GLOIRE TARDIVE d’ARTHUR SCHNITZLER

leuckx-photo.jpgpar Philippe LEUCKX

 

 

 

 

 

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Jeune, Arthur Schnitzler souhaita publier cette longue nouvelle dans « Die Zeit ». C’était en 1895. Les circonstances en décidèrent autrement. Grâce au fils du romancier viennois, Heinrich, on découvrit dans les archives à Cambridge ce texte : « Später Ruhm ».

Si l’édition propose en couverture roman, on ne relancera pas le débat sur la lisière fine parfois qui sépare longue nouvelle de bref roman; Pavese, comme Schnitzler, se prête aisément à ce jeu.

En tout état de cause, voici une oeuvre sensible, poignante sur un destin presque clos au départ, qu’une bande de jeunes littérateurs relance, alors que tout semblait perdu pour Saxberger, auteur, jadis, d’un beau recueil de poèmes « Les Promenades », redécouvert par cette jeunesse viennoise , ces Meier, Bolling, Linsmann, Staufner…

De « La Poire bleue » (où il a ses habitudes, aux côtés de personnages qui ne voient goutte en la poésie sans doute) au vieux café de la Burgplatz, le vieil Edouard Saxberger, encore fonctionnaire, tire les ficelles de sa vie pour en satisfaire peut-être quelque allant nouveau. Mais la mélancolie traîne, ce n’est pas pour rien qu’on est ici chez Schnitzler dans l’étouffoir parfois des destinées, recru de chagrin, ou peu ménagé par la vie sociale.1505186221101931schriftsteller-sterreichportraitundatiert-picture-id541068633?k=6&m=541068633&s=612x612&w=0&h=cj-uxkBjm_2k3SWwlsyT5lzZdeAbaWCKYe5tBboLno8=

Avec un sens inouï de la légèreté mâtinée d’une mélancolie qui pèse au-delà des fenêtres d’un petit appartement qui donne sur la Wienerwald, l’auteur de « Une jeunesse viennoise » puise à la fois dans sa vie (il fut aussi ce dandy des années 80, à qui tout pouvait sourire) et dans l’atmosphère d’une ville qui épouse si bien les atouts et limites d’une Mitteleuropa, qui sent déjà un peu sa fin, avant les grandes interrogations du nouveau siècle et la guerre qui commence à ronfler au pourtour.

Les cafés viennois, alors viviers des littérateurs et des artistes, que célèbre souvent le romancier de « Mademoiselle Else », qu’il s’agisse du « Central », ou « Hawelka », ou « Bauer », ou bien d’autres, respirent cet air viennois jusqu’à la lie. On retrouve ici l’ambiance délétère de « Les dernières cartes ». Le café peut libérer une vie ensevelie comme la rencogner avec la même candeur de surface. On y brille. On y cause. On s’y écharde aussi.

L’intrigue qui culmine avec la fameuse « soirée littéraire », à propos de laquelle les jeunes apprentis écrivains se sont allègrement étripés pour l’organiser, pousse en avant un Saxberger en pleine rétention, qui ne croit plus beaucoup à cette « gloire » qu’on lui sert tardivement. Elle met en avant aussi une comédienne sur le retour, dont certains journaux se moquent, qui tente, en vain, de s’approcher un peu plus du vieux poète désenchanté : Mademoiselle Gasteiner.

On sort du livre, ébloui par tant de justesse, effondré par tant d’acuité chez l’auteur de « La Ronde » à déceler dans le cours des vies ordinaires le grain de sable qui bloque ou déroge à l’écoulement heureux des choses.

Le romancier, moins bien traité il me semble que les grands écrivains de l’époque charnière 1890-1920, avec une infinie fluidité – que beaucoup n’atteignent pas -, avec une économie de moyens bien moderne pour l’époque d’écriture (mai 1895), est un maître de la sensibilité, qui traite, aussi bien que Svevo, Gide et quelques autres de son temps, le rapport intime qui se noue entre la petite histoire des gens et l’époque qui peut les broyer, l’air de rien.

 

gloire%2Btardive.jpgArthur Schnitzler, Gloire tardive, Albin Michel, 2016, 176p, 16€. Traduction de l’allemand par Bernard Kreisse , postface signée par Wilhelm Hemecker et David Österle.

 

Le livre sur le site d’Albin Michel

PORT-AU-PRINCE et autres poèmes de DIERF DUMÈNE

27156940_945193035641540_1240715115_n.jpg?oh=ec7a8aeed7e2b59db535176139912985&oe=5A6CF3C5DIERF DUMÈNE est né à l’Arcahaie le 2 décembre 1995, ville ayant une grande portée historique pour avoir organisé le congrès de 1803 qui allait donner naissance à la création du bicolore haïtien.

Poète, écrivain, nouvelliste, il est aussi secrétaire général d’une association ayant pour but d’accompagner les enfants démunis d’Haïti.

Auteur de plusieurs recueils de nouvelles inédits et d’un recueil de poésie, en voie de publication.

Il a créé depuis quelques mois un blog-revue, Magie Poétique, qui accueille des poèmes, souvent inédits, de nombreux poètes francophones disparus ou bien vivants.

 

 

Port-au-Prince

 

Hier encore j’ai été là

Perché du haut de ma solitude

A regarder Port-au-Prince

Se lavant les pieds de béton

Dans les rives du Bord-de-Mer

Et la mer avait l’odeur

D’une femme en mal d’enfant

 

Son corps n’en pouvait plus

Des étreintes

Capricieuses de l’aube  

Et Pégase s’envolait

De fleur en fleur

En quête de l’air frais

Pour nourrir  les saints  

 

Port-de-Prince

Je m’en vais marcher

Courir

Dans tes pas

Dans tes rues

Mangeuses de rêves

Où jonchent des tiges pituitaires

Trop lourdes

Pour des cranes d’acier

Pour dire

A la mer

Que la Bête était là

Un jour de Noël

Et qu’elle a bu tous nos vins

Jusqu’à en mourir d’ivresse

 

***

 

Le temps

 

