Patrick Roegiers / Pauvre Belgique et pauvres c…!

Le Belge a une identité forte. Une mémoire et une histoire. Mais les Belges croient qu’ils sont sans histoire, sans mémoire, sans langue et sans identité. C’est une ineptie. Un délire. Le Belge est l’amalgame des contraires. À la fois le flamand, francophone et bruxellois. Et même allemand. Cela revient à en faire le produit de plusieurs cultures. Et l’on peut aisément y ajouter l’influence de Angleterre qui jouit en Belgique d’un statut fort différent de celui qui est le sien en France. Où elle est toujours traitée en termes conflictuels, ou concurrentiels. Tout comme l’Allemagne, d’ailleurs.

Le Belge est multiple et singulier. C’est ce qui crée son génie. Magritte est né dans le Hainaut, en Wallonie, a vécu à Bruxelles, a connu l’échec à Paris, adorait la côte belge et la peinture flamande. Ensor ne parlait que français. Spilliaert, l’autre génie ostendais, a vécu dans les Fagnes, au coeur des Ardennes, et est mort à Bruxelles, rue Alphonse Renard (Ixelles), en 1945. Luc Tuymans a déclaré dans Le Monde qu’il était le “dernier belge”, mais il vit à Anvers et est internationnalement reconnu. Il s’est même proclamé “belgiciste”. Wim Delvoye, natif de Gand, a quitté la Flandre qui l’insupporte, s’est établi à Bruxelles, en Chine et partout dans le monde. C’est cela, le génie belge.

Arno, l’Ostendais, vit à la Bourse. Il pense en flamand et chante en français. Michaux ne voulait être d’aucun pays. Il s’est fait naturaliser français. Et a inventé une langue universelle qui n’appartient qu’à lui. Et il a écrit un texte (assez piètre) sur les peintures énigmatiques de Magritte. Il était né, rue de l’Ange, à Namur, mais était hanté par Anvers, son port, ses bateaux, où son frère vivait. Un pays, c’est un tout. Il n’y a pas de langue belge. Et pas de langue flamande. Qu’on appelle le néerlandais. Mais il y a du flamand dans le français de Belgique. Du belge dans le néerlandais. Du bruxellois dans le wallon.

Simenon, qui a vécu partout, en Suisse comme aux États-Unis, a toujours gardé son accent liégeois et voulait manger des moules frites à Bruxelles. Tous ces génies sont des êtres imperméables. Le père de Michaux vendait des parapluies et il pleut beaucoup dans les romans de Maigret. Magritte aussi peint souvent des parapluies. La pluie n’est d’aucun pays. Elle est à tout le monde. Comme les nuages, les vaches et le vert des prairies. Mais tout cela est fini. Tous les artistes belges se disent belges. Même ceux qui, comme moi, ont quitté ce pays pourri. Ce pays foutu. Ce pays divisé contre lui-même.

La frontière linguistique, érigée en 1962, est une honte, un crime et un drame. Elle détruit tout ce que je viens de dire plus haut. Elle empêche la libre circulation des idées, des paroles, des images et des mots. Elle oppose, sépare, scinde, divise, fracture, déchire. On a fait tomber le mur de Berlin (dit “le mur de la honte”), dressé par l’Europe entière et l’Amérique contre un peuple après une guerre. Les Belges qui sont des cons élèvent chaque jour avec plus de force et de véhémence une frontière linguistique sur leur propre territoire, sans l’aval de personne. Tout ce qui était un pont, un lien, une main tendue, a disparu. Seule subsiste la haine de soi (à travers le miroir de l’autre) et le désir profond de faire disparaître le pays tout entier, avant de s’anéantir soi-même car après avoir occis la Belgique, la Flandre s’autodétruira et disparaitra à son tour, tant est hallucinant son désir de saccage et de destruction.

