100 films à voir absolument
Une analyse décennie par décennie, un feuilleton en 12 épisodes
qui court des débuts du cinéma aux années 2010.
Voir la présentation du projet et de l’équipe, le plan général et les dossiers ouverts :
(VI)
Les années 1950
Ciné-Phil RW à la mise en place ; Krisztina KOVACS, Nausicaa DEWEZ, Daniel MANGANO et Adolphe NYSENHOLC au contrepoint ; Julien-Paul REMY et Thierry VAN WAYENBERGH, Nausicaa DEWEZ et Ciné-Phil RW dans des analyses connexes.
Le Top 10 de Ciné-Phil RW
. (35/100) La mort aux trousses/North by Northwest (Hitchcock, GB/EU, 59).

Le meilleur film d’aventures de tous les temps ? Je l’ai vu et revu. Adoré enfant, adolescent, adulte. Goûté à différents niveaux, qui séduisent gourmands et gourmets, tant la réussite est à la fois globale et de détails.
Son rythme haletant, ses poursuites et ses rebondissements. Ses décors fantasmatiques : le champ de maïs, le mont Rushmore (reconstitué en studio), la Riviera américaine, le bâtiment des Nations- Unies et le nid d’aigle de Rapid City (deux bijoux architecturaux). La tonicité des dialogues. Le charme dévastateur de Cary Grant, qui me paraît, sur ce film, à cinquante-cinq ans, l’homme le plus élégant à avoir jamais bougé devant une caméra (cet acteur, dans de nombreux films, est immense de par sa capacité à laisser sourdre une ambiguïté abyssale, sexuelle, morale, d’humeur, etc.). Les acteurs secondaires mémorables, d’Eva Marie Saint à James Mason, en passant par Martin Landau ou Leo G. Carroll. Ses « moments significatifs » (comme aurait dit le médiéviste Paul Jonas) mémorables : la poursuite dans le mont Rushmore, la rencontre Eva/Cary du train, le pseudo-assassinat, le meurtre aux Nations-Unies, la scène de l’avion, celle de la maison perchée, etc. Le deuxième degré ravageur, les sous-entendus sexuels : le rapport à la mère, la relation ambigüe entre les deux méchants, la métaphore du tunnel. Le Bildungsroman et l’émancipation/réalisation d’un adultescent.
Le meilleur Tintin de tous les temps ? Quelque part… aussi et involontairement, bien sûr… mais, dans un registre proche, il est très supérieur à L’homme de Rio, le meilleur hommage officiel à Tintin (un excellent film d’ailleurs, qui a inspiré la saga Indiana Jones de Spielberg/Lucas). Grant en Tintin adulte, érotisé, chargé de poudre freudienne ?
ADOLPHE :
Ce film s’origine dans la crise de l’identité vécue au XXe siècle.
Pour Freud, le « moi conscient » n’est peut-être pas tout à fait « soi », il y a un moi plus profond, inconnu à soi-même, et qui motive nos choix de vie ; pour Marx, l’individu est surtout un être dominé par les idées de sa classe, qui déterminent sa Weltanschauung comme ses options politiques.
Dans North by Northwest, le héros, tout autant dépossédé de lui-même, est pris pour quelqu’un qui n’existe pas du tout, vidé de sa substance, étant une personne fabriquée par les services secrets, les agents de l’inconscient social. Il est un Pessoa, « personne » en portugais. Mais l’écrivain lusitanien de ce nom était anonyme par la surabondance de ses pseudonymes. John Tornhill (incarné par Cary Grant) passe pour être Kaplan, un costume vide dans une chambre d’hôtel inoccupée. Il est un leurre, inventé par la CIA, durant la Guerre froide, pour tenter de démasquer sinon d’abattre l’espion pro-soviétique (joué par James Mason). C’est comme une variation sur le thème d’Ulysse qui, pour tromper le Cyclope, se présente comme… « Personne ». Le monstre ne se méfie donc pas d’un absent et le laisse approcher, ce dernier lui crève l’œil. Mais, dans le film, on ne croit pas que Kaplan n’est… personne, on cherche même à le tuer, lui (dans la voiture où on l’installe ivre-mort), voire à l’exterminer par un hélicoptère agricole qui essaie de le gazer avec un insecticide (écho à l’après-Auschwitz). Ce film est traversé par l’histoire du siècle et son climax se situe sur le mont Rushmore, un sommet de l’Amérique, où, parmi les effigies des présidents des Etats-Unis – dont les têtes sculptées dans la roche sont comme des dieux tutélaires -, le héros, si bien protégé, en vainquant son adversaire, retrouve, en sauveur de soi et des autres, la pleine jouissance de sa personnalité. Si le McGuffin du film était un microfilm avec des secrets atomiques, North by North West est ce chef-d’œuvre du cinéma qui contient en abyme une puissance nucléaire, celle de la Hitchcock Touch.
