LA CHAMBRE DE JACOB de VIRGINIA WOOLF, une lecture de Jean-Pierre LEGRAND

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Jean-Pierre LEGRAND

La Chambre de Jacob est un roman insolite, perturbant et profondément envoûtant. L’ayant lu peu avant mes vacances, je viens de le relire cédant à l’ appel de ce monde fragmenté qui aurait les mille reflets aléatoires des éclats de verre d’une lanterne magique brisée : la réalité est là mais aussi volatile que la pensée et dont le sens – s’il y en a un – ne peut davantage être anticipé que la direction d’un vol de moucherons, une fin d’après-midi orageuse. Ce roman est le premier de la « veine expérimentale » de Virginia Woolf.

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Dans la lecture que j’en fais, je ressens les différents fragments qui composent ce livre comme autant de plans qui, chacun, pourraient donner naissance à un autre récit et dont l’unité vague qui les relie dérive de cette chambre, lieu géométrique d’une existence largement insaisissable.

Dans l’atmosphère qui pour moi se dégage de cette œuvre, le chapitre d’ouverture prend les allures d’un film muet des débuts du cinéma.

Ce sont les dernières années de la Belle Epoque. Une jeune veuve, Betty Flanders,  séjourne sur les côtes de la Cornouailles en compagnie de ses trois enfants, les aînés Jacob et Archer et le plus jeune qui vient de naître.

Nous sommes à la plage en début d’automne: je visualise cette scène en noir et blanc, à la fois statique et heurtée (comme tout le livre) : Betty est assise sur le sable clair sur lequel elle a étendu en guise de couverture, un manteau sombre. Elle porte un chapeau de paille maintenu par une épingle. Légèrement en retrait un peintre a planté son chevalet et croque la scène. Nous sommes en fin de journée, le temps change : le peintre ajoute sur sa toile une touche de noir au ciel. Archer déboule : apeuré et triste, il cherche son frère : « Ja-Cob !Ja-–Cob ! ».

Betty se lève, secoue le sable de son manteau, ramasse son ombrelle noire. On retrouve Jacob plus loin dans les dunes. Dans son sceau de plage, dans un fond d’eau, de sable et de débris de coquillage, un crabe aux mouvements lents. Dans son autre main, Jacob tient une mâchoire de mouton comme polie par le sable : toute blanche et plantée de dents jaunes. La famille rentre dans le petit cottage tout proche. Le soir, le vent s’est levé. La pluie frappe les vitres et dehors dans le jardin, dans le petit sceau d’enfant à moitié rempli par la pluie, le crabe tourne en rond, essaye d’en escalader le bord abrupt, « essayant de nouveau puis retombant, et essayant encore et encore ».

Fin du premier plan. La vie de Jacob peut commencer. Nous le suivons à Cambridge, puis dans les différents lieux de son occupation dans Londres mais toujours dans cette chambre dont il déménage plusieurs fois mais où l’accompagnent une table ronde et deux fauteuils bas en osier, bon nombre de livres et cette mâchoire de mouton, souvenir d’enfance et symbole de mort.

De Jacob, le roman, comme la vie de chacun de nous, dévoile peu et beaucoup à la fois. Nous savons qu’il est grand, bien bâti mais d’une constitution qui l’âge venant pourrait le porter à l’embonpoint ; que bien qu’il ait l’air très distingué, tous – mais surtout les femmes – le jugent terriblement gauche. Son rapport aux femmes entremêle passion, indifférence, connivence intellectuelle, brusquerie et penchant pour les liaisons tarifées. Son meilleur ami est un homosexuel : une amitié fidèle mais peu expansive et comme incompréhensible à l’un comme à l’autre les unit jusqu’au bout.

Personnage principal du roman, Jacob est donc largement insaisissable. Il illustre de manière exemplaire une forme d’incommunicabilité ressentie très profondément par Virginia Woolf. Nous sommes tous comme ces voyageurs de l’impériale qu’elle décrit. Ils peuvent seulement se dévisager un instant avant de se perdre, parfois pour toujours.