Le temps passe vite

Et laisse ses empreintes

Dans le vide

Des morceaux de bonheur

Brisent sous nos pas

Mal agencés

Du trop-plein de toi

Jaillit une parole en gésine

Heureusement que nos coeurs

Ont survécu dans les prunelles

Du vent

 

***

 

Sous-vêtements

 

Ô ma bien-aimée

N’enlève pas

N’enlève pas tes sous-vêtements

Du haut de la chaire

Pour ne pas donner

Aux airs ambulants

Libres comme une chute

Dans le néant

L’envie d’habiter ta chair humide

Car j’ai peur des amalgames

 

***

 

Ton corps

 

Fatigué du poids

De ton corps

Je me fais un lit

Dans tes cheveux

Couleurs des jours absents

 

*** 

 

Nos rires

 

Remplis de pointillés

Nos rires s’inscrivent

Dans le quotidien

Des terres mêlées

 

 

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Les roses

 

Les roses s’habillent

De mille papillons

Pour tatouer un arc-en-ciel

Sur les dunes du Sahara

Et les anges se saoulent

Du nectar de l’instant

Au son des faits divers

 

***

 

Tes seins

 

Les minutes

Se brûlent les ailes

Tandis que tes seins

Comme une étendue

De terre salée

Me parlent d’amour

Dans une tempête

De déhanchements

Et j’ai froid

Dans tous mes gestes

 

 ***

 

Nos rues

 

Que de rire

Sous une lune

À moitié nue

Nos rues chantent

La gloire des nuits

Ensommeillées

Par la caresse du vent

Jouissance d’une mer en rut

Faisant la cour aux étoiles

 

*** 

 

Ombre

 

Si au printemps

Des poètes

Je porte mon ombre

Sous mes paupières

C’est parce que

Je donne mes yeux

Aux champs de blé

Pour ne pas à regarder

Mourir de faim

Cette marge blanche

Dans l’indifférence

De mes doigts

 ***

 

La terre

 

J’ai cru

Que la terre t’a trahie

Le jour

Où elle a fui dans ta ville

Avec des montagnes

Partout dans la tête

Mais non

La terre ne t’a pas trahie

Elle t’a assumée 

 

 

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Les manguiers

 

Fleurissent

Les manguiers à l’ombre

Des jours bénis

Pour annoncer

L’arrivée  des abeilles

De tout horizon

Portant les fruits des saisons

Sous leurs ailes

 

 ***

 

Ma vue

 

D’où surgit

L’âme de la terre

Pour venir habiter ma vue

 

Le monde

Est une maison         

Dont le toit marche

Dans les mains de l’azur

Pour escorter chaque étoile 

Chaque nuit

Et la vie repousse

Avec des racines en plein ventre

***

 

Des pluies d’hiver

 

Des pluies d’hiver

Caressent nos toits

Tel des vagues solitaires

Voguant sur le corps nu d’une mer

Qui chante l’oraison des saisons

 

L’enfant dort

A point fermé

Pour n’écouter

Que chanter l’aube

À l’autre côté de la rivière

 ***

 

Écran

 

Sur l’écran

Des lauriers

Est peint le mal de l’être

Mais nous feignons 

De ne pas sentir

L’odeur du silence

De la forêt

 

***

 

La foule

 

La foule s’égaie

A l’arrivée

De l’ange-charbon

Tenant un nid de mots étoilés

Dans ses bras

Il y a de quoi se faire une omelette

Pourvu que les écumes printanières

Tombent par milliers

 

***

 

La musique

 

Pause amicale

La musique m’a mise un pied

Dans le coeur

Et j’ai failli vomir ton nom

Sur le rivage

Pris en otage

Par un ras de marée

  

***

 

Le poème

 

Le poème marche en nous

Comme des grains de sable

Oubliés au bord du littoral

 

On se le dit pour noyer

Ses souvenirs dans un verre

De tisane de Champagne

 

On l’écrit sur chaque rivage

Chaque visage

En quête d’un sourire précoce

Pour lever les voiles du temps

 

On l’allume comme on fume

Son dernier cigare

Chaque jour qui se lève enfante

Un poème glacé

Comme les rayons du soleil

 

 

Voir sur la précédente livraison de Dierf pour Les Belles Phrases

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MAGIE POÉTIQUE, le site de
DIERF DUMÈNE
 

APHORISMES À L’ÉLASTIQUE (II)

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C’est beau, une langue prise dans les rets – filandreux – d’un chewing-gum ! 

 

Les éléphants mâchent-ils des montgolfières ?

 

Partisan du moindre ressort, cet élastique se la coule douce.

 

Se mettre élastique en tête pour faire correspondre tous ses neurones.

 

Étirer sans faim un élastique beige dans un plat de pâtes.

 

 

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L’élastique qui balance est bien lâche.

 

Ne pas jeter l’élastique humide avec l’essuie de bain en caoutchouc !

 

L’immobilité est l’élastomère de toutes les vis.

 

Dormir sur un matelas pneumatique dans une chambre à air vide.

 

Je connais un éditeur élastique tiré à hue et à dia par ses auteurs qui n’a plus aucun ressort.

 

 

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Un élastique dans un verre d’eau augmente-t-il la tension superficielle ?

 

Le charmeur d’élastiques joue sur leur corde sensible.


L’élastique a des tocs comme toute fronde.

 

Invisible est l’élastique qui relie l’âme à la beauté, l’astre à sa lumière, l’arbre à ses racines, l’arc à flèche du peau rouge à la main d’indien de Dieu.

 

L’élastique à la retraite ne fait plus tension au travail.

 

 

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Quand une femme te demande l’élastique de ton nœud papillon pour serrer son chignon, ne va pas croire qu’elle est tombée dans ton filet !

 

–  Connasse de courroie !

– Salope de brassière !

– Je vais te tirer la sangle !

– Je vais te remonter les bretelles !

 

Peut-on claquer la jarretière contre la cuisse de sa belle pour frapper son imagination?

 

L’élastique a du succès avec les fils.

 

Avec un lance-pierre géant, peut-on atteindre la montgolfière avec un éléphant?

