LA FABRIQUE DES MÉTIERS – 76. VOLEUR DE FOULE

C'est quoi un être lambda ? | Les marques et nous

Rien ne ressemble plus à une foule qu’une autre foule.

La foule est l’indice, la marque d’un regroupement de personnes au nom d’une cause, d’un engouement. La foule masque le relief et l’espace sur laquelle elle opère en sorte qu’il devient impossible de situer un quelconque espace foulé par une foule.

Une contrée sans foule est une contrée qui ne vibre plus, qui menace de s’éteindre, de se désertifier. L’image d’un espace vide pèse sur le mental du bipède qui y voit l’augure de son futur, entre deux tombes, au bord d’une allée envahie par le chiendent et le chien errant.

Les foules rassurent les esprits grégaires, les responsables de parti, les chefs de clan, les organisateurs d’événements et les artistes d’estrade, les pétaradeurs et les allumeurs, les chanteurs de fadaises et les diffuseurs de propagandes.     

Le voleur de foule est au service de ces dirigeants en mal de reconnaissance plurielle.

Il surmonte son dégoût, son agoraphobie naturelle pour se mêler puis se fondre à l’agrégat humain après en avoir estimé l’odeur, le bruit et le goût, ce fameux goût des autres – qu’on ne supporte pas plus de dix minutes sans alcool ou autres substances euphorisantes.

Il commence par endormir la foule dont la faculté de jugement est déjà éprouvée. Puis, à l’insu du public, il déploie ses ailes munies d’un immense filet à foule qui emporte l’afflux de monde sur une autre planète à une vitesse proche de celle de la lumière quand celle-ci est électrisée.

Disposée dans un autre espace, au service d’une cause qui la dépasse et dont elle n’a cure (rien ne ressemble plus à une cause qu’une autre cause), la multitude poursuit ses festives agapes, ses dionysiaques liturgies, ses revendicatives parades, en l’honneur, au moins cette fois, d’un hominien de grand pouvoir doté d’un puissant avenir.

Avec l’astronomique montant de son cachet, le voleur de foule peut se retirer sur une planète déserte pour y élever quelques poules aux oeufs d’or.


LA MAISON DES ANIMAUX d’Éric ALLARD (Lamiroy) / La lecture de Sonia ELVIREANU

La maison des Animaux #162

La littérature belge compte aussi ses prosateurs à veine satirique et avec l’humour fin, parmi lesquels je viens de découvrir Éric Allard avec La Maison des animaux (Lamiroy, 2020), une courte nouvelle qui invite le lecteur à réfléchir à un nouvel humanisme qui abolirait la différence entre le genre humain et l’animal. L’auteur semble s’interroger où pourrait mener l’égalité en droits des animaux avec les gens.

Il s’imagine une maison pas comme les autres, habitée par les humains et les animaux en vertu d’une loi qui les met au même rang. Le narrateur homodiégétique partage un immeuble avec un vieux cheval de course, Xanthe, un lion malade, Aslan, une militante pour la condition des animaux et l’environnement, Noémie Dufosset, la logeuse Marie-Aude. Les animaux sont soignés par un représentant de l’assistance publique telles les personnes âgées restées seules, sans appui.

Ces personnages sont impliqués dans une aventure inattendue qui donne à la nouvelle la tournure d’un polar. À la galerie des animaux s’ajoute un singe, Joe, le conjoint du bourgmestre de la ville, qui vient de gagner les élections.

Le narrateur ne donne aucun détail sur le narrateur impliqué dans le récit, par contre il dévoile les relations entre ses personnages dans les circonstances graves de leur vie. C’est le cas de Marie-Aude, supposée avoir empoisonné le lion par aversion pour son mari qui l’avait abandonnée après l’avoir obligée à loger les animaux dans son immeuble. L’événement dramatique se passe juste après la célébration officielle du jour du Lion, le 23 juillet, avec sa grande parade pendant laquelle le vieux lion était trimballé dans la ville, exposé sur un char allégorique, entouré de femmes masquées avec des loups.

Le nouveau maire, Galmache, succombe lui aussi, suite aux confessions de son chimpanzé enivré pendant qu’il fête sa victoire électorale. Sa vie intime sort à la surface et les médias s’en emparent tout de suite pour le mener vers la chute. La jolie millitante, dont le narrateur est épris, est elle-même surprise dans son intimité scandaleuse par le narrateur.

En peu de pages, par l’histoire insolite des animaux socialisés, si vive, Eric Allard tourne en dérision avec ironie et humour les dérèglements de la société entière : politique, moeurs, médias, terrorisme, libéralisme sauvage, dépravation, exploitation des animaux. Ses personnages-animaux sont symboliques, ils ont en arrière-plan leurs archétypes mythologiques, mais ils n’ont plus la gloire des légendes, mais l’amère condition de l’homme vaincu par le temps, ruiné, dont la vieillesse aussi est exploitée par l’intérêt politique ou publicitaire. L’auteur nous invite à réfléchir aux mouvements de pensée qui agitent le monde, à l’avenir de l’humanité.

On ne s’amuse pas avec les personnages d’Eric Allard, on s’interroge sur le mal qui ne cesse de ronger la société, l’impossibilité de vivre en intelligence et en harmonie, la méchanceté des gens, l’humanisme, le pouvoir médiatique.

