AULX PERDUS, SAINT-HUBERT & HISTOIRE DE CLOU ET VIS / Denis BILLAMBOZ

Aulx perdus

Comment accoucher d’un appétissant aïoli quand on a perdu prématurément les aulx ? On peut toujours essayer de peler l’oignon pour remplacer l’ail mais le risque est grand de pleurer seulement pour quelques aulx évaporés, mieux vaut alors que la cuisinière aille au lit, gratter son oignon sous la couette pour protéger ses yeux des grandes eaux.

Moralité : On gratte plus souvent l’oignon que l’ail au lit quand on a perdu prématurément les aulx.

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Saint Hubert

Un jour de chance Saint Hubert fut invité sans son chien à la chasse, une chasse au gibier d’eau. Il quitta prestement sa chère châsse pour habiter sa chair pendant que, du haut de sa chaire, le chanoine chantait un chant en l’honneur des chasseurs sachant chasser sans leur chien (c’est depuis ce jour que cette fameuse expression est utilisée dans les exercices de diction). Enfin en chair et en os, le saint homme rejoignit les chasseurs chantant les louanges des chasseurs chassant sans chien. La chasse fut chanceuse, la forêt était giboyeuse, et les chasseurs rentrèrent chargés de chair à rôtir sur le champ, avant le chant du coq, car notre saint devait rejoindre sa châsse avant le chant de mâtine. Mais quand il quitta sa chair pour réintégrer sa châsse, il l’a trouva occupée par un autre saint.

Moralité : Tant va le saint à la chasse d’eau qu’il peut perdre sa châsse 

 

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Histoire de Clou et Vis

Un clou fou saturé des coups sur le cou leva le verrou et fila comme un coucou dans le trou d’une vis vicieuse lassée des sévices de son écrou. Il la courtisa, lui promit froufrous, bisous, sous, choux, joujoux et même genoux et cailloux, la vis comprit ses visées et avisa vite, elle ne voulait ni d’un gourou, ni d’un grigou et encore moins d’un hibou ou d’un matou plein de poux, elle ne souhaitait pas être, peu ou pou, la nounou d’un vieux clou tout mou se prenant pour le manitou de son trou.

Moralité : Lavisse connait mieux Clovis que Clou et Vis, et s’il n’a pas saisi les sévices du clou et de l’écrou on sait désormais qu’une vis même vicieuse défend son trou contre les clous mous.

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EN ATTENDANT LE PRINTEMPS

88957_300.jpgpar Denis BILLAMBOZ

Un rayon de soleil, un filet d’air moins frais et voilà que le printemps nous titille déjà et quand on parle de printemps on pense à ces poètes qui savent dire la douceur de vivre et temps paisible qui bientôt va revenir. J’ai donc choisi aujourd’hui de vous apporter le temps du renouveau qu’ils ont écrit tous les deux dans leurs vers. « Il suffirait d’un coup d’épaule pour enfoncer le temps » (François Migeot) et pourquoi pas se retrouver déjà sous les cerisiers en fleurs et même « si le temps est gris aujourd’hui, il faut l’égayer d’une écharpe légère » et le tour est joué, François Migeot et Marcelle Pâques bousculent le temps de ce reste d’hiver pour nous conduire vite, vite, au temps du renouveau, au printemps qui pointe déjà là-bas juste derrière l’horizon de leurs vers fleuris.

 

ad0bd5d22565f272ddb680db3c0d7af3.jpgDERRIÈRE LES YEUX 

François MIGEOT (1949 – …)

Quel joli objet que ce recueil de poésie, édité par une toute petite maison haut-doubienne, l’Atelier du Grand Tétras, où François Migeot dessine des poèmes qui marient leurs formes à celles des aquarelles et des encres de Marianne K. Leroux, pour animer l’âme de ses vers et l’esprit de ses textes.

L’ombre et la lumière, le jour et la nuit, l’aube et le crépuscule, le soleil et les nuages, … François Migeot invente un monde en vers dans une ambiance douce, fraîche, sereine où le temps coule comme un ruisseau argentin sur les plateaux du Jura.

