LA FABRIQUE DES MÉTIERS : 146. MONTREUR DE MARCHES

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Le montreur de marches signale les escaliers à ceux qui les préfèrent aux ascenseurs, aux montgolfières, aux échelles de corde.

Tous les escaliers ne sont pas recouverts d’un tapis rouge, ou vert ou fermé, et l’utilisateur risque de passer à côté, au-dessous ou au-dessus, sans les calculer.
D’autres, plus distraits, l’empruntent sans le rendre ;  ils s’exposent alors à de sévères réprimandes du propriétaire.

On a connu des propriétaires délaissés de leur cage d’escalier à la veille d’une fête des voisins, d’un enterrement de vie de garçon(n)e, d’un raout, courir les brocantes de la région pour en trouver un à bas prix, tout déglingué et sans main courante, ne respectant plus les élémentaires mesures de sécurité.

De plus, certains escaliers sont escamotables, emboîtés les uns dans les autres comme des poupées russes et invisibles à l’œil nu – ou à peine couvert d’une paupière de misère.

D’autres, l’hélicoïdal carré, le 2/4 tournant, le débillardé ou le crémaillère, ont des formes si tarabiscotées qu’on les prend volontiers pour une récréation d’art contemporain échouée sous la trémie. Sans compter les marches rayonnantes, balancées ou participant d’un escalier à pas alternés, non inclusives donc, qui déterminent une latéralisation du pied pour chaque marche. Impossible dès lors de commencer à dévaler de la jambe gauche la volée si on s’est levé du mauvais pied !

Ces quelques méfaits démontrent à loisir l’importance du montreur de marches dans la vie de toutes les habitations ou lieux de vie nécessitant de passer d’un niveau à un autre si on n’est pas muni d’un deltaplane personnel ou d’un harnais en lien serré avec un fil hypertendu.

On peut dire que le montreur de marches est un liftier d’escalier, le groom de la porte de service qui pourra, s’il y a lieu, aider la personne invalide, ivre d’inculture, fatiguée de la politique régionale ou nécessitant un soutien manuel, à gravir la flopée de marches ou à la descendre d’un même pas balancé.

Durant la formation, donnée par des cascadeurs à la retraite, des organisateurs d’événements ascensionnels et des compteurs de degrés à l’angle de vue pointu, le candidat apprendra à gérer la nuée de photographes postés sur les gradins.

Le montreur de marches officiera aussi dans les festivals d’escaliers et de chausse-trappes où se pressent collectionneurs et amateurs. Il scrutera les éventuels fauteurs de trouble qui, durant la cérémonie de montée des marches, risquent de dévoiler une plage de chair incongrue ou faire valoir un slogan pourri imprimé à même la peau, du genre : « À bas les feux de la rampe ! », « Arrêtons les mains courantes ! », « Augmentons le giron, consolidons le limon ! », « Plus de moyens pour les gras bas-de-terre dans les monte-escaliers ! » – qui heurtent les intellectuels bas-de-plafond et les travailleurs de la plume payés une bouchée de peintre en droits d’hauteur.    

Dans la région de l’Entre Sambre-et-Meuse qui fourmille de marches à tous les paliers de décomplexion, à tel point qu’on ne les distingue plus les unes des autres, le montreur de marches indiquera le festival folklorique approprié, celui où a lieu tel défilé de groupes de marcheurs costumés en tout et n’importe quoi de plus ou moins historique lié à l’empereur Napoléon. Une telle dévotion à la période du Premier Empire ne se trouve que dans cette région du monde, limitrophe à la France et par ailleurs riche en écrivain(e)s aussi typiques.

On y voit sévir un esprit militaire, une discipline, un goût rare pour la détonation doublé par un esprit d’entraide se manifestant par le partage de bières locales et d’épisodes de jeunesse peu ragoûtants, jusqu’à ne plus reconnaître un gladiateur de la légion Wagner d’un combattant ukrainien jaune et bleu ciel qui inspirent de nombreux candidats à la Défense de la Région à la veille de briguer un mandat ministériel.