 

 

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L’hirondelle élastique ne fait pas le printemps plus long.

 

Quand l’élastique de la nuit s’étire jusqu’à l’aube, elle retourne fissa au crépuscule précédent.

 

Quand on avale des élastiques, allonge-t-on son temps de transit ?

 

Écarter sans mesure l’entrejambe élastique d’une femme sauterelle. Puis sauter à pieds joints dans l’entrebâillement.

 

Quand l’élastique passe à la vitesse supérieure, c’est qu’elle a lâché prise.

 

 

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Ne fixe pas l’élastique dans les yeux si tu veux garder la vue droite!

  

L’écho, c’est du son à l’élastique. Le sot, c’est du con à l’élastique.

 

Etirer la métaphore de l’élastique… Puis laisser filer. 

 

 

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Merci à Titi Tov pour le lien vers la photographie !

 

Relire les APHORISMES À L’ÉLASTIQUE (1)

2018, NOUVELLE ANNÉE LITTÉRAIRE : RENTRÉE CHEZ LE DILETTANTE

arton117866-225x300.jpgpar Denis BILLAMBOZ

Pour cette rentrée littéraire de janvier 2018, Le Dilettante propose deux ouvrages qui illustrent bien, c’est du moins mon avis, le ton décalé que cet éditeur propose en général à ses lecteurs. Un roman de Laurent Graff plein d’inventivité dont le héros a trouvé la solution miracle pour éviter le vieillissement et un ouvrage de Frédérick Houdaer qui propose un regard particulier sur la vie des enfants élevés dans les sectes.

 

005275728.jpgLA MÉTHODE SISIK

Laurent GRAFF

Le Dilettante

Un homme qui a connu sa femme lors d’un « speed love » s’en lasse vite au point d’éprouver des envies de meurtre après la naissance de leurs trois enfants. Un meurtre par « méditation », jamais commis seulement pensé, tout droit inspiré par l’odieux assassinat perpétré par Dupont de Ligonnès. Il découvre ainsi la spirale infernale qui sclérose ce nouveau monde : pénalisation à l’extrême des plus petits délits ou simples envies de mal faire, détection facilitée de ces faits grâce à des matériels très sophistiqués, judiciarisation outrancière de la société et condamnation à des peines de plus en plus lourdes. Laurent Graff, avec cette caricature de notre société, semble vouloir dénoncer la restriction de plus en plus sévère des libertés individuelles, la surveillance de plus en plus étroite des citoyens, la judiciarisation de plus en plus systématique des rapports sociaux, l’incarcération pénale de plus en plus fréquente, la surpopulation des prisons…

Cette situation conduit le système judiciaire à trouver des peines allant de plus en plus loin pour stigmatiser les crimes les plus odieux. Ainsi un chercheur, un certain Salvador Beckett, met au point une prison capable d’accueillir des condamnés à la détention au-delà de la perpétuité, la détention éternelle. Pour concevoir son projet il s’est inspiré de la vie d’un homme dont l’administration a fini par s’inquiéter de son existence alors qu’il avait déjà cent vingt ans. Ce vieillard, Grégoire Sisik, vivait seul et après une carrière professionnelle très linéaire, toujours chez le même employeur, il a organisé une vie simple, composée de journées parfaitement identiques : horaires réguliers, toujours la même alimentation, donc toujours les mêmes courses à horaires réguliers, toujours les Variations Goldberg jouées par Glenn Gould comme musique et chaque après-midi le visionnage du Samouraï avec Alain Delon…

Ainsi, Grégoire Sisik vit des journées toutes parfaitement identiques et comme il ne fréquente personne, il n’attend jamais rien et comme il n’attend rien, il a supprimé la principale mesure de quantification du temps : le temps de l’attente, le temps de l’impatience, le temps d’avoir, de recevoir, de percevoir, quelque chose. Ainsi la notion du temps lui échappe totalement au point de faire disparaître le vieillissement lui-même. Grégoire Sisik vit hors du temps jusqu’à ce qu’un bureaucrate zélé vienne s’assurer qu’il est toujours bien en vie et que c’est bien lui qui perçoit la pension que la caisse de retraite lui verse. On a l’impression que Laurent Graff aurait lu Histoires vraies de Blaise Cendrars où l’on peut lire ces quelques lignes : « Quelle chose étonnante que la lecture qui abolit le temps, terrasse l’espace vertigineux sans pour cela suspendre le souffle, ni ravir la vie du lecteur ! »

Les gens de l’extérieur ayant découvert son grand âge, veulent découvrir ce phénomène et savoir comment il a pu devenir aussi vieux sans aune assistance. La science analyse son existence et essaie de la reproduire pour en faire un modèle qui permettra peut-être de voyager dans l’espace au-delà des limites du temps.

Avec ce texte un peu trop réaliste pour être une vraie fable, Laurent Graff nous raconte une histoire surréaliste, drôle, « ébouriffante », plutôt inquiétante car on sent bien que derrière la drôlerie pointe une critique à peine voilée des dérives de notre société, des dérives qui pourraient nous conduire dans des situations beaucoup moins drôles que celles qu’il a décrites. Notons aussi qu’encore une fois Laurent Graff a su faire preuve d’une grande créativité et que son art de la formule, de l’image et des situations cocasses donne comme toujours un certain éclat à ses textes.

Le livre sur le site du Dilettante

 

9782842639280.jpgARMAGUÉDON STRIP

Frédérick HOUDAER

Le Dilettante

EphèZ, dessinateur de BD à la notoriété naissante, est à l’hôpital où il attend sa sœur Isa, écologiste militante, pour prendre une décision très grave, ils doivent, ensemble, décider si les médecins peuvent pratiquer une transfusion sanguine sur leur mère en danger après un accident de circulation. Le problème pourrait paraître simple mais leur mère est une militante très assidue des Témoins de Yahweh, une secte qui interdit la transfusion sanguine, elle a déjà averti plusieurs fois qu’elle préférait la mort au sang d’un autre, d’un inconnu, d’un mécréant peut-être. Mais la sœur et le frère passent outre les recommandations maternelles, ils ont rompu depuis longtemps avec ses croyances.