Tandis que l’ombre

Accoudée à l’appui

Suit des yeux le cortège

Et que l’air

Tournoyant au dehors

Gonfle la toile du devenir

photo.-f.migeot.jpgUn temps que le poète écoule à travers le calendrier, égrenant les jours, les mois au rythme de ses vers comme les fleurs qui se fanent, dispersent leurs pétales au creux des massifs dans des jardins bourdonnants, bordés de rues animées par le pépiement d’enfants insouciants et innocents.

 Il suffirait d’un coup d’épaule

Pour enfoncer le temps

Le temps qui s’enfuit et qui efface les ans

Mais comment l’année

Ranimera

Le ciel ?

Le temps qui s’efface, le temps qui emporte la vie, le temps de la mort.

Tandis que les morts

Malgré les murs

Malgré les tombes

Descendent au brouillard de la terre

Les nuages sur les cimes

Sont les cendres du soir

 

ob_bd1c38_pourquoipas.jpgPOURQUOI PAS ?

Marcelle PÂQUES

Je me souviens quand Marcelle avait publié son précédent recueil, « Bientôt les jonquilles », après l’avoir lu, j’avais écrit « C’était Pâques, les jonquilles fleurissaient déjà depuis quelques semaines, Marcelle, Marcelle… Pâques évidemment, déversa sur mon bureau une brassée du soleil des fleurs de son « jardin d’étoiles ». Ces mots-fleurs, ces mots-soleils inondèrent mon gîte d’un courant d’air frais » . Et la semaine dernière une nouvelle brassée de fraîcheur a parfumé ma boîte aux lettres, « Pourquoi pas ? » Après tout, quand on aime on ne compte pas ! J’ai reçu ce bouquet avec grand plaisir et j’ai dès les premières lignes constaté que Marcelle n’avait rien perdu de sa joie de vivre et son optimisme contagieux :

«Le temps est gris aujourd’hui

Il faut l’égayer d’une écharpe légère

Une écharpe de pensées soleil

Puisée dans tes yeux clairs. »

Elle a trempé sa plume dans l’encre de ses yeux, comme dirait Cabrel, pour peindre le ciel gris, d’un été maussade et nous laisser :

« Comme un chat heureux sous le soleil »

Mais dans ce recueil Marcelle, laisse aussi percer des sentiments moins gais, elle apparaît, lassée, déçue et même un peu désespérée par nombre de nos contemporains qui se complaisent dans la bêtise, la méchanceté, l’intolérance et toute une panoplie de travers qui perturbe la vie en bonne société.

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« Certains prêchent l’ouverture, l’accueil, la tolérance

Mais il reste entre eux ne supportant pas la différence »

Et ces « certains », elle les nomme, les désigne ils sont comme :

« Le con ….

Coincé dans sa vie, comme un petit pois

Dans son bocal

Le con s’ennuie…

Alors il s’amuse à faire le mal. »

Mais « le con » n’aura jamais raison de Marcelle, elle a tout prévu :

« Le temps qu’il me reste à vivre…

Me laisser porter par la volupté

De vivre. »

Un GROS LIVRE

7625272420_667a345310_m.jpgC’était un gros livre aux pages comme des portes (non huilées). Il fallait être plusieurs pour l’ouvrir.

Quand tu voulais lire, tu devais faire appel aux voisins ou à des membres de ta famille, tu devais programmer pour qu’ils puissent s’organiser.

Puis tu ne pouvais pas refouler d’un geste les gens qui t’avaient aidé, tu devais leur offrir à boire et manger, et parfois le gîte. Cela dépendait si tu avais une grande ou petite faim de lecture.

L’embêtant, avec ce gros livre, c’était que tu ne pouvais qu’avoir une immense faim de lecture, il était vain d’imaginer ouvrir le livre pour ne lire qu’une phrase (ce qui te demandait quand même une bonne heure).

Alors tu laissais le livre ouvert mais le livre prenait froid (surtout les nuits), ensuite tu entrebâillais la page suivante de quelques centimètres seulement avec tout un système de leviers et de poulies, mais tu ne pouvais pas tout lire entre les pages, il faisait trop sombre et tu n’as jamais eu beaucoup de lumière.

