
Texte de la quatrième de couverture
Contrairement à ce que l’on imagine peut-être, le paysage poétique des femmes du monde arabe est riche. Déjà, dans l’histoire de la culture arabe classique, plusieurs femmes ont fait entendre leur voix à travers la poésie.
Au XXe siècle, en liaison avec le mouvement de libération et de modernisation des sociétés arabes, des femmes sont réapparues. Les plus fameuses sont l’Irakienne Nazik al-Malaïka, la Palestinienne Fadwa Touqan, les Syriennes Colette Khoury ou Ghada Al Saman…Mais on peut constater ces dernières années une véritable explosion de la poésie féminine arabe, sans doute favorisée par Internet et des réseaux sociaux qui font qu’il n’est plus indispensable d’avoir publié des livres pour diffuser ses poèmes. Même si, dans certains pays, l’accès à la publication reste difficile. Parfois certaines poétesses choisissent de changer leur nom pour épargner leur famille et leurs proches, car la poésie est du domaine de l’intime et dévoiler l’intime est sou- vent mal vu, perçu comme un acte d’impudeur.
Le lecteur sera parfois étonné par le respect de la tradition poétique arabe et parfois par la modernité des textes, mais ce qui unit ces femmes, c’est leur liberté d’expression, une liberté gagnée dans un monde difficile ou nulle n’est « prophétesse en son pays »…
En espérant qu’à travers ces paroles de femmes, le lecteur (ou la lectrice) se fera une idée un peu nouvelle, non seulement des femmes arabes, mais aussi des hommes qui, même s’ils sont invisibles, sont présents dans ces pages. La modernité est comme la vague d’un grand océan qui au fur et à mesure a gagné le monde entier… Les mouvements qui ont bouleversé la poésie française et occidentale ont aussi touché les rivages de la poésie arabe et la modernité de la poésie arabe, aujourd’hui, non seulement n’a rien à envier à celle des autres pays mais peut en retour influer sur elles. S’il y a une mondialisation des sociétés, il y a aussi, à travers une grande diversité qui est une richesse, une mondialisation de la poésie.
SÉLECTION DE TEXTES
HANADI ZARKA
(Syrie)
UNE PLUIE TARDIVE
Tu me promets toujours
Et tu as certainement tes raisons pour arriver en retard
Ou ne pas venir ;
Et moi, j’attends.
Et quand tu viens en retard
Comme d’habitude
Nerveux, comme il convient,
Tu prétends que l’état des routes est très mauvais
Et que les pluies t’ont surpris au loin
Peut-être tu n’as pas remarqué
Que la pluie est en retard depuis déjà un an,
Au moins,
Depuis que tu as décidé de prendre rendez-vous avec moi.
MIROIR
je suis svelte, comme tu les veux
Et je prends soin de moi,
Comme il convient pour une femme que tu aimes.
J’utilise ta brosse à dents
Et ma langue sait bien répéter, comme tu le souhaites,
Les mots qu’il faut
Avec calme et dignité.
J’aime la même musique que toi.
Je possède tes livres.
J’embrasse les lieux que tu visites.
Je te ressemble beaucoup.
Tu m’as fait devenir toi.
Je ne t’aime plus.
Hanadi Zarka est née à Lattaquié. Elle est titulaire d’un diplôme en génie agricole de l’université de Tichrine. EN 2001, elle publie Le retour du chaos, prix Mohamed El Barghout pour la jeunesse.
Pour découvrir plus de poèmes de Hanadi Zarka
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VIOLETTE ABU JALAD
(Liban)
J’AVOUE QUE J’AI AIMÉ PLUS QUE DE RAISON
J’avoue que j’ai aimé plus que de raison
Jusqu’à être possédée par le génie de l’amour
J’ai tout parié sur la ronde du désir qui tourne autour de ses blessures.
J’ai bu l’enchantement de lèvres lointaines
Comme si les eaux accessibles ne pouvaient pas désaltérer
Comme si seul l’impossible était un vrai texte
J’écrirai sur toi pour que tu deviennes la distance
Et je t’écrirai pour que je devienne le temps
Je danserai autour de moi-même
La pluie me surprend
J’enlace dans la glace une tunique qui s’épanouit sur une neige qui brûle
La chevelure couleur de vie tombe de fatigue
Je danserai autour de moi-même
Jusqu’à ce que vienne le temps de ta folie
Je saurai alors que j’ai dansé plus que de raison.
