par Philippe LEUCKX

CAMILLE CLAUDEL À « LA PISCINE » de ROUBAIX / Au miroir d’un art nouveau
Le Musée d’Art et d’industrie André Diligent (maire de la ville) est une ancienne piscine des années art déco, devenue espace muséal magnifique, où les œuvres permanentes sont exposées dans les anciennes cabines, dans les travées… Des œuvres de Montézin (néo-impressionniste talentueux, 1874-1946, « Les marais de la Somme »), Vuillard, L. Fontanarosa (« Des poires, des pommes »), A. Giess (« Mon atelier à la villa Médicis), deux très beaux Marquet (« Quai Bourbon » et « La porte de Saint-Cloud », 1904), Puy (« Le port de Concarneau »)…
En hommage (fêter les cent cinquante ans de sa naissance) au grand sculpteur français, né en 1864, décédée en 1942, « La Piscine » a organisé, de novembre 2014 à février 2015, une grande rétrospective des œuvres de l’artiste, sœur infortunée du poète et ambassadeur Claudel.
Chronologique, organisée autour des grands thèmes du corps et de la sensibilité charnelle aux matières, l’expo suit les méandres d’une carrière, exposée sous l’influence de Rodin, avec les aléas des premiers Salons, l’éclairage au moment de la liaison de l’artiste avec le sculpteur plus âgé, le déclin avec la rupture de leur relation et l’amorce des troubles mentaux de l’artiste, blessée, humiliée, dégradée. Celle qui avait beaucoup donné (et nourri passablement l’œuvre de l’aîné qui fut son maître) se voit ravalée au niveau le plus médiocre, mêle ses repères, égarée dans des ateliers froids, commence à perdre pied, à sombrer.
Le grand talent de Camille explose dans la finesse, l’élégance, la subtilité donnée à la matière. Les portraits et les groupes sont étonnants, à la fois de vérité et d’intense représentation. Quelques exemples : « la Valse » fabuleuse ; les portraits d’enfants ; « L’âge mûr »… ; le modèle italien Giganti ; le peintre Lhermitte.
Une belle redécouverte d’œuvres. À compléter des œuvres d’Orsay et du Musée Rodin.

Lien vers l’expo à la Piscine de Roubaix
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VAN GOGH AU BORINAGE / La naissance d’un artiste
Le BAM (Musée des Beaux Arts de Mons) ordonne sur deux niveaux l’expo-clé de cette année 2015 culturelle montoise.
Les œuvres exposées datent essentiellement des années 1880. Prédicateur deux ans dans le Borinage (1878-1880), Van Gogh a le temps d’apprendre son métier de dessinateur. Il est autodidacte, esquisse les gens du coin, mineurs, voisins de Cuesmes, prend des cours d’anatomie et de perspective. Les chaumières, les vues de mines, les scènes de la vie quotidienne, au travers des dessins et des premières huiles, prennent une densité un peu brusque, saisissante. On ne connaissait pas beaucoup cette période, au bénéfice des grands moments de l’artiste (Arles, Auvers-sur-Oise…). Certains visiteurs seront sans doute étonnés de ne pas croiser ces œuvres-là, vues mille fois. Celles qui sont aux cimaises de Mons étonnent par le graphisme qui opère ses mues, par la réalité transfigurée très sobrement par un artiste de trente ans.
Les lettres agrandies attestent la belle amitié avec le frère Théo, décrivent dans un français impeccable l’arrivée dans le Borinage, les premières expériences à Paris. Une toute petite écriture noire aux lignes de texte très rapprochées.
Certaines œuvres, redevables de Millet (Les bêcheurs, entre autres), cernent le travail de la terre (beau « Jeune homme avec une faucille », 1881), (« Paysanne liant des gerbes », 1885).
Les panneaux biographiques éclairent ce parcours original, hors des sentiers très battus des Gachet et autres « Iris ».

lien vers l’expo au BAM
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« 8 ANS » de Julie REMACLE dans la collection if de l’Arbre à paroles
On reste en Belgique avec la comédienne Julie Remacle (Hutoise de trente ans) qui propose une histoire en trois parties, parole poétique d’une enfant de huit ans qui parle d’elle, de son univers, de ce qu’elle comprend du monde aux alentours : l’école, l’affaire Dutroux, la perception de la sexualité, les adultes vus d’en bas, de l’enfance, la messe pour une petite « mécréante »…

Le style épouse bien les annotations enfantines, naïves et/ou cinglantes, le texte oral (on sent que le texte a été joué sur scène…à Huy ?), les topiques, le flux des histoires enfantines (« après ça…l’homme enlève deux autres petites filles ») sans toujours éviter les effets « mode » d’une littérature trop ciblée. L’humour, les références aux albums enfantins (« Puni cagibi »), les « blagues à deux balles », les piques contre l’école (l’instit qui fume pendant ses photocopies…) un peu faciles, mais des trouvailles (« on nous apprend à être malheureux dès l’école primaire/ on nous dit ce qu’il va nous arriver… »), on chicanera peut-être ce genre de phrases dans la bouche d’un enfant, même HP :
Ici c’est l’Europe
on dit la vieille Europe
…
C’est les riches qui ont tout l’argent
et qui font des lobbies…
Le long poème haletant, n’empêche, décrit avec acuité et les yeux d’un enfant terriblement marqué par ce qui est arrivé du côté de Liège dans les années 1995-1996. Les pages 68 à 76, hallucinantes de vérité, nous ramènent à ces sombres moments de l’histoire Belgique.
Le livre de 128 pages se lit vite, et je le verrais bien transposé à la scène, pour un jeune public, friand de la simplicité des récits.
(Julie Remacle, 8 ans, l’Arbre à paroles, coll. If, 128 p., 12 €)
Le site de l’Arbre à Paroles