. (36/100) Le pont de la rivière Kwaï (David Lean, GB/EU, 1957).

Grandiose et bouleversante page d’histoire de la Deuxième Guerre mondiale, où l’on suit un groupe de prisonniers anglais auquel les Japonais imposent de construire un pont qui peut changer le cours des combats. Une situation qui interroge sur le sens de nos actes : faut-il se soumettre pour survivre, résister par éthique militaire ou… collaborer par goût du travail bien fait, réalisation narcissique, etc. ?
Image sublime, casting imparable (Alec Guiness, William Holden).
David Lean, l’un des plus grands génies de l’histoire du cinéma, vénéré par un Spielberg, comble l’appétit pour l’épique, la fresque, la reconstitution, relayant les Ben-Hur et Dix commandements de nos enfances (voir ci-dessous), en y ajoutant les ingrédients de la meilleure littérature, de l’Art.
. (37/100) Madame de… (Max Ophuls, France/Allemagne, 53).

Du grand art, à tous niveaux. Surtout, se faufilant à travers des intrigues de salon, et face à une Danielle Darrieux au sommet de sa majesté, un Charles Boyer qui compose un des plus émouvants rôles d’homme, de mari de l’histoire du cinéma.
Voir mon analyse – lien vers l’article
. (38/100) La nuit du chasseur (Charles Laughton, EU/GB, 55).

Un récit d’initiation des plus sombres, grinçants, une épopée enfantine détournée. Surtout, une œuvre ahurissante, mythique (classée numéro 2 de tous les temps par les Cahiers du cinéma), qui semble appartenir à tous les genres. LE film de Mitchum ! LE film de Laughton !
Voir notre analyse en trio – lien vers l’article
. (39/100) Sur les quais/On the Waterfront (Elia Kazan, EU, 54).

Un mythe américain et universel, Marlon Brando, explose la décennie avec les films d’Elia Kazan, surtout celui-ci mais aussi le bouleversant Un tramway nommé désir (51). Que dire ? Ce film métaphorise quasi toutes mes prises de conscience ou de position sur la société et l’être humain, pour le meilleur et pour le pire. L’omniprésence de la volonté de puissance et de contrôle, l’abus de pouvoir et l’incapacité à admettre la contradiction qui gangrènent à tous les échelons et dans tous les partis, quelles que soient les origines, la confession, etc., le panurgisme des foules ou la veulerie des individus… MAIS ces flambeaux qui, partout, minoritaires et solitaires/solidaires/solaires, se lèvent pour dire « Non ! », douter, remettre en question, tout risquer au nom d’idéaux qui sont enfouis au fond de l’imaginaire humain.
Ajoutons une épatante Eva Marie Saint, à l’opposé des femmes glamour et provoquantes, toute en finesse et élégance distinguée (admirée par Hitchcock !) et un fabuleux Rod Steiger ! L’une des plus belles scènes de l’histoire du ciné avec la discussion des deux frères (Brando/Steiger) dans une (fausse, constituée de bric et de broc) voiture… ou l’art du jeu made in Actor’s Studio mis en abyme.
. (40/100) Certains l’aiment chaud/Some Like It Hot (Billy Wilder, EU, 59).

Un pic absolu de la comédie, épique et désopilante, grinçante et émouvante tout à la fois. Qui est souvent cité comme le number one du genre avec L’impossible monsieur Bébé. Des gags en cascade mais un film de gangsters aussi, de course-poursuite, des relents sociologiques (sur la condition de la femme, l’époque de la Prohibition), de formidables travestissements.
Le trio Tony Curtis/Jack Lemon/Marilyn Monroe est épatant. Avec une réplique finale parmi les plus fameuses (et osées ?) du cinéma. Wilder, étrangement controversé au sein de la critique, est un très grand créateur, il a commencé comme adjoint de Lubitsch et sauvegardé une (volumineuse) parcelle de son génie, enfantant des mannes de perles. Pendant cette décennie, Boulevard du crépuscule/Sunset Boulevard (50) et Sabrina (54).
NAUSICAA :
J’aurais hésité entre Some Like It Hot et Sunset Boulevard pour le top 10, mais le premier l’emporte probablement en raison de sa modernité. J’ajoute aussi Sept ans de réflexion/The Seven Year Itch (55), pour sa place dans le mythe Marilyn.