Les ouvrages de Sonia Elvireanu

La Maison des animaux sur le site des Editons Lamiroy

LA FABRIQUE DES MÉTIERS – 75. LANCEUR DE LOSANGES

Feu Routier -- signaux tramway

Lors de la cérémonie de remise des disques d’or, au bal des cercles masqués, affublé d’un casque à plumes, attifé de bouts de de cordes et chamarré de toutes les couleurs du spectre comme l’As de pique, le lanceur de losanges amuse les enfants et les auteurs de littérature jeunesse venus chercher là un nouveau sujet de roman. 

C’est lors de la pendaison de la crémaillère des grandes pyramides d’Egypte que, pour la première fois, invité par la copropriété des pharaons, le lanceur de losanges mit le feu aux momies.

Comme le losange possède deux bouts plus effilés (sinon c’est un carré), les enfants sont protégés par une cotte en maille des envois parfois rageurs des lanceurs qui ont abusé de jus de cône pressé et de l’ellipsir à quarante degrés. Pas les auteurs de littérature Jeunesse présentant, tels des martyrs de la cause littéraire, leur face innocente au tir des balanceurs de quadrilatères.

Au croisement des formes lumineuses, entre un feu rond rouge et un feu carré vert, le losange orange en jette. Les roues et les catadioptres des véhicules s’exclament !

Il n’est pas interdit de penser que, par son action clownesque, le lanceur de losanges vise à alerter sur le côté obscur de la force géométrique et sur les angles morts de la théorie euclidienne.

Le lanceur de losanges n’est toutefois pas obligé d’avoir des connaissances pointues en topologie. Il devra juste avoir une idée de la distance qui les sépare de leur demeure pour, après leur travail, pouvoir estimer s’ils doivent rentrer en sphère à roulettes ou bien en cylindre à vapeur.

Un nouveau métier pour les personnes à mobilité complète qui ont le sens de la supercherie et de la perspective !

UN ANCIEN TESTAMENT de CLAUDE LUEZIOR (LGR) / Une recension de Jeanne CHAMPEL GRENIER

Disons d’emblée qu’il ne s’agit ici ni d’une exégèse canonique, ni d’une approche scientifique : elles sont légions en la matière. Claude LUEZIOR, avec la franchise ouverte et sincère d’un Candide, n’a pas trouvé de vecteur plus adapté que l’humour pour nous présenter sa lecture parfois effarée de l’Ancien Testament. On est loin de toute herméneutique, loin des règles mystiques traditionnelles, loin des Pères de l’Eglise, de Saint Augustin, Saint Isidore ou Eusèbe de Césarée, mais plus proche d’un François Laplanche qui cite Karl Barth : « Ce que je dis de Dieu, c’est un homme qui le dit. »

             LUEZIOR l’amoureux des arts, le poète, le romancier, avance ici en terrain miné avec beaucoup d’entrain, de bienveillance et un certain panache. Il ne serait pas étonnant qu’il rallie à sa courageuse campagne, tout un peuple de lecteurs. Comment résister à sa réaction de potache, celle d’un enfant devant Spielberg et Charlot réunis ? Claude LUEZIOR est léger mais ne raconte pas à la légère. Il rit mais s’indigne, tout en citant les versets bibliques concernés. Voyons un exemple  »frappant » (ici tout est  »frappant »!) : celui-ci, intitulé Il faut savoir et qui précède Le Déluge…

« Reprenons depuis le début : Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu, il le créa. Et Dieu vit tout ce qu’il avait fait, et voici que cela était très bon (Genèse, 1,27 et 1,32). Et pourtant, Yahvé dit en son cœur: ce qui forme le cœur de l’homme est mauvais dès sa jeunesse (Genèse, 8,21). Diagnostic final : l’œuvre du Tout-Puissant est-elle à ses propres yeux bonne ou mauvaise ? « 

Comment résister à l’aventure de Noé dans le chapitre Soyons indulgents !  « Noé était âgé de six cents ans quand eut lieu le déluge. » (Genèse,7,6). LUEZIOR s’exclamera d’ailleurs plus tard : « belle gériatrie ! »Il rajoute :  »On excusera bien ses erreurs. Ce d’autant qu’il n’était pas très fort en mathématiques. Un peu pressé, il n’avait fait monter à bord qu’un seul escargot. Tantôt mâle, tantôt femelle et avec une patience infinie, le (la) bougre(sse) se débrouilla tout seul. » 

Et de préciser : « Prévoyant, le patriarche demanda à Yahvé quelques somnifères pour des crocodiles au sale caractère et pour un couple de singes qui commençaient à semer la pagaille : des êtres déraisonnables qui prétendaient, à l’époque déjà, avoir un lien de parenté avec Noé ! En ces temps prédiluviens et carrément écologiques, on lui fournit plutôt un couple de tsé-tsé, des mouches spécialistes ès sommeil. Ce qui fut tout à fait indiqué, notamment pour le paire de renards qui jetaient un regard lubrique en direction d’un coq et de sa doulce moitié. »

Évidemment, les choses s’enveniment avec « Caïn et Abel : le premier tue l’autre. Dramatique engeance ! On a si peu disserté quant à la douleur des parents… » Elles se multiplient et s’amplifient par la suite avec Moïse, David, Salomon… Alors, devant la lecture de tant de miasmes et de plaies soi-disant envoyées par Dieu, ajoutées à tant de turpitudes et d’exterminations dans nos sociétés humaines passées, présentes et à venir, que faire sinon rire parfois, pleurer, souvent ? Il nous y invite avec sa plume parfois cocasse, souvent indignée, parfois insolente, souvent humaniste, tout en frémissant devant ces déluges de violence détaillés dans un Ancien Testament d’il y a bientôt trois millénaires.

