152 PROVERBES mis au goût du jour de Paul ELUARD et Benjamin PERET

original.jpg » En 1925, moins d’un an après le lancement de La Révolution surréaliste, Paul Eluard et Benjamin Péret cosignent une courte brochure, 152 Proverbes mis au goût du jour, diffusée par la Librairie Gallimard. Eluard avait pour sa part collaboré, juste après la Grande Guerre, à une éphémère revue, intitulée Proverbe, où il pratiquait le détournement des formes brèves.  » (Jérôme Meizoz)

C’est au moment de la publication des 152 proverbes, en 1925, qu’Yves Tanguy adhère au mouvement surréaliste. Il reçoit alors un envoi autographe signé de Péret contresigné par Paul Eluard: « A Yves Tanguy / Il faut battre sa mère pendant / qu’elle est jeune / l’as-tu fait ? / Benjamin Péret / Paul Éluard ».

Tanguy illustrera par la suite plusieurs ouvrages de Benjamin Péret.

 

 
  1.  Avant le déluge, désarmez les cerveaux.
  2.  Une maîtresse en mérite une autre.
  3.  Ne brûlez pas les parfums dans les fleurs.
  4.  Les éléphants sont contagieux.
  5.  Il faut rendre à la paille ce qui appartient à la poutre.
  6.  La diction est une seconde punition.
  7.  Comme une huître qui a trouvé une perle.
  8.  Qui couche avec le pape doit avoir de longs pieds.
  9.  Le trottoir mélange les sexes.
  10.  A fourneau vert, chameau bleu.
  11.  Sommeil qui chante fait trembler les ombres.
  12.  Ne mets pas la manucure dans la cave.
  13.  Quand un œuf casse des œufs, c’est qu’il n’aime pas les omelettes.
  14.  L’agent fraîchement assommé se masturbe de même.
  15.  La danse règne sur le bois blanc.
  16.  Les grands oiseaux font les petites persiennes.
  17.  Un crabe, sous n’importe quel autre nom, n’oublierait pas la mer.
  18.  Nul ne nage dans la futaie.
  19.  « Examine mon cas » dit le héros à l’héroïne.
  20.  Pour la canaille obsession vaut mitre.
  21.  Les labyrinthes ne sont pas faits pour les chiens.
  22.  Rincer l’arbre.
  23.  Orfèvre, pas plus haut que le gazon.
  24.  Les curés ont toujours peur.
  25.  C’est le gant qui tombe dans la chaussure.
  26.  Devenu creux, le cap se fait tétine.
  27.  Le soleil ne luit pour personne.
  28.  Épargner la manne, c’est rater l’enfant.
  29.  Un vrai voleur d’hirondelles.
  30.  A petits tonneaux, petits tonneaux.
  31.  Ne fumez pas le Job ou ne fumez pas.
  32.  Plus elle est loin de l’urne plus la barbe est longue.
  33.  La concierge pique à la machine.
  34.  Belette n’est pas de bois.
  35.  Trois dattes dans une flûte.
  36.  Il ne faut pas coudre les animaux.
  37.  Dieu calme le corail
  38.  Tourner le radius du côté du mur.
  39.  Qui s’y remue s’y perd.
  40.  Il faut battre sa mère pendant qu’elle est jeune.
  41.  Un clou chasse Hercule.
  42.  Quand la raison n’est pas là, les souris dansent.
  43.  Un peu plus vert et moins que blond.
  44.  Viande froide n’éteint pas le feu.
  45.  Une ombre est une ombre quand même.
  46.  Saisir l’œil par le monocle.
  47.  Le silence fait pleurer les mères.
  48.  Peau qui pèle va au ciel.
  49.  Il n’y a pas de désir sans reine.
  50.  Qui n’entend que moi entend tout.
  51.  Trop de mortier nuit au blé.
  52.  Une femme nue est bientôt amoureuse.
  53.  Qui sème des ongles récolte une torche.
  54.  La grandeur ne consiste pas dans les ruses, mais dans les erreurs.
  55.  On n’est jamais blanchi que par les pierres.
  56.  Mourir quand il n’est plus temps.
  57.  Se mettre une toupie sur la tête.
  58.  Honore Sébastien si Ferdinand est libre.
  59.  Trois font une truie.
  60.  Il y a toujours un squelette dans le buffet.
  61.  La métrite adoucit les flirts.
  62.  Un loup fait deux beaux visages.
  63.  Saisir la malle du blond.
  64.  Les complices s’enrichissent.
  65.  La feuille précède le vent.
  66.  Les cerises tombent où les textes manquent.
  67.  Joyeux dans l’eau, pâle dans le miroir.
  68.  Le marbre des odeurs a des veines mouvantes.
  69.  Mettez un moulin à cheval, il ira à Chatou.
  70.  S’il n’en reste qu’une, c’est la foudre.
  71.  Il ne faut pas lâcher la canne pour la pêche.
  72.  Duvet cotonneux des médailles.
  73.  Vague de sous, puits de moules.
  74.  Un nègre marche à côté de vous et vous voile la route.
  75.  Le rat arrose, la cigogne sèche.
  76.  Les enfants qui parlent ne pleurent pas.
  77.  A chaque jour suffit sa tente.
  78.  Comme une poulie dans un pâté.
  79.  Tout ce qui grossit n’est pas mou.
  80.  C’est l’auréole qui perce la dentelle.
  81.  Les poils tombés ne repoussent pas pour rien.
  82.  Coupez votre doigt selon la bague.
  83.  Il y a toujours une perle dans ta bouche.
  84.  Ne jetez aux démons que les anges.
  85.  Vous avez tout lu mais rien bu.
  86.  A quelque rose chasseur est bon.
  87.  Faire son petit sou neuf.
  88.  Loin des glands, près du boxeur.
  89.  Fidèle comme un chat sans os.
  90.  Un cou crasseux fait un pipe culottée.
  91.  Les beaux crânes font de belles découvertes.
  92.  Gratter sa voisine ne fleurit pas en mai.
  93.  D’abord enfermez le collier, ensuite attrapez-le.
  94.  Tout ce qui vient de ma cuisine grandit dans la cour.
  95.  Brûler le coq pour grossir.
  96.  Tirez toujours avant de ramper.
  97.  Un corset en juillet vaut un troupeau de rats.
  98.  User sa corde en se pendant.
  99.   Une brume s’y prend plus gentiment.
  100.  Jouer du violon le mardi.
  101.  Le pélican est ce qui se rapproche le plus du bonnet de nuit.
  102.  Saluer l’âne qui broute des griffes.
  103. Rassemble, afin d’aimer.
  104. Les courtisanes perdent leurs as.
  105. Passe ou file.
  106. Les savants qui s’approchent jettent leurs vêtements dans les fossés.
  107. Faire deux heures d’une horloge.
  108. Les homards qui chantent sont américains.
  109.  Il n’y a pas de cheveux sans rides.
  110.  Les amants coupent les amantes.
  111.  Un albinos ne fait pas le beau temps.
  112.  Tout ce qui vole n’est pas rose.
  113.  Je suis venu, je me suis assis, je suis parti.
  114.  Il y a loin de la route aux escargots.
  115.  Rouge comme un pharmacien. 
  116.  Porter ses os à sa mère.
  117.  Un plongeon vaut mieux qu’une grimace.
  118.  Le son fait la Beauce.
  119.  Dans le paysage, un beau fruit fait une bosse et un trou.
  120.  A chien étranglé, porte fermée.
  121. Herbe sonore se prend au nid.
  122. Dansez tout le jour ou perdez vos binocles.
  123.  Sourd comme l’oreille d’une cloche.
  124. Deux crins font un crime.
  125.  Mieux vaut mourir d’amour que d’aimer sans regrets.
  126.  Il y a un ivrogne pour les curieux.
  127.  C’est un rat qui dégonfle un autre rat.
  128.  Un trombone dans un verre d’eau.
  129.  Une arme suffit pour montrer la vie.
  130. Un jeune homme marié perd son nez.
  131.  Il n’y a pas de bijoux sans ivresse.
  132.  Les castors ne se purgent pas la nuit.
  133.  Mon prochain, c’est hier ou demain.
  134.  Écraser deux pavés avec la même souche.
  135.  Tuer n’est jamais voler.
  136.  Ne grattez pas le squelette de vos aïeux.
  137.  Taquiner le corbillard.
  138.  Les pelles ne se vendent pas sans fusils.
  139.  A chacun sa panse.
  140.  Les blessures en forme d’arc ne conjurent pas l’orage.
  141.  Sois grand avant d’être gras.
  142.  Un rêve sans étoiles est un rêve oublié.
  143.  Brosse d’amour pour les hirsutes.
  144.  Le sein est toujours le cadet.
  145.  Pendu aux cerises.
  146.  Chien mal peigné s’arrache les poils.
  147.  Celui qui n’a jamais senti la pluie se moque des nénuphars.
  148.  La rivière est borgne.
  149.  Une tarte suffit pour l’horizon.
  150.  A bonne mère, suie chaude.
  151.  Quand la route est faite, il faut la refaire.
  152.  Vivre d’erreurs et de parfums.

