CINQ POÈMES de CATHERINE BAPTISTE extraits de MAISON ROUGE avec des COLLAGES de MANOU JOUBERT

La maison rouge du poème est la tanière
de femmes sauvages
assagies par la beauté

mais aussi toujours

aiguisées par la cruauté
ravagées par un amour



Paradoxalement bancale
la maison rouge tient d’un bloc
seule

Seule
c’est un monument aux mots
un monument à la folie

elle inquiète jusqu’au paysage,
dérange, dénoyaute
la raison

elle stridule



Maison vertébrée, d’os et de tessons
Sans porte ni fenêtre, d’un bloc

Contenant sacré
Contenant sans égal

Une mère
Le tableau vivant d’une nature morte

Une maison-mère morte
criante de vérité

allégeante

sans accès autre
que par la porosité
de ses murs

que par capillarité
en la pierre



A-t-on déjà vu pareille maison rouge en plaine ?

Elle penche un peu sur le côté, s’évase
S’ameublit en terre ou s’évade peut-être

grouille

en mouvement, en activité
s’épaississant au contact d’un ciel de crème

tressautant

crachotant
une gelée de groseilles et de cassis
à savourer comme du velours



Par où fuir
le refuge d’une maison rouge

Ni porte, ni seuil, ni chemin

Tourner, contourner
chercher une faille

N’avoir d’autres issues
que l’attente de la brèche

Rien ne persiste
Seule
la demeure



Catherine Baptiste écrit et vit à Poitiers où elle est art-thérapeute. Elle a publié une dizaine de recueils. Elle dédie, à travers sa poésie, son amour de la vie et de la beauté à qui veut l’entendre. Elle aime travailler avec des artistes plasticiens parce qu’ils aident à l’élaboration du sens pas toujours évident, parfois peu assuré, des mots mus par une énergie libre, souple, atemporelle et fraternelle.

Manou Joubert, conteuse poitevine, aime aussi « étaler, brasser en tous sens petits et grands papiers qui veulent côtoyer le contraste, le clair et le sombre, le pointu et le rond, les vagues et le ciel. Pour chacun, une seule place ; la rencontre avec les autres se fait lente ou bien fulgurante. Apparaissent ensuite les épisodes d’une histoire d’homme, de femme. Et dans l’instant tout s’achève.»

MAISON ROUGE de Catherine BAPTISTE (textes) & Manou JOUBERT (collages) est à paraître aux Editions A L’Index, collection Les Plaquettes.


Jean-Claude TARDIF nous présente Le Livre à dire et la revue À l’index.

L’association Le Livre à dire est une petite structure qui fonctionne
sans subventions depuis 1997.
De 1997 à 2012, elle a organisé à raison de 6 à 7 rencontres à l’année
des rencontres-lectures (sont venus pour la Belgique par exemple Werner Lambersy, Jean-Claude Pirotte, Otto Ganz, Marcel Moreau, Jean-Pierre Verheggen…)
Faute de salle nous cessons ces rencontres en 2012.
En 1999 sort le 1er numéro de la revue A L’INDEX (la 45e livraison
sortira à l’automne prochain).

A L’INDEX n’est donc en rien une maison d’édition (et ne tient pas à le
devenir). C’est une revue à laquelle s’adossent deux petites collections:
« Le Tire-langue » (poésie bilingue) et « Les Plaquettes », ensemble
d’ouvrages de 45 à 55 pages qui présentent des poètes contemporains
souvent associés à un artiste.
Les tirage sont peu importants (50 ex renouvelables), ce qui fait de
chaque petit livre un objet un peu « rare ».
Nous ne diffusons que par abonnement et grâce au bouche-à-oreille.
L’abonnement à la revue (2 n° par an) s’entend port compris, idem pour
les autres ouvrages. Le prix unitaire s’entend port compris.

Lien vers le blog du Livre à dire


DEUX POÈMES de SONIA ELVIREANU en édition bilingue français-italien

Deux poèmes de Sonia Elvireanu traduits en italien par Giuliano Ladolfi.
Ils font partie d’ENSOLEILLEMENT AU COEUR DU SILENCE, un recueil de SONIA ELVIREANU à paraître en édition bilingue aux éditions Ladolfi.



Bénédiction


Je me suis retirée dans la solitude

pour être près de toi,

te chercher et te parler,

pour écouter le silence en moi,

les susurrements de la lumière

irisant mes sentiments,

pour voir avec les yeux du ciel

le monde quand je reviens,

son éblouissant scintillement,

dans l’ombre de mon crépuscule,

la lueur de ton embrassement,

le souffle de ta bénédiction.


Benedizione

Mi sono ritirata in solitudine

per esserti vicina,

per cercarti e parlarti,

per ascoltare il silenzio interiore,

i sussurri della luce

che irraggiano i miei sentimenti,

per vedere con gli occhi del cielo

il mondo al mio ritorno,

il suo abbagliante scintillio,

all’ombra del mio crepuscolo,

il bagliore del tuo abbraccio,

il soffio della tua benedizione.


+


Faire parler le silence 

Je t’écris où toutes les choses parlent

dans la clarté caressant mon feuillage

dans une langue pure, en septembre,

parler c’est lumière,

l’infini y coule et s’éclaire,

les mondes que l’on ne voit pas,

le miracle où tu grandis chaque jour

telles les feuilles nourries d’eau et de soleil,

aux tréfonds frémit ton silence,

l’argile au lit de la rivière

aux bords verts et à l’eau vive,

des jardins de silence en moi,

des torrents prêts à parler

traversent la prairie que j’aimerais

toucher des semelles de l’amour

qui articule mon silence.   


Far parlare il silenzio 


Ti scrivo da dove parlano tutte le cose

nella luce che accarezza il mio fogliame

in una lingua pura, a settembre,

è luce il parlare,

l’infinito vi scorre e si schiara,

i mondi che non possiamo vedere,

il miracolo in cui tu cresci ogni giorno

come foglie nutrite dall’acqua e dal sole,

in profondità freme il tuo silenzio,

l’argilla nel letto del fiume

dai bordi verdi e acqua viva,

in me giardini di silenzio,

torrenti pronti a parlare

attraversano il prato che vorrei

toccare con le suole dell’amore

che articola il mio silenzio.     


LEA NAGY, UNE PÉPITE VENUE DE HONGRIE


Lea NAGY est une poétesse hongroise née en 2000 à Budapest. Elle a publié deux recueils « Kõhullás » et « Légörvény » aux Editions Napkút à Budapest. Elle a été lauréate du prix du meilleur « jeune poète hongrois » en 2018. Un troisième recueil est en cours de préparation en hongrois ainsi qu’un premier recueil en langue française aux Editions du Cygne à Paris.


TROIS POÈMES


Pile


dans un long manteau brun.

à neuf heures quarante pile.

tu m’attends sur le parking, comme toujours.

j’entre dans ta voiture.

tu m’offres une cigarette.

ta main tremble.

tu trembles.

à neuf heures cinquante pile.

j’accepte.

et on démarre.


+

Les furieux et les fous


nous n’avons plus d’air

la pression est trop grande

je te dis de le faire

encore

roule plus vite

dépasse-le

un vacuum

espace vide

à peine sentons-nous le bout de nos doigts

seul l’engourdissement sur nos lèvres

nous courons furieux

comme des fous engourdis

le sifflement furieux du téléphone

comme une douleur de machine  hurlante

résonnements lointains dans l’oreille

le goût du sang

souvenirs d’un piano et d’une cabine suffocante

le sang sur les draps

qu’en circulant à travers les feuilles tombantes des arbres

notre niveau de sérotonine va dans la même direction

que ce qui est sur toi

y compris ta peau ne m’interpelle même pas

pourtant ce n’est qu’à travers cela que tu sens quand je te tâte

qu’en même temps dieu existe

et n’existe pas

que l’homme n’est plus du tout un animal

mais quand même

que les animaux sont furieux

et fous.