Et ta vie se poursuivait, tu vieillissais plus vite que le livre se lisait. Alors, tu déprimais. Tu disais : Plus jamais un aussi gros livre ! Tu en avais presque les larmes aux yeux de dépit.

Depuis le temps que tu l’avais reçu, tu ne te rappelais plus qui t’avait fait ce présent, comment on te l’avait apporté, alors que cela seulement tu aurais dû t’en souvenir. Mais la vie accumule tant de faits inutiles sur ceux qui seuls devraient compter.

Depuis le temps, il devait être mort, celui qui t’avait offert le livre.

Parfois tu disais que ça ne pouvait qu’être l’auteur pour forcer de la sorte un lecteur à lire son livre. Tu regrettais les livres inconsistants, tous ces livres inutiles, que tu avais lus avant celui-là. Tu ne retenais rien mais tu avais le temps de vivre, de rêver sur d’autres livres. 

D’espérer écrire un jour un gros livre.

MÊME PAS PEUR, le nouveau journal satirique belge dont tout le monde parle

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Une initiative de Jean-Philippe Querton des CACTUS INÉBRANLABLE Editions à laquelle se sont jointes Les Editions du BASSON.

En vente pour commencer à la Foire du Livre de Bruxelles au prix de 2,5 € On peut aussi le commander via l’email suivant: cactus.inebranlable@gmail.com

·         Dans ce numéro, des textes de: Manuel AbramowiczEric AllardCicéron AngledroitIsabelle BaldacchinoMassimo BortoliniDenis Billamboz, Alexandra Bitouzet Alex Btz), Denys-Louis Colaux, Laurent d’Ursel, Martin Delbar, Alain Doucet, Véronique Dubois, Catherine FrancoisPaul GuiotFlorian HoudartPatrick Lacroix, Dr Lichic, Dominique Maes, Franz Marrot, Dominique Meeus, Marc Menu, Candice Mondo, Colette Nys-Mazure, Marcelle PâquesCécile Pouillon, Théo Poelart, Jean-Philippe Querton, Marc SandersRobert Serrano, André Stas, André CletteMichel ThauvoyeEtienne Vanden DoorenDominique Watrin et Ziska Larouge.

·         Et des dessins de: Karim Guendouzi, Jean-Philippe GoossensThomas Burion, Lili Cameau, André Clette, Cloutier, Pierre Desagre, Kanar, Martin LeroyBruno Lombardo, Pad’R, Thierry Pouliart, Jack Jacqueline Ross, Sandro Baguet, Jacques SondronJean-Paul Verstraeten et Yannick.

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MÊME PAS PEUR au Grand Soir 3 (à partir de 20′ sur la vidéo et pendant 5 minutes)

MÊME PAS PEUR au JT de la Une

MÊME PAS PEUR sur le site du CACTUS INEBRANLABLE

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LES CERCLES FUMEUX

photos-d-art-imprimee-photographie-d-art-cercle-de-feu-1368684-cercle-de-feu-1-6ab7c_570x0.jpgCe roi des Lettres était entouré d’un cercle de livres (dont il possédait bien sûr une réserve inépuisable) en permanence allumé pour qu’on ne l’approchât point, à l’intérieur duquel il communiquait avec des signes.

On savait par ailleurs qu’il transmettait la plupart de ses enseignements par les livres voyageant dans le royaume grâce à un réseau habile de serviteurs dévoués. Le cercle, par un mécanisme ingénieux, le suivait en déplacement. Quand il désirait une femme, on ménageait une brèche pour qu’elle entrât et se laissât aimer à l’abri des regards malveillants grâce à un rideau de flammes surélevé (par un supplément de livres royaux).

Puis, ou bien il la faisait brûler sur la circonférence ou bien il la vouait aux gémonies du quotidien, sachant qu’elle vivrait le reste de la vie dans le souvenir de ce moment fabuleux, avec parfois un enfant pour prolonger le souvenir. Il n’avait pas la fibre paternelle malgré les très nombreux rejetons qu’il avait produits, et il ne les recevait jamais au palais.

Un jour, comme dans tout royaume, démocratique ou non, un homme, un insurgé voulut s’opposer au roi. Il déclara l’inanité des livres royaux et de tous les livres. Son discours prit et le feu de sa parole se répandit parmi la population avide d’un chef autre qu’elle pourrait approcher et toucher, et vénérer, davantage selon ses visées.

