducobu, Paris, L’Harmattan, 2018.

Marian Draghici sur le site de Recours au Poème

Sonia Elvireanu sur le site de L’Harmattan

Stȃnișoara Stȃncel Marginean

est née en 1974 au cœur de la Transylvanie (en Roumanie), vit actuellement en Suède.

Elle a une licence et un master en langue et littérature roumaines et françaises, obtenu en Roumanie et des cours de spécialisation en littérature francophone canadienne contemporaine, en langue suédoise et en traduction littéraire, réalisés à l’Université de Stockholm. Elle a également obtenu, à la même Université, un diplôme de Superviseur pour des étudiants en pédagogie.

En ce qui concerne sa vie professionnelle, Stȃnișoara exerce, à présent, un métier didactique au niveau des langues et civilisation suédoises, françaises et roumaines, en même temps qu’elle fait des travaux de critique littéraire, linguistique et pédagogique.

Son plaisir de travailler avec les langues a éveillé en elle le désir de se lancer dans le monde de la traduction littéraire. Elle a récemment commencé un master en théorie de la traduction, à l’Université de Stockholm. Parmi les écrivains les plus consacrés, sur lesquels Stȃnișoara s’est déjà appuyée, en tant que traductrice, il y en a les suivants : Bernard Friot, Astrid Lindgren, Matei Vișniec, Sonia Elvireanu et Marian Drăghici.


ENSOLEILLEMENTS AU COEUR DU SILENCE de SONIA ELVIREANU, traduit en suédois par STÂNIȘOARA STÂNCEL MĂRGINEAN



Doigts de lumière

Je regarde le ciel qui me sourit,
ne laisse pas les ombres
glisser dans mes poumons,

je les enroule autour des doigts,
je tends les mains vers le soleil
et les déplie doucement dans le ciel,

les ombres se dissipent,
s’élèvent dans l’air comme la fumée
d’une vieille lampe qui fume,

mes doigts deviennent transparents,
le soleil nettoie mes nuages et se coule
dans tous les coins habités d’ombres autrefois,

imbibés de bleu et de soleil,
ils écrivent en couleurs, ma respiration
s’allège sous les doigts de lumière.

Fingrar av ljus

Jag tittar på himlen som ler mot mig,
jag låter inte skuggorna glida in i mina lungor,

jag vrider dem på fingrar, jag tar dem ut i solen,
jag öppnar sakta handflata mot himlen,

skuggorna lossnar som röken från en gammal lampa
som släpper rök och höjer sig ut i lyften,

solen rensar mig från molnen,
den smälter sig in i alla hörn där någon gång stod skuggor,

fulla av blå, av sol, fingrarna skriver i färg,
andningen blir lätt under ljusets fingrar.

Degete de lumină
(en roumain)

Mă uit la cerul care-mi zâmbește,
nu las umbrele să alunece în plămâni,

le răsucesc pe degete, le scot la soare,
desfac încet palma spre cer,

umbrele se dezlipesc ca fumul dintr-o lampă
veche ce fumegă și se ridică în aer,

soarele mă curăță de nori,
curge în toate cotloanele unde au stat cândva umbre,

îmbibate de albastru, de soare, degetele scriu în culori,
respirația devine ușoară sub degetele de lumină.


Le pèlerin

Je te cherche,
pèlerin égaré,

dans une maison paysanne,
ta voix de prophète,

un seuil nous sépare
et l’attente,

tu effleures doucement ma tempe:

– tu es venue.

Vandraren

Jag letar efter dig,
den vilse vandraren,

i ett lanthus,
din profetiska röst,

– du är här.

Pelerinul
(en roumain)

Te caut,
pelerin rătăcit,

într-o casă de țară,
vocea ta de profet,

ne desparte un prag
și așteptarea,

blând tâmpla-mi atingi :

– ai venit.


Miracle

L’amour

fait de l’écorce
un arbre vert,

il fait fleurir
son ombre.

Mirakel

Kärleken

skapar levande träd
av bark,

den blomstrar
till och med trädens skugga.

Miracol
(en roumain)

Iubirea

face din scoarță
copac verde,

îi înflorește
până și umbra.


Sonia Elvi­reanuEnso­leille­ments au coeur du Silence — Scin­tilli nel cuore del Silen­zio, Tra­duc­tion de Giu­liano Ladolfi, Giu­liano Ladolfi Edi­tore, Bor­go­ma­nero No, 2022, 262 p.- 18,00 €.


L’INTÉGRALE POÉTIQUE De MIRCEA STÂNCEL : extraits traduits par SONIA ELVIREANU

Mircea Stancel

cum te-am cunoscut

te-am cunoscut la un bal sătesc când sclipeai de fericire
tocmai începuse dezmembrarea lumii noastre
erai făcută din droguri neîncercate încă și broderia de la gulerul tău
destul de complicată eram niște nebuni de fapt
muzica adusă clandestin de peste graniță ne-a făcut felul
mult argint fierbinte era în corpul nostru l-ai întâlnit pe
shakespeare și i-ai fost iubită și-ai vrea să ne culcăm în patul lui;

nu vreau să spun acestei zile cum te numești
nu pot să te descriu că nu-mi ajung sonetele
cele mai multe sunt ruinate sunt în faliment
ne fotografiam cu ochii și era de-ajuns
și zeii zilei și ai nopții ne priveau de pe pereți
și bănuiam puțin din ce se va întâmpla până la urmă;

plesneam de tinerețe și lumea se distra în jur după alte legi
după timpuri ce intrau în disoluție
și noi doream să ne cadă umbrele în mare
și fără să știm ne scufundam în ape după ele;

nu te poți juca cu atâta căldură în jur
și mâinile ei ardeau pe umărul meu topit
ce ton frumos și trupul tău vibra în palmele mele
dar noi ne scufundam mereu în toate imperfecțiunile zilei;

