2021 – LECTURES ANTIVIRALES : DES AMOURS IMPOSSIBLES / La chronique de Denis BILLAMBOZ

DENIS BILLAMBOZ

Je vous propose aujourd’hui deux histoires d’amour bien complexes : une histoire entre un pauvre pêcheur et une riche étrangère dans ma chère Vallée du Doubs et deux adolescents, bien trop jeunes, pour entreprendre une histoire sérieuse surtout quand l’un est un enfant vivant avec sa mère et l’autre une pauvre petite migrante qu’il essaie, avec ses potes, de protéger de la vindicte administrative et policière.

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Entre la source et l’estuaire

Grégoire Domenach

Le Dilettante

Ce roman c’est l’histoire d’une rencontre improbable entre un jeune garçon qui accompagne son père lors du convoyage d’un remorqueur sur les canaux entre un port hollandais, Leeuwarden, et Saint-Jean-de-Losne en Bourgogne où celui-ci espère le revendre avec une bonne plus-value, et vieux pêcheur amoché. Lors d’une escale sur le Doubs, entre Besançon et Montbéliard, le jeune homme descendu à terre pour acheter quelques provisions, rencontre un individu estropié, couvert de cicatrices et de stigmates d’épreuves douloureuses. Intrigué par ce personnage, il questionne les commerçants et les clients rencontrés mais personne ne veut évoquer ce personnage et les événements qui l’ont rendu dans un tel état de délabrement physique. Mais, en revenant vers leur bateau, il le rencontre à nouveau et cette fois il lui propose une partie de pêche au cours de laquelle il lui racontera son histoire.

Son histoire, c’est l’histoire d’un amour passionnel, dévastateur qui s’éteindra, comme dans un drame du plus pur romantisme, dans une tragédie déchirante. Lazare, c’est le surnom donné à cet individu par les habitants du village, fait un jour la connaissance d’un couple d’étrangers, lui riche Allemand, elle Russe d’origine kazakh, récents acquéreurs d’une somptueuse villa dans le voisinage du village. Une grand amitié se noue entre eux, le mari beaucoup plus âgé que son épouse proposant même à Lazare de satisfaire sa femme qu’il ne peut plus honorer après une intervention chirurgicale. Fou amoureux de la belle, Lazare franchit le pas et succombe à sa passion pour la séduisante épouse, un amour fou éclate. L’aventure tourne au drame quand la belle est enceinte des élans de Lazare, Le mari acceptait des étreintes sexuelles sous son contrôle mais refusait une relation amoureuse. Il décide de partir très loin avec son épouse mais les événements se précipitent, les intérêts et les sentiments concordant bien mal. Et quand la belle est retrouvée noyée, les passions se déchaînent, tout semble accuser le pauvre Lazare, beaucoup l’accablent, certains cependant le soutiennent. L’affaire ira devant les juges sans pour autant calmer la fureur populaire qui veut imposer son propre jugement et même sa sentence.

Avec cette histoire l’auteur évoque le rôle de l’argent dans les relations sociales, l’hypocrisie des foules, la vindicte populaire qui se déchaîne quand son intérêt est bafoué, la justice qui n’est jamais réellement rendue même quand un jugement est prononcé. Mais, ce qui semble le plus important pour l’auteur c’est la passion, l’amour charnel, qui devrait unir les êtres sans que ceux qui ne sont pas directement concernés s’en mêlent. La jalousie semble in fine être le moteur de toutes les haines et rancœur qui habitent cette histoire qui ne devrait comporter que de l’amour et du plaisir.

Cette belle histoire d‘amour impossible rappelle de nombreuses tragédies littéraires, elle n’a rien à envier à la plupart d’entre elles. Grégoire Domenach maîtrise son sujet sur le bout des doigts qui parcourent son clavier. Il sait raconter des histoires d’amours passionnelles et romantiques comme il sait vanter les charmes de ce pays pas plat qui est le mien et désormais un peu le sien aussi. Je l’ai senti vibrer quand il évoque cette belle vallée où me conduisent souvent mes balades sur le chemin halage qui longe le Doubs ou son canal latéral. Merci Grégoire d’avoir conduit ma lecture dans cette vallée si charmante qui m’est si chère !

Le livre sur le site de l’éditeur

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Les pas perdus du Paradis

Catherine Deschepper

Les éditions de Beauvilliers

Dans ce texte à la fois drôle, vif, alerte, truculent, émouvant, touchant, Catherine Deschepper évoque des problèmes graves, préoccupants, dramatiques sans jamais sombrer dans la sinistrose démoralisante, ni l’angoisse d’un futur tragique ou même apocalyptique. La gravité de la situation qu’elle décrit, ne disparait jamais derrière la drôlerie de la situation, au contraire, la cocasserie de cette aventure la rend encore plus réelle, plus concrète, plus sensible …

Les Pas perdus du Paradis - Catherine Deschepper - Babelio
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La mère de Nathan héberge la fille pour la nuit en espérant que celle-ci leur portera conseil. Elle portera surtout conseil à Nathan et Saïma, ils échafaudent un plan audacieux consistant à planquer la jeune fille chez la grand-mère de Nathan, en assurant la logistique de l’opération avec l’aide de leurs trois amis. Ils embarquent Mamynou, la grand-mère excentrique qui commence à perdre un peu la boule, dans cette téméraire aventure. Une folle épopée commence, la grand-mère et la fille font bon ménage, elles deviennent très complices mais les frasques de la grand-mère ne peuvent pas éternellement restées à l’écart des regards extérieurs. Les trois amis doivent élaborer d’autres plans, faire face à de nombreux aléas imprévus et à la virulence de la police et de l’administration peu enclines à laisser des migrants roder dans le pays.