Très vite, le bruit courut que le chef rebelle était un fils naturel du roi. Vérité ou mensonge, l’idée plut et grandit encore la réputation du mutin qui finit par divulguer plus fort ses idées en les rassemblant dans un livre qui connut un succès retentissant, d’autant qu’il n’employait pas les circuits officiels de distribution.

Il se prit au jeu de l’écriture et de la publication et fut bientôt, loin du roi, entouré pareillement d’un cercle fumeux.

Désormais, les deux hommes s’observent de loin, ils envisagent le duel qui consacrera l’un ou l’autre. On pressent que le frondeur a des livres plus vifs, plus neufs (et donc plus démodables, mais ça, ses affidés ne le savent pas encore) que ceux du roi et que c’est lui qui devrait gagner la bataille de mots, sinon la guerre du feu, des autodafés que ne devront pas manquer de mener un jour les deux ambitieux.

A moins que le roi, rendu à la raison du pouvoir, lucide sur l’enjeu du combat à venir, distribue, prime et officialise les autres livres que les siens.

UN CITOYEN MANIFESTE DES SIGNES ÉVIDENTS DE RADICALISATION

1813198417_B973702539Z.1_20141001193125_000_GUH37OR02.1-0.jpgDepuis quelque temps, un citoyen belge est dans le collimateur de la Sûreté de la Gauche. Visiblement, il est en train de se radicaliser. Des signes alarmants qui ne trompent pas… Il ne fréquente plus ses anciens amis, il abandonne l’éducation permanente (il ne lit plus jamais ni Proudhon ni André Cools), on ne le voit plus à la piscine communale avec un maillot moule-bite, il rejette des membres de sa famille politique à l’exception d’une cheffe de groupe parlementaire, reconvertie dans le mannequinat de magazine, et d’un magnétique ministre-président (sans parler des nouvelles têtes qui lors des réunions hebdomadaire du parti les font ressembler davantage à un défilé de la fashion week), il se replie dans son fortin, il a arrêté d’écouter Arno et Adamo, il aurait plusieurs fois pris la décision d’arrêter le nœud papillon (et l’usage de la  chenille au son du Chiffon rouge dans les bals de section), il ne se regarde plus à la télévision et se désintéresse du Festival du Film d’amour, il conspire pour le retour d’Anne Demelenne à la tête d’un grand syndicat, le doute plane sur ses préférences sexuelles : même à la Gay Pride, il embrasse une femme; il papillonne.

Il fréquente assidûment des réseaux et des sites culturels tournés vers l’art contemporain et la poésie de Carl Norac dont il aurait tous les livres. Il écrit sous un nom d’emprunt évidemment anagrammé, Lio Prodieu, des poèmes dispensables pour lesquels le Fonds des Lettres débloquera sûrement quelques milliers d’euros en aides diverses et en résidences d’écriture au milieu des paons lettrés du parc de Mariemont où est déjà programmé le Festival du Bâtonnet de Poésie (on écrit un poème sur un bâtonnet qu’on fait ensuite sucer à la personne de son choix).

Un artiste local a été chargé à grands frais de le portraiturer habillé en mineur aux côtés de Van Gogh sous les traits de Kirk Douglas. Pendant les séances de pose, pour prendre plus facilement la couleur locale, il s’est fait réciter par les meilleurs comédiens les passages de la correspondance de Vincent à Théo relative à son séjour dans le Borinage.

Il a cessé de s’alimenter pendant deux jours à la suite du premier effondrement de The Passenger. Comme c’était la veille de Noël, il n’a pas mangé de dinde et n’a pas voulu toucher à la bûche qui lui rappelait le trop récent sinistre.

Le Malin s’acharne sur moi, aurait-il dit d’une voix chuintante. Pourtant, j’ai bien reçu du crin de queue de Dragon à la dernière Ducasse, se lamentait-il en remettant finalement en question la véracité du poil d’appendice de monstre et tout le folklore montois. 