Précisions pour être complet que le montreur de contremarches est une spécialisation du métier de montreur de marches qui s’apprend sur le tas à force d’avoir le nez sur les échiffre, talon, collet de la marche standard.

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LA FABRIQUE DES MÉTIERS – 145. OGRESSE DE L’AIR

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L’ogresse de l’air est choisie par la compagnie aérienne pour son féroce appétit, son volume stomacal, ses canines acérées, son caractère omnivore et la résistance de son tractus gastro-intestinal.

L’ogresse de l’air avale les oiseaux, toutes les espèces d’oiseaux, plumes et pattes comprises, les migrateurs et les assignés à la volière, les oiseaux de chasse et les oiseaux qu’on abat, les oiseaux de haute cour et les plats (de) gallinacés, les piafs empaffés et les piafs qui ne regrettent rien mais aussi les enfants de la terre et les pères-la-pudeur (les plus nourrissants), les cerfs-volants et les dindons de la force (aérienne), les grasses exoplanètes et les grosses météorites, les homards à hélices et les F16 en route pour l’Ukraine, les roses des vents et les cadrans solaires, les jeux d’étoiles filantes et les cendres vides de l’espace, les verres de télescope et les lunettes de soleil, les marchands de sable et les vendeurs de sommeil, les lunes en carton et les fusées en titane, les cimes des montagnes de détritus et les dessus d’immeubles à rapports, les oranges bleues et les anges décolorés, les ailes de requin et les becs de lièvres, les grues à grande vitesse et les nids-de-poule à l’arrêt, les retours de flamme et les remises à feu, les plans sur la comète et les cartes bleues du ciel.

Comme il se doit avant tout dévorement, l’ogresse de l’air indiquera aux voyageurs du gros-porteur, avec moult gestes signalétiques, comment décortiquer les mets-faits offerts, quand les mettre en bouche pour un maximum de volatiles absorbés, et pourquoi les extraire vite et bien du système digestif en une tonitruante ritournelle du tube digestif qui dégorge. Elle indiquera avec la delicatessen qui la caractérise l’endroit de l’aéroplane où excréter sans effort et sans en mettre partout.

Enfin, face à l’alignement des voyageurs corsetés dans leur ceinture de sécurité, l’ogresse de l’air engouffrera un corps céleste, le déglutira et rotera un amas d’air ronflant comme une montgolfière car l’ogresse, si elle est munie d’un énorme potentiel dévorant, a été avant tout engagée pour montrer l’exemple et la voie sacrée de la bouffe à l’ancienne, sans les mesures de prévention et les vents mauvais qui sont en mesure au sol.

L’être humain(e) a besoin d’excès, de déroger aux disettes et aux privations de toutes sortes s’il veut continuer à exalter son sens de la démesure alimentaire et ne pas mourir à petits feux végétariens sur un lit de légumes cuits.

LOUONS JUSQU’À CE QUE GERBE S’ENSUIVE L’OGRESSE DE L’AIR qui nous fera voyager dans les méandres de l’intestin grêle et du plantureux colon, de la nourriture excédentaire en glucides et en grouillonants ballonnements, jusqu’au dégoût du gai manger et du monde de l’air malsain comme dans un film de bord de la nausée de la compagnie franco-italienne Ferreri & Ferréol !

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LA FABRIQUE DES MÉTIERS – 144. ESCALADEUR DE CAFETIÈRE

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Quand tu parviendras au sommet de la montagne, continue à monter.

Jack Kerouac

On rencontre des cafetières géantes sur les tables des grands hôtels où on sert des petits déjeuners somptueux avec des croissants d’or et des petits pains au chocolat énormes.*

On l’aura compris, nous percolons ici au pays des grands hommes et grandes femmes politiques ou de lettres et l’escaladeur de cafetière géante est un(e) quidam(e), un(e) sans-grade qui a bricolé quelques textes et a coché des cases figurant sur la liste du marché électoral local ou régional.

Comme tous les ambitieux, il voudrait se faire un nom ou/et un livre.
Pour ce faire, il doit attirer l’attention d’un éditeur en place ou un président de parti qui ne tient plus en place.