Cet épisode est pour le fils un moment important où il se remémore le chemin parcouru avec sa mère depuis qu’il l’accompagnait dans son porte à porte prosélyte ou quand il dessinait ses premiers personnages dans la marge des revues qu’elle distribuait. Sa sœur et lui ont-ils réellement totalement coupé les liens avec les pratiques maternelles ? Ce n’est pas l’avis d’Emilie, la copine d’EphèZ, l’enseignante en science, elle n’accepte pas les théories d’Isa, l’écologiste très active, elle participe à des missions commandos la nuit dans des usines ou autres lieux stratégiques pour l’écologie. Elle reproche aussi à son conjoint certaines reliques des comportements maternels, on n’oublie jamais totalement son éducation première.images?q=tbn:ANd9GcRfmbw-hO0THjOWG8GAlyO46PKpvS68XpPpmP8Q5e6yFCjd0OMN

Frédérick Houdaer a saisi ce trio à un moment crucial de leur vie, notamment pour EphèZ, il n’était jusqu’alors qu’une sorte d’adolescent attardé vivant dans son cocon auprès d’Emilie qui remplaçait sa mère. Désormais, il sait que la mort est possible, il l’a vu à l’hôpital, et de plus sa copine est enceinte, il va devenir père, ça lui fait terriblement peur, il refuse d’accepter cette situation. Il va lui falloir grandir brusquement, devenir un adulte à temps complet, accepter son passé, sa mère scientifique brillante qui a tout plaqué pour entrer en religion, son père qui a quitté cette mère obnubilée par sa foi et construire sa vie et celle de sa famille.

Il a bien compris que cette secte n’est qu’une forme d’intégrisme religieux avec tout ce que cela comporte : la manipulation des plus faibles, les pressions sur les fidèles, les pollutions en tout genre, …. Mais, de l’autre côté, il voit qu’il y aussi des intégristes scientifiques qui manipulent aussi beaucoup de monde, pas toujours pour rechercher le bien être de l’humanité. L’espace d’une gestation, Frédérick Houdaer va essayer de rendre EphèZ adulte et responsable dans la mesure où on puisse l’être. Il veut l’aider à trouver les réponses aux questions auxquelles il doit désormais répondre : qui sommes-nous ? Où allons-nous ? Pour quoi faire ?

Dis Frédérick, c’est quoi la vie ?

Le livre sur le site du Dilettante

Branloire pérenne, le blog de Frédérick Houdaer

 

POLKAS DE STRAUSS & MASTURBATION

johann_strauss_gerd_heidger_tourbillons_de_vienne_valses_et_polkas.jpg   Cet homme bien sous tous rapports connut une sorte de révélation artistique, et pas que, le matin du Nouvel An. La veille au soir jusque très tard, il l’avait passée en compagnie de vieux amis hirsutes retrouvés à la faveur d’un groupe jimmypagien sur un réseau social à réécouter des albums de Led Zeppelin et ils avaient terminé sur (No) satisfaction des Stones qu’ils avaient au demeurant toujours boudé. Il avait, à l’occasion, revu une fille dont il avait été éperdument amoureux quarante-cinq ans plus tôt. Le problème, c’est qu’il ne l’avait d’abord pas reconnue et l’avait prise pour la mère d’un de ses anciens condisciples de l’époque. Bien que, de son côté à elle, elle semblait vouloir passer désormais à l’acte pour gommer tant d’années d’indifférence de sa part, qu’elle ne s’expliquait pas a posteriori et se faire pardonner sa négligence, sa morgue de jeune fille sûre alors de ses charmes…

    Mais ne parvenant pas, mais pas du tout, à faire la jonction avec la fille idyllique qu’il avait connue, et pour lequel il se serait damné, et cette femme… de son âge, notre sexagénaire, que nous appellerons Léon-Jacques pour préserver son anonymat, d’autant que son esprit avait été rendu confus par une surdose de ledzeppelinades, de baccardi-coca et d’une pétarade de joints. De sorte que lorsqu’il se réveilla avec une bienvenue trique d’enfer dans sa couche, tel un Silène bedonnant, et sans savoir par quel miracle il avait franchi les trente kilomètres du lieu de rassemblement des amateurs de Robert Plant au volant de sa Peugeot Partner d’occasion, il alluma avec sa zappette la télé sur le Concert du Nouvel An retransmis depuis la salle dorée du Musikverein de Vienne où l’Orchestre Symphonique jouait la Polka de Lucifer, opus 266 de Johann Strauss Jr. Sans savoir pourquoi, il se branla en revoyant son amie d’antan telle qu’elle avait alimenté ses fantasmes de jeune homme, avec une précision étonnante, et connut un plaisir rare. Il avait si bien joui qu’il se palucha deux fois supplémentaires avant la fin du concert sur d’autres polkas survoltées au programme du concert dirigée par un chef (Muti, Mehta, Maazel, Jansons ou Barenboim) sur lequel il ne put, dans son trouble mélomaniaque, mettre un nom.

    Ainsi, les premiers jours de l’année, plutôt que de verser dans sa coutumière déprime de janvier jusqu’au fameux Blue Monday (où il allait jusqu’à accrocher une corde symbolique à son plafonnier), il partit en quête, avec un entrain inédit, de toutes les polkas de Johann Strauss fils et les essaya toutes, sous différentes conduites, pour varier les plaisirs.

    De Joie du cœur à Violeta, de la polka de Pepita à Trains du plaisirD’Elise (polka française) à Polka d’Ella (un hommage anticipatif à la chanson de France Gall sur La Fitzgerald?) en passant, en vrac, par les Polka d’Olga, Polka Aurora, Une bagatelle, Présents pour dames, Petit flirt, Louange des femmes, Postillon d’amour, Sang léger, Petite Louise, De la bourse, À la chasse, La petite amie du soldat, Par téléphone, Saisis ta chance, Prompt à l’action, Polka des Hussards, Danse avec le manche à balai… ou Viens vite, il versa des 10 cc de contentement.