Je laisse aux historiens de traiter de l’histoire de la nation. Et de remonter jusqu’aux limbes de l’État. C’est Léopold I qui a demandé à Hendrik Conscience d’écrire un texte qui rende sa dignité au peuple flamand, trop opprimé par les francophones. Ainsi naquit Le lion des Flandres. C’est un mythe contemporain. La bataille des Éperons d’or, en 1302, a bien eu lieu, évidemment. Faire remonter la naissance de la Flandre à cette date procède du révisionnisme historique. Une peinture fameuse célèbre cet épisode. Elle a été détruite par un bombardement durant la deuxième guerre mondiale. Dire que deux peuples cohabitent sur un seul et même territoire est une évidence. Et une incroyable richesse. La Belgique est à la fois septentrionale et “méridionale”. Ne disait-on pas que le Sud commençait à Anvers? Cette complémentarité des contraires est une force. L’essence même de la dialectique. Comme deux profils constituent l’identité d’un visage.

La Flandre, longtemps minorée, s’est battue avec justesse pour que justice lui soit rendue. Lorsque la Belgique naît en 1830, le français est encore la langue de l’universalité. L’État belge est créé comme tampon entre la France, la Hollande, l’Allemagne et l’Angleterre, quinze ans après la défaite de Napoléon à Waterloo. Le premier roi des Belges, venu d’Angleterre, débarque à La Panne. La monarchie est constitutionnelle en Belgique. Elle a été démocratiquement instaurée. On peut dire que ceux qui la votèrent étaient en majorité des bourgeois, des francophones et des membres de la haute société. C’est indéniable. Ce pays naît de lui-même. C’est une aventure extraordinaire qui commence. Dire que la Flandre a été OCCUPÉE par la Belgique est une hérésie. Un contresens. Une faute historique. Cette thèse a cours depuis des années à présent. La Flandre a reconquis au fil du temps et à raison, ce qui lui était dû. À la frontière linguistique a succédé le “Walen buiten” en 1968 et la scission de l’université de Louvain. La rupture avec le savoir et la connaissance. Quel symbole!

Des Fourons on en est arrivé à B.H.V., le problème des communes placées sur la frontière linguistique. L’enjeu est crucial. Encarcaner Bruxelles. Brimer les droits des Francophones. Appliquer la loi du sang et la loi du sol. C’est monstrueux. Derrière le “plus d’autonomie pour la Flandre” se dissimule la volonté d’une “Flandre autonome”. Autrement dit, une Flandre indépendante. Et le rêve d’un État flamand. La Flandre aux Flamands signifie la suppression de la Belgique. Le meurtre du pays. On ne peut être plus clair que le slogan du Vlaams Belang: “België barst!” (Que la Belgique crève!). Tous les partis flamands prétendument démocratiques ont fait alliance avec les séparatistes. Les 800.000 voix d’avance de Leterme provenaient de ce vivier là. Son fameux réservoir. Verhofstadt et Van Rompuy avaient réussi à geler le problème avec un art consommé de la tactique. Il faut se méfier de l’eau qui dort que décrit si bien la peinture symboliste. Songeons à Une ville abandonnée, le chef-d’oeuvre de Fernand Khnopff.

