Le poème est né, au bas mot (Obama?), il y a quinze milliards d’années, c’est-à-dire bien avant le Big Bang. (Mais ça, même les frères Bogdanov l’ignorent). Une théorie tend d’ailleurs à démontrer qu’il serait à l’origine de l’univers. Depuis, on s’en doute, le poème a connu mille métamorphoses et autant de péripéties, dont cette histoire (un brin subjective) rendra compte, parmi les plus récentes et les plus extraordinaires.
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une histoire merveilleuse
le poème vit
depuis toujours
une histoire merveilleuse
avec son public
sauf pendant
les millénaires de récession
élimination
le poème génère
des tonnes de déchets
leur élimination constitue
un des problèmes majeurs
de la littérature
la queue
comme on fait mal au chat
en lui tirant la queue
on fait mal au poème
en lui disant à l’oreille
des choses qu’il sait déjà
escalade
le poème escalade les mots
par le versant des images
pratique
le poème est pratique
pour envelopper
les débris de textes
et les phrases à deux sous
le poème nu
celui qui a un jour
vu le poème nu
ne cessera plus de regarder
par la fenêtre des mots
prix littéraires
le poète qui tue son poème
n’est pas condamné
aux prix littéraires
la condition du poème
chaque fois à la fin du poème
tu donneras ta langue au chat
&
le chat n’en fera qu’une bouchée
à condition que le poème soit bon
Munster
le poème sent des pieds
quand le poète
a mangé du Munster
un petit poème
mon poème a braillé
toute la nuit
c’est un petit poème
il doit faire ses dents
mal narré
ne verbalisez pas le poème
s’il est mal narré
un baiser
le poème
est un baiser
sur les lèvres
des mots
avec la langue
coming out
le poème
a fait son coming out
il a déclaré
aimer les pommes *
cuites
dans une émulsion
de mots doux
sont attendues avec impatience
les révélations du roman
sur ses préférences
légumières
* le vers était dans le fruit : pomme aime.
le poème et la fraise
le poème
chez le dentiste
pousse de tels hurlements
que les exégètes
venus soigner
des caries verbales
les attribuent
tantôt à de l’Artaud
tantôt à du Tzara
par contre
pour le zzzzzzzzzzzzzzzzz
de la fraise
tous conviennent qu’il était
d’Isidore Isou
le poème du dimanche
le poème à eau
résiste mieux au sel
le poème à clous
retient la parole blanche
le poème à roulettes
augmente la vitesse des mots
le poème du dimanche
passe à travers les fêtes
le poème du lundi
peut grever la semaine
le poème de l’après-dîner
se digère dans la nuit
le poème poids léger
s’envole dans le verbe
le poème murmuré
se porte à l’oreille
le poème en lecture rapide
avale les sons lents
le poème à poils ras
se prête aux caresses phoniques
le poème à bras longs
emporte tous les concours
le poème bivalve
s’ouvre avec un couteau à musique
le poème du dimanche
le poème du lundi
et celui des autres jours aussi
l’espèce du poème
et si l’espèce du poème
disparaissait
au même titre
que le bélouga des mathématiques
ou le chihuahua du quiz musical ?
rixe
le .oè.e
a perdu
ses consonnes
dans la rixe qui l’opposa
au r.m.n
parenthèses
(
à l’intérieur
des parenthèses
le poème
mène
la vie
d’un texte
grand format
sans les inconvénients
de l’exposition
littéraire
)
l’exception
le poème qui vit cent ans
est l’exception
le plus souvent
le poème est mort-né
(malgré les progrès
des ateliers d’écriture)
les pépins de l’espace
la mandarine ne ment pas
au poème
sur la nature des agrumes
si, la main sur la pulpe,
elle jure qu’elle dit la vérité
sur son essence astrale
il faut boire son jus
avec les pépins de l’espace
sans oublier
les fruits secs
au fond de la galaxie
Gagarine
Youri Gagarine a emporté
le poème
lors de son voyage dans l’espace
par contre on ne sait pas
s’il l’a emporté
dans la tombe
Marie-Antoinette
le poème
était l’ami de Marie-Antoinette
(pas l’ami Facebook, le véritable ami!)
