VERS UNE CINÉTHÈQUE IDÉALE : LES ANNÉES 70 par Ph. REMY-WILKIN avec K. KOVACS, N. DEWEZ, A. NYSENHOLC, A. BERENBOOM, D MANGANO, Th. VAN WAYENBERGH & B. GEVART

VERS UNE CINETHEQUE IDEALE (8)

100 films à voir absolument

Une analyse décennie par décennie, un feuilleton en 12 épisodes

qui court des débuts du cinéma à nos jours.

Voir la présentation du projet et de l’équipe, le plan général et les dossiers ouverts :

(VIII)

Les années 1970

Ciné-Phil RW à la mise en place ; Krisztina KOVACS, Nausicaa DEWEZ, Adolphe NYSENHOLC, Alain BERENBOOM et Daniel MANGANO au contrepoint ; interventions de Thierry VAN WAYENBERGH et Bertrand GEVART (au côté de Krisztina) dans les analyses de films.

Top 10

. Voyage au bout de l’enfer/The Deer Hunter (Michael Cimino, EU, 78).

Le film qui a consacré ma De Niro mania pour de longues années. J’en suis sorti. Mais il a incarné mon idéal ciné juste avant mes 20 ans et jusqu’après mes 30. Le plus beau film sur la guerre du Vietnam, malgré Apocalypse Now ? Il y a ici un rapport entre le grandiose, l’action trépidante, l’Histoire et l’intime, le ralentissement du temps qui rappelle l’immense David Lean. Avec la violence des années 70/80 par-dessus, symbolisée par la roulette russe et la névrose de Christopher Walken.

Les seconds rôles sont prodigieux, comme dans un Parrain (Streep, Savage, Cazale, Walken). Une histoire d’amour mais une histoire d’amitié, indéfectible, une histoire de maturation aussi. Plus que jamais d’urgence vu qu’il établit la frontière, abyssale, entre le rêvé, le virtuel, le chimérique, et la réalité brute des faits. La valeur de la vie, d’une vie, de toute vie comme point de focalisation ?

. Le parrain II (Francis Ford Coppola, EU, 74).

Malgré Le parrain (Coppola, 72) et Apocalypse Now (79) ? Les trois sont classés 32e, 3e et 28e à l’AFI (American Film Institute référentiel) et sont des monuments du cinéma. Comment les départager, en exclure l’un ou l’autre ? A noter un intéressant The Conversation (74). Nous avons (en quatuor, duo ou trio, avec Krisz, Thierry et Bertrand) décortiqué les mérites respectifs des trois Parrain :

Lien vers l’article sur les 3 Parrain

KRISZTINA :

Apocalypse Now reste pour moi le meilleur Coppola. Un film à plusieurs strates de lecture, mêlant avec succès adaptation littéraire, poésie symbolique et critique socio-politique. Impressionnant et culte !

NAUSICAA :

J’aurais aussi choisi Apocalypse Now pour le top 10.

. 1900 (Bernardo Bertolucci, Italie, 76).

Formidable fresque (5h !). Devant Le dernier tango à Paris (72).

KRISZTINA :

Le dernier tango, un film qui m’a énormément plu à l’adolescence mais pour lequel je n’ai pas retrouvé les mêmes sentiments une fois adulte.

PHIL :

Idem, je l’avoue.

KRISZTINA :

Brando reste incroyable en homme veuf et brisé, mais l’histoire est chancelante, entre fantasme daté et projection personnelle, poussée presque jusqu’au masochisme. La scène d’ouverture, sous le pont Bir Hakeim, demeure une des plus émouvantes du cinéma de l’époque… et peut-être une des plus suédées par les fans.

. Sonate d’automne (Ingmar Bergman, Suède, 78).

Malgré Scènes de la vie conjugale (73), loin devant La flûte enchantée (75) ou L’œuf du serpent (77).

Règlements de comptes entre une mère et sa fille lors de retrouvailles familiales. Formidable Ingrid Bergman, qui se réinvente après avoir été pour moi la plus belle actrice (femme habitée) de tous les temps. Il faudra attendre le jubilatoire Festen (Vinterberg, DNK, 98), peut-être, pour renouveler le genre.

NAUSICAA :

Film bouleversant, avec un duo d’actrices, Ingrid Bergman et Liv Ullmann, au sommet de leur art. De Bergman, pour qui cette décennie est une nouvelle fois particulièrement faste, j’aurais toutefois retenu sans hésiter Cris et chuchotements (Suède, 72). Un quatuor d’actrices – trois sœurs et une servante – réunies pour assister à l’agonie de l’une d’elles. Un travail sidérant sur les couleurs (le rouge), la cruauté, la souffrance.

. Délivrance (John Boorman, EU, 72).

Extraordinaire et terrifiante odyssée d’une poignée d’Américains partis passer un week-end entre copains dans un parc national. La virée, centrée autour d’un cours d’eau, s’apparente à une descente aux Enfers, un retour à une nature pure, préhistorique ou médiévale, à une déferlante des forces obscures, les plus sauvages.

KRISZTINA :

Ce film possède un pendant britannique rural malsain : Les chiens de paille/Straw Dogs (71, GB/EU),de (l’Américain) Sam Peckinpah, avec Dustin Hoffmann. Du même Boorman (et puisque mon préféré, l’épique Excalibur, est de 81…), je me permets aussi de sélectionner Zardoz (74). Si vous n’aimez pas les semi-nanars et les films de science-fiction nourris de psychotropes, passez votre chemin ! Sinon, venez rire et voyager avec un Sean Connery natté et en maillot de bain.

. Vol au-dessus d’un nid de coucous (Milos Forman, EU/Tchécoslovaquie, 75).

Film-choc sur ce qui se passe dans certains hôpitaux psychiatriques (le plus souvent, à échelle plus réduite, on ose l’espérer) et, plus largement, sur l’abus de pouvoir, le rapport à l’autorité, la résistance, etc. Très dur. On n’en sort pas indemne.

. Family Life (Ken Loach, GB, 71).

Une mise en abyme des dérives vécues au sein de certaines familles (qui me parle un peu trop). Ne jamais oublier que la dictature, le phénomène sectaire, ça peut débuter dans la sphère de l’intime, du voisin, du cousin. C’est une histoire de crise d’adolescence, si on peut dire (car je reste persuadé que ladite crise concerne aussi la difficulté des parents à accepter la mutation de leurs enfants, les adolescents émergents assassinant en quelque sorte les enfants qui les ont précédés), poussée à son paroxysme.

. Duel (Steven Spielberg, EU, 71).

Loin devant le thrilling Jaws (75).

KRISZTINA :

Tout à fait ! Quel film unique ! Je lance un débat : n’ayant jamais été fan de Spielberg, j’aime énormément Duel que je trouve même plus réussi, nuancé que ses films cultes ultérieurs.

PHIL :

Le seul film auquel j’ai apposé la note de 10/10. Sans moyens, un maximum de sensations, une narration serrée, métaphorique. Je rejoins tout à fait Krisztina et l’explication, selon moi, est simple : Spielberg est un génie cinématographique par divers aspects mais il lui manque une dimension essentielle en art : le bon goût, la subtilité. Il n’est jamais aussi brillant donc que dans le pur cinéma, la narration visuelle, la capacité à s’arcbouter à ses fantasmes (peurs et frustrations) pour nous tendre, nous tordre. Les moyens, les effets dont il a pu par la suite user et abuser ont tendance à diluer sa force de frappe originelle.

. Au fil du temps/Im Lauf der Zeit (Wim Wenders, Allemagne, 76).

Malgré Alice in der Stadt (74).

Je lui ai consacré un article-manifeste :

Lien vers l’article sur Au fil du temps

. Taxi Driver (Martin Scorsese, EU, 76).

Loin devant Meanstreams (73) et New York, New York (77).

KRISZTINA :

Il y a dans New York, New York la scène incroyable du monologue de drague de dix minutes de De Niro (filmée, il me semble, en un seul plan). Le bagout à l’américaine Old School au sommet de son art et du cliché, le ridicule et l’humour mêlés.…

PHIL :

Nous avons écrit un article en trio (avec Krisz et Thierry) sur Taxi Driver :

Lien vers l’article sur Taxi Driver

*

D’autres grands films à découvrir,

évoqués dans les anthologies du 7e Art…

Côté Etats-Unis

M.A.S.H. (70), parodie désopilante et euphorisante de la guerre du Vietnam, ou Nashville (75), un film choral, de Robert Altmann ; Star Wars (77), space western ébouriffant en son temps mais qui me semble avoir beaucoup vieilli, avec un Harrisson Ford qui paraissait parti pour être le John Wayne des années 80/90, ou American Graffiti (73) de George Lucas ;  Orange mécanique (71) et Barry Lyndon (75), deux monuments du grand Kubrick (GB/EU) ; Stay Hungry (76) de Bob Raffelson, avec une icône de mon adolescence, Jeff Bridges ; American Gigolo (79) de Paul Schrader, qui propulse Richard Gere ; Marathon Man (76) de l’Anglais Schlesinger ; Assault (77) ; le premier Carpenter ; L’exorciste (71)  et French Connection (71) de Friedkin ;  Josey Wales hors-la-loi (76) de/avec Clint Eastwood, la beauté virile ultime ; La dernière séance (71) de Peter Bogdanovitch ; Les hommes du président (76) d’Alan Pakula ; Rocky (76) d’Avildsen, qui va créer une franchise et produire un champ… de navets ; Annie Hall (77) et Manhattan (79), le meilleur du (selon moi) surestimé (KRISZTINA : « surestimé », je suis bien d’accord !) Woody Allen ; Chinatown (74) du… Polonais Polanski ; Network (76) du… Britannique Sidney Lumet ; Patton (70) de Franklin J. Schaffner ; Cabaret (72) de Bob Fosse ; Le dernier nabab (76) du grand Elia Kazan, avec un Robert De Niro sublime ; Une femme sous influence (74) de John Cassavetes avec sa si talentueuse épouse et complice Gena Rowlands ; Badlands (73) de Terence Malik, film que j’exècre moralement mais… 

DANIEL :

Mon must absolu en ce qui concerne le cinéma américain : Save the Tiger de John G. Avildsen (73), passé inaperçu en Europe, confrontation de deux mondes, avec un Jack Lemmon bouleversant en petit patron au bord de la faillite qui rencontre une jeune hippie. L’humanité à fleur de peau.

Un schéma et un destin similaires pour le Breezy de Clint Eastwood (73), avec un William Holden en quinqua fatigué.

Rayon western, deux films atypiques : Soldier Bluede Ralph Nelson (70), décrivant avec violence le massacre d’Indiens par les Tuniques bleues, et Les proies/The Beguiled de Don Siegel (71), objet d’un récent remake, avec Clint Eastwood en renard vulnérable échoué dans un poulailler/pensionnat de jeunes filles.

Autres réminiscences : John Houseman en mandarin impitoyable de Harvard dans La chasse aux diplômes/The Paper Chase de James Bridges (73) ; Elliott Gould qui campe un Philip Marlowe coolissime dans Le privé/The Long Goodbye d’Altman (73) ; un autre excellent polar : Kluted’A.J. Pakula (71) ; un film dans la foulée d’Easy Rider : Five Easy Pieces de Bob Rafelson (70), avec un Jack Nicholson désabusé ; Abattoir 5/Slaughterhouse 5 de George Roy Hill (72), adaptation du roman de K. Vonnegut Jr. ; enfin Grease(78), parodie drôle des années 50 dont tous les airs semblent d’époque, et Soleil vert/Soylent Green de Richard Fleischer (73), un film d’anticipation que j’ai évoqué dans Karoo :

https://karoo.me/cinema/soylent-green-le-soleil-vert-de-la-misere-humaine

PHIL :

Soldier Blue avec le plus grand acteur de séries TL des années 70/80 : Peter Strauss). Soylent vert me rappelle une Charlton Heston mania d’adolescence.  

ALAIN :

Le magnifique Billy Wilder nous offrait son dernier chef d’œuvre, Avanti, avec Jack Lemmon. Autre vétéran toujours brillant, John Huston, avec ce qui est peut-être son chef d’œuvre, L’homme qui voulut être roi (une coproduction EU/GB, avec Sean Connery et Michaël Caine prodigieux). On assiste surtout à l’éclosion d’une nouvelle génération de réalisateurs plus audacieux et créatifs les uns que les autres, Martin Scorsese (Taxi Driver), Coppola (Le Parrain, Conversations secrètes), Pollack (Les trois jours du condor, Jeremiah Johnson), Pakula (Klute, Les hommes du président), Cimino (Deer Hunter) et le cinéma si personnel de Woody Allen qui marque son empreinte (Annie Hall, Manhattan). Ainsi que les débuts américains de Milos Forman (Vol au-dessus d’un nid de coucous). Ajoutons-y le très beau Chinatown de Polanski et Délivrance de l’Anglais John Boorman. Je m’en voudrais d’oublier le très émouvant Une femme sous influence de John Cassavetes, interprété de façon bouleversante par Gena Rowlands, The Long Goodbye de Robert Altman, avec un grand Elliott Gould et Harold et Maude de Hal Ashby.

NAUSICAA :

J’aurais volontiers mis en exergue les deux films de Kubrick, Barry Lyndon et (surtout) Orange mécanique,cités par Phil. Cette décennie voit aussi le premier long métrage d’un cinéaste dont on aura l’occasion de reparler dans les prochains épisodes : Eraserhead de David Lynch(77). Tourné en noir et blanc, il contient déjà en germe toute l’étrangeté et l’effroi que le réalisateur déploiera par la suite.

Le cinéma d’animation est toujours dominé par les studios Disney, avec quelques films qui ravivent de beaux souvenirs d’enfance, dont Les aristochats (70) et Robin des bois (73).

Côté Europe

. En Italie.

Un grand cinéma d’auteurs, dans la suite des Sixties. Fellini avec Fellini Roma (72) ; Visconti avec Violence et passion (74) et, surtout, l’envoûtant Mort à Venise (71) ; Pasolini avec Le Décaméron (71), Les 1001 nuits (74), Les contes de Canterbury(72).

ADOLPHE :

Le lumineux Mort à Venise ! Du Proust en image, sur fond de Mahler, d’après Thomas Mann. Pas une seule fausse note. Visconti inspiré. Le 7e art dans une de ses plus belles expressions.

DANIEL :

Il n’y a pas que l’Italie des grands auteurs. Certes, il y a les incontournables Roma et Amarcord (73) de Fellini, Profession : reporter d’Antonioni (75). Mais il ne faudrait pas oublier le goût acidulé des films de Dino Risi avec un Gassman au sommet de son art dans Parfum de femme (75) et Ames perdues (77).

Une femme, Lina Wertmüller, nous livre au moins trois films tragi-comiques mettant en scène son mari, le chaplinesque Giancarlo Giannini : Mimi métallo, blessé dans son honneur (72), Vers un destin insolite sur les flots bleus de l’été (74) et l’effrayant Pasqualino Settebellezze (75). Les tares et malheurs d’une société italienne mise à nu suscitent un rire grinçant. Dans le premier film et le troisième, deux abominables coucheries filmées grand angle feraient paraître les créatures felliniennes anorexiques.

Enfin, Pain et chocolat de Franco Brusati (74), chef-d’œuvre absolu sur la haine de soi d’un émigré italien, joué par Nino Manfredi, voulant s’intégrer dans une Suisse frileuse et policée. Il nous rappelle que l’Italie fut une nation de migrants (elle semble parfois l’oublier aujourd’hui) mais le message est toujours délivré de façon subtile et drôle. Quand le cinéma se dépêche de rire des choses de peur de devoir en pleurer. 

PHIL :

J’ai adoré Parfum de femmes et Ames perdues en fin d’adolescence, vécu une Italiamania ! Et Pain et chocolat ! Superbe ! Que ma future épouse m’a emmené voir au cinéma vers nos 20 ans.

ALAIN :

Les derniers feux de la comédie à l’italienne mais quelles étincelles ! Nous nous sommes tant aimés d’Ettore Scola (que j’ai revu dix fois), en 74, et Pain et Chocolat de Brusati.

NAUSICAA :

Et de Scola toujours, Une journée particulière (77), Sophia Loren et Marcello Mastroianni à contre-emploi et au sommet de leur art. Autre grand film de la décennie : Portier de nuit (74) de Liliana Cavani. Un film qui a beaucoup dérangé, autour des retrouvailles après la guerre et de l’amour entre un ancien SS (Dirk Bogarde) et une ancienne détenue (Charlotte Rampling).

 KRISZTINA :

Pour l’amitié cinéphile et franco-italienne, on doit ajouter La grande bouffe (73, It/Fr) de Marco Ferrari. Un film tout à fait unique dans son énormité moderne. Quatre amis embourgeoisés (et, accessoirement, des colosses du cinéma de l’époque : Mastroianni, Piccoli, Noiret et Tognazzi), en proie à leurs démons, s’enferment dans une maison cossue en banlieue parisienne et projettent de se suicider en mangeant à mort. S’ensuivent des situations tragico-burlesques et des répliques d’un humour grinçant et rare encore aujourd’hui. Du très grand cinéma (à l’époque, aussi intellectualisé que divertissant) !

. En France.

Le mythique La maman et la putain (73, Jean Eustache) avec Jean-Pierre Léaud mais la musique de Deep Purple aussi… en version orchestre symphonique, un concerto ; Le boucher (Chabrol, 70) ; L’amour l’après-midi (72 Rohmer) ; Les bronzés (78, Leconte) et la suite Les bronzés font du ski (Leconte, 79) ; l’onirique Faustine et le bel été(Nina Companeez, 71), qui a bercé mon adolescence, avec Muriel Catala mais surtout les tout jeunes Adjani, Spiesser, Huster, Huppert, Weber ; M. Klein (76) du… Britannique Joseph Losey (KRISZTINA : oui, il faut voir ce film glaçant, qui pose un regard particulier et sidérant sur la Shoah, avec à la clé, selon moi, le meilleur rôle de Delon, absolument juste) ; La nuit américaine (73) de François Truffaut.

DANIEL :

Le boucher, débonnaire et inquiétant ! Mais j’ajouterais des succès mérités comme Dupont Lajoie d’Yves Boisset (75), quand France rime avec rance, et deux magnifiques Claude Sautet où Romy Schneider est parfaite et Piccoli magistral : Les choses de la vie (70, où Piccoli est si attachant) et Max et les ferrailleurs(71, où il campe un inspecteur blafard et obsessionnel, acharné à la perte de petits délinquants sans envergure). Aussi, Le plein de super d’Alain Cavalier (76), une balade improbable, un chef-d’œuvre méconnu. Enfin, deux cinéastes oubliés qui ont leur univers : Joël Séria décrivant la France profonde dans Charlie et ses deux nénettes (73) et Les galettes de Pont-Aven (75), après avoir fait scandale avec le sulfureux Ne nous délivrez pas du mal (70) ; Jean-Daniel Pollet avec L’amour c’est gai, l’amour, c’est triste (71), une perle rare, et L’acrobate (75), un cinéma flâneur qui musarde dans le vieux Paris (avec l’irrésistible Claude Melki et ses allures de Buster Keaton).

PHIL :

Ah, la troublante Jeanne Goupil dans les Galettes !

KRISZTINA :

Puisque nous en sommes aux comédies sulfureuses, le film symbole des 70ies en France : Les valseuses (74), de Bertrand Blier, pour son audace, sa spontanéité, sa volubilité. Avec Jeanne Moreau en ex-prisonnière, une toute jeune Miou-Miou blasée, le premier rôle d’Huppert et bien sûr, complices, Depardieu et Dewaere. Un film à la fois divertissant, libéré et critique, intéressant sociologiquement (comme on en faisait à cette époque-là !).  Un Polanski produit par des Français : le glauque et obsédant Le locataire/The Tenant (76) dans lequel Roman joue lui-même un locataire schizophrène, et prouve une maîtrise du jeu égale à celle manifestée dans la réalisation.

ALAIN :

Les débuts du grand Bertrand Tavernier (L’horloger de Saint Paul, en 74, et surtout son chef d’œuvre, Que la fête commence, en 75, avec Noiret, Rochefort et la sublime Christine Pascal), de Jean-Jacques Annaud (La victoire en chantant, en 76) et de Bertrand Blier (le culotté Les valseuses, avec un trio qui crève l’écran, Miou-Miou, Depardieu, Dewaere). Lequel Dewaere livrera sa plus extraordinaire prestation dans Série noire d’Alain Corneau, en 79. Il faut ajouter un très bon de Broca (Le magnifique, en 73, avec Belmondo) et deux excellents Mocky (Un linceul n’a pas de poches, en 74, et L’ibis rouge, en 75, dernier rôle sauf erreur de Michel Simon).

NAUSICAA :

Deux actrices françaises iconiques font leurs grands débuts dans les années 1970 : Isabelle Adjani et Isabelle Huppert. Si leur filmographie atteindra des sommets par la suite, on peut déjà pointer un grand rôle dans un grand film pour chacune d’elles dans les années 1970 : L’histoire d’Adèle H de François Truffaut pour Adjani (75) et Violette Nozière de Claude Chabrol pour Huppert (78).

En cinéma français toujours, je mentionnerais aussi L’important, c’est d’aimer d’Andrzej Zulawski (75), le loufoque, onirique et drôle Charme discret de la bourgeoisie de Luis Buñuel (72), Peau d’âne de Jacques Demy (70), et Daguerréotypes, un émouvant documentaire d’Agnès Varda sur la rue Daguerre à Paris (75). Sans être totalement convaincue par ses films toujours déroutants, je mentionne aussi Marguerite Duras, parce que cette décennie est particulièrement cruciale dans sa filmographie : India Song(75) et Son nom de Venise dans Calcutta désert (76), Nathalie Granger (72), Le camion (77).

En 1976 sort par ailleurs L’empire des sens, une co-production franco-japonaise signée Nagisa Oshima, magistrale déclinaison du couple Eros-Thanatos.

. En Grande-Bretagne.

Sacré Graal ! (Terry Gilliam et Terry Jones, 75), les Monty Python à leur sommet ; Le messager (71) de Joseph Losey.

ALAIN :

Les Anglais renversent la table avec les Monty Python : Vie de Brian, en 79, et Sacré Graal !

DANIEL :

Je retiendrais le formidable duel Laurence Olivier/Michael Caine dans Le limier/Sleuth, de Joseph L. Mankiewicz (72) et l’atmosphère surannée des bains publics londoniens dans Deep End de J. Skolimowski (70).

Enfin une tornade dévastatrice, horrible et grandiose, Ken Russell, qui sort coup sur coup Music Lovers(70, sur Tchaïkovski) et Les diables(71, sur l’affaire des possédées de Loudun) : quel souffle vénéneux !

PHIL :

Comment ai-je pu oublier Le limier ?

. En Allemagne.

Le mariage de Maria Braun (78, Fassbinder), un film raffiné, mon préféré du génie allemand trop tôt décédé.

NAUSICAA :

Du même Fassbinder, Les larmes amères de Petra von Kant(72), qui a connu un remake (malheureux) signé François Ozon. Aguirre, la colère de Dieu de Werner Herzog (72).

. En Belgique.

ALAIN :

Les années 70 marquent l’entrée en fanfare du cinéma belge francophone. Avec Chantal Akerman, évidemment : Jeanne Dielman, en 75, sacré meilleur film de tous les temps par Sight and Sound ; Les rendez-vous d’Anna, en 78, que je préfère. Mais aussi Harry Kumel (Les lèvres rouges, en 71), André Delvaux (Belle, en 73, et Femme entre chien et loup, en 79) et l’éblouissant Tarzoon de Picha et Szulsinger, en 75.

ADOLPHE :

Rendez-vous à Bray (André Delvaux, 1971). « Un film rare », disait Mag Bodard sa productrice. De fait, une vibrante adaptation d’une nouvelle de Julien Gracq, au service d’une œuvre profondément personnelle, voire autobiographique. Delvaux transpose le « je » du texte en un pianiste accompagnateur de films muets, comme il le fut lui-même, à qui il donne comme nom « Julien », et il fait de l’ami évoqué un compositeur, dit « Jacques », qui dédie à son ami un nocturne. La composition du film, selon l’aveu du cinéaste, est calquée sur la structure du rondo : des souvenirs quasi proustiens de la Belle Epoque comme couplets et l’attente au présent, en la journée du 28 décembre 1917, comme refrain. Car Jacques a donné rendez-vous à Bray à Julien, accueilli là par une servante-maîtresse, et il ne vient pas.  On entendra le nocturne durant la scène d’amour de Julien et de cette femme énigmatique, dite « Elle », l’éternel féminin (Anna Karina). Jacques, pilote de guerre, a-t-il été abattu en plein ciel, ou a-t-il voulu que son ami Julien fût initié à l’amour et joue alors sa musique avec encore plus d’art ?

Delvaux obtint le Prix du film musical à Paris. Une rare réussite de film d’un cinéaste-musicien. Superbe. Lyrique. Sur le thème du disparu, comme ceux partis sans retour par Nuit et Brouillard, et qui hantent la mémoire de la génération de l’après-guerre. Un film-métaphore de son temps. Du pur Delvaux. Son chant intérieur.

. En Espagne

NAUSICAA :

Cria cuervos (Carlos Saura, 76)

PHIL :

Ah, la chanson de Jeannette ! J’étais amoureux de la chanteuse !

Du côté du World Cinema

Pixote (Babenco, Brésil, 71).

NAUSICAA :

Dodes’kaden (Akira Kurosawa, Japon, 70).

Who Knows ?

DANIEL :

Les années 70 sont le prolongement naturel des années 60 : même soif de liberté et d’exploration. Le grand public cultive une vraie curiosité cinématographique. Une attitude qui changera dans les années 80.

ALAIN :

Années 70, un âge d’or pour les cinéphiles ! Tous les carcans des décennies précédentes étaient balayés et un souffle nouveau soufflait sur le cinéma (et sur la société occidentale). Quelle décennie d’un cinéma brillant et éminemment politique dans ces années de fin de la sanglante guerre du Vietnam.

PHIL :

Je perçois aussi une anticipation des années 80. Nos accentuations différentes ont peut-être à voir avec des focalisations sur le début et la fin de la décennie ? Avec le recul, un film que j’ai adoré adolescent, La guerre des étoiles/Star Wars (77), malgré ses qualités, me semble annoncer/symboliser déjà le basculement du Grand Cinéma, adulte au sens les plus noble du terme, vers la prolifération de Blockbusters destinés à un public très jeune… par l’âge ou la maturité cinéphilique. Evidemment, toute décennie a généré des films de tout acabit mais une érosion du bon goût, une tyrannie démagogique menant à attirer le plus large public possible, à ne plus viser qu’en termes de rentabilité à court terme se manifestent, et ce dans tous les domaines de la société. Il n’est qu’à observer la désespérante plongée des télévisions vers la médiocrité et l’abandon des missions citoyennes. Hors niches, il n’est plus guère question d’éveiller mais de distraire et de satisfaire.