Pour se faire repérer aux tablées d’apparat des ci-devant, il devra gravir la cafetière par le versant matinal, le plus abrupt après une nuit d’aigreur – celui qui vous arrache les papilles et les poils des jambes -, par le bec verseur, pour parler concret, sans toutefois se faire griller par le débordement impromptu d’un liquide trop brûlant.

Car, à supposer qu’il se hisse par une des parois latérales, planes ou circulaires, ou par l’anse, ce qui serait plus spectaculaire que productif, son exploit risque de n’être point récompensé et même si cela ne constituerait pas une perte pour la caféïnité en général ni pour la littérature ou la politique en particulier, ce serait dommage pour les efforts consentis par le grimpeur d’appareil électroménager.

Si le candidat ascensionneur n’a qu’une expérience d’accrobranche et de montée en cuiller des tasses et soupières, il devra s’initier à l’alpinisme alpin, le plus coté (en taux de pourcentage de pente), avec un rochassier professionnel muni de l’attirail de grimpette en cuisine, corde, piolets, mousquetons, couteaux suisses et crochets à homard, qui lui apprendra à monter en rappel et à se prémunir des chutes de grains de café verts moulus.

Pour donner un ordre de grandeur, le grain de café moyen arabica de haute altitude précolombien (le meilleur à son époque) fait un diamètre d’un mètre et un poids de cent kilos (on n’ose imaginer le volume des tasses).

Il devra aussi apprendre, une fois atteint l’ouverture du bec, à se faire voir ou boire, c’est selon (les penchants de l’intéressé.e) car, dans ces entreprises ascensionnelles, la discrétion ne paie jamais. On a beau consentir des efforts de loin supérieur aux autres, c’est souvent celui qui en fait le moins qui attire l’attention par une pirouette, un geste excessif, une mise en valeur cavalière de son peu de potentiel qui emporte la mise et la muse (si elle n’est point farouche et goûte le café bien frappé et amer).

Parvenir au sommet de la visibilité, oui, mais réussir à se faire remarquer par une exposition conséquente, voilà ce que LA FABRIQUE DES MÉTIERS enseignera aux candidats à l’escalade de cafetière, ou de théière – si on préfère les fins sachets aux gros sacs.

Précisons enfin que si le postulant ne réussit pas sa formation, il pourra se reporter avec fruit (sec) sur le gravissement d’un pot à lait ou d’un sucrier à taille humaine.

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*A moins qu’on soit devenus des nains eu égard à l’importance prise par l’Horeca dans nos vies lilliputiennes.

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LA FABRIQUE DES MÉTIERS – 143. SOUFFRE-COULEUR

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Le souffre-couleur est le plouc émissaire des peintres & aquarellistes.

Il se tient debout au pied du chevalet, nu comme un ver blanc, et le peintre rincé, l’aquarelliste lessivé, ces imagiers de l’indicible, lui jettent toutes les teintes éteintes de la gamme chromatique.

Ils le carbonisent de pigments criants : de rouge rugissant, de bleu bêlant, de brun braillant, de noir nasillant, de jaune vrombissant, de vert raillant, de violèvre couinant…, tous ces mélanges qui n’ont pas pris sur sa palette et ont tourné court sur la toile froissée, le papier gras trop absorbant, en flaques flasques sans éclat.

Le souffre-couleur se tait, il a été éduqué pour la fermer face au gagne-pain artistique. Il n’a pas son mot à dire sur l’œuvre en train de se défaire, d’ailleurs a-t-il jamais écrit ailleurs que dans une feuille de chou, sur la décroissance des plantes poétiques locales en milieu romanesque hostile.

Si l’artiste bande mou ou/et ne mouille que pour s’asperger le front d’une vaine stupeur et l’entrejambe d’une saine vapeur, il peut, en dernier ressort, coucher le souffre couleurs sur le support-surface pour kleiniser son empreinte bariolée et espérer vendre de la couleur carnée dans les ossuaires du monde entier.

Si, du fait de son geste osé, l’artiste retrouve sa libido en même temps que son sens esthétique, devant le corps nu du/de la souffre-couleur repeint(e) de fond en comble, c’est-à-dire de la tête de clou aux doigts de pied en marteau, il s’en servira pour décharger son trop plein de haine envers la critique et les agences de cotation.