 

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Faulkner: propos sur l’écriture

images?q=tbn:ANd9GcRbz-FhTnxbyKmN1vZoKyZTmNbTiJMp54EsWduCa8dTnNcyKJ9kst35Xw« En 1957-1958, William Faulkner est invité à l’université de Virginie. Il prononce des conférences, mais surtout rencontre les étudiants lors de multiples séances de questions réponses. Ces entretiens sont traduits chez Gallimard en 1964 (et désormais un gibier de bouquiniste). » François BON

Je dirais que l’écrivain a trois sources : l’imagination, l’observation, l’expérience. Lui-même ne sait pas ce qu’il prendra à chacune et à quel moment, parce que chacune de ces sources ne sont pas elles-mêmes très importantes pour lui. Il peint des êtres humains et emploie ses matériaux en les prenant à ces trois sources comme le charpentier va dans son cabinet de débarras pour y prendre une planche qui doit faire l’affaire pour un coin de sa maison. 

Je pense qu’un écrivain qui a beaucoup de … qui le pousse à s’exprimer, n’a pas le temps de s’occuper du style. 

Je pense que la meilleure façon de lire… non, je ne peux pas dire la meilleure façon, c’est ma façon à moi de lire : je prends le livre et je peux dire, après avoir lu deux ou trois pages, si je désire lire le livre en entier. Si ce n’est pas le cas, je le pose et j’en prends un autre. Je dirai que pour mes livres il faut prendre la même manière et de lire une page ou deux jusqu’à ce que vous en trouviez une qui vous donne envie d’en lire une autre.

Les écrivains… je me demande si un écrivain a jamais une conversation intéressante avec un autre écrivain. Je veux dire par là que l’écrivain, à moins d’avoir épuisé ses idées, est trop occupé à essayer de dire ce que son démon le pousse à dire, avant de mourir, pour avoir le temps de causer boutique avec un autre écrivain, et alors ils parlent de la condition humaine, et cela n’a aucune importance que deux écrivains parlent de la condition humaine ou deux artisans ou deux hommes de loi ou deux médecins. En réalité, un écrivain n’a presque rien de commun avec un autre écrivain. Il… il est simplement poussé par le même démon.