Krisztina Kovacs, Nausicaa Dewez, Alain Berenboom, Adolphe Nysenholc, Daniel Mangano et Philippe Remy-Wilkin.

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Plan du feuilleton Vers une cinéthèque idéale

Nous nous limitons ici aux articles initiaux des différents dossiers. Ceux-ci renvoient à de nombreux autres articles.

Présentation du projet (introduction, équipe, plan) :

Préhistoire du cinéma :

Années 1910 :

Années 1920 :

Années 1930 :

Années 1940 :

Années 1950 :

Années 1960 :

VERS UNE CINÉTHÈQUE IDÉALE : LES ANNEES 1960 par Philippe REMY-WILKIN, avec Krisztina KOVACS, Nausicaa DEWEZ, Adolphe NYSENHOLC & Daniel MANGANO.

Feuilleton complémentaire d’Adolphe NYSENHOLC sur le premier top 12, en 1958 :

Top 100 en cours

(1) Le voyage dans la lune (Georges Méliès, France, 1902).

(2) Le vol du grand rapide (Edwin S. Porter, E.U., 1903).

(3) Naissance d’une nation (D.W. Griffith, Etats-Unis, 1915).

(4) Intolérance (D.W. Griffiths, Etats-Unis, 1916).

(5) Le cabinet du docteur Caligari (Robert Wiene, Allemagne, 1920).

(6) Le cuirassé Potemkine (Serguei Eisenstein, Russie, 1925).

(7) Le journal d’une jeune fille perdue (G.W. Pabst, Autriche, 1929).

(8) L’aurore (Murnau, Allemagne/EU, 1927).  

(9) Docteur Mabuse, le joueur (Fritz Lang, Allemagne, 1922).

(10) Le Kid (Charlie Chaplin, GB/EU, 1921).

(11) Le vent (Victor Sjöström, Suède/EU, 1928).

(12) La passion de Jeanne d’Arc (Carl Theodor Dreyer, Danemark, 1928).

(13) Napoléon (Abel Gance, France, 1927).

(14) Le mécano de la General (Buster Keaton, EU, 1927).

(15) Autant en emporte le vent (Victor Fleming, EU, 1939).

(16) Les Hauts-de-Hurlevent (W. Wyler, EU, 1939).

(17) Le testament du docteur Mabuse (F. Lang, Allemagne, 1933).

(18) Une femme disparaît (A. Hitchcock, GB, 1938).

(19) King Kong (Merian C. Cooper et E. Schoedsack, EU, 1933).

(20) L’impossible monsieur Bébé (H. Hawks, EU, 1938).

(21) La chevauchée fantastique (John Ford, EU, 1939).

(22) New York-Miami (Frank Capra, EU, 1934).

(23) La grande illusion (Jean Renoir, France, 1937).

(24) Ninotchka (Lubitsch, EU, 1939).

(25) Casablanca (Michael Curtiz, EU, 1942).

(26) Le ciel peut attendre (Ernst Lubitsch, EU, 1943).

(27) Citizen Kane (Orson Welles, EU, 1941).

(28) Les enfants du paradis (Marcel Carné, France, 1945).

(29) Les enchaînés (Alfred Hitchcock, EU, 1946).

(30) Le trésor de la Sierra Madre (John Huston, EU, 1948).

(31) Indiscretions (George Cukor, EU, 1940).

(32) La vie est belle (Frank Capra, EU, 1946).

(33) Le dictateur (Charlie Chaplin, EU, 1940).

(34) Le troisième homme (Carol Reed, GB, 1949).

(35) La mort aux trousses (Alfred Hitchcock, GB/EU, 1959).

(36) Le pont de la rivière Kwaï (David Lean, GB/EU, 1957).

(37) Madame de… (Max Ophuls, France/Allemagne, 1953).

(38) La nuit du chasseur (Charles Laughton, EU/GB, 1955).

(39) Sur les quais (Elia Kazan, EU, 1954).

(40) Certains l’aiment chaud (Billy Wilder, EU, 1959).

(41) L’intendant Sansho (Kenji Mizoguchi, Japon, 1954).

(42) Rashomon (Akira Kurosawa, Japon, 1950).

(43) Chantons sous la pluie (Gene Kelly/Stanley Donen, EU, 1952).

(44) Les fraises sauvages (Bergman, Suède, 57).

(45) La dolce Vita (Federico Fellini, Italie, 60).

(46) Lawrence d’Arabie (David Lean, GB/EU, 62).

(47) Les damnés (Luchino Visconti, Italie, 69).

(48) 2001, l’odyssée de l’espace (Stanley Kubrick, GB/EU, 68).

(49) La grande vadrouille (Gérard Oury, France, 66).

(50) Psychose (Alfred Hitchcock, GB/EU, 60).

(51) The Party (Blake Edwards, EU, 68).

(52) L’avventura (Antonioni, Italie, 60).

(53) Le fanfaron (Dino Risi, Italie, 62).

(54) Easy Rider (Denis Hopper, EU, 69).   

(55) Voyage au bout de l’enfer (Michael Cimino, EU, 78).

(56) Le Parrain II (Francis Ford Coppola, EU, 74).

(57) 1900 (Bernardo Bertolucci, Italie, 76).

(58) Sonate d’automne (Ingmar Bergman, Suède, 78).

(59) Délivrance (John Boorman, EU, 72).

(60) Vol au-dessus d’un nid de coucous (Milos Forman, EU/Tchécoslovaquie, 75).

(61) Family Life (Ken Loach, GB, 71).

(62) Duel (Steven Spielberg, EU, 71).

(63) Im Lauf der Zeit (Wim Wenders, Allemagne, 76).

(64) Taxi Driver (Martin Scorsese, EU, 76).

= = = = =

VERS UNE CINÉTHÈQUE IDÉALE (56/100) – LE PARRAIN I, II & III de Francis FORD COPPOLA par Krisztina KOVACS, Thierry VAN WAYENBERGH, Bertrand GEVART & Philippe REMY-WILKIN

VERS UNE CINETHEQUE IDEALE

100 films à voir absolument…

…des débuts du cinéma aux années 2010

Voir la présentation du projet et de l’équipe, le plan général et les dossiers ouverts :

(56/100) Le parrain II de Francis Ford Coppola (EU, 200 minutes, 1974).

Mais d’abord, en OFF…

Le parrain (I) de Francis Ford Coppola (EU, 175 minutes, 1972).

… et en BONUS (car film des années 90)…

Le parrain III de Francis Ford Coppola (EU, 163 minutes, 1990).

Les trois Parrain de Coppola, une mini-série avant l’heure ?

Articles à quatre/deux/trois voix, où Ciné-Phil RW ouvre des sillons dans lesquels s’engouffrent puissamment ses amis cinéphiles

Krisztina KOVACS, Thierry VAN WAYENBERGH et Bertrand GEVART.

===

Le parrain (I) de Francis Ford Coppola (EU, 175 minutes, 1972).

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Phil :

Revoyant pour la 123e fois ce chef-d’œuvre quasi indiscuté du 7e Art, la première impression qui m’a submergé est celle d’un bien-être au sein d’un tableau en mouvement, une fresque plutôt. La musique, la manière de filmer, la qualité des acteurs… On est bien DANS le film. Indépendamment du récit qui est, en sus, très réussi, à la fois dans sa structuration globale (une bonne histoire, suffisamment ample et compacte pourtant, de l’action, du suspense, un sens ou plusieurs) et dans la qualité de ce que mon professeur d’université (français du Moyen Age) Paul Jonas appelait les moments significatifs, en clair des scènes qui imprègnent durablement notre imaginaire indépendamment du Grand Tout.

Bertrand :

« Bien-être au sein d’un tableau » ? De fait, il faut s’appesantir sur la photographie aux textures contrastées, une manière d’éclairer innovante (cf la scène initiale avec Don Corleone). Auparavant, les studios n’auraient jamais accepté de filmer un acteur avec des « douches de lumière » ayant pour effet de souligner les traits les moins avantageux. Les lieux sont lugubres, chauds et sombres à la fois.

Phil :

J’ai toujours préféré de TRES LOIN les deux Parrain de Coppola ou le Il était une fois en Amérique de Leone aux multiples films de gangsters du si réputé Martin Scorsese. Pourquoi ?

Krisztina :

Intéressant, en effet, pour moi qui suis fan des deux (NDR : Coppola et Scorsese, exit Leone). Quelle touche les distingue ? Est-ce la manière de filmer la violence ? L’absurde, l’humour de Scorsese ?

 Phil :

Là, on touche à la subjectivité, à la sensibilité propre à chacun, à nos mécanismes secrets, à nos histoires personnelles sans doute. Oui, je crois que le second degré me pose problème, j’ai besoin d’empathie (et, par corollaire, d’humanisme ?). Viscéralement. Tu mets donc le doigt sur une force du cinéma de Coppola.

 Thierry :

Ce second degré est à mon avis l’objet de ton même rejet de Tarantino. Tu as un peu peur des réalisateurs… qui font du cinéma (rires). Ceci étant, en passant, Le parrain contient ses moments emphatiques et… tarantinesques ou scorsésiens. D’ailleurs, avec son mélange d’opéra baroque (par son rythme musical, la mise en scène du folklore religieux, les couleurs saturées, la mobilité de la caméra, etc.) et de documentaire hyperréaliste (les décors urbains, le générique en 16/8) sur le milieu de la pègre de Little Italy, Mean Streets de Scorsese me semble très proche du Parrain.

Phil :

Dans mon souvenir, le deuxième Parrain, fait rare, est supérieur à l’ouverture de la mini-saga (NDR : il y aura trois films, le troisième décalé). Mais les années 70 de Coppola nous offrent encore… Apocalypse Now. Si on doit tenter un top 10 de la décennie, quelle cathédrale choisir ?

Thierry :

Et pourtant, si tu savais comme Coppola n’en voulait pas de ce Parrain ! Pur travail de commande réalisé au départ avec d’immenses pieds de plomb !

Phil :

Je ne savais pas ! Et vais, du coup, lire un complément d’information sur Wikipédia. Une œuvre de commande ! Je tombe de mon fauteuil. Comme le signale TVW, les producteurs ne veulent pas de Coppola qui ne veut pas du film MAIS ils ne veulent pas payer les pointures à leur juste prix et élisent un jeune payable au rabais qui, lui, doit payer ses traites et sa paternité. Du coup… Et ça recommence avec le casting où Laurence Olivier aurait pu jouer Don Vito, où on ne voulait surtout pas de Marlon (jugé ingérable), où on préférait Ryan O’Neal ou Robert Redford (bankable) à Al Pacino (inconnu), Paul Newman à Robert Duvall, etc. A quoi tient… l’Histoire ? Car Coppola a TOUT donné sur ce film qui, au final, est un film d’auteur MAJUSCULISSIME ! Souvent classé deuxième meilleur film de tous les temps !

Thierry :

Pour être encore plus précis… Le parrain, c’est une affaire d’argent à tous les échelons. Au départ, personne n’en veut. Puzo, très mal dans ses baskets et criblé de dettes, présente son manuscrit de 150 pages, appelé alors La Mafia, à Robert Evans, directeur de Production de la Paramount. Mais cette dernière a quelques bides à son  passif autour du monde des gangsters justement. Evans se montre donc très tiède.

La roue tourne ! Rebaptisé Le parrain, le bouquin casse la baraque. La Paramount fléchit mais ne veut pas prendre de risque financier et propose une adaptation au prix ridicule de 2-3 millions de dollars. Puzo est sommé de mettre la main à la pâte pour un scénario plus étoffé. Evans lui demande même d’ajouter des hippies dans l’histoire pour être au goût du jour !

Bémols ! Evans n’en démord pas, il  ne veut absolument pas de Coppola, un réalisateur qu’il considère comme un petit tâcheron auteur de deux flops (dont La vallée du bonheur, un musical que Francis Ford aurait massacré). Et Coppola, de son côté, refuse catégoriquement ce Blockbuster de gangsters, il se revendique artiste, Le Parrain lui semble indigne de son talent. De fait, Francis Ford est à ce moment obnubilé par l’ambitieux film de science-fiction THX 1138 de son ami et protégé George Lucas, qui charrie des préoccupations d’auteur (avec un grand A), une obsession pour l’expérimentation, la technologie.  

La roue tourne… encore ! Les grands réalisateurs déclinent poliment l’invitation à tourner Le Parrain et… finalement… Evans doit faire des pieds et des mains pour obtenir un « Oui » de Coppola ! Qui accepte pour des raisons financières : il doit 300 000 dollars à la Warner et quelques milliers de dollars à Roger Corman (qui lui a mis le pied à l’étrier en finançant notamment son thriller Dementia 13, en 1963), il pourra remettre à flot son studio indépendant Zoetrope.

Phil :

Le casting est étourdissant. Je n’ai jamais pu supporter Talia Shire ou Diane Keaton (subjectif) mais Marlon Brando est monumental, Al Pacino crève l’écran, les seconds rôles sont magistraux (Robert Duvall, James Caan, John Cazale…).

Krisztina :

Al Pacino était inconnu, c’est vrai, jusqu’à Dog Day Afternoon/Une après-midi de chien, c’est ça ?

Phil :

J’aurais dit « Avant Serpico ».

Krisztina :

La famille Coppola, une famille de Grands du ciné aussi, et… des Italo-Américains. D’où… peut-être… son malaise/désintérêt de filmer Le parrain au départ ?

 Thierry :

Non, au contraire, Krisztina. C’est à partir du moment où Coppola, lisant entre les lignes du best-seller de Puzo, entrevoit un récit sur la famille (une obsession dans toute son œuvre : il veut plus que tout être un artiste… comme son père Carmine, grand musicien dans l’ombre duquel il n’en peut plus de vivre – leurs rapports seront d’ailleurs houleux) qu’il commence enfin à s’y intéresser.

Bertrand :

Nous connaissons les talents de Mario Puzo, mais Coppola a apporté une dimension très intime. De manière rétrospective, Le parrain I voit clairement l’appropriation des récits issus du livre par l’artiste-cinéaste, qui transcende le tout avec les outils cinématographiques.

Phil :

Fascinant Marlon ! Qui s’est tant et tant vanté de mépriser le cinéma ! Il survole les années 50 (Sur les quais, Un tramway nommé désir) et y est déjà immortel (NDR : il incarne une nouvelle jeunesse avec Montgomery Clift et James Dean). Il ressuscite dans les années 70 pour Le parrain, Le dernier tango à Paris et Apocalypse Now ! Somme toute, deux carrières qui en feraient chacune une étoile absolue. Des années 60 bien meublées mais moins marquantes. Et des années 80, 90… de quasi retraite.

Krisztina :

Incroyable Brando, en effet ! D’ailleurs, cette histoire de boulettes de coton dans la bouche pour jouer Don Vito, c’est vrai, non ? Je l’ai lue dans son autobiographie, Songs my mother taught me.

Phil :

Apparemment, oui. On ne voulait pas de lui, il doit réaliser un essai et met la gomme, impressionne ses opposants.

Krisztina :

Brando a joué dans Le Parrain à une époque où la famille comptait énormément pour lui. Il était au plus haut point lui-même chef de clan (onze enfants reconnus). Je suis convaincue qu’il a pu livrer cette interprétation d’un homme vieillissant et digne en puisant dans son état d’esprit de l’époque.

Phil :

Actor’s Studio, isn’t it ?

Phil :

Le parrain, au-delà de son récit mafieux empli de bruit, de fureur et de larmes, c’est aussi une réflexion sur l’émigration, la famille, le clan… Plus profondément sur ces besoins que ressentent la plupart (ou tous ?) des êtres humains. Désirs de soumettre ou de se soumettre, d’être connecté à un cercle qui vous protège, etc. Une attraction qui est souvent dramatique, parfois létale. Le clanisme me fait horreur… même si je perçois que ce qu’on fait sortir par la porte entre par la fenêtre.

Krisztina Kovacs, Ciné-Phil RW, Thierry Van Wayenbergh et Bertrand Gevart.

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Le parrain II de Francis Ford Coppola (EU, 200 minutes, 1974).

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Phil :

J’ai entamé avec, collé au fond de la rétine ou du cerveau, l’idée, propagée par la rumeur, que ce pan II du diptyque (une adaptation de Mario Puzo, rappelons-le, qui a écrit scénario et dialogues avec Coppola) était supérieur au I, ce qui est très rare. Au jeu des comparaisons ? Cette partie m’a paru plus émouvante (l’enfance de Vito Corleone, les relations familiales tragiques…), plus ancrée dans l’Histoire (reconstitutions de l’entrée des migrants via Ellis Island ou de la Havane des affaires au moment de la révolution castriste)… On est toujours installé dans une fresque puissamment agitée où la musique, la qualité visuelle, le casting assurent un confort maximal, les scènes marquantes une imprégnation durable. On a perdu Marlon Brando mais gagné Robert De Niro, qui va devenir le plus grand acteur des années 70. Al Pacino poursuit quant à lui son sillon et se monumentalise à son tour.

Thierry :

Tu ne crois pas si bien dire. Les critiques ne sont pas rares à trouver ce Parrain II, élégie funèbre sinueuse, supérieur au Parrain premier du nom. Ce deuxième opus est plus proche d’une tragédie grecque, racontant en parallèle la chute d’un Michael Corleone, assoiffé de pouvoir jusqu’à l’impensable, et l’ascension antérieure  de Vito, l’immigré italien devenu caïd de son quartier, dans un New York 1900 fabuleusement reconstitué par le décorateur fétiche de Coppola, Dean Tavoularis. Le film raflera d’ailleurs six Oscars, Coppola ceux de Meilleur réalisateur et de Meilleur film, De Niro/Vito (choisi par Coppola qui l’avait vu dans Mean Streets) celui du Meilleur acteur dans un second rôle (c’est en fait tout le casting qui est extraordinaire, Al Pacino étant, lui, nominé pour le Meilleur acteur).

Phil :

Robert De Niro. Pourquoi a-t-il incarné le héros idéal de mes vingt ans ? Il aura été mon mythe, comme James Dean pour d’autres. Que représente-t-il essentiellement ? A travers son collier de perles ahurissant : Le parrain II, 1900, Taxi Driver, Deer Hunter/Voyage au bout de l’enfer, Il était une fois en Amérique (1984)… et même Le dernier nabab ? Y a-t-il des invariants dans cette litanie ?

Thierry :

De Niro n’a vraiment mal joué qu’une seule fois, dans We’re no Angels, piteuse comédie de Neil Jordan où Sean Penn et le grand Bob, en voyous déguisés en prêtres, cabotinent à qui mieux-mieux dans un insupportable festival de grimaces. Il est aussi en équilibre précaire, sur la corde du Too much, en Max Cody (forme pervertie du vengeur mystique de Taxi Driver) dans le remake christique des Nerfs à vif (Scorsese).

Phil :

Menacé ou bloqué par la mafia lors du premier film, Coppola semblait y avoir adouci l’image de la Pieuvre, dont le nom ne pouvait être cité. Un débat pouvait s’ouvrir sur une certaine complaisance. Somme toute, la famille Corleone réparait des injustices et abattait des monstres… Dans ce deuxième volet, la trame est nettement plus sombre et réaliste. On mesure à la fois la brutalité (la prostituée tuée pour impliquer un sénateur, le sacrifice de porte-flingues, etc.) mais aussi l’immensité des dégâts collatéraux (la famille implose, on en vient à trahir un frère ou à le liquider, les amis d’un jour sont trucidés le lendemain…). Au final, la partie II prolonge magnifiquement et parachève la fresque, qui forme un tout compact, tout en offrant un contrepoint absolu. Je pense… bizarrement ?… aux premiers disques (de loin les meilleurs, avant la déglingue pop) du groupe rock Queen. Pour deux raisons : les disques Queen II et Sheer Hearth Attack constituent un diptyque impérial ; les disques A Night at the Opera et A Day at the races reproduisent le même schéma, comme des variations libres sur les mêmes thèmes. Ici ? On revit fêtes familiales ou d’hôpital, massacre polyphonique coulé dans une célébration, etc. Sans lassitude car le créateur creuse ses thèmes et renouvelle leur approche.

Thierry :

Très juste, Philippe. Tout est ici beaucoup plus noir, plus terrifiant. Comme la scène de rupture avec Kay, qui prend littéralement aux tripes. Grand film sur l’échec aussi (de Michael),  qui célèbre paradoxalement dans le même temps la réussite totale de Coppola. Le cinéaste passe du travail de commande transcendé à une fresque hallucinante sur la famille et sur l’Amérique (du début du XXe siècle jusqu’à la fin des années 50), qu’il contrôle cette fois de bout en bout. Ceci explique peut-être cela.

Phil :

Quel est le sens du film ? Ou celui du diptyque ? La famille, le clan nous donnent de la consistance, un ancrage mais nous aliènent, l’équilibre est difficile à trouver ? Le pouvoir est l’obsession humaine primordiale, qui gangrène tout, partout ? L’hypocrisie domine le monde ? On dit une chose et on fait son contraire dans la foulée ? La grandeur inépuisable de l’œuvre tient-elle à ce qu’elle touche au plus profond de l’étoffe humaine et de ses dérives, de ses fantômes, de ses aspirations comme l’Œdipe de Sophocle ou le Perceval de Chrétien de Troyes, l’Odyssée d’Homère ou le Hamlet de Shakespeare ?

Thierry :

Tout à la fois sans doute. A ceci près que Pacino incarne la figure la plus brutale de l’individualisme américain. Un visage d’ange, un beau costume d’homme d’affaires irréprochable… et, en même temps, un Lucifer bouffi d’ambition et aux manières impitoyables, capable de faire condamner à mort son propre frère (sublime John Cazale*).

Ciné-Phil RW et Thierry Van Wayenbergh.

* Thierry : On ne parlera jamais assez de John Cazale. Il fut l’ami de Pacino et, plus tard, de De Niro, qui piochera dans ses propres poches pour assurer le comédien malade d’un cancer afin qu’il puisse continuer à tourner dans Voyage au bout de l’enfer.

Phil : C’était le compagnon de Meryl Streep aussi, qui tourna la série TL Holocauste à contrecœur pour payer ses soins. Dis-moi qui t’aime et…

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Le parrain III de Francis Ford Coppola (EU, 163 minutes, 1990).

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Phil :

Reprendre un succès près de vingt ans plus tard, ça présage rarement du positif. Dans tous les arts. Ca annonce l’artiste qui a perdu le fil de la reconnaissance critique ou populaire, les dettes, etc. Et non l’intransigeante nécessité créative. Par charité, on s’abstiendra de livrer des exemples. Les bronzés III, Les passagers du vent (en BD)… Ah, on n’est pas charitable ? Non ! En l’occurrence ? C’est un bon film, voire même un fort bon film… qui reste à mille coudées pourtant du Grand Art des parties I et II.

 Bertrand :

On perd l’esthétique du diptyque dans ce troisième volet. On retrouve le Hollywood classique avec une précision minutieuse et lente des cadrages, qui s’arrête sur des détails de mise en scène. C’est sans doute ce qui permet une adhésion sans équivoque du public et accentue la crédibilité du récit mêlant Histoire et fiction.

Thierry :

Pourtant… Walter Murch, le monteur des Parrain (comme d’à peu près tous les films de Coppola), préfère considérer chaque film comme une entité individuelle et non comme partie d’un triptyque.

L’histoire secrète du projet ? Une affaire de sous (décidément !) a tout chamboulé ! Coppola rêvait de construire Le parrain III autour de la mort de Tom Hagen, le fils adoptif de Vito Corleone, il aurait ainsi créé un ensemble parfait, trois récits équilibrés, centrés chacun sur la mort d’un frère (Sonny, Fredo puis Tom). Il a envoyé une ébauche de scénario à Robert Duvall (qui incarnait Tom Hagen dans les I et II), celui-ci a donné son aval mais, vu l’importance du rôle… exigé  un salaire équivalant à celui d’Al Pacino. Devant le refus catégorique de la Paramount, et malgré les efforts incommensurables d’un Coppola jouant au mieux les entremetteurs, l’acteur a fini par jeter l’éponge. Résultat : Duvall n’est pas dans le film et son absence rend la troisième salve plutôt bancale.

Cependant, n’exagérons pas… comme Philippe (« Mille coudées en-dessous de… ») ! Ce III, articulé comme un fantastique opéra tragique et filmé avec génie, trouve, à travers la lassitude d’un Michael frappé par le sceau du destin et incapable d’atteindre la rédemption tant souhaitée, ainsi qu’à travers les citations et références aux précédents épisodes, non seulement une véritable cohérence mais, plus encore, la conclusion la plus juste et la plus émouvante possible à la tragédie des Corleone. On touche au chef-d’œuvre… du bout des doigts.

Phil :

Le parrain, in fine, a des allures de franchise. Ca saute encore plus aux yeux avec le III. Il y a une mécanisation du récit, d’une partie de ses axes, thèmes ou épisodes. Ainsi, les trois films se terminent par une grande scène mondaine (réminiscences du Guépard ?) entrelardée d’une série de règlements de comptes. Il y a un public plus populaire qui désire retrouver SES ingrédients, il est donc servi. Il y a un autre public, minoritaire, qui grimace un  peu, préfère une explosion imaginative.

Phil :

Le casting était merveilleux dans les deux premiers films, un Kubrick a même décrété que le premier du lot était le meilleur de l’Histoire du Ciné. On avait Pacino et Marlon dans le premier, Pacino et De Niro dans le deuxième, entouré de magnifiques rôles secondaires, tertiaires et même quaternaires (l’acteur fétiche de Pasolini qui joue les porte-flingues). Mise en abyme de mon rapport au film : Pacino, qui semble un autre homme, laisse beaucoup de place à Andy Garcia. Or Andy est un bon acteur, que j’ai jadis beaucoup apprécié, mais il entre ici en compétition avec Brando et De Niro, ce qui est trop lui demander. D’où une sensation d’appauvrissement. On a quitté le mythe, il n’en reste que de (somptueux) accents. Qui plus est, face à lui, sa (trop) chère cousine, la fille du Parrain, est jouée par Sofia Coppola… qui a beaucoup de charme sans avoir le physique de l’emploi. A tel point qu’elle sera vue comme une pistonnée (fille de Francis) et raflera deux fois le prix de la pire révélation de l’année (NDA : s’en prendre à des jeunes et non à des vedettes confirmées est lâche et idiot). Du coup, elle abandonnera un métier commencé dès le berceau… pour se tourner vers la caméra (autre histoire, très intéressante vu qu’on lui doit les magnifiques Virgin Suicides et Lost in Translation).

