
La vie des enseignants
Dans cette école, soit les enseignants étaient accablés de travail, soit ils adoraient leur métier: ils ne quittaient plus leur classe, même en fin de journée, même durant le week-end… De telle sorte qu’ils en vinrent à vivre dans leur établissement, à y manger, à y dormir, à y abandonner leur véhicule… L’équipe technique était sollicitée partout pour aménager de quoi leur faciliter la vie au quotidien. Dans un premier temps, leurs amis et conjoints vinrent les visiter dans la salle de gym aménagée en salle de visite, puis ils se lassèrent et on ne vit plus de personnes extérieures à l’établissement.
Le soir, après les cours de remédiation, les préparations de leçon et les études des points du programme (appelés compétences dans certains pays barbares), ils se réunissaient en salle des profs pour jouer aux cartes ou aux échecs et au cyber média pour regarder un film en streaming. (On leur avait dit que le cyber média était l’avenir, et l’anglais, la langue de l’avenir.) Ils avaient acheté un barbecue électrique avec l’argent de la prime syndicale qu’ils ne payaient plus… Ils commencèrent par nouer des relations plus intimes et par se reproduire entre eux. Des enfants naissaient qui étaient pris en charge par des éducateurs spécialisés. Les syndicats ne les soutenant ouvertement plus (avant, ils faisaient semblant), l’Etat avait cessé de les rémunérer depuis longtemps (il leur assurait seulement le gîte et le couvert) mais leur bonheur était dans le préau.
Le plus pénible pour eux, c’était les vacances scolaires : des cellules de soutien psychologique leur permettaient de tenir les quinze derniers jours, période la plus féconde en dépressions carabinées, comme les études le montrent.
Des chaînes de télé firent réaliser alors de nombreux documentaires permettant de les voir évoluer entre eux, dans leur milieu de vie, avec le préfet des études (qui avait été chef scout) en dirigeant du centre scolaire planifiant les diverses activités culturelles. Des livres furent écrits par des ethnologues en classe: Prof résilient, 50 nuances de maître(sse), École mode d’emploi, Marie-Martine à l’école, À la recherche de l’enseignement perdu…
Avant chaque rentrée, ils organisaient trois jours de festivités, une sorte de feria où ils se déguisaient en étudiants des seventies et festoyaient, avec de longues robes à fleurs ou des pantalons pattes d’éléphant, dans un chahut monstre au son des fifres et des tambours affectionnés dans cette région bruyante du monde. Toute figuration dégradante d’un taureau était évidemment interdite. Cela donnait lieu à des débordements de tous ordres qui faisaient regretter quelques disparitions carnavalesques.
Mais le jour de la rentrée, c’étaient des apprenants heureux, avides de rencontrer ces étranges personnages vus très souvent à la télé pendant les jours sans Cyril Hanouna et sans Benjamin Maréchal qui se pressaient dans les couloirs de l’école comme lors de la sortie d’un nouvel iPad. De partager pendant quelques heures par jour leur mode de vie monastique égayait leur existence comme aucun Pokémon go ne pouvait encore le faire.
L’enseignement, pendant ce bref interlude dans l’histoire de l’éducation, connut un essor sans pareil.

La peur de l’inspecteur
Ce jeune professeur craignait tant une visite surprise de son inspecteur qu’à la fin de la journée de stress, il fêtait avec force alcools et sodas sans sucre la non-venue de l’expert. Sa carrière se déroula de la sorte pendant quarante ans qui affectèrent à la fois son système nerveux et son foie.
À quinze jours de la retraite – et d’un cancer généralisé -, il apprit le décès de son inspecteur de tutelle qui, comme lui, apprit-il dans un ultime élan de joie, un débordement spermatique conséquent, craignait tellement de rencontrer les enseignants qu’il avait fini, usé nerveusement jusqu’à la corde sensible, par se tirer une balle dans le programme intégré de son cerveau malade et réduit à la portion congrue d’inspecteur moyen.

Diminution progressive de l’enseignant
Un jour sur deux, cet enseignant diminuait à vue d’œil. Cela commençait dès son entrée en classe. Avant midi, il était plus petit que ses élèves. Et il terminait sa journée plus maigre qu’un cancrelat. Les élèves devaient prendre garde à ne pas l’écraser. Un de ses collègues était alors convié à le ramener dans une boîte d’allumettes vide. Cela ne durait qu’un jour, la nuit faisait son office…
Le lendemain, il avait retrouvé sa taille normale. Certains disaient qu’il était même devenu plus grand mais c’était une erreur d’appréciation visuelle chez ceux qui, la veille, avaient eu peine à le distinguer dans la salle des profs sombre, au réfectoire ou bien dans les couloirs non éclairés… Toute la journée, il augmentait de taille et, à la fin des cours, il était devenu plus grand que le directeur, qui (naturellement) était un géant.

L’apprentissage de la discorde
Ces jeunes enseignants qui occupaient deux classes contiguës se prirent d’amitié puis d’amour. Ils étaient alors toujours fourrés dans la classe de l’autre ou en train de papoter voire plus dans le couloir et ses recoins. Ils se marièrent et leurs disputes devinrent mémorables. Quand ils divorcèrent, ils demandèrent à être le plus éloigné possible de leur ex-conjoint et ils donnèrent cours à deux extrémités du bâtiment, séparés par une armée de surveillants-éducateurs, engagés à cet effet. Quand ils prirent leur retraite, ils furent remplacés, dans leurs classes respectives par leurs rejetons qui, eux aussi, comme de bien entendu, avaient embrassé la carrière d’enseignant et ne pouvaient pas plus se sentir que leur parentèle.

Conseil de classe
Chaque fin d’année scolaire, les étudiants de cette classe se réunissent en conseil pour donner leur note et désigner les professeurs qui réussissent comme ceux qui devront se représenter en deuxième session.
À l’issue de la délibération, certains étudiants examinateurs sortent par une porte dérobée pour ne pas avoir à affronter les questions des enseignants notés, leurs regards inquiets, leurs interrogations difficilement formulées… D’autres, plus courageusement, s’arrêtent auprès des recalés pour leur offrir un mot d’encouragement, une parole compassionnelle, un Passez de bonnes vacances quand même…

Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur les enseignants sans oser le demander est sur MAUX d’ÉCOLE, VICES d’APPRENTISSAGE & AUTRES CALAMITÉS SCOLAIRES!