. (41/100) L’intendant Sansho (Kenji Mizoguchi, Japon, 54).

Choisi de très peu devant Contes de la lune vague après la pluie (53). C’est un cinéma tellement… Riche, sublime, bouleversant, total ? Qui ne verse pas une larme à la fin du premier ? Qui n’est pas envoûté par la peinture onirique des barques trouant la brume dans le second ? Qui plus est, une création résolument féministe, véhiculant des valeurs face aux démons de l’arbitraire, de l’indifférence, de la vanité, du conformisme. Un artiste qui apprend à mieux observer, à redessiner notre regard.
. (42/100) Rashomon (Akira Kurosawa, Japon, 50).

Ou Les sept samouraïs (54) ?

Ces deux films m’ont fait découvrir et aimer le cinéma japonais. En Occident, Kurosawa a longtemps masqué les génies Mizoguchi, Ozu et Naruse, qui sont sans doute plus délicats. Mais on parle encore et toujours d’un génie ! Si Les Sept… a engendré un très célèbre remake western et influencé tout un pan du cinéma américain, que dire de Rashomon, de ses dimensions littéraires, de son inventivité narrative ? Avec cette quête de la vérité d’une scène qui nous la fait revivre telle que racontée par différents protagonistes. Inoubliable !
. (43/100) Chantons sous la pluie/Singing In The Rain (Kelly/Donen, EU, 52).

C’est le plus célèbre musical de tous les temps et l’American Film Institute l’a classé 10e. On peut ne guère priser le music-hall, la danse, les assimiler à la guimauve mais là… le talent suinte à chaque coin d’écran ! Et les idées véhiculées nous parlent toujours. Beau !
. (44/100) Les fraises sauvages (Bergman, Suède, 57).

Un vieil homme, sur le point d’être honoré, accomplit un trajet avec sa belle-fille qui tend l’œuvre vers le Road Movie. Rêveries sur la jeunesse perdue, interrogations sur la mort ou le sens de la vie, les erreurs d’aiguillage. J’ai vu et revu, à chaque fois bouleversé. C’est un pic majeur du cinéma européen.
NAUSICAA :
J’aurais plutôt retenu Le septième sceau(57), qui reste probablement l’ultime classique de Bergman.
D’autres grands films à découvrir,
évoqués dans les anthologies du 7e Art…
Coté Etats-Unis
. Des westerns mythiques au fond sulfureux : La prisonnière du désert/The Searchers (Ford, 56), son géant John Wayne en mode raciste et perte de repères ; Le train sifflera trois fois (Fred Zinneman, 52) ou l’individu abandonné par la majorité lâche ou indifférente ; Johnny Guitar (Ray, 54) et Rancho Notorious (Lang, EU/Allemagne, 52) qui présentent tous deux des femmes fortes (Joan Crawford et Marlène Dietrich) au passé trouble vivant en marge d’une société qui les nie ; L’homme des vallées perdues/Shane (George Stevens, 53), qui fixe l’image iconique du super-héros surgissant du néant pour régler tous les problèmes à coups de pistolets mais interroge déjà sur la part obscure latente, une interrogation profonde et amère sur le statut.
DANIEL :
Shane, bien sûr ! Le personnage dégingandé de Jack Palance sera adapté par Morris dans Lucky Luke contre Phil Defer. Mais je pointe d’autres westerns remarquables : Le jugement des flèches (Samuel Fuller, 56), précurseur, fait la part belle aux Indiens et permet à Rod Steiger de camper un personnage complexe ; La vallée de la poudre (George Marshall, 58) ou Cow-boy (Delmer Daves, 58), dans lesquels on retrouve Glenn Ford, bien aidé dans le second cas par un Jack Lemmon merveilleux en pied-tendre.
Un thème récurrent du cinéma populaire, la rivalité entre deux hommes, traverse plusieurs westerns. Kirk Douglas et Anthony Quinn dans Le dernier train de Gun Hill (John Sturges, 59), teinté d’antiracisme. Van Heflin chargé d’escorter un Glenn Ford goguenard dans l’impeccable 3h10 pour Yuma (Delmer Daves, 57), Gary Cooper, granitique/taciturne, et Burt Lancaster en Bad Guy ironique, enjôleur et manipulateur, tout de noir vêtu (la confrontation la plus intéressante ?) dans Vera Cruz (Aldrich, 54). Mais, parfois, la rivalité cède la place à la coopération (Règlements de comptes à OK Corral, de Sturges, en 57, avec le tandem Burt Lancaster/Kirk Douglas) voire à l’initiation (le jeune Anthony Perkins apprenti Sheriff sous la houlette d’Henry Fonda dans Du sang dans le désert/The Tin Star, d’Anthony Mann, en 57).