Phil :

Ce Parrain quitte l’Histoire américano-italienne pour tenter d’embrasser la marche du monde (plus profondément que dans le II avec Cuba), nous confrontant aux intrigues européennes et vaticanes (la mort de Jean-Paul Ier, etc.) mais la partie qui m’émeut est la plus intime : les amours contrariées des deux cousins. C’est le grand paradoxe de mon rapport au film : la relation Garcia/Coppola me plaît beaucoup mais tire le film vers… autre chose.  

Phil :

En filigrane du thriller et des sillons narratifs, une nouvelle salve de réflexions sur le rapport à la famille, à l’identité, aux racines, aux conventions, à l’émancipation… Ce qui fait que ce troisième opus, loin du mythique diptyque, aurait pu être un de mes 10 films préférés de l’année 1990.

Bertrand :

En surplomb du triptyque, je pose une question quasi historico-sociologique : « Comment peut-on expliquer l’immense popularité́ de la série Le parrain à une époque où ce type de cinéma était presque voué à ne plus être produit, suite notamment à l’émergence du New Hollywood ? ».

Phil :

La loi des compensations ? Les créateurs ont une longueur d’avance et offrent un cinéma nouveau, plus réaliste, branché quotidien, la foule, du coup, s’enthousiasme pour une œuvre à rebours. Un peu comme un déclin du religieux ou un avènement des Lumières est compensé par un attrait pour le surnaturel, l’alchimie, l’ésotérisme…

Bertrand :

Le « Parrain » (Brando/De Niro puis Pacino) ne répond à aucune règle de droit mais à un code d’honneur interne à son organisation. Or les années de production (regroupant toutes les étapes, adaptations scénaristiques, levée de fonds, castings, etc.) sont des années très mouvementées sur le plan socio-politique (vive émergence de la modernité, guerre du Vietnam, tensions ethniques, traumatismes des assassinats des deux Kennedy et de Martin Luther King, etc.), où la confiance à l’égard des différents pôles étatiques s’érode. Le « Parrain » s’engouffre dans la brèche ouverte par un trop-plein d’ambiguïtés morales. Lui est omnipotent, avec droit de vie et de mort, il gère toutes les structures, privées et professionnelles. La dilution de la confiance pour les institutions officielles génère une fascination pour l’image mythique de la Mafia, qui se tisse au fur et à mesure de la série.

Phil :

Qui, il est vrai, surtout dans le I mais à nouveau dans le III (quand Corleone aide le Pape !), a des allures de contre-pouvoir… pour le meilleur aussi et pas que pour le pire.

Thierry :

Hum… Il y a beaucoup à répondre !

Si les Movie Brats du Nouvel Hollywood (Scorsese, Coppola, Friedkin, Bogdanovich, Peckinpah, Hashby, Cimino et leurs acteurs De Niro, Nicholson, Richard Roundtree, Al Pacino, Elliott Gould, Faye Dunaway, Jane Fonda, Sissy Spacek, etc.) envoient promener les studios, piétinant allègrement les règles classiques, emboîtant le pas de la contestation qui souffle sur les USA à l’époque, ils poursuivent un mouvement initié par d’autres. Ainsi Kubrick ou le franc-tireur Cassavetes ont déjà tenté non seulement de tenir tête aux studios mais aussi d’obtenir le contrôle le plus absolu possible sur leurs œuvres. Avec des résultats mitigés mais des résultats tout de même. Et, bien avant eux, Lubitsch, contournait la censure du Code Hayes avec génie, créant la fameuse et inimitable Lubitsch Touch. La nouveauté réside dans le fait que le Nouvel Hollywood s’est édifié à la faveur de plusieurs défaites des studios, des flops qui ont lézardé leur toute-puissance. Une bonne partie de la jeunesse, éprise de liberté et pleine d’imagination, s’est engouffrée, dans la brèche providentielle. Ces jeunes vont mettre en avant les marginaux et la contre-culture (liée notamment au rejet des réponses trop faciles des institutions autour de la guerre du Vietnam) et façonner le cinéma américain le plus libre qui ait jamais existé, sans doute l’un des plus grands cinémas du monde, durant la décennie dorée des Seventies.

Ça ne veut pas dire, comme tu sembles le sous-entendre, Bertrand, que le cinéma classique n’est plus. Sa matrice existe depuis les premiers tours de manivelle des frères Lumière et des opérateurs Edison… et ne cessera jamais d’être : elle est la fondation-même du 7ème Art. La preuve ? Les films catastrophe (La tour infernale, etc.), les blockbusters (Les dents de la mer, etc.) ou les mélos tire-larmes (Love Story, etc.) produits en nombre au même moment.  Et même… ce Parrain… qui conjugue avec maestria ce qui se fait de mieux dans le cinéma classique (solidité, plans travaillés et posés, beauté de l’image) et dans le Nouvel Hollywood (rapport frontal à la violence, rébellion à l’autorité – même si le clan Corleone possède ses propres lois, sa vocation mafieuse le heurte aux institutions, à la morale citoyenne, etc.).

L’immense popularité de la trilogie ? Je pense qu’elle est liée à cette part de soi que l’on peut trouver à travers les failles (typiques du Nouvel Hollywood), les destins pas franchement rêvés des Corleone. La fascination du gangster mythique ? Elle me semble d’un autre temps, chevillée plutôt aux films du début des années 30, avec comme corollaire la mise en chantier du fameux Code Hayes. Cette popularité, je la vois davantage, comme Philippe, dans la formidable charge émotionnelle qui fait vibrer l’écran, traverse les films et cette famille Corleone, au fond si proche de nous, qui pourrait être nôtre.

PS

Phil :

Éric Allard, le rédac’chef des Belles Phrases, nous a parlé d’une incroyable affaire de symbolique chez Coppola… relative aux oranges… qui surplomberait toute la saga ! Du coup, nous renvoyons à cette fort amusante/intéressante analyse, parue en 2010 :

http://cinefabrika.blogspot.com/2010/03/lorange-dans-la-trilogie-le-parrain.html

Ciné-Phil RW, Thierry Van Wayenbergh et Bertrand Gevart.

LIEN vers le récap des ANNÉES 70

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VERS UNE CINÉTHÈQUE IDÉALE (64/100) – TAXI DRIVER de MARTIN SCORSESE (1976) par Krisztina KOVACS, Thierry VAN WAYENBERGH & Philippe REMY-WILKIN

VERS UNE CINETHEQUE IDEALE

100 films à voir absolument…

…des débuts du cinéma à nos jours

Voir la présentation du projet et de l’équipe, le plan général et les dossiers ouverts :

(64/100) Taxi Driver, un drame de Martin Scorsese, E.U., 1976, 1h49 minutes.

Une polyphonie où se répondent les voix de 

Krisztina KOVACS, Thierry VAN WAYENBERGH et Ciné-Phil RW.

= = =

Phil :

Un rappel du pitch.

Travis Bickle (Robert De Niro), un ancien marine, ne s’est jamais remis du Vietnam et traîne son spleen, comme chauffeur de taxi, à travers les artères d’un New-York mal famé (Bronx, Harlem…). Insomniaque, il accumule les heures supplémentaires, apparaît totalement en marge, proche du point de rupture, sans ancrage aucun. Pas de famille, de petite amie, d’ami. Il semble tendre une main, un appel à l’aide, mais ses collègues ne comprennent rien à ses attentes, il les trouve idiots et sans intérêt. Fait notable : il se confie à un journal de bord. On sent monter en lui la frustration, le dégoût du monde ambiant, pavé de saleté, de violence, de chaos (prostitution, drogue, corruption)…

Luttant pour s’en sortir, il s’ouvre un début d’histoire, un embryon de rédemption via son coup de foudre pour Betsy (Cybill Shepherd), une jeune femme engagée dans la campagne présidentielle du candidat Charles Palantine. Malgré sa maladresse, ou grâce à celle-ci ?, il réussit un début de séduction et elle accepte d’aller boire un verre en sa compagnie. Il gâche tout en l’emmenant au cinéma, choisissant… un film pornographique. Ce rejet accroît vivement sa frustration et il achète des armes au marché noir, se lance dans un entraînement paramilitaire. C’est le début d’un engrenage. Dont on pressent l’issue. Qui n’est pourtant pas écrite.

Krisztina :

On mentionnera le cameo de Scorsese, qui apparaît tout jeune, en costume trois pièces, en tant que client psychotique du taxi de Bickle : « Do you think I’m sick ? »*.

Thierry :

Très intéressant, ce que tu mentionnes là, Krisztina. « Do you think I’m sick ? ». Yes, of course ! Parce que la genèse du scénario de Taxi Driver, écrit par Paul Schrader, c’est précisément la maladie, la dépression. Au tout début des années 70, Schrader, alors aspirant-scénariste, voit son mariage voler en éclats après avoir trompé son épouse, il est quitté par les deux femmes de sa vie. Pendant un bon mois, il s’enfonce dans les tripots des quartiers mal famés de Los Angeles, boit plus que de raison, du matin au soir, et erre la nuit tel un mort-vivant. Puis c’est la psychose maniaco-dépressive, les cinémas pornos, l’autodestruction.  

Le besoin irrépressible de raconter cette expérience extrêmement douloureuse le pousse à noircir frénétiquement des pages. Après quinze jours, il accouche du scénario (terminé) de Taxi Driver. Nous sommes en 1972 (quatre ans avant l’adaptation de Scorsese… auquel le scénario est confié par un certain De Palma). Travis, son personnage, c’est lui ! Un homme qui se déplace comme un rat dans un égout. Sans cesse au milieu d’une multitude de gens, mais sans le moindre ami. Et sa voiture, ce cercueil de métal jaune, symbolise la solitude urbaine. Taxi Driver, c’est donc avant tout une affaire de dépression et de rédemption par l’art.

 Phil :

J’ai achevé une nouvelle vision du film des décennies après la première. Me sidèrent cette sensation d’avoir sélectionné mes souvenirs, cette évidence qu’au fil d’une évolution personnelle des aspects du film se délavent mais d’autres s’accentuent. Banal. C’est un peu comme un tableau présenté à diverses personnes quelques instants. On leur demande ce qu’elles ont vu et elles évoquent des perspectives, des détails fort différents.

Jadis, j’adorais De Niro, ce qui jouait déjà sur mon interprétation. J’étais jeune et voyais un Travis justement révolté contre la corruption du monde adulte, j’admirais sa réaction, ses tentatives pour infléchir son destin, offrir du bonheur ou la liberté à quelqu’un. J’avais même oublié qu’il voulait assassiner le candidat Palantine ! Aujourd’hui, je me mets à la place de Betsy et songe à toutes ces femmes qui voient approcher des malades voulant les intégrer de force à leurs histoires alors qu’ils ne partagent  pas la même grammaire, le même lexique. Je songe à ces célébrités muées en points de focalisation de frustrés narcissiques souhaitant les cannibaliser. Je vois un jeune homme en pleine dérive vers l’extrême-droite, un électeur de Marine Le Pen qui chipote sur Internet et se dirige vers la nébuleuse Daesh, prêt à tout exploser pour se sentir exister ou moins vide, ne supportant pas d’être en dehors de ce qui vaut la peine d’être vécu, au comble de la jalousie donc.

Thierry :

Je ne partage pas tout à fait ton point de vue, Philippe. Du moins, pas cette impression qu’un tel personnage ferait de nos jours un parfait soldat de Daesh. Scorsese lui-même dément cette idée – même si un  réalisateur n’a pas davantage raison dans la lecture de son œuvre que toi, spectateur, auquel il la soumet entièrement, œuvre qui immanquablement nourrira et se nourrira de ton expérience personnelle –  dans ses entretiens avec le critique de cinéma Richard Schickel (publiés en 2011). Il faut se rappeler que Scorsese, enfant, est malade, cloîtré dans un petit appartement de Little Italy. La vie, il la voit comme un spectacle, depuis sa fenêtre. Ce qu’il observe, ce sont surtout les caïds de la rue, des gangsters de son milieu. Un monde d’hommes virils qui le font fantasmer, « du genre qui entrent dans une pièce, foutent des baffes et ressortent vainqueurs ». Mais paradoxalement, plus tard, avec la fréquentation des films de Bergman, il s’échappe dans un ailleurs et rejette ses origines, jusqu’à haïr (précisément aimer à l’envers ici) ce milieu dont il s’est toujours senti exclu.

Frustration est sans doute le terme qui définit le mieux le réalisateur tout comme Travis, dans lequel il voit son parfait prolongement. Pourquoi le scénario de Taxi Driver a-t-il happé Scorsese ? Parce qu’il s’est reconnu dans la rage, la colère, la solitude du conducteur de taxi. Et dans sa volonté forcenée de se tenir à l’écart, en contenant jusqu’à la douleur ses émotions à l’intérieur de lui-même. Travis n’agira jamais que de son propre chef, il est l’antithèse de celui qui se ferait phagocyter par une secte fanatique (même si on devine qu’il a dû faire couler le sang au Viêtnam pour l’Etat-major américain et qu’il ne s’en est visiblement jamais remis), peut-être même le symbole de la liberté ultime et par-là même dangereuse. Il est  le monstre qui sommeille en nous. Les bases et principes sont sains mais, comme ils deviennent obsessionnels, l’animal verse presque par essence dans la folie, la rage de Travis – que l’on essaie d’aimer, parce qu’en tant qu’homme affreusement banal il nous ressemble – devient le foyer du racisme et d’autres traits humains détestables.

Krisztina :

Au niveau de la musique, le même air revient souvent, n’est-ce pas ? Une sorte de jazz lancinant des bas-fonds, entêtant, abrutissant.

Phil :

Bernard Hermann signe pourtant l’essentiel de la bande sonore. Oui, Hermann, le compositeur quasi attitré d’Hitchcock (notamment pour Vertigo/Sueur froide, La mort aux trousses, Psychose), l’un des musiciens les plus marquants de l’histoire du cinéma ! Qui décède le dernier jour d’enregistrement, avant la sortie du film. Taxi Driver est donc son dernier travail et le film lui est dédié.

Phil :

A l’écoute de plusieurs répliques, ça tilte ! Quentin Tarantino a certainement été ébloui par celles-ci (la mythique « You’re talking to me ? ») et a fondé une grande part de son cinéma sur une maximalisation du dialogue scorsesien. En oubliant l’essentiel. Scorsese utilise des instruments au service d’une histoire et celle-ci, qui plus est, est chargée sémantiquement, elle est ambiguë, ouverte, déstabilisante (la définition de l’Art, tout ça ?), soit, mais elle est fléchée aussi, il y a matière à remise en question, interrogation sur la condition humaine, les lacunes de nos sociétés, etc. Il y a Bildungsroman, roman de construction. Un formidable travail d’auteur, donc, quand Tarantino est une coquille vide. Qui répète et gonfle à l’infini les saillies repérées chez d’autres.

Krisztina :

Un « You’re talking to me ? » pastiché et référencé à l’infini, depuis, dans la culture populaire. Décliné en sketchs, au cinéma – par exemple, dans La haine (1995) de M. Kassovitz, où V. Cassel se prête aussi au jeu. Phrase-type du gars qui n’a rien à perdre car il n’a rien et a donc tout à prendre. Du type qui veut se la jouer dur, dissimulant un mal-être et une colère vengeresse, avant tout autodestructrice.

Phil :

Robert De Niro ! Un acteur merveilleux. A l’époque. Avant qu’il ne se détourne des fresques qui l’avaient édifié en monument du 7e Art pour courir vers la reconnaissance publique à travers des comédies, parfois réussies mais souvent pathétiques. Suis-je trop dur ? L’acteur avait épuisé un sillon et aspirait à autre chose ?

Robert De Niro ! Ebloui par son jeu, je le trouvais très beau il y a des décennies et je lis aujourd’hui sur son visage ce qui le distingue d’un Delon, d’un Eastwood, d’un Brando : une fadeur des traits. Qui s’efface parfois derrière son sourire désarmant. Mais une fadeur tout de même. Qui a sans doute participé de sa capacité à se fondre dans ses rôles, ou attiré ceux-ci. Car, à relire ses grands rôles des années 70/80, n’est-il pas le plus souvent, même quand il est un homme placé au sommet de la société et doué de qualités hors normes, un personnage masquant un intrinsèque falot, qui le conduit à tergiverser, hésiter, reporter, fuir un destin ou une femme, etc. ? Un individu qui flotte. Je me repasse le fil de ses compositions d’alors et ne le vois jamais père, par exemple (à l’exception du Parrain, qui précède son ascension olympienne). Mise en abyme ?

Krisztina :

La scène d’entretien avec l’ex-Marine (pour le poste de taximan) est très révélatrice. On retrouve le De Niro qui se fond dans le personnage, sans se dévêtir de son bagout légendaire.

Phil :

Taxi Driver est, de loin, mon film préféré de Scorsese. Raging Bull ne me dit rien. Casino me semble à mille lieues des Parrain 1 et 2 (et même 3). Etc. C’est un peu comme pour Truffaut, dont la majorité de la création me laisse de glace ou tiède. Taxi Driver me semble capter les désarrois d’une époque et surtout anticiper les réalités de notre temps, avec une lobotomisation accrue qui génère l’arrivée au pouvoir de despotes démagogues, le basculement accéléré et massifié dans le terrorisme. C’est aussi un film atemporel sur la condition humaine, la précarité des devenirs, l’aléatoire des trajectoires.

Krisztina :

Ah, je ne suis pas d’accord ! Casino, pour moi, est un chef-d’œuvre du film mafieux blingbling, déjanté, un peu cliché mais moderne aussi, avec une trame éternelle à la tragédie grecque teintée de film noir et d’une touche ritale : la femme intrigante et manipulatrice, l’ascension fulgurante, la trahison du meilleur ami, la chute… Ce film, il est vrai, est très différent du Parrain, peut-être en constitue-t-il un pendant plus populaire (oserais-je dire « vulgaire » ?), névrosé par des années de reaganisme, de trafic de coke. Sharon Stone y est hallucinante, une bombe à retardement, la seule qui fait face à De Niro. Casino reste un de mes Scorsese préférés !

SPOILER !

Phil : Si Travis finit en héros, ayant sauvé une jeune prostituée (Iris, 12 ans et demi, jouée par Jodie Foster) des griffes de ses souteneurs (Krisztina : « Un tout jeune Harvey Keitel, ambigu et paumé) pour la rendre à ses parents et à la vie tout court, c’est qu’il a été mis en échec lors de sa tentative d’assassinat du politique.

Héros ou monstre selon le timing, les hasards du jour ? Il y a de ça. Et ça cerne une grand part du monde réel. Ce qui renvoie ou devrait renvoyer les autorités publiques devant leurs responsabilités. Les monstres existent mais les vrais monstres, les irrécupérables crapules sont rares. Savoir écouter, éduquer, offrir des béquilles avec la volonté d’émanciper ensuite, etc. Nul doute que la rédemption est à la portée du plus grand nombre. Si on y met son grain de sel quand on en a le talent ou le pouvoir !

Quand on lit les informations relatives au film, ce côté aléatoire de nombreuses réussites éclate encore au visage. L’excellent scénariste Paul Schrader (American Gigolo, Raging Bull, etc.) a dû imposer Scorsese et De Niro. On aurait pu avoir un Taxi Driver réalisé par Brian De Palma ou Robert Mulligan, joué par Al Pacino ou Jeff Bridges (Travis), Farrah Fawcett (Betsy), Bo Derek, Carrie Fisher, Linda Blair, Mariel Hemingway ou Melanie Griffith (Iris), Rock Hudson (Palantine), etc.

Adéquation et timing, mamelles de la réussite ! A chacun d’impulser mais après…

Ciné-Phil RW, Krisztina Kovacs et Thierry Van Wayenbergh.

* Voir : https://www.youtube.com/watch?v=X6frLQWOSlQ

LIEN vers le récap des ANNÉES 70

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VERS UNE CINÉTHÈQUE IDÉALE (63/100) – AU FIL DU TEMPS de Wim WENDERS (1976) par Philippe REMY-WILKIN

VERS UNE CINÉTHÈQUE IDEALE

100 films à voir absolument…

…des débuts du cinéma à nos jours

Voir la présentation du projet et de l’équipe, le plan général et les dossiers ouverts :

(63/100)

Au fil du temps/Im Lauf der Zeit,

un Road Movie en noir et blanc de Wim Wenders, Allemagne, 1976, 2h56. Prix de la Critique internationale à Cannes.

Un article signé par Ciné-Phil RW.

= = =

Une œuvre-monde qui, avec un naturel décapant et poétique, propose le cinéma comme média d’appréhension d’un rapport à l’autre et à soi, à l’histoire. GREAT !

Nous sommes au cœur des années 70, dans l’Allemagne (fédérale) profonde, sa campagne, ses cités. Bruno est un routier solitaire, qui promène son camion le long de la frontière est-allemande tout en s’arrêtant à droite et à gauche pour réparer le matériel de projection de salles de cinéma. Il assiste au demi-suicide de Robert, qui a jeté sa voiture dans un fleuve mais s’en extirpe ensuite, comme dépouillé de son passé, et le recueille, quasi sans explication.

Ce qui n’aurait dû être qu’une intervention ponctuelle se mue en odyssée, les deux hommes traversant le pays en partageant mille petites (et grandes ?) aventures, progressivement reliés par le vécu commun et des bribes d’information mais demeurant longtemps campés dans une réserve (faussement) paradoxale.

Spoiler !

Jusqu’au moment où ils atteignent un cul-de-sac, une route qui s’achève brutalement au niveau d’un baraquement insolite, un ancien poste de surveillance, qui toise l’autre monde (communiste) avec ses inscriptions en anglais, comme autant d’appels à l’ouverture, à l’évasion. Ils vont passer la nuit au milieu du no man’s land, malgré les risques, et les masques, soudain, vont tomber.

A mille lieues d’une narration classique !

Ce film s’apparente à une errance, ce qu’il n’est pas, en fait, vu que Bruno suit un plan de route planifié. Et qu’il transporte son home avec lui, comme une coquille d’escargot. Mais c’est un Road Movie, l’un des plus achevés qui furent jamais, avec Easy Rider ou Le fanfaron, et l’on sent affleurer l’ombre de Kerouac (Sur la route, le roman-phare des beatniks). L’un des plus subtils aussi, car voyager, ici, n’est pas la panacée universelle : Robert (qui a quitté sa femme et ne s’en remet pas) y recourt pour se reconstruire ; Bruno, a contrario, a beau se déplacer, il vit en marge du monde, protégé par un camion/bunker, et il lui faut l’apparition d’un tiers, le grain de sable dans la mécanique, pour que son périple s’incurve, que les étapes en acquièrent un sens nouveau.

La progression est remarquable !

D’un récit picaresque à une trame plus dense, d’une litanie de rencontres aléatoires, qui propulsent à la découverte de l’altérité (un homme qui a perdu sa femme dans un mystérieux accident de voiture, une ouvreuse des plus accortes, etc.), à un retour identitaire quasi freudien (Robert, après avoir revu son père, pousse Bruno à retourner dans la maison de son enfance, sur une île rhénane).

Certes, il faut s’habituer au rythme lent et au minimalisme des échanges, des épisodes (qui frôlent tantôt un récit policier, tantôt une romance ; empruntent les accents du comique lunaire d’un Keaton ou ceux d’un thriller post-atomique), mais on est très vite emporté. Par la beauté classieuse des plans (Wenders n’est pas pour rien un grand photographe ; son adjoint Robby Müller réalise des merveilles) ou la bande sonore envoûtante. Par l’empathie nourrie pour les des deux protagonistes (les excellents Rüdiger Vögler et Hanns Zischler) en quête de l’or du temps, de la substance même de la vie. Par la polysémie aussi, qui éclate dans de multiples contrepoints : on plonge dans l’histoire du cinéma mais il faut  réinventer un art moribond ; il faut réécrire son existence tout en se confrontant au passé nazi du pays, aux fautes des pères et grands-pères ; on traverse une Allemagne contemporaine de proximité, encombrée de reliquats (de l’industrie, de la Guerre froide…) mais l’Amérique fantasmée et le grand large traversent les vitres du camion… et l’écran.

Un point d’orgue ?

Spoiler !

Robert, ayant accompli un crochet pour revoir son père, le retrouve désemparé dans son imprimerie, désabusé par la chute progressive du journal auquel il a voué toute sa vie. Mais les retrouvailles sont complexes. Robert n’était plus venu depuis la mort de sa mère et il aspire à exprimer enfin ce qu’il a sur le cœur.  Il oblige son père, si bavard, à se taire, essaie de communiquer. Le temps file. Le père s’endort. Le fils utilise sa presse pour réaliser une édition spéciale où il explique comment se conduire dignement avec une épouse. Parle-t-il à son père ? A lui-même ? Et comment interpréter la médiation du journal ? Robert assume enfin son héritage ? Pour le meilleur et pour le pire ?

SPOILER !

(à ne pas lire avant la vision du film)

Le final, dans le poste de surveillance, est de toute beauté.

Bruno :

« Pour la première fois, je me vois comme quelqu’un qui a vécu un certain temps. Et ce temps, c’est mon histoire. C’est assez réconfortant. »

On comprend. Tout le film a consisté à plonger dans la matière du temps, à rechercher des fragments de ce qu’est la vie. Cette fois, les langues se délient, on glose, on se bouscule, la charge/décharge est si électrique qu’on en vient même aux mains. C’est la complexité du monde dévoilée. Comment être pleinement soi, sans aliéner ni être aliéné, mais, en même temps, connaître le partage, la complicité, la fusion ? Avec une femme, par exemple. Cette guerre entre lucidité et engagement derrière eux, Robert et Bruno vont pouvoir entamer une nouvelle page de vie.

Après trois heures de vagabondages frais, spontanés, enchâssés à l’intérieur d’une suite de photographies méticuleusement cadrées, comme des papillons dans un filet, le Bildungsroman s’achève par un post-scriptum magique. A la fin de sa tournée (NDLA : il déchire son carnet de route), Bruno visite une dernière salle de projection et une responsable aux allures de Pythie esquisse une ultime mise en abyme :

« Le cinéma est l’art de voir, disait mon père. »

Mais celui-ci, désormais, dévoyé, abrutit et paralyse, « étouffe le sentiment que les spectateurs ont d’eux-mêmes et du monde ». Alors, elle entretient son matériel mais a renoncé à projeter quoi que ce soit. Et elle attend. Des temps meilleurs. Une nouvelle aube. La quittant, Bruno lève la tête vers le fronton du cinéma sans film et scrute son nom : L’écran blanc. Sublime !