+

Le piano


Dans ton salon il y avait
un piano couleur os.

Dans l’ennui nous appuyions
sur une touche.

Nous chantonnions en plus.

Tu te souviens?

Tu sais, juste pour que
quelque chose remplisse ton

appartement loué à Buda,

recouvre son silence moisi.

À l’époque nous étions

encore beaux tous les deux.

C’était l’automne.

Je te voyais de moins
en moins.

Je n’arrivais pas à dormir.

Maintenant non plus.


Traduction et interprétation par Lea Kovács


Pour en savoir plus

Une interview de Lea NAGY (en hongrois) :
https://www.magyarkurir.hu/hirek/legorvenytol-kohullasig-talalkozas-nagy-lea-koltovel

ANTHOLOGIE DES FEMMES POÈTES ARABES / MARAM al-MASRI (Le Temps des cerises)

Couverture Femmes poètes du monde arabe

 

Texte de la quatrième de couverture

Contrairement à ce que l’on imagine peut-être, le paysage poétique des femmes du monde arabe est riche. Déjà, dans l’histoire de la culture arabe classique, plusieurs femmes ont fait entendre leur voix à travers la poésie.
Au XXe siècle, en liaison avec le mouvement de libération et de modernisation des sociétés arabes, des femmes sont réapparues. Les plus fameuses sont l’Irakienne Nazik al-Malaïka, la Palestinienne Fadwa Touqan, les Syriennes Colette Khoury ou Ghada Al Saman…Mais on peut constater ces dernières années une véritable explosion de la poésie féminine arabe, sans doute favorisée par Internet et des réseaux sociaux qui font qu’il n’est plus indispensable d’avoir publié des livres pour diffuser ses poèmes. Même si, dans certains pays, l’accès à la publication reste difficile. Parfois certaines poétesses choisissent de changer leur nom pour épargner leur famille et leurs proches, car la poésie est du domaine de l’intime et dévoiler l’intime est sou- vent mal vu, perçu comme un acte d’impudeur.
Le lecteur sera parfois étonné par le respect de la tradition poétique arabe et parfois par la modernité des textes, mais ce qui unit ces femmes, c’est leur liberté d’expression, une liberté gagnée dans un monde difficile ou nulle n’est « prophétesse en son pays »…

En espérant qu’à travers ces paroles de femmes, le lecteur (ou la lectrice) se fera une idée un peu nouvelle, non seulement des femmes arabes, mais aussi des hommes qui, même s’ils sont invisibles, sont présents dans ces pages. La modernité est comme la vague d’un grand océan qui au fur et à mesure a gagné le monde entier… Les mouvements qui ont bouleversé la poésie française et occidentale ont aussi touché les rivages de la poésie arabe et la modernité de la poésie arabe, aujourd’hui, non seulement n’a rien à envier à celle des autres pays mais peut en retour influer sur elles. S’il y a une mondialisation des sociétés, il y a aussi, à travers une grande diversité qui est une richesse, une mondialisation de la poésie.

Maram al-Masri

 

SÉLECTION DE TEXTES

 

HANADI  ZARKA

(Syrie)

 

UNE PLUIE TARDIVE

Tu me promets toujours

Et tu as certainement  tes raisons pour arriver en retard

Ou ne pas venir ;

Et moi, j’attends.

Et quand tu viens en retard

Comme d’habitude

Nerveux, comme il convient,

Tu prétends que l’état des routes est très mauvais

Et que les pluies t’ont surpris au loin

Peut-être tu n’as pas remarqué

Que la pluie est en retard depuis déjà un an,

Au moins,

Depuis que tu as décidé de prendre rendez-vous avec moi.

 

MIROIR

je suis svelte, comme tu les veux

Et je prends soin de moi,

Comme il convient pour une femme que tu aimes.

J’utilise ta brosse à dents

Et ma langue sait bien répéter, comme tu le souhaites,

Les mots qu’il faut

Avec calme et dignité.

J’aime la même musique que toi.

Je possède tes livres.

J’embrasse les lieux que tu visites.

Je te ressemble beaucoup.

Tu m’as fait devenir toi.

 

Je ne t’aime plus.

 

Hanadi Zarka est née à Lattaquié. Elle est titulaire d’un diplôme en génie agricole de l’université de Tichrine. EN 2001, elle publie Le retour du chaos, prix Mohamed El Barghout pour la jeunesse.

Pour découvrir plus de poèmes de Hanadi Zarka

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VIOLETTE  ABU JALAD

(Liban)

 

J’AVOUE QUE J’AI AIMÉ PLUS QUE DE RAISON

J’avoue que j’ai aimé plus que de raison

Jusqu’à être possédée par le génie de l’amour

J’ai tout parié sur la ronde du désir qui tourne autour de ses blessures.

J’ai bu l’enchantement de lèvres lointaines

Comme si les eaux accessibles ne pouvaient pas désaltérer

Comme si seul l’impossible était un vrai texte

J’écrirai sur toi pour que tu deviennes la distance

Et je t’écrirai pour que je devienne le temps

Je danserai autour de moi-même

La pluie me surprend

J’enlace dans la glace une tunique qui s’épanouit sur une neige qui brûle

La chevelure couleur de vie tombe de fatigue

Je danserai autour de moi-même

Jusqu’à ce que vienne le temps de ta folie

Je saurai alors que j’ai dansé plus que de raison.

 

Violette Abu Jalad , jeune poète, vit à Jounieh, près de Beyrouth. Elle a publié quatre livres dont J’ai accompagné le fou jusque dans son esprit.

Pour découvrir plus de poèmes de Violette Abu Jalad

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LORCA SEBTI

(Liban)

 

IL NE MEURT PAS

Ce qui ne meurt pas

ce n’est pas le poète

mais sa place quand il meurt

 

ce qui ne meurt pas

ce n’est pas la douleur

mais sa place quand il meurt

 

ce qui ne meurt pas

ce n’est pas le souvenir

mais sa place quand il meurt

 

ce qui ne meurt pas

ce n’est pas dieu

mais sa place quand il meurt

 

Loca Sebti est née en 1979, au Sud Liban. Fille du poète Mustapha Sebti, elle a suivi des études d’éducation physique et de philosophie. Présentatrice à la télévision libanaise, elle anime une émission culturelle, Pose des questions à ton coeur. Elle a publié six livres dont un recueil pour les enfants: Sumson est dans le ventre de sa mère.

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DUNIA MIHAIL

(Irak)

 

LES PRONOMS

Il joue un train

Elle joue sifflet

Ils partent

Il joue corde

Elle joue arbre

Ils se balancent

Il joue rêve

Elle joue plume

Ils volent

Il joue général

Elle joue armée

Ils déclarent guerre

 

Dunia Mihail, née en 1965 est titulaire d’un BA de l’Université de Bagda. Après avoir été interrogée par les services de Saddam Hussein, elle s’exile en Jordanie. Elle vit aujourd’hui aux Etats-Unis, dans le Michigan. En 2001, elle a reçu le prix des Nations Unies pour les droits de l’homme et la liberté de l’écriture. Elle a publié cinq livres.