Les quatre amis déploient des trésors d’imagination et de débrouillardise pour que la jeune Erythréenne puisse rester en France où les tourtereaux pourraient poursuivre leur belle histoire d’amour. Leur imagination, leur intelligence, leur maturité forcent l’admiration des adultes qu’ils finissent par rallier à leur cause.

Une belle histoire d’amour, de tolérance et d’amitié, une bonne réflexion sur l’acceptation des migrants et le traitement qui leur est réservé et sur la cohabitation entre les générations, les jeunes pouvant aider les vieux qui pourraient les héberger, les adultes pouvant écouter les jeunes qui, eux aussi, ont quelques idées… Et une histoire drôle et touchante, amusante et émouvante, un récit qui peut faire rire, sourire et mouiller les yeux …

Le livre sur Babelio

2021 – LECTURES ANTIVIRALES: NOIR, C’EST NOIR / La chronique de Denis BILLAMBOZ

DENIS BILLAMBOZ

Voici deux romans bien noirs proposés par les Editions de l’Aube qui emporteront le lecteur dans des contrées fort lointaines : en Suède, pour suivre une dispute entre légistes cherchant à déterminer les causes de la mort d’une ancienne pasteure, puis dans le coin le plus perdu de Nouvelle-Zélande pour découvrir comment les survivants d’un mystérieux accident de la route ont pu vivre sans que personne n’obtienne la moindre nouvelle de leur existence.

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Autopsie pastorale

Frasse Mikardsson

L’Aube

Dans la petite ville suédoise de Sigtuna, entre Stockholm et Uppsala, une pasteure à la retraite est découverte morte baignant dans une mare de sang. La police ne constatant aucune blessure apparente sur la dépouille, elle décide de ne pas ouvrir d’enquête et de transférer celle-ci au service d’anatomopathologie chargé d’élucider les décès inexpliqués par mort non violente. Mais, un examen un peu plus poussé laisse entrevoir l’hypothèse d’une mort relevant du domaine de compétence de la médecine légale. Après bien des discussions, le corps est transporté dans ce service où il est autopsié par un jeune assistant français sous la houlette de son mentor, un médecin légiste hongrois particulièrement sourcilleux et pointilleux. Celui-ci demande des analyses complémentaires, jugées inutiles par son disciple, pour détecter l’éventuelle présence d’arsenic et de métaux lourds dans le corps de la victime.

L’arsenic et le plomb sont bien présents à forte dose dans le corps de la victime, de nouvelles hypothèses sont donc possibles. Assistés par un vieux praticien spécialiste de la médecine environnementale, par une pomologue, médecin en retraite elle aussi, et par quelques autres spécialistes des sciences environnementales et des métaux lourds, les deux légistes échafaudent des hypothèses toutes plus complexes et aléatoires les unes que les autres. Aucune ne donnent entière satisfaction, toutes contredisent un ou des détails constatés lors de l’analyse. Le mystère semble s’épaissir au fur et à mesure que l’enquête progresse.

Dans ce roman, j’ai eu l’impression que l’auteur ne cherchait pas essentiellement à trouver une solution particulièrement astucieuse à son intrigue, j’ai plus eu le sentiment qu’il cherchait à expliquer comment la victime est décédée en construisant une enquête menée par deux légistes férues de chimie et plus particulièrement de la chimie de l’arsenic et des métaux lourds. La partie de l’enquête consacrée à l’action de ces éléments est très détaillée, elle s’appuie sur des analyses et des connaissances extrêmement pointues. Les légistes et ceux qui les assistent s’affrontent sur la base d’arguments faisant appel à des notions chimiques très précises et très élaborées.

Ce texte ne concerne pas seulement la chimie et les méfaits de l’arsenic et des métaux lourds dans l’environnement en Suède, l’auteur a aussi dressé un portrait de la société suédoise en mettant en évidence ce qui pourrait éventuellement contraster avec celle de la France : une plus grande ouverture aux étrangers dans l’accès aux responsabilités dans l’administration, une plus grande place réservée aux femmes dans la hiérarchie administrative, y compris la police, des différences notoires dans l’organisation des divers services concernés par cette enquête. Il dépeint aussi les Suédois par opposition aux Français en illustrant les différences à travers cette citation : « … si on voulait conserver son emploi dans un pays où l’évitement du conflit était poussé jusqu’à l’absurde et où la moindre remarque était prise comme une attaque personnelle insupportable ». Les Suédois ont un tempérament bien trempé, ils sont très respectueux des lois et règlements mais ils sont susceptibles et délicats dans leurs rapports sociaux. Peut-être que les Français sont moins respectueux des contraintes administratives et de leur prochains… ?

