Épisode 14: Dieu (2ème partie)

         Chacun court le risque sérieux de croire en Dieu  (A.Chavée)

Le plus étonnant, ce furent les témoignages de ceux qui L’avaient vu (43%), étaient persuadés de L’avoir entendu (58%), de Lui avoir parlé (23% dont 19% sur leur portable), de Lui avoir écrit (17%, dont 12 % quand même déclarant avoir échangé des sms avec Lui), d’avoir été en vacances avec Lui (3%), d’avoir dormi dans le même sac de couchage (1,2%), de repasser  Ses effets (0,04%), de Lui avoir donné de l’argent (1,5%), de lui devoir de l’argent (0,5%), de travailler pour Lui (17% dont 83% dans l’industrie du sexe). Certains (pas forcément des prêtres) disaient vivre avec Lui et faisaient donc partie de toutes les catégories.

 

La plupart attendaient toujours une preuve de Dieu. Les preuves de vie des otages des Farc étant, il faut le dire, infiniment supérieures, à celles de Dieu… Dieu est discret, dirons-nous, ou alors il chausse des Ray Ban. Enfin, j’eus quelques témoignages de croyants sincères mais pas un seul de prêtre. On ne demande pas à un postier d’aimer poster, à un métallo d’aimer sa coulée, un gille d’aimer les oranges, ni à une femme de mauvaise vie d’aimer son existence…

 

Le pape (enfin un certain Joseph R.) posta un commentaire sur mon blogue, il demandait où il pouvait avoir accès incognito à un distributeur de préservatifs car, disait-il, dans un mauvais allemand truffé d’italien et de latin de messe (que je peinai à décrypter, je dois l’avouer), son entourage immédiat lui dépeignait l’objet comme un mini-parapluie laissant tomber la semence sur les côtés et peu efficace, à ses dires. De plus son ordinateur particulier, le Saint PC, avait depuis longtemps été expurgé de toute image libidineuse.

A la fin, je voyais Dieu partout: quand on frappait à la porte, quand mon GSM sonnait, je pensais que c’était Lui ; quand j’ouvrais mon portable, une grande lumière m’envahissait etc. Le plus difficile, c’était d’imaginer mon intérieur dans vingt ou trente ans parcouru par des groupes de pélerins venu se recueillir sur les lieux de mes nombreuses apparitions validées à 100 % par l’Eglise. 

Je déconnectai au bon moment ! Encore un peu et je serais entré dans les ordres au monastère de mon village où je me serais occupé du cyber espace marketing consacré à la vente des fromages et des bières. Aussitôt après, j’ai ouvert un blogue consacré au Dalaï Lama, mais quand je me suis senti léviter au-dessus du four à micro ondes, je me suis dit que la spiritualité de masse ne me valait rien et j’ai fait une retraite bien méritée au fond de ma cave à vin. Où, soit dit en passant, je retrouvai quelques traces de Dieu (d’un vilain vert) mais qui ne m’importunèrent pas longtemps, je vous rassure.

 

Épisode 13 : Dieu (1ère partie)

Résumé des épisodes précédents : Au sortir d’une rupture avec une psy givrée, le narrateur retrouve sa mère dans un état pitoyable. Il se pose des questions existentielles.

Ma virée à la mer m’avait laissé tout déconfit. L’état de ma mère à la mer, son dénuement, le camp désert, l’idée de la fin des blogues, tout ça m’avait naturellement conduit à l’idée de Dieu. Je créerais un blogue sur Dieu. Pas en me prenant pour lui (cela a déjà été joliment fait), non, un blogue sérieux, avec des stats, des strates, sollicitant l’avis d’un maximum de commentateurs. Dieu est bien un des seuls gars qui n’ait pas besoin d’être déclaré nu pour rameuter des visiteurs sur son seul nom. On ne tape pas « Dieu nu ». Dieu est la nudité même ! Dieu n’a pas de limites, c’est bien cela qui le rend effronté, antipathique, qui lui attire des récriminations de toutes sortes. Et si Dieu, à la fin, était aussi limité qu’une fonction dérivable ou que l’arrière grand oncle de ma marraine qui, sur la fin, dérivait pas mal des méninges.   