mais elle avait dû payer de sa personne
pour gagner ses faveurs
lors de leur séparation
c’est le poème
qui perdit la tête
coitus interruptus
ce n’est pas l’assassinat
de l’archiduc François Ferdinand
qui fut cause
de la Grande Guerre
mais
le coitus interruptus
du poème
avec un alpiniste autrichien
sur la neige
l’hiver le poème
s’écrit
sur la neige
et s’il reste
gravé dans la glace
du lac gelé
c’est pour le bonheur
des patineurs
à la gomme
une souris
le poème électronique
accouche souvent
d’une souris
le silence du poème
je connais un poème
qui a vécu
une expérience de prose douloureuse
mais qui ne tient pas à en parler
je respecte le silence du poème
l’heure de la sieste
à l’heure de la sieste
l’ombre du poème
figure
l’image du poète
en train de dormir
au milieu de vers vides
et de mots anisés
le poème cardiaque
on reconnaît le poème cardiaque
à ses mots
qui font la file
au bureau de pontage
tombés des nues
pour un poème connu
combien de poèmes anonymes
criant famine
(aux rimes pauvres, pauvres…)
pour un poème éveillé
combien de poèmes dans la lune
tombés des muses
(aux vers légers, légers…)
pour voir
le soleil du dire
irise
la peau du poème
on secoue
les feuilles des mots
pour voir
l’invisible
les poèmes de la banquise
les poèmes de la banquise
manquent de plus en plus
d’épaisseur
la preuve
ce poème-ci
j’étais fou amoureux d’un poème
je le relisais chaque jour
je le refaisais en mieux
puis mon poème s’est cassé
avec un parfait poète inconnu
(c’est vrai que je lui ai pris la tête)
il n’était pas si fameux
me disais-je pour l’oublier
mais rien n’y faisait
alors je m’en suis tiré
en écrivant ce poème-ci
de beaux vers
couchez les mots
dans le lit du poème
pour qu’ils fassent de beaux vers!
la langue
le poème qui passe
la langue
aux mots d’oiseau
est un grossier merle
le poème parle
le poème parle
à la chèvre et au chou
à la cuiller et au chat
au chien et à la vipère
à la caillasse
et au pied de cochon
à l’airelle et à l’ortolan
à la tasse dans l’évier
à la chair frissonnante
et au feu qui gronde
au coeur du glacier
et à la queue de cerise
quand ça lui chante
le poème
parle aussi
pour ne rien dire
du temps qui passe
entre les pans de chemise
on a mis
au frais
dans des glaçons
les restes de mots
retrouvés
à la suite
de la collision frontale
survenue cette nuit
à trois heures du mat’vin
sur la quatre bandes
du bureau
d’un auteur allumé
entre un poème décapotable
et un poids lourd de l’édition
il ne reste rien
du roman
de 864 pages
complètement
calciné
le poème
a juste perdu
son titre
&
l’usage de la langue
poème à l’esperluette
&
&
&
&
&
&
&
&
& puis
quoi encore?
poème mode d’emploi
on ne met pas le poème en joue ni en bouche
on ne pend pas le poème par les pieds
on n’édente pas le poème qui mord
on n’émascule pas le poème qui dort
on ne tire pas la langue ni la queue au poème
on ne coupe pas la parole au poème
on ne mâche pas le poème
on ne charge pas la mule du poème
on ne met pas le poème sur son derrière
on ne met pas le je au poème
on ne frappe pas le poème dans les mots
on ne cache pas la fin du poème
on ne crache pas dans la soupe du poème
on ne dit pas pis que pendre du poème
on ne lit pas le poème tout haut
c’est vilain
le poème à l’élastique
lâché
des cimes de la poésie
le poème à l’élastique
rebondit
mais plus jamais
il n’atteindra les sommets
même s’il oscillera verticalement
longtemps encore
avant de s’arrêter
pour du bon
poèmacédoine
le poème peau de banane
le poème queue de cerise
le poème orange pressée
le poème mangue à l’eau
le poème kiwi ki asimines
le poème mûres mûres
le poème un peu brugnon
le poème qui fait grand fruit
celui qui fait amandes honorables
le poème qui a la pêche
le poème qui a cassis ses raisins
le poème zeste de citron
le poème tête de pomme
le poème en coing
et celui enfin en forme de poire
composeront un cocktail de vers
pour tous les assoiffés
de poésie naturelle
trop souvent condamnés
au poème Danacol
le poème de saison
ce poème est bien vert
il vient d’être écrit
ce poème est bien mûr
il est temps de le dire
ce poème est tout pourri
on vous l’avait dit
que c’était un fruit de saison
qu’on ne recueille qu’en septembre
PGV
après le passage du poème
à grande vitesse
le roman reprend
son train de sénateur
misère de la poésie
I
les poètes traitent mal
leur progéniture
il y a de par le monde
des milliers de poèmes abandonnés
II
on recense de plus en plus
de poèmes sans papier
hélas aucune régularisation
n’est en vue
III
depuis toujours les poèmes se combattent
il y a des morts, des éclopés, des survivants
qui se traînent et viennent mourir
dans les livres d’histoire de la littérature
la route
essuyer la buée sur les lettres du poème
pour bien voir la route des mots
univers
c’était un poème
de la forme de l’univers
qui englobait
les poèmes de petite taille
les poèmes
de la forme d’une étoile
les poèmes
de la forme d’une comète
un jour il vit
un point grand comme un grain
qui lui fila entre les astres
c’était un poème
en forme d’espoir
E.A.