QUATRE COULEURS: TRÈFLE (as de)

jeuxtrefle.gifEn une vie, cet utltratrifoliophile convaincu  avait accumulé pas moins (ni plus) de 325 trèfles à quatre feuilles. Quand on sait qu’on trouve en moyenne un tel spécimen pour 10 000 trèfles communs, on peut estimer le temps qu’il a passé accroupi dans les prés et prairies.

Mais le trèfle ne lui avait pas porté chance mais tuile sur tuile ni les vertus théologales sur lesquelles il avait compté. Ainsi il n’avait jamais acquis chance, ni foi ni amour véritable, et il désespérait.

Jugez plutôt du bien-fondé de sa désespérance : à soixante-cinq ans, il avait perdu un œil, deux doigts de pied, trois CDD, quatre demeures et cinq épouses.

L’âge aidant, cependant, il avait acquis le sens du partage et de l’échange ou, du moins, celui de la ruse.

Ainsi, avec son lot de trèfles quadrifolioles, il acquit un trèfle à cinq feuilles, deux mains de Fatma, trois fers à cheval, quatre crottes de chien, cinq doigts croisés, six coccinelles, sept araignées du soir, huit pièces de monnaie trouées, neuf chiffres porte-chance, dix échelles à treize barreaux (un surplus de chez Brico), onze pompons de marins (et quelque privautés dont sont prodigues les mousses), douze beaux débris de verre blanc, treize brins de muguet, quatorze poignées de riz, quinze tiges de bambou, seize baisers sous le gui, dix-sept pattes de lapin, dix-huit lancers de penny dans une fontaine, dix-neuf vidéos d’étoiles filantes, vingt brisures de bréchet, vingt-et-un edelweiss, vingt-deux touchers de bois, vingt-trois visions d’arc-en-ciel, vingt-quatre talismans, vingt-cinq trèfles en chocolat fondant dans une boîte en forme de cœur.

Et depuis bientôt treize ans, il attend le bonheur.

E.A.

 

 

                     Rappelons que 325 = 1 + 2 + …. + 24 + 25 = 25 x 13 

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QUATRE COULEURS: PIQUE (valet de)

Valet%20de%20Pique%20copie.jpgAprès une courte sieste, armé de sa pique, ce picador à la retraite montait sur son baudet, caparaçonné comme pour une feria,  et s’en allait piquer au flanc de jeunes paysannes se reposant à l’ombre d’une botte de foin en se racontant des histoires de filles. 

Connaissant son passé, pour l’amuser, en réponse, elles se couvraient le front d’une espèce de bandana paré de deux cornes de ruminant et faisaient mine, à grand renfort de rire, de lui opposer une résistance.

Le picador tombait régulièrement de sa monture qui aussitôt se voyait occupée par une jeune femme. La pique émoussée du vieillard ne leur faisait point mal ; même, elles aimaient que la pointe, appelée puya, leur appuyât la peau des fesses ou des hanches en ces débuts d’après-midi caniculaires du juillet catalan. L’homme ne quittait jamais la place avant d’avoir fait perler une goutte de sang, une seule, sur la chair bistre d’une des paysannes, qu’elles lui laissaient ensuite goulument lécher. D’avoir senti le goût ferrugineux sur ses papilles gustatives le mettait en joie pour le reste de la journée.

Après avoir taquiné de la sorte quelques campagnardes et s’être rappelé d’autres joutes, le vieux picador poussait jusqu’au village pour aller boire une clara avec Javier, le valet d’épées, toujours accompagné de ses accessoires (cape, muleta, montera, verduga, épée), et aujourd’hui inconsolable depuis l’émasculation dix ans plus tôt de son maître, l’illustre matador Manuel Montez, par de pétulantes opposantes à la corrida armée de lames mauresques fraîchement rémoulées.     

  • E.A.

 

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Picasso, Picador et taureau, 1963

 

QUATRE COULEURS: CARREAU (dame de)

6_9ae08.jpgCette dame aimait tant les carreaux que pour les laver elle usait de sa peau nue. Préalablement recouverte d’un mélange d’eau tiède et de vinaigre blanc avec un soupçon d’ammoniac et un demi-oignon (selon le conseil de sa grand-mère laveuse de vitraux dans une église), sa peau en chacun de ses pores au contact du verre lui procurait tous les types de sensations qui si nous étions amateurs de bons mots nous ferait dire qu’ils la laissaient, après un temps d’intenses émotions associées, sur le carreau.

Epuisée mais comblée. Pour un paquet d’heures au moins.

Puis, pour le séchage, sa peau au grain finement serré valait tous les chiffons microfibres du monde.

Mais si une face des carreaux étaient bien nickel, tel un miroir purgé de ses images, vous comprendrez que l’autre présentait de vilaines traces (de buée, de doigts, de salive mais pas que) quand je vous aurai dit que les fenêtres de son domicile donnaient toutes sur un lieu public très fréquenté.

E.A.

 

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QUATRE COULEURS: COEUR (roi de)

0294371001430991435.jpgDepuis quelque temps, le cœur du roi lui donnait du souci. Non pas qu’il lui fît mal ou  qui lui causât du désagrément. Simplement, il s’inquiétait de son sort, s’interrogeait sur son fonctionnement, sa longévité, son imperturbable battement. Il pressentait que son cœur aspirait à l’indépendance. Et, comme souvent, ce qu’il avait prémédité se réalisa.

Son cœur, dans un grand ramdam, qui le laissa KO mais conscient, se dégagea de son corps.

Un moment décontenancé, comme l’enfant sortant du ventre de sa mère, sans un regard vers la poitrine ouverte, l’organe partit vivre sa vie de cœur solitaire.

Le corps du préméditant n’en fut point affecté.

Le trou ménagé pour permettre la sortie du coeur se referma vite sans écoulement d’humeur et sans dommages collatéraux. Les organes restants, préalablement coachés en secret à cette fin par ce cœur prévoyant et sensible, se concertèrent pour prendre chacun en charge une de ses diverses fonctions.

Aujourd’hui, notre roi n’a plus à s’inquiéter de son cœur.

Depuis quelque temps, par contre, son foie lui donne quelque souci.

E.A.

 

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