LES COMMENCEMENTS
au bord
du jour
j’ai bu l’aurore
au bois
de ton âme
j’ai volé le feu
au seuil
du précipice
j’ai pris l’air
au fond
du soleil
j’ai trouvé la lumière
au son
de ton coeur
j’ai appris à marcher
au terme
de l’étude
j’ai connu le bonheur
au dos
de ton nom
j’ai écrit ton corps
au creux
de tes yeux
j’ai déposé mes regards
LES CRIS
pourquoi tu cries
quand l’abeille s’abat
sur la fleur
pourquoi tu cries
quand le vent s’arrache
à la mer
pourquoi tu cries
quand la nuit
s’attache à ta peau
pourquoi tu cries
quand ma bouche
s’affole à tes seins
pourquoi tu cries
quand l’amour
s’accorde à ton coeur
LES TALONS AIGUILLES
au faîte
du temple de la chaussure
dans tes escarpins rouges
tu me donnes le vertige
à tes pieds je renifle
l’odeur de tes pas
d’un regard tu m’écrases
de ton mépris
d’un croc-en-jambe
je te fais tomber sous mes crocs
tandis que tes talons aiguilles
me crèvent doucement le coeur
dans le parterre de bottes
où poussent tes cuisses roses
LA NUIT SUR TON ETOILE
en ouvrant la nuit
sur ton étoile
j’entrebâille la fenêtre
des secrets
ta voix
dans le noir
couvre le tumulte
des songes
et je prie ta peau
d’éclaircir les joies
qui passent à l’ombre
de mon sang
MON REGARD SE REGALE
tes yeux glissent
sur la glace
et mon regard
se régale
de ça
je fonds ma neige
à ton image
pour refléter
le cristal
de ta voix
MA VOIX
elle s’ébroue
dans la mare
aux palabres
elle s’étrangle
au noeud coulant
du mensonge
elle s’évanouit
dans l’air
d’une chanson
elle s’entiche
d’une gorge
profonde
elle s’enflamme
au brandon
d’une ballade
elle s’éteint
sur la cendre
d’une harangue
L’AIR EST LÀ
l’air est là
loin de l’ombre
où l’or luit
au flanc
de la colline
sans vivres
le chemin va
vers l’art
boire à la source
du voyage
je confie au vent
ma voix
le temps
que tu rameutes
mes souvenirs
LA COULEUR DE LA ROSE
en amont
de tes seins
de tes reins
je me suis arrêté
à la source
en allant
à ton pas
de tes pieds
à tes mains
j’ai sué sang et eau
la teinture rouge
du bain
a donné à ta peau
la couleur de la rose
que tu aimais
À COUTEAUX TIRES
à couteaux tirés
j’aiguise
les lames de pique
à corbeaux brûlés
je me noircis
de flammes
à carreaux cassés
je brise la glace
à la famille
à chevaux bridés
j’éperonne
un tigre de papier
à bateaux coulés
je croise un crabe
tout rouillé
à bourreaux fermés
je fais mal
à regarder
LA ROUTE DU FRUIT
je mords le fruit
de tes talons hauts
tombés des marches
j’en répands le jus
sur le chemin de chair
simulant tes jambes
j’avale l’amande
du souvenir
au croisement des jours
je perds mon sang
en rebroussant chemin
sur tes lèvres coupantes
je m’écroule
comme un éléphant nain
au pied d’un bonsaï
LE TÉTIN
j’extirpe
de tes lèvres
un filet de voix
que je dépose sur le bord
d’une tasse de thé
à la menthe
près de ton tétin
j’entends des décoctions subtiles
des sons sages comme des songes
je n’espère rien
de ton sein chagrin
sinon
qu’il laisse
sur mes doigts
le goût de son offrande
LES MÉTIERS
le boucher dans la gorge
découpe le gras
d’une voix
le menuisier dans l’arbre
construit un métier
à nicher
le fleuriste sur la scène
conte l’histoire
d’une rose
le boulanger dans la nuit
pétrit la pâte à lever
du jour
le maçon sur les souvenirs
élève un mur
contre l’oubli
le tailleur dans l’ombre
coupe le tissu
d’un poème
TES YEUX
ce que tes yeux disent
du vent et de la mer
à midi
ce que tes yeux chantent
au rêve de l’arbre
endormi
ce que tes yeux lisent
dans le livre des étoiles
c’est la nuit
ce que tes yeux mentent
sur la nature du soleil
c’est l’éclipse
ce que tes yeux misent
en or fin et en pierre
d’améthyste
ce que tes yeux sentent
en parfums et en beauté
sur les lys
ce que tes yeux puisent
dans le sang et le bleu
te nourrit
ce que tes yeux condensent
de pluie sous tes paupières
me rend triste
ce que tes yeux réfléchissent
des lumières d’un vitrail
m’éblouit
ce que tes yeux en amande
donnent envie de mordre
comme fruits
ce que tes yeux brillent
quand ils croisent le feu
d’un rubis
ce que tes yeux pensent
du cosmos agrandit
tes iris
ce que tes yeux nuisent
à l’éclat du soleil
de minuit
ce que tes yeux lancent
au monde des sens
c’est la vie
ON VOIT
On voit les veines du bois à travers les feuilles du saule
On voit la neige longer les nues jusqu’à l’arrêt de luge
On voit la lumière du sommeil se perdre dans un rêve
On voit perler la lune avant d’éclater en sanglots
On voit la laine rire dans les mailles du vieux pull
On voit la peau nue chercher l’oeil dans la main
On voit l’hiver se fondre dans un flocon de neige
On voit le fleuve retourner ses souvenirs dans la mer
On voit le grand large recouvrir les petites langueurs
On voit l’astre généalogique de la lumière
On voit l’ombre de la dune s’allonger sur le sable
On voit le soleil retenir le nom secret de l’été
On voit la forteresse céder aux tentations de l’exil
On voit la lune dormir dans les bras de la nuit
On voit l’espace revêtir les oripeaux du silence
On voit le prince rendre la reine folle du fou du roi
On voit le sol succomber sous les pas de l’oiseau
On voit le soir tomber plus bas que terre
On voit l’oranger parler le langage du mandarinier
On voit l’appareil auditif marcher sur les solides sons
On voit le coeur du monde par le trou de la lecture
On voit le vent de l’imaginaire soulever des armées de pages
On voit la pluie s’abattre sur la soif du désert
On voit le crépuscule se fermer l’accès à l’horizon
On voit le temps changer tous les plus beaux feux en cendre
COEURS de José MANGANO
TEXTES d’Éric ALLARD