Je suis complètement désordonné. Je n’ai jamais appris à accrocher quelque chose ou à remettre quelque chose là où je l’avais pris. Ainsi je travaille… eh bien, comme dit l’athlète, quand je suis échauffé. Et je n’aime pas travailler, de nature je suis paresseux. Je remets à plus tard tant que je peux, et puis, quand je commence, c’est un divertissement. Je pense que la raison pour laquelle on écrit, c’est parce que c’est un divertissement, que vous aimez ça, c’est votre tasse de thé. C’est pourquoi j’écris jusqu’à ce que je décide de m’arrêter, parce que la seule règle que je suive en écrivant, c’est de laisser ça pendant que je suis encore échauffé, afin de pouvoir recommencer le lendemain. Mais je n’ai jamais eu d’ordre. Certains écrivains ont de l’ordre : ils bâtissent d’abord une intrigue ou un plan, ils prennent des notes, ce qui est une bonne chose et les satisfait, mais pas moi. Je serais complètement perdu. Probablement que si je prenais des notes, je me dirais : eh bien, ça suffit, je n’ai plus besoin de travailler, et je laisserais ça là. Ainsi je remets le travail à plus tard aussi longtemps que je le peux et je fais autant de recherches et prends autant de notes que je peux là-dedans [nota : il montre sa tête], c’est ensuite que je commence à écrire.

Je pense que l’écrivain est trop occupé à essayé de créer des personnages de chair et de sang, qui tiennent debout et projettent une ombre, pour avoir le temps de se rendre compte des symboles qu’il met dans son œuvre ou de ceux que les lecteurs peuvent y découvrir. S’il avait le temps de… c’est-à-dire que si un individu pouvait peindre un personnage authentique, croyable, fait de chair et de sang et en même temps délivrer un message, peut-être le pourrait-il, mais je crois qu’aucun écrivain n’est capable des deux à la fois, je crois qu’il faut qu’il choisisse l’un des deux : ou il délivre un message, ou il essaie de créer des êtres humains de chair et de sang, vivants, souffrants, angoissés.

Je lis Don Quichotte tous les ans. Je lis l’Ancien Testament. Je lis un peu de Dickens tous les ans, et j’ai un Shakespeare de poche que je porte avec moi, Conrad, Moby Dick, Tchékhov, Madame Bovary, quelques romans de Balzac, et presque tous les ans Tolstoï. La plupart des Français du XIXème siècle, je m’en impose la lecture chaque année. J’en compte à peu près cinquante que je lis… j’entre dans ces livres comme on entre dans une pièce pour y trouver de vieux amis, j’ouvre le livre par le milieu et j’en lis quelques pages et je crois que, tous les dix ans, je les ai tous relus.

William Faulkner (1897-1962)

Source: http://www.tierslivre.net/spip/spip.php?article109


TRANCHES DE SAVOIR

images?q=tbn:ANd9GcR018YVSKQ_1Krn4_SzejXzz5QRCr0BYJDB4EXeqELSO8SHHPm_aApar Henri MICHAUX (1954)


Comme on détesterait moins les hommes s’ils ne portaient pas tous figure.

 

 

A huit ans, je rêvais encore d’être agréé comme plante.

 

Attention au bourgeonnement ! Ecrire plutôt pour court-circuiter.

 

 

Faites pondre le coq, la poule parlera.

 

 

Les oreilles dans l’homme sont mal défendues. On dirait que les voisins n’ont pas été prévus.

 

 

Taciturne en montagne, bavard en plaine.

 

 

Ma vie : traîner un landau sous l’eau. Les nés-fatigués me comprendront.

 

 

Tout n’est pas dur chez le crocodile. Les poumons sont spongieux, et il rêve sur la rive.

 

Délire d’oiseau n’intéresse pas l’arbre.

 

 

Qui cache son fou, meurt sans voix.

 

Le phallus, en ce siècle, est doctrinaire.

 

 

Chaudron de pensées  se prenant pour homme.

 

Qui chante en prison mettra, quand on le lui demandera, son frère en prison.

 

 

Qui laisse une trace, laisse une plaie.

 

 

Qui a rejeté ses démons vous importune avec ses anges.

 

Le cœur du sensible souffre trop pour aimer.

 

 

C’est ce qui n’est pas homme autour de lui  qui rend l’homme humain. Plus sur terre il y a d’hommes, plus il y a d’exaspération.

 

 

Ne faites pas le fier. Respirer c’est déjà être consentant. D’autres concessions suivront, toutes emmanchées l’une à l’autre. En voici une. Suffit, arrêtons-la.

 

Lacrimosa de Preisner dans The tree of life

Le Lacrimosa du Requiem for my friend (écrit en mémoire de Kieslowski) de Zbigniew Preisner chanté par Elzbieta Towarnicka.

Ce chant fait partie de la b.o. de The tree of life de Terrence Malik. Après un quart d’heure de film, vient une séquence de près de vingt minutes d’images de création de l’univers (réalisées pour une partie d’entre elles dans un laboratoire avec un bain chimique, un plateau tournant etc., ce ne sont pas des images de synthèse). Puis le film retrouve un cours plus normal mais qui reste typique du style du réalisateur.

Le film raconte de façon impressioniste l’histoire d’une famille ordinaire américaine de la seconde moitié des années 50. Avec un père sévère, qui veut donner le sens du combat, de la survie, à ses trois fils (il incarne la nature), et une mère taiseuse et aimante (elle incarne la grâce). Dix ans plus tard environ (le film commence par là), la mère apprend le décès d’un de ses fils à la guerre. Mais c’est le parcours de l’aîné (entre adolescence et âge adulte) qu’on suivra, appelé à choisir entre la philosophie du père et celle de la mère… Avec Brad Pitt (le père), Jessica Chastain (la mère), Sean Penn (le fis aîné à l’âge adulte). 

Paul MORAND – propos choisis

L’histoire, sur laquelle notre début de siècle s’est tellement appuyé, pour vivre et penser, ne servira bientôt plus de rien, tant ce qu’on va voir (basé sr la technique et non plus sur l’horreur) aura de moins en moins de précédents.

La concentration : il faudrait l’enseigner aux enfants, avoir des classes de concentration ; et de mémoire (les Jésuites, seuls, l’ont compris). On ne réussit qu’en pensant à une seule chose, que ce soit à un personnage de roman, ou une fortune à faire.

Aragon, un désespéré qui a raté son suicide ; les surréalistes de 1920 se faisaient sauter la cervelle ; Aragon a pris le parti communiste comme on prend un revolver. Du parti, il en est depuis longtemps, mais il n’en sera jamais ; les communistes le savent bien ; il a besoin d’eux et eux guère besoin de lui ; par l’ubiquité de son talent, il leur échappe.