« Mr Spalding regarda Mr Charles Budgeon. (…) Chacun avait ses propres soucis en tête . Chacun avait en lui son passé enfermé comme les feuilles d’un livre qu’il connaissait par cœur ; et ses amis ne pouvaient lire que le titre, James Spalding ou Charles Budgeon, et les passagers allant dans la direction opposée ne pouvaient rien lire du tout – sauf « un homme avec une moustache rousse », « un jeune homme en gris fumant la pipe ». (…) Le petit Johnnie Sturgeon dégringola l’escalier (…) et courant en zigzag pour esquiver les roues, il atteignit le trottoir, se mit à siffler un air et fut bientôt perdu de vue, pour toujours. »

Jacob tombe plusieurs fois amoureux. Toutefois les sentiments ne semblent pas être son fort ; en tout cas nous n’y avons pas accès. Vu à la dérobée, « Jacob a l’air paisible, non pas indifférent mais semblable à quelqu’un sur une plage, l’œil observateur ». Précisément, dans ce roman, le lecteur se fait un peu l’impression d’être sur une plage un beau jour de juillet. Il fait beau, vous fermez les yeux : vous êtes comme isolé au cœur même de la multitude. Le murmure de la mer, les appels des marchands ambulants, les sonneries de trompe des sauveteurs, les cris des jeunes filles, et tout près des bribes de phrases qui vous parviennent, incomplètes, dépourvues de leur sens global mais très claires par la magie de l’air. Ainsi dans ce roman, aucun dialogue n’est véritablement mené à son terme: subsistent seulement les traces d’un échange déjà éternel puisque rien ne fera qu’il n’ait pas eu lieu, mais comme fossilisé dans un temps évanescent, impossible à reconstituer dans sa mobilité et sa spontanéité. Virginia Woolf se fait l’écho d’un monde dont le sens (d’ailleurs sans réel intérêt) se perd dans la profusion de sa polyphonie. Tous les plans du roman s’ouvrent les uns sur les autres, sans unité autre parfois que ce lieu où réside Jacob. Comme si ce monde disparate et en expansion ne cessait jamais « d’avoir pour centre, pour pierre d’aimant, un jeune homme seul dans sa chambre »..

Peu avant sa mobilisation pour la Grande Guerre, dont, comme le jeune frère tendrement aimé de Virginia Woolf, il ne reviendra pas, Jacob entreprend un long périple qui doit le mener à Rome puis à Athènes et son Parthénon, « stupéfiant de calme silencieux, si puissant que, loin d’être délabré, il semble au contraire, devoir survivre au monde tout entier ». Il y a quelque chose qui fait songer à Hypérion dans ce retour aux sources en cette patrie des patries, à la veille de l’embrasement général.

Jacob ne reviendra pas des Flandres. Il sera tué dans les premiers jours de la guerre. Pour peu de temps encore cette chambre que ses proches sont venus ouvrir, gardera sa trace comme lorsqu’il partait en voyage.

« L’air languit dans une chambre vide à peine fait-il se gonfler le rideau ; les fleurs dans un pot bougent. Une fibre du fauteuil d’osier craque, bien que personne n’y soit assis ».

Le livre sur le site de Folio/Gallimard

VIRGINIA WOOLF chez Gallimard

APRÈS LA NUIT APRÈS de THIERRY RADIÈRE (Éd. Alcyone)

La lessive après le grand sommeil

Dans ses Manifestes du surréalisme, si Breton donne un mode d’emploi pour « capter les forces que recèlent les profondeurs de notre esprit » afin de « résoudre les questions fondamentales de la vie », il ne précise pas le moment idéal pour pratiquer l’écriture surréaliste. Après le réveil, entre sommeil et veille, suggère ce nouveau recueil singulier de Thierry Radière composé de 65 phrases-textes.

tout ce remue-ménage de la première heure s’impose autour des corps endormis comme dans un film muet

L’état hypnopompique, apprend-on par ailleurs à ce sujet, est un état de conscience qui se produit au moment du réveil. L’opposé, plus connu, étant l’état hypnagogigque qui se produit à l’endormissement.

Les ombres arrivent à leur terme et c’est toujours très lent de sentir leur disparition

Ces poèmes hypnopompiques, comme on pourrait donc les qualifier, peuvent traduire cet état de réveil encore indexé au rêve nocturne et qui tente de se connecter au monde réel. Persistance du rêve dans  le jour naissant, mêlé aux premiers faits du jour.

Apprendre à fermer les yeux en restant le plus vivant du monde

C’est moins ici l’inconscient, avec son fond trouble et indiscernable, qui est visé que les pensées préconscientes, non encore sous l’emprise du réel.