și sala cu ferestrele deschise de iulie
se instruia intens cu clorofilă sus pe un deal
și tu erai mândră de sânii tăi ridicați ce priveau doar everestul
și eu nu prea știam ce înseamnă asta pe atunci
iar tu îți dirijai emoția doar pentru tine;

dacă-ți voi zdrobi genunchii cu o roză nu-i așa că o să urli de drag
în toată cartea și nu-i lăsăm pe unii cu prozele să ne dribleze;


comment je t’ai connue

je t’ai connue au bal villageois quand tu brillais de bonheur
le démantèlement de notre monde venait de commencer
tu étais faite de drogues encore non éprouvées et la broderie de ton col
assez compliquée nous étions des fous en fait
la musique emportée clandestinement de l’étranger nous a arraché l’âme
beaucoup d’argent brûlant était dans notre corps tu as rencontré
shakespeare et tu as été sa bien-aimée et tu voulais nous coucher dans son lit;

je ne veux pas dire à ce jour comment tu t’appelles
je ne peux pas te décrire car je n’ai pas assez de sonnets
la plupart sont ruinés sont en faillite
nous prenions des photos de nos yeux et c’était assez
et les dieux du jour et de la nuit nous regardaient des murs
et nous soupçonnions peu ce qui arriverait jusqu’à la fin;

nous étions jeunes à crever et le monde s’amusait autour d’après d’autres lois
d’après des temps qui entraient en dissolution
et nous désirions que nos ombres tombent en mer
et sans le savoir nous plongions dans ses eaux après elles;

on ne peut pas jouer avec tant de chaleur autour
et ses mains brûlaient sur mon épaule fondue
quel beau ton et ton corps vibrait dans mes paumes
mais nous plongions toujours dans toutes les imperfections du jour;

et la salle aux fenêtres ouvertes en juillet
s’instruisait intensément avec la chlorophylle en haut sur une colline
et tu étais fière de tes seins remontés qui ne regardaient que l’everest
et je ne savais pas ce que c’était en ce temps-là
et tu dirigeais ton émotion seulement pour toi;

si j’écrase tes genoux avec une rose tu hurleras d’amour n’est-ce pas
dans tout le livre et nous ne laisserons personne nous dribbler avec leurs proses;



pe străzi definitiv

știu bine că fugi mereu de-acasă
te lași în străzi definitiv
înveți emoțiile să vorbească mai nou și cât se poate de gramatical
îți faci costume vechi la modă le duci prin parcuri și în iad
canalul cald – un demisol în care te întinzi la soarele nopții
deasupra ta nu mai ai decât gluga;

ți-ai luat doar hăndrălăul cu tine să te ducă de aripi
să-ți deseneze libertatea să-ți împletească cozile
dar mai ales să-ți calce visul dimineața
când este atât de șifonat de vicii;

ești frumoasă în culorile disperării
respiri libertatea în timp ce recele nopții te acoperă
sunt unii care-ți fac curte
nu mai vrei nici o ierarhie nici un șef
înjuri trecătorii care își poartă cu ei echilibrul
noaptea dezmembrezi palate din secole trecute
cărămidă cu cărămidă
și din când în când te ștergi pe fustă de roșul din palme;
și strigi că originalul e copie și copia original;

îți duci rucsacul în spate
și folosești transpirația pe post de parfum
și-mi spui verde în față că eșafodul este singura noastră salvare
eu cred că lacrimile tale sunt sincere
pentru că nu ai jucat nici odată alt rol;

și noi înaintăm mereu către castelul tău roz;

piesa pe care o interpretezi transformă lumea
și ridică senzațiile la cer
modelul tău ești tu însuți
cineva te trage în multe cópii;

călugării te reproduc
cu fidelitate
în mănăstirile lor;

rostești pe străzi neîncetat:

dacă hormoni nu mai sunt nimic nu mai e
și nu ești decât un vas spart
în ale cărui cioburi mă rănesc mereu;


dans la rue définitivement

je sais bien que tu t’enfuis toujours de chez toi
tu te caches dans les rues définitivement
tu apprends aux émotions à parler depuis peu et autant que possible grammaticalement
tu te fais de vieux costumes à la mode tu les emportes dans les parcs et dans l’enfer
le canal chaud – un demi-sous-sol où tu t’allonges au soleil de la nuit
au-dessus de toi tu n’as plus que ta capuche;

tu n’as emmené que ton gars pour te prendre par les ailes
pour dessiner ta liberté et pour tresser tes nattes
mais surtout pour repasser ton rêve le matin
quand il est si chiffonné par ses vices;

tu es belle dans les couleurs du désespoir
tu respires la liberté pendant que le froid de la nuit te couvre
il y en a qui te font la cour tu ne veux plus aucune hiérarchie aucun chef
tu insultes les passants qui emportent avec eux l’équilibre
pendant la nuit tu démantèles des palais des siècles passés
brique par brique
et de temps en temps tu essuies le rouge de tes paumes sur ta jupe ;
et tu cries que l’original est copie et la copie l’original ;

tu portes ton sac à dos derrière ton dos
ta transpiration comme seul parfum
et tu me dis carrément que l’échafaud est notre seul salut
je crois que tes larmes sont sincères
parce que tu n’as jamais joué d’autre rôle;

et nous avançons toujours vers ton château rose ;

la pièce que tu joues transforme le monde
et élève tes sensations jusqu’au ciel
ton modèle est toi-même
quelqu’un tire beaucoup de copies de toi ;

les moines te reproduisent
fidèlement
dans leurs monastères ;

tu parles sans cesse dans les rues :

s’il n’y a plus d’hormones il ne reste rien
et tu n’es qu’un pot cassé
dont les tessons me blessent toujours ;


Mircea Stâncel est poète, prosateur, essayiste, chroniqueur littéraire, rédacteur.


FOUDROYER LE SOLEIL/FULMINARE IL SOLE de Denis EMORINE, traduit par Giuliano LADOLFI / Une lecture de Sonia ELVIREANU


Pourrait-il trouver un refuge contre la force dévastatrice d’une obsession qui l’empêche de jouir de la vie, ce poète hanté, à l’identité brisée par une histoire douloureuse ayant  glissé la mort dans son destin ? Au moins il essaie de le faire sans réussir vraiment à s’en libérer.

Tout l’univers poétique de Denis Emorine est imprégné de souffrance, du sentiment de l’exil ressenti au fond de lui-même, même s’il n’est pas un exilé. Il l’est intérieurement par le jeu cruel du destin de ses parents, une blessure infligée à jamais depuis son enfance par l’Histoire. Cela justifie la plus cruelle de ses obsessions, « la mort vient de l’Est », qui ne le quittera pas au fil de sa vie, thème récurrent dans ses poèmes, de même que certains motifs liés : la forêt de bouleaux, la femme russe, le petit enfant, la femme brune aux yeux bleus (sa mère).

