MAUVAISES GRÂCES, BONNES RAISONS

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Grâce à la mer. À cause du vent. Grâce à l’os. Grâce au grain. Grâce au crapaud. Grâce au vin. Grâce au vinaigre. À cause du temps. À cause de l’endroit. Grâce au sang. Grâce à l’eau. À cause de la pluie. Grâce aux lèvres. À cause de la langue. Grâce au pain. À cause de la croûte. Grace au peintre. À cause de la musique. Grâce au démon. Grâce aux étoiles. À cause du bruit. À cause de la mouche. Grace aux dés. Grâce au gras. Grâce à la peau. À cause de la colonne. Grâce à l’ordinateur. À cause de mon père. Grâce à l’héritage. À cause du soleil. Grâce aux lunettes. À cause de ton pied. Grâce à hier. À cause de l’avenir. Grâce au gel. À cause de la grève. Grace à la chaleur. Grâce à la tristesse. À cause du chien. Grâce aux grands principes. À cause de l’informatique. Grâce à la publicité. Grâce à la météo. À cause du roi. Á cause de moi. Grâce à l’arrivée du train en gare de La Ciotat. À cause du film. Grâce au  texte. Grâce à la douche froide. Grâce à la répétition. Grâce à la dissection. Grâce au licenciement collectif. Grâce à la dernière place. Grâce à ta bouche. À cause du plaisir. À cause du plaisir… 

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Les parenthèses

( Les parenthèses m’attirent depuis toujours. Leur forme en arc de cercle sont comme des bras accueillants. Je suis à l’affût de la moindre brèche dans l’enceinte et, quand je l’ai repérée, je m’immisce, j’annihile l’occupant ou je l’éjecte, je fais mon trou, je m’installe dans ses pénates en Bernard l’ermite du langage. Personne n’y voit rien. Ah! le bonheur de se sentir au sein d’une phrase, tel un corps étranger dans les entrailles d’un mastodonte, protégé du remous littéraire ambiant, sans risque qu’on vous rejette par delà la frontière au motif que vous n’êtes pas indispensable à la construction du sens. On lit sans me voir le texte pareil à une voie de communication rapide traversant un quartier voué à la démolition. Parfois, des grammairiens avisés, ces policiers de la langue, me remarquent, font état de ma situation irrégulière et me poussent à l’expulsion. Je compte alors sur les associations d’auteurs compatissants, auprès desquels j’ai pu défendre ma cause, pour qu’ils me gardent dans leurs murs. Je promets d’aider au démarquage de leur oeuvre, je leur fais valoir que seule la matière isolée retiendra l’attention de la critique et, fort de cette espérance, ils me tolèrent au milieu de leurs mots.)

Tendresse pâtissière

      –     Mon chou à la crème

            mon éclair au chocolat

            mon Paris-Brest au praliné

            mon croustillant aux noisettes

            mon sablé fleur de sel

            mon baba au rhum

            ma ronde fouace

            mon millefeuilles aux fraises

            ma tarte tatin à la banane

            ma Tropézienne

       ma Forêt noire

       mon Paradis sucré

       ma religieuse

       ma…

      Ouiiiiii ! Quoi, mon amour ?

      Oh rien, je pensais juste au dessert…

 

Les résolutions culinaires

Débauchons poêles et casseroles puis passons par-dessus bord la cuisinière et son amant trop cuit. Pénétrons dans le sous-marin de poche prévu pour les repas portatifs après avoir tordu les couverts et cavalons sur le sable des fonds de mer. Abordons notre première histoire de beurre et brisons les cornichons sur le crâne d’un corsaire mort au champ d’oignons. Acceptons couronnes et festins, orgies et gratins. Enveloppons le dernier paquebot dans de la couenne de fromage aux algues. Enfin, ne demandons pas nos restes – ils ne donnent pas envie – et reconcevons-nous à l’image d’un monde fait de fruits de mer et de rumeurs. En fait, changeons nos silences en appareil auditif dernier cri et laissons glisser profond murmures et queues de cerise. Que cela ne nous empêche pas de roter pour le plaisir d’entendre nos organes imaginaires fonctionner à plein pot et, a fortiori, de saliver à la vue improbable d’une écuyère grandie au saindoux et au sucre de canne nageant pieds nus frangés de fleurs de sel sur son hippocampe mort. 

Matière à désirer

Musiques, corps, images, saveurs… Activez votre désir, ai-je lu dans mon magazine préféré: c’est l’unique façon de rester heureux. Dès lors, j’active, j’active. Tout m’est bon: musiques, corps, images, saveurs… J’ai une telle soif de plaisirs. Un appétit monstre! À la moindre baisse de régime, je cours me réapprovisionner. Musique, corps, images, saveurs… Ah la belle vie! Le monde luxuriant! Hier, j’ai appris que les ressources en cette matière n’étaient pas éternelles et que je risquais d’en manquer sur la fin de mon existence. Mais je suis jeune et le terme de ma vie est lointain. D’ici là on aura découvert des succédanés, des sources de joie neuves, d’inexploitées énergies revitalisantes. La Nouvelle Religion nous le promet. C’est pourquoi je crois au tout-numérique. Musiques, corps, images, saveurs…

 

LA CHASSE AUX DIEUX

artemis-vase-1.jpgChasseurs de toute religion, réunissez-vous!