Un roman plus social et scientifique que policier, une intrigue plus touffue que logique, l’enquête ne progresse pas en éliminant les hypothèses unes après les autres mais plutôt en les additionnant et un auteur qui connait bien la Suède et la France, la Suède pour en être ressortissant, la France pour y vivre. Le meilleur compromis pour sous-entendre certaines comparaisons entre les deux pays.

Le roman sur le site de l’éditeur

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Une falaise au bout du monde

Carl Nixon

L’Aube

Le 4 avril 1978, John Chamberlain conduit sa famille pour une visite touristique dans la région la plus sauvage de Nouvelle-Zélande, la West Coast de l’île du sud. Il est en retard, la nuit tombe, la pluie aussi, la route est très dangereuse, la voiture dérape sur une large flaque d’eau, dévale le ravin avant de plongée dans les gorges d’une rivière en crue. La famille est portée disparue : John, sa femme Julia, leurs enfants Katherine, Maurice, Tommy et la petite dernière Emma, aucune trace n’est visible depuis la route, personne ne soupçonnera cet accident. Arrivé directement de Londres pour prendre un nouvel emploi à Wellington, personne n’attend John avant plusieurs jours. En novembre 2010, Suzanne, la sœur de Julia, apprend que des ossements appartenant à Maurice ont été retrouvés au pied d’une falaise bordant la Mer de Tasman. Ces reliques montrent qu’il aurait vécu plusieurs années après l’accident.

Dans un texte très construit, constitué de scènes comme des pièces de puzzle que le lecteur assemble pour découvrir l’aventure de la famille Chamberlain ou du moins de ce qu’il en reste, Carl Nixon raconte l’histoire des trois plus grands enfants qui ont survécu à l’accident, parallèlement aux démarches entreprises par Suzanne pour savoir ce qui est advenu de la famille de sa sœur. Les trois aînés ont survécu à l’accident, ils ont été recueillis par un homme rustre et brutal, seul habitant d’un minuscule hameau avec une vieille femme tout aussi fruste. Ils vivent dans une autarcie presque parfaite dans laquelle ils veulent inclure les enfants en les faisant travailler durement sans leur laisser la possibilité de chercher une issue à leur situation. Ils n’ont plus que le choix d’accepter leur sort en se fondant définitivement dans la vie de la vallée avec les deux rustres ou tenter une évasion périlleuse aux risques de leur vie.

Dans ce roman noir, Carl Nixon évoque une région particulièrement sauvage et bien peu connue de la Nouvelle-Zélande, une région propice à ceux qui voudraient essayer de vivre en totale autarcie et en parfaite harmonie avec la nature comme certains le prône actuellement. Mais, aussi une région très accueillante pour ceux qui auraient un passé à faire oublier ou des frasques à dissimuler. Les infrastructures y sont très sommaires et les habitants plutôt sauvages, seuls des touriste avides de sensations fortes s’aventurent dans cette région. Suzanne y fera plusieurs expéditions et une enquête très sérieuse.

Le nœud de ce roman réside dans le dilemme qui s’impose aux enfants : le retour définitif à la nature avec deux êtres frustes mais simples avec leurs vices, leurs secrets et leurs combines ou le retour à la civilisation en affrontant leurs geôliers et l’exubérance naturelle et géographique qui les encercle. In fine, un très bon roman, une belle histoire d’aventure comme personne ne soupçonne qu’il peut encore en exister et un dilemme qui peut faire réfléchir tous ceux qui rêve d’un retour définitif et absolu à la nature première. La construction de l’intrigue est particulièrement efficace et agréable pour le lecteur, elle permet de faire avancer le récit sans aucune longueur et sans, non plus, sombrer dans les traditionnelles scènes d’horreur à rallonge, plus souvent pathétiques et grotesques qu’épouvantables.

Le roman sur le site de l’éditeur

EL CURANDERO de Paul VANDERSTAPPEN (M.E.O.)/ Une lecture de Philippe LEUCKX

La malédiction des mots

A dix ans de distance, deux voyages au Chili, à Valparaiso. Pour une quête de soi?

Pablo, en souffrance du passé- sa mère, son amie Gloria, perdue à cause de la maladie, une Chilienne qu’il n’a pu oublier, connue lors de son premier voyage -, consulte un psychanalyste, Karl. Il veut élucider cette part de lui-même qui résiste.

Il veut écrire mais son écriture ne réussit pas à vaincre ses démons.

Ce deuxième séjour permettra-t-il d’y voir plus clair?

Les retrouvailles de Luisa – qui lui servait un cortado dans un café d’une des avenues de la ville-, la rencontre de Gabriel (un ange, qui sait?) au sein de la maison de Pablo Neruda favorisent une prise en compte de soi, plus dense, plus sérieuse pour l’avenir.

Pablo est enfin à même de se voir tel qu’il devrait.

Un roman d’initiation à soi, empreint d’exotisme et de voyage.

L’analyse psychologique, les motifs de rencontre et d’amitié donnent à cette fiction son pesant d’émotion.

Le « guérisseur » du titre renvoie à cette nouvelle maîtrise de sa vie par le héros.

Paul Vanderstappen, El Curandero, M.E.O., 2021, 156p., 16 euros.

Le roman sur le site de M.E.O.

LA FABRIQUE DES MÉTIERS – 78. GOÛTEUR DE DOUTE

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Le doute n’est jamais sûr. Il est sucré, salé ou amer selon l’endroit où le doute survient : la confiserie, la plage ou le champ d’artichauts.