Dieu tout habillé fait aussi recette, soit dit en passant. Difficile toutefois de l’imaginer dans du Jean-Paul Gaultier ou en maillot de bain sur la plage de Dunkerke mais pourquoi pas. Dieu n’est pas le pape quand même. Mais la vêture de Dieu importe-t-elle ? Qu’en pensent les théologiens avertis (qui en valent deux)? Nous ne trancherons pas ici, soyez-en assurés.

Donc, en trois clics, j’avais créé mon blogue. Et j’attendis les témoignages sur Son existence. But the first question was : Croyez-vous en Dieu ? Après une semaine, j’avais un pourcentage de 38% de oui, 45% de non (parmi lesquels une majorité de lecteurs d’Onfray), et le reste de ni oui, ni non. J’eus bien sûr droit au lot commun d’indécis, d’imbéciles, de chieurs qui postèrent des coms blindés de citations, de références de bouquins de théologie, que je bennai sur le champ, histoire de ne pas repousser le visiteur lambda qui s’était arrêté par hasard devant le mot de Dieu dans un flux RSS comme devant une apparition avant de reprendre son chemin vers les programmes télé  ou les quiz de Questions pour un Champion sur le Net, assurés, on peut le comprendre, d’avoir une réponse claire à toutes ses interrogations.     

 

Épisode 12: Les mots de l’amer

Résumé de l’épisode précédent : La psy du narrateur file un mauvais coton avec un faux sosie de Miles Davis.  Le narrateur décide de revoir sa mère.

Il y deux jours, je suis allé voir ma mère. Cela faisait des mois que je ne l’avais plus vue en vrai. Je me contentais de visiter son blogue, de laisser des messages, des vidéos. Puis elle a déconnecté son blogue, sa vie, et plus trace d’elle pendant des semaines. Même ses plus fidèles contacts n’avait plus de ses news. En fait, ma mère habitait maintenant une caravane à la mer, derrière les dunes ou ce qui en restait. Elle vivait seule, elle avait grossi, elle buvait beaucoup, trop même. Quand je suis allé la voir, il n’y avait qu’elle dans le camp, c’était lugubre, on entendait la mer gronder, surtout le soir, mais elle m’a dit qu’elle avait envie de voir le fond. Je lui dis qu’elle y était, elle n’en semblait pas persuadée. Les blogues avaient bousillé sa vie, elle espérait que je m’en sorte avant d’y laisser toutes mes billes. Elle eut de vilains mots à l’endroit des blogues, qui me navrèrent. J’en espérais encore quelque chose. Ils ont détruit ma vie et ils détruiront la tienne ! On se serait cru dans 8 mile* avec Eminem. Sauf que je rappais comme un pied et que ma mère n’avait pas la silhouette de Kim Basinger. J’aurais voulu lui parler de mes dernières expériences mais je sentais que ce n’était pas le moment, il n’y en avait que pour elle, ses malheurs, ses chagrins. Je comprenais que ma mère n’ouvrirait plus de blogue, que pour elle, les blogues c’était définitivement fini et qu’elle continuerait encore un peu sa descente en enfer. En quittant le camp, je suis allé marcher sur le front de mer.