. Des films de guerre dénoncent celle-ci/le système militaire : Les sentiers de la gloire (Kubrick, EU/GB, 57) avec Kirk Douglas en héraut des valeurs humanistes ; Tant qu’il y aura des hommes/From Here To Eternity (Fred Zinneman, 53) et son superbe casting (Lancaster face à Montgomery Clift et Deborah Kerr, au monstrueux Ernest Borgnine), la scène du baiser sur la plage…
. L’amour, l’épopée et la guerre : L’odyssée de l’African Queen (John Huston, 51), le duo Bogart/Hepburn (Kathe the Great).
. Un film de prétoire : Douze hommes en colère (Sidney Lumet, EU/GB, 57), une ode à l’engagement citoyen, à l’éthique individuelle.
. Des musicaux : Un Américain à Paris (Vicente Minnelli, 51) ; Tous en scène/The Band Wagon (Minelli, 52) ; Une étoile est née/A Star Is Born (George Cukor, 54).
NAUSICAA :
Et aussi Les hommes préfèrent les blondes/Gentlemen Prefer Blondes(Howard Hawks, 53) et Drôle de frimousse/Funny Face (Stanley Donen, 57), avec le duo Fred Astaire-Audrey Hepburn.
. Le milieu de l’Art : Les feux de la rampe (Chaplin, EU/GB, 52) où Charlie dit au revoir à Charlot, qui a fait son temps, et élargit le propos à un adieu au muet dans une scène sublime associant Charlie/Charlot et Buster Keaton, avec en sus la classieuse Claire Bloom ; Eve/All about Eve (Joseph Mankiewicz, 50) où George Sanders pousse la distinction et l’ironie cinglante au niveau de l’Himalaya face à l’icône Bette Davies ; La comtesse aux pieds nus (du même Mankiewicz, 55).
NAUSICAA :
L’adieu au muet se retrouve aussi dans Sunset Boulevard et Singin’ in the rain, cités plus haut. Étonnant de constater à la fois la récurrence du thème et les chefs-d’œuvre qu’il a suscités.
NDLR : Voir le dossier OFF consacré par Nausicaa au grand Joseph Mankiewicz
. Des films d’aventures éblouissants, sans doute aujourd’hui destinés avant tout à la jeunesse : Les dix commandements (Cecil B. de Mille, le remake de 56) et ses scènes fabuleuses (le passage de la mer Rouge, of course !) et Ben-Hur (William Wyler, 59) et sa course de chars, son contenu homosexuel en filigrane (les œillades de Messala à Ben-Hur), deux péplums énaurmes (mon attrait du grandiose !) avec ma première idole cinématographique, Charlton Heston, l’homme des figures mythiques (Moïse, Michel-Ange, etc.) ; Les contrebandiers du Moonfleet (Fritz Lang, EU/Allemagne, 55), qui mêle mystère, action et initiation, et Scaramouche (George Sidney, 52), deux cape et d’épée menés par le flamboyant Stewart Granger (autre idole de mon enfance) ; Moby Dick (John Huston, 56) et son affrontement océanique aux vagues métaphysiques ; Planète interdite (Fred Mc Leod, 56) et ses voyages interplanétaires, son robot Robbie (qui inspirera le R2D2 de Star Wars), son monstre en filigrane.
Voir le feuilleton Scènes cultes, dans Karoo, pour ce dernier film : https://karoo.me/cinema/scenes-cultes-8).
DANIEL :
Bien vu de parler des films à grand spectacle. Les dix commandements et Ben-Hur me fascinent aussi tous deux. Les trucages du premier film me restent en mémoire : le bâton transformé en serpent, le Dieu/foudre qui grave les tables de la loi et bien sûr la mer Rouge qui s’ouvre en deux murailles d’eau. Dans Ben-Hur, outre la course de chars, je retiens la reconstitution de la Rome impériale et les apparitions de Jésus, jamais montré de face et d’autant plus intrigant.
NAUSICAA :
Le péplum hollywoodien vit un âge d’or avant de connaitre ses derniers feux avec le fastueux Cléopâtre (Mankiewicz, 63).
. Des films noirs : La soif du mal/A Touch of Evil (Orson Welles, 58) et ses plans sidérants, virtuoses, son atmosphère glauque, suffocante.