Il a le goût du zinc quand on s’est trop longtemps accoudé au bar, le piquant du poivre quand on a éternué ses convictions, l’astringent du coing quand on y a été envoyé avec un bonnet d’âne, l’amertume du vin quand on a aimé au-delà du raisin, l’umami du parmesan quant on léché ses doigts de pied, le brûlant du piment lorsqu’on s’est fait gronder, le savoureux de la viande de koala après qu’on a cherché à voir en dessous de la fourrure.

Bref, le doute est multiple. Il faut avoir été singulièrement certain d’une seule chose dans sa vie pour savoir comment le doute rapidement s’installe, se ramifie et nous entraîne dans des abysses – une véritable galerie – d’incertitude.

Afin de distinguer les divers états du doute, il faut prendre sa température. Le doute doit se trouver en tout lieu et à toute heure à une température constante de 33 degrés. (De là à en déduire que le seul corps douteux est mort, il y a un espace de quatre degrés que nous ne franchirons pas.) Trop chaud, le doute vire à l’incrédulité pure ; plus froid, il tend vers la pâle croyance. Trop cuit, le doute suspend tout savoir et toute saveur : il n’exprime plus tous ses sucs et astuces.

Le doute réclame un point d’appui pour certifier le monde. Il a besoin d’un repère, d’un système de coordonnées, d’un étalonnage précis, sans quoi il prête le flanc à l’évasif, au fluctuant, au scepticisme d’un Montaigne, aux débordements de la métaphysique, à l’angoisse (de la page sans chiffres) de l’écrivain oulipien. Raisonnons donc avec méthode !

Descartes a douté du goût pour établir sa théorie. A humer toutes les idées de son temps, il ne savait plus à quel sens se vouer quand il réalisa qu’à tant questionner le goût du pain bis comme celui de la feuille de laurier, il posait les bases de son cogito. À partir de là, René eut bien des cartes en main pour déjouer les règles de la scolastique. Même si viendraient après lui les titilleux Spinoza, Leibniz ou Pascal pour lui chercher des poux. Quand le philosophe perçut l’ampleur de sa découverte, on rapporte qu’il avala un plein verre d’armagnac et trouva que c’était délectable. Assurément.

LA MAISON DU BELGE d’ISABELLE BIELECKI (M.E.O.) / Une lecture d’Eric ALLARD

Les tulipes du Japon

Par un dispositif narratif – analysé dans la préface par Myriam Watthee-Delmotte fait d’ « emboîtements signifiants » – Isabelle Bielecki clôt en beauté son triptyque romanesque entamé en 2006 par Les Mots de Russie (E.M.E.) et poursuivi en 2017 avec Les Tulipes du Japon (M.E.O.).

Trois noms de pays associés à trois noms communs pour raconter une vie, celle de l’autrice mais aussi celle de ses parents, de même qu’un itinéraire, partant de Russie pour arriver en Belgique où elle travaillera au service d’une entreprise nippone. C’est la seconde partie du XXème siècle qui défile, à la façon d’un bilan du siècle passé même si l’action évoquée dans ce récit se déroule au début du XXIème.

En 73 phrases-clés, Isabelle Bielecki ouvre les diverses portes de sa maison romanesque. Elisabeth, son double romanesque, se base sur le Journal qu’elle a tenu durant les faits pour raconter le récit chronologique d’une liaison sur une dizaine d’années.

Le dispositif, qui en épouse divers éléments, fait penser à celui d’une cure psychanalytique. Après chaque remémoration des épisodes, elle l’analyse dans le studio de Marina, une proche de sa mère. C’est de là qu’elle conte cette histoire d’un amour contrarié avec un amant ne pensant qu’à accroître son pouvoir au sein d’un holding financier et ne renoncera jamais à quitter son poste. De même, il ne voudra jamais vivre avec cette femme aux ressources financières plus modestes qui risquerait, à terme, de lui faire de l’ombre par son activité littéraire. La Maison du Belge, seconde résidence de l’amant en France, peut figurer ce pays qu’elle ne pourra vraiment investir qu’une fois devenue romancière.

L’histoire contrariée avec son amant fait écho à sa relation avec ses parents et nourrit les réminiscences propres à son travail littéraire en cours. Cette situation, aussi pénible à vivre soit-elle, va être le terreau nourricier de l’écriture du roman familial, celui que son père lui a commandé d’écrire. Tâche qu’elle mènera à terme en dépit d’une activité professionnelle prenante.

On assiste ainsi à la naissance d’un livre et d’une romancière (car la narratrice a déjà écrit des pièces de théâtre et de la poésie) dans le même temps où un autre texte se construit et se lit sous nos yeux.

Mais il ne faudrait pas n’y voir que les amours malheureuses d’une femme reproduisant un trauma issu de l’enfance. Ce roman dénonce subtilement la mainmise masculine sur le monde de l’entreprise mais aussi sur le celui du théâtre et les collusions existant entre les deux, qui plus est lorsqu’elle s’applique sur une femme issue de l’immigration qu’on ne maintient que dans des seconds rôles, de faire-valoir, ceux de secrétaire ou bien de maîtresse.  

