AQUARELLES (série Sylaos 4) de DIDIER GOESSENS
TEXTES d’ÉRIC ALLARD
J’imagine un tigre.
(…) et je continue
à chercher tout le temps que dure le soir
l’autre tigre, celui qui n’est pas dans le poème.
J.L. Borges
1.
Ta nudité rampe jusqu’à mes lèvres.
J’écrase un juron sur tes seins.
Ta bouche gavée de langues
bave des baisers-venins
Je bats ton torse de caresses
qui pleure dans les chaînes des nerfs.
Grimes, grignes, griffes, grilles…
Panoplie de plaies pour plaire,
pour faire sur ta peau grandir
l’amandier du souvenir.
Troupeau de pumas qui t’abaisse
– fronde de fragrances –
au rang d’une senteur fauve.
2.
Une corde grince au gibet du silence,
tel un violon soucieux
d’ajouter à la sonore décadence
une malhabile note reptile.
Traces effrontées de crimes.
Je décharge mes paroles
sur tes auditives surfaces
mitraillant le coeur du son
de mes balles sans bruit.
Barillet doux de la mémoire.
où se rechargent mes souvenirs.
3.
La confusion des merveilles
atteint son comble
au bord de l’œil qui voit
le visible près de se rompre
en mille éclats sourds.
De tes formes pleines à craquer
de suavités longues, de langues,
je ne saurai que l’eau
qui pluie après pluie
fait grandir ton corps
dans le cerceau de lumière.
Et la limaille de verveine
qui dans le bouquet de tes doigts.
s’ébouillante
aimante la nuit pâle.
4.
Tout le vent peint
en marge des nuages
à la manière des fauves
dessine d’abstraits ouragans
dans les dunes à demeure.
Et ton ventre chargé de mots
comme un ciel troué d’orage
qui bégaie
des bribes de réjouissance
au tonnerre distendu des caresses
réjouit mes textes à venir.
5.
Le verbe salé dissout
dans la mer du livre
sa grammaire musquée.
Celle de tes toisons trempées
dans le soufre
de tes voyelles offertes
à la trouée des tympans.
Quand l’oreille brisée
sur la mer de flammes
répand ses crépitements
je brûle l’amertume
d’un crépuscule borgne.
Des caresses cassées piétinent
au bord d’un volcan
aux allures de feu éclaté.
6.
Au seuil de l’envol
j’accroche une gousse d’ailes
au portail d’un nuage.
Immobilité du lierre,
cris des banderilles
dans la peau taurine des filles.
Pour taire tes droites
apaiser les falaises,
je fais tourner
dans le o bien formé
de ton absolue nudité
un vertige de lèvres.
7.
Ventre disgracié
par la rature d’une clameur.
Astre du dire arraché
à sa constellation de paroles.
Songe en morceaux.
Crapauds du saphyr.
Crachats chiffonnés
dans les plis du souffle.
Je n’ai pas d’autre syntaxe pour dire
le fracas d’une ossature rebelle
à l’argumentaire d’une forme accomplie
baignant dans un lit de moelle,
une armada d’opulences
asservie à la siccité
d’un squelette-roi.
8.
J’ai mis le feu à tes tentes
où s’infusait
dans un désert de tornades
le thé amer de tes jambes.
Sable s’écoulant jusqu’à plus soif
dans le sablier dispendieux du boire.
Serrements de pailles dans les orgies.
Mains de femmes pillant les nues.
Et l’inassouvissement des mers de glace,
l’empreinte stérile des banquises
dans la clairière/tourbière de la solitude
achève de tordre
la serpillière de mes sens.
9.
Dans l’aube lourde et cireuse
de tes chairs pâte levée,
dans la terre chercheuse de gemmes
pour voir
l’entre-deux ébloui du désir
s’émiette l’éclat d’un visage
tard couché sur un lit de semences :
la morsure du blé
soulage les appétits d’espace ;
lueurs d’avoine
sur la route du pain.
10.
Œillade voilée par tes cils
adossée à un couchant vétuste
sur un paysage de pierres fertiles.
Au soir ruisselant
jusqu’au lit moite d’un matin-source
un miroir affable
abandonne sa moisson d’images
aux confins d’un livre embouchure.
Et la gazelle fuit le lieu
de l’abreuvoir
sans avoir frotté sa langue
à l’ocelle d’un regard.
11.
La croix au clou
de la condamnée à l’amour
consacre la sainte suée
à l’odeur de crime
jusqu’à sa dissolution policière
dans les méandres de l’enquête.
Les chapeaux couvrent des forfaits bizarres
commis au nom de sacres à la mode
sur des nymphes écorchées
dans des châteaux de paille
aux douves profondes
où grouillent à jamais des baisers morts
pour de blanches bouches à ressusciter.