    Le deux-temps musical se révélant, comme il en fit le constat, le meilleur stimulus de la libido masculine menacée de consomption.

   Entre les deux-temps, il se délectait des biographies de la famille Strauss et d’une époque et où la vie sous l’impératrice Sissi était sissi belle et sissi ordonnée… Il renia tous ses idéaux de jeunesse, ses nombreux amis communistes passé du col mao rouge au blanc du mont Ventoux à vélo, il brûla dans un méchant autodafé le hargneux Thomas Bernhard qui ne faisait qu’agonir un pays rythmé par une musique tonique et rehaussé de sommets immaculés et, pour faire profiter un maximum de gens de cette période bénie (où il se sentait merveilleusement bien), il donna tous ses vinyls de Led Zeppelin à une association de Sans abri pour décorer (si si) l’intérieur, fort morne, il faut en convenir, de leurs cartons d’emballage.

    Toutefois, quand sur le groupe Facebook des sympathisants du nouveau chancelier autrichien, on lui demande en guise de quizz, de toutes les polkas de la famille Strauss laquelle a sa préférence, il cite sans hésiter la subtile Pizzicato polka opus 449 (que Johann a composée avec son frère Jozef) qui lui tire les plus subtils pincements cérébro-spinaux en autorisant des associations d’idées stimulantes et sylvestres (course de doigts sur la tige, d’oiseaux sur la branche…).

    Enfin, après chaque poussée d’adrénaline, chaque décharge de bonheur solitaire – hyperconnecté à ses souvenirs -, avec Le Beau Danube bleu opus 314, grandiose somnifère musical, il s’endort et rêve longtemps d’un fleuve se perdant dans les plaines d’une légendaire nature forestière où nulle pensée érotique, aucune tentation surgie du passé non moins que d’un présent amer n’encombre ses longues et bénéfiques siestes hivernales…

 

BONUS musical

 

2018, NOUVELLE ANNÉE LITTÉRAIRE : EN COMMENÇANT PAR DES JEUX DE MOTS

arton117866-225x300.jpgpar Denis BILLAMBOZ

Pour commencer cette nouvelle année littéraire, j’ai choisi de vous faire jouer avec les mots en faisant appel à deux spécialistes du genre même si ce n’est que le premier recueil édité par Styvie Bourgeois, elle est tombée dans la marmite du Cactus inébranlable alors qu’elle était une jeune fille encore. Le second recueil est l’œuvre d’un auteur devenu chevronné, Éric Allard le célèbre blogueur des Belles phrases. J’ai bien apprécié ces deux recueils car, tous les deux, ont un fil rouge, un thème, pour l’ensemble de leur contenu : l’érotisme pour Styvie Bourgeois, les écrivains et leurs éditeurs pour Éric Allard. Je n’oublierai pas de citer aussi Emelyne Duval l’illustratrice du recueil de Styvie.

 

cover-conversations-avec-un-penis.jpg?fx=r_550_550CONVERSATIONS AVEC UN PÉNIS

Styvie BOURGEOIS

Emelyne DUVAL

Cactus inébranlable

C’est réconfortant et réjouissant de constater qu’un éditeur pas spécialisé dans le genre érotique, produise un livre portant un tel titre et de plus que cet opus soit signé par deux femmes. Ça fait plaisir de voir qu’on peut encore mettre un grand coup de pied aux fesses de l’hypocrisie toujours si bien chevillée au corps de notre société. Styvie Bourgeois l’auteure et Emelyne Duval l’illustratrice ont décidé de nous faire rire en parlant de cet organe qu’on évoque plutôt dans des histoires souvent bien grasses. Elles, elles utilisent leur talent artistique respectif sans jamais sombrer dans le mauvais goût ou la vulgarité. Elles ne quittent jamais le registre de l’art même s’il est suffisamment grivois pour amuser les lecteurs sauf les pisse-froid.

L’auteure l’avoue dans son propos liminaire : « Il m’aura fallu quelques années encore pour assumer toute la franchise et la spontanéité que l’on retrouve dans ces pages ». Affranchie de tout complexe et inhibition mal venue, elle écrit en toute franchise sur ce sujet qui préoccupe tellement le monde bien que bien peu ose en parler librement. Elle ne lésine pas sur son féminisme avoué mais un peu différent peut-être, « Il y a des filles qui n’ont pas compris qu’être chiantes ne nous sert plus depuis longtemps ». Je lui laisse la responsabilité de ce propos, je ne voudrais pas encourir les foudres féminines.belle-belle-.jpg?fx=r_550_550

A travers ses traits d’esprit, Styvie Bourgeois [ci-contre] s’affirme femme, femme libre, femme non résignée, femme sexuellement assumée, « Tout est dans l’art de revêtir son habit de vierge effarouchée ou de salope à propos ». Ça a le mérite d’être clair et franc. Elle ose aller sur des sentiers que peu empruntent, pour formuler des raccourcis foudroyants du meilleur effet. « Masturbation : Charité bien ordonnée commence par soi-même ».

Et, elle écrit si justement : « Il faut prendre des libertés mais pas celles des autres » et « Quand nos avis divergent, c’est toujours la tienne que je préfère ». Celle-là, je l’apprécie particulièrement. Voilà la preuve qu’on peut-être grivois et talentueux à la fois sans forcément livrer un message dans chaque sentence, juste un petit aveu ou une petite confidence, par exemple, « Mon mari est le seul capable de mettre le doigt sur ce qui me fait plaisir », « Si l’Amour est ma nourriture, le sexe est ma gourmandise ».

mons-09-2016.jpg?fx=r_550_550Styvie n’oublie pas son illustratrice qui propose un dessin pour chacune des ses inspirations, « Elle faisait des portraits noir et blanc de personnages hauts en couleur », sauf qu’Emelyne Duval [ci-contre] n’oublie jamais la petite pointe de rouge qui rend son dessin plus érotique. Elle mérite bien de partager la maternité de livre car sa production est, en espace au moins, égale à celle de l’auteure. Deux femmes fortes, deux femmes qui osent parce qu’elles connaissent bien la réponse à cette question « Une bite contre trois orifices. C’est qui le sexe fort ? » Alors quand elles nous disent, « Il y a des fidélités qui se méritent », il serait bien avisé que nous réfléchissions un peu avant d’approuver ou … de nier.