Griffé, giflé, castagné, le souffre-couleur aura des bleus en prime.  

On le voit, le souffre-couleur est un métier qui met au contact de l’art et des artistes dans ce qu’ils ont de plus profond et de plus volatil, leurs sécrétions intimes, leur force de frappe et leur mauvais goût des couleurs primaires et des formes physiques subalternes.

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LA FABRIQUE DES MÉTIERS : 142. TESTE-AMANTS

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Le teste-amants juge, jauge, pèse et soupèse sur la balance des sentiments la relation du couple, légitime ou illégitime, qui s’inquiète de son futur.

Après un audit sérieux des psychés en présence, de l’état des finances des partenaires et des liens qu’ils ont noué, dénoué avec leurs parents, proches, supérieurs et subalternes, et, sur base d’une sextape de bonne qualité technique, d’un examen de leurs ébats et des fluides subséquemment émis, le teste-amants indiquera avec un taux de 69, 69 % de réussite à échéance de six mois le pourcentage de subsistance, voire de renforcement, ou de délitement, voire de mort clinique, de la liaison.

Le teste-amants peut aussi délivrer des conseils pour remparer, stimuler, pimenter la relation.

Ainsi, le teste-amant, mâle ou femelle, pourra payer de sa personne et faire usage de sa séduction naturelle ou, s’il a un charisme de boîte de conserve, des quelques trucs & ficelles appris lors de la formation, pour éprouver l’un ou l’autre amant ou les deux ensemble – s’il estime qu’une séance de triolisme renforcera l’union étudiée.

Le recours au teste-amant est profitable dans n’importe quel cas de figure de couple, relation éphémère, sur un coin de sable, à l’angle d’une rue piétonne ou censée durer autant qu’un tube de Queen dans le cerveau embrumé d’un fan de la première lueur reinale, afin d’envisager l’avenir, de (re)tirer des plans sur la comète, de faire des projets de conception d’enfants ou de rupture de matelas de mariage, de construction d’une maison en kit à ou de partage de mobilier Ikea en deux volumes égaux.

Il est conseillé au test-amants d’entretenir des rapports sur le long terme avec le couple à l’instar d’un conseiller bancaire, d’un clair notaire, d’un lumineux psychothérapeute, d’un sexologue bien membré, d’un gourou sentimenal, d’un maître SM cordon bleu, d’un coach littéraire pour rédaction de livres à quatre grosses mains et vingt ongles maladroitement manucurés.

Posséder un teste-amant est un investissement, certes, mais devenu nécessaire avec les pressions, tentations, lourdeurs d’estomac et migraines pesant sur les santés mentales si le binôme, tenu par des liens de queue à con, veut persister, telle une spinozite chronique, dans son état de couple parfait voire modifier ses paramètres de recherche du bonheur et éprouver en une seule relation désirable l’existence de tous les duos du monde du spectacle amoureux.

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LA FABRIQUE DES MÉTIERS – 141. INTERRUPTEUR (VOLONTAIRE) DE GROTESQUE

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Le grotesque n’est plus, depuis des leurres, l’apanage de l’architecture illusionniste, de la littérature rabelaisienne et boccacienne ou de la peinture de Bosch, Breughel, Ensor…

Le grotesque s’insinue en nous, il grossit, se développe, insidieusement, à partir d’une graine de caprice, d’un radioactif ferment de burlesque, d’un point d’acmé de bizarre, de motifs extravagants, d’une coulée de chimères.

Il dit à la fois le risible et le tragique de nos existences. Il se gausse du réel, il fait perler une ou deux larmes au coin de l’œil rieur et cela indispose le législateur bien-pensant, l’écrivain moralisateur, l’enseignant (d)évaluauteur, le flic verbalisateur, le politique donneur de leçons, le voisin embourgeoisé derrière sa haie d’honneur et le bouquet d’ail au coin de l’oeil vampiresque.  