. Des mélodrames : Une place au soleil (George Stevens, 51) mais aussi les derniers films de Douglas Sirk (Américain d’origine germano-danoise), dont Le mirage de la vie (59), plébiscité par les Cahiers du Cinéma, un bijou impressionnant de modernité et d’humanité, où les aspects guimauve ou kitsch du genre sont explosés, transcendés par des réflexions puissantes sur le racisme, les apparences, la difficulté de la réalisation ou de la rébellion.
. Des adaptations littéraires : Othello (Welles, 51).
DANIEL :
Un de mes films préférés ? Comme un torrent/Somme Came Runningde Vincent Minnelli (57), tiré d’un roman de James Jones, comme Tant qu’il y aura des hommes. Dean Martin y seconde magnifiquement Frank Sinatra et Shirley Mc Laine (aussi paumée et attendrissante que Giulietta Masina dans La strada).
. La trilogie James Dean, qui incendia mon adolescence, ou comment un inconnu tourne trois films en un an (1955), meurt dans un accident de voiture et devient un mythe universel, l’incarnation de la jeunesse et de la rébellion : A l’est d’Eden (Elia Kazan), avec son thème Caïn/Abel ; La fureur de vivre (Nicholas Ray), qui touche à l’essentiel, avec sa figure d’ado (ou de jeune homme, disons) en quête de réalisation entre une mère castratrice et un père loquifié ; Giant (George Stevens) et sa saga familiale, son épopée du pétrole. J’aurais pu inverser Brando et Dean pour mon Top 10 !
DANIEL :
James Dean ? L’interprétation qui m’a le plus fasciné est celle de Jett Rink dans Géant. L’icône n’a pas le rôle principal ? Certes. Mais, à chacune de ses apparitions, on ne voit que lui ; avec tout autre acteur, le film serait plus fade.
KRISZTINA :
Je voudrais ajouter deux films inscrivant les débuts des rebelles post-guerre, entre autres via les interprétations de Marlon Brando (sans surprise !) et de Liz Taylor, une magnifique teigneuse aussi :
L’équipée sauvage/The Wild One (1953, EU, László Benedek, produit par Stanley Kramer). Le personnage principal, Johnny Strabler, tout de cuir vêtu, deviendra le motard fantasmé et culte d’une génération : « What are you rebelling against ? – What have you got ? ». Le mouvement punk anticipé ?
La chatte sur un toit brûlant/Cat on a Hot Tin Roof/ (1958, EU, Richard Brooks). Un classique de la plume de Tennessee Williams, bien entendu. Liz Taylor et Paul Newman dans un duel au sommet (œil émeraude contre œil argent), entre traditions sudistes, machisme, amours corrompues et frustration sexuelle.
Côté Europe
En Allemagne…
Le diptyque indien Le tigre du Bengale/Le tombeau hindou (Fritz Lang, 58/59), son exotisme et ses scènes très violentes, ses souterrains aux contours freudiens, la jolie Debra Paget et l’amour interracial. Séries B ? Oui mais produites par un génie, de retour au pays.
En Angleterre…
DANIEL :
J’adore un film d’aventures grand public : Les quatre plumes blanches.
PHIL :
Ta version (Terence Young et Zoltan Korda, 55) est l’une des sept adaptations (cinéma et télévision) du roman d’A.E.W. Mason !
En Italie…
Miracle à Milan (De Sica/Zavattini, 51) ; Senso (Luchino Visconti, 53) ; Viaggio in Italia (Roberto Rossellini, 53) avec Ingrid Bergman et George Sanders ; La strada (Federico Fellini, 54) et l’inoubliable Gelsomina (campée par Giulietta Masina, l’épouse du maestro), une trame narrative peu consistante mais un Road Movie qui interpelle/interroge (où est la goutte de bonheur qui étanche la soif ? comment la rencontrer ou comment l’offrir ?), œuvre-phare du cinéma européen.
DANIEL :
Le néo-réalisme imprègne la comédie et engendre cet inimitable mélange de rires et de larmes. Dureté sociale mais drôlerie irrésistible. L’Italie de la misère panse ses plaies et laisse éclater son envie de vie et de reconstruction.
Quelques films à redécouvrir : Umberto D.(De Sica, 52) m’émeut à chaque fois ; Pauvres mais beaux(Dino Risi, 56) et son humour grinçant ; Le pigeon (Monicelli, 58) et son équipe de bras cassés désopilants ; Il Bidone (Fellini, 55) et ses malfrats minables, dont un loser pathétique joué par l’Américain Broderick Crawford ; La grande guerre (Monicelli, 59, avec le tandem Gassman-Sordi) et Le général Della Rovere (Rossellini, 59, dans lequel Vittorio De Sica joue de toute sa palette avec une élégance rare), deux films de guerre qui rendent hommage à la bravoure des lâches.