Pour découvrir plus de poèmes de Dunia Mihail 

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MAISOON SAKR

(Emirats Arabes Unis)

 

LA VEUVE D’UN BRIGAND

Quand j’écris le secret ne se révèle pas, la féminité ne sort pas toute nue, l’angoisse ne me prête pas attention, les mots répugnent au chant, je n’appelle pas la langue à la rescousse et je ne me calme point.

L’icône de la souffrance, les traces du sable, la passion montée en croupe, le fruit pourri, la compagnie de la mort, un corps à titre d’indication, le retour à la soif, l’amer essoufflement , le fidèle gardien, les cauchemars de la compassion, de petits renards dans le demi-cercle, le regrets du labyrinthe, le sentier de la perdition, les vers de terre.

C’est ainsi que je commence à tordre les mots.

 

Maison Sakr  est diplômée de la faculté des sciences économiques et politiques de l’Université du Caire. Elle a travaillé au Centre culturel d’Abou Dhabi au centre de documentation, puis à la Fondation pour la culture et les arts. Elle a également créé le premier et le deuxième festival de l’enfance. Elle a composé six oeuvres pour les enfants et a travaillé à la compilation en quatre volumes de l’oeuvre de son père, le poète Cheikh Saqr bin Sultan Al Qasimi.  

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FATMA AL-SHIDI

(Oman)

 

RÉVOLUTION

Tout est retourné comme l’aiguille du scorpion du temps

comme le mât qui ne sait pas se courber

Les marges sont au premier rang

L’étonnement a perdu ses verres grossissant

Il a pris du repos dans l’ombre du milieu des petites choses

Les reptiles ont cessé de mendier les trottoirs à l’insu du temps, il leur est venu des ailes

Les dinosaures ont rétréci plus que les angle de la photo

Les statues se sont agenouillées devant les doigts du sculpteur

Le poème s’est collé à la rue

Les masques se sont envolés

Alors les rires se sont envolés aussi

 

Fatma al-Shidi, docteur en linguistique de l’Université de Yarmouk, est enseignante et conseillère du ministère de l’éducation. Elle est poète, prosatrice et critique. Parmi ses livres de poésie : Cette mort est plus verte.

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HOUDA ABLAN

(Yemen)

 

OBJETS

J’avais une maison

Et un lit de bois rêveur

Et une douleur sur l’étagère

Et un robinet de souvenirs

Et un brasier sur lequel je retournais mon cœur

quand le froid l’assaillait

Et beaucoup de fumées

Mais j’étais sans porte

Et sans fenêtre

 

Houda Abla, née en 1971, a étudié à l’Université de Sanaa et a obtenu son diplôme en sciences politiques en 1993. Son premier recueil de poèmes, Les Roses, a été publié à Damas en 1089. Depuis lors, elle a publié plusieurs autres recueils de poèmes qui ont été traduits en plusieurs langues. Sa poésie a également été incluse dans un recueil de poèmes intitulé Arab Women’s Poetry: Contemporary Anthology. Elle a été secrétaire générale de l’Union des écrivains yéménites, avant d’être promue au poste de vice-ministre de la culture. 

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NABILAH Al-ZUBAÏR

(Yemen)

 

LE JEU DE LA RAISON

Je vais prétendre que je suis raisonnable

et tu vas prétendre que tu es fou

Je vais jouer avec toi de ma raison

et toi, tu vas jouer avec moi de ta folie

Puis

je vais te suivre

tandis que tu ramasserais les cailloux

et que tu compterais mes chutes

 

LE JEU D’ÉCRITURE

Ce jeu est dangereux

Moi, je n’ai pas essayé d’être un poète régulier

et toi, tu n’as pas essayé d’être un poète ouvert

Mais je n’ai pas su ce que je devais écrire

sauf après que le temps a passé

 

A force de numéroter ses rêves, on ne peut plus compter sur ses nuits.

Le montreur de sextant

Le montreur de montre agit au réveil du dormeur

Le montreur de pas perd pied face au spectacle de la marche.

 

Nabilah Muhsin al-Zubaïr est une poétesse et romancière yéménite. Elle est née dans le village d’al-Hagara, dans la région de Haraz, et a étudié à l’Université de Sanaa, où elle a obtenu un baccalauréat en psychologie.

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IBA AÏSSA

(Egypte)

 

LE MIROIR

Je punis le miroir

avec une nouvelle forme

Je remplis ses coins

d’une interrogation lubrique

dur ce qui se passe dans l’autre coin de la chambre

et je le provoque encore

en passant nue devant lui

puis je pose mon chewing-gum mâché

et un rictus de victoire

je le laisse à sa curiosité inassouvie

peut-être maintenant, je peux le délaisser

pour regarder la télé

sans que ses yeux se fixent sur moi

ou sur l’horloge du mur

 

Iba Aïssa est artiste peintre et poète. Active dans le domaine des droits des femmes. A publié un roman dont on pourrait traduire le titre par Sat-ange.

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AÏCHA BASSRI

(Maroc)

 

JE NE SUIS PLUS LÀ

Je t’ai appelé

Je t’ai appelé pendant de nombreuses années

Et quand tu as dit « oui »

à l’intérieur de moi

le sens des mots était perdu

Comme les oiseaux sont revenus

Le ciel est parti

 

Aïcha Bassri est une romancière et poète marocaine. A été primée pour son oeuvre La vie sans moi (« Al Hayat min douni »). 

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RAJAE TALBI

(Maroc)

 

LANGAGE

Dans les nuits chaudes

les yeux des taureaux rougissent

Ils frappent la terre du langage

pour voir jaillir l’eau !

Dans l’air montent leurs beuglements !

Rien n’est comparable à cette virilité,

son parfum envahit l’odorat

du langage !

 

FOUDRE

Si je ne réussis pas

à transformer cette poudre

en mots

je n’arrêterai pas de brûler

Sûrement, je serai la damnée

 

LUMIÈRE

L’amour pour

Me rendre lumineuse,

Chasser les ténèbres,

Non pas pour me transformer

En fantôme !

 

ATTENDRE

Au lieu d’attendre

sur un banc,

surveiller la route

Est-ce qu’elle m’apporte l’absent ?

Je regarde

La rivière m’emporter !

 

TOAST

Au lieu de compter

Les objets de l’absence,

Je pars vers la vie

Pour boire

À sa santé !

 

Rajae Talbi est écrivain, poète, traductrice et membre de l’Union des écrivains. Responsable de la section expositions au Ministère de la culture du Maroc. 

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COLETTE BEN HASSAN

(Jordanie)

 

Nous sommes celles qui ôtent leurs ennuis à la fin de la nuit

Leur insatisfaction d’une relation d’amour non réciproque…

Celles qui endossent leurs sous-vêtements, assises face à leur mémoire

En mangeant le pop-corn humain

Fait des cœurs de leurs anciens amours.

 

Nous sommes celles qui bâillent de sommeil

Essayant de se souvenir si elles boivent de la bière froide

Ou la coupe de sang frais qu’elles ont bu peu de temps avant… !

Nous sommes celles qui ont tué l’amour plus d’une fois…

Et nous sommes devenues suceuses de sang… Et de relations !

 

Colette Ben Hassan est une jeune poétesse et éditrice, en Jordanie. A notamment écrit : Une vieille femme m’a faite. Disparue prématurément en 2018.