 

Dans la pluie et le vent, je me remémorais les mots de ma mère sur la vacuité des blogues. Et si elle avait raison, et si nous étions en train de vivre la fin des blogues! L’ère nouvelle des réseaux sociaux, des plates-formes communautaires venait de voir le jour. Nous allions retrouver nos amis d’enfance, que nous aurions de la peine à reconnaître avec leur face blanchie, ridée, dégarnie ou artificiellement chevelue. Nous accepterions systématiquement d’être l’ami de vieux qui prétendraient avoir avec nous des souvenirs de bacs à sable. À tout moment, nous devrions déclarer ce que nous faisons afin que personne ne soit dup
e de notre non existence réelle. Un ami interviendrait à brûle–pourpoint dans un dialogue impromptu que nous aurions avec quelqu’un ou, à l’inverse, nous viendrions mettre notre grain de sel dans une conversation qui en manquerait. Nous serions inondés de messages en provenance des groupes que nous aurions rejoints par besoin grégaire. L’horreur absolue! Nous regretterions le bon vieux téléphone fixe qu’on laissait sonner sans savoir quel était l’importun à l’autre bout du fil qui nous sortait de l’écoute d’un disque de Ferré ou d’un livre de Kundera quand nous croyions encore que ce dernier n’avait été qu’une victime du système qu’il dénonçait. Oui, Léo, toufoulcamp, camfoultout, le temps chamboule tout, ne laisse plus rien en place, les jeunes ne sont plus jeunes ; les vieux, plus vieux. Livre de visages, c’était comme ça que ça s’appellerait. J’en tremblai, pris d’un affreux pressentiment : il y aurait bientôt des accros de Facebook
et ce serait bien plus horrible que tout ce que la toile nous avait jamais apporté. Et ma mère seule dans un camping désert.

 

* http://www.dailymotion.com/search/8+mile+/video/xrgym_8-mile-trailer_music

♫  Aux sombres héros de l’amer, 1989

http://www.youtube.com/watch?v=UfQz-9olu_g

♫  La mémoire et la mer, 1970

http://www.youtube.com/watch?v=HMZAa81nxLI&feature=related


         

 

 

Épisode 11: À la trompette

 

Résumé de l’épisode précédent : Le narrateur vit avec sa psy une idylle qui les conduit sur des sites libertins mais tout cela finit par les ennuyer.


Mon travail m’avait un peu éloigné de ma psy qui, de son côté, recevait beaucoup et, à force, elle était tombée amoureuse d’un de ses patients – une manie chez elle, comme je m’en rendis compte. Elle n’arrêtait pas de me parler des problèmes de son nouveau patient, un gars qui se prenait pour Miles Davis.

– Il est trompettiste ?  

– Non !

– Il est Noir ?

– Non !

– Il ne faut pas que qu’il soit comme Miles Davis pour se croire Miles Davis, repartit-elle d’un ton sec, l’air de dire : C’est ki ka fait psycho en promotion sociale ?

Chaque fois que je plaisantais sur le gars, elle prenait la mouche. Il faut dire que j’habitais chez elle, que je l’empêchais de prolonger les séances à domicile. Même si je délogeais, de plus en plus d’ailleurs, passant la nuit chez un couple ou l’autre (quand je vidéastais pour Rosie et Michaël) ou chez un chapelain ,un historien de la chose papale (quand je vidéastais pour les bonnes œuvres). Elle s’était remise en tête de me guérir de ma bloguomanie, histoire de me faire passer pour The malade.

– Il a un blogue, ton Miles ? lui dis-je.

– Tu te fiches de moi ?

 

Un peu, il faut dire.

Un jour, je m’arrangeai pour voir l’hurluberlu. Un quart d’heure avant la séance, je me pointai dans la salle d’attente avec un disque vinyl de Miles (Kind of blue*, qui venait de ressortir). Je m’assis devant lui. Sa tête changea, il était nettement moins beau que son modèle et même pas Black. Je n’allai
pas jusqu’à lui demander un autographe, non. Je lui dis que j’étais Stan Getz et que je souhaitais qu’on joue ensemble. Puis je filai avant d’être pris d’un fou-rire. Quoique un fou-rire dans le cabinet d’un psy, ça puisse pas mal dérider l’assistance habituelle mais on ne rit jamais, il faut le savoir, chez un psy sans son consentement. Il en parla à sa psy, ma compagne, qui prit tellement la mouche, cette fois, que je lui mis la tête sur la vitre avant de décamper : j’étais devenu limite violent à force de fréquenter des plus cinglés que moi.