Sitôt qu’ils l’ont pu, les extrémistes, qui se sont sentis trahis par leur ancien allié, ont flingué Leterme. Un rigolo de 1° classe aux lapsus impayables, et sursignifiants. La scission de B.H.V. est évidemment symbolique de la scission du pays. La frontière linguistique est une vraie frontière. Une lisière en béton. Un mur d’autant plus infranchissable qu’il paraît invisible. Les francophones sont dans les choux. Ils ne veulent rien, reculent sans cesse, lâchent du leste, ont peur. Les Flamands sont d’une arrogance extrême. Les éditorialistes de la presse flamande sont des fous furieux. Et le peuple ne dit mot. Il facilite la tâche des extrémistes qui n’ont qu’un but: exterminer ce pays dont ils n’ont rien à faire. Et ensuite étendre leur sinistre tâche sur leur lopin de six millions d’âmes. Leurs leaders sont extrêmement intelligents. Et prêts à tout pour parvenir à leur fin. Le temps travaille pour eux. Je n’ai aucun respect pour les hommes politiques belges.
Ce sont des pitres sans courage. Des parloteurs à la petite semaine. Ils détricotent le pays à force de combines et de compromis qui sont à présent épuisés. Expliquer la frontière linguistique par la mondialisation revient à justifier l’injustifiable. Aucun peuple n’a de frontière à dresser contre lui-même. Il ne s’agit pas de balkanisation, comme on le dit souvent. B.H.V. peut être le Sarajevo de la Belgique. C’est grave, dangereux, mortel. Un cancer enkysté au coeur du pays. Bruxelles a la forme d’un coeur. Baudouin est mort le coeur brisé. Son frère risque de suivre le même chemin. On est passé de l’argument historique à l’avènement hystérique. La Flandre, en fait, est inquiète. Moins forte économiquement qu’avant. Peu sûre de son affaire. La langue n’est qu’un prétexte. Dans vingt ans, la Flandre ne parlera qu’anglais. Ostende évitera Alost, Gand ignorera Courtrai, Anvers évincera Malines. Bruxelles sera tout à la fois. La Wallonie disparaîtra, végétant dans une brume indécise. Tout le monde aura tout perdu. Et Bart De Wever sera roi. Ce dernier étant devenu un monarque en exil dans son royaume disparu. Quelle histoire!

Plus grand-monde ne croit à la Belgique. C’est un torchon tricolore qui pendouille sur un balcon, serti de crasse et de rinçures. Nier les droits à l’école, à la justice, à la propriété, à l’expression, est un viol démocratique. Un déni démocratique pur et simple. La loi du talion. Horrible chose. Mais tout le monde chante dans ce pays. Le Vlaams Belang au Parlement, en toute impunité. Leterme chante La Marseillaise. Le roi chante l’hallali. Et les Belges, qui sont d’incorrigibles flemmards, ne vont pas tarder à déchanter tous ensemble. Le mal est là. Et il est fait. Réveillez-vous. Ouvrez les yeux. Seuls sont respectables les artistes. Ce sont eux qui, de Van Eyck à Rubens, Magritte ou Brel, Thierry De Cordier ou Berlinde De Bruyckere ont fait ce pays. Les têtes coupées comme les squelettes pullulent dans les oeuvres de Vésale, Wiertz, Ensor, et s’incarnent par celles d’Egmont et Hornes. Le symbole même de la Belgique est la place de Martyrs. Antre du sublime et du macabre. La Flandre aux Flamands. La Wallonie à Namur. Bruxelles à l’Europe. Le royaume à l’encan. La Belgique au rebut. Circulez! Y a rien à voir. Que tout le monde crève. Le Belge est un bon vivant qui attend de périr tant qu’il en a le temps. Les moyens. L’égoïsme. La bêtise viscérale tancée par Baudelaire. Quel luxe! Allez, au bac! Qu’on en finisse, une fois pour toutes, kermesses, fanfares, oriflammes, mur de Grammont, mur de la mort, et tout le monde sera content.

Patrick Roegiers

Sur le site La règle du Jeu:

http://laregledujeu.org/2010/09/08/2745/pauvre-belgique-et-pauvres-c/

 

Insoupçonnable / Tanguy Viel

v_9782707320643.jpgDeux frères

On ne sait pas qui gruge qui dans cette histoire de complot, d’escroquerie au mariage, où, à la fin, c’est sûr, c’est le narrateur qui trinque, qui se retrouve le bec dans l’eau, à se demander quoi, comme le lecteur, son complice du début.

Une jeune femme, de mèche avec son amant qu’elle fera passer pour son frère, se marie par calcul avec un commissaire-priseur pour le détrousser. Mais le vendeur, un peu pataud, a un frère, un vrai, qui ne va pas se contenter de jouer les seconds rôles. Les frères, les vrais, jouent au golf et le narrateur qui les accompagne sur le green, on le sent, est d’une autre extraction qu’eux, il tacle leur comportement, il n’aura pas de scrupule à commettre son forfait mais c’est sans compter sur la prééminence de classe, si on peut dire.

