La muse timide

Une fois écrit trois-quatre mots, deux ou trois vers, cet auteur ne parvenait pas à faire décoller son texte. A peine avait-elle montré son nez que la muse, trop timide, retournait dans son terrier. Il avait beau taper du pied, colérer, péter un plomb (s’il était tireur à la carabine) ou un câble (s’il était tireur de lignes électriques), faire son De Funès, son Sarkozy en fin de mandat, son Di Rupo en faim de pouvoir, l’écrit restait lettre morte. Alors il rassemblait toutes ses chutes, téléphonait à la Mutuelle, pour déclarer sa muse malade, et à la Communauté Française, pour arrêter les subventions, les honneurs… Puis il mettait ses pieds dans la prose et partait gambader dans l’alittérature comme un romancier ordinaire ou les gens qui écrivent des mails, des rapports ou des procès verbaux.

 

La damnation du pavot

images?q=tbn:ANd9GcTTqm_Lr-OxfcpXXMJg4jR_uXgz3sYg5j1WMW0Rz1zCVqzAJQvxQwpar Denis BILLAMBOZ

Entre l’histoire du déclin d’un puissant clan de l’Est tibétain, penchant plus vers la Chine que vers Lhassa, et la destinée d’une famille noble chinoise obligée de partir pour l’exil, j’ai trouvé le dénominateur commun qui m’a fait réunir ces deux textes : l’introduction d’une agriculture spéculative, la culture du pavot. Dans les deux cas, le cycle infernal du pavot s’inscrit de la même façon dans une société locale encore proche de son état féodal. Dans un premier temps, la richesse comble les familles entreprenantes puis rapidement la drogue gangrène la jeunesse avec son cortège de malheurs : addiction, maladie, débauche, corruption, affaiblissement et finalement accaparation de la richesse et des territoires par des voisins envieux qui veulent mettre la main sur la production magique. Les Hans de Chine coloniseront les clans tibétains et, plus au sud, ceux qui étaient peut-être les ancêtres de Chiew-Siah Tei ont dû fui leur pays pour grossir la Chine de la diaspora en Malaisie.

 

images?q=tbn:ANd9GcTL79UTRaw_dMcd2fWZmZKtrwRYHgQbAb399O6tdWJKniBvoROTLes pavots rouges

Alai ( ?  – ….)

« J’étais juste un passant, venu sur cette terre merveilleuse quand le système des chefs de clan approchait de sa fin.» Il était le second fils du chef du clan des Maichi, là-bas à l’est du Tibet, aux confins de la Chine, où « les chefs de clan avaient toujours préféré l’empire temporel de l’est au pays spirituel de l’ouest. » On le disait idiot… mais l’était-il ? En tout cas, c’est lui qui raconte l’histoire du clan des Maichi, de son expansion, de sa splendeur et de sa déchéance.

Dans les années trente, dans ces vallées perdues, les chefs de clan disposent d’une pouvoir absolu sur leur territoire et leurs sujets et se livrent des guerres fratricides pour assurer leur hégémonie et accroître leur trésor. Pour vaincre un vassal félon, le chef du clan des Maichi fait appel à la puissance du voisin chinois qui lui fournit des armes modernes pour assurer une victoire aisée et un prestige certain auprès des autres seigneurs.

A cette occasion, le Chinois incite le chef du clan vainqueur à planter des pavots dont il achètera, lui-même, la production,  ce qui apportera une grande richesse à celui qui en assurera la culture. Après plusieurs échauffourées, guerres et autres amabilités entre voisins, tous les clans disposent des graines de pavot et se lancent dans la culture spéculative sans retenue jusqu’au jour où la carence en céréales vivrières crée une dure famine. Seul le clan Maichi qui a semé de l’orge, tire profit de cette calamité pour augmenter encore ses richesses en vendant son orge à des prix mirobolants et en installant une forme d’autorité sur les autres clans. Le pays entre alors dans l’ère de l’économie de marché, l’idiot construit une véritable ville commerciale à la frontière du pays des Han. « C’était la première fois, dans l’histoire des chefs de clan, que l’on transformait une forteresse en marché. »

Mais cette ouverture deviendra rapidement néfaste aux populations car les blancs et les rouges qui s’opposent en Chine, exporteront vite leur conflit sur la terre tibétaine pour le plus grand tort de cette civilisation des chefs de clan qui connaîtra alors un déclin inéluctable.