Partout où il se rend, il se pose en sauveur des Etats et des cités moribonds. Pendant toute cette période pourrie de fin 2014, il a tenté de conjurer le sort en recréant avec des allumettes la sculpture d’Arne Quinze, aidé en cela de tout le conseil à quatre pattes sur le tapis rouge du plancher du salon communal face au sapin enguirlandé et penaud.

Lors du second effondrement, l’homme a refusé de s’habiller, il errait nu dans les couloirs de l’Hôtel de Ville… On a interdit l’entrée à André Flahaut qui lorgne depuis quelque temps les attributs présidentiels. Quand Arne XV révéla qu’un 4×4 était la cause du premier effondrement de son bébé géant, l’homme voulut promulguer une loi  interdisant aux véhicules 4×4 de rouler. Comme des experts courageux lui ont rappelé qu’il n’était plus au gouvernement fédéral, il a décidé de rayer de tous les tableaux de Mendeleiev ornant ses appartements, le 44ème élément, le Ruthenium, façon pour le chimiste qu’il est resté de conjurer le mauvais sort. Il s’est finalement contenté de remplacer Ruthenium par Ruponium et a refusé de signer le moindre document pendant trois jours au motif que les pointes de stylo sont constituées d’un alliage contenant ce funeste élément.

De mémoire de conseiller présidentiel, on ne l’avait plus vu dans cet état depuis qu’il avait appris la nomination de Charles Michel au poste de Premier.

L’homme est sorti de sa léthargie lors de l’Ouverture de la Ville au monde Culturel où l’abondance de lumières et de papier d’aluminium chiffonné lui a redonné figure politique et phosphorescente.

À l’énoncé de ces quelques faits, on comprend mieux que la Sûreté de la Gauche Modérée soit sur les dents et craigne une action kamikaze de l’homme qui ferait du même coup exploser le parti dont il assure depuis un temps suffisamment long que pour qu’on ne puisse plus l’estimer avec les montres socialistes l’animation exclusive et tatillonne.

DEUX EXPOS, UN LIVRE / SOUS LE SIGNE DE LA NAISSANCE ET DE L’ENFANCE DE L’ART

leuckx-photo.jpgpar Philippe LEUCKX 

 

 

 

 

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CAMILLE CLAUDEL À « LA PISCINE » de ROUBAIX / Au miroir d’un art nouveau

Le Musée d’Art et d’industrie André Diligent (maire de la ville) est une ancienne piscine des années art déco, devenue espace muséal magnifique, où les œuvres permanentes sont exposées dans les anciennes cabines, dans les travées… Des œuvres de Montézin (néo-impressionniste talentueux, 1874-1946, « Les marais de la Somme »), Vuillard, L. Fontanarosa (« Des poires, des pommes »), A. Giess (« Mon atelier à la villa Médicis), deux très beaux Marquet (« Quai Bourbon » et « La porte de Saint-Cloud », 1904), Puy (« Le port de Concarneau »)…

En hommage (fêter les cent cinquante ans de sa naissance) au grand sculpteur français, né en 1864, décédée en 1942, « La Piscine » a organisé, de novembre 2014 à février 2015, une grande rétrospective des œuvres de l’artiste, sœur infortunée du poète et ambassadeur Claudel.

Chronologique, organisée autour des grands thèmes du corps et de la sensibilité charnelle aux matières, l’expo suit les méandres d’une carrière, exposée sous l’influence de Rodin, avec les aléas des premiers Salons, l’éclairage au moment de la liaison de l’artiste avec le sculpteur plus âgé, le déclin avec la rupture de leur relation et l’amorce des troubles mentaux de l’artiste, blessée, humiliée, dégradée. Celle qui avait beaucoup donné (et nourri passablement l’œuvre de l’aîné qui fut son maître) se voit ravalée au niveau le plus médiocre, mêle ses repères, égarée dans des ateliers froids, commence à perdre pied, à sombrer.

Le grand talent de Camille explose dans la finesse, l’élégance, la subtilité donnée à la matière. Les portraits et les groupes sont étonnants, à la fois de vérité et d’intense représentation. Quelques exemples : « la Valse » fabuleuse ; les portraits d’enfants ; « L’âge mûr »… ; le modèle italien Giganti ; le peintre Lhermitte.

