Quatre contes orientaux (IV): Une histoire d’infini

Ibtissame s’avança, hardie, au devant de la cage qui enfermait l’Infini. Mais l’Infini n’avait pas dormi tout son soûl et n’était pas rassasié de songes. L’Infini, qui est très grand, la toisa, et lui demanda ce qu’elle avait à offrir en matière de rêves.

   – Ma nudité toute simple, fit-elle en ouvrant la cape qui la couvrait entièrement.

   L’Infini fut saisi de stupeur. Tant de beauté ramassée en si peu d’espace le saisissait plus que les splendeurs de l’univers dont il était coutumier. Et l’Infini lui ouvrit la cage où elle s’engouffra derechef, tout heureuse d’être admise dans le Saint des Saints. Mais à peine avait-elle pénétré le vénéré enclos que l’Infini lui faussa compagnie, sortit et ferma la porte de la cage en emportant la clé.

–         Hé hé hé, croyais-tu, pauvre créature, que j’allais te contempler et sacrifier ma chère liberté pour ta pâle beauté ?

  Et l’Infini de filer, et Ibtissame de verser toutes les larmes de son  corps attristé aux délicates teintes orangées relevées encore par l’éclat de la pleine lune. Mais l’Infini avait menti, il n’avait pensé qu’à aller se dégourdir les jambes immenses dans les pâtures de la Voie lactée ou d’une autre galaxie illuminée telle une galerie marchande sans fin.

   Chaque nuit il venait admirer Ibtissame dormant à poings fermés drapée de sa seule nudité. Pendant les longues journées passées aux confins de l’univers connu et inconnu, il respirait l’odeur de la douce jeune fille demeurée vivante dans la cape qu’elle avait laissée au-devant de la cage refermée en vain. Une nuit, n’y tenant plus, l’Infini vint se coucher aux côtés de la jeune fille. Au matin, Ibtissame, découvrant son rêve endormi dans sa couche, prit, pour se l’attacher durablement, la sage mais ferme décision d’enfermer l’Infini plus sûrement dans une vaste intégrale aux bornes savamment fermées à double tour.

E.A.

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Quelques Madame Butterfly

Madame Butterfly est un opéra de Giacomo Puccini (Lucques, 1858 – Bruxelles, 1924) représenté pour la première fois à La Scala de Milan le 17 février 1904 dont la première représentation sera un échec, on y vit une pâle réplique de La Bohême. Cio-Cio-San, qui est la geisha de 15 ans épousée par un officier américain qui va la délaisser, en japonais signifie Madame Papillon.

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Renata Tebaldi (1922-2004) 

Renata Scotto (née en 1934)

Maria Callas (1923 – 1977)

Mirella Freni (née en 1935) 

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Renée Fleming (née en 1959)

Anna Netrebko (née en 1971)

Angela Gheorghiu (née en 1965)

Yng Huang dans l’adaptation cinématographique de Frédéric Mitterand

***

Malcolm Mc Laren (1946-2010)

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Quatre contes orientaux (III): L’arbre aux souvenirs

      Pendant ses années d’enfance, Keizuke eut pour petite voisine Michiko. Ils avaient pris pour habitude de se rencontrer près d’un arbre aux branches noueuses qui, à l’automne, prenait de belles teintes cuivrées, et de deviser là de tout ce qui fait l’ordinaire des enfants, de leurs rêves comme  de leurs peurs.

   Comme  Michiko avait l’agilité d’un garçon, elle  précédait Keisuke dans l’escalade. Keisuke savait que les filles n’étaient pas tout à fait formées de la même façon que lui, qu’elles portaient des kimonos plus larges et devaient s’accroupir pour uriner dans la forêt. Mais Keisuke ne faisait pas la différence entre Michiko et ses amis d’école. Michiko était seulement pour lui la meilleure amie du monde. Un jour, il vit jaillissant entre les pans d’un kimono retenu par un obi trop lâche quelque chose de très noir qui n’était pas un étoffe au bas du ventre de son amie et s’en inquiéta auprès d’elle qui partit d’un grand rire, les filles comme on sait atteignant la puberté avant les garçons de leur âge.

   Quelques mois plus tard, Keizuke vit Michiko avec un garçon, puis avec un autre. Elle ne l’accompagnait plus dans l’arbre aux branches noueuses, et, quand elle le croisait encore, sur la rue ou dans la cour du collège, elle lui demandait s’il grimpait toujours aux arbres, avec un sourire moqueur aux lèvres, comme si elle relevait chez lui un quelconque retard mental. Le jour vint où Michiko se maria.

