2023 – LUS EN FIN D’ANNÉE : LA BELGIQUE DANS LA GUERRE / La chronique de DENIS BILLAMBOZ

Denis BILLAMBOZ

Voici deux textes qui racontent la guerre en Belgique, celle de tous les jours, pas forcément celle des armes mais surtout celle des tractations, des négociations, des combines, des contacts officieux, toutes ces manœuvres qui pourraient parfois passer pour intelligence avec l’ennemi mais qui sont, en vérité, des tentatives de sauvetage pour de nombreux détenus condamnés à la mort ou à la déportation. C’est l’histoire Qian Xiuling, une Chinoise qui a sauvé plus de cent vie et celle d’un jeune militaire belge impliqué dans le sauvetage de la Belgique en 1918.

Oubliez-moi

Xu Feng

M.E.O.

Xu Feng, écrivain chinois né dans la région de Jiangsu, a mis ses pas dans les traces de Qian Xiuling qui a migré de Yixing en Belgique, en passant par Taïwan, pour faire revivre l’héroïne de la nation belge désormais quelque peu oubliée. Qian Xiuling a sauvé cent-dix otages belges de l’exécution par les SS pendant la Seconde Guerre mondiale. Elle a été décorée de la plus haute distinction belge, est devenue une personnalité incontournable mais elle n’a pas pu réaliser tous ses rêves. Xu Feng a raconté sa vie pour que les nouvelles générations sachent qui elle était et pourquoi une rue porte encore son nom à Ecaussinnes 

Qian Xiuling est née à Yixing dans la province de Jiangsu en 1912, elle était très douée pour les mathématiques, la physique et la chimie notamment. Malgré l’opposition de son père, elle a accompagné son frère qui partait à l’Université de Louvain, où elle a été admise après avoir passé des examens d’entrée. A vingt-deux ans, elle était titulaire d’un doctorat en physique qu’elle enchaîna avec un autre en chimie. Elle était une grande admiratrice de Marie Curie qu’elle n’a hélas jamais rencontrée. Ayant refusé le mariage préparé par son père et son ami, elle a rompu avec lui et a épousé un médecin russo-grec qui s’installa à Herbeumont où ils devinrent des petits notables de campagne.

Pendant la guerre, elle réussit à convaincre von Falkenhausen, le Gouverneur général de la Belgique avec lequel son frère avait lié une sincère amitié avant la guerre en Chine, de commuer la peine de mort infligée à un jeune homme de la ville en condamnation aux travaux forcés. Quand une centaine d’otages furent saisis à Ecaussinnes et menacés d’être exécutés l’un après l’autre, les personnalités de la ville décidèrent de solliciter une nouvelle fois Xiuling qui, une nouvelle fois, parvint à faire fléchir le Gouverneur Général. Elle devint ainsi une héroïne pour tout un peuple. Et, quand von Falkenhausen fut traduit devant la justice belge, elle plaida sa cause avec vigueur car elle disait que c’était un homme juste et droit qui avait sauvé des vies et fait partie du complot contre Hitler.

Grande scientifique, elle n’a jamais exercé dans les disciplines qu’elle avait apprises, malgré ses grandes capacités et de nombreuses publications, les autorités ne l’ont jamais soutenue, ne lui accordant jamais les crédits de recherche ni les promotions qu’elles avaient pourtant très largement mérités. Elle n’était qu’un femme et de plus étrangère venue d’un pays peu connu aux alliances peu claires. Elle a donc démissionné de l’Université de Louvain pour devenir infirmière auprès de son mari et mère de famille. Elle opta plus tard pour le métier de restauratrice, son dernier restaurant était le temple de la cuisine chinoise à Bruxelles, les plus hautes autorités et les hommes d’affaires le plus influents s’y rencontraient régulièrement.

Elle est retournée quelques fois en Chine, contrariée par les guerres et les conflits internes dans lesquels son cousin préféré, l’ami de von Falkenhausen, était impliqué aux côtés de Chiang kai-sek avant d’être mis à l’écart. A travers cette relation avec son cousin, Xu Feng raconte une page bien agitée de l’histoire de la Chine, la conquête de Chiang kai-schek puis sa débandade devant les troupes communistes et son refuge à Taïwan.

Dans ce texte à l’écriture lente, comme beaucoup de livres chinois, Xu Feng raconte de manière très détaillée, imagée, théâtralisée parfois et même un peu grandiloquente, la vie de Qian Xiuling comme scientifique très douée, comme chinoise exilée en Europe, comme héroïne mais surtout comme femme libre, déterminée, inflexible, parfois à l’excès. Une femme de caractère et de conviction, une femme pleine d’empathie pour les autres et d’amour pour les siens.

Ce livre montre aussi toute la différence qu’il peut exister entre l’éducation, l’instruction, la culture,  …, en Chine et en Europe ; la façon des Chinois de comprendre et apprécier les événement, leur sens du courage, de l’abnégation, du devoir ; leur manière d’exercer le pouvoir, d’appliquer la justice, d’infliger la sanction. Ce livre est aussi une réflexion sur tous ces thèmes et un regard sur le racisme, la ségrégation et l’oubli venu de l’extérieur, du côté de celui qui les subit.