Le livre sur le site du Cactus Inébranlable

Le site d’Emelyne Duval

 

 

cover-minute-d-insolence.jpg?fx=r_550_550LES ÉCRIVAINS NUISENT GRAVEMENT A LA LITTÉRATURE

Éric ALLARD

Cactus inébranlable

Il est arrivé, juste après le beaujolais nouveau mais avant Saint Nicolas et le Père Noël pour pouvoir être déposé chez tous ceux qui l’ont mérité. Je parle bien sûr du P’tit cactus d’Eric Allard qui est encore là, tout chaud, sur mon bureau. Eh oui ! Eric Allard a été « cactussé » (je ne sais si l’académie des aphoristes belges reconnaît ce qualificatif mais je l’assume), il est entré dans la célèbre collection des P’tits Cactus comme d’autres entrent dans la Pléiade sauf que dans la collection des  cactées littéraires on entre droit debout, bien vivant, alors que dans celle des belles filles, on rentre à l’horizontale les pieds devant, sauf exception, certain jouant l’anticipation. Il a franchi le contrôle du comité de lecture sans aucun souci, il avait préparé son affaire, « J’aligne toujours bien mes phrases avant de les présenter au peloton d’exécution du comité de lecture ».

Pour Eric, ce recueil est l’occasion de dire avec habilité, intelligence et même une certaine élégance, sans jamais penser à mal, quoique…, tout ce qu’il a toujours tu sur le monde littéraire. Je trouve que parfois, il s’avance un peu mais c’est le problème de ce fichu narrateur qui prend parfois des libertés avec l’auteur. Il se permet même de prétendre que « Les plus belles rencontres entre écrivains et éditeur se terminent souvent sous la couverture » et pourquoi pas la jaquette ? 

Eric chérit particulièrement les poétesses, « J’aime les poétesses toutes lues qui m’offrent un dernier vers », surtout celles qui ne font aucune concession à la facilité, « Les vraies poétesses ne prennent jamais la prose. Même pas pour un éditeur parisien ». Il ne méprise pas pour autant les autres auteurs, « Le philosophe s’attaque aux mots par le versant des idées, le poète descend la montagne de la pensée en rappel ».eric.jpg?fx=r_550_550

Ce qu’il dédaigne, c’est la marchandisation et l’industrialisation de l’art, l’intérêt pécuniaire, bref tout ce qui éloigne le lecteur de la création artistique pure. « Cet entrepreneur littéraire vient d’ouvrir une chaîne d’ateliers d’écriture en complément d’un centre d’élevage de poète de concours ». Les passe-droits en tout genre lui fournissent aussi de belles cibles pour ses flèches acérées.  « Pour complaire à leurs parents, le fils de cet auteur et la fille de cet éditeur ont pour le déshonneur de la Littérature été contraints à un mariage d’intérêt ».

Le monde des lettres est un univers complexe qu’Eric essaie de décrypter pour le lecteur et même s’il n’a plus d’encre dans le sang d’autres en ont encore. « Depuis que je n’ai plus de veine avec les éditeurs, je me fais un sang d’encre ». L’éditeur et l’auteur forment souvent un couple infernal que le lecteur comprend mal surtout quand leurs femmes se mêlent de leurs affaires. « Quand la maîtresse de l’éditeur est la femme de l’écrivain qui porte la maison, il y a péril en la demeure ». Alors, nous suivrons les bons conseils qu’il distille au fil des pages : « Tenez-vous à distance des mots quand ils sont dans la bouche d’imbéciles ! », « Devant le passage à niveau des Lettres, je regarde passer le train des écrivains » qui se bousculent convaincus de leur supposé talent.

Eric c’est aussi un humour très fin qu’il faut savoir décrypter, je me demande si je ne suis un peu la victime pas tout à fait innocente de l’une de ses flèches : « Les textes pondus trop vite contiennent des coquilles ». D’accord, je relirai mieux mes chroniques.

Avec tout ça, j’ai pris un grand plaisir à lire ce recueil plein de finesse, de sous-entendus, de piques acérée, … bien cachés dans le subtil jeu des mots. Je ne sais qui m’a dit  « Tu t’es vu quand t’as lu ! » Allard, t’es hilare !

Le livre sur le site du Cactus 

 

UNE GALERIE DE PORTRAITS SULFUREUX : DOUZE FANS (CÉLÈBRES) D’HITLER !

philippe-rw-c3a0-brighton-gb-nov-09-photo-gisc3a8le-wilkin.jpgpar Philippe REMY-WILKIN

Ils admiraient Hitler est le millésime 2017 des études historiques menées par Arnaud de la Croix, un sillon désormais labellisé, son Léon Degrelle ayant connu un succès tonitruant auprès du public et été récemment couronné par le Prix des Lecteurs du salon Ecrire l’Histoire de Bruxelles.

 

 

9782390250142.jpgDe nombreux observateurs notent les points communs entre notre temps et les années 30, les dérives qui allaient mener au naufrage de 39-45, à un crépuscule de l’Humanité, or Arnaud de la Croix nous invite, au fil de ses récents livres, à revisiter cette décennie, à nous informer, ce qui est bien, mais à nous interroger aussi, nous faire réfléchir, ce qui est mieux.

Les douze figures proposées ici sont particulièrement intéressantes. Il s’agit en effet de douze personnalités devenues célèbres avant leur interaction avec Hitler, le nazisme, ou indépendamment de celle-ci. Qui plus est, sept d’entre elles le furent pour des qualités, des talents d’exception. L’auteur ne nous parle pas de Goebbels, Himmler ou Goering, il évoque de véritables phares du temps. Lovecraft renouvelle la littérature fantastique. Heidegger sera un maître à (re)penser pour bien des philosophes, notamment français. Lindbergh a fait planer une génération avec son vol sans escale New-York-Paris*. Leni Riefenstahl** a inventé une grammaire cinématographique. Henry Ford a offert le luxe de conduire à la moitié du peuple américain. Knut Hamsun a obtenu le Prix Nobel de littérature mais surtout annoncé Kafka, Joyce ou la Beat Generation. Robert Brasillach fut l’un des plus grands espoirs des lettres françaises. 