Cela dit, Claude LUEZIOR précise en quatrième de couverture :  » Ce qui est rassurant, c’est l’avènement, beaucoup plus tard, d’un rebelle, incarnation du pardon et de la tendresse : le Nazaréen Jésus-Christ. »

Jeanne CHAMPEL GRENIER

«  UN ANCIEN TESTAMENT déluge de violence » de Claude LUEZIOR, Éditions Librairie-Galerie Racine, Paris, 2020

Le site de Claude LUEZIOR

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EXTRAITS de l’ouvrage

Une histoire à dormir debout… sur un rafiot

Le sage Noé, charpentier amateur de son état, était tout à la fois insigne zoologue et botaniste.

Dans sa cage à poulets (le Livre saint affirme dans son arche (…) de 300 x 50 coudées [1] sur trois étages), il enferma par paires quelques millions d’espèces, toute nourriture comprise pour quarante jours.Pour faire bonne mesure, l’on précise plus loin qu’il s’agissait en fait de sept couples de tous les animaux purs (selon des critères mal définis, d’ailleurs) et d’un couple de tous ceux qui sont impurs [2].Heureusement, les dinosaures avaient déjà rendu leur bonne âme au Seigneur. Quelques tyrannosaures auraient tôt fait d’avaler le reste de la compagnie.

Prévoyant, le patriarche demanda à Yahvé quelques somnifères pour des crocodiles au sale caractère et pour un couple de singes qui commençaient à semer la pagaille : des êtres déraisonnables qui prétendaient, à l’époque déjà, avoir un lien de parenté avec Noé !

En ces temps pré-diluviens et carrément écologiques, on lui fournit plutôt un couple de tsé-tsé, des mouches spécialistes ès sommeil. Ce qui fut tout à fait indiqué, notamment pour la paire de renards qui jetaient un regard lubrique en direction d’un coq et de sa doulce moitié.

Lignes apocryphes

Malgré cette promiscuité et sûrement grâce à Dieu, les choses ne se passèrent finalement pas si mal. Bien entendu, les girafes, toujours un peu guindées, se plaignirent d’un torticolis et les éléphants finirent par inventer le régime contre l’obésité.

On ne parle pas des poissons volants qui, hors contingent, furent à la fête, ni des hippopotames qui rirent un bon coup.

Les baleines furent dispensées de figurer dans cette histoire pour raison de corpulence et les sardines ironisèrent sur le manque de place dans la boîte à Noé.

Soyons indulgents !

Noé était âgé de six cents ans quand eut lieu le déluge [3].

On excusera bien ses erreurs.

Ce d’autant qu’il n’était pas très fort en mathématiques. Un peu pressé, il n’avait fait monter à bord qu’un seul escargot. Tantôt mâle, tantôt femelle et avec une patience infinie, le (la) bougre (sse) se débrouilla tout seul.

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[1] Soit environ 150×25 m : Genèse, 6,15

[2] Genèse, 7,2

[3] Genèse, 7,6

LA FABRIQUE DES MÉTIERS – 74. CHASSEUR DE CHAISES

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On distingue deux périodes dans la vie de la chaise. Pendant leur croissance, les chaises demeurent près de leurs congénères, elles sont sédentaires et vivent en milieu confiné, généralement autour de tables, de repas ou de jeu. Elles se rassemblent par groupes de quatre, six ou huit. Les chaises ont horreur des nombres impairs : cela interroge la science des nombres et les Oulipiens basiques. Les autres vivent à proximité des habitations, ce sont les chaises de jardin qu’on range dans la remise ou au garage ; pendant l’hiver, elles prennent froid et leur santé s’altère. Quand la chaise vieillit, elle accepte d’être écartée du groupe voire démembrée. Il arrive qu’on en rencontre, pour terminer leur existence, bien loin de leur habitat naturel, sur une route fantôme ou dans la cour d’une ancienne école.

Les chaises sont apprivoisées par l’homme depuis trois siècles mais leur instinct pousse certaines à retourner à l’état sauvage.

La première chasse à la chaise Louis XIV a eu lieu au début du XVIIIème siècle dans la forêt de Versailles lorsqu’on rencontrait encore des sièges solitaires, semi-sauvages. A l’époque, les chaises étaient plus véloces, plus racées que la chaise de salon bourgeois du XXIème siècle qui peine à se déplacer et ne vise plus que le statut de fauteuil de spectacle que, fort heureusement, des autorités au fait de l’amollissement de l’espèce, se gardent d’octroyer (où irait l’économie si le prolétariat venait à occuper les emplois des travailleurs de l’industrie du spectacle ?). Une chaise Régence en bois de hêtre, d’une rare bravoure, a pu – lit-on dans la chronique de Charles le Chaisier – résister aux battues pendant vint-et-un jours. Un croquis de Charles montre les chasseurs, l’air triomphant, un pied sur le dossier de la chaise récalcitrante enfin à terre.

