
Jeudi dernier, c’était la première de la pièce « Les Atrides » au théâtre du Parc à Bruxelles. Mise en scène par le très talentueux Georges Lini, la tragédie est une libre adaptation de la malédiction des Atrides telle qu’elle nous est parvenue via Eschyle, Euripide, Sénèque et Sophocle.
La pièce se joue jusqu’au 15 février.
La mise en scène est résolument moderne : ponctué ou accompagné d’illustrations musicales fort réussies (bravo aux musiciens également excellents acteurs), le texte, souvent brillant, est sublimé par un décor dépouillé mais très évocateur. Le fond de scène est occupé par une grande toile sur laquelle sont projetés des motifs nuageux et tourmentés irisés d’une lumière changeante selon le déroulé de la tragédie. De part et d’autre de la scène, sont disposés des gradins où se tiennent des spectateurs : ils symbolisent le chœur traditionnel de la tragédie ; les musiciens sont leur coryphée .
Sous la réserve d’une Wendy Piette à mes yeux un peu faible dans le rôle d’Iphigénie (elle se rachète dans celui de Chrysothémis qu’elle joue aussi), la distribution est excellente : on retrouve Itsik Elbaz dans le rôle d’Agamemnon et Daphné d’Heur dans celui de Clytemnestre tous deux à leur meilleur niveau et fort bien entourés. Dans la petite plaquette de présentation, le metteur en scène nous annonce : « Ici, point de bruit et de fureur ». C’est un peu vite dit : l’hystérisation voulue dans le jeu des acteurs, soulignée encore par la sonorisation (un peu défaillante au début du spectacle) dément largement ce propos… C’est tant mieux : cette tension qui, par moment paroxystique, éclate en monologues véhéments, m’a fait songer à l’Elektra de Strauss : il y a quelque chose de cette musique sauvage dans ce spectacle aux résonances opératiques qui m’a profondément séduit. Par moment on reste scotché par l’expression froide du pouvoir à laquelle répond la pulsion brutale du désir de vengeance qui, par deux fois, sombre dans l’assouvissement presque orgasmique du crime.
Régénérées au prisme de notre modernité par le metteur en scène, ces Atrides posent de multiples questions : comment échapper à l’emprise capiteuse de la vengeance et à l’engrenage du crime ? Quel est le fond de notre humanité ? Le ressort de la vengeance est bien suggéré. Clytemnestre et Electre sont emmurées dans leur douleur, « leur âme voudrait se pendre et tous les membres de leur corps aspire à la mort » ; la poursuite hallucinée de la vengeance est leur dernière raison de vivre, de survivre.
La pièce se termine sur cette interrogation d’un des musiciens-coryphée : « Mais nous, nous tous, sommes-nous meilleurs par hasard ? » La question est ouverte. J’ajoute : sommes-nous fondamentalement meilleurs ? N’y a-t-il pas en chacun de nous et qui agite l’humanité entière, un Agamemnon qui, inlassablement sacrifie ce qu’il a de plus cher ou de plus précieux à un souffle de vent ?
Le spectacle sur le site du Théâtre Royal du Parc