Ce vaste récit, à la fois roman picaresque et rocambolesque, conte épique mais aussi parabole sur le pouvoir et son exercice, la puissance et la gloire, le déclin et la déchéance, est prétexte à brosser un vaste portrait de ce Tibet particulièrement méconnu, loin de Lhassa et de son pouvoir, bien différent de l’imagerie habituelle, plus proche de la Chine. Mais, l’auteur, même s’il est Tibétain, est aussi un bon Chinois récompensé par le plus grand prix littéraire de son pays, le prix Mao Dun, et, donc, sa version n’est pas forcément la plus objective mais c’est un regard qu’il ne faudrait tout de même pas oublier.

Ce récit a aussi le mérite de démontrer comment une culture hautement spéculative a pu, en s’appuyant sur la cupidité des hommes, conduire une civilisation vers son déclin en lui inculquant la gangrène que véhicule l’économie de marché, à l’image des drogues et maladies vénériennes qui envahissent les villes nouvelles dévolues au commerce. Les bordels s’installent aux côtés des auberges, des banques et autres échoppes et répandent la syphilis dans les populations corrompues. L’enrichissement brutal de ce pays, resté jusque là dans les nimbes médiévales, va inéluctablement attirer le regard du puissant voisin qui, en manipulant les chefs de guerre frontaliers, va trouver, là, une excellente porte pour entrer dans ce territoire qu’il revendique depuis un certain temps déjà.

L’idiot qui narre cette saga familiale, l’aventure de tout un peuple, la déchéance d’une civilisation, la fin d’une époque, n’est peut-être finalement pas si idiot que ça. Car, s’il n’a pas forcément l’intelligence de son frère aîné, il a des intuitions souvent très opportunes, un bon sens bienvenu, et il sait user à bon escient de la ruse et de l’astuce qu’il oppose à la force brutale des autres. « Je savais, à présent, quand je devais surprendre ceux qui me méprisaient en ayant l’air d’être la personne la plus intelligente du monde. Puis, quand je leur avais fait assez peur pour qu’ils me traitent comme un garçon intelligent, j’agissais à nouveau stupidement. » Et, c’est un intéressant discours sur le pouvoir et son exercice, l’intelligence et l’intuition, la stratégie et le hasard, que nous propose Alai à travers ce texte qui pourrait paraître un peu primaire à certains, d’autant plus, qu’en ce qui me concerne, je n’ai lu qu’une version traduite de l’américain. Les risques de déperditions et de transformations ne sont tout de même pas nuls en passant du chinois à l’américain et de celui-ci au français.

J’ai eu l’impression, par moments, d’entendre comme des roulements de tambour venus du côté de chez Gunther Grass, mais ce n’est peut-être qu’une impression, « … même les gens intelligents sont quelquefois stupides. »

 

images?q=tbn:ANd9GcQjCqiVe3WjzdhAzzLOu_lxDs2bn2uVY4UoyW5WDuxdiCFJHAvqQwLa petite cabane des poissons sauteurs

Chiew-Siah Tei ( ?  – ….)

Jeune Malaisienne de la colonie chinoise, Chiew-Siah Tei, désormais exilée en Ecosse, semble avoir voulu écrire un livre initiatique pour remonter un arbre généalogique qui pourrait être le sien et faire revivre des ancêtres qui auraient exploité un vaste domaine agricole dans le sud de la Chine jusqu’au début du siècle dernier.

Elle commence son histoire avec la naissance, en 1875, de Mingzhi qui comble de joie son grand-père, le maître absolu du domaine, qui a désormais un héritier pour assurer la continuité du lignage et combler les ancêtres qui veillent sur le sort de la famille. Mais, cette naissance irrite au plus haut point la seconde épouse du fils aîné qui elle aussi attend un enfant qui ne sera que le second. Les clivages se manifestent rapidement. Le fils second devient le bras droit du père car le fils aîné vit dans la débauche et ne s’occupe pas du domaine, l’épouse seconde est très jalouse de l’épouse première du fils aîné, et, on devine rapidement que les deux nouveaux nés seront rivaux toute leur vie.

Le fils aîné impose la culture du pavot qui satisfera son opiomanie mais désole le fils second qui ressent de forts scrupules à cultiver ce poison. Mingzhi suit des études brillantes que son frère n’arrive pas à assimiler en sombrant vite dans la facilité et la débauche. Mais ces destinées qui semblent toutes tracées sont bousculées par l’arrivée des étrangers, Japonais et Européens, qui espèrent bien se partager le gâteau chinois malgré la violence de la résistance des Boxers qui bouleversent l’ordre établi.