Les rêves sont des souvenirs d’une autre vie que l’on bricole à la lumière à peine ouverte

On est dans un lieu temporel de l’entre-deux, là où on ne sait pas encore par quel bout prendre le jour, là où les messages qui filtrent encore d’un fond de sommeil, les bribes de rêve dont on se souvient se mêlent aux réminiscences de même qu’aux appréhensions face aux obligations auxquelles nous contraint toute vie socialisée.

C’est cet instant-là entre deux nuit où le jour est court

Ce temps intermédiaire, sas entre la nuit et le rêve, appelait un lieu littéraire de l’entre-deux qui marque la faille, l’espace frontalier : cette phrase qui court sur plusieurs lignes et qui s’apparente à un paragraphe.

La phrase peut se lire ici comme un consensus entre le poème (en vers, domaine de la nuit) et le texte narratif (en prose, domaine du jour). C’est un peu, comme le suggère Radière hors-texte, le lieu où le poème est avide de raconter une histoire. Mais le poétique retient le fictionnel et le factuel de s’élaborer en récit; récit qui, à son tour, génère du poétique… L’après la nuit après du titre peut aussi indiquer que la chronologie a été suspendue, qu’on se trouve dans un espace atemporel où la ligne du temps arrêtée orchestre tous les instants donnés. Le rêve nocturne possède un fil narratif, certes, décousu ou invraisemblable ; le rêve ou songe éveillé, non.

C’est comme si le travail du rêve avait évacué la mémoire à court terme, celle du jour d’avant, pour laisser place à celle à long terme qui pousse jusqu’à l’enfance voire installe une manière de mémoire collective, de souvenir collectif.

Ainsi, chaque phrase peut se lire comme un texte oscillant entre poème et récit muni d’une charge poétique inversement proportionnelle à sa raison narrative. Et en cela unique, produisant des courts-circuits littéraires vifs, riches en visions inédites par l’éloignement sémantique des termes qu’elle met en rapport en mariant le prosaïque et la grâce, l’anecdotique et l’universel.

La phrase polyphonique fait entendre plusieurs voix, plusieurs thèmes, plusieurs fils narratifs ou sémantiques, récurrents d’une phrase à l’autre un peu à la façon d’une tresse. Texte, tissu, tresse, c’est la même chose, écrit Barthes.

Des thèmes qui empruntent au voyage en voiture, au déplacement à vélo, au repas, à la nage, au monde de l’enfance, à mi-chemin de la douleur, de la mélancolie et de la paix intérieure.

La nuit passée en apnée, le prisonnier des visions le sursitaire du quotidien fait sa lessive après le grand sommeil, le lavage des nerfs…

Une phrase, un matin.

À la fin de chaque phrase-poème, le jour est là qui nous attend, forcément dur (C’est ce qui fait durcir l’existence à la rendre jour après jour prête à se cogner en évitant les bleus), au tournant de la vie journalière.

La journée sera semblable à celles déjà passées où les liens entre les sens ont permis aux passerelles de s’allonger

Avant l’épreuve du jour, il faut faire provision de soi, puiser au plus profond de quoi affronter la vie diurne, avec son besoin de logique excessive qui, sans le contrepoids des mots sortis de la nuit, serait insupportable pour l’âme poétique. Il faut écrire comme on rêve pour composer avec les forces du réel.

Cette phrase radierienne vient qui plus est aujourd’hui au confluent de plusieurs lignes d’écriture que pratique l’auteur, allant de l’autofiction à la poésie en passant par la nouvelle ou l’essai.

Un soir, à moitié endormi, écrit Roland Barthes dans Le Plaisir du texte, il est comme assailli par des langages qui entrent dans son écoute (musiques, conversations, bruits de chaises etc.) auquel répond une « parole intérieure » : en moi passaient les mots, les menus syntagmes, les bouts de formules et aucune phrase ne se formait, comme si c’eût été la loi de ce langage-là. Pour lui, c’est une non-phrase, qui aurait été à la place de la phrase dont il précise ensuite que, toujours, elle est hiérarchique, impliquant des sujétions et subordinations. De là, son achèvement

Ce que fait Radière ici avec sensiblement le même matériau et placé dans des conditions proches, c’est produire une phrase mais non hiérarchisée, pour ainsi dire anarchique, dont les éléments de sujétion (les signes de ponctuation et les verbes dominants) seraient éliminés de façon à ce que fragments de souvenirs, bribes de rêve, esquisse de faits, embryons de pensée, inflexions poétiques… jouent à plein et à égalité à l’intérieur de la phrase, autorisant toute les mises en relation, toutes les visions possibles.