L’air de rien, Tanguy Viel a écrit un roman engagé, derrière lequel on comprend que le salarié du crime, celui qui pense rétablir l’ordre, n’aura pas le dernier mot, qu’il sera la dupe, le dindon de la farce sociale. Les frères de sang (d’argent ?) se vengent alors que les faux frères se déchirent, les frères de sang se refilent le butin alors que les faux frères le dilapident. Les frères s’agrègent les bonnes choses, les meilleures amours même s’ils n’auront pas le style, la faculté de raconter, de rapporter, donc de témoigner, et, pour seul plaisir esthétique, une rengaine de Chostakovitch à écouter en boucle dans une bête voiture de rupin.  E.A.

 

Voir la revue de presse sur le site des éd. de Minuit

http://www.leseditionsdeminuit.eu/f/index.php?sp=liv&livre_id=2597

C’est devenu un film de Gabriel Le Bomin avec Charles Berling et Laura Smet.

Les sucettes à Dati

« Je trouve dommage que ce soit le seul message politique qui ait été repris surtout sur un sujet aussi grave… » R. Dati

L’article non (d’une pipe) dénué d’humour de Gala:

http://www.gala.fr/l_actu/on_ne_parle_que_de_ca/le_lap-suce_de_rachida_dati_210384

Du lapsus en politique, l’édito vidéo de Christophe Barbier:

http://www.lexpress.fr/actualite/politique/du-lapsus-en-politique_922791.html

Noyé coulé

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Vendredi soir j’ai enterré ma vie de garçon. À grand renfort d’alcool. De telle sorte que j’aurais été plus inspiré pour débuter ce compte-rendu d’employer le verbe « noyer ». Le lendemain, j’étais tellement imbibé que j’ai été dans l’impossibilité de me rendre à la mairie et que mon ex-future femme a sévèrement enterré toute velléité de m’épouser un jour. J’ai noyé mon chagrin tout le reste du week-end. Lundi matin, j’ai regretté de n’être pas marié, ce qui m’aurait permis de couler une journée heureuse au lit. Au lieu de cela, j’ai héroïquement repris ma vie de travailleur célibataire avec, vous vous en doutez, une mine de déterré.    

Magazine des éditions Asteline

Omni-Visibilis

Auteurs : Trondheim & Bonhomme
Editeur : Dupuis

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Bernard Prince
T18 : Menace sur le fleuve

Auteurs : Hermann & Yves H.
Editeur : Lombard

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Kraa
T01 : La vallée perdue

Auteur : Sokal
Editeur : Casterman

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La danse du démon
Auteurs : Bloch & Agliardi
Editeur : Gallimard

(Livre audio à lire et écouter dès 4 ANS)

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La Passion de Diosamante
+ Les Enfants de Diosamante

Auteurs : Jodorowsky & Gal
Editeur : Humanos

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Game Over
T05 : Walking Blork

Auteurs : Midam & Adam
Editeur : Mad Fabrik

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Tous les articles sur le site des éditions ASTELINE:

http://www.asteline.be/magazine/

   
     

« Et tous ces Tutsi à tuer », par Denis Billamboz

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« Et tous ces Tutsi à tuer. »

Pour le devoir de mémoire, au moins, je voudrais aujourd’hui vous présenter deux ouvrages qui évoquent le génocide rwandais. Tout d’abord un livre de Boubacar Boris Diop, écrivain sénégalais, qui a répondu à l’invitation de l’association Fest’Africa pour témoigner du massacre du Rwanda afin que personne n’oublie et que les survivants essaient de faire leur deuil, si cela est possible après une telle tuerie. Un livre froid et glacial qui dit ce qui a été sans aucune émotion, tombant comme la machette du hutu sur le cou du tutsi. Et un autre livre, plein de douceur, d’amour et de tendresse qui raconte la vie au Rwanda quand la solution finale n’était pas encore à l’ordre du jour, écrit par une jeune femme échappée par miracle du massacre qui raconte l’histoire de sa mère qui à tout fait pour préserver sa famille contre les exactions de l’autre ethnie. Un témoignage à deux visages, deux points de vue tout aussi véridiques qui, rassemblés, donnent déjà une image plausible de cette gigantesque barbarie.


