Tout parti vit de sa mystique et meurt de sa politique.
Charles Péguy, Notre jeunesse (1910)
Le parti m’a fait. Il a introduit sa longue tige idéologique dans le ventre de ma mère porteuse pour déposer sa semence et, dans la foulée des élections suivantes, je suis né. Tel que mon parti m’a fait. Tel, pour ainsi rire, que vous me voyez sur les listes électorales, mes traits en gros plan, au comble de la félicité, et mon corps qu’on devine, membres absents mais néanmoins constitutifs de mon être social. Tout entier dévoué au parti, à son président, à ses statuts, à son programme, à son Électeur. C’est avec quelques doigts d’une main d’un de ces membres que j’ai signé mon adhésion au parti, que je vote et revote sans fin pour mon parti, que je me révolte avec mon parti.
Je mourrai quand mon parti le voudra car je ne dois mon existence politique, et tout mon être à sa cause dédié, qu’à mon parti. Je vais où mon parti le décide, je viens quand mon parti me désire et me veut. Je crie, je jouis, je n’ai jamais d’aussi bons orgasmes qu’au sein même de mon parti. Tout le monde les voit sur les photos où on me distingue au milieu des militants de mon parti, je ne cache pas mon plaisir car c’est un plaisir public, né du public, fait pour le public. Je suis un être sociable, fait pour autrui et au service d’autrui. Je n’ai pas de moi qui m’appartienne, le meilleur de moi-même appartient au parti. J’ai choisi d’appartenir à mon parti, tel un cabot à son maître, tel un soumis à sa maîtresse, telle une murène à la pourriture. C’est un libre choix de contraintes: quand mon parti gagne, je gagne. Je veux la réussite de mon parti. Je veux le bonheur du parti. Je ne veux pas quitter ce monde avant d’avoir vu le bonheur de mon parti ruisseler sur le monde et le socle des militants heureux et la horde des électeurs ravis. Je partirai le jour que mon parti voudra me voir partir. Je mourrai à moi-même et même si le parti me rejette je mourrai en sachant que c’est la volonté du parti et l’autre partie de moi-même, la partie dévolue au parti, s’éteindra dans un soupir de contentement dirigé vers le seul front serein du parti.
Le parti m’a fait. Il est libre de mes faits et gestes. De mon sexe et de ma peau. De mon visage pour les photographies (même mes selfies lui sont dédiés car je suis le visage de mon parti) et de mon cerveau pour ses idées. Je m’assois dans les sièges que mon parti a prévus pour moi, je me couche dans les lits des dirigeants qu’elle a choisis pour mon repos et mon plaisir personnel. Je suis au service de mon parti, corps & âme, pieds & poings liés. Je dois mon existence au parti. Je représente le parti, je suis le parti, je vais où le parti me dit d’aller, de faire, et je dis ce que le parti me dit de dire, de taire. Je m’exprime dans les mots mêmes du parti. Je respecte mon parti plus que quiconque, je prie pour mon parti, je pleure pour lui dans la défaite des larmes de sang.
Les soirs de spleen électoral, je lèche la carte de mon parti, je la promène sur ma peau, je l’arrête là où je veux car c’est la carte de mon parti, elle est aussi faite pour les caresses, les baisers, les marques d’affection, les bavures et les mouillures. Les cartes de parti sont faites pour l’amour, le grand amour, celui qui est aussi fait de débordements et de salissures.
Le parti m’a fait. Il a introduit sa longue tige idéologique dans le ventre de ma mère porteuse pour déposer sa semence et, dans la foulée des élections suivantes, je suis devenu l’heureux élu.