Presse-méninges
J’ai acheté un presse-méninges. J’en avais assez de cogiter à propos de tout et de rien. Mais l’appareil n’était pas des plus performants car, ayant terminé de presser, mon cerveau remuait encore, produisant des semblants d’idées, comme des borborygmes de fin de règne mental. Alors j’ai utilisé mes mains et j’ai écumé le restant, je ne vous dis pas leur état ensuite. Mon chien a tout léché.
L’important, c’est que, depuis, je n’émets plus la moindre pensée. Je n’ai plus, grand bien me fasse, la moindre velléité de comprendre le monde ou quoi que ce soit d’apparenté. Je vis la vie rêvée du légume vert, du protozoaire, de l’électeur lambda du Front National. Affalé sur mon canapé, j’avale tout ce qui fleurit sur mon bouquet satellite. Pendant ce temps, mon chien dévore des encyclopédies.
Politiquement correct
J’ai la nudité utile. Je me déshabille en guise de protestation contre les inégalités, et toujours en faveur les grandes causes : contre le réchauffement de la planète, les abus de l’industrie pharmaceutique, pour la régularisation des sans papiers, l’annulation de la dette du tiers-monde, l’impôt Attac… Tout m’est bon, je le reconnais, pour montrer mes fesses et le reste. Je me réjouis chaque jour de l’injustice allant croissant dans le monde qui me promet de beaux jours de nudité publique impunie.
Quand j’imagine une société parfaite, j’ai des bouffées intolérables de chaleur, je vois mon corps bâillonné de vêtements, aspirant de tous ses pores à un dérèglement minuscule : licenciement abusif, bavure policière, acte d’harcèlement moral, action de fumer en public réprimée… qui me permettra encore et toujours de dévoiler un bout de chair obscène.
Le parc à écrivains
Chaque dimanche je conduis mes enfants au parc à écrivains. Nous leur jetons des pages de livres qu’ils triturent de leurs mains étiques en nous jetant des regards pitoyables. Quand ils sont rassasiés, ils reprennent place derrière la grille à leur table d’écrivain pour prendre un air pensif, imprégné, et laisser tomber quelques mots sur le papier qu’ensuite ils nous tendent en guise de remerciement avant de baragouiner un charabia d’eux seuls compréhensibles en levant les yeux au ciel, en méprisant la terre, oubliant le public venu les encourager.
Les écrivains ne sont pas farouches même s’ils montrent parfois, noircies d’encre, les rares dents qu’il leur reste. Mes enfants et moi les aimons tels qu’ils sont, seulement préoccupés d’eux-mêmes et des mots. Leur sort nous touche mais, pour leur bien comme pour le nôtre, le mieux est de les parquer de la sorte. Lors de leur exécution le dernier vendredi du mois, nous aiguisons nos couteaux pour, avec les autres riverains du quartier, venir planter nos lames dans leur chair qui puent le verbe et nous réjouir de leurs dernières pages maculées de sang.
Extraits de Penchants retors, Éric Allard (éd. Gros Textes, 2009), 100 textes courts.
L’illustration de couverture est tirée d’une toile de Salvatore Gucciardo
http://rionsdesoleil.chez-alice.fr/GT-Editions2009.htm