De plus, le roman est narré dans un style alerte, limpide, jouant des diverses strates narratives, qu’on ne parvient pas à laisser avant la fin.

Le roman sur le site de M.E.O

MADAME BEULEMANS d’ÉRIC LAMIROY / Une lecture de Gaëtan FAUCER

Madame Beulemans

Madame Beulemans d’Eric LAMIROY (d’après l’oeuvre de Wicheler et Fonson)

« Quand le théâtre nous manque, il suffit de l’inviter dans son grenier. »
Libre incipit que j’affectionne pour vous parler de ce livre.
Il y a un siècle (février 2019…peu avant le Co…id !), Eric Lamiroy avait amusé la galerie avec : « Once upon a time in…Paris » !
Justement, le terme « galerie » n’est pas utilisé en vain. Il s’agit ici d’un clin d’oeil
au Mariage de Mlle Beulemans...et comme tout le monde sait (ou presque!), le théâtre des Galeries a une belle histoire avec cette pièce.

Une scène surréaliste va se passer sous nos yeux… des anachronismes amusants et touchants. Le tout entre deux femmes et deux époques différentes.

Bref, Eric rend un triple hommage à sa manière, à travers ce texte mythique : au monde du théâtre, aux comédiens et à la situation pénible des artistes. Un régal pour les amoureux des planches !

Les dessins sont du génial Hugues Hausman

L’ouvrage sur le site de l’éditeur

LA MAISON DES ANIMAUX d’Eric ALLARD (Lamiroy)/ La lecture de Gaëtan FAUCER

La maison des Animaux #162


Quand on aime la vie, on aime le monde entier et on le respecte !

Eric a l’art de nous emmener, nous lecteurs, dans une histoire mêlant intérêt du prochain et amour de la nature.

Pour mêler le tout comme un véritable chef d’orchestre, il mène sa baguette brillamment ! – pour nous narrer un conte dans le conte !

Au programme, personnages truculents et attachants.

Un bestiaire des temps nouveaux, une ode à la vie.

La Maison des Animaux sur le site des Editions Lamiroy

Des maux de midi, la nouvelle parution de Gaëtan FAUCER sur le site de Lamiroy

L’HORIZON OÙ TOUT EST POSSIBLE… d’ALESSANDRA RIGGIO (L’Amant Vert)/ Une lecture d’Éric ALLARD

Peut être une image de texte qui dit ’Alessandra Riggio L'Horizon où tout est possible... L'Amant Vert Editions’

Laurence, l’héroïne de la première nouvelle, Au sein de ma mère, est une femme enfant qui, de par sa profession de guide et par goût, vit au contact de la nature. Elle est attachée à sa liberté et n’éprouve pas de peine quand elle apprend qu’elle ne pourra pas avoir d’enfant. Malgré les prévisions médicales, elle tombe enceinte et souhaite, en accord avec le père, élever l’enfant indépendamment de lui

Contre toute attente, sa vie va en être bouleversée, augmentée, au propre comme au figuré. Pendant qu’elle est enceinte. elle écoute, pour donner à son futur enfant le goût de la musique, du Brubeck et du Ravel.

Quand son fils a huit ans, après qu’elle a déménagé à la campagne et observé l’éloignement de son enfant, Laurence éprouve le besoin de « rembobiner le fil de leur histoire et revenir à zéro ». C’est par l’entremise de la musique que la mère et l’enfant vont se rapprocher… et que ce dernier va se renouer avec les perceptions sensorielles de son enfance pour aller de l’avant.

Dans Alleluia, le chant d’une chorale entendu par une femme lors d’une visite de la Collégiale Sainte-Waudru à Mons la délivre de ses retenues et la reconnecte au présent.

Dans la nouvelle suivante, La vie est tout… sauf un long fleuve tranquille, on suit les pas d’un homme désoeuvré qui, ne pouvant plus assurer son rôle de père, se détache de son passé. Il retrouvera bientôt tard le bonheur et le sentiment paternel avec une femme qui attend un enfant de lui…

Dans Quand le cauchemar se fond à la réalité, une adolescente va se rapprocher de son père à la faveur d’une nuit d’orage.

Dans Un ballon qui rebondit dans la joie et la tristesse, on suit deux familles le soir du terrible drame du Heysel, le 29 mai 1985. Une nouvelle qui rend fort bien l’effroi de cette nuit de triste mémoire.

Point d’originalité sans un grain de folie raconte la nuit d’enfermement hospitalier de Cécile, une jeune femme qu’on soupçonne de schizophrénie parce qu’elle est trop libre aux yeux de certains et souffre de claustrophobie…

Dans L’étincelle de vie, Constance est une femme désillusionnée par la vie qui fait une retraite salvatrice dans un monastère pour recharger ses batteries et réintégrer le monde avec un regard différent et plus juste.

Dans ma maison intérieure raconte la vie d’une adolescente et ses parents dans une villa toscane. La jeune fille communique avec l’âme d’une ancienne propriétaire des lieux qui la protège et la guide à sa façon.

Par ces histoires au fort taux d’humanité, Alessandra Riggio nous montre bien des manières et sur quelle ressources compter pour se reconnecter à son être propre (rêve, formes de communication extrasensorielles…), à son enfant intérieur (presque tous les personnages sont des malades de l’enfance que la société leur a volée). Son recueil se veut un hymne à la vie qui illustre par des fictions ancrées dans la réalité de la nouvelliste comment échapper à tout ce qui entrave notre développement en laissant parler le langage du corps afin de conjuguer le passé au présent et avancer, toutes antennes dehors, dans un monde au plus près de nos différences et de notre unicité.