Le chasseur de chaises se place à l’affût près des tables où les chaises viennent regarder boire et manger. Allongés sur une commode ou un dressoir, avec des perches munies d’un crochet adéquat, ils attendent leurs proies. Une fois que le meuble, qui a tenté de fuir, a été maîtrisé par l’immobilisateur de chaise, ils passent à l’action. Si la chaise se débat trop, on peut, pour la mettre hors d’état de nuire, lui asséner un coup de planche à repasser. Puis des bûcherons d’intérieur les débitent en rondelles…

L’espèce des chaises n’est pas menacée. Néanmoins, des opposants à la la pratique séculière se manifestent de plus en plus régulièrement en organisant des sit-in près des lieux de chasse, en invoquant la faiblesse des défenses de la chaise : toutes les chaises n’ont pas, en effet, des pieds crochus ou des dossiers barbelés.

Durant leur actions, il n’est pas rare que les manifestants s’attachent nus aux chaises, ce qui trouble le chasseur lambda qui oublie l’intérêt porté à ses proies. Cela a été préjudiciable aux opposants car nombreux ont péri dans un bûcher qui, au départ, ne leur était pas destiné. Les cendres des opposants sont, cela dit, vendues au prix fort et l’argent récolté profite aux associations de protection des chaises.

Enfin, précisons qu’il existe des chasseurs spécialisés qui ne s’en prennent qu’à des types de chaises spécifiques : les chaises percées, les chaises pliantes, les chaises à porteurs, les chaises électriques, les chaises musicales… sans oublier les chasseurs de tabouret et de chaises curules.

La cinégétique s’intéresse beaucoup aux raisons obscures invoquées par les chasseurs de chaises. La Fabrique des Métiers a formé dans ce sens un ancien gardien de chaises de bureau dans un open space qui possédait trois notions de psychologie.

Tous les cours sont reçus debout et en présentiel afin d’habituer le stagiaire (séparé de son voisin d’une distance de deux sièges) au mode de travail austère requis par la chasse aux chaises. 

LETTRE À MAISON DE FAMILLE de CLAUDE LUEZIOR

Claude LUEZIOR - Bibliographie Livres - Biographie - nooSFere
Claude LUEZIOR

Voici que mes doigts parcourent ce portail, velours de métal encore prégnant de mon enfance. Entrer dans l’univers matriciel. Revenir dans le soupir du vent, respirer le sourire d’un parfum, sentir les paupières d’un seuil entrouvert.      

Réveiller le silence. Descendre les trois marches. Passer en revue les bosquets de roses percluses d’attente puis monter jusqu’au faîte, à la ligne de partage entre tuiles et cieux. Là s’oxydent les souvenirs, là s’emmêlent des racines plongeant dans les voûtes majestueuses d’un oubli. La vareuse paternelle jette ses ocres, une invisible main astique un cuivre, un plumitif naissant joue les gammes des mots qui le fuient. La pendule muette remonte l’espace sans égrainer ses minutes : quel absurde horloger a-t-il émietté le temps en unités alors qu’il n’est que fluidité ?       

Maison de brique et de broc. Palais pour poète en déshérence.

Tu es vasque pour mythes ébréchés, nécropole d’émois où se bousculent encore les ombres du jardin premier. Ta façade, ridée de fissures bénignes, a la noblesse d’un visage à peine fripé par la bourrasque : stigmates sur un front que l’amour n’a cessé de préserver.

 Ouvrir mes paumes nues à tes ombres sentinelles, à tes arcades, gardiennes du mystère. De chaque creux s’évade une silhouette,  en chaque coin luit une patine, un suintement d’âme, quelque toile arachnéenne tissant une illusion.

 Célébrer le solennel et recueillir l’identité d’un trésor perdu puis retrouvé dans l’immobile lamentation des heures. Vivre tes voiles qui s’évaporent, jubiler sur la frange incertaine de tes oripeaux, trésor d’une épaisseur de vivre cousue main, humble et pénétrant joyau sur l’étoffe de ma mémoire.

 Plus loin, je respire ta pelouse où batifolent des fleurs sauvages, locataires par myriades qui profitent joyeusement des vacances. Les branches baroques des arbres se disent centenaires et lancent l’ivresse de leurs bourgeons ; clématites et lierres s’articulent savamment autour d’un angelot n’ayant pour respirer que sa vénielle prière de stuc.

D’un côté, tu es bure de pierre et de l’autre, foisonnance végétale : binôme où s’allient l’âme gardienne des choses et la création de la chlorophylle.         

Maison de Famille si grave qu’elle m’entraîne en une indicible prière. Si gravide en souvenirs que ma fibre fœtale s’y loge comme nymphe en son cocon de soie. Rugueuse et brillante, ta silhouette est mienne. Au seuil d’un Paradis.

