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En illustration de couverture, nous surprend cette œuvre littéralement flamboyante de l’artiste roumaine Diana Rachmuth : un kimono dont la totale transparence laisse voir un corps de flamme féminin : sacrifice d’amour ou bien cauchemar ? Impression apparentée à celle que produisent ces corps de femmes étrangement disparues dont il ne reste qu’une enveloppe, mystère à la fois poétique et inquiétant que l’on découvre dans le célèbre livre »Sleeping beauties » de Stephen King. Rêve ou réalité ?
Telle est la question rémanente que pose l’auteur Claude Luezior en train d’analyser cet étrange état ressenti entre sommeil et réveil : « Assoupi / je questionne / des rêves / qui enjambent / la raison »( p.9)
Aux confins de la conscience et du sommeil, les pensées se libèrent du carcan de la raison, des lois de morale orthonormée ; elles investissent les fourrés impénétrables, vont frayer dans des avens remplis de scories inexpliquées, et de façon aléatoire révèlent leur présence active tantôt poignante tantôt loufoque. Ces pensées, signes vivaces d’un monde intérieur troublé, changeant, immaîtrisé, servent de mangeoire où vont se nourrir cauchemars et terreurs ainsi que désirs exsangues soudain en plein assouvissement.
Et c’est là que l’esprit s’active, se débat au »démêloir des heures », car ce monde à la fois étrange et attirant qui s’affranchit souvent de la morale et des interdits, c’est ce monde là, ce monde en marge et en perpétuel mouvement que nous présente l’auteur : » une jouvence nouvelle / transgresse les ombres / bouscule et heurte / l’immobile » (p. 11)
Avancer dans l’obscur, sans phare, éclairé par les turbulences de l’esprit qui a rompu les amarres, tel est ce no man’s land peuplé d’obstacles imprévus et imprévisibles, où soudain se révèle vraie et vivante la présence de ce petit chien ami que l’on est en train de caresser : » pourtant ma petite chienne / s’est enroulée sur moi-même / apaisée sous ma main / tout près, en un soupir tiède » (p. 21)
Suivront » rimailles et rossignols », » Becs et hiboux carnivores », » le psychiatre remplaçant le devin » et puis par bonheur, puisque l’auteur nous le certifie, viendront » D’irrésistibles muscs dénouer leurs alchimies » pour qu’ » en mes houles / frissonnent / des insouciances » (p. 58) et voilà que » Comme par magie / l’éloquence d’un baiser / magnétise mon souffle » (p. 80). Il sera alors temps de se rasséréner puisqu’enfin le jour se lève : » les marges de l’obscur / ont décharné / les résilles de la déraison / leur regard sépia / a fait place / aux rires de l’aube » (p. 88).
AU DÉMÊLOIR DES HEURES de Claude LUEZIOR : un voyage en terrain connu, celui de la somnolence avec ses pics de profundis et ses arrêts sur image lorsque surgit tantôt une cohorte mortifère, tantôt un vision angélique.
Il s’agit d’une œuvre élaborée de main de maître avec la nécessité de discerner au seuil du sommeil, avec honnêteté, précision et clairvoyance, tant les paisibles vertes prairies que les champs phlégréens de son propre itinéraire intérieur. » Vivre un »au-delà » en des songes transitoires » (p. 65) et puis retrouver le fil d’un quotidien vivant, tourné vers l’avenir, puisqu’enfin » jubilent les persiennes ouvertes ».
Le site de Jeanne CHAMPEL GRENIER
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