Comme je le disais plus haut, l’histoire d’un critique est presque toujours la même : au départ, un roman raté ; déçu, l’auteur se lance dans la critique, son amertume, ses déceptions le servent ; on le redoute, cette crainte lui vaut une autorité factice qui le hausse au premier plan ; dès lors, aucun éditeur n’ose refuser son second, son troisième roman, aussi mauvais que le premier. De sorte que ce qu’il gagne en renommée de commentateur féroce, il le reperd ailleurs. Voilà son drame.

Ce qu’enseignent toutes les religions, depuis quelques milliards d’années, le renoncement à soi-même, la corruption de la chair, la rentrée de l’homme dans son essence, le mépris des choses terrestres, la victoire sur les passions, un maître l’enseigne à chacun de nous ; ce maître, c’est la Nature et sa fille, la Vieillesse. Point n’est besoin de prêtres et même de dieux ; elle se charge de notre éducation.

Tous les défauts des gens éclatent dans les dîners en ville : la vanité et la fourberie des femmes, la bêtise ou le conventionnel des hommes, le faux des rapports sociaux, la comédie mondaine. Tout cela rend le dîner en ville un supplice effroyable. Le déjeuner, au contraire, est rapide, amusant, léger, on n’a le temps de détester personne, c’est charmant.

Au déjeuner, au Meurice, j’avais à ma droite, sur le canapé, Dutourd, et à ma gauche, Boisdeffre, qui me caressaient ; c’était comique, ce canapé, avec le vieil auteur flanqué de deux affamés d’Académie. Eussé-je été pédé, ils se seraient déculottés sur place. Cela avait quelque chose d’obscène et d’écoeurant.

Avec les femmes, on ne sait jamais où on en est. Une arrive charmante : il suffit d’un mot malheureux : une furie. Une autre en colère : ¼ d’heure plus tard, charmante. Celle-ci, d’aspect rébarbatif : une mouilleuse immédiate ; celle-là, aguichante : n’arrive pas à jouir. Jusqu’à l’anatomie, si trompeuse : leur clitoris fuit sous le doigt, n’est jamais où on le cherche. A tel point que la femme doit souvent aider (du genre : « c’est là… ou, tu y es », etc.)

Les femmes ont besoin d’un homme pour se persuader qu’elles existent, pour jouir, mais d’elles-mêmes.
Les femmes se vengent sur l’homme d’avoir besoin de lui pour exister.

Journée aux Hayes. Je fais un bouquet pour Hélène, de tout ce que contient le jardin, comme échantillon : lilas blancs, pivoines, iris mauves et dorés, lupins, ancolies, boules de neige, genêts, épines roses, rhodos, azalées du Japon, dernières tulipes perroquet jaunes et rouges, grappes jaunes des faux ébéniers.

Paul Morand, Journal inutile (Gallimard)

Remarques en passant / Alain Sagault

10 + 1 extraits de la livraison n°25

CHAR (René)

Il y a décidément du dindon chez René Char – qui n’est pas seul de son espèce, car cette volaille prétentieuse se rencontre beaucoup dans le champ poétique, qu’elle infeste de ses déjections. Tenté de lire Lettera amorosa. Ça tombe des mains. Prose solennelle et empesée qui voudrait sculpter dans le marbre d’incroyables banalités ou des gongorismes d’une ridicule préciosité. Quelle belle pâtée aurait fait Molière de ce Trissotin qui se donne des allures de Don Quichotte ! Je me demande parfois si tant de poètes ne fuient pas la prose pour la poésie que parce qu’elle n’est pas aussi propice à la pose…

 

CRÉTINISME

On s’étonne parfois de m’entendre traiter de crétins certains hommes politiques supposés brillants. C’est que la plupart des gens présument de l’intelligence par la position atteinte et s’en laissent imposer par des apparences qui ne résistent pas au moindre examen un peu sérieux.

Le fait est qu’à la lumière de ce qu’ils disent, et plus encore de ce qu’ils font, on ne peut reconnaître à un Sarkozy, voire à un DSK, qu’une forme particulièrement grossière et primitive d’intelligence manœuvrière, qui n’est au fond qu’une sorte de perfectionnement pervers du crétinisme intrinsèque lié à la survivance du cerveau reptilien.

Esclaves de leurs pulsions, gouvernés par les passions les plus basses, dévorés d’ambition personnelle, la plupart des hommes de pouvoir, par nature incapables de vision à long terme, sont bien d’authentiques crétins. Leur ambition obsessionnelle leur confère certes une étonnante énergie et une indiscutable habileté à se pousser au premier rang, mais ne sert en dernière analyse qu’à confirmer leur radicale incapacité à exercer dignement et efficacement un pouvoir qui ne les intéresse précisément que pour l’empire qu’il leur donne et la pitoyable satisfaction qu’il procure à leurs ego surdimensionnés – autre incontestable preuve de crétinisme.

Il n’est que trop évident que ni Sarkozy ni DSK, pour ne citer que ces deux « bêtes politiques » (fréquemment reprise, l’expression ne doit rien au hasard…), n’ont pas leur place dans un gouvernement démocratique digne de ce nom.

Quant à leur crétinisme, nul besoin de le démontrer, ils se chargent eux-mêmes depuis des années d’en faire à tout bout de champ l’étalage…

Pourquoi croyez-vous que la gent politique soit plus déconsidérée qu’elle ne l’a jamais été ? Parler de populisme, c’est se voiler la face.