Mariée avec Grégoire de Perlinghi, Qian Xiuling est très peu connue sous son nom chinois en Belgique où il y a toujours une rue de Perlinghi. Elle a fini sa vie de façon tout à fait anonyme et presque abandonnée par les siens dans un EPAHD quelconque. D’où cette question reproduite par l’auteur : « qu’advient-il de toutes ces personnes et de tous ces événements qui n’ont pas été enregistrés par l’histoire ? Ne sont-ils pas voués à disparaître dans les méandres de l’oubli ? » Et je conclurai avec Xu Feng : « Trop d’histoires disparaissent avec ceux qui nous quittent pour un autre monde. » Qian Xiuling n’aimait pas qu’on lui rappelle ses exploits, elle refusait les honneurs et la médiatisation, elle voulait qu’on l’oublie. Elle semble avoir été entendue…

Le livre est traduit du chinois par Kevin Henry.

Le livre sur le site des Editions M.E.O.

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Onze Bruxelles

Philippe Remy-Wilkin

Editions SAMSA

Début novembre 1918, un jeune militaire belge protégé du roi, opérant en civil, fonce sur sa mobylette à travers le « Pajottenland » vers une ferme où la sœur de son ami blessé est en situation difficile sous la menace de pseudo résistants, ceux qui veulent, à la dernière heure, s’offrir une image de combattant, de patriote convaincu et engagé dans le combat contre l’ennemi. Après quelques échanges de propos et d’horions, Il libère la jeune femme et la confie à un homme sûr qui saura la mettre en sécurité. Lui, il doit accomplir une autre mission confiée par le Roi lui-même, une mission secrète qu’il ne peut dévoiler à personne même à ses plus fidèles amis, supérieurs hiérarchiques ou élus politiques.

Il fonce vers la capitale à travers un invraisemblable chaos digne de la débâcle engendrée par certaines guerres. Les Belges pensent que la guerre est finie et veulent regagner leurs pénates bruxelloises, d’autres fuient dans l’autre sens, certains veulent se mêler à la bagarre de l’après-guerre par conviction politique ou par intérêt personnel. Mais le problème le plus aigu est créé par l’occupant lui-même où une rébellion s’est déclarée. A Berlin, Karl Liebknecht a décrété « la République socialiste libre d’Allemagne, la fin du Capitalisme et la dictature du Prolétariat ». Les soldats allemands dont certains avaient déjà fraternité avec les Anglais à l’occasion d’un match de foot improvisé entre les lignes ennemies, déclare « la fondation du Conseil des Soldats de Bruxelles » qui prend localement le pouvoir avec « l’appui du Conseil des Commissaires du peuple, à Berlin ».

La pagaille est énorme, les Allemands se battent entre eux, les francs-tireurs belges tirent sur les ennemis en déroute, les pilleurs sont de plus en plus actifs tout comme les citoyens qui manquent de tout et pensent le trouver dans les wagons bloquer dans les gares. Mais, dans les Wagons, il y a aussi des armes et des munitions qui trouvent vite preneurs et utilisateurs. Les Allemands ne peuvent plus assurer la sécurité, les Belges n’ont que très peu de moyens, c’est l’anarchie ! Valentin doit accomplir sa mission au plus vite, il doit faire rentrer en Belgique un homme politique important à qui le Roi veut confier un poste à responsabilité dans le nouveau gouvernement. L’homme a résisté à l’ennemi, il a été déporté en Allemagne, il faut l’extraire de sa cellule et le ramener à Bruxelles où sa présence est nécessaire pour constituer le nouveau gouvernement.

C’est cette course effrénée, toutes les péripéties qui agitent le milieu politique, les velléités de révolution, les émeutes populaires, …, que raconte l’auteur. Tout un ensemble de faits plus ou moins importants qui ont décidé du sort de la Belgique et un peu celui de l’Allemagne et de l’Europe. C’est le début de l’affrontement entre démocrates socialistes et spartakistes pour s’emparer des lambeaux du pouvoir impérial. L’affrontement qui conduira à la guerre suivante… comme l’ont raconté des historiens comme William Shirer, Markus Enzensberger et de nombreux autres.

Le sort de la Belgique se joue entre les forces révolutionnaires et celles restées fidèles au Roi cherchant à rétablir le pouvoir précédent. Tout un ensemble de tractations, d’alliances de circonstance, de manœuvres politiciennes, de cabales diverses sur fond d’émeutes accouchent de ce que sera la Belgique du XX° siècle. Des faits que beaucoup ont oubliés, ils ne semblaient sans doute pas assez importants à ceux qui ont écrits l’histoire de la Belgique pendant la libération de 1918, à la onzième minute, de la onzième heure du onzième jour du onzième mois de l’année 1918. Un exercice de mémoire pour remettre chacun à sa place et dans ses actes.

Merci à l’auteur d’avoir remis les pendules à l’heure et d’avoir comblé certaines lacunes dont les miennes !

Le roman sur le site des Editions SAMSA

Le blog de Philippe REMY-WILKIN

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