Une belle redécouverte d’œuvres. À compléter des œuvres d’Orsay et du Musée Rodin.

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Lien vers l’expo à la Piscine de Roubaix

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 VAN GOGH AU BORINAGE / La naissance d’un artiste 

Le BAM (Musée des Beaux Arts de Mons) ordonne sur deux niveaux l’expo-clé de cette année 2015 culturelle montoise.

Les œuvres exposées datent essentiellement des années 1880. Prédicateur deux ans dans le Borinage (1878-1880), Van Gogh a le temps d’apprendre son métier de dessinateur. Il est autodidacte, esquisse les gens du coin, mineurs, voisins de Cuesmes, prend des cours d’anatomie et de perspective. Les chaumières, les vues de mines, les scènes de la vie quotidienne, au travers des dessins et des premières huiles, prennent une densité un peu brusque, saisissante. On ne connaissait pas beaucoup cette période, au bénéfice des grands moments de l’artiste (Arles, Auvers-sur-Oise…). Certains visiteurs seront sans doute étonnés de ne pas croiser ces œuvres-là, vues mille fois. Celles qui sont aux cimaises de Mons étonnent par le graphisme qui opère ses mues, par la réalité transfigurée très sobrement par un artiste de trente ans.

Les lettres agrandies attestent la belle amitié avec le frère Théo, décrivent dans un français impeccable l’arrivée dans le Borinage, les premières expériences à Paris. Une toute petite écriture noire aux lignes de texte très rapprochées.

Certaines œuvres, redevables de Millet (Les bêcheurs, entre autres), cernent le travail de la terre (beau « Jeune homme avec une faucille », 1881), (« Paysanne liant des gerbes », 1885).

Les panneaux biographiques éclairent ce parcours original, hors des sentiers très battus des Gachet et autres « Iris ».

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lien vers l’expo au BAM 

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« 8 ANS » de Julie REMACLE dans la collection if de l’Arbre à paroles 

On reste en Belgique avec la comédienne Julie Remacle (Hutoise de trente ans) qui propose une histoire en trois parties, parole poétique d’une enfant de huit ans qui parle d’elle, de son univers, de ce qu’elle comprend du monde aux alentours : l’école, l’affaire Dutroux, la perception de la sexualité, les adultes vus d’en bas, de l’enfance, la messe pour une petite « mécréante »…

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Le style épouse bien les annotations enfantines, naïves et/ou cinglantes, le texte oral (on sent que le texte a été joué sur scène…à Huy ?), les topiques, le flux des histoires enfantines (« après ça…l’homme enlève deux autres petites filles ») sans toujours éviter les effets « mode » d’une littérature trop ciblée. L’humour, les références aux albums enfantins (« Puni cagibi »), les « blagues à deux balles », les piques contre l’école (l’instit qui fume pendant ses photocopies…) un peu faciles, mais des trouvailles (« on nous apprend à être malheureux dès l’école primaire/ on nous dit ce qu’il va nous arriver… »), on chicanera peut-être ce genre de phrases dans la bouche d’un enfant, même HP :

Ici c’est l’Europe

on dit la vieille Europe

 

C’est les riches qui ont tout l’argent

et qui font des lobbies…

Le long poème haletant, n’empêche, décrit avec acuité et les yeux d’un enfant terriblement marqué par ce qui est arrivé du côté de Liège dans les années 1995-1996. Les pages 68 à 76, hallucinantes de vérité, nous ramènent à ces sombres moments de l’histoire Belgique.

Le livre de 128 pages se lit vite, et je le verrais bien transposé à la scène, pour un jeune public, friand de la simplicité des récits.

(Julie Remacle, 8 ans, l’Arbre à paroles, coll. If, 128 p., 12 €)

Le site de l’Arbre à Paroles

UNE FEMME À GROS SEINS QUI COURT UN MARATHON d’Éric DEJAEGER (éd. Gros Textes)

e5ca9777.jpgAnti-tilleul et sans langue de bois

La poésie d’Éric Dejaeger est roborative. À la lire, on s’énergise, on prend sa ration de vitamines de mots. Car c’est une poésie sans gras, à vif, garantie sans afféteries langagières ni édulcorants. C’est une poésie vive, qui regarde le réel en face, qui tient en éveil.