Chaque année, aux environs de Pâques, des paroissiens et moi-même nous réunissons dans la cour du prieuré. Derrière l’abbé enrubanné nous attendons qu’il donne le signal du départ avec un ciboire et une cuillère. Quand la chasse est déclarée ouverte, nous courons en tendant les mains au ciel et les dieux tombent dans notre escarcelle de doigts par dizaines, par centaines ; c’est fou ce qu’ils sont nombreux ! Comme s’ils n’attendaient que ça depuis l’année dernière, qu’on leur offre une place dans nos âmes transies, dans nos bras en croix.

Rassemblés dans la chapelle, nous découvrons notre butin. Nous faisons le tri entres les dieux comestibles et les autres, tous les autres. Les tout pourris, les tout voilés, ceux qui ont dépassé la date de péremption ; les tout courbés à force d’avoir traîné leur couronne depuis l’aube des temps ; les filous, ceux-là qui ont trouvé à infiltrer la masse des dieux vigoureux, à la mode, aux vertus éprouvées ; les mal embouchés, les rastaquouères, les dieux à dreadlocks, les fumeurs de kif, les dieux en mal de croyants, les dieux relégués au fond de l’église, de la mosquée, du temple, tous les dieux oubliés des livres saints ; les efflanqués, ceux qui n’ont plus de nourriture spirituelle à se mettre sous le dentier ; les calamiteux, les corrompus, les coincés du culte…

Puis sans autre forme de procès, nous les bouffons tout entiers. Avec les os et leurs bas morceaux.

Cela fait un bruit de fin du monde suivi d’un long silence de cathédrale. Nous n’en croyons pas nos ouïes, l’abbé applaudit ses ouailles. Il crie Hosanna plusieurs fois puis s’effondre comme un damné sur le dallage de l’autel et dort en ronflant comme un orque  jusqu’à la messe du lundi matin.   

Evidemment, cela ne fait pas un pli, j’écope chaque fois d’une crise de foi. Et pendant le reste de l’année, je ne peux plus voir le moindre dieu en chocolat. Ni en aucune autre matière. Je plains les dieux avec toutes les couleurs du ressentiment.

En grignotant des démons.

E.A.

Les yeux dans les livres

J’ai perdu mes yeux dans la bibliothèque. Ils ont roulé sur le sol et rebondi, vraisemblablement dans un livre ouvert qui, sous le coup de la surprise, a dû se refermer. Mais lequel? J’ai tâté pendant des heures avant de me faire une raison et de me remettre à lire, en braille, d’autres livres. Un jour, j’ai senti comme des jaunes d’oeuf sous mes phalanges et j’ai su que c’étaient eux. Ils s’étaient invités au coeur d’un roman délectable. J’ai fait semblant de rien, j’ai ramassé mes vieux yeux que j’ai glissés entre les pages d’un livre insignifiant, et j’ai continué à faire couler entre mes doigts tous les mots invisibles dans un bruit de joyeuse dégringolade. Comme une pluie de mots balayée d’un regard.

Le carnet fertile

Je dépose mes graines de textes dans le carnet fertile et, quelques semaines plus tard, le résultat dépasse toutes les espérances. Les textes sont mûrs, ils ont poussé tout seul au bord des pages. Le danger serait alors de les oublier à l’intérieur, qu’ils prolifèrent et débordent sur la couverture, investissent la bibliothèque, la maison où je vieillis, le monde où je respire et qu’il recouvrent la terre entière. Ou bien que, parvenus à maturité, ils dépérissent, se déconnectent du réel, donnent des phrase vides, des mots creux. Couper le texte au bon moment est le seul art dans lequel j’excelle. Quand c’est fait, il me reste à recopier les textes dans un carnet-jardin où viendront les admirer des promeneurs solitaires en mal de sensations mortes. 

L’aventure intérieure

Moi aussi j’ai été bourreau, cheminée d’usine, feuille de saule, enveloppe charnelle. Je me suis envoyé de par le monde avec de la fumée sous les ailes et de grandes épées à saucisonner les royaumes de bonté en rondelles de violence. Comme vous vous en doutez, cela n’a pas duré: la supercherie a été dévoilée. Je suis redevenu ce qu’au fond j’étais toujours resté: un désert de solitude, une girouette, une mouche à caca. Et j’ai continué à écouler mon sable froid telle une clepsydre de glace en tournant sans fin à la recherche d’une déjection canine de la plus chaude importance.

Bol verbal

Les voyelles avalées tombent dans la trachée artère avec un bruit de glotte mal refermée. Pour les repêcher, il faudrait une ligne de mots avec un appât bien garni. Il ressortirait de l’étang aux nourritures spirituelles avec aux entournures des restes de mots moisis, des filaments de lettres sales, des phonèmes endommagés. Les voyelles avalées, en chutant, franchissent le mur du son, elles pétaradent dans le corps du texte dans un bruit de tonnerre verbal. Le ciel interieur s’illumine de traînées de paroles. Le vent souffle si fort qu’il faut ouvrir toute grande les voies d’accès à l’irraison. On s’époumone et les poissons du soufle déversent leur cargaison d’huile essentielle. Les voyelles oubliées raclent les fonds de langage en venant résonner dans l’alphabet.