Dans ce recueil, la mort est en arrière-plan, une présence qui flotte dans sa mémoire outragée, la toile de fond des poèmes sur laquelle le poète aimerait « sculpter le visage de l’amour » qu’il conjure comme unique refuge. C’est pourquoi la Femme revient au premier-plan de ses poèmes, source éternelle d’amour et chance de guérir. Ce sont les femmes de sa vie : sa bien-aimée Anne Virginie, sa mère aux yeux bleus, présence impalpable et constante dans ces poèmes, et celles croisées par hasard, toutes appelées à consoler et à faire oublier l’obscurité meurtrière ; mais aussi la femme russe sous ses multiples visages réels ou imaginaires, porteuse d’un message de douleur et d’exil : Natacha Rostova, comme Olga dans Romances pour Olga.

Le poète leur dédie ses « poèmes égarés aux carrefours du monde », lui-même un égaré dans le « labyrinthe surgi du passé » qui trouble sa vie, rend impuissant même l’amour fidèle de la femme restée à côté de lui pour le comprendre, le protéger contre les fantômes qui hantent son cerveau dont les yeux bleus de sa mère et le petit enfant souffrant sont prégnants. Lui-même se voit « une ombre parmi d’autres », ceux emportés par la guerre. L’image du petit enfant, « planté aux carrefours de la mémoire » traverse comme un fil rouge tous ses poèmes. C’est l’un des visages de l’exil, puis vient celui de l’adulte et de l’écriture : « mots qui trahissent les proscrits du monde », car les mots sont trop faibles pour parler de la cruauté du réel. L’écriture même a pour Denis Emorine le goût amer de l’exil intérieur, la barrière qu’il ne peut pas franchir : « la barrière est en toi », « écrire a le goût de l’exil depuis si longtemps ».

Si puissant qu’il soit, le mot perd sa force, impuissant devant la mort: « Que vaut la parole/ si fertile soit-elle/ face à la mort/  Est-il si difficile/ de scier les branches du monde/  avant de se jeter dans le vide ? »

« L’Est est en feu » devient leitmotiv tout comme « La mort vient de l’Est » de ses recueils. Reprise, la phrase rend plus fort le cri de désespoir de celui qui ne peut pas oublier, car la blessure se rouvre, brûle telle la flamme de la guerre rallumée à l’Est pour faucher d’autres vies. « Alors que la guerre me rejoint nuits et jours », « je me sentais perdu », seul, abandonné n’ayant que les mots pour combattre les fantômes de la mort gravée en lui : « je me sens abandonné/  je murmure les mêmes mots/ dans les ruines de ma vie ».

Le poète aimerait bien sortir vainqueur de ce combat harcelant, mais « comment fondre l’obscurité/ sans se briser », « Pourquoi ces traînées de sang qui tardent tant à renier la terre/ stagnent-elles dans ma tête »? se demande-t-il impuissant.

Que peut-on opposer à la hantise de la mort sinon l’amour, sa force que le poète ne cesse d’appeler au secours du tréfonds de son âme brisée pour cicatriser sa blessure et guérir ? Hélas, son souvenir est si fort que « Tout est à détruire, même l’amour », l’amour fidèle de la femme de sa vie, la seule à le comprendre et protéger.

Entre interrogations et confessions, le désespoir du poète se fait chemin incessant : « Je sais que souvent/  je suis au bord de la folie / quand tu es loin d’ ici/  J’ignore si/  la vie nous aura transportés/  ailleurs/  le petit pantin que je suis/s’agite en vain/  lorsqu’il est seul/  privé de ton amour / alors /dès que le vent d’estébouriffe mes idées/  je vois ton visage et/ la beauté de tes yeux/  qui irriguent ma vie/ et je hais les mots/  de trahir ce que je ressens/  en trompant la mort » // « J’ai trop souvent l’air perdu/ en essayant de trouver mon salut/  hors des forêts sans fin/ il me faut la forêt de tes bras/  pour sortir des gouffres que j’ai imaginés/ je ne veux pas t’aimer de loin/ Mon amour/  mon amour/  chaque mot déposé au creux de toi/ m’éloigne des forêts/ sans / issue ».

Aucun refuge, ni même l’amour ne saurait effacer de la mémoire le souvenir de l’Est meurtrier tel un cauchemar : « Il n’y a pas d’autres chemins/mais je l’ignore pour l’instant/ À force de me tourner vers l’Est/ j’ai perdu le sommeil/  Les voix de l’exil m’ont rejoint/  je les sens tout contre moi/ leur souffle chaud/ et comme une morsure à mon cou/ embrasent même le ciel ».

Le poète rejoint le cortège des exilés de l’Histoire par l’histoire tragique de ses parents. Son identité brisée entre l’Est et l’Ouest depuis son enfance ne cesse de troubler sa vie, son amour, car il ne réussit pas au fil des années à se réconcilier avec son passé douloureux.

L’écriture même s’avère impuissante : « je suis orphelin des mots qui m’ont trahi », « Trop de douleur /s’échappe de la terre/  tandis que je m’enfonce/ toujours plus/  dans le brouillard des mots/  je n’arrive pas à regarder/ la lumière du soleil/  Il s’est en allé un jour de reniement/  entre l’Est et l’Ouest »

Pourrait-il foudroyer le soleil noir de l’Est, celui de la mort, le faire disparaître de sa mémoire ? Au moins pour ce recueil, la réponse est là, dans le texte :« Tes doigts ne se poseront plus/ sur le clavier du piano/ Tu ne sais plus faire chanter/  les partitions de la vie/  Ton amour s’en rend compte/  alors que tu chemines les pieds nus/  dans quelque forêt du passé/ sans espoir de revoir/ la lumière de la page ».

L’Est est pour Denis Emorine la Russie, « ce pays glacé », maculé de sang, avec le fantôme de son père et la douleur de sa jeune mère qui traverse tous ses poèmes : «  À chaque carrefour du monde/  j’ai toujours peur de rencontrer/  une femme brune aux yeux bleus/  qui m’apportera peut-être en souriant/  l’odeur de la mort/  Je suis tombé un jour d’innocence/  sur les marches de l’Histoire/  je ne suis pas sûr de m’être relevé/  vraiment ».

Mais ce sont aussi les grands poètes russes, ses exilés, ses forêts sombres qui lui donnent le frisson de la mort. Il ne cesse de condamner la guerre et en même temps de rendre hommage à la grande culture russe qu’il rejoint par les racines slaves de ses ancêtres.