Conclusion

Wim Wenders, avant le succès universel de Paris Texas ou des Ailes du désir, était alors un réalisateur underground réservé aux campus universitaires mais il avait atteint un sommet d’expression lumineux, livrant ici un véritable manifeste du cinéma d’auteur. Prolongé l’espace d’une trilogie (NDLA : Alice dans la ville a bouleversé mon adolescence !). Qui réapprend à regarder.

Ciné-Phil RW.

LIEN vers le récap des ANNÉES 70

VERS UNE CINÉTHÈQUE IDÉALE : LES ANNEES 1960 par Philippe REMY-WILKIN, avec Krisztina KOVACS, Nausicaa DEWEZ, Adolphe NYSENHOLC & Daniel MANGANO

VERS UNE CINETHEQUE IDEALE

100 films à voir absolument

Une analyse décennie par décennie, un feuilleton en 12 épisodes

qui court des débuts du cinéma aux années 2010.

Voir la présentation du projet et de l’équipe, le plan général et les dossiers ouverts :

(VII)

Les années 1960

Ciné-Phil RW à la mise en place ; Krisztina KOVACS et Nausicaa DEWEZ, Adolphe NYSENHOLC et Daniel MANGANO au contrepoint.

Le Top 10 de Ciné-Phil RW

. (45/100) La dolce vita (Federico Fellini, Italie, 60).

Une œuvre phare du cinéma européen, comme Otto e mezzo (62), mais surtout l’un des films qui m’interpellent le plus. Parce qu’il est question de Rome, du sens de la vie, de la difficulté de se mouvoir entre les récifs de l’amour et de la réussite ? Ou, tout simplement, parce que les actrices sont magnifiques, les images sublimes, Mastroianni au sommet de son art ?

KRISZTINA :

Probablement dans mon top 5. Le visage de Mastroianni est absolument émouvant dans la scène finale sur la plage, dévoilant à quel point cette fête constante et cette joie forcée l’ont emmené au-delà de toute communication. La scène d’ouverture avec le Christ transporté en hélicoptère reste immensément moderne et épique, presque soixante ans après. 

ADOLPHE :

Otto e mezzo ! Le film sur la genèse d’un film en train de s’élaborer dans la tête du réalisateur. On n’a peut-être jamais été aussi loin dans l’imagination, dans la mise en image de l’intériorité d’un être. L’ironie veut que Mastroianni ne savait peut-être pas lui-même qu’on filmait en lui, car Fellini souvent lui demandait simplement d’être, et la séquence ne prenait du sens qu’au montage. On a l’impression d’une psychanalyse visuelle sans mots, de visionner l’âme vivante de Fellini, lui-même en recherche.

. (46/100) Lawrence d’Arabie (David Lean, GB/EU, 62).

Là aussi, l’une des œuvres qui m’envolent et métaphorisent des aspirations/interrogations intimes. La dolce vita et Lawrence appartiennent sans doute à mon Top 5 absolu de tous les temps. Je ne m’en lasse pas. Si j’avais été cinéaste, j’aurais voulu être Hitchcock, Lang ou Lean, malgré mon attachement pour Lubitsch, Capra, Bergman, Fellini, Antonioni. Lean, c’est la perfection, le mélange classieux du grandiose et de l’intime. La fresque magistrale et la subtilité psychologique, la musique de Maurice Jarre, les images du désert, le si beau et si torturé Peter O’Toole, les dialogues teintés d’ironie, les scènes inoubliables. Et des seconds rôles bouleversants : Quayle, Rains, Sharif, Guinness, Hawkins, Kennedy, Quinn.

ADOLPHE :

L’épopée à l’état pur.

PHIL :

Je place Lawrence loin devant Le docteur Jivago (65), une autre fresque somptueuse, qui propose Julie Christie et Omar Sharif, bouleversants, La chanson de Lara, l’Histoire conjuguée à une belle histoire, des paysages sibériens enneigés sublimes.

ADOLPHE :

Peut-être le plus beau film sur un poète.

. (47/100) Les damnés (Luchino Visconti, Italie, 69).

Un film ample mais glauque, déstabilisant, qui approfondit les failles et les dérives de l’Histoire et de la nature humaine en retraçant la déglingue d’une famille de la haute bourgeoisie d’affaires allemande lors de la montée du nazisme. Dirk Bogarde (Belge par son père) y est prodigieux face au vénéneux Helmut Berger. Je l’élis en souvenir de mon éblouissement de jeunesse, de préférence à l’émouvant Rocco et ses frères (60) et malgré Le guépard (62), fresque quasi définitive que je privilégierais aujourd’hui, deux pics artistiques où Visconti piédestalise Delon (à noter : les icônes Alain et Helmut se haïssent, allez savoir pourquoi…).

ADOLPHE :

Les damnés ou « Œdipe chez les nazis ». Je préfère le lumineux Mort à Venise mais on en reparle dans un prochain épisode car celui-là date de la décennie suivante.

. (48/100) 2001, l’odyssée de l’espace (Stanley Kubrick, GB/EU, 68).

Un chef-d’œuvre absolu, résumé par la perfection artistique du ballet spatial au rythme de la musique de Johann Strauss.

KRISZTINA :

Sans oublier celle de Ligeti ! Lux Aeterna et ses Atmosphères aident à parfaire ce voyage de tous les sens ! 

PHIL :

Et sans oublier non plus le formidable Also Sprach Zarathushtra de l’autre Strauss, le meilleur et immense, Richard.

NAUSICAA :

L’un des tous grands films de cette décennie, mais certainement pas l’ultime chef-d’œuvre de Kubrick, qui à ce moment n’a pas encore tourné Orange mécanique (1971), Barry Lyndon (1975) ni Shining (1980). Dont on reparlera dans la suite de notre feuilleton.

PHIL :

Durant les Sixties, Kubrick brille encore avec Docteur Folamour (64), une fantaisie débridée sur les folies militaire et nucléaire, Spartacus (60), un péplum transcendé, ou même Lolita (62), sa version édulcorée du brûlot de Nabokov. Ma réticence à l’égard du génie, de manière plus globale, tient à une certaine froideur dans l’expression, le spectateur se projette difficilement dans un personnage, le cinéma de Kubrick a un cachet marmoréen.

. (49/100) La grande vadrouille (Gérard Oury, France, 66).

Un film franchouillard, commercial ? On s’en contrefiche. Il y a tant de talents et de réussites dans cette comédie désopilante, que j’ai vue et revue une quinzaine de fois ! Comme Le corniaud (65), d’ailleurs. Ces deux films juxtaposent les gags et un récit aventureux, un Road Movie, tout en infiltrant des notations sociologiques, une critique du Français moyen, voire une mise en abyme de tares humaines trop partagées, le tout dans des décors fort soignés. Avec un bonus pour LGV, le background historique, la capacité de faire rire autour d’une période dramatique (mérite d’autant plus… immense qu’Oury est juif).

DANIEL :

De Funès triomphe. Les succès, de qualité inégale, s’enchaînent. Mes préférés ? Oscar, Le grand restaurant et les trois Fantômas.

PHIL :

On reparle de de Funès plus bas !

NAUSICAA :

De Funès et Bourvil canonisent ce qui restera l’un des ressorts de la comédie : le duo d’opposés, condamnés à rester l’un avec l’autre et à collaborer. La chèvre (Francis Veber, France, 1980) ou Le boulet (Alain Berberian et Frédéric Forestier, France/GB, 2002) n’ont rien inventé.

ADOLPHE :

La grande vadrouille. Désopilant. Désarmant. De Funès explose à tout bout de champ et Bourvil démine le terrain. Après la drôle de guerre, c’est, dans la paix, la victoire par le rire. Le triomphe de la vie. Les comiques usent du ridicule qui tue… l’ennemi, sans verser la moindre goutte de sang. Ils se tirent de tous les dangers qui les menacent. Quelle joie de jouer, de se jouer de l’adversaire qui voulait étouffer le rire. On s’esclaffe. A chaque gag, ils recréent la Libération. On les aime comme des sauveurs.

. (50/100) Psychose (Alfred Hitchcock, GB/EU, 60).

Ce thriller a tout simplement explosé les codes (l’héroïne qui disparaît à la moitié du film, scène d’une violence exceptionnelle, mise à nu de la névrose œdipienne… ou de la sublime Janet Leigh) et reconfiguré notre imaginaire.

J’ai beaucoup aimé aussi Les oiseaux (63), malgré des héros un peu fades (Rod Taylor et Tippy Hedren, à mille lieues des Cary Grant et James Stewart, Ingrid Bergman et Grace Kelly, etc.), qui participe aussi d’une redéfinition de nos fantasmes. Cette période est en quelque sorte le point d’acmé d’une carrière qui décline ensuite, Pas de printemps pour Marnie (64), Le rideau déchiré (66) et L’étau (69) faisant pâle figure à côté des deux précités, malgré quelques morceaux de bravoure.

NAUSICAA :

Psychose, un film à petit budget devenu un classique. Il reste un sommet de suspense et d’effroi. À noter l’importance de la musique signée Bernard Herrmann, indissociable de la scène de la douche.

Je serais un peu moins sévère avec Pas de printemps pour Marnie, qui a de belles qualités, dans une veine psychanalytique qui prévalait déjà dans La maison du docteur Edwardes (1945).

. (51/100) The Party (Blake Edwards, EU, 68).

Une comédie loufoque irrésistible, boostée par un Peter Sellers fabuleux. On rit, on rit, on rit !

KRISZTINA :

Un personnage presque tatiesque, hilarant et à la fois critique de la superficialité d’Hollywood, qu’il désarçonne par sa simplicité et par son sourire.

PHIL :

Edwards nous offrira d’autres bijoux désopilants : La panthère rose (63), L’inspecteur s’emmêle (64) ou La grande course autour du monde (65).

. (52/100) L’avventura (Antonioni, Italie, 60).

Devant La notte (61) et Blow Up (66), deux autres perles. Antonioni offre de nouveaux rapports au temps, à l’image, à la narration. Art ! J’ai adoooré Monica Vitti ! Qui intègre mon Top 3 des actrices de tous les temps avec Ingrid Bergman et Louise Brooks (et malgré Audrey Hepburn).

ADOLPHE :

L’avventura ! Le film-clef du cinéma du doute dans l’après-guerre. L’héroïne est-elle morte, suicidée, ou simplement disparue ? Ce sont tous les disparus par Nuit et Brouillard qui semblent se profiler en filigrane en elle. En tout cas, les années 1940-1945, qui précèdent le film d’Antonioni, sont pleines de morts dont on ne sait pas où ils sont. Ils ne peuvent qu’avoir travaillé l’imaginaire des cinéastes. Ainsi, dans L’homme au crâne rasé (André Delvaux, Belgique, 1966), on ne sait pas si l’anti-héros Govert a tué celle qu’il aime.

PS Cet élan du doute, dans le cinéma de Delvaux, se poursuivra durant la décennie suivante : dans Rendez-vous à Bray (1971), on ne sait pas si le pilote-compositeur est mort en plein ciel, quoiqu’il puisse être également vivant ; dans Belle (1973), on ne sait même pas si l’héroïne a existé, elle qui pourrait n’avoir été qu’un fantasme dans l’esprit du héros poète.

. (53/100) Le fanfaron (Dino Risi, Italie, 62).

Magistral Road Movie avec Vittorio Gassman, Jean-Louis Trintignant et Catherine Spaak (craquante et trop oubliée). Une histoire de flambeur emmenant dans sa virée un étudiant trop sage. Ce film, peu rediffusé mais revu récemment, a inspiré le chef-d’œuvre le plus fameux du genre… Easy Rider !

. (54/100) Easy Rider (Denis Hopper, EU, 69).

Film culte de la jeunesse marginale (ou marginalisée ?) et, pourtant, académisé par l’AFI, qui le pointe 88e. Je l’ai zappé au bon âge, redécouvert sur le tard. Oui, je le confesse, je n’avais pas un souvenir impérissable de la première vision. Evidemment, les œuvres artistiques du passé demandent un effort de perspective, un sas d’accommodation. Moyennant cela ? Hum. Il y a un décousu et un manque de finition, un côté amateur qui ne me bottent guère. Mais… La bande sonore est géniale. Les paysages de l’Amérique grandioses. Et l’impression de liberté et de (saine) révolte finit par l’emporter. J’ai retrouvé un bout de ma jeunesse, regretté de n’avoir pas enfourché quelque engin pour traverser le monde et partager mille aventures, mille rencontres. Ça reste un film-passerelle, éternellement jeune. Qui fait penser. Alerte. Contre le racisme, l’intolérance. La violence abjecte, qui se trouve souvent chez les formatés de notre monde bourgeois. On se dit que la société a tout de même fort évolué en bien. Ou que l’Amérique profonde, loin des mythes, est à pleurer. En tous les cas, les images de Peter Fonda, Denis Hopper et Jack Nicholson me restent en tête. Marquantes. Comme leurs motos, leur sillage.

KRISZTINA :

La beauté de ces images, comme autant de clichés d’une Amérique pas si lisse, et une bande originale sauvage, composée de morceaux de Steppenwolf, Hendrix, the Byrds (entre autres), m’ont longtemps fascinée adolescente et fait découvrir toute une époque. 

DANIEL :

Dans mon panthéon émotionnel, avec Blow Up et Le lauréat. Ceci posé, les années 60 marquent le basculement dans la modernité : mort annoncée d’un monde, naissance d’un autre, plus assoiffé de découverte, de liberté. 

NDLR :

Krisz a parlé naguère du Lauréat :

https://karoo.me/cinema/nichols-et-son-laureat-not-trying-seduce

D’autres grands films à découvrir,

 évoqués dans les anthologies du 7e Art…

Coté Etats-Unis

Le cinéma américain est omniprésent et brille dans tous les registres.

Le western : Le sergent noir (Ford, 60) et son plaidoyer antiraciste ; Coups de feu dans la Sierra (Peckinpah, 62), crépusculaire et désabusé ; Le vent de la plaine (Huston, 60) et L’homme sauvage (Mulligan, 68), très troublants, ambigus, figurant une sorte d’entre-deux du rapport à l’étrange, l’étranger ; L’homme qui tua Liberty Valance (Ford, 62), émouvant, subtil, complexe, où le passé et le futur de l’Ouest s’affrontent ; Butch Cassidy et le Kid (George Roy Hill, 69) ou La horde sauvage (Peckinpah, 69), ou l’irruption de la modernité.

DANIEL :

Une certaine idée du western trépasse. En guise de faire-part, Coups de feu dans la Sierra et ses deux vieux briscards, Joël Mc Crea et Randolph Scott, allant à la mort côte à côte comme iront plus tard, toujours chez Peckinpah, William Holden et sa Horde sauvage. Entre les deux films, le western italien aura tout dynamité. La disparition des cow-boys est encore au cœur de deux œuvres majeures : Seuls sont les indomptés, et Kirk Douglas, rétif au progrès, à cheval parmi les voitures sur fond d’hélicoptères ; Les désaxés, échec commercial avec son trio de stars proches de la fin (Gable/Marilyn/Montgomery Clift).

PHIL :

Très beau film, en effet !

DANIEL :

Émerge un sentiment amer de déréliction : Les sept mercenaires (John Sturges, 60) ; L’homme qui tua Liberty Valance, cité supra, où l’enterrement de John Wayne pourrait être celui du western classique.

NDLR :

Voir l’article de Daniel sur Les sept mercenaires :

Les sept mercenaires À l’Ouest, rien de nouveau · Karoo

. Le film de guerre : La grande évasion (Sturges, 63) ; Les maraudeurs attaquent (Samuel Fuller, 62) avec l’oublié Jeff Chandler et ses cheveux blancs, qui meurt à la sortie, à 42 ans.

ADOLPHE :

Pour rappel, La grande évasion a été inspirée par La grande Illusion de Renoir.

. La comédie musicale : West Side Story (Jerome Robbins et Robert Wise, 61) ; La mélodie du bonheur/The Sound of Music (Wise encore, 65) ; My Fair Lady (Cukor, 64).

. Le film sociologique : Midnight Cowboy (Schlesinger, un Britannique émigré, 69) ; La garçonnière/The Appartment (Billy Wilder, 60) avec Jack Lemmon, sans doute l’influence majeure de la série sublime Mad men ; Devine qui vient dîner ? (Stanley Kramer, 67) avec Spencer Tracy, Katherine Hepburn et Sidney Poitier, ou comment des progressistes affrontent leurs préjugés ; La fièvre dans le sang (Kazan, 61), qui ose aborder la sexualité ; Bonnie and Clyde (Arthur Penn, 67) ; Du silence et des ombres/To Kill a Mockingbird (Robert Mulligan, 62) ; Propriété interdite (Sidney Pollak, 67) avec Robert Redford et la sublime Natalie Wood ; What Ever Happened to Baby Jane ? (Robert Aldrich, 62) avec Bette Davies et Joan Crawford – Caïn et Abel au féminin ? -, profondément glauque, dérangeant ; Qui a peur de Virginia Woolf (66) et Le lauréat (67) de Mike Nichols ; Le Jour du vin et des roses (Blake Edwards, 62), une gifle bouleversante sur les ravages de l’alcoolisme, avec Jack Lemon et Lee Remick.

DANIEL :

L’American Way of Life est dénoncé : Propriété interdite ou On achève bien les chevaux, deux Pollack ; La poursuite impitoyable/The Chase (Arthur Pen, 66, avec Brando, Jane Fonda, Redford), portrait au vitriol d’une petite ville ivre de préjugés et de bêtise ; l’ovni Le plongeon/The Swimmer, avec un formidable Burt Lancaster remontant de piscine en piscine une rivière imaginaire pour rentrer chez lui, un chef-d’œuvre incompris de Frank Perry, que je place au pinacle ; un cauchemar glaçant, L’opération diabolique/Seconds (J. Frankenheimer), ou de l’impossibilité de refaire sa vie.

L’utopie libertaire culmine dans le film hippie : Easy Rider mais aussi Alice’s Restaurant ou Woodstock (et sa maîtrise du Split Screening, mettant rock stars et spectateurs sur un pied d’égalité). Cette liberté nouvelle, la bourgeoisie tente d’y goûter : Les folies d’Avril/The April Fools (Stuart Rosenberg, 69), avec Deneuve et Lemmon) ; Bob&Carol&Ted&Alice (Paul Mazursky, 69), où se révèle Eliott Gould.

. Le péplum : Cléopâtre (Mankiewicz, 63), une reconstitution somptueuse qui a ruiné son réalisateur et coupdefoudré Richard Burton et Elisabeth Taylor.

. Le film policier : Dans la chaleur de la nuit (Norman Jewison, 67) ; L’étrangleur de Boston (Fleischer, 68), d’une admirable audace de forme (découpage de l’écran pour introduire des scènes simultanées ou des perspectives différentes sur une même scène) et de fond aussi (volonté d’interroger le phénomène des psychopathes, réflexion éthique, analyse scientifique), avec un Henry Fonda rayonnant face à un Tony Curtis tellement à contre-emploi qu’il y choqua ses fans et les producteurs (on ne le vit quasi plus ensuite sur grand écran et il fut contraint de se diriger vers le petit, où Amicalement vôtre/The Persaders l’immortalisa aux yeux du grand public).

NAUSICAA :

Et Charade (Stanley Donen, EU, 63), comédie policière avec le duo Cary Grant/Audrey Hepburn.

. Le film d’espionnage : Un crime dans la tête/The Manchurian Candidate (Frankenheimer, 62). 

PS

DANIEL :

J’inclurais encore l’inclassable etdérangeant The Incident (Larry Peerce, 67), huis-clos insoutenable.

PHIL :

Et que dire du très déstabilisant Shock corridor (63, Fuller, EU), où un journaliste célèbre tente d’infiltrer un asile psychiatrique ?

Coté Europe

. En France

Léon Morin prêtre (61), Le doulos (62), Le deuxième souffle (66) et L’armée des ombres, quatre Melville, le troisième avec une extraordinaire tirade de Paul Meurisse.

Que la bête meure (Chabrol, 69) ; Les demoiselles de Rochefort (Demy, 67) avec les inoubliables sœurs Deneuve/Dorléac ; A bout de souffle (Godart, 60) avec une Jean Seberg renversante de fraîcheur, de beauté, même si le récit lui-même me laisse de marbre ; Jules et Jim (Truffaut, 62) et son atmosphère unique (mais qu’on ne me parle pas de La mariée était en noir ou de Ne tirez pas sur le pianiste !), ; Belle de jour (66) et Tristana (69) de… l’Espagnol Luis Buñuel.

Un camarade de la première vague de notre feuilleton, Thierry Defize, évoquait surtout Robert Bresson : Pickpocket (63), « admirable film d’amour et de rédemption » ; Au hasard Balthazar, qu’il avait « naguère considéré comme le plus beau film de tous les temps ».

NDLR :

Voir l’article de Thierry dans un feuilleton consacré aux scènes cultes :

https://karoo.me/cinema/scenes-cultes-1-au-hasard-balthazar-de-robert-bresson

DANIEL :

Certains réalisateurs vilipendés par la critique livrent des œuvres qui résistent : Joffé et Fortunat (avec un Bourvil bouleversant) ; Verneuil et Un singe en hiver, Week-end à Zuydcoote ou le désopilant 100 000 dollars au soleil… et leurs castings de rêve; Lautner avec un film-charnière entre deux générations, La grande sauterelle, qui commence comme un film de braquage pour se muer en envol poético-beatnik (le couple improbable Mireille Darc/Hardy Krüger !). Derrière tout ça, la gouaille d’Audiard !

Le polar français se porte bien aussi : non seulement Melville mais aussi Classe tous risquesde Sautet et Compartiment tueursde Costa-Gavras. Au sein de la Nouvelle Vague, deux superbes Rohmer : Ma nuit chez Maud et Le genou de Claire… où le bavardage confine à l’art. Enfin, un film d’aventures en état de grâce : L’homme de Rio, beaucoup plus proche de l’univers de Tintin que la lourde machinerie sans âme de Spielberg.

PHIL :

Ce dernier déclare d’ailleurs y avoir puisé l’inspiration de ses Indiana Jones. Oui, Bébel est formidable dans ce film pétaradant, des allures de Tintin sexué.

NAUSICAA :

Cléo de 5 à 7 (Agnès Varda, 62), entre autres qualités, s’avère une prouesse technique : il montre en temps réel deux heures dans la vie d’une femme, Cléo (Corinne Marchand), qui attend les résultats de ses examens médicaux.

De Claude Chabrol, je mentionnerais le quelque peu méconnu Les biches (67), avec une Stéphane Audran au sommet de son magnétisme. Si Alain Resnais est assez peu convaincant (et ennuyeux) quand il s’associe avec le scénariste Robbe-Grillet (L’année dernière à Marienbad, 61), il offre à Delphine Seyrig un rôle bouleversant dans Muriel ou le temps d’un retour(63). Je retiendrais aussi Playtime de Jacques Tati (67), nouvelle déclinaison des aventures de Monsieur Hulot, Les yeux sans visage de Georges Franju (60) et cet ovni que reste La jetéede Chris Marker (62).

PHIL :

Et si j’osais… ? Glisser ici une coproduction franco-espagnole, le péplum kitsch Le colosse de Rhodes (61) de l’Italien bientôt fameux Sergio Leone, qui a nourri mon imaginaire d’enfant (et celui du créateur d’Alix !)…

. En Italie

Sergio Leone invente le western spaghetti, un sillon qui aboutit au formidable Il était une fois dans l’Ouest (68, EU/Italie) ; Pasolini fait du Pasolini ; Fellini, Antonioni, Visconti émerveillent.

KRISZTINA :

Pasolini ! En effet, Pasolini fait du Pasolini… Et il n’aurait pas pu faire autrement ! Un esprit exceptionnel, à la fois écrivain, cinéaste, dramaturge, poète et j’en passe, une conscience nourrie de philosophie, avide de combat idéologique et fascinée par les croyances.

Théorème (68) est une parabole étrange et poétique (d’autres diront religieuse) de la vie moderne. L’histoire d’une famille de riches industriels confrontée à ses tares par la venue d’un jeune étranger. Un film sobre, énigmatique et quasi silencieux qui inspirera sans doute le Dogme 95 et une bonne partie de l’œuvre incendiaire de Von Trier qui reprendra ce trope de l’étranger/voyageur innocent/éthéré qui excite les pires pulsions chez ses hôtes.

Mamma Roma (62), pour moi le film pasolinien phare des Sixties, reste film-ode à Rome et à la figure féminine (une grande Anna Magnani !), mais aussi plaidoyer contre l’intolérance et le mépris des classes dans une Italie qui essaie difficilement et dignement de se remettre de la Seconde Guerre mondiale.

NDLR :

Voir l’article de Krisz sur Mama Roma :

https://karoo.me/cinema/scenes-cultes-3-mamma-romade-pier-paolo-pasolini

DANIEL :

De l’Italie, en-dehors des grands maîtres, je retiendrai les magnifiques comédies douces-amères de Pietro Germi : Divorce à l’italienne(61) ou Séduite et abandonnée (64), fustigeant avec drôlerie l’archaïsme moral d’une société rétrograde.

PHIL :

Ah, Germi ! Mastroianni, veule et criminel, se réinvente dans le premier cité. Mais j’y ajouterais le film à sketches Belles dames, vilains messieurs (66).

NAUSICAA :

La ciociara (Vittorio de Sica, 60), rôle important et mémorable pour Sophia Loren, qui interprète une mère tentant de protéger sa fille adolescente alors que l’Italie est en train de perdre la Deuxième Guerre mondiale.  

. En Grande-Bretagne

Le Free Cinema prolonge la vague des Angry Young Men des Fifties : La solitude du coureur de fond (62), avec Tom Courtenay, Tom Jones (63), avec Albert Finney, La charge de la brigade légère (68) – une charge acerbe contre l’absurdité et la brutalité -, avec Trevor Howard et John Gielgud, trois films de Tony Richardson ; Loin de la foule déchaînée (John Schlesinger, 67), avec Alan Bates et Julie Christie, de sublimes paysages, une fresque à l’arrière-goût leanien ; Samedi soir, dimanche matin (Karel Reisz, 60) avec Albert Finney, un cinéma prolétarien déjà, bien avant Leigh ou Loach ; If (Lindsay Anderson, 68) avec Malcolm Mac Dowell ; The Servant (de… l’Américain exilé Joseph Losey, 62) avec James Fox, Dirk Bogarde et Sarah Miles.