                                                        Claude Luezior
                                                        in : Une dernière brassée de lettres, Editions Tituli, Paris

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La lecture du livre par Nicole Hardouin pour Traversées

DES FALAISES de MÉLANIE LEBLANC (Cheyne Editeur) / La lecture de Nathalie DELHAYE

DES FALAISES LEBLANC MELANIE CHEYNE 9782841162260 LITTERATURE POESIE -  Librairie Filigranes

Salutaire

« Des falaises » est le premier ouvrage de Mélanie Leblanc, poétesse qui élargit son domaine de prédilection en proposant des livres objets, apportant une touche singulière à chacun d’entre eux.
Celui-ci en est un, pourtant sobre mais de grande qualité d’exécution. Un beau livre, comme on dirait, à garder ou offrir.

A l’ouverture, le ton est donné :

être haut et voir loin

dans le libre
l’ouvert


et le lecteur est invité à regarder du haut de la falaise, ou à se faire tout petit à son pied pour la contempler et voir son immensité. Face à elle, la mer qui s’offre, les grands espaces et les embruns.

La poétesse nous transporte dans son périple, nous mêle à son introspection, car il ressort de ce livre beaucoup de réflexion. Quelques mots par page suffisent, les phrases sont courtes, directes, les idées fusent, il y a peu d’ambages mais un ton juste, une émotion très forte et un partage de sensations.

puiser la force
dans la falaise

la regarder en face

s’appuyer
sur la peur même


Un retour aux sources, vraisemblablement, qui fait un bien fou à la lecture, nous invitant à faire face aux éléments, à la nature, s’aider de sa force, et à redevenir soi.

Le recueil sur le site de l’éditeur

Les livres de Mélanie Leblanc

Une lecture d’un poème de Mélanie Leblanc par Laurence Vielle

LA FABRIQUE DES MÉTIERS – 73. IMITATEUR DE MEUBLE

Table basse Basho The Sumo - Design Toscano - Le Blog de Moon

L’époque est à la sobriété dans le domaine de la consommation d’alcool, de la pratique de la sexualité, dans la profération d’insultes sur les réseaux sociaux ainsi que dans la façon d’occuper son espace mental et habitable.

Abstinence, décroissance, déséconomie sont les maîtres mots d’aujourd’hui qui font suite aux périodes d’excès festif, culturel ou calorique qu’on a connues. L’Ere du vide serait-elle enfin venue?

Dans ce contexte de raréfaction mobilière, l’imitateur de meuble est une aubaine. Une seule personne, payée frugalement, il va sans dire, imitera au besoin armoire à glace, commode, console, vaisselier, guéridon, crédence, méridienne, bibliothèque, bahut, dressoir…

Si la personne consent à œuvrer dans le plus simple appareil – pour un supplément à négocier avec le client -, on entre dans le domaine de la forniphilie – qui n’est pas que l’amour des fourmis dans les jambes – et là, l’homme ou la femme de métier figurera de préférence une armoire à chaussures, un lit-cage, une table basse, une coiffeuse, un billard, un table-desserte, un tabouret, une chaise à porteur, une table de nuit, une chiffonnière ou une tricoteuse.

Dans chacune de ses activités, l’atelier photo de La Fabrique des Métiers proposera ses services et son atelier photo pour réaliser un catalogue de belle facture afin de maximiser l’offre des positions imitatives et de permettre au client de mieux imager les différentes réalisations des professionnels.

Outre une propension à l’exhibitionnisme, l’exercice du métier requiert des qualités de souplesse, de patience et d’endurance exceptionnelles car, si la durée de chaque imitation peut être limitée dans le temps, il faudra passer aussi vite qu’Arturo Brachetti se transforme et que le client-roi le réclame d’une table à thé à une liseuse, d’un garde-manger à une table de toilette, d’un buffet Empire à une chaise Louis XIV. Puis supporter tout ce que ce que ces meubles fonctionnels sont appelés à supporter.

Toutefois, l’imitateur de meuble devrait, comme conseillé par les formateurs de La FDM, éviter le mélange des genres comme de supporter des livres de Paulo Coelho tout neufs quand on représente une table à repasser des livres chiffonnés ou de porter des talons-aiguilles quand on figure un coffre à outils.

Au prix d’une formation complémentaire, l’imitateur de meuble pourra aussi imiter des fruits & légumes de saison, des animaux de compagnie, des plantes d’appartement, des ustensiles de cuisine, de l’outillage de jardin…   

2021 – LECTURES ANTIVIRALES : POÈTES, POÈMES / La chronique de Denis BILLAMBOZ

DENIS BILLAMBOZ

La poésie étant certainement l’un des meilleurs remèdes contre la morosité et l’enfermement, je vous en propose une double dose : quatre recueils pour une seule chronique. Vous trouverez dans celle-ci le dernier recueil publié par l’ami Jean-Louis MASSOT, celui d’Olivier VOSSOT, un autre magnifiquement illustré de Jean-Jacques MARIMBERT, un autre encore de poèmes courts d’inspiration japonaise de Iocasta HUPPEN et pour terminer un petit dernier de Jean-Jacques NUEL. De quoi vaincre n’importe quelle mélancolie.