Un peu après, j’appris qu’elle s’était mise avec lui. Leur trip, m’avoua-t-elle plus tard, quand elle eut rompu, c’était qu’il la déguise en Juliette Gréco avant leurs ébats. C’est vrai qu’elle avait toujours eu (surtout depuis sa liposuccion et même sans s’être refait le nez) un petit air de Jujube.


* The Kind of blue sessions, 1959:

http://www.youtube.com/watch?v=ijDTS8cWI0o&feature=related


 

 

Épisode 10: Vidéos

Résumé des épisodes précédents : Le narrateur revoit sa psy qui a opéré un remodelage en règle et ils connaissent une idylle. Ils en profitent pour poster des vidéos coquines.

En postant sur le site de Rosie et Michael*, j’ai appris qu’ils demandaient un vidéaste pour filmer à domicile les ébats conjugaux et extra-conjugaux. Les couples m’ont expliqué la nuance entre mélangisme et échangisme, ce qui a grandement contribué à ma progression intellectuelle. J’ai lu dans un fauteuil le Cours de Linguistique Générale de Saussure et enfin compris toutes les nuances de la dialectique du maître et de l’esclave de Hegel. Cela m’a permis aussi, merci Rosie et Michaël, de comprendre le monisme de Leibniz et, dans la foulée, d’entamer sur du velours la premier tiers de  la Critique de la raison bure. On ne dira jamais assez combien les sites de c… contribuent à l’édification des esprits.

 

Mais revenons à nos moutons. Plus prosaïquement, je dus filmer des scènes qui ne me laissèrent pas de bois et les couples qui m’invitaient le remarquèrent qui bientôt me proposèrent de jouer le troisième homme (sans la musique d’Anton Karas hélas). J’étais à la fois au four et au moulin, ayant la main à tout, si je puis dire. La qualité des vidéos s’en ressentit et je fus vite licencié, Rosie et Michael étant, avant d’être des libertins, des commerciaux purs et durs. Je continuai à intervenir dans les vidéos des couples auprès desquels je m’étais rendu comme qui dirait indispensable mais toujours masqué (je suis né un Mardi-gras), de telle façon que Michaël ne me détectât pas sur les images olé olé. Mais je finis pas faire une overdose de sexe et je me repliai, sous une masse de draps – enfin – propres, dans une abstinence de bon aloi. De commun accord avec ma psy qui avait enfin fait le tour de toutes les simili-déviances apprises dans ses livres de formation.

 

Un blogueur catholique recrutait un filmeur de chapelles et je posai ma candidature. Je fus accepté et, pendant plusieurs mois, je sillonnai toutes les régions du pays en quête de chapelles romanes typiques. Un jour, je tombai sur le nouveau caméraman du site commercial qui filmait dans ces lieux une vidéo coquine avec un couple catholibertin. J’attendis sagement que mon remplaçant eût fini son travail avant de faire ma part de pelliculte.

 

* Toute ressemblance avec le site de Jackie et Michel est purement fortuite etc.

 

Épisode 9: Psychodrome

 

 

Résumé de l’épisode précédent : Le narrateur échoue à plusieurs concours de blogues sensés le relancer dans la vie bloguistique. Mais il ne laisse pas tomber les bras.


Je me suis inscrit dans une boîte d’intérim et j’ai repris quelques cours de base (calcul de bites et français de sms) afin de me remettre à commenter ici et là en connaissance de pause. Mais j’étais trop haineux, je me lançais systématiquement dans l’invective, persiflant à tout va à propos de n’importe quel sujet, du plus important (l’optique de Spinoza a-t-elle influencé la vue déjà déficiente du Dalaï Lama ?) aux plus anodins (Charles Michel* a-t-il hérité du système pileux facial de son père ? Benoît Lutgen* deviendra-t-il plus catholicécolo que Benoït XVI ?), me fendant au passage d’insultes, de noms d’oiseaux plus proches du vautour que du moineau, si vous voyez ce que je veux dire.