 

Le recueil sur le site du Temps des cerises 

L’UNION LIBRE d’ANDRÉ BRETON

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Portrait d’André Breton par Victor Brauner (1934), 

Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris, France

 

Ma femme à la chevelure de feu de bois
Aux pensées d’éclairs de chaleur
A la taille de sablier
Ma femme à la taille de loutre entre les dents du tigre
Ma femme à la bouche de cocarde et de bouquet d’étoiles de dernière grandeur
Aux dents d’empreintes de souris blanche sur la terre blanche
A la langue d’ambre et de verre frottés
Ma femme à la langue d’hostie poignardée
A la langue de poupée qui ouvre et ferme les yeux
A la langue de pierre incroyable
Ma femme aux cils de bâtons d’écriture d’enfant
Aux sourcils de bord de nid d’hirondelle
Ma femme aux tempes d’ardoise de toit de serre
Et de buée aux vitres
Ma femme aux épaules de champagne
Et de fontaine à têtes de dauphins sous la glace
Ma femme aux poignets d’allumettes
Ma femme aux doigts de hasard et d’as de cœur
Aux doigts de foin coupé
Ma femme aux aisselles de martre et de fênes
De nuit de la Saint-Jean
De troène et de nid de scalares
Aux bras d’écume de mer et d’écluse
Et de mélange du blé et du moulin
Ma femme aux jambes de fusée
Aux mouvements d’horlogerie et de désespoir
Ma femme aux mollets de moelle de sureau
Ma femme aux pieds d’initiales
Aux pieds de trousseaux de clés aux pieds de calfats qui boivent
Ma femme au cou d’orge imperlé
Ma femme à la gorge de Val d’or
De rendez-vous dans le lit même du torrent
Aux seins de nuit
Ma femme aux seins de taupinière marine
Ma femme aux seins de creuset du rubis
Aux seins de spectre de la rose sous la rosée
Ma femme au ventre de dépliement d’éventail des jours
Au ventre de griffe géante
Ma femme au dos d’oiseau qui fuit vertical
Au dos de vif-argent
Au dos de lumière
A la nuque de pierre roulée et de craie mouillée
Et de chute d’un verre dans lequel on vient de boire
Ma femme aux hanches de nacelle
Aux hanches de lustre et de pennes de flèche
Et de tiges de plumes de paon blanc
De balance insensible
Ma femme aux fesses de grès et d’amiante
Ma femme aux fesses de dos de cygne
Ma femme aux fesses de printemps
Au sexe de glaïeul
Ma femme au sexe de placer et d’ornithorynque
Ma femme au sexe d’algue et de bonbons anciens
Ma femme au sexe de miroir
Ma femme aux yeux pleins de larmes
Aux yeux de panoplie violette et d’aiguille aimantée
Ma femme aux yeux de savane
Ma femme aux yeux d’eau pour boire en prison
Ma femme aux yeux de bois toujours sous la hache
Aux yeux de niveau d’eau de niveau d’air de terre et de feu.

André Breton (1931, extrait de Clair de terre)


 

EPIPHANIA 1937 (« J’ai maintenu ma vie… ») de GEORGES SÉFÉRIS

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 » Cher Georges Séféris, si proche du plus malaisé – du plus vrai – de chacun de nous, que signifie cet impossible dont vous parlez dans votre poésie vigilante, à quelle contradiction ultime emprunte-t-il son malheur? À votre histoire sans doute, pour une part, et il serait facile de reconnaître dans les hasards qui ont déterminé votre vie les éléments comme rassemblés à dessein d’un théâtre de la dissociation du réel. Il n’est pas indifférent qu’un enfant ait vécu à Clazomène l’été, entre des pêcheurs et la vigne, et à Smyrne, grand port « retentissant » où l’Europe et l’Asie, l’intemporel et le siècle, les rituels et les marchandises se mariaient richement pour la conscience charmée ; puis, que l’exode de tout un peuple, dans le sang et les larmes du désespoir, l’ait séparé à jamais de l’heureuse terre natale : 

Tout ce que j’ai aimé a disparu avec les maisons 
Neuves l’autre été 
Qui ont croulé sous le vent d’automne

a écrit Séféris, et ce n’est pas là qu’une image. Mais tout aussi décisif fut que la nouvelle patrie, à la fois la même et si différente, l’Attique au passé trop présent, au présent trop grevé d’absurdités et de drames, n’ait guère eu à offrir au jeune homme qui lui venait que sa tristesse d’alors : que la « souffrance », dirent tant de voix, d’être grec. Et encore la guerre, et toutes sortes d’exils. Georges Séféris a passé une grande part de sa vie à être grec – à servir la Grèce – dans les pays étrangers, et il a bien été ce voyageur empêché de rentrer au port qu’il évoque dans ses poèmes.  » 

Yves Bonnefoy (1963).

 

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EPIPHANIA 1937

La mer en fleurs et les montagnes au décroît de la lune ;

La grande pierre près des figuiers de Barbarie et des asphodèles ;

La cruche qui ne voulait pas tarir à la fin du jour ;

Et le lit clos près des cyprès et tes cheveux

D’or : les étoiles du Cygne et cette étoile, Aldebaran.

J’ai maintenu ma vie, j’ai maintenu ma vie en voyageant

Parmi les arbres jaunes, selon les pentes de la pluie

Sur des versants silencieux, surchargés de feuilles de hêtre.

Pas un seul feu sur les sommets. Le soir tombe.

J’ai maintenu ma vie. Dans ta main gauche, une ligne ;

Une rayure sur ton genou ; peut-être subsistent-elles encore

Sur le sable de l’été passé, peut-être subsistent-elles encore

Là où souffle le vent du Nord tandis qu’autour du lac gelé

J’écoute la voix étrangère.

Les visages que j’aperçois ne me questionnent pas ni la femme

Qui marche, penchée, allaitant son enfant.

Je gravis les montagnes. Vallées enténébrées. La plaine

Enneigée, jusqu’à l’horizon la plaine enneigée. Ils ne questionnent pas

Le temps prisonnier dans les chapelles silencieuses

Ni les mains qui se tendent pour réclamer, ni les chemins.

J’ai maintenu ma vie, en chuchotant dans l’infini silence.

Je ne sais plus parler ni penser. Murmures

Comme le souffle du cyprès, cette nuit-là

Comme la voix humaine de la mer, la nuit, sur les galets,

Comme le souvenir de ta voix disant : « Bonheur ».

Je ferme les yeux, cherchant le lieu secret où les eaux

Se croisent sous la glace, le sourire de la mer et les puits condamnés

À tâtons dans mes propres veines, ces veines qui m’échappent

Là où s’achèvent les nénuphars et cet homme

Qui marche en aveugle sur la neige du silence.

J’ai maintenu ma vie, avec lui, cherchant l’eau qui te frôle,

Lourdes gouttes sur les feuilles vertes, sur ton visage

Dans le jardin désert, gouttes dans le bassin

Stagnant, frappant un cygne mort à l’aile immaculée

Arbres vivants et ton regard arrêté.

Cette route ne finit pas, elle n’a pas de relais, alors que tu cherches

Le souvenir de tes années d’enfance, de ceux qui sont partis,

De ceux qui ont sombré dans le sommeil, dans les tombeaux marins,

Alors que tu veux voir les corps de ceux que tu aimas

S’incliner sous les branches sèches des platanes, là même

Où s’arrêta un rayon de soleil, à vif,

Où un chien sursauta et où ton cœur frémit,

Cette route n’a pas de relais. J’ai maintenu ma vie. La neige

Et l’eau gelée dans les empreintes des chevaux.

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Poème de Georges Séféris écrit en 1937 et publié dans le recueil collectif de son œuvre sous le titre ÉPIPHANIE 1937, dans Cahier d’études.