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L’écart qui existe

Olivier Vossot

Les Carnets du dessert de lune

L'écart qui existe // Olivier Vossot

Albane Gellé, rappelle dans sa jolie préface que « Ce deuxième livre prolonge le premier, il est de nouveau adressé au grand-père… ». Comme je n’ai pas eu le plaisir de lire ce premier opus, je me suis réfugié dans les vers, tout de légèreté, de ce second recueil où j’ai trouvé : la douceur des sons, des mots, des sentiments, du rythme qui emmène le lecteur sur les traces du grand-père disparu, la tendresse du petit-fils pour son aïeul, la nostalgie du temps passé avec lui, la tristesse de l’avoir perdu et l’attente toujours présente, l’attente dans le passé de le retrouver et l’attente, peut-être, aussi aujourd’hui d’un impossible retour.

En picorant dans les vers d’Olivier, j’ai essayé de retrouver ce grand-père craint et adulé.

« … / A huit ans j’ai su que j’avais peur de lui, de son mal être. / Chaque verre l’arrachait au même noyau de silence / … »

Ce grand-père tendre et aimant qui n’avait qu’un défaut : une inclination pour l’alcool

« Tout l’alcool dilué / le changeait / ne changeait rien. / … »

« … / Ce que nous attendions, elle et moi / n’était pas que l’alcool lui passe, … »

Ce grand-père disparu dont il ne reste que le souvenir, la tendresse, des images, des bribes de vie, des objets posés là, des odeurs.

« … / une attente, la vague odeur de médicaments / enfant, au milieu de regards dilués. / Lui n’est plus là, ne vient pas. / … »

« … / Souvent tu me tiens dans tes bras, / je ne pèse pas lourd de vie. »

Et il reste aussi, et surtout, les poèmes écrits dans sa jeunesse à lui, ses mots, son regard sur le monde qu’il habitait.

« Il me reste tes poèmes, / le pincement des lettres, les contours flous du temps. / J’ai traversé l’âge que tu avais / quand tu écrivais les premières fois. / … »

« … / Je ne sais plus / depuis ta mort le nombre d’années / … »

C’est comme un vide qui bée depuis que le grand-père est parti avec ses excès, ses vers, sa tendresse peut-être un peu rude, un monde qui se réduit autour des mots récurrents dans les poèmes de l’auteur : présence, absence, silence, attente, vent, temps qui passe … tout ce qui construit un monde qui n’est plus mais qui vit toujours dans sa mémoire. « A présent ce qui dure / nous sépare. / … ». Et des images bien ancrées dans ses souvenirs. « Il restait seul à la table / le poing contre la joue. / L’attente, … », des images chargées des odeurs de la vieillesse : « Dans la pièce, l’air, l’odeur / font une peau aux souvenirs. / … ».

C’est un portrait d’une rare finesse, plein de tendresse et de sensibilité, qu’Olivier dresse de son grand-père avec lequel il semble, par-dessus les ans, partagé un amour et une passion pour la poésie, et peut-être, qu’à la fin des temps ils pourront joindre leurs mots en un même poème…

« Nous n’avons plus l’un et l’autre / qu’à attendre sans nous voir/ que le silence qui couvre tout / sorte de nos bouches / … ».

Peut-être que « L’écart qui existe entre durer et tenir » n’est que cet espace de temps qui sépare les deux poètes qui se sont déjà réunis par les sentiments et les émotions que leurs mots transportent. Olivier a su à merveille alléger ses vers, les réduire à de simples traces d’émotion, de sensibilité, d’amour filial, tout en les laissant lourds des sentiment qu’il adresse à l’ancêtre adulé. Des poèmes qu’on a envie de relire juste après avoir refermé le recueil, tant ils sont beaux !

Le recueil sur le site de l’éditeur

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La boussole des rêves

Jean-Jacques Marimbert

Le Chat polaire

La première chose que j’ai vue en prenant ce recueil, après la qualité de l’édition, c’est la sérénité qui se dégage aussi bien des personnages des douze dessins, en noir et blanc, à la mine de plomb, qui l’illustrent que celle qui se dégage des textes. Sérénité, quiétude, irénisme, paix, calme et beauté sont les premiers mots qui viennent à l’esprit après la lecture de quelques textes seulement et la contemplation des dessins. Ce sont des reproductions, de la main de l’auteur, qui représentent des statues célèbres figurant dans des grands musées. L’auteur écrit dans une note que les dessins « se réfèrent à des œuvres « d’un musée imaginaire », et tiennent lieu de rosace de la Boussole des rêves… ».