Violette Abu Jalad , jeune poète, vit à Jounieh, près de Beyrouth. Elle a publié quatre livres dont J’ai accompagné le fou jusque dans son esprit.
Pour découvrir plus de poèmes de Violette Abu Jalad
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LORCA SEBTI
(Liban)
IL NE MEURT PAS
Ce qui ne meurt pas
ce n’est pas le poète
mais sa place quand il meurt
ce qui ne meurt pas
ce n’est pas la douleur
mais sa place quand il meurt
ce qui ne meurt pas
ce n’est pas le souvenir
mais sa place quand il meurt
ce qui ne meurt pas
ce n’est pas dieu
mais sa place quand il meurt
Loca Sebti est née en 1979, au Sud Liban. Fille du poète Mustapha Sebti, elle a suivi des études d’éducation physique et de philosophie. Présentatrice à la télévision libanaise, elle anime une émission culturelle, Pose des questions à ton coeur. Elle a publié six livres dont un recueil pour les enfants: Sumson est dans le ventre de sa mère.
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DUNIA MIHAIL
(Irak)
LES PRONOMS
Il joue un train
Elle joue sifflet
Ils partent
Il joue corde
Elle joue arbre
Ils se balancent
Il joue rêve
Elle joue plume
Ils volent
Il joue général
Elle joue armée
Ils déclarent guerre
Dunia Mihail, née en 1965 est titulaire d’un BA de l’Université de Bagda. Après avoir été interrogée par les services de Saddam Hussein, elle s’exile en Jordanie. Elle vit aujourd’hui aux Etats-Unis, dans le Michigan. En 2001, elle a reçu le prix des Nations Unies pour les droits de l’homme et la liberté de l’écriture. Elle a publié cinq livres.
Pour découvrir plus de poèmes de Dunia Mihail
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MAISOON SAKR
(Emirats Arabes Unis)
LA VEUVE D’UN BRIGAND
Quand j’écris le secret ne se révèle pas, la féminité ne sort pas toute nue, l’angoisse ne me prête pas attention, les mots répugnent au chant, je n’appelle pas la langue à la rescousse et je ne me calme point.
L’icône de la souffrance, les traces du sable, la passion montée en croupe, le fruit pourri, la compagnie de la mort, un corps à titre d’indication, le retour à la soif, l’amer essoufflement , le fidèle gardien, les cauchemars de la compassion, de petits renards dans le demi-cercle, le regrets du labyrinthe, le sentier de la perdition, les vers de terre.
C’est ainsi que je commence à tordre les mots.
Maison Sakr est diplômée de la faculté des sciences économiques et politiques de l’Université du Caire. Elle a travaillé au Centre culturel d’Abou Dhabi au centre de documentation, puis à la Fondation pour la culture et les arts. Elle a également créé le premier et le deuxième festival de l’enfance. Elle a composé six oeuvres pour les enfants et a travaillé à la compilation en quatre volumes de l’oeuvre de son père, le poète Cheikh Saqr bin Sultan Al Qasimi.
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FATMA AL-SHIDI
(Oman)
RÉVOLUTION
Tout est retourné comme l’aiguille du scorpion du temps
comme le mât qui ne sait pas se courber
Les marges sont au premier rang
L’étonnement a perdu ses verres grossissant
Il a pris du repos dans l’ombre du milieu des petites choses
Les reptiles ont cessé de mendier les trottoirs à l’insu du temps, il leur est venu des ailes
Les dinosaures ont rétréci plus que les angle de la photo
Les statues se sont agenouillées devant les doigts du sculpteur
Le poème s’est collé à la rue
Les masques se sont envolés
Alors les rires se sont envolés aussi
Fatma al-Shidi, docteur en linguistique de l’Université de Yarmouk, est enseignante et conseillère du ministère de l’éducation. Elle est poète, prosatrice et critique. Parmi ses livres de poésie : Cette mort est plus verte.
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HOUDA ABLAN
(Yemen)
OBJETS
J’avais une maison
Et un lit de bois rêveur
Et une douleur sur l’étagère
Et un robinet de souvenirs
Et un brasier sur lequel je retournais mon cœur
quand le froid l’assaillait
Et beaucoup de fumées
Mais j’étais sans porte
Et sans fenêtre
Houda Abla, née en 1971, a étudié à l’Université de Sanaa et a obtenu son diplôme en sciences politiques en 1993. Son premier recueil de poèmes, Les Roses, a été publié à Damas en 1089. Depuis lors, elle a publié plusieurs autres recueils de poèmes qui ont été traduits en plusieurs langues. Sa poésie a également été incluse dans un recueil de poèmes intitulé Arab Women’s Poetry: Contemporary Anthology. Elle a été secrétaire générale de l’Union des écrivains yéménites, avant d’être promue au poste de vice-ministre de la culture.