Il ravive nos esprits mortifiés par la pollution neuronale, nos désirs corrompus par la réclame, l’usage lascif des réseaux sociaux comme de la chronique télévisuelle élevée au rang des beaux ânes.

Cela doit CESSER !

Foin de ces stupides images qui nous font regarder le visage de la mort et du malheur en face, foin de ces mots outranciers qui perturbent l’ordonnancement du beau vers rimé, de ces phrases vulgaires qui nous distraient du discours rebattu de nos dirigeants et de leurs conseillers en communication de masse !

L’interrupteur (volontaire ou non) de grotesque ramène l’organisme touché, violenté, en voie d’enfantement d’un monstre, aux quatre vertus cardinales, au lamaïsme universel qui doit prévaloir dans les relations entre humains et bactéries, et sus, SIX FOIS SUS à ceux qui sèment la zizanie dans les zen pâturages, qui attentent à la paix des esprits, à l’avancée des bonzes nés avec un gong dans l’oreille, au sommet de leur art mineur ou de leur discipline de pieux travail !

Pratiquons l’interruption de grotesque MAIS avec des spécialistes de l’arrêt léthargie, des thérapeutes (dé)formés, rétribués dans l’aile réformatrice, rééducative de LA FABRIQUE DES METIERS à lisser l’intellect !  

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Illustration: Grotesque ornant la porte du clocher de l'église Santa Maria Formosa à Venise.

LA FABRIQUE DES MÉTIERS – 140. CONSOLATEUR DE CONSONNE (MUETTE)

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Disons-le d’emblée, consolateur de consonne (muette) est un métier de niche verbale qui, n’existant qu’à quelques exemplaires, ouvre de nombreux débouchés dans le domaine des Lettres où chacun essaie de faire son trou (en signalant la chose par un petit drapeau affichant sa bibliographie et les prix glanés sur le parcours) pour les quelques privilégiés qui suivront la formation.

Les consonnes en mal de reconnaissance sonore sont les consonnes de fin de mot, les consonnes muettes, qu’on n’entend et qu’à la limite on ne voit pas quand on parcourt le texte avec des yeux non avertis de la non qualité dudit texte.

Pour bien se pénétrer du problème en question, tentons d’imaginer la souffrance du p de fin de sparadrap, le sentiment de naufrage du t à la poupe du paquebot sans parler du désarroi du x en croix de saint André du crucifix ou bien encore du d au bord de l’échafaud, pire du g, tel un point moussu et sans ressort, au bout de shampoing ou, si profond qu’on ne le sent plus, l’inodore s au fond du marais.

Rapporté à leurs cas, le dépit d’un prisonnier politique belge enfermé depuis plus de quatre cent vingt jours dans une geôle iranienne, dans le désintérêt des autorités de son pays, passerait presque pour une farandole d’auteurs désoeuvrés à la fancy-fair d’une fête littéraire sans un seul prix à la clé ni l’élection d’une miss poétesse ou d’un mister romancier (ou l’inverse).

Versons tout autant un sanglot long sur les g et t de vingt qui, même associés, ne peuvent pas supporter le malheur de n’être doublement rien face au mastonombre. Ou aux d et s de poids qui, en duo, ne le font guère par rapport au vocable qui les porte au silence !

Alors que faire pour consoler ces consonnes éplorées ?

Leur donner du volume sonore au risque de les rendre plus conscients encore de leur vaine finale ? Si on dit rize pour riz, tribute, pour tribut, banke pour banc, applombe pour applomb, on dénature le mot, on le féminise sans son consentement, on heurte de plein fouet toutes les ligues de vertus du phonème affecté d’une pareille déficience.

La solution, la seule préconisée par La Fabrique des Métiers (dans son bulletin bimestriel distribué aux entreprises et franchises de la Région), c’est de les unir dans des phrases qui font (non-)sens, pour les mutualiser, leur donner du courage et de l’allant, un sentiment d’appartenance à une communauté de victimisés et une forme de soutien syndical (à défaut d’une aide conséquente, comme il est de coutume), à l’exemple de ces quelques modiques phrases qu’on propose comme calmant aux pires douleurs :

Vingt bancs de riz blanc ont un poids trois fois fois plus important que dix buffets froids.