Après cette mise en bouche, il ne reste plus qu’à goûter ces poèmes, à les lire et relire, selon son humeur et chacun à son rythme comme le préconise l’auteur, pour en tirer toutes les saveurs comme au commencement d’un jour…

Éric ALLARD  

EXTRAIT 1

Les gouttières ne retiennent plus l’eau du toit : elle coule coule et ruisselle jusque dans la cave pendant que le café en train de passer est un rêve au mauvais temps n’attendant  qu’une seule chose fumer dans le matin  les bols ouverts en toute liberté tombe la pluie tombe déborde de lait la vie se noie  dans des images ou les étages se font et se défont au gré des crues à prévoir au ciel à trouer des réservoirs à remplir à piper les voitures pleines d’essence jusque dans les voitures pleines d’essence jusque dans la bouche et avoir une maison à retenir pour soi.

EXTRAIT 2

Au temps des pommiers  près de la grange où le cidre avait un goût de guêpes les gosiers des hommes ne piquaient pas ils gonflaient de plus en plus le soleil fort dans la peau la rougeur de la soif les dards du bonheur.

EXTRAIT 3

Une brindille flotte isolée  que les enfants regardent  dans la mare elle avance ils voudraient poser leurs doigts qu’elle aille où ils n’iront jamais la tête hors de l’eau et les idées pas aussi légères le vent dans les cheveux que  le flottement du bois n’a pas.

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Thierry RADIÈRE, photo Yvon Kervinio

Le recueil sur le site des Editions ALCYONE + une lecture de quelques textes par Silvaine ARABO à ne pas manquer

Sans botox ni silicone, le BLOG très vivant de THIERRY RADIÈRE

VOYAGE EN PAYS D’ÉCRITURE de MICHEL JOIRET en collaboration avec NOËLLE LANS, une lecture de Philippe LEUCKX

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Philippe LEUCKX

Ce gros ouvrage aux hautes pages – et bien tassées -, conçu sur la base de nombre de voyages culturels à la découverte de la littérature francophone, organisés par Michel Joiret et l’équipe de la revue « Le Non-Dit » en France sur un laps de temps assez long – de 1999 à 2017, offre à l’amateur des grandes figures littéraires françaises une matière sensible, copieuse et référencée.

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Rien que de grands noms (Rousseau, Proust, Colette, Cocteau, Carco, Duras…) donnés à (re)lire à partir de rencontres, de décodages des thèmes et des lieux d’écriture (maisons des écrivains, terreau socio-culturel…) : de quoi satisfaire aussi toutes les générations, diverses écoles et écritures littéraires, différentes époques selon une chronologie qui a l’avantage d’un éclectisme éclairé. La littérature, certes, a l’apanage d’une offre tous azimuts : accoler Sand et Duras ou Loti et Cendrars, pourquoi pas au fond?

Proust, Colette, bien sûr, et de nombreuses pages montrent à l’envi l’inépuisable chez ces auteurs de la même génération, qui ont régalé tant de lecteurs !

On n’en finira jamais d’énoncer la richesse (sensuelle, thématique, poétique, sociologique) de ces deux oeuvres, dues à des romancier(e)s issus du plus profond de la terre, quelle que soit l’origine de cet attachement. Colette, en Puisaye; Proust, pour des vacances à Illiers; tous deux ont compris l’importance d’évoquer ces figures ancrées dans le passé : autrement, comment saisir ce Combray immémorial ou cette Sido pourvoyeuse à sa fille d’un contact privilégié avec la nature?

L’essai collectif (de nombreuses plumes ont fourni aux deux auteurs une aide précieuse : citons Joseph Bodson, Jean Lacroix, Max Vilain, Jacques Goyens…) révèle aussi des parcours un peu plus oubliés : remettre à l’honneur l’excellent Mac Orlan, le devancier proustien René Boylesve, sert la bonne littérature, puisque tant d’oeuvres demandent à être relues et parfois réévaluées.