DANIEL :

J’acquiesce pour Loin de la foule déchaînée, où Schlesinger ose le lyrisme dans une magnifique adaptation, ou If, sa révolte poétique et sa dénonciation de la machine éducative (façon The Wall). J’ajouterai l’inclassable Morgan : A Suitable Case for Treatment (Karel Reisz, 66) et La nuit des alligators/The Penthouse (Peter Collinson, 67), un huis-clos asphyxiant.

NAUSICAA :

J’ajouterais Le voyeur de Michael Powell (60).

PHIL :

Un film très dérangeant, en avance sur son temps, qui utilise à contre-emploi le héros romantique des Sissi (Karl-Heinz Böhm) et… coule la carrière de son formidable metteur en scène (auquel on doit, en duo avec Emeric Pressburger… Les chaussons rouges et Le narcisse noir, cités dans le chapitre dévolu aux années 40).

. Ingmar Bergman (Suède), un genre ou un pays à lui tout seul : A travers le miroir (61), Les communiants(63), Persona (66).

NAUSICAA :

Je placerais Persona dans le Top 10 de la décennie. De Bergman, je retiens aussi Le silence(63).

. En Allemagne.

NAUSICAA :

 Une nouvelle vague de cinéastes, là aussi, voit le jour, avec les premiers longs métrages de Volker Schlöndorff (Les désarrois de l’élève Törless, 66), Werner Herzog (Signes de vie¸68), ou encore Rainer Werner Fassbinder (L’amour est plus froid que la mort, 69).

Côté World Cinema

D’immenses cinéastes poursuivent leur œuvre : le Bengali Satyajit Ray (L’épouse délaissée/Charalata en 64), le Japonais Ozu (Fin d’automne en 60) ou… l’Espagnol Luis Bunuel… qui tourne au Mexique (le beau Viridiana en 61 ; L’ange exterminateur, déstabilisant, en 62).

DANIEL :

En 1960, l’une de mes plus belles émotions fut L’île nue, film sans paroles du Japonais Kaneto Shindô, en noir et blanc, qui décrivait les pénibles conditions de vie d’une famille sur un îlot. Rythme lent, musique lancinante. Jamais cinéaste ne se montra plus discret, jamais images ne furent plus poignantes.

PS

PHIL :

Regrets ! Je n’ai jamais vu L’amour fou de Jacques Rivette (France, 68), ni le Gertrud de Dreyer (Dannemark, 64) ou l’Andrei Roublev de Tarkovki (Russie, 66).  Lacunes à combler !

Coups de cœur personnels

. Diamants sur canapé/Breakfast at Tiffany’s (Blake Edwards, EU, 61) enchevêtre rires, sourires et déchirements, désespoir. Audrey Hepburn est inoubliable, bouleversante, et George Peppard trouve son meilleur rôle. Et cette musique (Henri Mancini), la chanson d’Audrey ! Dès que j’entends deux notes de Moon River, je tombe… en pamoison.

. Les grandes vacances (Jean Girault, France, 67). Si ! Kitsch ? Assurément. Mais j’ai une prédilection immodérée pour ce Road Movie qui accumule les gags et les impulsions à courir vers le grand large. En fait, je devrais placer ici Louis de Funès, dont j’ai encore adoré les Fantômas, version André Hunebelle (France) : Fantômas (64), Fantômas se déchaîne (65), Fantômas contre Scotland-Yard (67). Entre autres…

 . Le village des damnés (60, Allemagne/GB, Wolf Rilla). Un OVNI ! Avec peu de moyens, sorti dont ne sait où, ce metteur en scène nous pond un thriller fantastique parfaitement calibré et glaçant. Un village coupé du monde par une anomalie (le temps s’arrête et tous les habitants tombent inanimés), des femmes toutes enceintes en même temps, des enfants (cheveux blonds et regards perforants) d’origine extraterrestre prêts à tout pour coloniser la Terre. Une métaphore du nazisme et des Jeunesses hitlériennes ?

. Quatre garçons dans le vent/A Hard Day’s Night (Richard Lester, GB, 64). Je suis passé par une passion pour les Beatles et ce film évoque remarquablement la Beatlemania, avec ce zeste de dérision dont les British ont le secret. Je le préfère au très désopilant Help !.

NAUSICAA :

Toujours à propos des Beatles, le film de George Dunning Yellow Submarine (EU/GB, 68) est considéré comme une œuvre majeure du cinéma d’animation.

. Le diabolique Docteur Mabuse/Die 1000 Augen des Dr. Mabuse (60), où Fritz Lang ressuscite une dernière fois le personnage de Mabuse pour signer un thriller situé dans l’Allemagne contemporaine. Ce Lang-là, revenu dans son pays natal après une belle carrière américaine et une première carrière allemande peuplée de chefs-d’œuvre, a alors offert une série de films B, d’aventures (le diptyque Le tigre du Bengale/Le tombeau hindou, déjà, en 1959) qui ont configuré mon imaginaire et inspiré l’un de mes romans. Mais le retour de Mabuse n’a pas le succès escompté, plusieurs projets de scénario, par la suite, n’aboutiront pas et Lang mettra fin à sa fabuleuse trajectoire.

Who Knows ?

. Des étoiles montantes aux destinées divergentes

DANIEL :

Certains acteurs cassent leur image d’un rôle à l’autre. Dustin Hoffman, adolescent mal dans sa peau dans Le lauréat et minable escroc rital souffreteux dans Macadam Cow-boy. Pierre Clémenti, puceau naïf initié au libertinage dans Benjamin (de Michel Deville, 67) et voyou aux allures de dandy dans le sublime Belle de jour. Sean Connery, James Bond stylé et flegmatique (Ah, l’insurpassable Goldfinger !) mais terriblement humain dans La colline des hommes perdus/The Hill (Sidney Lumet, 65), drame antimilitariste.

D’autres éblouissent dès le premier film mais ne transforment guère l’essai : David Hemmings (Blow Up) ou Peter McEnery (La curée, un excellent Vadim).

. Roman Polanski !

KRISZTINA :

Après avoir commencé par d’excellents films noirs en Pologne…

PHIL :

Le couteau dans l’eau, de 62, me laisse un bon souvenir !

KRISZTINA :

… il poursuit dans les mondes francophone puis anglo-saxon, s’essaie brillamment à des genres nouveaux. La parodie d’horreur, avec l’absurde Bal des vampires (67). Le film d’horreur psychologique, sommet ultime de l’épouvante, intériorisée et irrépressible, dans deux œuvres brillamment filmées (et jouées !) : Répulsion (65), avec Catherine Deneuve, et bien sûr Rosemary’s Baby (68), avec Mia Farrow, où Polanski privilégie la perspective du personnage principal, le spectateur sombrant dans la terreur avec l’actrice, et ne sachant progressivement plus distinguer la réalité d’une paranoïa envahissante et dévastatrice.

PHIL :

Répulsion ! Glauque à souhait. La dérive d’une jeune femme sombrant dans la schizophrénie. Peu glamour malgré Deneuve qui joue très bien la folie mais pas l’abandon physique consubstantiel. Je craque davantage devant l’oubliée Yvonne Fournaux. Quant à Rosemary’s Baby, le film est impressionnant, assurément, et Mia Farrow crève l’écran, mais la fin est vulgaire datée, grand-guignolesque, a contrario du suggestif qui a précédé.

Daniel Mangano, Krisztina Kovacs, Nausicaa Dewez, Adolphe Nysenholc et Philippe Remy-Wilkin.

Plan du feuilleton Vers une cinéthèque idéale

Nous nous limitons ici aux articles initiaux des différents dossiers. Ceux-ci renvoient à de nombreux autres articles.

Présentation du projet (introduction, équipe, plan) :

Préhistoire du cinéma :

Années 1910 :

Années 1920 :

Années 1930 :

Années 1940 :

Années 1950 :

Feuilleton complémentaire d’Adolphe NYSENHOLC sur le premier top 12, en 1958 :

Top 100 en cours

(1) Le voyage dans la lune (Georges Méliès, France, 1902).

(2) Le vol du grand rapide (Edwin S. Porter, E.U., 1903).

(3) Naissance d’une nation (D.W. Griffith, Etats-Unis, 1915).

(4) Intolérance (D.W. Griffiths, Etats-Unis, 1916).

(5) Le cabinet du docteur Caligari (Robert Wiene, Allemagne, 1920).

(6) Le cuirassé Potemkine (Serguei Eisenstein, Russie, 1925).

(7) Le journal d’une jeune fille perdue (G.W. Pabst, Autriche, 1929).

(8) L’aurore (Murnau, Allemagne/EU, 1927).  

(9) Docteur Mabuse, le joueur (Fritz Lang, Allemagne, 1922).

(10) Le Kid (Charlie Chaplin, GB/EU, 1921).

(11) Le vent (Victor Sjöström, Suède/EU, 1928).

(12) La passion de Jeanne d’Arc (Carl Theodor Dreyer, Danemark, 1928).

(13) Napoléon (Abel Gance, France, 1927).

(14) Le mécano de la General (Buster Keaton, EU, 1927).

(15) Autant en emporte le vent (Victor Fleming, EU, 1939).

(16) Les Hauts-de-Hurlevent (W. Wyler, EU, 1939).

(17) Le testament du docteur Mabuse (F. Lang, Allemagne, 1933).

(18) Une femme disparaît (A. Hitchcock, GB, 1938).

(19) King Kong (Merian C. Cooper et E. Schoedsack, EU, 1933).

(20) L’impossible monsieur Bébé (H. Hawks, EU, 1938).

(21) La chevauchée fantastique (John Ford, EU, 1939).

(22) New York-Miami (Frank Capra, EU, 1934).

(23) La grande illusion (Jean Renoir, France, 1937).

(24) Ninotchka (Lubitsch, EU, 1939).

(25) Casablanca (Michael Curtiz, EU, 1942).

(26) Le ciel peut attendre (Ernst Lubitsch, EU, 1943).

(27) Citizen Kane (Orson Welles, EU, 1941).

(28) Les enfants du paradis (Marcel Carné, France, 1945).

(29) Les enchaînés/Notorious (Alfred Hitchcock, EU, 1946).

(30) Le trésor de la Sierra Madre (John Huston, EU, 1948).

(31) Indiscrétions/The Philadelphia Story (George Cukor, EU, 1940).

(32) La vie est belle/A Wonderful Life (Frank Capra, EU, 1946).

(33) Le dictateur/The Great Dictator (Charlie Chaplin, EU, 1940).

(34) Le troisième homme (Carol Reed, GB, 1949).

(35) La mort aux trousses/North by Northwest (Alfred Hitchcock, GB/EU, 1959).

(36) Le pont de la rivière Kwaï (David Lean, GB/EU, 1957).

(37) Madame de… (Max Ophuls, France/Allemagne, 1953).

(38) La nuit du chasseur (Charles Laughton, EU/GB, 1955).

(39) Sur les quais/On the Waterfront (Elia Kazan, EU, 1954).

(40) Certains l’aiment chaud (Billy Wilder, EU, 1959).

(41) L’intendant Sansho (Kenji Mizoguchi, Japon, 1954).

(42) Rashomon (Akira Kurosawa, Japon, 1950).

(43) Chantons sous la pluie (Gene Kelly/Stanley Donen, EU, 1952).

(44) Les fraises sauvages (Bergman, Suède, 57).

(45) La dolce Vita (Federico Fellini, Italie, 60).

(46) Lawrence d’Arabie (David Lean, GB/EU, 62).

(47) Les damnés (Luchino Visconti, Italie, 69).

(48) 2001, l’odyssée de l’espace (Stanley Kubrick, GB/EU, 68).

(49) La grande vadrouille (Gérard Oury, France, 66).

(50) Psychose (Alfred Hitchcock, GB/EU, 60).

(51) The Party (Blake Edwards, EU, 68).

(52) L’avventura (Antonioni, Italie, 60).

(53) Le fanfaron (Dino Risi, Italie, 62).

(54) Easy Rider (Denis Hopper, EU, 69).   

VERS UNE CINÉTHÈQUE IDÉALE (VI) – LES ANNEES 50

VERS UNE CINÉTHÈQUE IDEALE

100 films à voir absolument

Une analyse décennie par décennie, un feuilleton en 12 épisodes

qui court des débuts du cinéma aux années 2010.

Voir la présentation du projet et de l’équipe, le plan général et les dossiers ouverts :

(VI)

Les années 1950

Ciné-Phil RW à la mise en place ; Krisztina KOVACS, Nausicaa DEWEZ, Daniel MANGANO et Adolphe NYSENHOLC au contrepoint ; Julien-Paul REMY et Thierry VAN WAYENBERGH, Nausicaa DEWEZ et Ciné-Phil RW dans des analyses connexes.


Le Top 10 de Ciné-Phil RW


. (35/100) La mort aux trousses/North by Northwest (Hitchcock, GB/EU, 59).

Le meilleur film d’aventures de tous les temps ? Je l’ai vu et revu. Adoré enfant, adolescent, adulte. Goûté à différents niveaux, qui séduisent gourmands et gourmets, tant la réussite est à la fois globale et de détails.

Son rythme haletant, ses poursuites et ses rebondissements. Ses décors fantasmatiques : le champ de maïs, le mont Rushmore (reconstitué en studio), la Riviera américaine, le bâtiment des Nations- Unies et le nid d’aigle de Rapid City (deux bijoux architecturaux). La tonicité des dialogues. Le charme dévastateur de Cary Grant, qui me paraît, sur ce film, à cinquante-cinq ans, l’homme le plus élégant à avoir jamais bougé devant une caméra (cet acteur, dans de nombreux films, est immense de par sa capacité à laisser sourdre une ambiguïté abyssale, sexuelle, morale, d’humeur, etc.). Les acteurs secondaires mémorables, d’Eva Marie Saint à James Mason, en passant par Martin Landau ou Leo G. Carroll. Ses « moments significatifs » (comme aurait dit le médiéviste Paul Jonas) mémorables : la poursuite dans le mont Rushmore, la rencontre Eva/Cary du train, le pseudo-assassinat, le meurtre aux Nations-Unies, la scène de l’avion, celle de la maison perchée, etc. Le deuxième degré ravageur, les sous-entendus sexuels : le rapport à la mère, la relation ambigüe entre les deux méchants, la métaphore du tunnel. Le Bildungsroman et l’émancipation/réalisation d’un adultescent.

Le meilleur Tintin de tous les temps ? Quelque part… aussi et involontairement, bien sûr… mais, dans un registre proche, il est très supérieur à L’homme de Rio, le meilleur hommage officiel à Tintin (un excellent film d’ailleurs, qui a inspiré la saga Indiana Jones de Spielberg/Lucas). Grant en Tintin adulte, érotisé, chargé de poudre freudienne ?

ADOLPHE :

Ce film s’origine dans la crise de l’identité vécue au XXe siècle.

Pour Freud, le « moi conscient » n’est peut-être pas tout à fait « soi », il y a un moi plus profond, inconnu à soi-même, et qui motive nos choix de vie ; pour Marx, l’individu est surtout un être dominé par les idées de sa classe, qui déterminent sa Weltanschauung comme ses options politiques.

Dans North by Northwest, le héros, tout autant dépossédé de lui-même, est pris pour quelqu’un qui n’existe pas du tout, vidé de sa substance, étant une personne fabriquée par les services secrets, les agents de l’inconscient social. Il est un Pessoa, « personne » en portugais. Mais l’écrivain lusitanien de ce nom était anonyme par la surabondance de ses pseudonymes. John Tornhill (incarné par Cary Grant) passe pour être Kaplan, un costume vide dans une chambre d’hôtel inoccupée. Il est un leurre, inventé par la CIA, durant la Guerre froide, pour tenter de démasquer sinon d’abattre l’espion pro-soviétique (joué par James Mason). C’est comme une variation sur le thème d’Ulysse qui, pour tromper le Cyclope, se présente comme… « Personne ». Le monstre ne se méfie donc pas d’un absent et le laisse approcher, ce dernier lui crève l’œil. Mais, dans le film, on ne croit pas que Kaplan n’est… personne, on cherche même à le tuer, lui (dans la voiture où on l’installe ivre-mort), voire à l’exterminer par un hélicoptère agricole qui essaie de le gazer avec un insecticide (écho à l’après-Auschwitz). Ce film est traversé par l’histoire du siècle et son climax se situe sur le mont Rushmore, un sommet de l’Amérique, où, parmi les effigies des présidents des Etats-Unis – dont les têtes sculptées dans la roche sont comme des dieux tutélaires -, le héros, si bien protégé, en vainquant son adversaire, retrouve, en sauveur de soi et des autres, la pleine jouissance de sa personnalité. Si le McGuffin du film était un microfilm avec des secrets atomiques, North by North West est ce chef-d’œuvre du cinéma qui contient en abyme une puissance nucléaire, celle de la Hitchcock Touch.


. (36/100) Le pont de la rivière Kwaï (David Lean, GB/EU, 1957).

Grandiose et bouleversante page d’histoire de la Deuxième Guerre mondiale, où l’on suit un groupe de prisonniers anglais auquel les Japonais imposent de construire un pont qui peut changer le cours des combats. Une situation qui interroge sur le sens de nos actes : faut-il se soumettre pour survivre, résister par éthique militaire ou… collaborer par goût du travail bien fait, réalisation narcissique, etc. ?

Image sublime, casting imparable (Alec Guiness, William Holden).

David Lean, l’un des plus grands génies de l’histoire du cinéma, vénéré par un Spielberg, comble l’appétit pour l’épique, la fresque, la reconstitution, relayant les Ben-Hur et Dix commandements de nos enfances (voir ci-dessous), en y ajoutant les ingrédients de la meilleure littérature, de l’Art.


. (37/100) Madame de… (Max Ophuls, France/Allemagne, 53).

Du grand art, à tous niveaux. Surtout, se faufilant à travers des intrigues de salon, et face à une Danielle Darrieux au sommet de sa majesté, un Charles Boyer qui compose un des plus émouvants rôles d’homme, de mari de l’histoire du cinéma.

Voir mon analyse – lien vers l’article


. (38/100) La nuit du chasseur (Charles Laughton, EU/GB, 55).

Un récit d’initiation des plus sombres, grinçants, une épopée enfantine détournée. Surtout, une œuvre ahurissante, mythique (classée numéro 2 de tous les temps par les Cahiers du cinéma), qui semble appartenir à tous les genres. LE film de Mitchum ! LE film de Laughton !

Voir notre analyse en trio – lien vers l’article


. (39/100) Sur les quais/On the Waterfront (Elia Kazan, EU, 54).

Un mythe américain et universel, Marlon Brando, explose la décennie avec les films d’Elia Kazan, surtout celui-ci mais aussi le bouleversant Un tramway nommé désir (51). Que dire ? Ce film métaphorise quasi toutes mes prises de conscience ou de position sur la société et l’être humain, pour le meilleur et pour le pire. L’omniprésence de la volonté de puissance et de contrôle, l’abus de pouvoir et l’incapacité à admettre la contradiction qui gangrènent à tous les échelons et dans tous les partis, quelles que soient les origines, la confession, etc., le panurgisme des foules ou la veulerie des individus… MAIS ces flambeaux qui, partout, minoritaires et solitaires/solidaires/solaires, se lèvent pour dire « Non ! », douter, remettre en question, tout risquer au nom d’idéaux qui sont enfouis au fond de l’imaginaire humain.

Ajoutons une épatante Eva Marie Saint, à l’opposé des femmes glamour et provoquantes, toute en finesse et élégance distinguée (admirée par Hitchcock !) et un fabuleux Rod Steiger ! L’une des plus belles scènes de l’histoire du ciné avec la discussion des deux frères (Brando/Steiger) dans une (fausse, constituée de bric et de broc) voiture… ou l’art du jeu made in Actor’s Studio mis en abyme.


. (40/100) Certains l’aiment chaud/Some Like It Hot (Billy Wilder, EU, 59).

Un pic absolu de la comédie, épique et désopilante, grinçante et émouvante tout à la fois. Qui est souvent cité comme le number one du genre avec L’impossible monsieur Bébé. Des gags en cascade mais un film de gangsters aussi, de course-poursuite, des relents sociologiques (sur la condition de la femme, l’époque de la Prohibition), de formidables travestissements.

Le trio Tony Curtis/Jack Lemon/Marilyn Monroe est épatant. Avec une réplique finale parmi les plus fameuses (et osées ?) du cinéma.  Wilder, étrangement controversé au sein de la critique, est un très grand créateur, il a commencé comme adjoint de Lubitsch et sauvegardé une (volumineuse) parcelle de son génie, enfantant des mannes de perles. Pendant cette décennie, Boulevard du crépuscule/Sunset Boulevard (50) et Sabrina (54).

NAUSICAA :

J’aurais hésité entre Some Like It Hot et Sunset Boulevard pour le top 10, mais le premier l’emporte probablement en raison de sa modernité. J’ajoute aussi Sept ans de réflexion/The Seven Year Itch (55), pour sa place dans le mythe Marilyn. 


. (41/100) L’intendant Sansho (Kenji Mizoguchi, Japon, 54).

Choisi de très peu devant Contes de la lune vague après la pluie (53). C’est un cinéma tellement… Riche, sublime, bouleversant, total ? Qui ne verse pas une larme à la fin du premier ? Qui n’est pas envoûté par la peinture onirique des barques trouant la brume dans le second ? Qui plus est, une création résolument féministe, véhiculant des valeurs face aux démons de l’arbitraire, de l’indifférence, de la vanité, du conformisme. Un artiste qui apprend à mieux observer, à redessiner notre regard.


. (42/100) Rashomon (Akira Kurosawa, Japon, 50).

Ou Les sept samouraïs (54) ?

Ces deux films m’ont fait découvrir et aimer le cinéma japonais. En Occident, Kurosawa a longtemps masqué les génies Mizoguchi, Ozu et Naruse, qui sont sans doute plus délicats. Mais on parle encore et toujours d’un génie ! Si Les Sept… a engendré un très célèbre remake western et influencé tout un pan du cinéma américain, que dire de Rashomon, de ses dimensions littéraires, de son inventivité narrative ? Avec cette quête de la vérité d’une scène qui nous la fait revivre telle que racontée par différents protagonistes. Inoubliable !


. (43/100) Chantons sous la pluie/Singing In The Rain (Kelly/Donen, EU, 52).

C’est le plus célèbre musical de tous les temps et l’American Film Institute l’a classé 10e. On peut ne guère priser le music-hall, la danse, les assimiler à la guimauve mais là… le talent suinte à chaque coin d’écran ! Et les idées véhiculées nous parlent toujours. Beau !


. (44/100) Les fraises sauvages (Bergman, Suède, 57).

Un vieil homme, sur le point d’être honoré, accomplit un trajet avec sa belle-fille qui tend l’œuvre vers le Road Movie. Rêveries sur la jeunesse perdue, interrogations sur la mort ou le sens de la vie, les erreurs d’aiguillage. J’ai vu et revu, à chaque fois bouleversé. C’est un pic majeur du cinéma européen.

NAUSICAA :

J’aurais plutôt retenu Le septième sceau(57), qui reste probablement l’ultime classique de Bergman.


D’autres grands films à découvrir,

évoqués dans les anthologies du 7e Art…

Coté Etats-Unis

. Des westerns mythiques au fond sulfureux : La prisonnière du désert/The Searchers (Ford, 56), son géant John Wayne en mode raciste et perte de repères ; Le train sifflera trois fois (Fred Zinneman, 52) ou l’individu abandonné par la majorité lâche ou indifférente ; Johnny Guitar (Ray, 54) et Rancho Notorious (Lang, EU/Allemagne, 52) qui présentent tous deux des femmes fortes (Joan Crawford et Marlène Dietrich) au passé trouble vivant en marge d’une société qui les nie ; L’homme des vallées perdues/Shane (George Stevens, 53), qui fixe l’image iconique du super-héros surgissant du néant pour régler tous les problèmes à coups de pistolets mais interroge déjà sur la part obscure latente, une interrogation profonde et amère sur le statut.

DANIEL :

Shane, bien sûr ! Le personnage dégingandé de Jack Palance sera adapté par Morris dans Lucky Luke contre Phil Defer. Mais je pointe d’autres westerns remarquables : Le jugement des flèches (Samuel Fuller, 56), précurseur, fait la part belle aux Indiens et permet à Rod Steiger de camper un personnage complexe ; La vallée de la poudre (George Marshall, 58) ou Cow-boy (Delmer Daves, 58), dans lesquels on retrouve Glenn Ford, bien aidé dans le second cas par un Jack Lemmon merveilleux en pied-tendre.

Un thème récurrent du cinéma populaire, la rivalité entre deux hommes, traverse plusieurs westerns. Kirk Douglas et Anthony Quinn dans Le dernier train de Gun Hill (John Sturges, 59), teinté d’antiracisme. Van Heflin chargé d’escorter un Glenn Ford goguenard dans l’impeccable 3h10 pour Yuma (Delmer Daves, 57), Gary Cooper, granitique/taciturne, et Burt Lancaster en Bad Guy ironique, enjôleur et manipulateur, tout de noir vêtu (la confrontation la plus intéressante ?) dans Vera Cruz (Aldrich, 54). Mais, parfois, la rivalité cède la place à la coopération (Règlements de comptes à OK Corral, de Sturges, en 57, avec le tandem Burt Lancaster/Kirk Douglas) voire à l’initiation (le jeune Anthony Perkins apprenti Sheriff sous la houlette d’Henry Fonda dans Du sang dans le désert/The Tin Star, d’Anthony Mann, en 57).

. Des films de guerre dénoncent celle-ci/le système militaire : Les sentiers de la gloire (Kubrick, EU/GB, 57) avec Kirk Douglas en héraut des valeurs humanistes ; Tant qu’il y aura des hommes/From Here To Eternity (Fred Zinneman, 53) et son superbe casting (Lancaster face à Montgomery Clift et Deborah Kerr, au monstrueux Ernest Borgnine), la scène du baiser sur la plage…

. L’amour, l’épopée et la guerre : L’odyssée de l’African Queen (John Huston, 51), le duo Bogart/Hepburn (Kathe the Great).

. Un film de prétoire : Douze hommes en colère (Sidney Lumet, EU/GB, 57), une ode à l’engagement citoyen, à l’éthique individuelle.

. Des musicaux : Un Américain à Paris (Vicente Minnelli, 51) ; Tous en scène/The Band Wagon (Minelli, 52) ; Une étoile est née/A Star Is Born (George Cukor, 54).