Recueil interrogatif en forme de confession, Foudroyer le soleil est descente dans l’abîme du soi, dans le labyrinthe d’une mémoire outragée par l’Histoire, mais aussi requiem pour l’Est par ses leitmotivs, sa voix grave, la musicalité et la fluidité des poèmes sans titre, sans ponctuation, écrits selon le principe héraclitien panta rhei.   

Sonia Elvireanu               


Denis Emorine, Foudroyer le soleil/ Fulminare  il sole. Poèmes/ poesie. Traduits par Giuliano Ladolfi. Traduzione  Giuliano Ladolfi,  Giuliano Ladolfi editore, 2022, 122 p.

Les Editions Ladolfi

Le recueil sur le site de MondadoriStore


POÈMES EN ROUMAIN extraits de Tristețea smochinului / La Tristesse du figuier d’Yves NAMUR, traduits du français par Sonia ELVIREANU

Yves NAMUR © Béatrice Libert

Yves NAMUR, né en Belgique en 1952, est poète, essayiste, prosateur, le directeur de la Maison d’édition Le Taillis Pré et de la revue Le journal des poètes, académicien depuis plus de 20 ans et le secrétaire perpétuel de l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique. Il a publié plus de cinquante livres et réalisé aussi des livres d’artiste en collaboration avec les peintres. Ses poèmes, traduits en quinze langues, ont gagné des prix prestigieux : Prix Georges Lockem (1974), Prix Charles Plisnier (1985), Prix Jean-Malrieu (1992), Prix Gauchez Philippot (1993), Lauréat de la Fondation Spes (1994), Prix Emma Martin (1998), Prix de la Biennale Robert-Goffin (2000), Prix Louise Labé (2001), Prix Maurice Carême (2003), Prix Tristan Tzara (2004), Prix littéraire du Parlement de la Communauté Française (2005), Grand prix international de poésie Eugène Guillevic (2008), Prix Mallarmé (2012).

Il est traduit aussi en roumain par Valeriu Stancu, Doina Ioanid et Sonia Elvireanu. Son recueil La tristesse du figuier (prix Mallarmé 2012) vient de paraître en version roumaine Tristețea smochinului dans la traduction de Sonia Elvireanu chez les Éditions Școala Ardeleană de Cluj-Napoca, en Roumanie, dans une très fine et élégante édition. Le directeur des Éditions, Vasile George Dâncu, a lancé ce livre lors du Festival international „Lucian Blaga” de Cluj-Napoca, à  sa 30-ième édition en 2022. Invité d’honneur au festival, Yves Namur a a honoré cette prestigieuse manifestation culturelle par une communication sur la poésie de Lucian Blaga dont il est le promoteur en Belgique.


Sorina Stanca, Sonia Elvireanu, Yves Namur et Horia Bădescu

Version originale: Yves Namur, La tristesse du figuier, Letttres vives, 2012.  

Version en roumain : Yves Namur, Tristețea smochinului, Editura Școala Ardeleană, 2022.  Traducere de Sonia Elvireanu. Prefață de Horia Bădescu, 106 p.



Poèmes en roumain de Tristețea smochinului d’Yves NAMUR, traduit par Sonia ElVIREANU

*

Pe pervazul ferestrei,
Un deget lunecă uşor prin pulbere.

E-aproape ca o rană veche
Ce se deschide din nou,

Ca o inimă mâhnită,
Ca un văl ori cerul-de afară ce se rupe
În două părţi egale.

Dar numai dacă pândeşti
Îţi va fi dat să vezi un cuvânt de poet
Înăuntru,

Da,
Învaţă să vezi lucrurile ce nu se văd,
Învaţă mai ales să le iubeşti.

*

Nu sunt în realitate
Decât al umbrelor umil şi supus slujitor,

Cu ele păşesc,
Cu ele alerg când trebuie să alerg
Şi mă opresc când ele se-opresc.

Mănânc,
Adulmec şi dorm precum câinii:
Mereu la picioarele lor şi numai c-un ochi.

Uneori mi se-ntâmplă să visez altă viaţă,
Dar asta-i o altă poveste.

*

Un om sapă o groapă:

Osteneală şi tristeţe-n ea să-ngroape,
Ca alţii, zice el, niciodată să nu le cunoască
Ori să facă vreodată un lucru aşa de cumplit.

Un altul sapă la fel alături de el.

Aşa
Crede că poate uita până şi propriul lui chip
Ori poveste.

Un al treilea nici măcar nu se mişcă,
Atât de inutile i se par gândurile neînsemnate
Şi poemele noastre fără real temei.

*

Spune-mi,
Cum să vorbeşti de tristeţea smochinului?

Cum să vorbeşti drept,
Fără să trezeşti vreodată cea mai mică bănuială
Ori cel mai mic regret,

Fără ca pasărea să o trezeşti
Ori fructul ce se coace încă înăuntru?

Cum să vorbeşti
Ca lucrurile astfel zise să fie chiar
Ce în realitate sunt?

N-ar fi mai înţelept pentru poet să tacă,
În umbra arborelui să se-aşeze

Ori mai bine încă
În umbra umbrei sale?

*

Ştim cu adevărat
Câte pietre-n vid au fost aruncate

Şi câte în rumoare-au fost abandonate,
În ploaie ori în negrul noroi al fluviului?

Nu prea repede-am uitat
Că pietrele precum noi azi vorbeau ?

Că un trecut şi-un viitor aveau
Şi-un suflet ca al nostru,

Că doar erau
Ceva din noi, oarecum noi ?

De ce uitat-a omul toate
Aceste lucruri simple ale vieţii ?

*

Câţi mai sunt,
Oameni care stau în noaptea aspră şi rece

Şi-aşteaptă cu răbdare fântâna să se umple
Ori să sece cu totul de pietre
Şi de apa ei tulbure?

Care-aşteaptă
Visele să se-mplinească ca o smochină, zic ei,
Ori ca o coajă de nucă,

Care-aşteaptă-n tăcere
Găleţile toate cu vin nou să se umple

Ori doar cu promisiuni
Ce se vor ţine ori nu se vor ţine poate?

Dar de fapt:
Cine sunt oamenii aceştia îngenuncheaţi?

Şi ce-aşteaptă cu-adevărat de la mine, de la lacrimile mele
Şi de la norii ce fără tihnă poemele toate-mi străbat?



Adorm uneori visând
Că pentru mine nimic altceva nu-nseamnă-a trăi
Decât singur să fiu în sfârşit şi despuiat în faţa oamenilor
Ori a poemelor mele.

