LES FORMES DE LA NUIT / Éric ALLARD – PEINTURES de John Atkinson GRIMSHAW

LE VENT DE MÊME

Il n’y a pas que la nuit pour souffrir du manque de formes

Le vent de même plie sous le poids de l’eau

Va d’un bonheur à l’autre sans manquer une page

A l’aube fais ton deuil des astres morts 

Si le temps dans tes espoirs s’emmêle

Retarde à jamais l’instant de la douce furie

Quand ton corps sur un œil se jette

Pour l’empêcher de te voir

 

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AU BORD

Au bord de la nuit, retiens ton soufre

Reflète dans le sang

Les premières paroles de l’aube

 

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LA RIVIÈRE 

La rivière piétine jusqu’à la mer

Quand son moteur à eau tombe en panne

Et qu’il reste dix-sept kilolitres de roues à aubes

À tourner 

Avant de faire un pain digne de rassasier

Toute la côte

Casse une baguette

À la mie de sable

Sur la grève

Où ta mère a mis bas

En passant tête la première

Par le chas

D’une aiguille de pin

Observe la distance

Te séparant du premier nuage

Ne crie pas

Fais semblant que tu dors

Pour qu’on se garde à jamais

De tes rêves

 

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CETTE SOURCE

Cette source haut-perchée sur la lune,

Qui l’a mise là 

Sinon un astronaute

Qui avait une trop grande soif ?

 

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LA NUIT SANS FORME

La nuit sans forme

Se dissout dans le jour

Sur une arête ou l’autre

Le soleil finira bien par se briser

 

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TA PEAU 

Ta peau elle chemine

Si la tombée du jour ne la voile pas

Si le grand froid ne la congèle pas

Si ton mari  ne l’arrête pas

Si la guerre tant attendue ne vient pas

Si le terrorisme d’une rare beauté mortelle ne la frappe pas

Au coeur 

À dix-sept heures précises

Elle sera sur mes vieilles lèvres

Entre mes dents rares sous ma langue rêche

Et mon abusive salive

 

Puis elle repartira comme elle venue

Dense certes

Mais revêtue de ses pauvres habits de tous les jours

Pour une nuit de rêve plus riche que d’habitude

Plus ombrageuse

Que sage

Peut-être

 

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NE FRAPPE PAS LE VENT

Ne frappe pas le vent

En traître

Avant qu’il ait courageusement

Marqué ta peau

De zébrures d’air

Avant que je les lèche

Pour renflouer

Mes mondes intérieurs

Et m’envoler

Au-dessus de tes terres

Tel un rapace repu

Tel un grand poisson venu

Des profondeurs

Orphelin des yeux

Peuplant tout ton visage

Comme une colonie de regards

 

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DÉTACHÉE DE LA NUIT

Détachée de la nuit

La lune accroche un rêve

De l’extrémité de son croissant

En forme de crochet de boucher

Au gril galactique

Bouffer bouffer

Était son nouveau credo

Gober l’univers en forme d’œuf

L’univers mou et transfiguré

Comme une comelette

Dans l’assiette de la grande ourse

Ronger ronger

Jusqu’au Big Bang

L’os du temps

Puis dormir jusqu’à pas d’heure

Faire la grasse matinée

Toute l’éternité

 

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LES DÉCHETS DE L’EXISTENCE 

Ne jetons pas la nuit avec l’eau du matin

Regardons à l’intérieur de la prison

Par la fenêtre de la peau

 

Ne laissons pas la mer

Avant de l’avoir essorée

Dans le petit pot de sable

 

Secouons la grille du geste

Pour récolter la chair

Dans les trous de l’espace

 

Je me croyais née pour t’aimer

Dit l’étoile lointaine au soleil mineur

Avant de se barrer avec la nuit

 

Sur la tombe d’une étoile morte

Une comète vient déposer

Une couronne de lumière

 

Ceci est mon tour, dit la lèvre

En panne de langue

Pour laper l’horizon.

 

On connaît les dessous du jour

Ils sont faits de mains et d’odeurs

Poussés par la fièvre du temps

 

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LA NUIT CONTINUE

La nuit continue au-delà des bizarreries du jour. Juste avant la fin des leurres, une lampe atténue l’horizon. Un feu pointe. Faut-il alors retenir son souffle ou passer outre la barre des tempêtes, la raison reléguée au rang d’obscur éclair ? Refaire le point avec les lignes de la main ou du songe ?

Porter l’eau là où n’éclaire que la braise ? Tenir haut le prisme d’incertitude ? Marquer la gazelle au fer de l’espoir quand les yeux se brisent de trop fixer le soleil?

On ne peut pas dire que le verbe sommeille avant d’avoir levé un mot dans le piège du sens. D’une feuille reconstitué l’enfance de l’arbre. Fait un nœud à la branche, dénoué des langues. Dormi une vie entière en attendant la plaie salvatrice, l’ultime appel du texte de l’existence. Uni les mains du temps, raviver ses forces. Appelé les amants à unir leur sexe dans le ventre plein d’un taureau.

Après le massacre des aficionados aux portes de l’arène.

 

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DEUX TROIS DOIGTS

Deux trois doigts de lumière

Sur un fond de vieux jour

Fenêtre d’eau vive

Dans l’alcool du souvenir

Je vois à la beauté de tes seins

Comme en plein amour

Un fragment de désert

Contenant le sable du monde

A la fable du soir

Je raconte cet énième poème

 

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RELIÉ

Je suis relié au monde

Accroché cramponné cloué

Par mille clous mille crampons

De toutes têtes

De toutes dimensions

 

Mais qui tient le marteau ?

 

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PARALLÈLES

Parallèles

Quelle ligne prendre

Pour te fuir ?

 

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TES FORMES

 

Ma vallée a la forme de tes hanches.

Et ma ville, celle de ton ventre

 

Mon quartier a la forme de ta poitrine

Et ma rue, celle de ton cou

 

Ma cour interieure a la forme de tes seins

Et ce rû, celui de ton con.

 

Si je tends la main

Je touche la forme de ton visage

 

J’ouvre les portes de tes lèvres

Je souris aux fenêtres de tes yeux

 

J’éprouve l’intérieur de ma maison

Comme un seul de tes baisers

 

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L’INFORME 

Quel que soit le bonheur de la nuit

Il n’est pas possible de reculer l’heure d’arrivée du jour

L’informe de même plie sous le poids de l’aube

 

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Textes d’Éric Allard

Peintures de John Atkinson Grimshaw

John Atkinson Grimshaw sur le blog de Denys-Louis Colaux