Ce roman qui se voulait certainement la tragédie d’une famille confrontée à la disparition d’une civilisation ancestrale et à l’irruption brutale d’une Chine nouvelle agressée par des peuples étrangers, n’est pour finir qu’un vague mélodrame de second ordre où tout est bien trop prévisible. On dirait que l’auteur a voulu écrire un roman chinois pour retrouver ses racines mais qu’il n’a pas pu échapper à sa culture anglo-saxonne qui se ressent trop dans ce très long texte. Il aborde bien, tout au long de son récit, des thèmes importants : le choc des cultures chinoises et européennes, la disparition de la Chine traditionnelle, la place des femmes et des filles dans la société chinoise, toutes les tares de l’ancien régime : corruption, népotisme, favoritisme, …, l’introduction des cultures spéculatives, etc… mais tout ça nous le connaissons bien depuis longtemps, au moins depuis que Pearl Buck, Lao She, Pa KIn et bien d ‘autres  l’ont écrit avec beaucoup plus de talent.

Mais, Chiew-Siah a peut-être trouvé l’ancêtre, auréolé de toutes les qualités et ouvert au monde extérieur, qui aurait installé sa famille en Malaisie pour échapper à la violence des siens rejetant ses amis européens et lui-même par là-même. Cet ancêtre visionnaire qui aurait créé la Chine de la diaspora qui allait pousser la porte des marchés européens et transporter la richesse ancestrale dans le Sud-est asiatique.

 

 

Dresseur d’oreilles

Toutes les oreilles ne sont pas obéissantes, ça s’entend. Il faut commencer par les faire tenir droites sur une chaise d’église avec deux épingles à prière et une attache nonne. Montée des sons sur l’échelle des décibels en progression logarithmique (et que ça suive).

Ensuite, le travail du dompteur. Il peut durer des mois. Mais le jour de la représentation, sur la piste sonore, toutes les oreilles sont fières, à l’écoute, attentives. Et le dresseur est prêt, propre sur lui, lavé de l’intérieur, avec tous ses sons dans la main, celle qui ne tient pas le fouet qui claque et qui siffle.

Le numéro peut débuter. Il sera applaudi dans le silence. Seulement d’un claquement de mains mimé. Car les oreilles, après leur numéro, ne supportent plus aucun bruit. Un seul d’entre eux peut les faire tomber (ça serait con). 

FIÈVRES de Denys-Louis COLAUX

Sur des photographies de Philippe BROUSSEAU, de superbes textes en prose de Denys-Louis COLAUX

Sanction Immédiate – Les Impassibilités de la Passeuse – La Belle dormante – Coco Baronne – La Belle Ailée

L’apparition bleue – La Belle Hélène – La Considérable Gifle – La Porteuse d’Yeux – La Sylphide – La Hurleuse – La Nouvelle Squaw – La Vapeur de la Passion – L’En Allée – Le Cri Rouge

LA DORMANTE 

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Là-bas, une femme qui dort n’est jamais une femme qui dort. C’est une femme qui écoute le granit, la pierre, la cathédrale encore dispersée. C’est une femme qui recueille le gémissement du temps, qui en capte les flux pulsés par un cœur qu’elle est la seule à percevoir. Là-bas, une femme qui dort est une femme qui s’étend dans le bain tiède de sa beauté et, sans se séparer d’elle, la répand comme une rumeur. Là-bas, une femme qui dort est une femme qui se méfie du lait qu’il faut brasser dans le café de la nuit. Là-bas, une femme qui dort est une femme qui, pour noyer les indices, verse du porto dans la nuit. Là-bas, une femme qui dort est une femme qui dort là-haut, qui écrase son bout filtre au cendrier des soleils mouillés. Là-bas, une femme qui dort capture au lasso de sa langue le baiser rouge de la fraise. C’est une femme, là-bas, quand elle dort, qui lessive les suaires de ses fantômes favoris et écaille le tain au miroir bleu de ses phantasmes. Là-bas, une femme qui dort tient une lampe allumée, une lanterne qu’elle balance et qui hèle les épaves des caravelles. Là-bas, une femme qui dort est une femme qui lit à l’écran clair de ses paupières. Là-bas, une femme qui dort est une femme qui dompte l’animal noir de son sommeil. C’est, là-bas, une femme nichée dans la sciure de sa forêt, dans l’ouate de son ciel, dans les étincelles de son jour suspendu. C’est, là-bas, une méfiante eau qui dort dans le trouble de sa navigation. Une femme qui blanchit la feuille noire de son rêve, tend la main vers le commutateur du réel, traverse un dimanche de nef et de solitude. Là-bas, une femme qui dort n’est jamais une femme qui dort.