La préface est de Laurence Amaury et l’illustration de couverture reproduit une oeuvre de Salvatore Gucciardo.

L’Amant Vert Editions sur Facebook

Alessandra RIGGIO dit Et demain, un de ses textes

Nicolas GRANIER lit Nuit d’Alessandra RIGGIO

2021 – LECTURES ANTIVIRALES : LA BALADE DES MIGRANTS / La chronique de Denis BILLAMBOZ

DENIS BILLAMBOZ

Natalia SYLVESTER dans un magnifique roman polyphonique chante la balade des migrants « texmex » qui fuient le Mexique pour se réfugier au Texas et Catherine BAPTISTE dans des vers très élégants chante, elle, celle des migrants qui, quand ils y parviennent, échouent sur nos côtes sans aucune certitude de mieux vivre sur la terre qu’ils veulent adopter que sur celle qu’ils ont quittée. Deux façons très différentes d’écrire mais deux textes de très belle facture pour dire l’un des grands drames de ce millénaire.

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C’était le jour des morts

Natalia Sylvester

L’Aube

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Dans ce texte Natalia Sylvester raconte l’épopée héroïco-mythologique d’une famille mexicaine qui fuit son pays d’origine pour s’installer au Texas où elle espère trouver une vie meilleure à l’abri des gangs qui écument sa campagne originelle. Elle est, elle-même, originaire d’Amérique latine, elle connait donc bien la problématique de la migration et de l’intégration qui s’en suit. Elle structure son histoire en deux épisodes qu’elle raconte concomitamment : le premier commence, en 1981, quand Elda et Omar quittent leur famille respective, celle d’Omar refusant leur mariage, le second débute en 2012 avec le mariage d’Isabel et de Martin l’enfant qu’Elda portait quand ils ont entrepris leur long et périlleux périple vers le nord.

Natalia décrit tous les dangers que le couple et la petite troupe qui les accompagne doivent affronter à travers le désert avant d’atteindre la frontière qu’il faut franchir au risque de sa vie. Malgré quelques aléas inquiétants, Elda et Omar traversent la frontière sans problème mais tombent dans un terrible traquenard au moment où le groupe doit se disperser. Au cours de la dernière nuit qu’ils passent avec les autre migrants, un homme tente de violer Elda sous la menace d’un couteau qu’il laisse choir malencontreusement, sa victime s’en saisit et lui plante dans le flanc occasionnant une blessure fatale. L’enfant de l’agresseur a tout vu, au cours des années qui suivront, vivant dans la même ville qu’eux, il constituera un danger potentiel permanent. Oscar le croisera et essaiera de le protéger en cachant à sa femme cette délicate rencontre à l’origine du funeste événement provoquant sa disparition énigmatique.

Nathalia Sylvester

Quand il épouse Isabel, en 2012 le jour des morts, Martin refuse d’accueillir Omar, son père, qu’il croit mort. Celui-ci s’adresse alors à son épouse en lui livrant des secrets que Martin ne lui a jamais révélés. Commence alors, pour Isabel, une longue période de doute au cours de laquelle elle s’interroge sur l’honnêteté de son mari. Lui cache-t-il quelque chose ou ignore-t-il lui-même ce qu’Omar lui a révélé ? L’arrivée d’Eduardo, neveu d’Omar, qui, à son tour a fui le Mexique, provoque des réactions diverses qui perturbent la famille générant tensions et querelles domestiques néfastes. Omar voudrait expliquer sa disparition à sa famille mais personne n’est prêt à l’écouter, seule Isabel l’entend sous le sceau d’un secret qui pèse lourdement sur son couple, sa famille et son moral.

Cette saga familiale digne d’une épopée mythologique par-dessus la frontière que le Président des Etats-Unis voulait murer, comporte tous les ingrédients de la migration : les dangers de la traversée du désert et de la frontière, l’accueil en terre de migration, l’intégration à une nouvelle culture, l’apprentissage des mœurs des autochtones, les rapports avec ceux restés au pays. Pour mener à bien son récit et surtout son projet sur la description des aléas qui entourent la migration, Natalia utilise différents procédés qui confèrent un caractère plus littéraire à son texte qu’un simple récit. Elle crée deux points de départ pour son intrigue qui consiste en la découverte de la vérité sur la vie d’Omar après sa disparition. Elle construit cette histoire en changeant d’époque et de personnage à chaque chapitre et parfois de point de vue en utilisant un regard extérieur à la scène qu’elle décrit. Ainsi, elle peut raconter le même épisode de plusieurs façons en utilisant des points de vue variés ou en décrivant des ressentis divers selon les personnes qu’elle met en scène. Son récit prend une véritable tournure mythologique quand elle fait revenir un mort pour évoquer des parties de la saga que lui seul peut connaître et brouiller encore plus les relations entre les membres de la famille.