Chat chaud au repos et sans voix n’est pas différent du cerf blanc dos grenat au brouillard du Nord.

Crucifix en surplomb du lit fait un pied-de-nez (c’est laid) au Jésus du fond des draps.

Quoi de plus affreux qu’un grand bungalow sans shampoing gras !

Trop de temps et plus assez de vivants ! (C’est rien moins qu’affolant !)

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LA FABRIQUE DES MÉTIERS – 139. CHASSEUR DE PLIS

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Les beaux plis sont rares et ne se trouvent pas forcément dans les beaux draps ou le beau linge. On trouve de plaisants plis dans le linge sale des familles et dans les draps souillés des amants et des malades.  

Le travail du chasseur de plis est colossal, il doit passer au crible de son analyse des tonnes de linge, de rideaux de théâtre et couvertures de livres, de feuilles d’arbre, de couches géologiques, d’arabesques en tout genre, de vulves et d’anus de toutes espèces.

Le beau pli est d’autant plus rare qu’il est involontaire, non recherché par le faiseur d’origamis.

À trop accumuler de plis, on devient enveloppé, et adresser des félicitations à son reflet froissé ne fait que troubler le miroir.

Car le chasseur de plis ne devra pas mener ses fouilles dans le désert, il devra rechercher le faiseur de plis involontaire, qu’il soit l’auteur du hasard ou d’une main humaine.

Comme le chasseur de primes estime la rançon qui le rendra riche, le chasseur de prix anticipe le prix qui récompensera injustement son ouvrage moyen, le chasseur de plis devine la petite main ou la noble nature qui accomplira le pli recherché, le pli accompli, le pli parfait.

Le pli parfait n’est pas l’envoi qui touche, voire ouvre vos coeurs aux plus fameux transports, même si dans ce pli-là peut se dissimuler un pli de pure forme, un pli attendrissant, un pli leibnizien, qui ouvre sur l’infini de l’âme, entre deux lignes écrites à la main ou à la machine au corps de nos rêves.

Le pli parfait relève de la ligne tracée dans le tissu ou la chair du souvenir, la peau du sentiment et marque à jamais celui qui l’a inscrit dans sa vie et dans sa vue.

Le pli parfait ébranle au-delà de toute géométrie euclidienne, il infléchit le chagrin dans la direction d’un espace tendre, il porte les larmes aux yeux qui en coulant forment des rigoles aimables, comme des déversoirs de tristesse aux abords des conteneurs de chagrin.

Le nœud cérébral, encombré de plis, développe l’esprit fin.

Mais le développeur de ces phrases ici s’égare, il lyricise à souhait alors que l’époque poétique le voudrait plus critique et clinique, alors qu’il devrait se concentrer sur son sujet, retourner les ailes de son ambition dans la chrysalide de ses désirs. C’est que l’art du pli ouvre sur un éventail d’émotions.

Quand enfin tu as pris le pli, maintiens-le à l’abri des renards et sers t’en comme d’un fil à courber le leurre, pour vivre, entre deux épaisseurs, dans un cocon de soie, l’existence d’une larve au grand cœur !

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Photo d’illustration tirée de L’art de l’origami avec Hoang Tien Quyet, sur Art et glam

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LA FABRIQUE DES MÉTIERS – 138. COMPAGNON DE MOUMOUTE


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Le compagnon de moumoute est un ami au poil.

Qui a un jour cru à l’amitié, il faut laisser aux humains leurs croyances, sait que pour faire un boulet de chemin avec autrui, viendra le temps de l’alopécie partagée, de la raréfaction du cheveu, de la peine de crâne commune, de la consolation du cuir chevelu par les substituts capillaires et autres implants ottomans.

Il sait que ce qui flétrit par le haut refleurit par la barbe.

S’est-ton déjà demandé pourquoi un célèbre intervieweur et par ailleurs dramaturge est le confident public dominical de tous les hommes et femmes politiques du royaume de Belgique ? Car il est le seul humain sur le territoire francophone belge à avoir triplé sa toison supérieure en trente années de présence télévisuelle et que son cuir chevelu provoque, avec ses costumes bien taillés, l’admiration de ses invité(e)s du dimanche treize heures quinze.