NAUSICAA :
Coup de cœur personnel pour Stromboli de Roberto Rossellini (50).
PHIL :
Avec la merveilleuse Ingrid Bergman à contre-emploi ! Elle qui a quitté Hollywood et sa famille pour l’amour de l’Art pur… et de Rossellini. Immense scandale à la clé !
En France…
Encore Clouzot (Le salaire de la peur en 53 et Les diaboliques en 55)mais déjà la Nouvelle Vague, Truffaut (Les 400 coups, 59), Robert Bresson (Le journal d’un curé de campagne en 51, Un condamné à mort s’est échappé en 56, Pickpocket en 59) ou Alain Resnais (Hiroshima, mon amour, 59).
NAUSICAA :
La Nouvelle Vague, en effet. Les réalisateurs emblématiques de la mouvance sortent quasi tous leur premier long-métrage en 1959 ou 1960. Outre ceux déjà cités, mentionnons aussi Claude Chabrol (Le beau Serge et Les cousins, 59), Eric Rohmer (Le signe du lion, 59), Jacques Doniol-Valcroze (L’eau à la bouche, 59 – très daté, le film vaut aujourd’hui surtout pour la musique de Gainsbourg). À noter qu’Agnès Varda, souvent associée à la Nouvelle Vague, a réalisé son premier long métrage dès 1955, La pointe courte, un film à redécouvrir. Superbe décennie aussi pour Jacques Tati, avec deux films qui sont des chefs-d’œuvre : Les vacances de Monsieur Hulot(53) et Mon oncle(58).
KRISZTINA :
J’irai cracher sur vos tombes (59, Michel Gast) avec Christian Marquand. On reste dans le thème de la rébellion évoqué plus haut. Un métis veut venger son frère, un jeune Noir de dix-huit ans, lynché par la foule. Le récit est incendiaire, sur fond de jazz enflammé et d’anti-héros charismatique, précurseur et (toujours) interpellant. Ceci dit, je préfère le roman au film… et Boris Vian serait heureux de l’apprendre, lui qui a été victime d’un arrêt cardiaque à la première française !
PHIL :
Philippe Leuckx, un collègue cinéphile des Belles Phrases, lors de la première vague de la CI (publiée dans Karoo), avait suggéré quelques pépites supplémentaires : Sous le ciel de Paris (Julien Duvivier, 50), La vérité sur Bébé Donge (Henri Decoin, 51), Casque d’or (Jacques Becker, 52), Des gens sans importance (Henri Verneuil, 56), La chatte (Henri Decoin, 58).
Côté World Cinema
Le World Cinema nous démontre à quel point les humains sont proches, présentant les mêmes vices et travers, les mêmes aspirations et idéaux. Et c’est peu de le dire. Le vivre au travers d’un geste, d’une parole, d’un non-dit émanant d’une paysanne bengali ou japonaise remue une sorte d’inconscient collectif. Ce cinéma existait déjà, bien sûr, il brillait déjà, ne soyons pas occidentalo-centristes. Mais une étape est franchie. Plusieurs auteurs nippons atteignent le point d’acmé de leurs carrières : Ozu (Le voyage à Tokyo, 53), Naruse (Nuages flottants en 55 et le formidable Nuages d’été en 58). Et, fracassant un cinéma commercial indien abonné au grand spectacle, aux tournages en studio et au factice, Satyajit Ray, le Bengali, apporte une variante indienne au néo-réalisme italien, avec notamment sa trilogie d’Apu, entamée avec l’émouvant, très remarqué et iconifié La complainte du sentier (55), que suivront L’invaincu(57) et Le monde d’Apu(59).
Coups de cœur personnels
. TOUT Hitchcock !
Encore et encore ! Comment écarter de la liste de mon top 10 Fenêtre sur cour (54) ou Sueurs froides/Vertigo (58) ? L’AFI classe d’ailleurs mes trois Hitch préférés de la décennie aux places 40, 42 et 61 de son Top 100. C’est une période très créative pour l’Anglais émigré aux States : La main au collet (55), Le crime était presque parfait (54), L’inconnu du Nord-Express (51), Le grand alibi (1950) ; un peu en retrait, L’homme qui en savait trop (le remake de 56), Le faux coupable (56) et sa mise en abyme de la thématique majeure de l’épopée hitchcockienne, Mais qui a tué Harry ?(55) et son humour noir corrosif… tiédi par quelques longueurs. Autant de perles pour les cinéphiles !
DANIEL :
Mon Hitchcock préféré ? D’une courte tête, L’inconnu du Nord-Express. Pourl’ingéniosité de la trame, les scènes avec un effrayant Robert Walker.
