LE VENT DE MÊME
Il n’y a pas que la nuit pour souffrir du manque de formes
Le vent de même plie sous le poids de l’eau
Va d’un bonheur à l’autre sans manquer une page
A l’aube fais ton deuil des astres morts
Si le temps dans tes espoirs s’emmêle
Retarde à jamais l’instant de la douce furie
Quand ton corps sur un œil se jette
Pour l’empêcher de te voir
AU BORD
Au bord de la nuit, retiens ton soufre
Reflète dans le sang
Les premières paroles de l’aube
LA RIVIÈRE
La rivière piétine jusqu’à la mer
Quand son moteur à eau tombe en panne
Et qu’il reste dix-sept kilolitres de roues à aubes
À tourner
Avant de faire un pain digne de rassasier
Toute la côte
Casse une baguette
À la mie de sable
Sur la grève
Où ta mère a mis bas
En passant tête la première
Par le chas
D’une aiguille de pin
Observe la distance
Te séparant du premier nuage
Ne crie pas
Fais semblant que tu dors
Pour qu’on se garde à jamais
De tes rêves
CETTE SOURCE
Cette source haut-perchée sur la lune,
Qui l’a mise là
Sinon un astronaute
Qui avait une trop grande soif ?
LA NUIT SANS FORME
La nuit sans forme
Se dissout dans le jour
Sur une arête ou l’autre
Le soleil finira bien par se briser
TA PEAU
Ta peau elle chemine
Si la tombée du jour ne la voile pas
Si le grand froid ne la congèle pas
Si ton mari ne l’arrête pas
Si la guerre tant attendue ne vient pas
Si le terrorisme d’une rare beauté mortelle ne la frappe pas
Au coeur
À dix-sept heures précises
Elle sera sur mes vieilles lèvres
Entre mes dents rares sous ma langue rêche
Et mon abusive salive
Puis elle repartira comme elle venue
Dense certes
Mais revêtue de ses pauvres habits de tous les jours
Pour une nuit de rêve plus riche que d’habitude
Plus ombrageuse
Que sage
Peut-être
NE FRAPPE PAS LE VENT
Ne frappe pas le vent
En traître
Avant qu’il ait courageusement
Marqué ta peau
De zébrures d’air
Avant que je les lèche
Pour renflouer
Mes mondes intérieurs
Et m’envoler
Au-dessus de tes terres
Tel un rapace repu
Tel un grand poisson venu
Des profondeurs
Orphelin des yeux
Peuplant tout ton visage
Comme une colonie de regards
DÉTACHÉE DE LA NUIT
Détachée de la nuit
La lune accroche un rêve
De l’extrémité de son croissant
En forme de crochet de boucher
Au gril galactique
Bouffer bouffer
Était son nouveau credo
Gober l’univers en forme d’œuf
L’univers mou et transfiguré
Comme une comelette
Dans l’assiette de la grande ourse
Ronger ronger
Jusqu’au Big Bang
L’os du temps
Puis dormir jusqu’à pas d’heure
Faire la grasse matinée
Toute l’éternité
LES DÉCHETS DE L’EXISTENCE
Ne jetons pas la nuit avec l’eau du matin
Regardons à l’intérieur de la prison
Par la fenêtre de la peau
Ne laissons pas la mer
Avant de l’avoir essorée
Dans le petit pot de sable
Secouons la grille du geste
Pour récolter la chair
Dans les trous de l’espace
Je me croyais née pour t’aimer
Dit l’étoile lointaine au soleil mineur
Avant de se barrer avec la nuit
Sur la tombe d’une étoile morte
Une comète vient déposer
Une couronne de lumière
Ceci est mon tour, dit la lèvre
En panne de langue
Pour laper l’horizon.
On connaît les dessous du jour
Ils sont faits de mains et d’odeurs
Poussés par la fièvre du temps
LA NUIT CONTINUE
La nuit continue au-delà des bizarreries du jour. Juste avant la fin des leurres, une lampe atténue l’horizon. Un feu pointe. Faut-il alors retenir son souffle ou passer outre la barre des tempêtes, la raison reléguée au rang d’obscur éclair ? Refaire le point avec les lignes de la main ou du songe ?
Porter l’eau là où n’éclaire que la braise ? Tenir haut le prisme d’incertitude ? Marquer la gazelle au fer de l’espoir quand les yeux se brisent de trop fixer le soleil?
On ne peut pas dire que le verbe sommeille avant d’avoir levé un mot dans le piège du sens. D’une feuille reconstitué l’enfance de l’arbre. Fait un nœud à la branche, dénoué des langues. Dormi une vie entière en attendant la plaie salvatrice, l’ultime appel du texte de l’existence. Uni les mains du temps, raviver ses forces. Appelé les amants à unir leur sexe dans le ventre plein d’un taureau.
Après le massacre des aficionados aux portes de l’arène.
DEUX TROIS DOIGTS
Deux trois doigts de lumière
Sur un fond de vieux jour
Fenêtre d’eau vive
Dans l’alcool du souvenir
Je vois à la beauté de tes seins
Comme en plein amour
Un fragment de désert
Contenant le sable du monde
A la fable du soir
Je raconte cet énième poème
RELIÉ
Je suis relié au monde
Accroché cramponné cloué
Par mille clous mille crampons
De toutes têtes
De toutes dimensions
Mais qui tient le marteau ?
PARALLÈLES
Parallèles
Quelle ligne prendre
Pour te fuir ?
TES FORMES
Ma vallée a la forme de tes hanches.
Et ma ville, celle de ton ventre
Mon quartier a la forme de ta poitrine
Et ma rue, celle de ton cou
Ma cour interieure a la forme de tes seins
Et ce rû, celui de ton con.
Si je tends la main
Je touche la forme de ton visage
J’ouvre les portes de tes lèvres
Je souris aux fenêtres de tes yeux
J’éprouve l’intérieur de ma maison
Comme un seul de tes baisers
L’INFORME
Quel que soit le bonheur de la nuit
Il n’est pas possible de reculer l’heure d’arrivée du jour
L’informe de même plie sous le poids de l’aube
Textes d’Éric Allard
Peintures de John Atkinson Grimshaw