Mai bine-nţeleg atunci unele lucruri:

Cum e realitatea cuvântului tăcere,
Consistenţa cuvintelor nor, iubire, ştergere
Ori gânduri obscure.

Şi-atunci când mă trezesc
Şi totul lunecă şi neoprit se-afundă-n
Adâncul visului

O suferinţă fără margini mă cuprinde,
Şi-atunci înţeleg ce vor cu-adevărat să spună cuvintele

Nu sunt nimeni.[1]                      


*

Dar când aşadar veni-va ziua aceea
Pe care prietenul meu o numeşte ziua fără nimic[2]?

Poate trebuie pentru asta
Uneltele vechi să-mi îngrop chiar în fundul grădinii,

Cu gândurile-mi tulburi, săptămânile-mi prea pline
Şi frica mea de-a trăi?

Poate-i nevoie
Să-mi golesc toată casa?

Poate-i nevoie s-aştept
Să se-oprească ploaia în cărţile mele

Ori ca iubirea să nu-i mai facă pe oameni să viseze
Când pe atâţia alţii îi face să sufere?

Poate că-n toate astea e calea
Ca să intru o dată măcar în ziua fără nimic.

*

Oriunde
Mă uit:

La fel e mereu,
aceleaşi greutăţi, aceleaşi imposibile trude,
aceleaşi tulburări, şi-aceleaşi învârteli viclene
Şi inutile.

Dar există cu-adevărat materie de poezie?

Căci ştii de mult timp:
Poezia nu-i tocmai o afacere[3].

E ca ciobanul fără de oi,
Căruia i-ai zice:
Du-te şi paşte-ţi cuvintele altundeva,
Pramatiede fals cioban [4] ?                                                  (Août 2010)

*

Vreau de-acum
Să rămân să-aştept pulberea,

Aşa cum aştepţi un mic miracol,
Un pelerin himeric ori doar ploaia,

Aştept pulberea.

Poemul meu, îţi spun, ar putea bine să-nceapă aşa,

Căci uneori nu ştii de fapt de ce scrii una ori alta
Dar scrii orice-ar fi,

În ciuda mierlei,
În ciuda ploii ce pătrunde-acum în casă,
Fără voia mea şi-a oamenilor ce nu vor înţelege niciodată nimic
Din aşteptările smintite ale poeţilor.

*

Lasă-mă să-ţi mai vorbesc de pulbere :

De cea din inima amanţilor fără poveste reală,

De cea care-ncurcă gramatici
Şi discuţii interminabile despre orice regulă,

Şi de aceea de care nu eşti mândru
Pentru că regrete acoperă şi proaste-obiceiuri.

Lasă-mă să-ţi mai vorbesc de pulberea
Din care faci munţi de minciuni
Ori de poeme,

Pentru că trebuie desigur să vorbeşti de ceva
Ce câteodată rimează

Şi uneori cu nimic nu rimează.

*

Spune-mi: să nu te gândeşti la nimic.

Şi s-o spui sincer într-un poem,
E chiar util?

Toate lucrurile acestea sunt raţionale şi pot fi spuse
Atunci când deja o ploaie obscură
Cade pe oameni şi pe acoperişul casei tale?

Spune-mi,

N-ar fi mai bine să-ţi laşi îndată poemul,
Cum un fermier îşi lasă ogorul obosit
În voia cerului şi-a păsărilor,

N-ar fi bine
Să mergi în sfârşit cu oamenii,

Cu tristeţile, cu patima lor de-a trăi ori muri,
Cu casele lor goale ori pline?

Spune, poetule,
Ce vrei să faci acum din poem,
Din măruntele tale afaceri

Şi din povestea cu ploaia de care mereu vorbeşti?

*

Mai spune-mi:

Ce diferenţă-i între un poem
Şi leul înaripat pe tavan pictat?

Unul şi altul nu se-asemănau
Când liber pe pajişte-alergau?

Când, obosiţi, se priveau
Ori aceeaşi apă de fântână sorbeau
Ori a oamenilor tristeţe?

Şi nu-s amândoi asemeni cu tine
Ce culegeai nepăsător lacrimile îngerilor

Şi gura uşor amară-a nebunei?

                                          (Biserica din Fonday, Alsacia)

*

În tristeţea smochinului

Mai trăiesc bărbaţi şi femei
Cu suflet chinuit şi viaţă
Deja arsă.

Sunt ca oile fără cioban,
Care nu mai aşteaptă nimic, nici viaţă
Nici moarte,

Ni măcar pământul ce li s-a promis.

Tot ce mai speră-i să nu ne tulbure acum prea mult.

______________________

[1] Fernando Pessoa, Je ne suis personne (Eu nu sunt  nimeni).

[2] Israël Eliraz, La porte rouge (Poarta roşie).

[3] Jean-Claude Pirotte, Le couloir magique (Culoarul   magic).

[4] Andre Schmitz, Les prodiges ordinaires (Minunile obişnuite)


POÈMES INÉDITS de MICHEL BÉNARD traduits en roumain par SONIA ELVIREANU

Michel BÉNARD

À l’heure où s’installe la nuit

À l’heure où s’installe la nuit,

Où la lune fécondée

Se galbe de poussière d’or,

Toute drapée de brume nacrée

Aux nuances diaphanes,

Je vous conterai les mélodies du vent,

Les silences camaïeux des neiges dernières,

Les murmures des jeunes pluies printanières,

Je vous emporterai en lisière d’une forêt

Où dort encore la mémoire

Des origines du monde.

En secret,je vous offrirai,

La précieuse harpe bleue,

Dont les gammes divines

S’élèveront jusqu’aux mirages

D’un ciel en ornement,

Comme une tendre caresse

Déposée sur les ailes d’un ange.


La ceasul la care noaptea se lasă

La ceasul la care noaptea se lasă,

Când  luna fecundată

Crește-n pulbere de aur 

Învăluită-n sidefie ceață,

În culori diafane,

Vă voi povesti ale vântului cântece,

Palidele tăceri ale ultimelor ninsori,

Șoaptele vioaielor ploi primăvăratice,

Vă voi duce la margine de pădure

Unde doarme încă memoria

Originilor lumii.

Vă voi dărui, în taină,

Prețioasa harfă albastră,

Ale cărei game divine

Se vor înălța până la mirajele

Unui cer ca podoabă,

Ca mângâiere tandră

Pe aripile unui înger lăsată.