. Trois films qui mêlent voyage et romantisme de conte de fées.
Vacances romaines (William Wyler, EU, 53) avec un couple glamour à tomber, Gregory Peck et Audrey Hepburn au sommet de leur séduction.
Vacances à Venise (David Lean, EU/GB, 55), à mille coudées des fresques du maestro, un décor de carte postale transcendé par un réalisateur de génie qui filme la Cité des Doges comme jamais, avec une Katherine Hepburn en cœur solitaire, émouvante en diable.
Elle et lui/A Love Affair (Leo McCarey, EU, 57). Un remake orchestré par le réalisateur d’origine. Que j’ai retiré in extremis de mon top 10 ! Qui enchante et fait pleurer. Célèbre pour la scène de l’Empire State Building alors qu’une autre appartient à mon trésor de guerre cinématographique, toute en finesse et beauté pure : la présentation de la jeune Olivia de Havilland à la mère de Cary Grant dans le décor prodigieux, en surplomb par rapport à la mer, de la propriété familiale.
Réflexions sur la décennie
DANIEL :
Les Fifties sont la dernière décennie à ne pas trop souffrir de la concurrence de la télévision… même si les « étranges lucarnes » vont bientôt envahir les foyers, même si commence alors la longue agonie des cinémas de quartier qui portaient haut le cinéma populaire.
PHIL :
Aux Etats-Unis, dix millions de postes de télévision en 1951 et cinquante en 1959 ! Certains Grands du cinéma anticipent ou s’adaptent. Groucho Marx devient animateur de jeux télévisés. Walt Disney produit ses premiers spectacles télévisés réguliers, ce qui aboutira à l’une des séries les plus célèbres de tous les temps, Zorro, avec Guy Williams, dès 1957. Quant à Hitchcock, régner sur le cinéma ne lui suffit pas et il lance dès 1955 une autre série mythique, Alfred Hitchcock Presents, qui comptera de nombreuses saisons et imposera son personnage (il présente chaque épisode avec un humour confondant).
DANIEL :
Les années 50 sont celles de ma découverte du cinéma. Cette décennie est si foisonnante, mes choix trop émotionnels. Ci-dessus, j’ai fait d’ailleurs fait l’impasse sur les cinémas français, suédois, japonais, indien et mondial… et privilégié le cinoche par rapport au cinéma d’auteur… une expression que je déteste, à tort peut-être, mais… pourquoi John Sturges, Delmer Daves ou Robert Aldrich n’ont-ils pas droit à ce statut ? Un statut auquel le public n’est pas si attaché. D’ailleurs, celui des années 50, quand il évoquait La fureur de vivre, parlait de film « avec/de James Dean » plutôt que de film « de Nicholas Ray ».
PHIL :
Le cinéma d’auteur triomphe alors en Europe et s’insinue aux States. Mais un rappel s’impose pour comprendre la décennie vue depuis Hollywood, la Mecque du cinéma. En 1949, Samuel Goldwyn, le célèbre producteur, annonce l’avènement du règne de la télévision. Hollywood est alors profondément secoué par l’écroulement du studio system, à la suite d’un procès contre le monopole des grandes maisons de production. Mais, dans les Fifties, le cinéma se bat pour survivre et choisit d’aller plus loin, d’offrir plus beau, plus grand, plus spectaculaire.
DANIEL :
On peut parler d’un nouvel âge d’or du classicisme hollywoodien. Il y a notamment un tournant dans le format de l’image. 1953 voit la sortie en Cinémascope de La tunique (Henry Koster, EU), péplum biblique qui surfe sur le succès de Quo Vadis (Mervyn LeRoy, EU, 51) mais dont le Caligula n’a pas la méchanceté réjouissante du Néron incarné par Peter Ustinov. Le Cinémascope, lancé par la 20th Century Fox, va faire fureur, suscitant des produits innovants concurrents dont le fameux procédé VistaVision de la Paramount. Le Todd-Ao essayera d’y ajouter le relief mais, malgré ses qualités, il n’aura pas un impact aussi déterminant. Les dimensions de l’image, combinées au Glamour du Technicolor et de ses dérivés, vont définitivement marquer l’imaginaire des enfants non biberonnés au format télévisuel. Pour paraphraser Godard, on devient différent selon que l’on voit des images plus grandes ou plus petites que soi.
PHIL :
Comment épouser un millionaire ? (Jean Negulesco, EU, 53) a été le premier film tourné selon le procédé du Cinémascope mais il est sorti après La tunique. Disney a embrayé avec un court-métrage, Les instruments de musique (EU, 53), puis le long-métrage d’animation La belle et le clochard (EU, 55).