 

Il était temps que je revoie ma psy, qui avait fait un lifting, de la liposuccion et plusieurs séjours en thalasso. J’ai eu comme un coup de foudre (il existe des coups de foudre à effet-retard) en la revoyant. Il m’a fallu un temps avant de la remettre, façon de parler car il n’y avait jamais rien eu entre nous: que des paroles et encore des paroles……  Il fallait m’assurer que c’était bien elle et que je n’avais pas affaire à un demi-sosie qui voulait s’octroyer la place à coté du divan. Elle m’a rappelé quelques-unes des confidences intimes que je lui avais faites, notamment à propos de ma circoncision (par nécessité, je précise) à l’âge de cinq ou sept ans, je ne me rappelle plus bien. Elle aussi a trouvé que j’avais changé. Le jour de mes quarante-trois ans, elle est venue s’asseoir sur le canapé et nous n’avons pas, cette fois, fait que bavarder. Je ne fus pas le moins du monde gêné par ses opérations (le sujet l’inquiétait autrement que moi, au contraire, j’appréciais l’élasticité de sa peau) et, pour la première fois, je sortis de son officine plus en forme qu’avant de m’être assis sur son canapé trop dur.


Elle aussi, m’avoua-t-elle. (La majorité du temps elle déprimait pendant la séance). Je lui promis de créer un blogue pour promouvoir son cabinet mais elle insista plutôt pour que nous fassions des vidéos coquines sur un site d’exhib.

 

 

* homme politique belge de deuxième génération de seconde d’importance 

Épisode 8: Concours de blogues

Résumé des épisodes précédents:Le narrateur rencontre sa demi-sœur, ce qui le distrait un moment de ses réflexions douces-amères sur l’avenir des blogues.

 Sur l’avis d’un ami blogueur, j’ai participé à des concours. Pour commencer, celui de la création du plus grand nombre de blogues en 50 minutes chrono. Je suis arrivé 3ème, j’en avais créé 187 mais j’étais bien en deçà du vainqueur qui en avait lancé 523. Je soupçonne, et je ne suis pas le seul, qu’il en avait caché sous la chemise. On a posé réclamation mais, même s’il avait été déclassé, 35 petits blogues me séparaient du deuxième, un Estonien sans travail, que je retrouvai bientôt sur un autre concours, celui consistant à obtenir, en 24 heures chrono, le plus de visiteurs sur un blogue de son choix. Le tout étant, en la circonstance, comme tout bon blogueur le sait, de choisir des mots-clés judicieux, de taguer juste. Mon expérience me servit et je tapai : « Britney nue », « Paris Hilton nue » (Ségolène n’avait pas encore posé sa candidature à la candidature et personne ne connaissait l’existence de Sarah Palin). Il faut aussi choisir des vieilles gloires pour les séniors : Brigitte Bardot par exemple, en espérant qu’il n’existe aucune photo d’elle dénudée aujourd’hui et même vieille d’une décennie. Il faut penser à ceux ou celles qui veulent voir des hommes nus, politiques de préférence, car c’est moins leur dada, excepté le calendrier parlementaire. Reynders, Gavaux, Lutgen pour les Belges, sans oublier l’incontournable Daerden (avant son lifting), éviter les hommes politiques carolos, trop changeants, dont on n’a pas le temps de retenir le nom ; chez les Français :Copé, Sarko, de Villepin…  Darcos ? Non, pas lui quand même ! Et choisir ses mots-clés en fonction de l’actualité people, des jeux de téléréalité etc.