Les cinq autres ? Mussolini, le prototype des leaders fascistes, qui inspirera Hitler avant l’inversion des rôles, l’homme de la Marche sur Rome et du salut bras et main tendus. Amin al-Husseini, le Grand Mufti de Jérusalem et premier gourou de la cause palestinienne (ou, plus précisément, arabe de Palestine). Edouard VIII, ce roi dont on a (trop) dit qu’il abandonnait un trône par amour (pour la divorcée américaine Wallis Simpson). Notre Degrelle (et honte) national, qui gagna des élections avec son parti Rex ultra-droitier-catholique, rêva de mettre fin à notre parlementarisme. Le moins connu, Alois Hudal, un évêque autrichien  qui se battait durant l’entre-deux-guerres pour rapprocher les peuples slaves et germaniques, éradiquer le communisme, depuis la tête de l’Anima, une institution vaticane.

 

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Arnaud de la Croix 

 

Or donc ces douze célébrités ont basculé du côté obscur de la Force. Pourquoi et comment ? C’est ce qu’Arnaud de la Croix va nous raconter, expliquer. Dans un  ouvrage qui présente divers intérêts.

Au premier degré, douze récits de vies, une information historique, la résurrection et la remise en ordre d’informations éparses et parfois erronées. Ainsi, je voyais Henry Ford comme l’inventeur du travail à la chaîne et, en disciple de Charlie Chaplin, j’y lisais un fossoyeur de l’artisanat, un agent de la réification de l’individu, de la rentabilité à tout prix. Erreur ! Ford était (é)mu par des considérations sociales, la mythique Ford T était une voiture à bas prix accessible à un maximum de citoyens américains, la chaîne permettait une élévation  des salaires.

Au deuxième degré, l’observation clinique du basculement. Comment et pourquoi ? Mussolini défend l’apport de citoyens juifs pleinement italiens, nie l’existence des races et applaudit les métissages, mais il va retourner sa veste, adopter le pas de l’oie nazi, etc. Lindbergh est le héros des Etats-Unis et du monde occidental, mais sa notoriété est responsable du rapt et de l’assassinat de son fils***; il fuit en Angleterre, dégoûté par un monde jugé pourri, décadent, et… ? Riefenstahl se passionne pour l’exaltation des corps, la mise en scène, dès sa formation (danseuse) puis naturellement (actrice, réalisatrice), or Hitler et les nazis vont lui offrir ses fantasmes sur un plateau… olympique.  

Au troisième degré, une interrogation sur les raisons profondes, les points communs éventuels entre douze personnes a priori très différentes. Car entre le très social Henry Ford et le souverain antiparlementariste Edouard VIII, l’affolante Leni Riefenstahl et le psychorigide évêque Hudal… Quid ? Un antisémitisme forcené ? Mais que dissimule celui-ci ?

In fine, je décèle un quatrième degré. La cerise sur le gâteau. Le bonus du DVD. Ces chocs électriques qui secouent conscience et édifices mentaux. En posant des questions dérangeantes. J’ose ? Pas moi, non, mais les personnages d’Arnaud de la Croix oui. On condamne le nazisme sur base de ses millions de victimes ? Si l’on entrouvre la porte d’une nécessaire régénération d’une civilisation décadente****, ne doit-on pas rappeler que la Révolution française, tant vantée, a causé des massacres sans nom, du génocide planifié en Vendée chouanne aux guillotines, en passant par les guerres napoléoniennes ? Des millions de morts pour imposer les Lumières ? Les Américains n’ont-ils pas fait aux Japonais ce que les Allemands avaient fait aux Juifs ? N’y avait-il pas en France une forme de fascisme et un antisémitisme virulent dès la fin du XIXe siècle, donc bien avant les modèles présumés ? On répondra en s’arcboutant à la pensée de Camus, pour qui aucune cause ne mérite qu’on lui sacrifie ne serait-ce qu’une seule vie. Idée que je renforcerais par l’impossibilité de prévoir les conséquences ultimes de toute action, les limites de tout système avant son application, etc.

La matière de ce livre est détonante et son traitement positivement étonnant. L’auteur, hyper actif sur les réseaux sociaux, dans les débats d’idées, y apparaît très à gauche, irréductible adversaire des fascismes et dérives ultra-libérales. Or cet homme si engagé manifeste dans ses études une impeccable rigueur intellectuelle et éthique. Il ne démolit pas ses personnages mais les présente dans leur complexité, leur contexte, quitte à nous donner des informations contradictoires, poursuivant la seule quête du fait et du vrai. Nulle complaisance mais une justesse dialectique qui restitue la fragilité des âmes et des perspectives, des engagements. Somme toute, cet auteur entend les individus qu’il dénonce, il les entend et il les voit. Véritablement. Il introduit, ce faisant, des dimensions psychologiques ou sociologiques du meilleur acabit.

Le cas de Lovecraft, notamment, est remarquablement esquissé. Avec lui, on découvre une forme de racisme ordinaire et contingent. Au départ, comme évoqué par le romancier Michel Houellebecq, il est avant tout « vieux jeu », « de par son éducation puritaine au sein de l’ancienne bourgeoisie de la Nouvelle-Angleterre. Bref, il éprouve ce que nous avons hélas quasi tous observé autour de nous : un « mépris bienveillant et lointain ». Mais. Ça ne l’empêche pas d’épouser une femme d’origine juive. Puis de basculer dans « une authentique névrose raciale ». Pourquoi ? Parce que venu à New-York, pauvre, il doit vivre dans un quartier où les immigrants l’effraient et lui inspirent une répulsion sans limite. Pourtant, sa haine, d’une férocité sidérante, est contextuelle et donc non essentielle. Et il se métamorphosera à la fin de sa vie au fil des découvertes, mutant vers la gauche, abandonnant sa judéophobie jusqu’à défendre un rabbin dont il admire les qualités exceptionnelles.