12.
Draps mille fois froissés
où se gravent
l’envers de tes rages.
Alliances rompues cent fois
par des dizaines de dagues
aussi lisses qu’un pleur
sur le versant poli d’une paupière.
Cyclope enfouisseur de lampes,
je verse ma peine dans ton ventre.
De tes abysses sourd la lumière:
tous mes fleuves te ressemblent.
13.
Et la gorge de la lune
gémit
au vent fureteur
des chants enfuis
de ses orbites félines
pour les soleils traduire
dans le charabia des griffures.
L’écorce du saule transpire de sanglots.
À l’entame des veines
je dépose une pierre bleue.
De la nuit des lames
jaillit la feria du sang.
Couteaux dans les corps
qui germent.
Larmes qui perdent
leur rondeur.
Festival des sabres.
Duels à n’en plus finir.
14.
Dans les plaines parcourues
de ruisselantes parures,
des théories de haillons
recouvrent l’obsolète
réduisant à la vertu
ta collection de scandales.
Là où des flèches d’iguane
ciblent tes cratères de plaisir
se retient le sang des marées
au bord des météores sauriens.
Love-vaisselle d’étoiles automatiques:
le linge apeuré
renie
la blancheur monstrueuse.
15.
La nuit se consume crue
dans un bain d’ombre chaude.
Du sel escalade
pour une réfractaire étreinte
la montagne de prière de tes hanches.
Par milliers des oiseaux couchent leurs ailes
sous les râles terribles des tigres.
Des raies aussi tentent les terres
à l’heure où il faudrait dormir.
sur la dépouille du veneur.
16.
Tu t’élèves dans l’air de mes songes
au rang d’une divinité nue et qui tombe.
Cercle de nuit noire dans le cendrier du rêveur.
J’écrase un mégot d’étoile morte.
Échouée sur le rivage du sommeil
dans le matin pourri d’un jour promis
au sort
d’un soir titubant et tiède.
Comme le moineau pris entre tes cuisses
qui pépie pour un reste de rougeur
tu opères de tes dents
un morceau de ciel malade.
17.
Je te porte à l’église et je m’endors.
Parfois du fond d’un tabernacle je crie,
faisant front à tes hosties hostiles
mêlée au désordre vineux de ton sexe âcre.
Dans ces rêves détruits,
déduits de mes traîtres espérances,
tu martèles le pourpre du prêtre,
tu joues sous les voûtes
d’étranges mascarades.
Du bout des lèvres tu prends la violette tendre
pour sucer le pourtour du pistil,
l’entourer de ferveurs salines…
Et me tuer dans mon office même.
18.
Des poitrines se dressent
écrémeuses de lait
aux pis caressants et rugueux.
Pures falaises d’opale et de blanc veiné
opposant leur rectitude d’ivoire
aux dents dures des baisers.
Je râpe de mes mains calleuses
les protubérantes aréoles
qui s’émiettent sous mon bec
en graines piquantes de tournesol.
Des vocables déposent
les phonèmes du plaisir
aux creux d’un vallon.
Je dis ce qu’il faut dire.
Je bois ce que tu ingères
à travers la transparence bombée
de tes fiévreuses mamelles.
Je dis ce qu’il faut dire
à l’oiseau-temps quand il faut
que les minutes s’égrènent
de la plus haute branche.
19.
Ton corps épris de plis
se déploie sous mes membres.
Lynx adorés qu’il faudrait occire…
Tes robes flambent dans les pelages.
D’une monnaie de croissant
on tire des pièces de lune.
L’aube dépose ses frondaisons d’argent
entre les cuisses prospères du jour.
Sur des scènes carnassières
tu joues sans costume
des dramaturgies de rapines.
Plus rien à voir dans les bacs à miroirs !
Des condors condamnés à boire le ciel
désaltèrent les trafiquants d’images.
20.
Des lits minés de songes
creusent un sillon de sang
sur tes chairs charbonnées.
Des bulles de nuit pétillent
entre tes jambes fermées
pour inventaire de luxure.
Tu jaillis, je t’achète
pour une poignée de chiens
qui aboient à la lune pure.
Chasse à courir la bête
que tu délivres à l’acmé du plaisir
dans un spasme de reins rageurs.
Couchée sur la place d’armes
enfin tu t’offres aux chasseurs
pour une poignée de poudre blanche.
Qui file dans le ciel en formant
toutes les volutes du repentir.
Tu as dit ce qu’il faut dire.
Tu as fais ce qu’il faut taire.
Sur ton désert plane
Une foule d’yeux précautionneux.