Traduction de Jacques Lacarrière (Poésie-Gallimard, page 84)

 

Ce poème de Séféris dit par Yves MONTAND (sur Youtube)

 

La cantate de Mikis Theodorakis d’après le poème de Séféris chantée par Dimitri Kavrakos avec le National Symphonic Orchestra de l’E.R.T. sous la direction de Loukas Karytinos

 

Merci à Jean-Paul Leclerc pour m’avoir fait connaître ce texte ainsi que la cantate de Mikis Theodorakis.

 

ENTRE LA VAGUE ET LE VENT de Georges SÉFÉRIS, lu par Philippe LEUCKX

 

Georges Séféris, le Prix Nobel de Littérature de 1963, (sur la photo ci-dessous le long de la plage de Salamis) s’est éteint en 1971 à Athènes à l’âge de 71 ans. 

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101 POÈMES ET QUELQUES CONTRE LE RACISME (Le Temps des Cerises)

Couv_101-poemes-contre-le-racisme.jpgUne excellente anthologie composée (et préfacée) par Francis Combes et Jean-Luc Despax, de poèmes d’auteurs pour la plupart toujours bien vivants et qui s’inscrit dans le cadre d’une action internationale initiée par le WPM (le Mouvement mondial des poètes). 

 » A travers la diversité des paroles présentées, elle constitue un acte en commun contre la barbarie ordinaire. « 

Voici une sélection d’une dizaine de poèmes !

Les brève notices biobibliographiques des poètes sont tirées de l’ouvrage. 

 

 

 

MICHEL BESNIER

 

Ce n’est qu’au jeu de cartes

Que les couleurs m’importent

 

Ou au jardin

Pour commenter les parfums

 

Ou avec mes chats

Pour commenter leurs noms

 

Avec les humains

Je suis daltonien.

 

Michel Besnier est né en 1945 à Cherbourg. Il est l’auteur de romans (au Seuil et chez Stock), de livres de poésie et de livres pour enfants.

 

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FRANCIS COMBES

 

ÉVOLUTION

 

Du temps où nous vivions au fond des océans

Les petits se faisaient dévorer par les grands

Aujourd’hui que nous vivons sur  terre

(parfois même un peu plus haut)

Avec difficulté nous apprenons

À nous débarrasser des habitudes anciennes

 

Francis Combes est né en 1953 En 1993, il a fondé un collectif d’écrivains Le temps des cerises. Il a publié une trentaine de livres, surtout de poésie, mais aussi des traductions, des essais et deux romans.

 

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BRUNO DOUCEY

 

LA GÉOMÉTRIE DE DONALD

 

Aucune tête au carré

Ne peut occuper tout l’espace

Dans un bureau ovale.

 

Pour y régner en maître

L’usufruitier temporaire des lieux

Ne peut miser sur l’élargissement naturel de sa pensée.

 

Il lui faut donc écraser des courbes

Tuer l’œuf dans la poule

Et la poule dans l’œuf

Torturer des ellipses

Réinventer des angles droits

Et nier que la tête est ronde.

 

Mettre au carré un bureau ovale

Est aussi difficile

Que saisir un ballon de football

Par temps de pluie.

 

Le plus simple est de construire

Un quadrilatère de quatre murs

A l’intérieur du bureau ovale

Et de les aligner

Sur les quatre points cardinaux de la planète.

 

Une fois construit

Les murs n’auront besoin

Ni de fenêtres ni de portes.

 

Imagine-t-on

La maison blanche de Donald

Ouverte sur des visages noirs ?

 

Dimanche 27 janvier 2017

 

Bruno Doucey est né en 1961. Il est écrivain et éditeur. Après avoir dirigé les Editions Seghers, il a fondé une maison d’édition vouée à la défense des poésies du monde et aux valeurs militantes qui l’animent.

 

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LAURENT FOURCAULT 

 

MON HÔTE L’AUTRE

 

Naguère j’ai dû faire un psychanalyse

fallait-il que je n’aille pas bien car ça m’a

coûté un max d’argent – suffit pas que tu lises

Freud donc j’étais perclus entre autres d’un amas

 

de haines ça t’avilit et te paralyse

or j’ai fini par remonter jusqu’au trauma

et j’ai compris ce qui depuis me mobilise :

on hait chez l’autre (et ça te pourrit le rama

 

ge) ce qu’on ne peut aimer en soi par exemple

que toi tu sois tout serré quand lui est ample

son rire sans vergogne devant toi contrit

 

qu’il vienne et se mélange chez toi tout s’emmêle

qu’il soit noir et te montre ce que de ton mel

ting pot intime tu refoules triste tri

 

Laurent Fourcault est né en 1950. Professeur émérite à Paris-Sorbonne, il est aussi rédacteur en chef de la revue de poésie internationale Paris-Sorbonne.

 

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ABDELLATIF LAÂBI

 

LES TUEURS SONT A L’AFFÛT

 

Mère

ma superbe

mon imprudente

Toi qui t’apprêtes à me mettre au monde

De grâce

ne me donne pas de nom

car les tueurs sont à l’affût

 

Mère

fais que ma peau

soit d’une couleur neutre

Les tueurs sont à l’affût

 

Mère

ne parle pas devant moi

Je risque d’apprendre ta langue

et les tueurs sont à l’affût

 

Mère

cache-toi quand tu pries

laisse-moi à l’écart de ta foi

Les tueurs sont à l’affût

 

Mère

libre à toi d’être pauvre

mais ne me jette pas dans la rue

Les tueurs sont à l’affût

Ah mère

si tu pouvais t’abstenir

attendre des jours meilleurs

pour me mettre au monde

Qui sait

Mon premier cri

ferait ma joie et la tienne

je bondirais alors dans la lumière

comme une offrande de la vie à la vie

 

* In Le Spleen de Casablanca, éditions de la Différence, 1996.

Poème à la mémoire de Brahim Bouarram, jeune Marocain jeté et noyé dans la Seine, le 1er mai 1995, par un groupe de skinheads venant d’une manifestation du Front national.

Les tueurs sont à l’affût, lu par Gaël Kamilindi


 

Abdellâtif Laabi est né en 1945 à Fès, au Maroc. Emprisonné pendant huit ans pour son opposition intellectuelle au régime, il est libéré en 80 et s’exile en France en 1985. Il a obtenu le Goncourt de la poésie en 2009. Son œuvre, essentiellement poétique, est publiée à La Différence et chez Gallimard.

 

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JEAN L’ANSELME

 

L’ÉMIGRANT

 

Pas de TRAVAIL

Pas de FAMILLE

Pas de PATRIE

 

Vive PÉTRIN !

 

Jean L’Anselme est né en 1919 et décédé en 2011.
Picard ayant appris à lire et à écrire derrière le cul des vaches le laid pour lui n’est pas ce qu’il y a de pis. Auteur entre autres de Le Ris de veau, Pensées et proverbes de Maxime Dicton, La Chasse d’eau, les Poèmes con, manifeste suivi d’exemples, La mort de la machine à laver et autres textes…

 

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ALAIN  (GEORGES) LEDUC

 

AÉROPORT DE PÉKIN

 

La vendeuse manie aussi bien le boulier

que la calculette

Elle a le type des femmes du Nord,

des femmes de Mandchourie

et ses seins soulèvent parfois  légèrement

sa tunique de soie noire.

Comme elle me tend un bol en belle laque rouge,

nous recevons une brève décharge d’électricité statique.

Nous nous sourions au même instant

et toute la fraternité humaine passe dans ce sourire.