+

Aujourd’hui je voudrais

Pour préserver le temps,

Aujourd’hui je voudrais

Privilégier l’espace nouveau,

Reprendre respiration avec le vent,

Marcher vers la source essentielle

En cultivant l’intime soif

Des plus intimes impressions,

Des étonnements les plus fulgurants.

Aujourd’hui je voudrais

Ne plus vivre qu’intensément

Dans l’amour de la femme,

Le mystère d’un miracle

Venant de se révéler

Ne demandant que pérennité.

Aujourd’hui ce chemin de vie

Ne vaut d’être vécu qu’au seuil

Symbolique du triangle absolu.


Astăzi aș vrea

Pentru a păstra timpul

Astăzi aș vrea

Să privilegiez spațiul nou

Să respir iar cu vântul

Să pășesc spre izvorul esențial

Cultivând intima sete

A celor mai intime impresii,

A celor mai fulgurante uimiri. 

Astăzi aș vrea

Să nu mai trăiesc decât intens

În iubirea femeii,

Misterul unui miracol

Ajungând să se reveleze

Fără să ceară decât perenitate.

Astăzi acest drum de viață

Nu merită trăit decât pe pragul

Simbolic al triunghiului absolut.


+

Aux lisières informelles du monde

Aux lisières informelles du monde,

Des vols d’oiseaux bigarrés

S’étirent en escadrilles

Dans le grand V du silence

D’un demi-sommeil de nuit.

Des perles de pluie,

En forme de chapelet

Contiennent l’énigme

Des premières paroles d’aube,

Saupoudrant parcimonieusement

De ses nuages d’encre,

Les promesses éblouies de la poèsie.


La marginile informale ale lumii

La marginile informale ale lumii,

Zboruri de păsări pestrițe

Se înșiră în escadrile

În marele V al tăcerii

Dintr-un somn al nopții.

Perle de ploaie

În formă de rozariu

Conțin enigma

Primelor vorbe din zori,

Presărând cu parcimonie

Din norii lor de cerneală,

Promisiunile uimite ale poeziei.


+

Dans le silence des nuits

Dans le silence des nuits

Il arrive parfois que les mots

Brulent,écument, hurlent,

Prennent de l’ampleur,

Réveillent les pensées muselées

Lorsque l’histoire devient obscure,

Pour sombrer entre douleur et fascination.


În tăcerea nopților

În tăcerea nopților

Se-ntâmplă uneori cuvintele

Să ardă, să spumege, să urle,

Să ia amploare,

Să trezească gândurile înăbușite

Când povestea devine obscură,

Pentru a se nărui între durere și fascinație.


+

Étrangement le temps

Etrangement le temps se suspend,

Le souffle d’un recueillement m’effleure,

Un silence contemplatif me transporte

Sur le seuil d’un autel d’extase.

Face à cette icône sublime

Au regard mystérieux et pénétrant,

Que singularise la turquoise d’un talisman,

Voici que je touche à l’intime

Des soieries de l’infini,

Des draperies de liturgie.

Au-delà d’étonnantes turbulences

Je m’avance dans un rêve

Drapé des signes passionnels,

Où je vous effeuille, vous décrypte,

Tel un manuscrit parcheminé de beauté.

Vos seins lisses aux veines marbrées

Reflétant l’éclat des étoiles,

Sur le fond de vos yeux bleus

Se dessine une osmose gardienne

De mille nuances d’amour.

De mon alcôve isolée je vous idéalise

Conscient aujourd’hui que la vie,

Nous a peut-être attribué

Le livre initiatique de la légende,

De deux cœurs embrasés

Par l’âme sacrée d’un violoncelle

Où s’unissent nos lèvres jumelles.


Straniu timpul

Straniu se suspendă timpul,

Suflul unei reculegeri m-atinge,

O tăcere contemplativă mă poartă

Pe pragul unui altar de extaz.

În fața acestei icoane sublime

Cu privirea misterioasă și pătrunzătoare,

Singularizată de turcoazul unui talisman,

Iată că ating intimul

Mătăsurilor infinitului,

Vălurilor de liturghie.

Dincolo de uimitoare turbulențe

Pășesc într-un vis

Învăluit de semne pasionale,

Unde vă desfrunzesc, vă decriptez,

Ca pe un manuscris ofilit de frumusețe.

Ai voștri sâni netezi cu vene de marmoră

Reflectând licărul stelelor,

În adâncul ochilor albaștri

Se ivește-o osmoză ce păstrează

Mii de nuanțe de iubire.

Din alcovul meu singuratic vă idealizez

Conștient azi că viața

Ne-a atribuit poate

Cartea inițiatică a legendei,

A două inimi îmbrățișate

De sufletul sacru al unui violoncel

În care se unesc buzele noastre gemene.


+

C’est une simple trace

C’est une simple trace

Dans les arcanes de la nuit,

Gravée sur la transparence

D’une pierre adamantine,

Où des perles de brumes

Enfantent tout en silence

Les premières paroles de l’aube.


E o simplă urmă

E o simplă urmă

În arcanele nopții,

Gravată pe transparența

Unei pietre diamantine,

Unde perle de brume

Nasc în tăcere

Primele vorbe din zori.


+

Le mystère de l’empreinte céleste

Le mystère de l’empreinte céleste

Symbolise la trace

D’un passage d’ange.

Un silence monacal

Nous enveloppe d’une soie

De paix et de sagesse.

Une lueur sacrée

Vacille dans la nuit

Dévoilant la sainte clôture

Du temple de l’initiation

Avec son souffle annonciateur

Tourbillonnant dans le drapé

Des robes de bure,

Glissant dans l’ambiance feutrée

Des dalles luisantes du cloitre

Aux mélancoliques reflets.


Misterul amprentei cerești

Misterul amprentei cerești

Simbolizează urma

Unei treceri de înger.

O tăcere monahală

Ne învăluie într-o mătase

De pace și de-înțelepciune.

Un licăr sacru

Tremură în noapte

Dezvăluind sfânta incintă

Din templul inițierii

Cu suflul lui vestitor

Rotindu-se în cuta

Hainelor de călugăr,

Lunecând în ambianța vătuită

A lucitoarelor dale ale incintei

Cu melancolice sclipiri.