 

HUMAIN

J’aime avant tout ces auteurs que j’appellerais humains : une galerie apparemment hétéroclite de créateurs de toutes les époques que réunit leur amour de la vie, leur humour, et leur refus de se payer de mots. D’Aristophane à Shakespeare en passant par Molière et La Fontaine, de Labiche à Musset, d’Orwell à Koestler, de Proust à Pessoa, de Suarès à Gary, de Guareschi à Fante, de Marivaux à Tchékhov, de Laclos à Dumas, de Rabelais à Montaigne et Pascal, ils sont plus hommes encore qu’écrivains, si bons écrivains soient-ils. D’où l’impression profonde qu’ils m’ont fait et que chaque relecture amplifie. En eux je me retrouve, et découvre mes semblables. Ils me sont fraternels parce qu’envers et contre tout, face à la dureté de l’existence, sans qu’ils sombrent jamais dans la lâcheté de l’optimisme, une essentielle jubilation les habite et les meut.

 

IMMACULÉE CONCEPTION

La conception serait donc naturellement maculée, intrinsèquement mauvaise et fautive ?

Étrange peur de la naissance, de l’incarnation. Peur de la mort en vérité, car qui naît meurt. Le fantasme de la virginité n’est que la plus minable des astuces élaborées par notre permanente terreur de la mort. Puisqu’elle doit mourir, la chair serait d’entrée corrompue. L’Immaculée Conception, cet odieux blasphème contre la nature et la vie, est un des concepts les plus rétrogrades imaginés par des esprits malades dans leur quête désespérée d’une prise de pouvoir sur la vie qui leur permettrait d’échapper à l’incarnation et à la mort qu’elle implique.

Les dogmes ont la vie dure, ils arrivent souvent à tuer la vie. De là à avoir la peau de la mort…

 

INCULTURE

Jamais nous n’avons été plus incultes, et jamais nous n’avons été aussi nombreux à nous prendre pour des écrivains ou des artistes. Rien de paradoxal, au contraire : c’est notre inculture même qui nous donne l’audace de croire qu’on peut être un peintre ou un écrivain digne de ce nom sans autre bagage que l’envie de le devenir.

L’infernal culot des analphabètes ouvre parfois la voie à des génies instinctifs ; il a trop souvent pour fruit le désolant étalage d’une infinie médiocrité.

C’est notre inculture qui nous rend assez présomptueux pour croire que rien n’est plus facile que créer sans avoir appris. La création n’est pas un goût, c’est une vocation et un métier, l’une n’allant pas sans l’autre.

D’où ce paradoxe aisément compréhensible : plus il y a d’écrivants, moins il y a d’écrivains, plus de barbouilleurs, moins de peintres, plus de plasticiens, moins d’artistes.

 

JOB(S)

Jobs a fait le job, point barre. Aucune raison de déifier ce personnage, as du marketing, brillant et désespérément superficiel, à l’image de tous les jeunes loups de tous les temps. Jobs nous a rendu service pour le meilleur et pour le pire. Ni monstre ni bienfaiteur de l’humanité, il a vécu sa mégalomanie jusqu’au bout, ce qui ne suffit pas à en faire un exemple.

Si mes concitoyens ont besoin de Steve Jobs pour être heureux, pas étonnant qu’ils aient voté Sarkozy : c’est que le marketing et la communication, ces attrape-nigauds, leur tiennent lieu de vie. Il n’est pas rare que les esclaves aiment leur esclavage, pourvu que la chaîne soit plaquée or.

 

JOLY (Eva)

Pas de doute, Eva Joly gêne. Comment tolérer dans le marigot puant des politiques actuels un être humain honnête avec lui-même et avec ses convictions, animé par un idéal, et qui tente de parler et d’agir en conformité avec lui ?


MATISSE

Dans ses écrits, Matisse est parfois terriblement agaçant de froideur, de distance et aussi de pédantisme. Mais c’est peut-être justement sa tendance à la mégalomanie qui lui permet de lâcher si souvent des formules admirables et fondamentales, comme celle-ci, que j’aimerais reprendre à mon usage : « J’espère perdre pied et alors je ne pourrai m’en tirer que par l’inconnu. »

Comment définir mieux l’état de recherche qui peut seul mener à la découverte ? C’est beaucoup plus beau, beaucoup plus juste et finalement bien moins prétentieux que la douteuse proclamation d’un Picasso : « Je ne cherche pas, je trouve ».                        

 

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MONET

Ce qui me passionne chez Monet, c’est sa façon de chercher la difficulté. Et de la surmonter. Jamais il ne cherche à esquiver, il va droit au fait et tourne le problème dans tous les sens jusqu’à trouver, non pas la solution, pas même sa solution, mais quelques-unes de ses solutions. Qui posent de nouveaux problèmes auxquels il s’attelle aussitôt.

 

PEINTURE

Je crois de moins en moins en l’image et j’ai toujours davantage foi en la peinture. L’image donne à voir, la peinture à contempler.

 

PEINTURE « PURE »

Croire que la peinture se suffit à elle-même relève d’un singulier manque de sensibilité. Pour atteindre à l’art, la peinture doit avoir d’une manière ou d’une autre valeur symbolique. Faute de quoi, elle se limite au décoratif ou s’avilit dans le n’importe quoi.

Une peinture peut ne pas avoir de sens apparent, mais elle n’est peinture que si elle fait sens.

Lire aussi (entre autres) ATTENTE – BOURGEOIS – OULIPO – SERVICES PUBLICS – STATISTIQUES – VULGARISATION sur Le globe de l’homme moyen d’Alain SAGAULT:

http://www.ateliersdartistes.com/spip.php?article574

 

« Mon » Liège après le drame, par Pierre Kroll

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Liège, c’est ma ville. Liège c’est une ville comme une autre. Enfin, les liégeois pensent qu’elle est différente de toutes les autres. Tous les gens qui sont d’une ville pensent qu’elle est différente de toutes les autres. A Liège, cette semaine, il y avait des jeunes qui passaient des examens, il y avait des vieux qui achetaient des cadeaux de Noël pour des jeunes pendant qu’ils passaient leurs examens, il y avait des jeunes qui, après leurs examens, achetaient des cadeaux pour des vieux, il y avaient des vendeurs et des vendeuses qui vendaient des cadeaux à des jeunes et des vieux. Il y avait du vent. Et puis, à midi, chaque jour, tout le monde prend le bus place Saint Lambert pour entrer étudier et cacher les cadeaux.