Terminons avec deux phénomènes conséquents. La fin du studio system laisse la voie dégagée pour le star system et le règne des agents (qui demandent des cachets de plus en plus colossaux pour leurs vedettes). En corollaire, la course à l’économie envoie désormais bien des équipes de tournage à l’étranger. En Espagne, en Italie (Cinetta, à Rome, devient une autre « ville du cinéma »), etc.
Adolphe NYSENHOLC, Daniel MANGANO, Krisztina KOVACS, Nausicaa DEWEZ et Ciné-Phil RW.
Plan du feuilleton Vers une cinéthèque idéale
Nous nous limitons ici aux articles initiaux des différents dossiers. Ceux-ci renvoient à de nombreux autres articles.
Présentation du projet (introduction, équipe, plan) :
Préhistoire du cinéma :
Années 1910 :
Années 1920 :
Années 1930 :
Années 1940 :
Feuilleton complémentaire d’Adolphe NYSENHOLC sur le premier top 12, en 1958 :
Top 100 en cours
(1) Le voyage dans la lune (Georges Méliès, France, 1902).
(2) Le vol du grand rapide (Edwin S. Porter, E.U., 1903).
(3) Naissance d’une nation (D.W. Griffith, Etats-Unis, 1915).
(4) Intolérance (D.W. Griffiths, Etats-Unis, 1916).
(5) Le cabinet du docteur Caligari (Robert Wiene, Allemagne, 1920).
(6) Le cuirassé Potemkine (Serguei Eisenstein, Russie, 1925).
(7) Le journal d’une jeune fille perdue (G.W. Pabst, Autriche, 1929).
(8) L’aurore (Murnau, Allemagne/EU, 1927).
(9) Docteur Mabuse, le joueur (Fritz Lang, Allemagne, 1922).
(10) Le Kid (Charlie Chaplin, GB/EU, 1921).
(11) Le vent (Victor Sjöström, Suède/EU, 1928).
(12) La passion de Jeanne d’Arc (Carl Theodor Dreyer, Danemark, 1928).
(13) Napoléon (Abel Gance, France, 1927).
(14) Le mécano de la General (Buster Keaton, EU, 1927).
(15) Autant en emporte le vent (Victor Fleming, EU, 1939).
(16) Les Hauts-de-Hurlevent (W. Wyler, EU, 1939).
(17) Le testament du docteur Mabuse (F. Lang, Allemagne, 1933).
(18) Une femme disparaît (A. Hitchcock, GB, 1938).
(19) King Kong (Merian C. Cooper et E. Schoedsack, EU, 1933).
(20) L’impossible monsieur Bébé (H. Hawks, EU, 1938).
(21) La chevauchée fantastique (John Ford, EU, 1939).
(22) New York-Miami (Frank Capra, EU, 1934).
(23) La grande illusion (Jean Renoir, France, 1937).
(24) Ninotchka (Lubitsch, EU, 1939).
(25) Casablanca (Michael Curtiz, EU, 1942).
(26) Le ciel peut attendre (Ernst Lubitsch, EU, 1943).
(27) Citizen Kane (Orson Welles, EU, 1941).
(28) Les enfants du paradis (Marcel Carné, France, 1945).
(29) Les enchaînés/Notorious (Alfred Hitchcock, EU, 1946).
(30) Le trésor de la Sierra Madre (John Huston, EU, 1948).
(31) Indiscrétions/The Philadelphia Story (George Cukor, EU, 1940).
(32) La vie est belle/A Wonderful Life (Frank Capra, EU, 1946).
(33) Le dictateur/The Great Dictator (Charlie Chaplin, EU, 1940).
(34) Le troisième homme (Carol Reed, GB, 1949).
(35) La mort aux trousses/North by Northwest (Alfred Hitchcock, GB/EU, 1959).
(36) Le pont de la rivière Kwaï (David Lean, GB/EU, 1957).
(37) Madame de… (Max Ophuls, France/Allemagne, 1953).
(38) La nuit du chasseur (Charles Laughton, EU/GB, 1955).
(39) Sur les quais/On the Waterfront (Elia Kazan, EU, 1954).
(40) Certains l’aiment chaud (Billy Wilder, EU, 1959).
(41) L’intendant Sansho (Kenji Mizoguchi, Japon, 1954).
(42) Rashomon (Akira Kurosawa, Japon, 1950).
(43) Chantons sous la pluie (Gene Kelly/Stanley Donen, EU, 1952).
(44) Les fraises sauvages (Bergman, Suède, 57).