Michel BÉNARD sur Le Manoir des Poètes

Sonia ELVIREANU sur le site de L’Harmattan


ENSOLEILLEMENTS AU COEUR DU SILENCE / SCINTILLII NEL CUORE DEL SILENZIO de SONIA ELVIREANU (Ed. Ladolfi) / Une lecture d’Isabelle PONCET-RIMAUD


Ensoleillements au cœur du silence/ Scintillii nel cuore del silenzio

de Sonia Elvireanu

                                                                         ou

                                                       L’arc-en-ciel du silence

Dans son dernier recueil, Sonia Elvireanu écrit depuis le silence, pour et par le silence et passe d’un silence habité à un autre.

Dans ce nouveau parcours poétique, tout n’est que pont d’un amour à l’Autre, d’une rive solitaire à un rivage peuplé, d’un ciel blessé à un ciel confondu, du rêve au réel, d’un chant bleu au chant immortel.

L’arc-en-ciel qui enjambe le recueil, lien de lumière et de couleurs est ceinture entre le ciel et la miraculeuse argile. Parce que ce silence en elle, Sonia Elvireanu le provoque, l’écoute et voit le monde qui l’entoure avec les yeux du ciel.

Je me suis retirée dans la solitude/ pour être près de toi, te chercher et te parler, écrit-elle. Et par ce vers, on distingue le double mouvement qui dans ce recueil anime la parole de la poétesse : se recueillir en sa solitude pour retrouver l’amour perdu mais aussi se rapprocher d’un autre Amour qui englobe le premier.

Dès le premier poème, Sonia Elvireanu donne le ton. La poésie pour elle, est ce seul murmure en langue bizarrela voix étrange du Poète s’élève et celle du Très Haut descend en parfaite communion.

Je t’écris où toutes les choses parlent car parler c’est lumière.

Et tout parle en couleurs, en lumières, en explosions de fleurs, de fruits, en parfums délicieux, en langages d’oiseaux qui remplissent le vert/ silence de la solitude comme un lien entre terre et ciel.

Les bras du silence…/ s’accrochent aux odeurs et la poésie peut devenir l’eau miraculeuse de la guérison.

Il y a dans cette écriture une forme d’élégance soyeuse (le mot soie est récurent), un sentiment d’intemporalité symbolisée par les papillons blancs messagers ou écailleurs d’ombres (à l’aube, des ombres écaillées de papillons), un effleurement des pas sur l’ardoise du sable où la poétesse écrit l’amour, la solitude, une tentative d’aller au-delà des lointains, là où attendent l’amour et peut-être cet Amour qui signera la fin de la solitude.

Dans le même temps, s’exprime tout au long du recueil une souffrance vigilante qui refuse l’orage des mots noirs qui risquent d’entraîner vers la chute et veille à refaire chaque fois, le pont écroulé pour que l’arc-en-ciel s’y pose.

La poétesse devient la myrrhe de l’amour, celle qui cicatrise et encense en élevant son parfum vers le ciel.

Cette poésie bruisse, bouge, frôle, coule. L’eau – océan, source, fontaine, ruisseau- est aussi présente que la lumière, aussi subtile et essentielle.

Sonia Elvireanu écrit aussi depuis le cri noir du confinement, des ravages du virus, ce rouge qui s’étend comme la rougeole alors même que le printemps se montre dans sa splendeur et qu’un arbre vert/ pousse en nous. Ce silence de tombeau l’incite à la prière comme un appel à la lumière de la Résurrection.

Peu à peu, la sérénité se fait chemin en la poétesse qui commence à voir la beauté/ dans tout ce qui (l’) accueille et féconde les terres stériles de la solitude des fleurs de la parole poétique.

La langue de Sonia Elvireanu toute de délicatesse, de touches infimes tel un flocon/ dans la chute des neiges ou l’effleurement des papillons/ sur les eaux de l’oubli atteint les tréfonds du silence telle la perle/ souffle de psaume.

Le silence alors parle, articule la lumière, la beauté, l’attente, la solitude et la soif de l’Amour car le mot a pris corps, il est incarné, il est arc-en-ciel.

                                                                                        Isabelle Poncet-Rimaud


Sonia Elvi­reanu, Enso­leille­ments au coeur du Silence — Scin­tilli nel cuore del Silen­zio, Tra­duc­tion de Giu­liano Ladolfi, Giu­liano Ladolfi Edi­tore, 2022, 262 p., 18 €.

Le site de l’éditeur

ORPHÉE LUNAIRE d’ARA ALEXANDRE SHISHMANIAN / Une lecture de Sonia ELVIREANU


Historien des religions et poète d’origine roumaine, exilé en France en 1983, Ara Alexandre Shishmanian fait de la poésie son domaine de prédilection artistique. On dirait qu’il aime retrouver sa première identité culturelle par la langue dans laquelle il écrit ses poèmes, le roumain. Et ce n’est pas sans raison, car la quête du soi, l’exploration du labyrinthe mental s’accordent parfaitement avec la langue source qui l’habite encore  et qu’il ne veut pas oublier. Il s’agit au fond de la double identité linguistique de l’auteur comme chez tous les exilés.

En 2021 il fait publier deux recueils dans la traduction de Dana Shishmanian : Mi-graines et Orphée lunaire. Ce dernier nous capte l’attention par le titre qui renvoie à la mythologie grecque antique, au mythe orphique. Le poète s’identifie à Orphée dans sa quête du soi. La descente en soi – un descensus ad inferos où se mêlent chaotiquement toutes les expériences vécues – est pareille à celle d’Orphée qui traverse l’enfer. Le poète y rencontre le gouffre de la souffrance, son enfer à lui.

Il se perçoit comme un étranger, dans un double sens : celui qui vient d’un pays éloigné, submergé de ses plaies intérieures ; et étranger à soi-même, tel Orphée après avoir perdu Eurydice: « Je viens du pays où autochtone est seul Orphée/ * étranger, j’ai jeté de nouvelles ombres et vagues/ sur nombres et silences */ j’ai submergé sous mes paumes des fontaines */ les mains tendues, j’ai appelé le chaos de sous la plaie ».

Il plonge dans ses tréfonds changeants et méconnaissables, fait le voyage infernal dans son abîme intérieur à travers des paysages surréalistes, oniriques. Dans le miroir de son océan, le poète affronte le chaos, les visages informes de l’enfer, « les migraines  d’exils », ces plaies qui le déstructurent et font naître une vision apocalyptique.