Finalement, j’ai perdu à un visiteur près. Je l’aurais bien étranglé, celui-là qui a cliqué sur le blogue de mon concurrent l’ayant emporté avec une phrase-clé inattendue: « Gable à cheval sur Mansfield ». Il paraît que c’est fort couru des blogueuses âgées (plus nombreuses, comme les statistiques le montrent, que les blogueurs) qui se mettent à l’usage des TIC dans les centres cyber des maisons de repos.

Non seulement je n’avais pas fait d’études mais j’étais incapable de gagner le moindre concours malgré la passion de toute une vie pour la blogue attitude. Si j’avais souvent été mal dans ma vie, à ce moment-là, ce fut le pompon: je me jetai sous un train, enfin, j’attendis couché sur les rails un train qui n’arriva jamais. Manque de pot, l’Estonien avait eu la même idée que moi cinq kilomètres plus avant. Lui, il avait tapé: « Le baiser de Clark Gable et Vivien Leigh dans Autant en emporte le vent » Pour les mots-clés, il faut éviter les longueurs, ça lui avait échappé. Lui, le train-train de la vie l’a raccourci dans les grandes largeurs.

 

Épisode 6: Fin de blogue

Ma petite sœur est un génie, un mixte de Lisa et Maggie Simpson, mais quand même… Elle fait rien qu’à couiner, à se traîner par terre et à lancer des rires idiots quand elle voit quelque chose bloguer (elle n’a pas encore dû atteindre le stade lacanien du miroir). Enfin elle est chou comme tout et, si un jour, papa ne s’occupe plus d’elle, je passerai ma vie à la choyer. Je serai comme son père. A quarante-deux ans passés, je ne me vois plus être un père biologique. Tout ceci nous éloigne du propos de ce feuilleton, et je sais que le visiteur a le feu à la souris.

À part le blogue de ma sœur (que je remplissais avec d’anciennes vidéos des Télétubbies), je délaissais un peu l’activité de blogueur,au grand désespoir de mon père qui espérait que je reprenne l’entreprise familiale. Je m’occuperais de la section blogues des finances, c’était avant la kkkkkkkkkrise, la reprise de Frottis par Par-le-bas… Il m’a emmené voir un de ses copains vaguement rebouteux qui redynamisait les énergies dans les corps. Plusieurs fois je suis passé entre ses mains, sans résultat flagrant:j’étais seulement pris de tremblements convulsifs pendant les quarante-huit heures suivant la séance. Je ne voyais rien d’intéressant hormis les blogues et, en même temps, les blogues me semblaient dépassés. Je faisais de la peine à mon père  mais, heureusement, j’avais pu préserver ma mère.

Mon père m’a envoyé en stage dans différents blogues de ses connaissances susceptibles de me redonner de l’entrain, du cœur à l’ouvrage, mais rien.  Rien de rien, j’étais un blogueur en fin de parcours, je pouvais aller m’inscrire au Forem et autres ANPE. A bientôt quarante-trois ans, il y avait peu de chances que je trouve un lieu, une activité où rebondir. J’ai failli trouver du boulot dans le cyber enseignement (j’auras appris à bloguer), dans le cyber social (aide sociale à distance), dans le cyber shopping (j’aurais vendu des boutons de rose – entre autres), dans le cyber cerbère (vente de chiens borgnes sur la Toile), dans le cyber booking (vente de livres borgnes, sans vision), le cyber strip-tease (vente de corps tout prêts à être déshabillés)… Mais on m’a dit que ces secteurs étaient bouchés, déjà occupés par d’anciens blogueurs remis au travail.

 

Épisode 5: Retour chez ma mère

Résumé des épisodes précédents : De sortie de sa cure antibloguique, le narrateur embarque pour un tour du monde mais il fait une rencontre malheureuse avec Antoine qui le pousse à renoncer définitivement.

Je suis retourné chez ma mère qui m’a hébergé sur son blogue, le temps que je reprenne mes marques. Je ne sortais plus du blogue de ma mère. Je suis tombé amoureux d’une de ses amies qui venait de temps à autre me tenir compagnie sur le blogue.