Au-delà de cette description du monde des migrants, ce texte, à mon sens, pose aussi le problème de la vérité : faut-il toujours la rechercher ? Peut-on se contenter de ce que l’on sait pour construire sa vie en couple, en famille, en société ? Est-elle toujours bonne à dire ? Quel sens ont les promesses faites de taire cette fameuse vérité ?

Un grand roman épique, une saga familiale, une étude socio-économique plantée dans l’actualité la plus brûlante, une question philosophique … de très belles heures de lectures dans un texte très structuré.

Le livre sur le site de l’éditeur

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D’arrache-pied, d’arrache-cœur

Catherine Baptiste

Bleu d’Encre

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En des vers très libres, courts, concentrés, condensés, en quelques mots seulement Catherine Baptiste dit, crie plutôt, « Non, je n’ai pas trouvé mieux qu’écrire des poèmes » pour raconter la balade des migrants, ceux qui ont laissé leur cœur sur leur sol natal, ceux qui ont usé leur pieds sur les routes d’un ailleurs meilleur.

« D’arrache-pied, d’arrache-cœur / quitter / mon pays premier / avec pour lambeaux / pour chaire / / un cri poignard / à tous vents »

Il y a un mot, un mot très lourd, trop lourd, dur, trop dur, pour dire ce périple périlleux, cette épopée improbable, ce voyage au maigre espoir mais il est trop violent pour qu’elle l’écrive, alors elle le confie à Sophie Verbeek, l’illustratrice, pour qu’elle le suggère dans sa délicate calligraphie.

« Il y a un mot pour dire cela / Ce périple / d’un point à un autre / d’un inconnu à un autre /d’un devenu inconnu d’où tu pars / vers l’inconnu devenu ton point de chute »

Ecrire des poèmes pour dire que chacun a droit au bonheur dans un monde paisible dont tous pourraient rêver. Ecrire des poèmes pour dire son envie de dévorer la vie, de se défouler pour déverser l’énergie débordante, de partager son empathie qui semble immense.

« et vivre encore / à merveille en chacun de vous / toutes les salves / de la très brûlante poésie des cœurs »

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Catherine Baptiste

Bouffer la vie, la dévorer, trouver sa raison d’être au bout du chemin mais le bout du chemin n’est pas celui dont ils ont rêvé. Ils trouvent souvent une autre misère.

« des caves, des greniers, des puits en clair-obscur / des cages / des chambres closes, des tentes tentées / des jungles, des ghettos, des charniers non vidés »

Mais le tableau est peut-être plus sombre encore car la poétesse n’a pas pu tout dire, les mots sont trop cruels, il y aura un après et encore un autre après, et des autochtones qui ne verront rien, ne voudront rien voir ou hélas verront trop bien ce qu’il ne faudrait pas qu’ils voient.

« Je n’ai pas dit / tout ce que je vais taire / à toi qui répète en si grand / ce que j’ai vécu en tout petit »

En utilisant avec délicatesse et finesse, allitérations et assonances,

 « je le côte, je le côtoie, / je l’os, je l’océan, je le frôle / il m’absorbe, ma joie ne meure »

Catherine conclura cette misérable balade en une ballade, comme une prière, que nous chanterons avec elle à tous ceux qui n’ont rien vu pour avoir la bonne conscience de ne rien faire :

« Et là, que l’humanité se rappelle de moi ? Qu’elle se rappelle de toi et moi / Qu’elle se rappelle à toi et moi / longtemps / souvent ».

Le recueil sur le site de Sophie VERBEEK

La page de la revue et des Editions BLEU d’ENCRE sur Facebook

CLAUDE LUEZIOR, UNE DERNIÈRE BRASSÉE DE LETTRES / Une chronique de Sonia ELVIREANU

Poète, nouvelliste, romancier, auteur de livres d’art aussi, ayant une oeuvre considérable, recompensée de nombreux prix et distinctions dont Prix de poésie de l’Académie Française et Chevalier de l’ordre des Arts et des Lettres, Claude Luezior est avant tout un humaniste qui dénonce les iniquités sociales, les misères de la vie, l’indifférence face aux malheurs des autres.

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Il use de tous les genres pour parler avec compassion des maux et des malheureux de la société, y compris la lettre comme dans Une dernière brassée de lettres (Paris, Éditions Tituli, 2016). Il en imagine trente-deux pour surprendre des milieux sociaux très différents, d’un oeil perçant et ironique, habitué à observer et à diagnostiquer. Il met son livre sous le chapeau d’une assertion de Confucius : « Lorsque les mots perdent leur sens, les hommes perdent leur liberté. »

Claude Luezior se sert des mots pour éveiller les consciences, faire connaître la vérité cachée derrière les apparences, il devient la voix de ceux que l’on n’entend pas. Il sait donner sens à ses mots pour peindre le mal social, les misères de l’existence qu’il voit partout. Il n’a que les mots pour affronter la mort : « Se révolter. Être rebelle, passeur, pionnier. Apprivoiser l’héritage du désespoir. Bruire : faire entendre un murmure confus. Je murmure, je crie, je scie ma partition telle une cigale amoureuse. Je cisèle mes stridences, taille ma plume, affûte l’encre des heures qui butinent ma chair. »

 Il lève un pan de voile du réel tel un coup de vent pour y jeter un coup d’œil compatissant, ironique, déçu, révolté. Il tisse ses phrases légèrement comme dans un jeu de mots pour piquer, persifler, faire sortir la vérité à la surface. Rien que pour nous rendre conscients des affres de la vie, de l’indifférence envers les malheureux dans un dialogue imaginaire avec soi-même et un autre à l’écoute de sa révolte.