   A la veille de chaque hiver, Keizuke rencontrait désormais le mari de Michiko avec lequel il coupait du bois en prévision du froid. Il se disait que cet homme malingre, dénué de charme, peu bavard, savait ce qui s’était longtemps caché sous le kimono d’enfant de Michiko puis sous ce qui un jour lui était apparu dans un éclair comme une tache d’encre profonde. Lui, Keisuke, qui à près de trente ans vivait toujours chez ses parents n’avait toujours pas une connaissance sensible de ce genre de choses, lui qui, très souvent, s’en  venait encore se percher sur l’arbre aux souvenirs…

 E.A

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Quatre contes orientaux (II): Un plat décoré de fleurs de lotus

Un soir, Yukiko mangeait du riz préparé par son amant, le jeune Shinoda. Le gâteau de riz était formé de quantité de grains minuscules et blancs. Après en avoir avalé quelques bouchées, elle dit à Shinoda :

  – Ne trouves-tu pas qu’on dirait tous des petits orphelins, ces grains de riz ? Aucun ne ressemble aux autres quand on les examine bien.

  Tout en parlant elle ouvrit son kimono de nuit et en déposa une pincée sur la pente légère d’un sein.

  – Vois comment ils tiennent en équilibre ; on dirait qu’ils s’accrochent par crainte de tomber ! déclara-t-elle en remuant un peu le mamelon par la base pour éprouver sa stabilité.

  – Allonge-toi sur la natte, lui dit Shinoda, nous allons voir s’ils apprécient pareillement les autres régions de ton corps.

  Et Shinoda de tapisser les creux et les monts de son aimée de tout le riz contenant le plat décoré de fleurs de lotus.

  – Dis-moi à quoi je ressemble ainsi !

    Elle en avait partout ; ceux qui se faisaient le plus remarqués étaient naturellement ceux  qui ressortaient sur un fond noir.

– On dirait une invasion de petits vers blancs. Je pense qu’on aurait dû auparavant humecter ta peau avec du citron afin qu’ils adhèrent mieux…

–  Avec tout ça, je n’ai presque rien mangé, dit-elle en picorant les premiers grains déposés qui trônaient toujours sur sa poitrine.  

     Toi non plus, Shinoda tu n’as pas beaucoup mangé, commence par ceux-ci, dit-elle en désignant ceux tombés entre ses cuisses.

     « Ils ont déjà pris le bon goût de mon corps… » 

E.A.

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Quatre contes orientaux (I): Pieds nus dans la montagne

Yuki-san marchait pieds nus dans la montagne depuis sa plus tendre enfance. Un jour, elle rencontra Miko, un jeune berger, et voulut être aimée de lui.  Au moment où elle comprit que son vœu était en train d’être exaucé, elle aperçut la plante crasseuse de ses propres pieds qui lui firent honte.  Elle n’eut plus qu’une idée en tête : éliminer  cette corne disgracieuse qui lui faisait comme une semelle d’une vilaine peau, dure et craquelée. 

   A cette fin, elle employa  jour après jour pierre ponce et  brosses diverses et frotta, frotta, alternant séance de brossage avec des bains  chauds suivis par l’application de graisses végétales et d’onguents hydratants. Elle n’avait plus de temps pour Miko.  Et Miko naturellement s’impatientait. Et Yuki-san le priait d’attendre en lui adressant des mots pressants: « Je serai bientôt à toi, je serai bientôt à toi ! ». Mais la corne était coriace et Yuki-san se demandait si elle aurait assez de force pour en venir à bout.

   Un jour, enfin, elle frappa à la porte de la cabane de Miko et dit à sa vue : « Aujourd’hui j’ai mis des sandales neuves pour toi. Je veux que tu me les enlèves. »

   Miko s’exécuta et fut ravi au-delà du raisonnable par la délicatesse de ses petons blancs si tendre au toucher sur toute leur surface et, baissant le visage, en signe de prosternation, jusqu’à hauteur de ces délicates extrémités, il  appliqua sur chacun d’eux un long baiser respectueux. Ce fut  la première chose,  et avant beaucoup d’autres, qu’il baisa de Yuki-san.

   Voilà comment Yuki-san s’attacha pour la vie l’amour de Miko le jeune berger. 

E.A.

 

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