Mardi, à Liège il y avait un tueur. Un type a tiré dans la foule, il a blessé, massacré, même un bébé, et puis lui-même sans doute. On a parlé de Liège dans le monde entier comme on l’avait fait de Columbine, de la Norvège, de tous ces endroits où un jour un fou abat des gens qui n’avaient rien fait d’autre que d’être là.

Liège a son Kim de Gelder, son Anders Breivik, Liège est de son temps. Une ville de son temps ni différente des autres ni comme les autres.

Que savez-vous de Liège ? Une ville du sud dans ce pays du nord dont on retient plus la chaleur des habitants que la beauté des banlieues. A Liège, il se dit qu’on fait toujours tout un peu plus fort que les autres, un peu autrement aussi. On l’a dit des grèves, on l’a dit des affaires, on le dit de la fête. C’est à Liège qu’un ministre d’état se fait assassiner, à Liège qu’on s’offre une gare que New-York trouverait un peu ostentatoire. C’est à Liège qu’on sort les terrasses de bistrot dès qu’il fait 10 degrés pour se la jouer italienne. C’est à Liège qu’on fête le 14 juillet au lieu du 21 parce que ça nous amuse de nous croire un peu Français. C’est à Liège que le village de Noël, les petits chalets en bois ou l’on vend des gaufres et des bougies, est plus grand qu’un vrai village. C’est à Liège qu’on fait la fête à toute occasion. Le vernissage d’une exposition -et je m’y connais- à Bruxelles commence à 18h15 s’il est annoncé à 18 h et, à 19 , après quelques discours en deux langues et deux coupes de champagne, les plus épicuriens cherchent un restaurant. A Liège, annoncé à 18 h le discours de l’élu local se fera à 20h30 dans un brouhaha général et, vers minuit ou une heure, on se demandera offusqué comment il se fait qu’il n’y a plus rien à boire. J’exagère à peine. Le liégeois apprend dans « le Carré » a boire de tout en se tapant des grandes claques dans le dos, en embrassant ses potes et nos jolies filles…et bien avant d’avoir l’âge de conduire !

Et puis une fête un peu diffuse, un peu virtuelle que l’on fait à Liège depuis quelques années c’est celle d’une ville qui se voit sortir de ses marasmes. Le Standard est deux fois champion. La ville construit un peu partout, elle se propose d’organiser l’exposition internationale de 2017… et chaque fois qu’elle veut applaudir une bonne nouvelle, le sort ou Lakshmi Mittal lui gâche la fête.

A Liège, il y a deux ans, à cent mètres de la place Saint Lambert, deux immeubles explosaient. Des morts, des blessés. Des hôpitaux débordés. Des images qui ont aussi fait le tour du monde. C’était juste après les fêtes.

Carte blanche de Pierre Kroll dans Le soir du 14 décembre 2012

On a bien fait d’humilier les Grecs

par Stéphane GUILLON

Franchement, on a bien fait d’humilier les Grecs au G20 de Cannes : ces feignants, ces arnaqueurs, ces bouffeurs de feta ! Là-bas, la triche est un sport national, un mode de vie, aussi bien chez les pauvres que chez les riches… Seules 2% des piscines sont déclarées dans les quartiers chics d’Athènes. Truander les institutions est le passe-temps favori des Grecs, une seconde nature. Le gouvernement a ainsi découvert une île sur laquelle 600 «aveugles» touchent une aide pour cécité. Vous vous rendez compte ? 600 Gilbert Montagné. Si ça se trouve, ils couchent ensemble. Le Grec n’est pas seulement tricheur, il est aussi dépravé… Et la plupart du temps homosexuel, c’est connu. Cette année, à Mykonos, les naissances se sont comptées sur les doigts d’une main ! Imaginez une île peuplée de 600 gays non-voyants s’accouplant à nos frais… et c’est nous qui payons !

Il paraît que même les morts profitent du système. Le gouvernement grec a versé huit milliards d’euros à des retraités déjà décédés. Ici, si on se saigne, si on travaille jusqu’à 62 ans, c’est pour payer la retraite de Grecs morts qui, de leur vivant, faisaient semblant d’être aveugles, se baignaient dans des piscines non déclarées et s’enfilaient du matin au soir, bourrés à l’ouzo. Oui, en plus, le Grec est alcoolique ! Ça ne pouvait plus durer, il fallait réagir.

Sarko et Merkel ont bien fait d’humilier le président Papandréou, de lui montrer «qui est le chef, qui commande !» (C’est malheureux, mais ils ne comprennent que ça : la discipline !) Georges Papandréou… Franchement, avec un nom pareil, comment voulez-vous être crédible ? Leur ministre des Finances s’est appelé Papaconstantinou. Et leur ministre des Transports? Papamobile ? Quand j’étais petit, notre médecin de famille s’appelait Papayanou, une Grecque bâtie comme undeuxième-ligne. Comme il y avait «papa» dans son nom, pendant des années, je l’ai appelée «monsieur». Du coup, à chaque fois qu’elle m’auscultait, elle demandait à ma mère en roulant les «r» : «Madame Guillon, est-ce qu’il vous rrreconnaît, est-ce qu’il rrreconnaît sa mèrrre ?»

Georges Papandréou a un petit côté Sean Connery… Un Connery qui les accumule pour le coup ! Monsieur voulait faire un référendum, consulter son peuple, et puis quoi encore ? Les Grecs sont forcément d’accord. Quand on a la chance de se faire dicter sa conduite par Nicolas Sarkozy, sans l’avoir choisi, sans l’avoir élu, on ne peut que se réjouir ! On est quand même bien gentil, nous, les Français, de leur prêter notre Président qu’on aime tant ! Franchement, on aura tout vu. La Grèce représente 2% du PIB de la zone euro, quasiment rien, une chiure de mouche, et Monsieur Papasanlessou la ramène ! Ils ont bien fait de l’humilier Merkel et Sarko ! Le faire attendre deux heures comme un vulgaire laquais. (Tu veux des sous Papasanlessou ? Et bah des clous ! Papadesclous !)