L’auteur s’imagine parler aux interlocuteurs différents, hommes ou objets, liés par la dépendance, selon le milieu qu’il ironise avec subtilité : docteur, infirmier, homme de loi, architecte, styliste, politicien, ordinateur, télévision, masque, livre, Histoire, poésie, regard, cimetière, porte, fantôme.

Certaines lettres sont poétiques : Lettre à l’Absence, Lettre à Regards, Lettre à Orage. D’autres laissent les souvenirs tendres de l’adolescence se déposer sur les pages, alors que l’écriture tourne à la confession : Lettre à ma Cousine, Lettre Maison de famille.

Dans sa première lettre, l’écrivain pénètre dans le domaine médical pour dévoiler avec compassion et ironie le vrai visage de ce monde. Son destinataire est le tu générique, l’interlocuteur qui permet au locuteur de communiquer ses réflexions amères sur les prisonniers des maisons de retraite et nous faire comprendre la vieillesse, ses risques, la solitude, la dépendance, le verdict médical qui prive de liberté, à cause de l’impuissance physique ou de la maladie, malgré la lucidité de la sénescence : « Tu l’as mise en chaise, alors qu’elle pouvait encore marcher. D’allure secourable, le verdict fut la prison à perpétuité. Il fallait surtout relever le score de dépendance, question subsides et comptes de fin d’année ».

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Claude Luezior

La lettre suivante s’attaque à l’internet, le « Roi » de la postmodernité qui réclame soumission totale à ses esclaves, image d’une société alliée, totalement contrôlée par un cerveau artificiel où tout naturel est anéanti : « Je suis devenu ton esclave consentant, car ne pas te vénérer est abjuration de la modernité. Ne pas payer sa dîme au roi Internet est une manière de fraude intellectuelle. Pire ! C’est trahir le credo de notre société post-moderne, c’est nier le progrès qui sauve ».

L’auteur s’interroge sur la souffrance aux multiples visages, celle de la mère d’un enfant handicapé aussi. Il est touché par son amour maternel, sa dévotion, son courage et son espoir. Face à la loi impitoyable, il la voudrait plus humaine. Il stigmatise la culture qu’il voudrait plus présente sur les chaînes de télévision, occupées par des émissions mineures, aculturelles.

L’Histoire, sa gloire morbide, le fanatisme du pouvoir ne cesseront-ils de fasciner sans tirer aucune leçon de ses horreurs ? « Tout empire rime avec délire ; derrière la gloire il faut voir les guerres et ses carnages », nous rappelle Claude Luezior.

Face à la barbarie, aux théories avec leur orgueil de tout déchiffrer, y compris l’insondable du Soi, l’univers onirique pris en charge par la psychanalyse, le Rêve poétique ne serait-il pas aussi illusoire que la gloire des « masques du pouvoir » ?

Et cependant c’est par le langage poétique que l’on résiste au quotidien ; on s’en échappe par sa catharsis pour accéder au spirituel :  « L’art en Poésie se situe surtout dans la rencontre amoureuse des mots, dans l’éclosion d’images, dans ce ventre gravide entre conscient et subconscient, dans cet espace à la limite des rêves où la plume instinctive déchiffre la source des dieux. Éclosion à la faille des phrases, au-delà des discours véhiculaires du quotidien. »Véritable ars poetica que l’on retrouve dans la  Lettre à Casimir : « La littérature est art de la langue. Écrire, c’est être à la faille des mots, là où se crée l’étincelle, l’image nouvelle. C’est être à l’écoute de leurs synapses. C’est malaxer le verbe, c’est rechercher, à l’interface de son conscient et de son  inconscient,  la part de Dieu (Gide), cette chose a priori indicible mais qui s’écoule par magie dans le fût d’une plume. […] Le poète est une manière de prêtre au langage sacré».

Une très belle lettre s’adresse aussi aux poètes, invités à quitter leur tour d’ivoire pour s’engager dans le social, faire de leurs plumes des armes  pour témoigner, dénoncer, se révolter, combattre : « La poésie n’est pas langue morte. Elle ne cesse de vivre au pays de Canaan. Mais pour cela, Poète, quitte ta tour d’ivoire : ensemble, il faut marcher ! ».

Claude Luezior s’interroge sur tant d’aspects de la vie, y compris sa vie d’écrivain, son lien affectif avec sa création, la solitude des livres qui s’empilent sans avoir bien des fois à qui parler, « éloquences dans les remous d’une marée livresque, d’un océan médiatique. »

Le masque ne pourrait manquer à son discours, car tout le monde  en porte : « greffe omniprésente à nos gestes quotidiens : jeux de dominance et de soumission. » L’auteur s’insurge aussi contre l’administration avec sa paperasse qui ignore l’homme réel, devenu page de statistique.

J’aime bien les lettres de Claude Luezior, ses réflexions qui dénoncent, ses piqures linguistiques où respirent la lucidité de l’humaniste et le souffle poétique, sa sensibilité, les références intertextuelles de l’écrivain raffiné par la culture.

Sonia ELVIREANU

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