Chaque texte est composé de quatre à une dizaine de quatrains en vers libres, et souvent de sonnets irréguliers (libres de toute rime). Dans ces vers, j’ai trouvé que le mot avait plus d’importance que la phrase, comme si l’auteur avait voulu associer des mots-images pour représenter un paysage, une scène, … pour en dire la beauté, l’intensité, l’émotion dégagées… pour impressionner le lecteur, marquer ses sens…

                « Croyance en la beauté. J’ai cru. Seule elle peut,

                Je l’ai cru, tatoué sur ma langue, sur mes yeux,

                La beauté, vaincre la tempête, crachats du ciel,

                Nuées d’oiseaux noirs. La beauté, où, des mots,

                …. »

J’ai eu le sentiments que l’auteur voulait confier à ses mots la charge d’émotion, les impressions, les sensations qu’il voulait faire ressentir à ses lecteurs, tout ce qu’il avait lui-même éprouvé dans les mêmes circonstances. Ces mots disent, suggèrent, évoquent…

                « Lit défait, draps humides, la nuit, et le froid

 »

Ses mots voyagent sur les ailes du vent, dans l’espace, dans l’ailleurs, au-dessus des mers, par-dessus les sables, sur les monts et les vallées. Ils parcourent les légendes, les contes et les fables, les mythologies à la recherche des vérités originelles, des forces de la nature et des faiblesses des hommes…

                « … aussi violent

                Que doux, ravivant ce que j’espérais oublier à jamais,

                Ou mots surgis d’une ombre inexistante, origine de la

                Métaphysique, qui sait. Sommeil envolé et des images

                Brisées des plis d’un drapé médiéval enserrant la nuit. »

Des mots qui disent la vie, la mort, la nature comme on ne la voit plus, des émotions qui explosent, des sentiments et des sensations qui se déversent en flots versifiés, le flamboiement du soleil et des couleurs et la nuit sombre.

Des mots qui voyagent et qui chantent…

                « Sindibad de Bassorah, Cristoforo de Gênes,

                Marco Polo, serviteur de l’empereur mongol,

En paix à San Lorenzo, James Cook, Captain,

Mort à Hawaï, La Pérouse né au Gô, disparu

A Vanikoro, … »

Une exploration de l’espace entre les mots et les images et de leur fusion possible … Une vision du monde loin de nos préoccupations sanitaires quotidiennes, une vison de l’espace et de la vie au-delà des limites que nous nous sommes fixées.

Le recueil sur le site de l’éditeur

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Oh, et puis zut !

Iocasta Huppen

Bleu d’Encre

Comme le souligne l’éditeur dans la quatrième de couverture, ces poèmes brefs ressemblent étrangement à des haïkus, ils en ont la forme mais pas le contenu. Les Japonais les nomment « senryu », ils ont pour sujet principal les faiblesses humaines avec ou sans une référence à la saison. Iocasta Huppen, grande spécialiste des poèmes courts d’inspiration japonaise, propose avec ce recueil une sorte d’éphéméride qui raconte une année calendaire qui commencerait au printemps. Une année qui pourrait être celle qui s’écoule avec des compléments de précédentes pour raconter l’automne qui vient de finir et l’hiver qui commence. Comme les haïkus, ces poèmes sont composés de trois vers, deux parfois, qui ne comportent que quelques mots, rarement plus de cinq. Avec ces quelques mots, elle raconte la vie qu’elle mène à Bruxelles ou sur les lieux de vacances qu’elle a fréquentés.

Ainsi, dès le début, elle évoque la vie de cette année difficile avec son confinement qui nous a tellement entravé et a fait tout autant jaser :

« Dans le ciel bleu / Le scoop de quelques traces d’avion – / confinement mondial »

A cette saison, au Japon les cerisiers fleurissent, Iocasta ne l’a pas oublié :

« Reflet – / des pétales de cerisier / partout sur la lune »

Une nouvelle importante fleurit ce début de ce printemps :

« Cinquième mois – / la graine apportée par le vent / se porte bien » ???

Pour fêter l’arrivée de l’été un peu de musique avec trois titres de chanson alignés en forme de senryu :

« Passe me voir / Je t’aime tellement fort / Juste nous »

Et, l’été, c’est les vacances :

« Départ imminent / crème solaire, maillot de bain / et masque en tissu »

Et, les vacances, c’est la liberté :

« L’une des fesses / dépourvue de sa part de maillot – / se croire seule au mode »

Et le plaisir coquin … :

« Câlin à l’étang / une grenouille / nous tient la chandelle »

L’été s’en va, les vacances se terminent, l’automne approche :

« Fin des vacances / la fuite irréparable / du fauteuil gonflable »

L’automne s’installe !

« Rayon après rayon / l’araignée tourne en rond – / lumière d’automne »

Puis, cède la place à l’hiver :

« Soleil de décembre – / de la fiente de pigeon / un peu de vapeur »

« Grêle de février – / quelques grains de cardamone / dans mon café grec »

Le cycle est terminé, nous avons tous un an de plus et nous savons comment Iocasta a passé cette année, elle nous l’a confié en quelques mots comme des images qu’on range précieusement pour, plus tard, se remémorer de bons souvenirs. Malgré toutes ces images iréniques et apaisantes, Iocasta sait bien que le monde ne tourne pas très rond :

« Le monde va mal / le zapper quelques minutes / au bord de l’eau »

Peut-être qu’il tournera plus rond l’an prochain … ?