Le moment le plus cruel, c’est quand Papandréou arrive seul au G20, personne pour l’accueillir. Il fait presque de la peine, on le voit sortir de sa voiture, perdu, incrédule, presque hagard, il a l’air de dire : «Non, c’est pas possible, ils ne m’ont pas fait ça ? Ils n’ont pas osé !» Si, Merkel et Sarko osent tout : 50% du PIB de la zone euro à eux deux, ça donne des droits. Ils auraient pu être encore plus méchants, demander à Nikos Aliagas, son compatriote, de l’accueillir ! «Et bien bienvenue, welcome au G-twenty of Cannes… Georges Papandréou doit-il quitter The Stage International, vous pouvez voter chez vous, twitter at home… Ce soir, une chose est sûre, la Grèce ne va pas kiffer la life !»

C’est marrant le protocole : en 2007, à l’Elysée, Kadhafi a eu droit au tapis rouge. Quatre ans plus tard, à Cannes, Papandréou n’a le droit à rien, pas la moindre hôtesse. Assassiner des gens est moins grave que faire des chèques en bois. Après le camouflet de l’arrivée, l’opprobre de la conférence de presse. Glaciaux et hautains, Merkel et Sarko ont sermonné Papandréou comme un petit garçon malpropre. Ils se sont bien trouvés ces deux-là. Ils pourraient jouer dans la pub Orangina rouge : «Pourquoi sont-ils si méchants ?» Petits, laids avec le cul évasé… comme la célèbre bouteille. Merkel et Sarko, les Starsky et Hutch du G20, l’Europe du haut qui tance l’Europe du bas. Bientôt, ce sera au tour des Italiens, ces macaronis fourbes et gominés, puis à celui des Portugais : ces portos au goût de chiotte qui mettent un fer à cheval sur la calanque de leur voiture, puis on passera aux Espagnols, ces amateurs de corrida aux grosses cojones, dépravés et bisexuels. L’idée finale est d’arriver à une belle Europe, riche et forte : l’Europe des deux, la France et l’Allemagne.

Un peu plus tard, au G20, Hu Jintao a fait poireauter Nicolas Sarkozy pendant dix minutes comme un vulgaire portier d’hôtel. Certains ont ri sous cape : l’honneur de Papandréou était lavé. Dix minutes à faire le pied de grue sous l’œil goguenard des caméras du monde entier… Comment Hu Jintao a-t-il pu traiter ainsi notre chef, le chef de la France, un pays à la tête d’un bilan aussi prestigieux : 1 646 milliards de dette, 8 millions de personnes vivant sous le seuil de pauvreté, 2,756 millions de chômeurs… La France, ce pays humble, accueillant et tourné vers l’autre. A l’heure, où j’écris ces lignes, la conduite de Hu Jintao reste un mystère !

sur Libération.fr

Marguerite DURAS / il ne faut pas se mêler des problèmes que chacun a avec la lecture

Je lis la nuit. Je n’ai jamais pu lire que la nuit. Quand j’étais écolière je lisais également la nuit, la nuit de la sieste qui vide la ville comme la nuit horaire. Cette habitude est venue de ma mère qui disait qu’il fallait lire en dehors des heures de travail. La lecture s’est donc faite à la place du sommeil de la sieste, comme ensuite plus tard, elle s’est faite à la place du sommeil de la nuit. Je n’ai jamais lu à la place d’écrire ou de m’ennuyer ou de parler avec quelqu’un. Je découvre ça tout à coup : je n’ai jamais lu par ennui. Je n’ai jamais entendu ma mère dire à ses enfants : si tu t’ennuies, lis un livre.

 

Ma mère, elle, n’avait jamais rien lu. Le lendemain de son diplôme d’institutrice, elle a fermé tous ses livres et elle les a donnés à sa petite sœur. Elle disait : « Je n’ai jamais pris le temps de lire dans ma vie. » Très vite ça a été trop tard. Elle est morte ainsi, sans lecture, sans presque de musique, dans la seule occupation de vivre la vie qui se présentait à elle. Lorsque moi je lisais, ma mère, elle, dormait. On lisait couché sur des nattes, sous les cages d’escalier, dans les endroits obscurs et frais de la maison. C’est là aussi qu’on pleurait quand elle disait vouloir mourir. Ma mère nous laissait libres de tout et de lire tout aussi bien, on lisait ce qu’on pouvait, ce qu’on trouvait, ce qu’il y avait. Elle ne contrôlait jamais rien, jamais.

 

Un jour j’ai eu une aventure avec la lecture qui m’a beaucoup troublée et qui ne laisse pas de le faire encore. Je devais revenir de vacances, soit d’Italie, soit de la Côte d’Azur, je ne sais plus du tout. Ce que je sais c’est que je devais prendre un train qui partait très tôt le matin et qui arrivait à Paris dans la nuit. J’avais très peu de bagages dont le principal était un sac de toile et un livre. Le livre était énorme, c’était un exemplaire dépareillé de la collection La Pléiade. Une chose est sûre, c’est que je n’avais pas encore lu ce livre, que j’aurais dû le lire en vacances, que je ne l’avais pas fait et qu’il me fallait le lire très vite maintenant, le plus vite possible, sans délai. Parce que, d’une part, j’avais promis et de le lire et de le rendre à une date précise qui devait être justement le lendemain de mon retour de vacances, et que, d’autre part, si ma promesse n’était pas tenue, aucun autre livre ne me serait prêté par la suite. Je ne sais plus du tout ce qui me valait cette rigueur de la part de mon prêteur de livres, mais même si elle était feinte, j’y croyais absolument, je croyais qu’il fallait que j’en passe par là sous peine de n’avoir plus de livres à lire. Je n’avais pas les moyens d’en acheter et les voler je n’osais pas le faire. L’enjeu était énorme.