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NABILAH Al-ZUBAÏR
(Yemen)
LE JEU DE LA RAISON
Je vais prétendre que je suis raisonnable
et tu vas prétendre que tu es fou
Je vais jouer avec toi de ma raison
et toi, tu vas jouer avec moi de ta folie
Puis
je vais te suivre
tandis que tu ramasserais les cailloux
et que tu compterais mes chutes
LE JEU D’ÉCRITURE
Ce jeu est dangereux
Moi, je n’ai pas essayé d’être un poète régulier
et toi, tu n’as pas essayé d’être un poète ouvert
Mais je n’ai pas su ce que je devais écrire
sauf après que le temps a passé
A force de numéroter ses rêves, on ne peut plus compter sur ses nuits.
Le montreur de sextant
Le montreur de montre agit au réveil du dormeur
Le montreur de pas perd pied face au spectacle de la marche.
Nabilah Muhsin al-Zubaïr est une poétesse et romancière yéménite. Elle est née dans le village d’al-Hagara, dans la région de Haraz, et a étudié à l’Université de Sanaa, où elle a obtenu un baccalauréat en psychologie.
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IBA AÏSSA
(Egypte)
LE MIROIR
Je punis le miroir
avec une nouvelle forme
Je remplis ses coins
d’une interrogation lubrique
dur ce qui se passe dans l’autre coin de la chambre
et je le provoque encore
en passant nue devant lui
puis je pose mon chewing-gum mâché
et un rictus de victoire
je le laisse à sa curiosité inassouvie
peut-être maintenant, je peux le délaisser
pour regarder la télé
sans que ses yeux se fixent sur moi
ou sur l’horloge du mur
Iba Aïssa est artiste peintre et poète. Active dans le domaine des droits des femmes. A publié un roman dont on pourrait traduire le titre par Sat-ange.
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AÏCHA BASSRI
(Maroc)
JE NE SUIS PLUS LÀ
Je t’ai appelé
Je t’ai appelé pendant de nombreuses années
Et quand tu as dit « oui »
à l’intérieur de moi
le sens des mots était perdu
Comme les oiseaux sont revenus
Le ciel est parti
Aïcha Bassri est une romancière et poète marocaine. A été primée pour son oeuvre La vie sans moi (« Al Hayat min douni »).
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RAJAE TALBI
(Maroc)
LANGAGE
Dans les nuits chaudes
les yeux des taureaux rougissent
Ils frappent la terre du langage
pour voir jaillir l’eau !
Dans l’air montent leurs beuglements !
Rien n’est comparable à cette virilité,
son parfum envahit l’odorat
du langage !
FOUDRE
Si je ne réussis pas
à transformer cette poudre
en mots
je n’arrêterai pas de brûler
Sûrement, je serai la damnée
LUMIÈRE
L’amour pour
Me rendre lumineuse,
Chasser les ténèbres,
Non pas pour me transformer
En fantôme !
ATTENDRE
Au lieu d’attendre
sur un banc,
surveiller la route
Est-ce qu’elle m’apporte l’absent ?
Je regarde
La rivière m’emporter !
TOAST
Au lieu de compter
Les objets de l’absence,
Je pars vers la vie
Pour boire
À sa santé !
Rajae Talbi est écrivain, poète, traductrice et membre de l’Union des écrivains. Responsable de la section expositions au Ministère de la culture du Maroc.
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COLETTE BEN HASSAN
(Jordanie)
Nous sommes celles qui ôtent leurs ennuis à la fin de la nuit
Leur insatisfaction d’une relation d’amour non réciproque…
Celles qui endossent leurs sous-vêtements, assises face à leur mémoire
En mangeant le pop-corn humain
Fait des cœurs de leurs anciens amours.
Nous sommes celles qui bâillent de sommeil
Essayant de se souvenir si elles boivent de la bière froide
Ou la coupe de sang frais qu’elles ont bu peu de temps avant… !
Nous sommes celles qui ont tué l’amour plus d’une fois…
Et nous sommes devenues suceuses de sang… Et de relations !
Colette Ben Hassan est une jeune poétesse et éditrice, en Jordanie. A notamment écrit : Une vieille femme m’a faite. Disparue prématurément en 2018.