NAUSICAA :

Et aussi Les hommes préfèrent les blondes/Gentlemen Prefer Blondes(Howard Hawks, 53) et Drôle de frimousse/Funny Face (Stanley Donen, 57), avec le duo Fred Astaire-Audrey Hepburn.

. Le milieu de l’Art : Les feux de la rampe (Chaplin, EU/GB, 52) où Charlie dit au revoir à Charlot, qui a fait son temps, et élargit le propos à un adieu au muet dans une scène sublime associant Charlie/Charlot et Buster Keaton, avec en sus la classieuse Claire Bloom ; Eve/All about Eve (Joseph Mankiewicz, 50) où George Sanders pousse la distinction et l’ironie cinglante au niveau de l’Himalaya face à l’icône Bette Davies ; La comtesse aux pieds nus (du même Mankiewicz, 55).

NAUSICAA :

L’adieu au muet se retrouve aussi dans Sunset Boulevard et Singin’ in the rain, cités plus haut. Étonnant de constater à la fois la récurrence du thème et les chefs-d’œuvre qu’il a suscités.

NDLR : Voir le dossier OFF consacré par Nausicaa au grand Joseph Mankiewicz 


. Des films d’aventures éblouissants, sans doute aujourd’hui destinés avant tout à la jeunesse : Les dix commandements (Cecil B. de Mille, le remake de 56) et ses scènes fabuleuses (le passage de la mer Rouge, of course !) et Ben-Hur (William Wyler, 59) et sa course de chars, son contenu homosexuel en filigrane (les œillades de Messala à Ben-Hur), deux péplums énaurmes (mon attrait du grandiose !) avec ma première idole cinématographique, Charlton Heston, l’homme des figures mythiques (Moïse, Michel-Ange, etc.) ;  Les contrebandiers du Moonfleet (Fritz Lang, EU/Allemagne, 55), qui mêle mystère, action et initiation, et Scaramouche (George Sidney, 52), deux cape et d’épée menés par le flamboyant Stewart Granger (autre idole de mon enfance) ; Moby Dick (John Huston, 56) et son affrontement océanique aux vagues métaphysiques ; Planète interdite (Fred Mc Leod, 56) et ses voyages interplanétaires, son robot Robbie (qui inspirera le R2D2 de Star Wars), son monstre en filigrane.

Voir le feuilleton Scènes cultes, dans Karoo, pour ce dernier film : https://karoo.me/cinema/scenes-cultes-8).

DANIEL :

Bien vu de parler des films à grand spectacle. Les dix commandements et Ben-Hur me fascinent aussi tous deux. Les trucages du premier film me restent en mémoire : le bâton transformé en serpent, le Dieu/foudre qui grave les tables de la loi et bien sûr la mer Rouge qui s’ouvre en deux murailles d’eau. Dans Ben-Hur, outre la course de chars, je retiens la reconstitution de la Rome impériale et les apparitions de Jésus, jamais montré de face et d’autant plus intrigant.

NAUSICAA :

Le péplum hollywoodien vit un âge d’or avant de connaitre ses derniers feux avec le fastueux Cléopâtre (Mankiewicz, 63).

. Des films noirs : La soif du mal/A Touch of Evil (Orson Welles, 58) et ses plans sidérants, virtuoses, son atmosphère glauque, suffocante.

. Des mélodrames : Une place au soleil (George Stevens, 51) mais aussi les derniers films de Douglas Sirk (Américain d’origine germano-danoise), dont Le mirage de la vie (59), plébiscité par les Cahiers du Cinéma, un bijou impressionnant de modernité et d’humanité, où les aspects guimauve ou kitsch du genre sont explosés, transcendés par des réflexions puissantes sur le racisme, les apparences, la difficulté de la réalisation ou de la rébellion.

. Des adaptations littéraires : Othello (Welles, 51).

DANIEL :

Un de mes films préférés ? Comme un torrent/Somme Came Runningde Vincent Minnelli (57), tiré d’un roman de James Jones, comme Tant qu’il y aura des hommes. Dean Martin y seconde magnifiquement Frank Sinatra et Shirley Mc Laine (aussi paumée et attendrissante que Giulietta Masina dans La strada).

. La trilogie James Dean, qui incendia mon adolescence, ou comment un inconnu tourne trois films en un an (1955), meurt dans un accident de voiture et devient un mythe universel, l’incarnation de la jeunesse et de la rébellion : A l’est d’Eden (Elia Kazan), avec son thème Caïn/Abel ; La fureur de vivre (Nicholas Ray), qui touche à l’essentiel, avec sa figure d’ado (ou de jeune homme, disons) en quête de réalisation entre une mère castratrice et un père loquifié ; Giant (George Stevens) et sa saga familiale, son épopée du pétrole. J’aurais pu inverser Brando et Dean pour mon Top 10 !

DANIEL :

James Dean ? L’interprétation qui m’a le plus fasciné est celle de Jett Rink dans Géant. L’icône n’a pas le rôle principal ? Certes. Mais, à chacune de ses apparitions, on ne voit que lui ; avec tout autre acteur, le film serait plus fade.

KRISZTINA :

Je voudrais ajouter deux films inscrivant les débuts des rebelles post-guerre, entre autres via les interprétations de Marlon Brando (sans surprise !) et de Liz Taylor, une magnifique teigneuse aussi :

L’équipée sauvage/The Wild One (1953, EU, László Benedek, produit par Stanley Kramer). Le personnage principal, Johnny Strabler, tout de cuir vêtu, deviendra le motard fantasmé et culte d’une génération : « What are you rebelling against ? – What have you got ? ». Le mouvement punk anticipé ?

La chatte sur un toit brûlant/Cat on a Hot Tin Roof/ (1958, EU, Richard Brooks). Un classique de la plume de Tennessee Williams, bien entendu. Liz Taylor et Paul Newman dans un duel au sommet (œil émeraude contre œil argent), entre traditions sudistes, machisme, amours corrompues et frustration sexuelle.


Côté Europe

En Allemagne…

Le diptyque indien Le tigre du Bengale/Le tombeau hindou (Fritz Lang, 58/59), son exotisme et ses scènes très violentes, ses souterrains aux contours freudiens, la jolie Debra Paget et l’amour interracial. Séries B ? Oui mais produites par un génie, de retour au pays.

En Angleterre…

DANIEL :

J’adore un film d’aventures grand public : Les quatre plumes blanches.

PHIL :

Ta version (Terence Young et Zoltan Korda, 55) est l’une des sept adaptations (cinéma et télévision) du roman d’A.E.W. Mason !

En Italie…

Miracle à Milan (De Sica/Zavattini, 51) ; Senso (Luchino Visconti, 53) ; Viaggio in Italia (Roberto Rossellini, 53) avec Ingrid Bergman et George Sanders ; La strada (Federico Fellini, 54) et l’inoubliable Gelsomina (campée par Giulietta Masina, l’épouse du maestro), une trame narrative peu consistante mais un Road Movie qui interpelle/interroge (où est la goutte de bonheur qui étanche la soif ? comment la rencontrer ou comment l’offrir ?), œuvre-phare du cinéma européen.

DANIEL :

Le néo-réalisme imprègne la comédie et engendre cet inimitable mélange de rires et de larmes. Dureté sociale mais drôlerie irrésistible. L’Italie de la misère panse ses plaies et laisse éclater son envie de vie et de reconstruction.

Quelques films à redécouvrir : Umberto D.(De Sica, 52) m’émeut à chaque fois ; Pauvres mais beaux(Dino Risi, 56) et son humour grinçant ; Le pigeon (Monicelli, 58) et son équipe de bras cassés désopilants ; Il Bidone (Fellini, 55) et ses malfrats minables, dont un loser pathétique joué par l’Américain Broderick Crawford ; La grande guerre (Monicelli, 59, avec le tandem Gassman-Sordi) et Le général Della Rovere (Rossellini, 59, dans lequel Vittorio De Sica joue de toute sa palette avec une élégance rare), deux films de guerre qui rendent hommage à la bravoure des lâches.

NAUSICAA :

Coup de cœur personnel pour Stromboli de Roberto Rossellini (50).

PHIL :

Avec la merveilleuse Ingrid Bergman à contre-emploi ! Elle qui a quitté Hollywood et sa famille pour l’amour de l’Art pur… et de Rossellini. Immense scandale à la clé !

En France…

Encore Clouzot (Le salaire de la peur en 53 et Les diaboliques en 55)mais déjà la Nouvelle Vague, Truffaut (Les 400 coups, 59), Robert Bresson (Le journal d’un curé de campagne en 51, Un condamné à mort s’est échappé en 56, Pickpocket en 59) ou Alain Resnais (Hiroshima, mon amour, 59).  

NAUSICAA :

La Nouvelle Vague, en effet. Les réalisateurs emblématiques de la mouvance sortent quasi tous leur premier long-métrage en 1959 ou 1960. Outre ceux déjà cités, mentionnons aussi Claude Chabrol (Le beau Serge et Les cousins, 59), Eric Rohmer (Le signe du lion, 59), Jacques Doniol-Valcroze (L’eau à la bouche, 59 – très daté, le film vaut aujourd’hui surtout pour la musique de Gainsbourg). À noter qu’Agnès Varda, souvent associée à la Nouvelle Vague, a réalisé son premier long métrage dès 1955, La pointe courte, un film à redécouvrir. Superbe décennie aussi pour Jacques Tati, avec deux films qui sont des chefs-d’œuvre : Les vacances de Monsieur Hulot(53) et Mon oncle(58).

KRISZTINA :

J’irai cracher sur vos tombes (59, Michel Gast) avec Christian Marquand. On reste dans le thème de la rébellion évoqué plus haut. Un métis veut venger son frère, un jeune Noir de dix-huit ans, lynché par la foule. Le récit est incendiaire, sur fond de jazz enflammé et d’anti-héros charismatique, précurseur et (toujours) interpellant. Ceci dit, je préfère le roman au film… et Boris Vian serait heureux de l’apprendre, lui qui a été victime d’un arrêt cardiaque à la première française !

PHIL :

Philippe Leuckx, un collègue cinéphile des Belles Phrases, lors de la première vague de la CI (publiée dans Karoo), avait suggéré quelques pépites supplémentaires : Sous le ciel de Paris (Julien Duvivier, 50), La vérité sur Bébé Donge (Henri Decoin, 51), Casque d’or (Jacques Becker, 52), Des gens sans importance (Henri Verneuil, 56), La chatte (Henri Decoin, 58).

Côté World Cinema

Le World Cinema nous démontre à quel point les humains sont proches, présentant les mêmes vices et travers, les mêmes aspirations et idéaux. Et c’est peu de le dire. Le vivre au travers d’un geste, d’une parole, d’un non-dit émanant d’une paysanne bengali ou japonaise remue une sorte d’inconscient collectif. Ce cinéma existait déjà, bien sûr, il brillait déjà, ne soyons pas occidentalo-centristes. Mais une étape est franchie. Plusieurs auteurs nippons atteignent le point d’acmé de leurs carrières : Ozu (Le voyage à Tokyo, 53), Naruse (Nuages flottants en 55 et le formidable Nuages d’été en 58). Et, fracassant un cinéma commercial indien abonné au grand spectacle, aux tournages en studio et au factice, Satyajit Ray, le Bengali, apporte une variante indienne au néo-réalisme italien, avec notamment sa trilogie d’Apu, entamée avec l’émouvant, très remarqué et iconifié La complainte du sentier (55), que suivront L’invaincu(57) et Le monde d’Apu(59).


Coups de cœur personnels

. TOUT Hitchcock !

Encore et encore ! Comment écarter de la liste de mon top 10 Fenêtre sur cour (54) ou Sueurs froides/Vertigo (58) ? L’AFI classe d’ailleurs mes trois Hitch préférés de la décennie aux places 40, 42 et 61 de son Top 100.  C’est une période très créative pour l’Anglais émigré aux States : La main au collet (55), Le crime était presque parfait (54), L’inconnu du Nord-Express (51), Le grand alibi (1950) ; un peu en retrait, L’homme qui en savait trop (le remake de 56), Le faux coupable (56) et sa mise en abyme de la thématique majeure de l’épopée hitchcockienne, Mais qui a tué Harry ?(55) et son humour noir corrosif… tiédi par quelques longueurs. Autant de perles pour les cinéphiles !

DANIEL :

Mon Hitchcock préféré ? D’une courte tête, L’inconnu du Nord-Express. Pourl’ingéniosité de la trame, les scènes avec un effrayant Robert Walker.

. Trois films qui mêlent voyage et romantisme de conte de fées.

Vacances romaines (William Wyler, EU, 53) avec un couple glamour à tomber, Gregory Peck et Audrey Hepburn au sommet de leur séduction.

Vacances à Venise (David Lean, EU/GB, 55), à mille coudées des fresques du maestro, un décor de carte postale transcendé par un réalisateur de génie qui filme la Cité des Doges comme jamais, avec une Katherine Hepburn en cœur solitaire, émouvante en diable.

Elle et lui/A Love Affair (Leo McCarey, EU, 57). Un remake orchestré par le réalisateur d’origine. Que j’ai retiré in extremis de mon top 10 ! Qui enchante et fait pleurer. Célèbre pour la scène de l’Empire State Building alors qu’une autre appartient à mon trésor de guerre cinématographique, toute en finesse et beauté pure : la présentation de la jeune Olivia de Havilland à la mère de Cary Grant dans le décor prodigieux, en surplomb par rapport à la mer, de la propriété familiale.


Réflexions sur la décennie

DANIEL :

Les Fifties sont la dernière décennie à ne pas trop souffrir de la concurrence de la télévision… même si les « étranges lucarnes » vont bientôt envahir les foyers, même si commence alors la longue agonie des cinémas de quartier qui portaient haut le cinéma populaire.

PHIL :

Aux Etats-Unis, dix millions de postes de télévision en 1951 et cinquante en 1959 ! Certains Grands du cinéma anticipent ou s’adaptent. Groucho Marx devient animateur de jeux télévisés. Walt Disney produit ses premiers spectacles télévisés réguliers, ce qui aboutira à l’une des séries les plus célèbres de tous les temps, Zorro, avec Guy Williams, dès 1957. Quant à Hitchcock, régner sur le cinéma ne lui suffit pas et il lance dès 1955 une autre série mythique, Alfred Hitchcock Presents, qui comptera de nombreuses saisons et imposera son personnage (il présente chaque épisode avec un humour confondant).     

DANIEL :

Les années 50 sont celles de ma découverte du cinéma. Cette décennie est si foisonnante, mes choix trop émotionnels. Ci-dessus, j’ai fait d’ailleurs fait l’impasse sur les cinémas français, suédois, japonais, indien et mondial… et privilégié le cinoche par rapport au cinéma d’auteur… une expression que je déteste, à tort peut-être, mais… pourquoi John Sturges, Delmer Daves ou Robert Aldrich n’ont-ils pas droit à ce statut ? Un statut auquel le public n’est pas si attaché. D’ailleurs, celui des années 50, quand il évoquait La fureur de vivre, parlait de film « avec/de James Dean » plutôt que de film « de Nicholas Ray ».

PHIL :

Le cinéma d’auteur triomphe alors en Europe et s’insinue aux States. Mais un rappel s’impose pour comprendre la décennie vue depuis Hollywood, la Mecque du cinéma. En 1949, Samuel Goldwyn, le célèbre producteur, annonce l’avènement du règne de la télévision. Hollywood est alors profondément secoué par l’écroulement du studio system, à la suite d’un procès contre le monopole des grandes maisons de production. Mais, dans les Fifties, le cinéma se bat pour survivre et choisit d’aller plus loin, d’offrir plus beau, plus grand, plus spectaculaire.

DANIEL :

On peut parler d’un nouvel âge d’or du classicisme hollywoodien. Il y a notamment un tournant dans le format de l’image. 1953 voit la sortie en Cinémascope de La tunique (Henry Koster, EU), péplum biblique qui surfe sur le succès de Quo Vadis (Mervyn LeRoy, EU, 51) mais dont le Caligula n’a pas la méchanceté réjouissante du Néron incarné par Peter Ustinov. Le Cinémascope, lancé par la 20th Century Fox, va faire fureur, suscitant des produits innovants concurrents dont le fameux procédé VistaVision de la Paramount. Le Todd-Ao essayera d’y ajouter le relief mais, malgré ses qualités, il n’aura pas un impact aussi déterminant. Les dimensions de l’image, combinées au Glamour du Technicolor et de ses dérivés, vont définitivement marquer l’imaginaire des enfants non biberonnés au format télévisuel. Pour paraphraser Godard, on devient différent selon que l’on voit des images plus grandes ou plus petites que soi.

PHIL :

Comment épouser un millionaire ? (Jean Negulesco, EU, 53) a été le premier film tourné selon le procédé du Cinémascope mais il est sorti après La tunique. Disney a embrayé avec un court-métrage, Les instruments de musique (EU, 53), puis le long-métrage d’animation La belle et le clochard (EU, 55).

Terminons avec deux phénomènes conséquents. La fin du studio system laisse la voie dégagée pour le star system et le règne des agents (qui demandent des cachets de plus en plus colossaux pour leurs vedettes). En corollaire, la course à l’économie envoie désormais bien des équipes de tournage à l’étranger. En Espagne, en Italie (Cinetta, à Rome, devient une autre « ville du cinéma »), etc.

Adolphe NYSENHOLC, Daniel MANGANO, Krisztina KOVACS, Nausicaa DEWEZ et Ciné-Phil RW.


Plan du feuilleton Vers une cinéthèque idéale

Nous nous limitons ici aux articles initiaux des différents dossiers. Ceux-ci renvoient à de nombreux autres articles.

Présentation du projet (introduction, équipe, plan) :

Préhistoire du cinéma :

Années 1910 :

Années 1920 :

Années 1930 :

Années 1940 :

Feuilleton complémentaire d’Adolphe NYSENHOLC sur le premier top 12, en 1958 :


Top 100 en cours

(1) Le voyage dans la lune (Georges Méliès, France, 1902).

(2) Le vol du grand rapide (Edwin S. Porter, E.U., 1903).

(3) Naissance d’une nation (D.W. Griffith, Etats-Unis, 1915).

(4) Intolérance (D.W. Griffiths, Etats-Unis, 1916).

(5) Le cabinet du docteur Caligari (Robert Wiene, Allemagne, 1920).

(6) Le cuirassé Potemkine (Serguei Eisenstein, Russie, 1925).

(7) Le journal d’une jeune fille perdue (G.W. Pabst, Autriche, 1929).

(8) L’aurore (Murnau, Allemagne/EU, 1927).  

(9) Docteur Mabuse, le joueur (Fritz Lang, Allemagne, 1922).

(10) Le Kid (Charlie Chaplin, GB/EU, 1921).

(11) Le vent (Victor Sjöström, Suède/EU, 1928).

(12) La passion de Jeanne d’Arc (Carl Theodor Dreyer, Danemark, 1928).

(13) Napoléon (Abel Gance, France, 1927).

(14) Le mécano de la General (Buster Keaton, EU, 1927).

(15) Autant en emporte le vent (Victor Fleming, EU, 1939).

(16) Les Hauts-de-Hurlevent (W. Wyler, EU, 1939).

(17) Le testament du docteur Mabuse (F. Lang, Allemagne, 1933).

(18) Une femme disparaît (A. Hitchcock, GB, 1938).

(19) King Kong (Merian C. Cooper et E. Schoedsack, EU, 1933).

(20) L’impossible monsieur Bébé (H. Hawks, EU, 1938).

(21) La chevauchée fantastique (John Ford, EU, 1939).

(22) New York-Miami (Frank Capra, EU, 1934).

(23) La grande illusion (Jean Renoir, France, 1937).

(24) Ninotchka (Lubitsch, EU, 1939).

(25) Casablanca (Michael Curtiz, EU, 1942).

(26) Le ciel peut attendre (Ernst Lubitsch, EU, 1943).

(27) Citizen Kane (Orson Welles, EU, 1941).

(28) Les enfants du paradis (Marcel Carné, France, 1945).

(29) Les enchaînés/Notorious (Alfred Hitchcock, EU, 1946).

(30) Le trésor de la Sierra Madre (John Huston, EU, 1948).

(31) Indiscrétions/The Philadelphia Story (George Cukor, EU, 1940).

(32) La vie est belle/A Wonderful Life (Frank Capra, EU, 1946).

(33) Le dictateur/The Great Dictator (Charlie Chaplin, EU, 1940).

(34) Le troisième homme (Carol Reed, GB, 1949).

(35) La mort aux trousses/North by Northwest (Alfred Hitchcock, GB/EU, 1959).

(36) Le pont de la rivière Kwaï (David Lean, GB/EU, 1957).

(37) Madame de… (Max Ophuls, France/Allemagne, 1953).

(38) La nuit du chasseur (Charles Laughton, EU/GB, 1955).

(39) Sur les quais/On the Waterfront (Elia Kazan, EU, 1954).

(40) Certains l’aiment chaud (Billy Wilder, EU, 1959).

(41) L’intendant Sansho (Kenji Mizoguchi, Japon, 1954).

(42) Rashomon (Akira Kurosawa, Japon, 1950).

(43) Chantons sous la pluie (Gene Kelly/Stanley Donen, EU, 1952).

(44) Les fraises sauvages (Bergman, Suède, 57).


VERS UNE CINÉTHÈQUE IDÉALE – DOSSIER OFF : JOSEPH MANKIEWICZ par NAUSICAA DEWEZ avec des contrepoints de Ciné-Phil RW

100 films à voir absolument…

…des débuts du cinéma aux années 2010

Voir la présentation du projet et de l’équipe, le plan général et les dossiers ouverts :

Dossier OFF

Joseph MANKIEWICZ

Par NAUSICAA DEWEZ.

Avec quelques contrepoints de Ciné-Phil RW.

Joseph L. Mankiewicz (Etats-Unis, 1909-1993) a fait tourner Marlon Brando, Liz Taylor, Katharine Hepburn, Kirk Douglas, Cary Grant, Bette Davis, Humphrey Bogart, ou encore Ava Gardner ; s’est essayé au film noir, au péplum, au western… En une trentaine d’années et une vingtaine de films, du Château du dragon (Dragonwyck, 1946) au Limier (Sleuth, 1972), il s’est imposé comme un réalisateur qui compte dans l’histoire du cinéma. Moins prolifique que d’autres, moins en vue que les Hitchcock, Welles ou Wilder, dont il fut le contemporain, il a tout de même à son actif plusieurs classiques : Chaînes conjugales (A Letter to Three Wives, 1949), Ève (All about Eve, 1950), La comtesse aux pieds nus (The Barefoot Contessa, 1954), et Cléopâtre (Cleopatra, 1963).

Phil :

Le frère de Joseph, Herman, beaucoup moins connu, vient de susciter un biopic, Mank (David Fincher, EU, 2020). Bien que mentionné au générique, il est l’auteur essentiel trop occulté du film généralement classé numéro 1 de tous les temps, Citizen Kane (d’Orson Welles… à la mise en scène et au scénario mais…).

Les deux frères Mankiewicz, dont les parents ont fui l’Allemagne, renvoient à cette évidence plusieurs fois évoquée dans notre Cinéthèque idéale : l’apport des producteurs et des créateurs juifs européens au cinéma américain et mondial est immense.

Le premier film de Joseph Mankiewicz, Le château du dragon, qui devait être tourné par Ernst Lubitsch (victime d’une crise cardiaque), narre une histoire un peu glauque qui rappelle parfois l’atmosphère des Rebecca et autres Jane Eyre. Il marque surtout la première collaboration du réalisateur avec la sublime Gene Tierney, avec laquelle il tournera un film mythique, L’aventure de madame Muir (1947), une histoire d’amour romantique… avec un fantôme.

Le cinéaste des flashbacks

L’une des marques de fabrique du cinéma de Mankiewicz est l’usage du flashback. Ainsi, Ève est tout entier construit sur ce principe : la scène initiale, au cours de laquelle le personnage éponyme, interprété par Anne Baxter, reçoit un prix d’interprétation, est immédiatement suivie par un retour dans le temps, nous expliquant comment, par quels coups bas et intrigues, la jeune fille est devenue une star adulée. Le film ne revient au temps présent que pour sa dernière scène. La comtesse aux pieds nus est aussi entièrement bâti sur des flashbacks : le film s’ouvre sur l’enterrement de Maria Vargas, interprétée par Ava Gardner, danseuse de cabaret puis star hollywoodienne qui a épousé un comte. Les funérailles génèrent l’évocation des souvenirs de la défunte, tout d’abord par son ami Harry (Humphrey Bogart) puis par un assistant du producteur (Edmond O’Brien) et son mari (Rossano Brazi), avant que l’histoire ne s’achève par un récit du premier. Le procédé est aussi à l’œuvre dans Chaînes conjugales : trois amies partent ensemble pour une journée de détente et reçoivent une lettre d’Addie Ross, l’une de leurs connaissances, qui leur apprend qu’elle part le jour-même avec le mari de l’une d’elles. Alors que toutes trois se demandent qui peut bien être l’infortunée épouse délaissée, elles repensent chacune à l’histoire de leur couple, ce qui donne lieu à trois flashbacks successifs.

Mankiewicz n’utilise donc pas le flashback comme un retour en arrière ponctuel, pour expliquer telle ou telle situation ; l’essentiel de plusieurs de ses films est composé d’un ou plusieurs flashbacks. Dans un essai sur le scénario de cinéma, Luc Dellisse affirme que « [l]’omniprésence du flash-back est peut-être le signe sinon d’une paresse, du moins d’une idéologie. En l’occurrence, celle qui consiste à prétendre que les images sont toujours plus efficaces, plus « cinématographiques », que les paroles ou les effets induits »[1]. Dans les films de Mankiewicz, une voix off est souvent entendue au début du flashback : à cet instant, la parole et l’image se superposent, puis la voix off s’éteint ; les faits sont alors montrés et non plus racontés. L’effet peut être déroutant pour le spectateur. Les flashbacks occupent un segment important du film et, passé les premiers instants, plus rien ne les distingue plus visuellement du présent de la narration, si bien qu’on oublie parfois qu’il s’agit d’un flashback et que le dénouement a été livré dès l’entame du film. 

Phil :

Tous ces films sont remarquables. Dans Ève, George Sanders campe un critique cynique qui constitue l’une de mes interprétations masculines préférées. Mais, pour en revenir au flashback, il projette une aura sur le spectateur, il l’enrobe dans une atmosphère teintée d’un supplément de sens ou d’âme. Il y a une exponentialisation de la gravité de ce qui est raconté, qui est de l’ordre du fatum, il y a entreprise de mythification.