512TNZ0KYTL._SL500_AA300_.jpgMurambi, le livre des ossements

Boubacar Boris Diop (1946 – ….)

« Tubatsembatsembe ! Il faut les tuer tous ! » Harcelés par les tutsi du FPR, les hutu qui assument un pouvoir chancelant, décident de mettre en œuvre une solution radicale : l’éradication définitive des tutsi du Rwanda. Alors, un gigantesque génocide s’abat sur cette ethnie, une tuerie méthodique et organisée, ancestrale et bestiale, sans aucun état d’âme, froide comme la lame de la machette mais épuisante tout de même. « Tuer autant de personnes sans défense nous posera sûrement des problèmes. A la longue, cela peut-être monotone et lassant. »

Quatre ans après cette gigantesque boucherie où périrent huit-cent-mille, un million, un million-deux-cent-mille, …  Rwandais en quelques jours ? Mais comment les compter, Fest’Africa lance un projet auquel répondent dix écrivains africains dont Boubacar Boris Diop, pour partager le deuil de ce peuple, témoigner de sa douleur et constituer une œuvre pour la mémoire des disparus et pour la reconstruction des survivants. Boubacar a choisi la fiction pour construire son témoignage après avoir écouté de nombreux témoins qui ne pouvaient encore que difficilement mettre des mots sur l’indicible. Les regards étaient encore plus lourds que les mots. Mais en fait, c’est un témoignage sans concession, même pour les Français, qu’il livre à travers l’histoire de deux Rwandais : Jessica, la jeune femme héroïque qui prend tous les risques pour infiltrer les hutu dans la ville en sang et renseigner les rebelles tutsi, et Cornelius qui a quitté le Rwanda avant le génocide pour échapper à d’autres massacres prémonitoires et a vécu une jeunesse paisible à Djibouti pendant qu’on décapitait son peuple à la machette. Cornelius rentre au pays où il retrouve ses quelques amis survivants dont la courageuse Jessica qui a échappé au massacre, et doit affronter la destinée de sa famille qui a connu les affres du bourreau et de la victime. Il devra faire un long chemin avant «de penser à ce qui peut encore naître et non à ce qui est déjà mort. »

Pour rendre son récit encore plus véridique et plus crédible, tel le rapport d’un médecin légiste, Diop parsème son oeuvre de témoignages tous plus cruels les uns que les autres où la sauvagerie le dispute au cynisme et la veulerie à la cupidité. C’est un témoignage sans émotion particulière, des faits, des faits bruts, insoutenables, accusateurs qu’il faudra garder en mémoire pour reconstruire un peuple même s’il y a un fleuve de sang entre les ethnies. « Tout cela est absolument incroyable. Même les mots n’en peuvent plus. Même les mots ne savent plus quoi dire. »

Bien qu’il ait inscrit « roman » sous le titre de son ouvrage, Diop n’essaie pas de nous conduire dans une histoire, il veut nous imprégner de son témoignage et de son analyse. « Il dirait inlassablement l’horreur. Avec des mots-machettes, des mots-gourdins, des mots hérissés de clous, des mots nus et des mots couverts de sang et de merde. » Et, un jour peut-être, le pardon donnera naissance à un nouvel espoir, « … les morts de Murambi faisaient des rêves, eux aussi, et … leur plus ardent désir était la résurrection des vivants. »

 

51-bgk8RyEL._SL500_AA300_.jpgLa femme aux pieds nus

Scholastique Mukasonga (1959 – ….)

« Quand je mourrai, quand vous me verrez morte, il faudra recouvrir mon corps, il ne faut pas laisser voir le corps d’une mère. » Mais, «maman, je n’étais pas là pour recouvrir ton corps et je n’ai plus que des mots … pour accomplir ce que tu avais demandé. » Alors, Scholastique tisse avec ses mots un linceul pour que sa mère ne soit pas une infime partie anonyme d’un immense charnier là-bas du côté de Nyamata au Rwanda où toute sa famille, et bien d’autres Tutsi, ont été déplacés dès la fin des années cinquante.