Anti-tilleul, anti poésie japonaise en trois lignes, si on préfère. Même si cet ancrage dans le quotidien et cette façon d’en rendre compte sans investir des tonnes de moi, de sensiblerie, n’est pas sans quelques points communs.

Quand Jean L’Anselme compare Dejaeger et sa poésie à l’humour pince-sans-rire d’un Buster Keaton, c’est très bien vu. Il ajoute tout aussi justement : « Son humour tient dans sa façon d’appréhender la réalité et de le dire. Il use d’une poésie parlée, gavroche, à cloche-pied qui dissèque les petits riens pour les sortir de l’anonymat. »

Et ça marche, ça nettoie, ça donne des forces!

En lisant Une femme à gros seins…, on apprend que le jardin de la maison d’Éric contient des coins-cimetières pour oiseaux (ceux qui se crashent dans les vitres trop propres), pour félins (ceux qui meurent la veille du printemps) et pour chiens (morts de vieillesse). Le jardin peut aussi faire office de resto du cœur animalier pour araignée et insectes volants.

Éric est un adepte du recyclage, de ses vieilles espadrilles (mais en quoi, il se le demande), des rêves (ses récurêves !), des chansons (en reprises des Pogues, de Patti Smith), du vert des arbres (qui passe à l’orange puis au rouge), d’un tas de vieux cailloux (en murette), des regards d’égout (dont on peut encore tirer un clin d’œil sympa), du renard écrasé par mégarde (et transformé en peau d’histoire de Petit Prince pour l’institutrice).

Éric sait tirer des pépites des aspects les plus retors de l’existence, en faire son miel. Comme il peut se montrer sensible à la Lune (qu’il personnalise de belles façons), aux amours secrètes de la fille de la pluie & du fils du soleil et même prêter l’oreille au chant des oiseaux et au bruissement des feuilles en accord avec la cloche de l’église, oui, oui, c’est écrit vert sur blanc dans Sérénité campagnarde.

Mais très vite, ça vire au noir, ça repart de plus belle pour railler le prêtre que l’on tente contre son gré, pour narguer le parler « korrekt » et la quête vaine du « mot juste », pour chercher un dérivatif femelle à chienne de vie ou adresser un clin d’œil à un mannequin nu de vitrine de magasin. Éric ironise aussi sur la fin des réseaux sociaux, enrage contre les écrans, se garde à l’aide de ses lunettes fumées du jaune éblouissant d’une petite culotte extraite d’un taxi Gare centrale, évite les plaintifs en tout genre et l’HORECAssecouille (on le comprend) qui fait la une des JT en toutes saisons.

Il s’inquiète enfin, et on le sent plus grave, pour l’avenir du bébé qui boit / goulûment / au sein de sa maman et du futur incertain de la poésie massacrée ou, justement, de traduire tous les poèmes encore inédits de Brautigan si les fans non anglophones entendent son appel en lui adressant des dons…

Comme on le lit, la vie du poète ordinaire (Eric est, rappelons-le, l’auteur chez Memor des Contes de la poésie ordinaire) n’est pas de tout repos même si on n’a exercé aucune des professions déclinées dans tous les Etats d’Amérique (listées dans le fameux poème qui clôt le recueil) et qu’il dit pour conclure, dans un sourire:

« C’est trop fatigant

Tout ça.

Je préfère

Passer mon temps

À écrire

Des conneries. »

 

À signaler l’excellent rapport qualité-prix de l’ouvrage (80 pages, 8 €) et les couvertures, la quatrième ornée d’une chouette photo de Lauteur (signée Fanny Dejaeger) et, la première traversée par un pétulant dessin de femme à gros seins courant un marathon (signé Sarah Dejaeger). 

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Le blog des éditions Gros Textes (des textes et de chouettes chansons)

Le site des éditions Gros Textes avec les nouveautés et un focus sur le recueil, AVEC DESSUS DESSOUS de Jany PINEAU.

Le blog d’Éric Dejaeger (ses textes, ses poèmes, ses irréflexions, la revue Microbe…)