Si le compagnon de moumoute possède une chevelure fournie et que la route s’allonge à proportion, sans point-relais à l’horizon, et que son partenaire de rando n’a plus un poil sur le caillou, par décence, celui-là se couvrira d’un chapeau mou, d’une casquette à visière flasque, d’un haut de forme discret (donc rabaissé), d’un bonnet d’âne, d’une keffieh, ou d’un schtreimel – s’il est versé dans les religions orientales.

Aux peines de tignasse, toujours, le compagnon de moumoute compatif.

En cours de route, pour lui éviter la vue des salons de coiffure placés à l’angle des sentiers broussailleux, il parlera de l’importance des pleurs et couronnes dans l’œuvre romanesque de Marcel Proust ou de la disparition de l’arrêt sur images travaillées dans la production poétique courante.

Au bout du chemin en épingle à cheveux, à l’arrivée à destination, les deux amis se découvriront, l’un de son postiche ou ce qui en tient lieu, l’autre, de son couvre-chef dissimulant mal, à la racine du tif recru, la marque d’une teinture cancérigène. Au jour du grand départ, ils se diront que le demi-poil rétif ne résiste pas longtemps à l’action des flammes de crémato ou des vers de cimetière et que l’important n’est point la rose et ses boutons qu’on hume mais l’âme tournée vers son frère de marche funèbre, dans une effusion que seule l’amitié, pour ceux qui y croient dur comme fer à friser, permet, avant de partir d’un grand rire décoiffant si, qui plus hair, ils ont le vent en houppe et la mèche rebelle aux raies sur le côté et autres enrégimentements capillaires.

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LA FABRIQUE DES MÉTIERS – 137. VÉRIFICATEUR DES OMBRES

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Les ombres en s’additionnant se confondent et on ne plus estimer leur nombre, à moins de les soustraire à la force sommative.

Des ombres vivent mal leur séparation. Il arrive qu’une ombre sombre dans la dépression et ne se distingue même plus de son objet. Des opérations, souvent coûteuses, sont alors nécessaires pour relier les deux parties.

On a vu des ombres échapper à toute formation ombreuse, à toutes sortes de pénombre et se répandre dans la vie des morts-vivants, dans des dessous de fables ou des ciels de livres. Et un objet détaché de sa silhouette en vient vite à remettre en cause les sources de lumière.

Une source de lumière, comme un auteur obscur sans nouvelles publications durant un trimestre, privé d’existence publique, peut aussi verser dans la dépression, le bide existentiel.

Ladite dépression, engorgée d’objets sans ombre et d’ombres sans objet, doit alors être prise en charge par l’espace hanté le plus proche en mal, comme on le sait, de sorcières et de voyantes qui désertent la profession pour se reconvertir dans l’enseignement des matières ombreuses ou bien entrer en maçonnerie, étant attendu leur goût du retrait et leur expérience dans le bric-à-brac optique inhérent à la discipline.

Un vérificateur des ombres éthique est rare car, pour une foule donnée d’ombres, les chiffres varient, suivant qu’ils sont fournis par la police des ténèbres ou par les syndicats des elfes tourneboulés, comme une girouette sociale, par les vents imaginaires.

Avant tout (dé)compte, la tâche principale du vérificateur est de faire le départ entre les ombres certaines et les fake-shadows.

Car de nombreuses ombres se présentent comme telles ne sont que des vulgaires taches, d’immondes crachats de clarté que pas un soleil noir ne voudrait dans son enfumage, encore moins à son sévice.

D’après une étude du Centre international des vérificateurs des ombres, l’institut délivrant les meilleures formations est, à n’en pas douter, La Fabrique des métiers, car située dans un milieu minier, grisouté, cadavérisé, sous employé, riche en fragments d’universités venues d’ailleurs, où aujourd’hui encore la vapeur de houille imprègne les actions humaines comme s’échappant, tels des sortilèges, de la braise encore chaude du travailleur de fond des teints anciens, reculés, nauséabonds, putrides et forcément déliquescents. 

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