Mais aussi NEUF CORPS CELESTES, LIVRET ROCOCO et ALBUM BAROQUE: des poèmes ou chansons sur des photographies de Philippe Brousseau

A lire et à voir ici:

http://denyslouiscolaux.skynetblogs.be/

Jean Ferrat à l’honneur

Lettre de Philippe TORRETON à Jean Ferrat

 http://blogs.mediapart.fr/blog/netmamou/240412/lettre-de-philippe-torreton-jean-ferrat

Une chanson pour Jean Ferrat, texte de Denys-Louis COLAUX

http://denyslouiscolaux.skynetblogs.be/archive/2012/04/24/une-chanson-pour-jean-ferrat.html

Sur le site de D.-L. Colaux, lire aussi une biographie de Jean Ferrat et une présentation et une interview d’un de ses paroliers, Guy THOMAS

http://denyslouiscolaux.skynetblogs.be/

Ma France

J’arrive où je suis étranger (texte d’Aragon)

Les accidents de lecture

Après avoir publié sur toutes sortes de supports : peau,  parchemin, ardoise, tablette d’argile, coffre-fort, bambou, papyrus, carton recyclé, pvc, voile, sable, vague, la maison d’édition de cet éditeur multimedia trouva enfin le succès en imprimant des textes sur des carrosseries de véhicules – en mouvement. 

Suite à une vente mortelle, le nombre de tués au bord des autoroutes augmenta considérablement : les lecteurs qui s’étaient amassés sur la bande d’arrêt d’urgence pour pouvoir lire vite et à l’œil des quantités énormes de littérature. C’est depuis ce temps que la lecture sur e-road a été institutionnalisée par la Sécurité Routièreelle occasionne désormais beaucoup moins d’accidents de lecture.

DOISNEAU 1912/2012

images?q=tbn:ANd9GcRTXlMzgsSLy7n9sf_i0xby-k7Zo1r0PrFDYkt46a5wZ53GC1zmmApar Philippe Leuckx




Deux ans après la belle exposition de CENT PHOTOGRAPHIES de Doisneau au Musée Cartier-Bresson, deux années après la parution du beau volume « PARIS », voici que s’amorce une nouvelle avancée dans la (re)découverte du très grand photographe de Gentilly/Montrouge et du monde.

On a si souvent réduit l’impact de son oeuvre, tant dénaturé la complexité, si mal perçu l’étonnante vitalité d’une oeuvre nombreuse, très variée, bien plus plurivoque que les discours stéréotypés à son adresse. Que de poncifs à l’oeuvre dans son analyse : du style photo populaire, sentimentale, baignant dans les approches de l’enfance et des banlieues…

Au moins, l’acuité des « cent photographies » montrées a dévoilé une partie des facettes de l’auteur.

images?q=tbn:ANd9GcS6ZsVRZVbnTKfPkECx_H8MQngXeTLI7xnpe3ShPeKFUDNuWDS8Mais subsiste toujours le frein de la mémoire : les reproches des photos faussement improvisées, les procès d’intention (au sujet des figurants du « Baiser de l’Hôtel de Ville »)…

Il aura fallu près de dix-huit années au-delà de son départ , un 1er Avril 1994, pour prendre – enfin – la juste mesure d’une oeuvre que ses deux filles – sur base du classement minutieux de leur père Robert – sont en train de mieux faire connaître. Nous n’avons jamais aujourd’hui accès qu’à une faible partie d’une masse de plus de quatre cent mille clichés. Combien? Il y a eu une quarantaine de volumes depuis l’édition en 1949 de « La Banlieue de Paris », chez Hoëbeke, surtout. De beaux livres, conjointement assurés par l’oeil de l’artiste et la plume d’écrivains (Cavanna, Pennac…)…

Comme pour l’oeuvre pessoenne, le monde de la photodoisneau est à découvrir. Par pans entiers.

Dans l’attente – et 2012 prévoit toute une série d’hommages à Paris, à Tokyo, ici même à Stavelot -, retournons à ces oeuvres uniques : « Le Réverbère », « La poterne des peupliers », « Anita », « Picasso et ses pains », « Le nez au carreau », « Les glaneurs de charbon », ses portraits de Colette, Marais….

Une lumineuse composition préside à l’esthétique de la « photodoisneau » (comme on dit cinémaozu), non pas un système clos, non pas une série de reprises, non pas une pratique sans concertation : non, un luminisme à tous égards personnel, dans la volonté de jouer du contre-jour et des arêtes splendides des lignes de fuite et d’ombre indécise, une magistrale mise en place des lieux et des gens.

Des clichés inoubliables : « Les enfants de la Place Hébert », « L’instruction scolaire rue Fontaine« , et, par dessus tout « Les enfants de Salkhazanoff »(Paris 1950).

Bien des choses

BIEN DES CHOSES de François MOREL

au Petit théâtre de la Ruelle

Joué par Jacques Delmeire, Salvatore Vullo.

Dans une mise en scène d’Emmanuel Guillaume

Vendredi, samedi soir et dimanche après-midi.

Plus d’infos & des vidéos sur le blog des MOLIÈRES & MOCASSSINS

http://molmoc.blogspot.com/

 

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