Un mot aussi sur La comtesse aux pieds nus où Ava Gardner, bouleversante, semble jouer sa propre vie à l’écran. Un film qui met le cinéma et son industrie en abyme, présentant les créateurs (réalisateurs) et créatifs (interprètes) comme des marionnettes manipulées sans respect ni vergogne par d’infâmes puissances financières. La quête du bonheur, du fléchage s’y baladent de manière troublante.

Focus sur Soudain l’été dernier

Passer en revue la filmographie de Joseph L. Mankiewicz, c’est revisiter plusieurs classiques. Soudain l’été dernier (Suddenly Last Summer, 1959) n’est probablement pas le plus connu de ses films, ni le plus important. Avouons-le : le choix de l’évoquer ici est avant tout subjectif.

Le casting

Le film a pourtant quelques arguments à faire valoir. Son générique ne manque pas d’allure. Au scénario : Gore Vidal et Tennessee Williams, d’après une pièce de ce dernier. La distribution compte Montgomery Clift, Katharine Hepburn et, dans le premier rôle, Elizabeth Taylor. Celle-ci retrouvera Mankiewicz peu après pour Cléopâtre, somptueux péplum de quatre heures qui est longtemps resté le film le plus cher de l’histoire du cinéma.

Phil :

Cléopâtre, un désastre financier qui a mis le studio au bord de la faillite, a ruiné, ai-je souvent lu, la carrière de Mankiewicz. Pourtant, son dernier film, Le limier, est brillant… mais aux antipodes : une pièce de théâtre filmée, un huis-clos, avec deux personnages, joués par les inoubliables Laurence Olivier et Michael Caine. Un récit très dense, aux accents policier ou thriller, qui multiplie les fausses pistes et les rebondissements.

Le pitch

Catherine (E. Taylor) a vu son cousin Sebastian mourir sous ses yeux lors de leurs vacances estivales communes. Revenue chez elle, traumatisée mais incapable de se souvenir des circonstances du drame, elle sombre dans la folie et est enfermée dans l’asile du docteur Cukrowicz (M. Clift). Alors que ce dernier tente de la guérir, Violet (K. Hepburn), la mère de Sebastian, qui voue à son fils un amour proche de la vénération, veut que Catherine subisse une lobotomie. Richissime, elle promet une fortune à la mère et au frère désargentés de la jeune fille pour leur faire accepter l’opération. Pour que cette dernière ne puisse surtout pas se remémorer/raconter un jour les circonstances exactes du décès ?

Un ressort psychanalytique

Soudain l’été dernier s’inscrit dans la veine du film de psychanalyse, qu’avait précédemment illustrée Hitchcock avec La maison du docteur Edwardes (Spellbound, EU, 1945) : on sait dès le départ que Catherine sera guérie si le gentil docteur Cukrowicz parvient à lui ramener la mémoire de l’événement traumatique, à savoir la mort de Sebastian.

Le film repose en grande partie sur l’opposition entre deux femmes, Catherine et Violet, la nièce et la tante. L’une a supplanté l’autre comme compagne de vacances de Sebastian. Violet nourrit des sentiments incestueux – elle se définit comme veuve après la mort de son fils. Elle se montre jalouse de Catherine. Sa volonté implacable de la voir lobotomisée, son absence d’empathie pour sa nièce, trouve son origine dans cette rivalité pour l’amour de Sebastian – une rivalité que Violet monte de toutes pièces, Catherine semblant étrangère à cette lutte.

L’opposition entre les deux personnages féminins est soulignée par le choix des actrices. Née en 1907 et star depuis les années 1930, Katharine Hepburn interprète ici un rôle important, mais secondaire. Comme son personnage, l’actrice est supplantée par Elizabeth Taylor. La carrière de cette dernière est alors en pleine explosion : elle vient de jouer dans Géant (Giant, George Stevens, EU, 1956) et La chatte sur un toit brûlant (Cat On A Hot Tin Roof, Richard Brooks, EU, 1958). Soudain l’été dernier, lui vaudra un Golden Globe.

À noter : si les plus grands films de Katharine Hepburn sont indubitablement derrière elle en 1959, elle n’a pourtant à ce moment-là encore reçu qu’un seul de ses quatre Oscars.

Sebastian invisible

Sebastian est au centre de l’intrigue de Soudain l’été dernier. Il est pourtant mort quand le film commence et n’apparaitra à l’écran que tardivement, dans un… flashback. L’acteur qui l’interprète apparait le plus souvent de dos et n’est même pas crédité au générique.

À ce moment, Catherine recouvre enfin la mémoire et se met à raconter la mort de Sebastian à tous ses proches rassemblés. Tandis que la caméra montre son visage en gros plan, des images apparaissent en surimpression, illustrant son récit. Ici, le flashback (la mort de Sebastian) est toujours montré comme flashback, film muet se juxtaposant aux images du présent (le récit de Catherine). 

Spoiler !

Quand la mémoire lui revient, Catherine dissipe le mystère sur les circonstances du drame. Le caractère horrifique de la mort qu’elle décrit explique aussi, par ricochet, la raison pour laquelle elle avait sombré dans la folie. Sebastian partait chaque année en vacances avec sa mère, puis avec sa cousine, parce que cette présence féminine lui servait d’appât pour séduire des jeunes garçons. Lors de ses dernières vacances, toutefois, les garçons pauvres qu’il avait tenté de séduire se sont ligués contre lui, l’ont poursuivi dans les rues du village et l’ont finalement dévoré vivant (!) sous les yeux de Catherine, impuissante et emplie d’effroi. Si ce récit libère la jeune femme de ses démons et la sort de la folie, il plonge a contrario dans la démence sa tante Violet, qui aura vainement tenté de se voiler la face.

Le film réalise un amalgame plus que douteux entre homosexualité masculine (dont Sebastian possède toutes les caractéristiques hollywoodiennes : raffinement vestimentaire, santé délicate, célibat et proximité avec sa mère, oisiveté – il écrit un poème par année) et pédophilie. Attiré par les jeunes garçons, Sebastian est puni de la plus horrible façon pour ses penchants monstrueux. Évoluant jusque-là dans le registre du mystère et du non-dit, le film bascule dans l’horreur et l’épouvante, à la faveur d’une scène d’une puissance et d’une audace impressionnantes.

Nausicaa DEWEZ, avec des contrepoints de Philippe Remy-Wilkin.


[1] Luc Dellisse, L’atelier du scénariste. Vingt secrets de fabrication, Bruxelles, Les Impressions nouvelles, 2021.

VERS UNE CINÉTHÈQUE IDÉALE (37/100) – MADAME DE… un drame de MAX OPHÜLS (1953) par Ciné-Phil RW

100 films à voir absolument…

…des débuts du cinéma aux années 2010

Voir la présentation du projet et de l’équipe, le plan général et les dossiers ouverts :

(37/100) Madame de…,

un drame de Max Ophüls, France, 1953, 1h40.

Un article de Ciné-Phil RW.

Les pérégrinations en boucle d’une paire de… boucles pour un bijou absolu du cinéma littéraire à la française.

Classé 30e du Top 100 des Cahiers du cinéma.

Le pitch ?

Vers 1900, à Paris, Louise, une coquette de la haute société, se trouve pressée par des dettes (jeu ? dépenses inconsidérées ?). Plutôt que d’avouer à son époux André, un général, elle sollicite l’aide discrète du bijoutier auquel ce dernier avait eu jadis recours et lui revend ses sublimes boucles d’oreilles. Pour justifier la disparition, elle feint les avoir perdues lors d’une soirée à l’Opéra.

On aurait pu en rester là mais André prend les choses très à cœur, il remue ciel et terre, suscitant un petit scandale mondain relayé par les journaux. Le bijoutier, voulant mettre un terme aux rumeurs de vol et aux soupçons divers, va le trouver. Mis au parfum, il rachète les boucles mais n’en dit mot à sa femme, les offrant cette fois à sa maîtresse, comme cadeau de rupture, avant son départ pour Constantinople. Or celle-ci va à son tour connaître des revers de fortune et revendre les boucles, qu’un diplomate italien, Donati, va acquérir, avant de prendre un poste à Paris… où il tombera amoureux de Louise, et réciproquement.

Le récit, dès lors, va combiner la subtile mélodie des amours au sein du triangle Louise/André/Donati avec la rythmique implacable d’une ligne de basse assurée par la sarabande des allées et venues du bijou, qui n’a de cesse de changer de mains, entraînant maintes péripéties, nous faisant glisser de la comédie vers la tragédie.

Mises en abyme et art total

Les boucles en forme de cœurs sont donc au… cœur de l’action : son moteur, de la scène initiale à la dernière, mais le révélateur des passions et des âmes aussi. La construction s’avère hypnotique ou étourdissante, comme un carrousel tournant autour de l’axe/bijou, pour reprendre une image d’Ophüls lui-même, qui évoquait le Boléro de Ravel.

Musclé par cette trouvaille, le film déploie une panoplie d’atouts.  La mécanique narrative impeccable s’accompagne de dialogues finement ciselés ou d’analyses psychologiques délicates dignes de la plus haute littérature (Ophüls adapte un court roman de Louise de Vilmorin, Marcel Achard a retravaillé les répliques). Ces aspirations classiques annonceraient un Rohmer si elles n’étaient rehaussées par un génie cinématographique pur : la caméra, fuyant le plan fixe pour le mouvement, rend compte d’une vision du monde qui met la vie et sa versatilité, ses mille et une contradictions au centre de tout.

Mise en abyme encore et encore. Car cette agitation, à l’encontre d’une approche méditative, est en adéquation totale avec son sujet : la description d’une coquette qui passe d’un bal à un concert, dans un divertissement permanent. Ce qui renvoie à la haine de soi pascalienne, à l’impossibilité du repos, qui permettrait pourtant de s’affronter pour penser, se penser, avec ce danger, qui effraie la médiocrité qui est en nous, que la remise en question implique la possibilité d’une rupture et menace ainsi le confort des habitudes et du connu.

Nous sommes ici dans un art total, qui nécessite un choix judicieux des sujets mais, ensuite, une capacité hors norme à les ré-animer, où l’héritage littéraire de la source se conjugue avec les battements d’ailes de la caméra, le tout transcendé par des acteurs sensibles et talentueux, investis, qui parviennent à gommer l’artifice, la sensation du morceau de bravoure. Un art pudique de l’évanescent, à l’envers de la mécanique si huilée, mis en abyme dans le titre même du film, Madame de… Car, de Louise, nous ne connaîtrons jamais l’identité. Comme si elle l’avait trop longtemps désertée pour son étiquette sociale ?

Une actrice au sommet de son art

Par un faux paradoxe, de l’immersion dans la frivolité jaillit l’émotion, en contrepoint magistral, bouleversant. Danielle Darrieux (Louise : son plus grand rôle ?) réussit la gageure d’instiller de la profondeur dans la vacuité (« La femme que j’étais a fait le malheur de celle que je suis devenue »), comme elle insuffle de la légèreté, a contrario, à d’autres moments, pour dégonfler la baudruche de la gravité. D’un mot, d’un geste, d’un frémissement. Un contrepoint philosophique. Car la vie est tragique et ce tragique est comique, l’incommunicabilité étant désespérante mais nos comportements des parades inadaptées et trop souvent ridicules.

Un acteur bouleversant

Charles Boyer n’est pas en reste et nous offre une interprétation sublime du général, qui incarne toute la difficulté d’être un homme, un notable, un mari dans une société soumise aux codes et carcans. Derrière le cynisme, la muflerie parfois ou la considération hautaine de son statut, affleure le désir d’exploser la gangue, d’aventurer des bribes de sincérité et d’aveu qui pourraient, mieux entendus ou mieux assumés, incurver les destins.

Ses répliques à Louise alignent les perles :

« Le malheur s’invente. » ; « Nous ne sommes que superficiellement superficiels. » (cette admirable litote escamote un long discours – analyse de leur vie conjugale voire impossible déclaration d’amour).



Max Ophüls (ou Ophuls, Opuls).

Il est vu comme une icône absolue du bon goût à la française et trône au sommet du cinéma hexagonal au côté des Renoir et autres Carné. Pourtant, il est né Maximilian Oppenheimer, en Allemagne, changeant de nom pour ne pas importuner un père commerçant en cas d’échec dans sa carrière artistique, changeant de pays au gré des aléas de la montée du nazisme. Autriche, Italie, Suisse, Etats-Unis (où il tourne Lettre d’une inconnue, qui appartient au Top 100 des Cahiers du cinéma), France (où il tourne l’essentiel de ses chefs-d’œuvre, dont La ronde ou Le plaisir, autres Top 100 des Cahiers).

Arrêtons-nous un instant pour saluer l’apport de la communauté juive d’Europe centrale ou de l’Est (Allemagne, Autriche, Pologne, Hongrie) au cinéma mondial. Comment imaginer un 7e Art sans Ophüls, Lubitsch, Lang, von Stroheim, Mankiewicz, Wilder, Curtiz, Preminger, von Sternberg, Zinneman, Brooks, Nichols, Eisenstein, Allen, Spielberg, etc. ? Sans les producteurs Goldwyn ou Mayer, Warner, Fox, Thalberg, Selnick, Zukor, Laemmle, Zanuck, Lasky, Bernstein, etc. ? Qui analysera un jour ce fascinant cosmopolitisme ? Un décryptage du monde rendu incomparable par un mélange de recul et d’empathie ? Qui pourrait être l’intégration la plus réussie, qui n’aurait rien à voir, alors, avec l’assimilation ? Etre et ne pas être ? Tout à la fois ?

Vittorio de Sica

Dans le rôle du diplomate italien (amant ou amoureux platonique ?), un acteur-phare du cinéma italien, émouvant et brillant, qui fut aussi un grand cinéaste, auquel on doit Sciuscia, Le voleur de bicyclette, Hier, aujourd’hui et demain ou Le jardin des Finzi-Contini (qui ont tous quatre décroché l’Oscar du meilleur film étranger !), le magnifique Miracle à Milan ou La Ciociara.

Voir notre article en trio (avec Daniel Mangano et Adolphe Nysenholc) sur Le voleur de bicyclette

Philippe Remy-Wilkin.

VERS UNE CINÉTHÈQUE IDÉALE (38/100) – LA NUIT DU CHASSEUR de CHARLES LAUGHTON (1955) par Julien-Paul REMY, Thierry VAN WAYENBERGH et Ciné-Phil RW

VERS UNE CINÉTHÈQUE IDÉALE

100 films à voir absolument…

…des débuts du cinéma aux années 2010

Voir la présentation du projet et de l’équipe, le plan général et les dossiers ouverts :

(38/100) La nuit du chasseur,

un drame/thriller en noir et blanc de Charles Laughton, Grande-Bretagne/Etats-Unis, 1955, 1h33’. 

Une polyphonie où se répondent les voix de 

Julien-Paul REMY, Thierry VAN WAYENBERGH et Ciné-Phil RW.

En quelques lignes…

THIERRY :

La nuit du chasseur enchâsse tous les genres, comme autant de perles sur un immense collier cinématographique : amour, haine, vieillesse, enfance, conte horrifique, western, polar existentiel, noir et blanc soyeux, références géniales au cinéma expressionniste… Tout se tient, main dans la main, et dans un équilibre inconcevable et brillant tout le long de cette balade macabre d’un faux prêtre plein de haine (Mitchum, fabuleux) en quête d’un magot caché, qui se clôt comme les contes de notre enfance par une fuite de gamins courageux sous une rivière d’étoiles. Chef-d’œuvre absolu !

L’intrigue

JULIEN-PAUL :

Harry Powell, tueur en série travesti en révérend, sillonne les Etats-Unis des années 1930 en semant la mort. Ses victimes ? Des veuves. Paradoxe d’une ironie sublime : il écope d’une peine de prison pour un délit mineur quand son compagnon de cellule, Ben Harper, est condamné pour meurtre. Or ce dernier a tué sans préméditation, par dépit et par désespoir, à la suite d’un braquage qui a mal tourné, résolu à sauver sa famille de la misère sociale. Quand l’autre assassine gratuitement, suite à des pulsions. Au niveau de l’essence identitaire, un meurtrier passe pour un voleur et un voleur pour un meurtrier.

Durant leur détention commune, Powell apprend qu’Harper a caché en lieu sûr le butin glané lors du hold-up et décide de s’en emparer. A tout prix.

(SPOILER !)

Une fois Harper exécuté par pendaison, Powell se dirige vers la bourgade où vit la famille de celui-ci et s’immisce dans l’existence de sa veuve Willa et de ses deux jeunes enfants, Pearl et John. Commence une campagne de séduction (mise en abyme : il chante divinement bien, telle… une sirène) et de manipulation qui ensorcèle la mère éplorée, la petite fille et tout l’entourage. A l’exception du garçon. Prompt à percer la nature et les intentions du démon à la voix d’ange, John, investi par son père de la responsabilité d’un trésor devant assurer la survie du foyer, résiste à toutes les approches, de plus en plus explicites, et protège sans faiblir… la poupée de sa sœur (cachette sans cesse baladée sous nos yeux à l’écran).

Powell épouse Willa et peut enfin investiguer à sa guise. Il ne trouve rien et devine que le secret bruisse derrière les lèvres innocentes des enfants, les harcèle, se débarrasse de la mère pour recourir à la force, les pourchasse. Cette mort aux trousses arrache les protagonistes au village et à la civilisation, les emmène le long d’une rivière (l’Ohio) en plein cœur de la nature et du monde sauvage, les précipite en barque puis à pied dans une course-poursuite hallucinée ponctuée par un ultime face à face.

Coups de projecteur sur l’œuvre 

JULIEN-PAUL :

Comment parler d’un film qui semble tout contenir, d’une pluralité déconcertante, nous baladant du conte de fées à l’horreur, de la poésie à la comédie, à la farce même, au burlesque ? La nuit du chasseur s’avère une mise en abyme des métamorphoses du cinéma, art du mouvement et du changement susceptible d’entremêler les genres comme aucun autre. Ou, plus largement, une mise en abyme de l’Art et de la Métaphore ?

Inspiré du roman éponyme de Davis Grubb (et des méfaits d’un véritable serial killer), le film de Charles Laughton s’apparente à un rêve maîtrisé. A l’infinie richesse des significations, digne d’un rêve fou, se greffe la maîtrise limpide de l’intrigue et des enjeux sociétaux. Ce qui se manifeste visuellement : la lumière de l’explicite et de l’évidence côtoie constamment l’ombre de l’implicite, du suggéré et de l’ambigu. Une atmosphère d’angoisse, un fond sulfureux sont sublimés, les dimensions picturale et poétique s’entrelacent pour conférer un visuel onirique et paranormal à des scènes réalistes. L’expressionnisme, avec ses jeux d’éclairage, assimile les Ténèbres et la Lumière à des forces transcendantes qui réduisent les personnages à un statut de marionnettes, investies, agies.

PHIL :

Retenons le nom de l’opérateur Stanley Cortez, qui avait déjà apposé sa griffe plastique dans des chefs-d’œuvre d’Orson Welles (La splendeur des Amberson) et Fritz Lang (Le secret derrière la porte).

JULIEN-PAUL :

La dialectique esthétique noir/blanc renvoie à la dialectique morale et religieuse Mal/Bien. Si magistralement que la couleur, qui régnait alors au cinéma, eût ici signifié une régression artistique. Qu’on ne s’y trompe pas toutefois, le dualisme est un moyen, non une finalité, le film posant plus de questions qu’il n’apporte de réponses. Peu de personnages, d’ailleurs, incarnent véritablement le Bien ou le Mal, la plupart sont coincés dans un no man’s land, une antichambre, une zone entre chien et loup où l’on passe du Bien au Mal, du Mal au Bien, ou évolue en dehors de l’un et de l’autre.

Le Bien et l’innocence existent-ils ? Si oui, où sont-ils ? Chez les enfants ? Pas nécessairement. Les frontières des mondes adulte et enfantin, souvent opposées, ont parfois tendance à s’estomper. Un groupe de garnements ne simule-t-il pas une pendaison ? Mais alors ? Le Mal avance, campé par Powell/Mitchum et sa misogynie, que dis-je ?, sa détestation de la Femme et de la Chair. Avec des climax : le couteau trituré frénétiquement au fond de sa poche pendant une séance de cinéma ; les jeux de mains (et de vilain !) avec les mythiques Hate/Haine et Love/Amour tatoués sur ses doigts ; le sermon jeté à la tête d’une Willa en attente (sexuelle) lors de la nuit de noces (« Tu vois la chair d’Eve que l’homme a profanée depuis Adam ! »). Paradoxe tragique ou grotesque d’un prédicateur dément, fanatique ou hypocrite qui hurle une quête de la pureté quand il viole la Vie ou recherche avidement/vulgairement l’argent et le profit.

La contestation sociologique est patente. La nuit du chasseur dépeint les travers de la société américaine puritaine. Powell ne doit pas être dissocié du reste de l’Humanité, il en est le produit, dans ce qu’il est et dans ce qu’il peut faire. Car la société engendre et laisse exister ce qu’elle refuse de voir. Powell, s’il incarne le Mal, possède l’apparence du Bien par le biais de la beauté de son physique et de sa voix, son statut social d’homme d’église. Une phrase du film saisit toute l’ambigüité de la relation criminel/société : « On reconnaît un arbre aux fruits qu’il porte. » Le fruit représente le criminel, l’arbre la société. Si un arbre porte des fruits pourris, point d’accident, quelque chose de vicié couvait quelque part, latent. Or le film déploie en toile de fond le décor d’une Amérique rongée par l’injustice sociale et la dépression économique, rendue malade par l’argent et le manque d’argent, engoncée dans ses stéréotypes familiaux (la possibilité qu’une femme seule puisse assumer la vie d’un foyer sans l’aide providentielle d’une figure masculine est fustigée). Une société dont Powell nous offre la version radicalisée et amplifiée, la caricature, la mise à nu… hideuse.

THIERRY :

Le réalisateur anglais se permet même de ridiculiser son tueur, le lançant aux trousses des deux orphelins à la manière, titubante et agitée, décalée, d’un vampire Nosferatu échappé du film muet de Murnau.

JULIEN-PAUL :

Les signes et la symbolique abondent. L’eau, à cet égard, joue un rôle central : la rivière Ohio est le lieu où les enfants parviennent à échapper au Mal, à la Corruption, comme si la nature permettait de purifier ou de préserver la Pureté et la Vie. Une dimension rousseauiste ? Ambiguïté, encore. La rivière ne se limite pas à un lieu de passage, d’échappatoire et de mouvement, elle incarne aussi l’immobilité, la stabilité, la permanence… et le Mal, la Mort, s’assimilant à un cimetière invisible où reposent les secrets et les vices inavouables (un cadavre !).

Nous touchons l’étoffe du cauchemar américain, héritage des Pères fondateurs puritains, avec le spectre de la problématique nationale : la culpabilité et l’innocence.

PHIL :

Un peu à la manière des romans de James Ellroy, où des meurtriers ou des policiers aux tendances névrotiques commettent leurs crimes au nom de la pureté, en quête de rédemption, songeant à préserver l’âme innocente des victimes.

JULIEN-PAUL :

Il s’agit alors de tuer avant que les victimes ne tuent la part de pureté en elles. La mort vaudrait mieux que la trahison, la dégradation et la corruption. Le Mal tuerait pour sauver le Bien. Le Mal serait le Bien car il sauve le Bien du Mal.

(SPOILER !)

La situation est donc désespérée ? Non ! In fine, les enfants trouvent refuge auprès d’une vieille dame qui en a recueilli d’autres, de tout âge. Rachel Cooper incarne l’humble croyante, le Bien véritable, dans sa rudesse et sa générosité, la fidélité à l’essence du message christique (« Laissez venir à moi les petits enfants » !). Quand le Cavalier de l’Apocalypse survient, l’affrontement des deux figures religieuses atteint une dimension eschatologique. Faux prophète contre vrai prophète ? Avec un point d’orgue : les deux adultes entonnent un chant commun… avec des paroles différentes (Rachel se référant à Jésus).



Mise en perspective

PHIL :

Doit-on revisiter ce film comme une métaphore du combat entre la dictature, le mensonge, l’apparence ET l’éveil, l’esprit critique, la nécessité de l’émancipation ? Y a-t-il une dimension christique ? Quittez vos familles pour intégrer une communauté d’âmes ? Une ode à la famille recomposée, fondée sur la responsabilité et la capacité plus que sur la filiation ? Il me semble que le Bien, rare et relatif, se faufile très malaisément entre les écueils du Mal et de ses alliés objectifs : l’indifférence, l’assoupissement devant la norme ou le statut. L’image du vieux marin qui avait promis son aide à John mais qui dort, abruti par l’alcool, quand celui-ci est en danger de mort et le sollicite, rappelle encore les Evangiles et le reniement de Saint-Pierre. La douleur est abyssale : nous sommes seuls au monde. Quasi. Car une lumière dans les ténèbres…

Considéré comme l’un des meilleurs films de tous les temps un peu partout dans le monde (classé deuxième par les Cahiers du cinéma en 2008, conservé à la Bibliothèque du Congrès américain pour son « importance culturelle, historique ou esthétique »), ce film est un OVNI. La seule réalisation d’un comédien/acteur britannique d’exception, l’oscarisé Charles Laughton (inoubliables Quasimodo ou Bligh du Bounty, double d’Hitchcock dans L’auberge de la Jamaïque, extraordinaire dans Témoin à charge, etc.). Qui a aussi co-écrit le scénario. La seule ? Parce que le film, à sa sortie, ne connut ni le succès public ni la reconnaissance critique, qui vinrent tardivement, comme trop souvent.

Y eut-il un état de grâce autour de la création, que Laughton n’aurait pu reproduire ? Doit-on au contraire nourrir d’infinis regrets en songeant à la carrière abandonnée ? Ce qui est sûr et à méditer, c’est la distorsion entre le succès (immédiat) et le talent. Mais, quoi qu’il en soit, Laughton appartient doublement à l’Histoire du Cinéma.

Lilian GISH !

PHIL :

Rachel Cooper, l’adversaire de Powell/Mitchum, est jouée par Lilian Gish (1893-1993). Celle-ci a été, des décennies plus tôt, l’une des plus grandes stars de l’ère du muet au côté des Greta Garbo et autres Louise Brooks, l’incarnation d’une féminité délicate, la muse de Griffith, qu’elle a accompagné durant une vingtaine de films, avant de se diversifier, transcendant La lettre écarlate ou Le vent de Victor Sjöström.