J’aime la couleur de ce bol, la couleur de sa tunique.

 

Alain Leduc est né en 1951. Originaire du nord de la France, professeur et critique d’art. Romancier et poète.

 

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JEAN-CLAUDE MARTIN

 

   le bulletin d’information  dit qu’une épidémie  tue

par milliers des gens dans un pays lointain. Devant ce

bleu, ce ciel, peut-on y croire ?  Ça nous gâche l’insou-

ciance, comme un festin devant des mendiants. Mais

qu’y changer ? le monde est injuste. Dieu, est mal

fait… Envoyer un chèque. La radio passe à d’autres

sujet. Il faut surmonter la douleur des autres.  D’ail-

leurs, il n’y a pas de cadavres  sur la plage. Juste un

petit crabe éventré. Qui procure  à un bataillon  de

fourmis une très agréable après-midi.

 

Jean-Claude Martin est né en 1947. Préside la Maison de la Poésie de Poitiers depuis 2006. A publié de la poésie chez Rougerie, au Cheyne, au Tarabuste, au Dé bleu, chez Gros textes et aux Carnets du Dessert de Lune.

 

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JACQUES ROUMAIN

 

SALES NÈGRES

 

 

Jacques Roumain est un écrivain et poète haïtien né en 1907 à Port-au-Prince et mort en 1944.

Fondateur du parti communiste d’Haïti en 1934. Il est l’auteur de Gouverneurs de la rosée, chef d’œuvre de la littérature mondiale.

 

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JOËL SADELER

 

AMBRE SOMMAIRE

 

Sur la plage alignés

En épidermes serrés

Les gentils vacanciers

Aux petits pores

Et aux grands pieds

Se bronzent au soleil

De l’été

Tout bien-pensant

Tout bien-dorant

Tout bien-bronzant

Tous

Bruns-bicots

Et noirs-négros

Mais à la rentrée

Racistes jusque dans le métro

Racistes jusque dans le boulot

Racistes jusqu’à l’os

Et tout ça

      pour la peau

 

Joël Sadeler est né en 1938 et mort en 2000. Il a donné son nom au prix Joël Sadeler qui récompense chaque année depuis 2001 un recueil de poésie destiné à la jeunesse.

 

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SALAH STÉTIÉ

 

SENGHOR

 

Il y a dans le nom de Senghor le battement du sang
Il y a le souvenir de Gorée
Il y a – sans impertinence mais c’est référence parler – « Luitpold le vieux prince régent »
Il y a pour moi dans Sedar, abusivement, mémoire d’un cèdre du Liban

Il y a bien des Français qui parlent petit-nègre
Lui parle et écrit le français naturellement
Comme l’agrégé de grammaire qu’il est et comme le
Normalien qu’il fut et plutôt mieux que l’un et que l’autre
Parce qu’il a su désagréger la langue au bénéfice d’une langue plus forte, éternellement à venir, ô poésie, superbement, anormalement,
Un français châtié que le sien, mais non point puni pour autant,
Car il y a dans le nom de Senghor, à fleur de peau, le grand cri simplificateur, le cri du sang !

À fleur de peau, il est fils d’Afrique, de Sainte Afrique, sa mère est noire
Sa femme est blanche et sa mère est noire et c’est pourquoi cet homme est un pont
Un pont, à travers Gibraltar, entre Casamance et Normandie,
Entre Normandie et Casamance,
Un pont entre hier et demain et, entre Grèce et Bénin, à peine un détroit, un Hellespont.

Négritude est un mot de sa trouvaille, et de son invention aussi métissage
Nous serons tous demain nègres ou nous ne serons pas
Nous serons tous demain blancs ou nous ne serons pas
Nous serons jaunes, nous serons rouges, nous serons
Ces beaux métis par l’esprit et le cœur, délicieusement comblés par l’arc-en-ciel

Nous habiterons tous, Senghor, ta négritude
A seule fin d’habiter ta vastitude et la nôtre
Car les chambres étroites sont comme les fronts étroits :
L’homme et l’idée y respirent mal et s’y déplaisent

L’homme et l’idée avec toi vont leur libre chemin de langue
Leur chemin français vers tous les hommes et toutes les idées
Leur chemin sénégalais vers tous les hommes et toutes les idées.

Car la langue après tout n’est que la langue et l’homme est plus :
Il est le citoyen de Babel
Il est celui par qui toute langue se délie et Babel ô Babel sa liberté !

 

Salah Stétié est né à Beyrouth en 1923. Considéré comme un des principaux poètes de la francophonie.

Le site de Salah Stétié

 

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L’ouvrage sur le site du Temps des Cerises

LOLITA / NABOKOV / GAINSBOURG

71aWuQNxYZL.jpgLe roman de Nabokov sort en 1955 à Paris (après avoir été refusé par les éditeurs américains). Vladimir Nabokov est âgé de 56 ans, il vit alors aux Etats-Unis depuis 1940 et écrit en anglais depuis 1941.

Le livre fait d’abord scandale mais finira par être reconnu comme un des plus grands romans du XXème siècle. Le prénom Lolita est désormais synonyme de nymphette. Il est notamment cité par Marilyn Monroe dans My Heart Belongs to Daddy (dans le film Le milliardaire de Georges Cukor avec Yves Montand en 1960) et dans des chansons de Serge Gainsbourg dont l’imaginaire a été marqué par ce roman dont on retrouve des traces dans Histoire de Melody Nelson.

Le roman a été adapté deux fois au cinéma, en 1962, par Stanley Kubrick avec James Mason (Humbert Humbert) et Sue Lyon (Dolorès Haze, dite Lolita) et en 1997 par Adrian Lyne avec Jeremy Irons et Mélanie Griffith.

À noter qu’une nouvelle traduction en français de Lolita est le fait de Maurice Couturier pour l’édition de La Pléiade de 2002 (qu’il a d’ailleurs coordonnée). Il s’est basé sur les corrections effectuées par Nabokov à partir de la première traduction française de E.H. Kahane et de la version russe écrite ensuite par l’auteur.   

 

Perdue : Dolorès Haze. Signalement :
Bouche « éclatante », cheveux « noisette » ;
Age : cinq mille trois cents jours (presque quinze ans !)
Profession : « néant » (ou bien « starlette »).

 

Où va-t-on te chercher, Dolorès quel tapis
Magique vers quel astre t’emporte ?
Et quelle marque a-t-elle – Antilope ? Okapi ? –
La voiture qui vibre à ta porte ?

 

Qui est ton nouveau dieu ! Ce chansonnier bâtard,
Pince-guitare au bar Rimatane ?
Ah, les beaux soirs d’antan quand nous restions si tard
Enlacés près du feu, ma Gitane ?

 

Ce maudit würlitzer, Lolita, me rend fou !
Avec qui danses-tu, ma caillette ?
Toi et lui en blue jeans et maillot plein de trous,
Et moi, seul dans mon coin, qui vous guette.

 

Mac Fatum, vieux babouin, est bienheureux, ma foi !
Avec sa femme enfant il voyage,
Et la farfouille au frais, dans les parcs où la loi
Protège tout animal sauvage.

 

Lolita ! Ses yeux gris demeuraient grands ouverts
Lorsque je baisais sa bouche close.
Dites, connaissez-vous le parfum « soleils verts » ?
Tiens, vous êtes français, je suppose ?

 

L’autre soir, un air froid d’opéra m’alita.
Son fêlé – bien fol est qui s’y fie !
Il neige. Le décor s’écroule, Lolita !
Lolita, qu’ai-je fait de ta vie ?