De nombreuses photos illustrent ce « voyage en pays d’écriture »; les grilles d’analyse proposées ont cet intérêt didactique bienvenu.

Un ouvrage qui devrait figurer dans toutes les bibliothèques belges et françaises. Les écrivains belges ont même droit à un chapitre, s’ils ont vécu en France (Bauchau, Simenon, Bologne etc.)

Michel Joiret, Noëlle Lans et alii, Voyage en pays d’écriture, éd. M.E.O, 2017, 500p., 25€. Préface de Pierre Mertens.

Le livre (+ ce qu’on en a dit) sur le site des Editions M.E.O. 

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LE SENS DE L’HISTOIRE & autres poèmes intempestifs

Il y a un temps de l’oeil 

qui cesser de regarder vers l’avant ou l’arrière

et se repose en soi. 

Roberto JUARROZ

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LE SENS DE L’HISTOIRE

 

J’aime quand ta pile

de livres s’effondrent

sous l’orage

 

Cela fait des gouttelettes

de lettres à lécher

sur ta peau page

 

Dans l’éclair

que font les mots

sur le sens de l’histoire

 

Je devine

le corps nu

de ton texte foudroyé

 

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L’OMBRE D’UN COUTEAU

 

Le vent sur ta peau

dessine des balafres d’air

que je suis seul à voir

quand je recueille des séismes

sur l’échelle de tes nuits

 

Cette fois le fer est fier

de marquer le feu

avec ta langue

sur les lèvres du jour

à peine forgé

 

Sans décevoir l’ennui

découpé sur la langue

dans la  forme du mensonge

 

Je m’achemine

vers ton ventre

avec l’ombre d’un couteau

 

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LE LIN DE TA ROBE

 

À l’ombre d’une arête

un narval vomit

la mer

dans le ras-le-bol

d’une île morte

 

Un pécheur

atteint de silence

murmure le nom

d’un vin rare

à l’oreille de la nuit

 

Je me rappelle

le temps

où le lin de ta robe

avait des choses

à me dire

 

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LE VOLEUR DE VENT

 

Le voleur  de vent

guette

les herbes folles

 

En courant

vers l’infini

je tombe sur une étoile

 

À demi frappée

par l’obscurité

une fleur s’éveille

 

Sous le fleuve

retourné

des eaux grouillent

 

Une plage

éponge le sable

de la mer

 

Je vois derrière la vitre

de ma vie

ton ombre passer

 

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ENTRE DEUX REGARDS

 

Feuilles faisant office

de flamme

et ta peau qui brûle

entre les pages

de l’herbier

 

Feux de broussaille

sur tes lèvres

bues à la paille

entre deux baisers

du vent

 

Fenêtres ouvertes

sur l’envol

d’une pensée

entre deux regards

enflammés

 

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LE POÈME

 

Vivre ou ne pas vivre

derrière la fenêtre

où ton ombre a surgi

 

Marquer d’une voix blanche

les lèvres qui prononcent

le mot à peine dicible

 

Marcher jusqu’à l’oubli

le long d’un souvenir

donnant sur l’espace passé

 

Masquer la face du temps

d’une grimace aussi large

qu’une vie

 

Lire ou ne pas lire

derrière la fenêtre

où ton enfance a surgi

 

le poème de l’univers

 

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LA TOURTERELLE RIEUSE

 

Quand le chat huant hulule
et que le héron hue
Quand le faucon maltais huit (et demi)
et que l’hirondelle des fenêtres truissotte

Quand le goéland argenté raille
et que la colombe de la paix roucoule
Quand l’épervier tiraille
et que l’alouette des champs tire-lire

Quand la caille cacabe
et que la cigogne claquette
Quand le corbeau coraille
et que la corneille corbine

Quand la mésange charbonnière titine
et que le pipit des arbres turlute
Quand le coq chante comme un rossignol
que que le paon braille comme un âne

La tourterelle des bois rit comme une bécasse
qui aurait bu de l’alcool de plume
au volant d’un vieux coucou
piquant du nez dans la mare aux canards

 

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JE NE SUIS PAS BIZARRE

 

Je ne suis pas bizarre
j’ai juste l’impression
que ma vie ne va pas durer
plus longtemps qu’une vie

Je ne suis pas bizarre
j’ai juste le sentiment
que l’été va conduire l’hiver
à souffler les bougies du soleil