 

Le train est parti. Aussitôt je me suis mise à lire la première ligne du livre tragique. J’ai continué. Je ne dois pas avoir mangé durant cette journée-là, et quand le train est arrivé à la gare de Lyon il faisait profondément nuit. Le train avait eu du retard sans doute, le jour avait déjà tourné. J’avais lu 800 pages de Guerre et paix en un jour : la moitié du livre. Le souvenir de cette journée a été long à s’effacer pour moi. Longtemps elle m’est apparue comme une trahison de la lecture. À y revenir aujourd’hui, elle me trouble encore. Quelque chose avait été sacrifié à la lecture rapide que j’avais faite du livre, comme une autre lecture, quelque chose d’aussi grave qu’une autre lecture. Je m’étais tenue à la lecture de l’histoire rapportée dans le livre aux dépens d’une lecture profonde et blanche sans narration aucune, celle de la pure écriture de Tolstoï. C’est comme si j’avais perçu ce jour-là et pour toujours qu’un livre était contenu dans deux couches superposées d’écriture, le couche lisible que j’avais lue ce jour de voyage et l’autre à laquelle on n’avait pas accès. Celle-là, illisible à toute lecture, on ne pouvait qu’en soupçonner l’existence au cours d’une distraction de la lecture littérale, comme on regarde l’enfance à travers un enfant. Ce serait sans fin de le dire et ce ne serait pas la peine.

 

Mais je n’ai jamais oublié Guerre et paix. La moitié qui restait du livre, est-ce que je l’ai jamais lue ? Je ne crois pas. Mais ça a été tout comme. J’ai rendu le livre et on m’en a prêté d’autres. Il me reste de cette journée l’image d’un train qui traverse une plaine, la grande coulée centrale de la douleur du Prince mourant et défait, son agonie à lui seul à travers celle de l’Europe entière. Et le souvenir, moins de Tolstoï, que celui de ma trahison de tout son être à partir de laquelle en effet je ne l’ai jamais tout à fait connu ni aimé.

 

J’ai lu par crises. Certaines ont duré deux ans. Dans ces cas-là j’étais obligée de lire de jour dans les grandes bibliothèques universitaires de Paris. On se demande par quelle aberration les grandes bibliothèques publiques sont fermées la nuit. J’ai rarement lu sur les plages ou dans les jardins. On ne peut pas lire dans deux lumières à la fois, celle du jour et celle du livre. On lit dans la lumière électrique, la chambre dans l’ombre, seule la page éclairée.

 

En apparence, j’ai lu n’importe comment, n’importe quoi. En fait, non. En fait, j’ai toujours lu des livres dont on m’avait dit qu’il fallait les lire, des gens, des amis ou des lecteurs en qui je croyais. J’étais dans un milieu qui jamais ne s’en référait aux critiques littéraires pour savoir ce qu’il fallait lire. Lorsqu’il m’arrivait de lire après coup des critiques de livres que j’avais lus, je ne reconnaissais pas ma lecture. La fonction critique, surtout écrite, journalistique, tue le livre dont elle rend compte. Pour que le livre ne la gêne pas pendant qu’elle opère, la critique immobilise le livre, elle l’endort, le sépare d’elle et elle le tue sans le savoir et il reste tué à la lecture de son histoire, foutes les critiques littéraires sont mortelles parce qu’il n’y a pas de lecture forcée. Ou on reste alors dans les couloirs de la littérature. Mais le livre reste mort. Les gens qui, enfants, ont été forcés de lire, savent ce qu’il en est de cette dénaturation de la lecture. Celle-ci peut durer la vie entière. C’est terrible à penser : la vie entière, le livre interdit, inapprochable, tel un objet effrayant.

 

Il y a des gens qui ne lisent que des critiques littéraires, qui ne lisent jamais les livres dont il est question dans ces critiques. Ils croient avoir lu le livre. Ils en parlent. Ils restent contents d’eux-mêmes. Que faire pour ces gens-là ? Je crois qu’il faut les laisser continuer, non ?

 

Il ne faut pas intervenir, il ne faut pas se mêler des problèmes que chacun a avec la lecture. Il ne faut pas souffrir pour les enfants qui ne lisent pas, perdre patience. Il s’agit de la découverte du continent de la lecture. Personne ne doit encourager ni inciter personne à aller voir ce qu’il en est. Il y a déjà beaucoup trop d’informations dans le monde sur la culture. On doit partir seul vers le continent. Découvrir seul. Opérer cette naissance seul. Par exemple, de Baudelaire, on doit être le premier à découvrir la splendeur. Et on est le premier. Et si on n’est pas le premier, on ne sera jamais un lecteur de Baudelaire. Tous les chefs-d’œuvre du monde devraient avoir été trouvés par les enfants dans des décharges publiques et lus en cachette à l’insu des parents et des maîtres. Quelquefois, de voir quelqu’un lire dans le métro avec une grande attention peut provoquer l’achat du livre. Mais pas pour les romans populaires. Là, personne ne se trompe sur la nature du livre. Les deux genres ne sont jamais ensemble dans les mêmes vitrines, dans les mêmes maisons, dans les mêmes mains. Les romans populaires se tirent à des millions d’exemplaires. Avec la même grille posée en principe depuis une cinquantaine d’années les romans populaires remplissent leur fonction de mise en identification sentimentale et érotique. Après les avoir lus, les gens les abandonnent sur les bancs publics, dans le métro, et ils sont ramassés par d’autres gens encore et encore lus. Est-ce lire, cela ? Oui, je pense que oui, c’est lire sa dose, mais c’est lire, c’est aller chercher de la lecture au-dehors de soi et la manger et la faire sienne et dormir et tomber dans le sommeil pour ensuite le lendemain aller travailler, rejoindre les millions d’autres, la solitude matriculaire, l’écrasement.

Texte (5/9) mis en ligne

sur le site de François BON à cette page:

http://www.tierslivre.net/spip/spip.php?article2709

Merci à Mu LM pour le lien.

Le blog de Mu LM, L’oeil bande:

http://l-oeil-bande.blogspot.com/