Lilian Gish a disparu précocement du grand écran, les studios (machistes) lui faisant payer très cher son indépendance et son pouvoir (comme à Brooks ou Garbo).  Elle se réfugiera alors sur les planches de Broadway, où elle brillera des décennies durant, revisitant ponctuellement le cinéma pour ajouter quelques pépites (La nuit du chasseur, Duel au soleil, Le vent de la plaine) à un parcours remarquable. Des Mike Nichols ou Robert Altman feront encore appel à ses services. Jeanne Moreau lui a consacré un documentaire en 1983 et François Truffaut lui a dédié La nuit américaine.

Rachel Cooper, gardienne des enfants (et de l’Humanité ?), est-elle un clin d’œil au rôle mythique de Gish, Mère de… l’Humanité dans Intolérance ?

Voir notre article sur Intolérance :

Julien-Paul REMY, Thierry VAN WAYENBERGH et Philippe REMY-WILKIN.

VERS UNE CINÉTHÈQUE IDÉALE LES ANNEES 40 par A. NYSENHOLC, D. MANGANO, N. DEWEZ, J.-P. REMY & Ciné PHIL RW

VERS UNE CINETHEQUE IDEALE

100 films à voir absolument

Une analyse décennie par décennie, un feuilleton en 12 épisodes

qui court des débuts du cinéma aux années 2010.

Voir la présentation du projet et de l’équipe, le plan général et les dossiers ouverts :

(V)

Les années 1940

Ciné-Phil RW à la mise en place ; Adolphe NYSENHOLC, Daniel MANGANO et Nausicaa DEWEZ au contrepoint.

Avec l’intervention de Julien-Paul REMY dans 1 analyse de film.

Un Top 10 de la décennie

(dans le désordre)

. (25/100) Casablanca (Michael Curtiz, EU, 1942).

Topest ! On est soufflé par la qualité du film, la maestria de la construction, l’humanité qui se dégage, le glamour des starissimes Ingrid Bergman et Humphrey Bogart.

ADOLPHE :

Chef-d’œuvre de l’Histoire du cinéma, ce film, sur fond de conflit mondial, illustre l’amour romantique par excellence de l’âge d’or d’Hollywood et continue à bouleverser les cœurs. Réalisé avec grand art en 1944, il participait à la propagande contre le IIIe Reich, dans le cadre de l’effort de guerre demandé par le président Roosevelt.

NAUSICAA :

Casablanca est LE classique de Michael Curtiz, mais je tiens à mentionner son Roman de Mildred Pierce(1945), histoire d’une mère qui sacrifie tout pour sa fille ingrate. Joan Crawford y est renversante. 

. (26/100) Le ciel peut attendre/Heaven Can Wait (Ernst Lubitsch, EU, 1943).

Un bijou de comédie sentimentale, une ode à l’humanisme. J’A-DO-RE ! Pas le plus célèbre des Lubitsch mais rend heureux. Comme du Capra, mais avec une louche d’anticonformisme vivifiant. Inoubliables Don Ameche, Gene Tierney et Charles Coburn !

Voir notre article sur le film et le cinéaste en trio Nausicaa/Julien-Paul/Phil :

. (27/100) Citizen Kane (Orson Welles, EU, 1941).

A la première rencontre, cette œuvre m’a paru mériter pleinement son statut de meilleur film de tous les temps, attribué par la majorité des critiques (les Cahiers du Cinéma, l’American Film Institute, etc.), j’ai été médusé devant la démonstration du talent pur.

A la deuxième vision, je n’ai plus été transporté. Certes, il y a les plans magistraux, la voix grave d’Orson ou la joie de revoir le grand Joseph Cotten (au cœur d’un triplé magique avec Le troisième homme de Reed et L’ombre d’un doute de Tonton Hitch), celle de redécouvrir des acteurs qui ont marqué mon enfance dans des séries TL (le vilain Basilio de Zorro ou la mégère belle-mère de Bewitched), il y a Rosebud, l’énigme raffinée (qui touche à l’essence de l’être), un découpage original et percutant. Mais. La dramatisation du tout m’a semblée vieillie, manquer d’un liant entraînant. Pourtant, j’ai été très ému. Par le message profond du film, qui touche au sens de la vie et à la quête du bonheur, à l’adéquation à autrui. Welles, orphelin à 15 ans, après avoir eu des parents formidables, a sans doute mis beaucoup de son ressenti face au monde. Et dire qu’il avait 26 ans à la sortie du film ! Génie !

PS

Un film récent (2020, EU), Mank, de David Fincher, vient contrepointer l’histoire officielle du film en révélant les talents prodigieux et la destinée tragique du frère aîné du grand Joseph Mankiewicz : Herman MANKiewicz. Mank a reçu l’Oscar du scénario pour Citizen Kane mais conjointement avec Orson Welles. Or le premier serait à l’origine de l’essentiel de celui-ci, ayant livré au second un script de 200 pages en se conformant à son cahier de charges : un récit labyrinthique, des perspectives multiples, un personnage hors du commun, etc.

. (28/100) Les enfants du paradis (Marcel Carné, France, 1945).

Le meilleur film français de tous les temps, ai-je souvent lu. Possible ? Probable. Un diptyque qui recrée le monde du théâtre au XIXe siècle. D’une beauté à tomber !

. (29/100) Les enchaînés/Notorious (Alfred Hitchcock, EU, 1946).

Œuvre phare du Maestro. Sur fond de guerre et d’espionnage, où l’amour pur et la manipulation la plus perverse s’entrecroisent au cœur d’aventures palpitantes. Avec les sublimes Cary Grant et Ingrid Bergman. Le plus beau couple de l’histoire du cinéma ? Devant Bogart/Bergman, cités supra ?

. (30/100) Le trésor de la Sierra Madre (John Huston, EU, 1948).

Film d’aventures grandiose. Tellement subtil et moderne. D’après l’auteur mythique Traven, aussi insaisissable que Sallinger.

Selon le romancier belge Nicolas Marchal, il s’agirait du contrepoint de L’Ile au trésor, l’idéal complément, la face sombre de la quête.

. (31/100) Indiscrétions/The Philadelphia Story (George Cukor, EU, 1940).

Ce sommet de la Screwball Comedy réunit Katherine Hepburn, Cary Grant et James Steward, soit les trois plus grands comédiens de comédie de tous les temps, les deux acteurs préférés du divin Tonton Hitch. Bijou ! Feel Good Moovie !

NAUSICAA :

Le duo Grant/Hepburn, mis à l’honneur dans notre évocation des années 1930, est rejoint par James Stewart pour Indiscrétions, leur quatrième et dernier film commun. La décennie 1940 est celle de la naissance du couple Katharine Hepburn/Spencer Tracy, avec notamment La femme de l’année(George Stevens, 1942) et Madame porte la culotte (George Cukor, 1949).

. (32/100) La vie est belle/A Wonderful Life (Frank Capra, EU, 1946).

Idéal pour un début de déprime. Redonne foi en l’homme. James Stewart, jeune, y est inoubliable. Plus globalement, Capra règne sur la comédie des années 30/40 avec le tout aussi (ou plus encore ?) formidable Lubitsch.

NAUSICAA :

Ce classique des réveillons de Noël me semble, malgré la fragilité du personnage interprété par James Stewart, une ode au pater familias dégoulinante de moralisme et de bons sentiments. Indigeste après la dinde et la bûche.

. (33/100) Le dictateur/The Great Dictator (Charlie Chaplin, EU, 1940).

La scène de la passerelle ! Le dictateur jouant avec une boule du monde ! Le discours final ! Art engagé. Mais tout art véritable n’est-il pas engagé ? Chaplin, ici, s’érige en modèle absolu pour tous les artistes qui veulent changer le monde, dénoncer ce qui déraille, promouvoir ce qui peut rédempter.

. (34/100) Le troisième homme (Carol Reed, GB, 1949).

Le thriller parfait ? Intrigue imparable. Péripéties, suspense, coups de théâtre, émotion. Mise en scène magnifique. Images à tomber. Acteurs formidables (Orson Welles, Joseph Cotten, Alida Valli, etc.). Musique inoubliable. Arrière-plan politique et sociologique.  Scènes qui marquent l’imaginaire au fer rouge : la Grande Roue du Prater, la poursuite dans les égouts de Vienne…

D’autres chefs-d’œuvre sont évoqués dans toutes les anthologies du 7e Art

. Côté Etats-Unis…

Des films noirs : Laura (Otto Preminger, 44), un envoûtant polar, une œuvre culte, avec la sublime Gene Tierney, un découpage moderne ; Gilda (King Vidor, 40), qui immortalise Rita Hayworth en danseuse aux jambes interminables ; Le grand sommeil (Howard Hawks, 46), un récit magistral et une intrigue incompréhensible ; Assurance sur la mort (Billy Wilder, 44), une très sombre histoire de passion fatale ; Le faucon maltais (Huston, 41), une des interventions mythiques de Bogart ; Péché mortel/Leave Her to Heaven (John M. Stahl, 45), avec une Gene Tierney à (terrifiant) contre-emploi.

Des films fantastiques : Fantasia (Walt Disney, 40), mon dessin animé préféré, qui… anime de magnifiques partitions et révèle la musique classique à d’autres publics ; La féline (Jacques Tourneur, 42), où une jeune femme se transforme en panthère noire impitoyable.

Des films sociologiques : Les raisins de la colère (John Ford, 40) sur la Grande Dépression et ses légions de laissés-pour-compte ; Les plus belles années de notre vie (William Wyler, 46) ; Les voyages de Sullivan (Preston Sturges, 41)… que je n’ai jamais pu visionner.

Un film mêlant suspense et interrogations sur l’âme humaine : Le secret derrière la porte (Fritz Lang, 48).

Des westerns : La charge héroïque/She Wore a Yellow Ribbon (John Ford, 49), ses seconds rôles épatants (Ben Johnson, Victor Mac Laglen), Monument Valley, en couleurs cette fois, la scène mythique où Wayne parle à la tombe de sa femme, l’évolution du regard porté sur les Indiens ; Duel au soleil (King Vidor, 46), où il est question d’un amour passion pas politiquement correct, avec Gregory Peck et un Cotten à contre-emploi.

Des comédies : en mode burlesque, commeLes as d’Oxford (Alfred Goulding, 40), avec Laurel et Hardy ; en mode plus dramatique avec Capra, cité dans notre Top 10 supra, qui livre encore Arsenic et vieilles dentelles (44), avec Cary Grant, ou L’homme de la rue/Meet John Doe (41), avec Gary Cooper.

Enfin, n’oublions pas l’apport magistral et éclectique d’Orson Welles, qui ne se résume pas à Citizen Kane. On lui doit une première (remarquable) adaptation de Shakespeare, Macbeth(1948), un sillon qu’il approfondira plus tard (Othello en 1951 et Falstaff en 1965). Mais d’autres perles sont à mentionner et visionner : La splendeur des Amberson(1942), La dame de Shangaï (1947).

DANIEL :

Si la liste ci-dessus me semble excellente, à propos de William Wyler, j’ajouterais au merveilleux film cité un autre moins poignant mais assez intrigant : The Letter (40), pour sa progression sophistiquée et l’impeccable Bette Davis. Enfin, faons et enfants, pour l’émotion ressentie dans ma petite enfance, je m’en voudrais de ne pas citer Bambi (Walt Disney/David Hand, 42), merveille de savoir-faire et de grâce artisanale (pas de cinéthèque idéale sans film pour enfants), et Jody et le faon (Clarence Brown, 46), avec le couple Gregory Peck/Jane Wyman et surtout le tout jeune Claude Jarman Jr qui, malgré son oscar et son talent, ne fera pas la carrière promise. Le premier film se termine bien, pas le second : faon qui rit et faon qui pleure…

PHIL :

Ah, Jody et le faon ! J’ai éprouvé, enfant, a contrario une répulsion absolue pour ce que dégageait Jarman Jr, symbolisée par l’insupportable (pour moi) : « P’Pa ! ». A psychanalyser ?

NAUSICAA :

Pour le film noir, je mentionnerais aussi Le facteur sonne toujours deux fois(Tay Garnett, 1946). L’un des grands classiques du genre, et étonnant chef-d’œuvre dans la filmographie d’un réalisateur pour le reste assez peu en vue. Avec Lana Turner dans le rôle de la femme fatale.

Concernant Preston Sturges, il s’agit d’un réalisateur un peu oublié aujourd’hui, dont toute la carrière ou presque tient dans la décennie qui nous occupe. Les voyages de Sullivan est un très beau film, poétique et social, souvent cité dans les anthologies du cinéma, mais il ne doit pas faire oublier d’autres films particulièrement réussis, dans la veine comique ceux-là : Un cœur pris au piège (1941) ou encore Madame et ses flirts (1942).

Le film musical connait aussi une superbe décennie, qui voit les débuts de Vincente Minnelli et quelques grands films de Fred Astaire avec ou sans Ginger Rogers : L’amour vient en dansant(Sidney Lanfield, 1941), Ziegfeld Follies (Minnelli, 1946), Entrons dans la danse (Charles Walters, 1949).

. Côté Italie…

Le voleur de bicyclette (Vittorio De Sica, 48), emblème bouleversant du ciné néo-réaliste italien avec Rome, ville ouverte (Roberto Rossellini, 1944). L’influence du Voleur sur l’histoire du cinéma est telle qu’il mériterait une place dans un Top 10 intrinsèque/neutre de la décennie.

NAUSICAA :

J’aurais en effet volontiers glissé Le voleur de bicyclette dans le Top 10 à la place du Capra. Film magistral du néo-réalisme, qui marque assurément cette décennie.

DANIEL :

L’extraordinaire Voleur de bicyclette, oui, avec ses acteurs non professionnels criants de vérité !

ADOLPHE :

Le voleur de bicyclette, « quintessence du néo-réalisme » (Leprohon, références dans l’article ci-dessous), eut une énorme influence internationale par « la façon dont il renouvela la dramaturgie du film » (Sadoul, idem).

NDLR :

Un article OFF sur ce chef-d’œuvre s’imposait donc ! Et le trio Adolphe/Daniel/Phil s’y est appliqué : https://lesbellesphrases264473161.wordpress.com/2021/10/03/12329/

DANIEL :

Cette décennie voit les débuts du néo-réalisme italien après les minauderies de la période mondaine des « téléphones blancs » : La terre tremble(Luchino Visconti, 48), d’après le roman de Giovanni Verga ; Paisà (Rossellini, 46) ; Quatre pas dans les nuages (Alessandro Blasetti, 42), un film poétique étonnant de la part d’un cinéaste modeste.

NAUSICAA :

De Luchino Visconti aussi, Les amants criminels(1943).

Sans atteindre les sommets du Voleur de bicyclette, Sciuscià (1946) vaut d’être (re)vu. Une autre illustration de l’extraordinaire talent de Vittorio De Sica à faire jouer des enfants (ils sont deux acteurs principaux dans ce film).

. Côté France…

Le corbeau (Henry-Georges Clouzot, 43), à la noirceur glauque, fantasme de mon enfance, de préférence aux célèbres L’assassin habite au 21 (42) ou Quai des orfèvres (47), adaptés d’après notre Stanislas-André Steeman.

La belle et la bête (Jean Cocteau, 46), un conte de fées horrifique mais onirique aussi.

Marcel Carné, évoqué supra, livre encore Les visiteurs du soir (1942), un très beau film fantastique, avec un décapant Jules Berry dans le rôle du diable. 

DANIEL :

Raimu, un acteur hors du commun, est époustouflant en avocat alcoolique dans Les inconnus dans la maison (Henri Decoin, 42).

NAUSICAA :

Tati, avant de devenir Monsieur Hulot, sort un premier long métrage, Jour de fête, en 1949. Robert Bresson adapte librement Diderot dans Les dames du bois de Boulogne (1945) – un épisode de Jacques le fataliste qui inspirera 73 ans plus tard Emmanuel Mouret pour Mademoiselle de Joncquières (2018).

. Côté Grande-Bretagne…

David Lean, qui brillera plus tard, dans les méga-productions Le pont de la rivière Kwaï/Lawrence d’Arabie/Docteur Jivago, nous offre d’inoubliables adaptations littéraires : Brève rencontre/Brief Encounter (1945, d’après une pièce de Noël Coward), Les grandes espérances et Oliver Twist (1946 et 1948, d’après les romans de Charles Dickens).

Laurence Olivier, dans le même registre de l’adaptation littéraire, s’attaque à Shakespeare : Henry V (1944) et Hamlet (1948).

 Le duo Michael Powell/Emeric Pressburger livre Les chaussons rouges (1948), une mise en abyme de la création artistique, que Martin Scorsese et  Brian De Palma placent au sommet de la cinéphilie, et Le narcisse noir (1947), un récit troublant sur une poignée de nonnes perdues en Himalaya. Notre ancien complice (voir les premiers épisodes de la Cinéthèque) Thierry Defize aurait ajouté (et préféré) Le colonel Blimp (43) et A Canterbury Tale (44).

DANIEL :

La poésie de Powell et Pressburger ! A partir d’une commande (un film de propagande censé célébrer l’amitié anglo-américaine), ils créent avec Une question de vie ou de mort (46) une improbable histoire d’amour entre terre et au-delà, couleur et noir/blanc, rêve et réalité. Un style kitsch mais inimitable.

. Coté Russie et républiques socialistes…

Ivan le terrible (Sergueï Eisenstein, 44), un film historique aux décors sidérants.

. Côté Scandinavie

NAUSICAA :

Les débuts d’un très grand ! Le Suédois Ingmar Bergman réalise ses premiers longs-métrages dans les années 1940, notamment Crise (1946) et Ville portuaire (1948). Les chefs-d’œuvre à venir sont déjà en germe.

. Côté Asie…

On note l’émergence du cinéma japonais, qui brillera de mille feux durant la décennie suivante : Un merveilleux dimanche (Akira Kurosawa, 47), L’amour de l’actrice Sumako (Kenji Mizoguchi, 47), Printemps tardif (Yasujiro Ozu, 49).

Coups de cœur personnels

. Le train de la mort/Terror by Night (Roy William Neill, EU, 1946).

Nous avons déjà évoqué ce film dans la décennie 1930 (article sur Une femme disparaît). L’un de mes 3 films de train préférés de tous les temps. Avec Sherlock/Rathbone ! Divin et définitif ! Et Nigel Bruce, d’une truculence ! Mais effrayant ! Je l’ai élu de peu devant La griffe sanglante et j’eusse pu choisir la série complète des films tirés, ou vaguement inspirés selon les cas, de l’œuvre de Conan Doyle : ils ont enchanté/terrifié mon enfance (le grand film du dimanche à 17h sur la première chaîne française !). Quand la série B surpasse la A ?

. L’assassinat du Père Noël (Christian-Jaque, France, 1941).

Une enquête policière teintée d’onirisme et de poésie dans un village coupé du monde par la neige. Le film a envoûté ma prime jeunesse. Une adaptation de Pierre Véry, comme Les disparus de Saint-Agil. Un cinéma français trop oublié, avec des comédiens formidables, très théâtraux : Harry Baur, Raymond Rouleau, Robert Le Vigan.

. Rebecca (Hitchcock, EU, 1940). Gracile Joan Fontaine. Ténébreux Laurence Olivier. Et Miss Danvers dans le gotha des meilleurs méchants. Influence de l’expressionnisme allemand manifeste. Ce contraste entre la lumineuse Côte d’Azur et la sinistre Manderley. Du conte de fées rose au thriller glauque. Et mon acteur fétiche en vilain, George Sanders. Œuvre phare.

Ou alors… TOUT HITCH ? Car…

Sa productivité est extraordinaire durant la décennie !

Nous avons déjà cité Les enchaînés (Top 10) et Rebecca (coup de cœur), mais que de perles encore !

Correspondant 17 (1940) est un récit d’espionnage des plus gouleyants. Des scènes mythiques : les moulins hollandais, l’attentat sur les marches, le crash final de l’avion. Un mélange de genres très ébouriffant : romance et Screwball Comedy, aventures, thriller d’espionnage, catastrophe et propagande. Avec la tirade finale antinazie et un appel à sauver la civilisation. George Sanders est délicieux. Laraine Day à tomber et on s’étonne qu’elle n’ait pas fait une plus grande carrière. Le héros est joué par Joël McCrea, immense vedette assez oubliée que je juge assez pâlichon par rapport à des Cary Grant ou James Stewart.

Soupçons (1941), et son couple Cary Grant/Joan Fontaine, où Hitch ne put aller au bout de ses fantasmes meurtriers.

L’ombre d’un doute (1943), tout en perversité.

Lifeboat (1944), un film de propagande pour soutenir l’effort de guerre, une sorte de huis-clos sur un canot, en pleine mer, très sombre entre des rescapés d’un torpillage (des Anglo-Saxons et un Allemand énigmatique).

La maison du docteur Edwardes (1945), ou l’irruption de la psychanalyse chez Tonton Hitch, Salvador Dali compris, avec un couple glamour en diable Ingrid Bergman/Gregory Peck.

La corde (1948), son cultissime huis-clos et son (faux…) seul raccord (… car il en masque plusieurs !), ses ambigüités sexuelles et… James Steward.

D’autres œuvres sont moins abouties mais intéressantes : Mr et Mrs Smith (1941), une comédie (la seule de sa carrière !) un peu trop mièvre ; La cinquième colonne/Saboteur (1942), à ne pas confondre avec Sabotage ; Le procès Paradine (1947), un film de prétoire avec un Charles Laughton des plus pervers ; Les amants du Capricorne (1949), Ingrid et Cotten dans un film à costumes déconcertant.

Who Knows ?

. DANIEL :

Durant cette décennie, le lien entre violence de l’époque et créativité artistique semble conforter le propos ironique d’Orson Welles à Joseph Cotten dans la fameuse scène de la Grand Roue du Troisième homme :

« Guerre civile et terreur en Italie… mais cela donne Michel-Ange, Léonard de Vinci et la Renaissance ; 500 ans de fraternité, de paix et de démocratie en Suisse, cela produit la pendule à coucou. »

On peut se demander si la folie humaine collective ne se reflète pas aussi au plan individuel dans ces films qui mettent en scène des femmes hantées par la mort et manipulées, en prise avec la peur de sombrer dans la démence : Rebecca et Les amants du Capricorne, cités supra, Gaslight (1940/Dickinson et 1946/Cukor).

. PHIL :

La supériorité du cinéma américain, telle qu’elle s’affiche dans nos évocations, ne doit pas occulter le phénomène économique et sociologique qui sous-texte. Si on épluche nos listes et qu’on mène quelques investigations, il apparaît vite que de nombreux créateurs majeurs sont des Européens d’origine : Chaplin et Hitchcock sont anglais ; Michael Curtiz (Kertesz !), Billy Wilder, Ernest Lubitsch ou Fritz Lang sont des Juifs ayant fui la menace nazie, le premier hongrois, le deuxième polonais, les deux derniers allemands ; Capra est né en Italie ; etc.

ADOLPHE :

Tu as raison de souligner l’apport européen au cinéma américain : ce dernier a donné l’occasion aux cinéastes, acteurs et producteurs réfugiés ou exilés du Vieux Continent de s’épanouir d’une manière inouïe. Et la méthode du russe Stanislavski a fécondé profondément l’art de jouer à travers ses disciples de l’Actor’s Studio (Elia Kazan, Lee Strasberg, etc.). Le monde entier a fait Hollywood, dans une certaine mesure.

Nausicaa Dewez, Adolphe Nysenholc, Daniel Mangano et Ciné-Phil RW.

Plan du feuilleton Vers une Cinéthèque idéale

Nous nous limitons ici aux articles initiaux des différents dossiers. Ceux-ci renvoient à de nombreux autres articles.

Présentation du projet (introduction, équipe, plan) :

Préhistoire du cinéma :

Années 1910 :

Années 1920 :

Années 1930 :

Feuilleton complémentaire d’Adolphe NYSENHOLC sur le premier top 12, en 1958 :

Top 100 en cours

(1) Le voyage dans la lune (Georges Méliès, France, 1902).

(2) Le vol du grand rapide (Edwin S. Porter, E.U., 1903).

(3) Naissance d’une nation (D.W. Griffith, Etats-Unis, 1915).

(4) Intolérance (D.W. Griffiths, Etats-Unis, 1916).

(5) Le cabinet du docteur Caligari (Robert Wiene, Allemagne, 1920).

(6) Le cuirassé Potemkine (Serguei Eisenstein, Russie, 1925).

(7) Le journal d’une jeune fille perdue (G.W. Pabst, Autriche, 1929).

(8) L’aurore (Murnau, Allemagne/EU, 1927).  

(9) Docteur Mabuse, le joueur (Fritz Lang, Allemagne, 1922).

(10) Le Kid (Charlie Chaplin, GB/EU, 1921).

(11) Le vent (Victor Sjöström, Suède/EU, 1928).

(12) La passion de Jeanne d’Arc (Carl Theodor Dreyer, Danemark, 1928).

(13) Napoléon (Abel Gance, France, 1927).

(14) Le mécano de la General (Buster Keaton, EU, 1927).

(15) Autant en emporte le vent (Victor Fleming, EU, 1939).

(16) Les Hauts-de-Hurlevent (W. Wyler, EU, 1939).

(17) Le testament du docteur Mabuse (F. Lang, Allemagne, 1933).

(18) Une femme disparaît (A. Hitchcock, GB, 1938).

(19) King Kong (Merian C. Cooper et E. Schoedsack, EU, 1933).

(20) L’impossible monsieur Bébé (H. Hawks, EU, 1938).

(21) La chevauchée fantastique (John Ford, EU, 1939).

(22) New York-Miami (Frank Capra, EU, 1934).

(23) La grande illusion (Jean Renoir, France, 1937).

(24) Ninotchka (Lubitsch, EU, 1939).

(25) Casablanca (Michael Curtiz, EU, 1942).

(26) Le ciel peut attendre/Heaven Can Wait (Ernst Lubitsch, EU, 1943).

(27) Citizen Kane (Orson Welles, EU, 1941).

(28) Les enfants du paradis (Marcel Carné, France, 1945).

(29) Les enchaînés/Notorious (Alfred Hitchcock, EU, 1946).

(30) Le trésor de la Sierra Madre (John Huston, EU, 1948).

(31) Indiscrétions/The Philadelphia Story (George Cukor, EU, 1940).

(32) La vie est belle/A Wonderful Life (Frank Capra, EU, 1946).

(33) Le dictateur/The Great Dictator (Charlie Chaplin, EU, 1940).

(34) Le troisième homme (Carol Reed, GB, 1949).