Et, contrairement à Boris Boubacar Diop qui voudrait inlassablement dire « l’horreur. Avec des mots-machettes, des mots-gourdins, des mots hérissés de clous, des mots nus et des mots couverts de sang et de merde », Scholastique fait revivre sa mère avec tendresse et amour dans un petit livre plein de fraîcheur qui contraste tellement avec le bain de sang que nous connaissons bien maintenant. L’effroi n’en est que plus intense et plus dramatique. Comment  a-t-on pu assassiner tant de douceur, d’amour, de tendresse, mais aussi de pugnacité, de courage et de volonté de vivre dans la dignité et le respect des traditions, des us, des rites et des croyances d’une communauté qui refuse de disparaître et veut croire encore en une vie possible dans cette région dénuée de tout où elle a été reléguée.

Dans ce tout petit livre aussi frais que les belles collines du Rwanda où elle est née et dont elle a été chassée, Scholastique raconte avec une grande simplicité,  « simplicisme » diront les mauvaises langues, la vie quotidienne de cette mère de famille chassée de chez elle qui dépense des trésors d’énergie, de courage, d’ingéniosité sans jamais mesurer ses efforts, pour que ses enfants puissent survivre et même vivre dans la dignité et la tradition de la communauté et aussi, éventuellement, accéder à une bonne éducation pour sortir de la misère.

Nous connaissons hélas l’issue de ce combat, quand en 1994 …. Mais cela est une autre histoire que Scholastique a déjà racontée dans un autre livre où elle dit aussi comment elle pu échapper à la barbarie pour aujourd’hui témoigner. Ce témoignage nous l’avons reçu et nous n’oublierons jamais ses mères à qui les Hutu faisaient comprendre « Ne donnez plus la vie car c’est la mort que vous donnez en mettant au monde. Vous n’êtes plus des porteuses de vie, mais des porteuses de mort. »

Scholastique nous nous souviendrons :

« Ils étaient vingt et cent, ils étaient des milliers

Ils se croyaient des hommes, n’étaient plus que des nombres
Depuis longtemps leurs dés avaient été jetés
Dès que la main retombe il ne reste qu’une ombre
Ils ne devaient jamais plus revoir un été. »

Et, Jean Ferrat chante dans le désert, toujours l’histoire répète ses atrocités sans que les hommes jamais ne se lassent.

Denis Billamboz

Robert Desnos / Langage cuit

Au mocassin le verbe

Tu me suicides, si docilement.
Je te mourrai pourtant un jour.
Je connaîtrons cette femme idéale
et lentement je neigerai sur sa bouche.
Et je pleuvrai sans doute même si je fais tard,
même si je fais beau temps.
Nous aimez si peu nos yeux
et s’écroulerai cette larme sans
raison bien entendu et sans tristesse.
Sans.

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Un jour qu’il faisait nuit

Il s’envola au fond de la rivière.
Les pierres en bois d’ébène les fils de fer en or et la croix sans branche.
Tout rien.
Je la hais d’amour comme tout chacun.
Le mort respirait des grandes bouffées de vide.
Le compas traçait des carrés et des triangles à cinq côtés.
Après cela il descendit au grenier.
Les étoiles de midi resplendissaient.
Le chasseur revenait carnassière pleine de poissons sur la rive au milieu de la Seine.
Un ver de terre marque le centre du cercle sur la circonférence.
En silence mes yeux prononcèrent un bruyant discours.
Alors nous avancions dans une allée déserte où se pressait la foule.
Quand la marche nous eut bien reposé nous eûmes le courage de nous asseoir puis au réveil nos yeux se fermèrent et l’aube versa sur nous les réservoirs de la nuit.

La pluie nous sécha.

 

Deux extraits de Langage cuit, 1923

Pour en savoir plus sur Robert Desnos:

http://www.robertdesnos.asso.fr/index.php

 Breton parlant de Desnos…