 

C’est fini, je me meurs, ma Lolita, ma Lo !
Oui je meurs de remords et de haine,
Mais ce gros poing velu je le lève à nouveau,
A tes pieds, de nouveau, je me traîne.

 

Hé, l’agent ! Les voilà – rasant cette lueur
De vitrine que l’orage écrase ;
Socquettes blanches : c’est elle ! Mon pauvre coeur !
C’est bien elle, c’est Dolorès Haze.

 

Sergent rendez-la moi, ma Lolita, ma Lo
Aux yeux si cruels, aux lèvres si douces.
Lolita : tout au plus quarante et un kilos,
Ma Lo : haute de soixantes pouces.

 

Ma voiture épuisée est en piteux état,
La dernière étape est la plus dure.
Dans l’herbe d’un fossé je mourrai, Lolita,
Et tout le reste est littérature.

 

Traduction : Eric Kahane

Serge Gainsbourg lisant le poème Lolita 

La début du roman lu par Jeremy Irons

Marilyn Monroe dans Le milliardaire (1960)
https://player.vimeo.com/video/11971652

Lana Del Rey, 2011


Katty Perry, 2009

La Finlandaise Johann Kurkela, 2010 (« Adieu, Dolores Haze »)

Noir Désir,  1992

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Bande annonce du film de Kubrick

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Bande annonce du film d’Adrian Lyne

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Vladimir NABOKOV à Apostrophes

ONZE POÈMES de SANDRA LILLO

 

Se lever dans l’obscurité vierge

 

premier pas au bout de la nuit

 

allumer les lumières sur la peau du

silence entrer dans la zone

 

les gyrophares bleus écartent les rues

 

Prendre le jour brisé derrière les plis bleu foncé

 

le chant des oiseaux qui sifflent pour la première fois sur les branches de l’autre côté de la fenêtre

 

de l’autre côté du monde

 

 

***

 

 

L’ennui t’enfonce au milieu des ronces Il te raconte une autre histoire que la veille

 

Tu perds

 

Les rues sont engorgées du bois mort

des radeaux échoués

 

Que faire dans la nuit qui vient

 

dans quel sens te tourner pour ne pas entendre

que tu te trompes

 

Les rêves qui couvent sous ton front sont-ils autre chose que des lieux de mémoire

 

 

***

 

 

Il pleut depuis longtemps

 

le temps manque pour tout

 

la nuit coule le long des quais

des gouttières

 

comme une blessure du jour

 

Continuer sur la route de toute façon brisée

jusqu’à se détourner de ce qui ne dure pas

 

Ne pas perdre l’instant où la lumière se lève

les étoiles ne tombent pas

 

Il suffit de peu pour tenir au rang

de ce qui s’anime faiblit attire

 

  

***

 

  

De temps en temps la lumière éclot dans

l’obscurité

 

Les jours se suivent jusque n’ être plus que

l’oiseau en cage

 

le mot oublié

 

L’âme penche dans le creux établi des jours

partis sans qu’on en ait rien saisi

 

ou est- ce le temps de la jeunesse qui résiste

avec son lot de caprices

 

 

***

 

 

Exaspérée par le bruit et le silence

 

tourner autour du taillis des questions sans réponse

 

En rester là à l’heure qui précède le soir sous la lumière allumée au- dessus du bureau

 

L’angoisse traîne de ne pas être à la hauteur

d’un baiser prolongé

d’un acte de résistance 

 

 

***

 

 

L’ombre de l’automne passe devant

les doubles fenêtres

 

la température a baissé à l’aube

 

le chien est étendu sur le parquet

 

le chat dort sur le pavé mou des coussins

sa paupière semi- ouverte sur son œil

citron vert

 

Que faites-vous vous qui ne faites pas

de bruit

 

La journée semble n’appartenir qu’à ceux

qui se donnent rendez- vous

 

après minuit

 

 

***

 

Dans l’antre uniforme de l’ennui

tu forces le langage

 

Tu veux quitter les eaux opaques de la mémoire

 

Tu attends quelque chose d’intense

 

être debout intact sous les breloques du mimosa

  

 

***

 

La rue

 

les chambres fermées

 

les fenêtres ouvertes sur

d’autres fenêtres

 

Le ciel se cueille

 

 

***

 

La perte grippe les rouages du mouvement

 

de l’indéfini à hier tous les retours étaient possibles

 

ce soir il n’y a que des départs

 

  

*** 

 

Je ne sais plus finir mes phrases

 

mon territoire se résume à l’ouverture de la fenêtre sur les draps renversés d’insomnie

 

paraplégique de l’autre partie du monde

 

L’heure juste frappe aux portes par des cyclones après lesquels

 

on rebattit beau triste et maladroit

 

ramené sans cesse au milieu de la mer des feuilles mortes

 

Tout le bruit de l’automne tombe dans le silence des nuits

 

qui crient la peur de vivre

  

 

***

 

 

Il y a derrière les masques les mesures d’une musique impossible

 

l’urgence de toucher un visage

une envie d’absolu

 

rien qui ne soit inventé qui roule comme l’ eau

 

du ventre au cœur

échoue dans une chambre vide

que l’ on ose plus regarder

 

 

sandra_lillo.jpgSandra Lillo est originaire de Nantes. Elle écrit de la poésie et a contribué à plusieurs revues telles Le Capital des mots, Lichen , L’Ardent Pays, Nouveaux délits...

Son recueil Les bancs des parcs sont vides en mars, illustré par Valérie Ghévart, vient de paraître aux Éditions la Centaurée.

LES OIGNONS SONT EN FLEUR de NORGE

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JE NE SUIS RIEN. JE NE SUIS QUE CENT JUPONS

QUI VOUS LÈVENT LE NEZ SOUS LEURS VAGUES DE CHARME

ET VOUS VOILÀ CONDUIT PAR D’AIMABLES CRÊPONS

AUX CIMES DU DÉSIR COMME AU BORD DES LARMES

 

LES ODEURS

Il entra dans la ville conquise et mélangea la forte odeur de son cheval suant à celles de la fumée, du sang, des suies, de la poudre, du fer rouge. Toutes ces odeurs éveillèrent l’idée d’une odeur de fille. Et il guetta les filles. Pour l’odeur.

 

AUTRE CHOSE

J’ai connu un peintre qui ne peignait jamais son modèle. Ah ! pour commencer, il avait besoin d’une soupière, d’une femme nue, de trois pommes dans un compotier. Mais il peignait plutôt un violon, un nuage. Il pensait à autre chose, voilà…

 

LE DEVENIR

Gustave devenait une chaise. Il est certain que lentement, Gustave devenait une chaise. D’ailleurs, tout le monde s’asseyait déjà sur lui. Ce n’était pas son idée de devenir une chaise. Il aurait préféré devenir un piano. Mais enfin, une chaise, c’est encore mieux qu’un paillasson.

 

L’EXQUISE TRAVERSÉE

La marche de Stéphane touchait à peine le sable. Elle chantait d’une voix blanche et souriait en fermant les yeux. Elle devint de plus en plus diaphane. Une écharpe de gaze, un parfum et si légère, si légère que ses amis doutaient souvent de sa présence. On en vint à la traverser sans heurt et tout en éprouvant une sorte de charme.

 

L’AMITIÉ

La pratique de l’amitié avec un poisson rouge ne se déroule pas sans difficulté. L’air et l’eau, déjà,… deux éléments si différents. Les nageoires, les ouïes, les mains, les jambes, tout cela n’est pas facile à concilier. N’empêche que j’éprouve beaucoup d’amitié pour mon poisson rouge. D’ailleurs, l’amitié entre hommes ne va pas non plus sans problèmes.