Nous nous sommes mis à boire ensemble, elle m’a fait découvrir des cocktails que je ne connaissais pas. Nous avons créé des blogues sur les cocktails : les cocktails  détonants, les cocktails reposants, les cocktails jaunes, les cocktails à base de Batida, les cocktails à 5 euro, les cocktails à nuances de gris… Puis un jour on l’a embarquée : elle s’était trompée de composants et avait, dans sa confusion, ajouté un acide quelconque à sa mixture matinale. Je n’ai pas voulu aller la visiter à l’hosto, ça me rappelait de trop mauvais souvenirs; même les blogues qu’on avait gérés ensemble, je ne pouvais plus les voir. Je les ai laissés à l’abandon, dériver dans l’espace infini de la blogosphère.

Et je me suis rappelé au bon souvenir de mon père. Il s’était remarié et j’avais une demi-sœur, mignonne à croquer, qui avait déjà son blogue, enfin  le blogue que papa lui avait concocté, à base d’enregistrements de ses premiers cris et de vidéos traditionnelles d’enfants en bas âge. Papa m’a dit que son blogue était très couru des psys de tous poils, toujours à scruter les fonds de blogues, les premiers (v)agissements des humains. Comme papa avait du boulot ailleurs (consultant en blogues satiriques), j’ai repris la gestion du blogue de ma petite sœur…

Épisode 5: Mon tour du monde (Antoine et moi)*

Résumé des épisodes précédents : Le narrateur est né au sein d’une famille de blogueurs. N’ayant connu que les blogues, il devient blog-addict. Au centre où il est soigné, il fait la connaissance d’un éditeur polynésien sans papier. A sa sortie de cure, il replonge et crée 50 blogues d’un coup !


    Que, sur le conseil de mon éditeur, j’ai aussitôt déconnectés afin de partir pour un tour du monde en voilier. À la première escale, dans un port perdu de la côte espagnole, j’ai rencontré Antoine** qui a pris mille photos de moi pour son site et a prévenu, l’air de rien, comme à son habitude***, ma psy et ma famille de l’endroit où je me trouvais. Il a même voulu vendre l’info à Paris-Match et Ciné-télé-revue qui lui ont répondu que j’étais trop peu connu pour débourser de l’argent sur ma tête. Antoine a alors estimé, vu combien j’étais barré, que dans vingt ans, je serais plus connu que, disons, les membres de la dernière StarAc (ce en quoi il n’avait pas tort) pour, disons, les dix ans qu’il me resterait à bloguer et qu’il pourrait alors en tirer quelques kopecks.

   Nous avons chanté toute la soirée ; lui voulait à toute force que j’entonne le deuxième couplet des Élucubrations **** et moi, je tenais mordicus à me faire Cannelle. Finalement il m’a fait entendre les nouvelles chansons qu’il avait composées pour une célèbre marque de lunettes. Après cet épisode navrant, j’ai renoncé à mon tour du monde (je me suis dit qu’on voyageait plus vite et mieux sur le Net) et j’ai repris mes activités de blogueur traditionnel, sous divers noms d’emprunt certes (je ne tenais pas à ce qu’Antoine me retrouve). Mon éditeur polynésien a enfin obtenu ses papiers puis n’a plus pensé à éditer mes poèmes foutraques. Je les ai tous postés en com’ sur le blogue d’un poète pourrave subsidié par les Régions: ils ont été lus cinquante-huit fois, c’était toujours plus que ce que mon éditeur polynésien avait l’intention d’en tirer.


* d’après une indignation d’Éric Dejaeger

** chanteur français chevelu de la fin des années 60 reconverti dans le tour du monde ad libitum tous frais payés par les produits dérivés de ses excursions

*** L’affaire Brel/Antoine /Paris-Match (bien avant Sarko) en 1975

**** Le scopitone: http://www.youtube.com/watch?v=n3z4sTKn-f0