L’art du contrepoint illumine l’ensemble de ce livre éveilleur en douce. Il n’est qu’à admirer la manière dont l’auteur débute son chapitre V :

 « Lindbergh meurt d’un cancer en 1974. Il se vouait corps et âme, depuis plus de trente ans, à un combat peut-être perdu d’avance : celui de la préservation de la nature sauvage et de l’existence des peuples dits primitifs. Il se préoccupait de « la baleine à l’Amérindien d’Amazonie », comme le dit joliment sa belle-fille Alika. »

Un livre aussi agréable que passionnant et perforant (… notre douce quiétude). Et on regrettera que l’auteur n’ait pas en projet de compléter la liste avec une deuxième salve d’adorateurs sulfureux, citant quelques noms pour mieux nous frustrer : Unity Mitford, la folle (british) d’Hitler, l’immense écrivain Louis-Ferdinand Céline (glurps !), de grands intellectuels comme Mircea Eliade ou Emil Cioran (re-glurps !), le mahatma Gandhi (re-re-glurps !). Doit-on lancer une pétition, Arnaud de la Croix ?

 

PS De l’auteur, j’avais déjà lu Douze Livres maudits, devinant qu’il allait devenir une référence de par ses qualités de synthèse et de vivacité, un art subtil de couronner un récit fluide de notations haut de gamme originales. Voir mon article sur la plateforme culturelle Karoo, qui évoque davantage l’homme et son parcours :

https://karoo.me/livres/treize-livres-maudits-hublots-demultipliant-lhorizon

 

* Mon grand-père maternel suspendit ses activités médicales pour aller assister à l’atterrissage de Lindbergh.

** Georges Lucas, Jodie Foster, Mick Jagger, Andy Warhol, etc. ont proclamé leur admiration pour Leni Riefenstahl.

*** L’affaire Lindbergh inspirera Le Crime de l’Orient-Express à Agatha Christie. 

**** Beaucoup de gens, de toutes natures, sont aujourd’hui déclinistes.

 

9782390250142.jpgArnaud de la Croix

Ils admiraient Hitler

Editions Racine, étude historique, 2017

160 pages

 

Le livre sur le site des Éditions Racine

Les ouvrages d’ARNAUD DE LA CROIX aux Éditions Racine

 

PETITE SUITE DÉSERTIQUE de HARRY SZPILMANN

leuckx-photo.jpgpar Philippe LEUCKX

 

 

 

 

 

 

petite-suite-d-sertique-scan-de-couverture_1_orig.jpgLecture intéressante de « Petite suite désertique » de Harry Szpilmann, jeune poète belge, dont c’est le sixième recueil publié, ici au Coudrier.

L’ont précédé trois recueils au Taillis Pré, deux au Cormier.

Sept photographies atomisées, éléments minéraux agrandis jusqu’à devenir des constructions esthétiques abstraites, accompagnent ces textes brefs : d’une part, des poèmes versifiés, d’autre part, des aphorismes en petites proses accolées.

Le poète épuise les ressources d’un univers fait de silence, d’une lumière « qui ne tombe sur nos paupières/ que pour mieux nous léguer/ sa part d’obscurité » (p.34), d’une bonne dose de « terre annulée » « au creuset de l’absence » (ibid.), de « mirage/ de la vraie vie » (p.47), de signes que le lecteur prendra plaisir à éclairer, selon ses grilles de lecture : en termes d’attente, d’errance féconde « transhumant entre les éclats/ mutiques d’un silence » (p.31).

Une bonne centaine d’aphorismes forent un peu plus cette matière inépuisable, à l’aune des « grains » et poussières :

« Ne plus écrire que dans l’espoir de faire du silence sa demeure » (p.94)

ou

« Notre traversée du désert n’aura été que vaine si notre parole échoue à y moissonner un regain d’ombre et de lumière » p.78)

« Lorsque la blessure s’ouvre et se découvre saturée de poussière, il ne nous reste plus qu’à faire alliance avec la rêche hostilité de nos déserts » (p.70)

 

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Harry Szpilmann

 

Sans doute pourra-t-on reprocher à l’auteur de répéter certains motifs ou d’abuser un peu des formulations restrictives (ne… que), mais ce sont là broutilles à côté de l’intense réflexion, quasi théodore-monodienne de ces « espaces » livrés à l’imaginaire d’un auteur qui n’a guère choisi la facilité mais s’est donné pour mission d’objectiver au plus près ces matières, toutes de particules de vie, de mort, de silence, qui nous poussent sans cesse à une exploration intérieure – ce dont on lui saura gré.

L’écriture, côté poèmes, est sans doute plus intense, dans la densité que le poète offre aux vocables dans des rythmes qu’aèrent des distiques :

« Il nous aurait fallu être

d’une autre humanité

 

pour que nous eussions pu

nous sustenter

 

de torrents faméliques,

de cailloux pyrogènes,

 

de trop rares signes

spoliés à nos astres occis » (p;25)

 

Le poète attise toute réflexion sur notre place dans la complexe agitation du monde, astres et terre saisis dans le même mouvement de la pensée.

Un bon livre.

 

Harry SZPILMANN, Petite suite désertique, Le Coudrier, 2017, 108p., 16€.

Le livre sur le site du COUDRIER

En savoir plus sur Harry SZPILMANN

 

LE LIVRE DE SA VIE d’ÉRIC ALLARD sur le site d’AUXERRE TV

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« Raide dingue d’un livre, non mais ? Ça existe, ça ? On le dirait bien… »

 

Cet homme était tombé amoureux fou d’un livre.

À la première phrase, il avait compris que c’était le livre de sa vie. Il l’avait lu et relu des dizaines de fois et il n’en restait pas moins épris, raide dingue, bleu de bleu de ce livre. Il restait des heures à contempler sa tranche, à relire la préface, la postface, les pages liminaires, tout le paratexte. Feuilleter ses pages lui procurait des sensations inouïes…

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