Le langage y est liquide,  « ondes du silence », ne peut pas naître pour figurer  ses visions. La bouche reste fermée, incapable d’articuler la traversée du chaos. Le troisième œil se réveille pour dérouler des images étranges de son chemin dans « l’épaisseur de la matière dense */ lorsque posément sage Père Enfer sort de sa coquille/ le paralogisme infini de sa brosse – pour semence » (Orphée lunaire).

Un poète-Orphée fragmenté, contradictoire, surgit des tréfonds changeants, comme d’un miroir : l’un illuminé par l’amour, un sentiment indicible de douceur, de sérénité et d’harmonie intérieures (Comment je t’aime); l’autre sombre, au visage de la mort, celui  des plaies de ses exils (Orphée aux segments de noirs, La tête d’Orphée).

Ara Alexandre Shishmanian

Le chemin d’« orphée aux segments noirs » dans son gouffre mental mène à la rencontre avec soi-même et avec le néant : « orphée aux segments noirs vient à sa propre rencontre/ portant, en guise de lyre, sa tête -/ le deuil de sang prophétisant les cordes de l’eau ». Ce néant d’Ara Shishmanian, lié à la gnose, non pas en sens philosophique de nihilisme, mais théologique, de connaissance apophatique de la transcendance, est un néant mystique. Le poète refait le chemin en sens inverse de l’être au non-être, pour accéder  à un état de silence, de non langage, d’avant la Création : « Je bois au vide son chant de silence – / le chant du silence de l’infini aux voix absentes » (les mains telles des coupes).

Les « segments noirs » sont « les migraines d’exil », le temps de ses multiples souffrances qui le disloquent, le séparent de lui-même, on dirait la mort qui fouille sans cesse dans sa tête. Tout est reflet en miroirs, paysage onirique dans  l’image étrange d’un Orphée décapité, portant sa tête et sa lyre comme une offrande : « la tête d’Orphée sort de sa lyre comme d’un miroir*/ migraines d’exils/ pareille à une loupe sous laquelle, infimes,/ les commencements s’agrandissent en paroles*/ unique est cette rencontre entre les yeux clos/ de celui qui est porté – / et les yeux mi-clos de la porteuse*/ les métamorphoses du chant/ comme le sommeil d’un néant croisé ». À travers des symboles de la connaissance (tête, lyre, miroir), le poète laisse se déployer son chant orphique: « la gorge laisse s’égoutter à travers la lyre/ les sons déchirés comme un sang funèbre ».

Le mythe orphique permet au poète une superbe lamentation sur la perte d’un pays, associé au royaume de lumière où naissait le chant miraculeux d’Orphée avant la mort d’Eurydice. Ce lieu de grâce aux tréfonds était l’en-soi à ses commencements, où la lumière privilégiait le chant. Il ressemblait au paradis qui contenait tous les dieux, endormis, avant leur individualisation. Il n’y existait aucune ombre de souffrance, de deuil, tout était chant, amour, rayonnement. Avec la mort d’Eurydice tout sombre dans les ténèbres de la douleur. La traversée de l’enfer pour la sauver de l’empire de la mort n’atteint pas son but. Orphée – poète ne retrouve que le néant au bout de son chemin, ainsi ne peut-il plus réinstaurer le chant primordial, celui de l’amour. Le chant a cessé à la mort d’Eurydice : « Orphée a perdu Eurydice/ quand le chant a gelé./ Eurydice qui est morte/ est la mort du chant » (Orphée ou l’ensoi).

Cette lamentation n’est pas seulement celle d’Orphée qui perd le chant par la mort d’Eurydice, mais aussi celle du poète qui perd son pays d’origine, son Eurydice à lui, par ses exils. Elle clôt la première partie du recueil à structure tripartite : Orphée lunaire, Haillons pour traverser le Styx, Absences.

La poésie d’Ara Shishmanian est hermétique, difficile à déchiffrer pour les lecteurs sans horizon philosophique et théologique, les domaines de prédilection de l’auteur. D’autre part, parce qu’il joue avec les oxymores, les paradoxes, l’insolite des associations linguistiques qui renversent les sens, construisant des images insolites. Même la vision de la mort est étrange, car le poète y voit briller le noir, un noir qui est aussi celui de l’abîme, du vide: « scintillent à travers les choses les hiéroglyphes de la mort ».

Le poète navigue sans cesse entre le visible et l’invisible, entre l’immanence et la transcendance à la quête de son être dans le labyrinthe de sa mémoire, « une rivière de sang », et du non être, de l’infini. Il arrive parfois à questionner son moi (étrange, étranger, nocturne, profond, odieux), sa quête, la connaissance, le langage. Il est tour à tour le je qui traverse l’enfer comme dans un jeu de miroirs, lui, l’étranger qu’il ne reconnaît plus, un tu ambigu comme interlocuteur, Orphée : « Je suis Orphée et je chante l’infini ».

L’enfer est égarement dans le labyrinthe du minotaure, dans un tunnel noir ou dans un espace aquatique bizarre, une chute dans l’abîme du néant noir, mais le noir brillant de la coincidentia oppositorum, « sur la verticale de la solitude » entre le zénith et le nadir : « je m’amenuise en des images linéaires….jusqu’à ce qu’en moi le néant embrasse l’infini ». Le poète est à l’écoute du chuchotement du néant, sans langage,  en attente des sons et des syllabes à pouvoir en parler :  « je cherche le néant au sommet d’une syllabe » ; « consul cherche la page inaccessible  des absences/ la page des mirages finals ».

Il est l’exilé, l’étranger face au monde et à soi-même, « l’aliéné aux lèvres collées », le rejeté, « personne, inconsolable, avec ses non-dits », un « pêcheur d’idées blessé » par le monde, ce « théâtre de la misère en dérive/ théâtre désespéré du zéro »,  « le poète, un fragment d’abîme », le solitaire : « Tu vois ton étranger  en dedans de toi » ; « la solitude te découpe en signes – / transcendances en lesquelles tu ne te reconnais plus » (cette longue chute).

Prisonnier de son moi, le poète descend dans son labyrinthe mental pour affronter ses démons, ses obsessions, s’en libérer et atteindre le néant dans son rêve de connaître le primordial pour « me dévoiler la non-naissance./ le soi tel un œuf du néant.


Ara Alexandre Shishmanian, Orphée lunaire. Traduit en roumain par Dana Shishmanian. Revu par l’auteur, L’Harmattan, 2021.

Le livre sur le site de l’éditeur

Le site de Dana et Ara Alexandre SHISHMANIAN