 

LA MORSURE

Goûte-moi cette pomme, dit Eve. Adam répond qu’il n’aime pas les fruits. Mais Eve y met encore ses belles petites dents. Ah ! quel délice ! Et l’homme tend aussi ses lèvres… C’est pas pour la pomme, c’est pour toucher la jolie morsure de la jeune Eve.

 

CHÂTEAUX… MUSIQUES

Eliane vivait pour son rêve, un grand rêve trop long à raconter… châteaux, musique, amours… Elle vivait pour son rêve, et voilà que ce rêve devint réalité… châteaux, musique, amours. Il faut en convenir, Eliane fut déçue. Elle vivait pour son rêve, pas pour sa réalité. Châteaux, musiques, amours : tout ça l’assommait !

 

LA PEAU DES AUTRES

C’est embêtant, je me mets toujours dans la peau des autres. Je me colle aux espoirs, aux désirs, aux tourments et même aux furonculoses de mon prochain. Dans la peau des autres ! On m’avait dit que c’était bien ; mais une fois que j’y suis, la grosse histoire, c’est d’en sortir.

 

LA FOULE

Profitant de sa solitude, il se mit à chanter. Ainsi, pensait-il, personne n’entendra. Il se trompait ; toute une foule bien cachée l’entourait. Mais heureusement personne n’écoutait.

 

LA VERTU
Que la vertu soit toujours récompensée, disait le bon roi Zobulphe, ce serait un peu fort ; et la vertu aurait beaucoup moins de mérite. Non, non, de temps en temps, je punis la vertu afin de la magnifier.

 

LE LIT DE MORT

Ce que j’ai vu, je ne le dirai jamais, jure Léonard. Tonnerre de Dieu, je ne le dirai jamais. Sur son lit de mort, il avoua quand même : rien.

 

APPRENTISSAGE

Il apprit le zam, le zem, le zim. Quand il sut le zim, le zem, le zam, il apprit le zom, le zum, le zoum. Quand il sut le zoum, il apprit quoi, quoi ? Il apprit à vivre. Difficile.

 

LE PENSE-PLUS

J’inscris tout sur un petit billet. Comme ça, je ne dois plus y penser. Je plie le petit billet en quatre. Comme ça, je ne dois plus y penser. Je le déchire et je le jette au feu. Comme ça, je ne dois plus y penser.

 

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JE MÛRIS LONGUEMENT MES PROFONDES COULEURS :

LIS, TULIPE, JACINTHE, OIGNONS, OIGNONS ENCORE…

MIRACE DE COUVER ET PRODIGE D’ÉCLORE

D’UN SEIN SI TÉNÉBREUX TANT DE LUMIÈRE EN FLEUR !

 

BONIFACE

Planez un peu, mais planez donc, lui conseillaient ses bons amis. Boniface plana, plana, plana, contempla des géographies. Mais il revint bientôt sur terre. C’est de terre, dit-il, que je vois bien le ciel.

 

BOULE

Il est assez exaltant de dire le contraire, car on découvre une autre face de la vérité. Mais mon oncle Léon me jure que la vérité est une boule et qu’elle est à l’endroit partout.

 

COMME UNE OIE

Oscar avait du génie, mais il était le seul à l’ignorer. Les épis frémissaient à son passage, les chênes s’inclinaient comme des joncs, les lions le saluaient d’une queue élogieuse. La lune même clignait son petit œil de souris. Mais lui, non, il ne s’apercevait de rien. Il était bête comme une oie.

LE MONDE CONTINUE

Il y eut de telles confusions que beaucoup d’enfants se mirent à parler par les oreilles, à respirer par les yeux, à voir par le bout du nez. Ne prenons rien au tragique, dit Sophie, il y a bien longtemps que des milliers de personnes pensent par le creux des fesses et le monde continue.

 

AVOIR TORT
J’adore avoir tort, nettement tort. Cela provoque le repentir, l’humilité, la prudence, les bonne résolutions, tous les sentiments bien riches, bien féconds.
Hélas, avoir tort, j’y parviens rarement, c’est bien dommage.

 

LES MOMENTS SUPRÊMES

Ce fut un moment suprême. Et qui fut suivi d’un autre moment suprême. Les moments suprêmes se succédaient sans vous laisser souffler un instant. A la fin, surgit un moment ordinaire. On l’accueillit avec tant de soulagement que ce fut un moment suprême.

L’EXPÉRIENCE

Ils étaient vraiment faits pour s’entendre, mais ne vivant pas à la même époque, ils ne purent jamais se rencontrer. L’éternité les réunit enfin. Alleluia. Et ce fut un ménage insupportable.

 

LE CONQUÉRANT
Ah ! Cette ville imprenable, si Félix avait su qu’elle allait se rendre au premier assaut. Quelle histoire ! Le voilà maintenant avec  une ville de cent mille habitants sur les bras, lui qui n’entend rien à l’administration, lui qui déteste les cérémonies. Et surtout, la route à présent, la route inexorablement ouverte sur le désert.

 

LE GRAND SECRET
Un porte à franchir, la dernière et Victor allait trouver le grand secret. Mais tout- à–coup, il hésita : un secret révélé, ce n’est plus un secret. Et c’est bien d’un secret que Victor a besoin.

 

TROU LA-LA

Il eut un trou de mémoire, un assez grand trou, et distrait comme il était, ne se soucia guère de le recouvrir. Beaucoup de gens qui passaient tombaient dans ce trou-là : des amis, un colonel, un avocat, une danseuse, un peu de tout… Et vingt ans plus tard, quand il tomba lui-même dans son trou, on peut dire qu’il eut de la compagnie.

 

UN PÈRE TRANQUILLE
Le cyclone était bon bougre, il ne noya que cent quarante-sept personnes, démolit une cathédrale, une fabrique de galoches et deux maisons de repos. On n’en revenait pas, on n’avait jamais vu un si calme typhon. Chacun ses goûts, déclarait-il aux journalistes, moi je suis pour une vie de père tranquille, à l’abri du vent. Même chez les typhons, il y a des esprits popotes.

 

UNE VÉRITÉ

Adelin la guettait depuis toujours. Elle apparut enfin, assise à la margelle de son fameux puits et parfaitement nue. Tiens, encore une fausse blonde, dit Adelin.

 

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NORGE, de son vrain nom Georges Mogin est né à Molenbeek-Saint-Jean le 2 juin 1998 et est mort le 25 octobre 1990 à Mougins dans le Sud de la France. 

Il est le père de l’écrivain Jean Mogin (qui épousera Lucienne Desnoues).

Il publie son premier recueil à l’âge de 25 ans. En 1931, avec Pierre-Louis Flouquet et Edmond Vandecammen, il fonde le Journal des Poètes. Après la Guerre, Norge va vivre en Provence avec sa seconde épouse artiste peintre. En 1958, il reçoit le Prix Triennal de Poésie pour son recueil Les Oignons.  Les Oignons sont en fleur est sorti chez Jacques Antoine en 1979 avec des illustrations de Serge Creuz.

Ses poèmes ont été chantés en 1995 par Jeanne Moreau  (les écouter sur Youtube) dans une mise en musique par Philippe-Gérard. Paul Guiot (ici dans L’oiseau bleu) a mis en musique et chanté des poèmes de Norge avec le groupe Sacrebleu

La voix de Norge disant Une chanson bonne à mâcher

Large sélection de poèmes de Géo NORGE

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