Le recueil sur le site de l’éditeur

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Mémoire cash

Jean-Jacques Nuel

Gros Textes

« Après avoir sacrifié / près d’un demi-siècle /à la prose » – il semble bien que ce fut un véritable sacrifice – Jean-Jacques Nuel revient à la poésie pour s’immerger dans une cure de nostalgie en évoquant : son enfance à Lyon, sa gare, peut-être aussi la Gare de de Lyon à Paris, son quartier, son petit monde d’alors : les rues, les commerces, les services publics ou privés, l’insouciance de la jeunesse et puis le temps qui passe… « Tu ne referas plus / ce trajet adolescent / entre la sortie du lycée / et la gare routière / où tu attendais l’autocar / de 18 heures 20 ». Aujourd’hui, « à 68 balais », Il évoque déjà l’autre extrémité de sa vie, l’avenir plus inquiétant qui se profile avec son lot de tracas et de souffrances. Ce recueil décrit une vie qui ne serait qu’un étirement entre deux extrémités : l’enfance insouciante et heureuse et la fin qui s’annonce avec tous les aléas réservés à la vieillesse. Aujourd’hui, ne serait qu’une passerelle entre ces deux extrémités sans relief particulier. Il a ce qu’il lui faut pour s’assurer un confort douillet dans un paisible coin de campagne bourguignonne tout en jouissant encore d’une santé suffisante pour vaquer à ses obligations et loisirs sans difficultés aucunes.

En quelques poèmes de quelques vers composés de quelques pieds seulement, Jean-Jacques Nuel raconte ce qui semble être la plus belle période de sa vie, son enfance à Lyon. A Lyon où il était tout aussi libre que le sont ses vers, où il rêvait encore… Aujourd’hui, son regard se voile d’une certaine désillusion accumulée au fil des ans et d’un brin de cynisme pour évoquer tout ce qui a changé pas forcément pour le mieux-être de l’humanité. A travers, cette tout petite strophe, il exprime, en quelques mots seulement, la puérilité qui a envahi notre société : « ce qui était merveilleux / en ce temps-là // c’est qu’on ne prenait pas / de photos » … Voilà tout est dit … ou presque !

Dès les premières pages de ma lecture, j’ai remarqué ces accès de nostalgie et ces bouffées d’inquiétudes, j’avais déjà rédigé une notule sur un petit papier quand, page 35, du recueil, j’ai lu ces vers : « Je vis trop il est vrai dans le passé / remémoré ou dans le futur /imaginé ». L’auteur était donc bien conscient qu’il considérait sa vie par les deux bouts comme d‘autres brûlent la … Pour lui le « … le présent n’est que la ligne / de partage / étroite / fuyante / entre le passé et l’avenir ». Et comme le temps est ta seule richesse, tu ne voudrais pas le galvauder inutilement. « Tu n’es pas un businessman / pour qui time is money / mais tu sais que le temps / est ta seule / fortune ». Alors gère-la avec le plus grand soin !

PS : « ne te fais pas plus dinosaure que te ne l’es », tu es plus jeune que moi ! Et, j’espère bien qu’un jour nous pourrons partager « une bouteille de Château-Chalon / dont (je) suis (aussi) amateur ».

Le recueil sur le site de l’éditeur

LA FABRIQUE DES MÉTIERS – 72. FLOUTEUR DE FLÛTE

Expo en ligne : la petite musique de Picasso

Tous les instruments ne sont pas bon à voir ! Ainsi en est-t-il de la flûte qui souffre d’une mauvaise réputation au sein de l’orchestre.

Si l’on est bien obligé de l’entendre, on préfère ne pas la voir. La flûte fait référence à nos mauvais penchants, à nos pulsions secrètes sous ses airs faussement niais, ses sons qui flirtent avec les hautes fréquences. Son tube creusé de mille trous nous éloigne de la musique, nous fait divaguer et cela s’avère néfaste pour les notes, habituées à plus de retenue, d’ordre et d’écoute.

Le flouteur de flûte qui, avant, a été retoucheur de selfies, brouille l’instrument dérangeant, le fait ressembler à un quelconque tube un fifrelin barré.

Le flouteur de flûte peut aussi, dans son élan gommeur, estomper les contours des clarinettes et des hautbois, voire des cors anglais, qui ne valent guère mieux. On ne peut regarder longuement un(e) clarinettiste ou un(e) hautboïste sucer le bout hanché de son instrument en se déhanchant sans nourrir des pensées libidineuses, sans décoller de la salle de concert vers les cieux angéliques, les verts paradis des bois de notre adolescence perverse (comme on le sait depuis les Duhamel et Matzneff) ou les tréfonds obscurs de notre inconscient. 

Le flouteur de flûte peut aussi, dans un discret sfumato, dissimuler vos gras contours d’amateur de métal, votre disharmonieuse banane de rocker flétri, votre crâne chauve de Ledzeppelinien de la première heure, vos cheveux gris souris de danseur de cold wave, vos chaînes rouillées de punk vert-de-gris ou vos ors pailletés de rapper maudit.

Afin que la trompette brame, que le trombone beugle, que la contrebasse barrisse, que le basson barronne, que le violon grince, que le tambour tonne, que le tuba barrisse, floutons, floutons l’éreintable instrument qui dépare le choeur de l’animalerie musicale !

Louons, louangeons le flouteur de flûte, ce gardien de la vertu de la gent orchestrale, celui qui assure un parfait confort sonore, sans interférences sonores équivoques !


Illustration: Pablo Picasso, Nu couché et joueur de flûte, 1932