Je ne suis pas bizarre
j’ai juste l’envie d’aimer
chaque goutte de pluie
avant de traverser les nuages

Je ne suis pas bizarre
j’ai juste raison de penser
que les femmes se fardent
pour qu’on ne voie pas leur beauté

Je ne suis pas bizarre
j’ai juste le souci de ne pas mourir
avant d’avoir exprimé tout mon jus
sans qu’on me juge trop coulant

Je ne suis pas bizarre
j’ai juste le désir
de voir mes enfants grandir
et me dépasser en bonté

Je ne suis pas bizarre
j’ai juste la maladie de l’enfance
que je garde comme un fou
au coeur de l’espérance

 

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UN POULPE AFFAMÉ

 

Par où revenir

quand le jour

nous a laissés

sur la grève

en panne sèche de nuit

 

Marcher jusqu’à plus soif

dans l’île déserte

jusqu’à l’aurore

d’une larme

vaste comme la mer

 

Aboyer aux étoiles

pour un os de lune

à moitié rongé

par un poulpe

affamé de lumière

 

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LES LAMPES ÉTEINTES

 

Les lampes éteintes

j’étreins l’étoile dans le noir

et mon cœur déborde

jusqu’à partir loin

au-delà de la mémoire

 

Les lampes éteintes

je retiens mon corps

de verser

dans l’aumônière du temps

sa maigre pitance

 

Les lampes éteintes

je reviens à la seconde

où le monde m’a quitté

faut-il alors rallumer

les lumières de l’enfance ?

 

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Textes d’Éric Allard

Peintures de Georgia O’Keeffe (1887-1986)

2018 – RENTRÉE LITTÉRAIRE au DILETTANTE: LA DÈCHE, une chronique de Denis BILLAMBOZ

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Denis BILLAMBOZ

Les vacances se conjuguent déjà au passé pour beaucoup, pour les autres elles tirent à leur fin et la rentrée littéraire est déjà là. Le Dilettante publie ce 22 août deux ouvrages qui évoquent tous les deux la traversée du désert, la dèche, qu’il faut affronter avec plus ou moins de chance mais toujours avec une bonne de dose de responsabilité. Un dandy s’est ruiné en flambant sa fortune pour paraître et une fliquette a cru qu’elle se construirait un paradis artificiel en trafiquant les substances qui la faisaient rêver. Deux livres, deux itinéraires chaotiques et peut-être pas la même issue…

 

BABYONE EXPRESS

Mathilde-Marie de Malfilâtre

Le Dilettante

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Luna de Pâris c’est comme ça qu’on l’appelle dans les grandes sauteries des bobos parisiens friqués, la fourgueuse de la meilleure herbe et de bien d‘autres choses encore, l’aphrodite des partouzes les plus huppées, l’égérie des junkies les plus décrépis. L’Alice au pays des merveilles artificielles, des paradis factices, le petite fliquette qui est passée de l’autre côté du miroir.

« C’est l’ironie du sort. D’être flic et de tomber amoureuse d’un voyou. Celui-là même que l’on devait traquer. Je suis bel et bien en train de basculer de l’autre côté du miroir. »

Avant de devenir Luna, elle était la fille d’une famille de petits nobliaux normands désargentés depuis longtemps, elle voulait, par tradition familiale, sauver la patrie en s’engageant dans les services secrets.

« On m’appelle lieutenante, et j’occupe le poste d’analyste politique et rédactrice au bureau de la lutte antiterro. ».

Mais, il peut arriver que Diane tombe amoureuse du beau cerf et celle qui n’était pas encore Luna, simplement un petite fliquette promise à un bel avenir, tombe amoureuse d’un dealer de haut vol, rejeton de l’aristocratie italienne en train de paumer les thunes qui lui restent. Prince la drague, commercial de pointe en matière de drogue, il ne met pas longtemps à enflammer les jupons de la belle en uniforme.

Leur association débouche vite sur la grande et belle idée qui a germé dans tant de têtes enfiévrées par un quelconque psychotrope : et si on vendait de la drogue aux autres ? Le Détroit de Gibraltar, Rubicon du hachis, est vite franchi, le trafic est sécurisé à l’intérieur même de la caserne de la rue de Babylone, là où bosse la belle dealeuse. « Babylone Express », devient vite rentable, très rentable, à tel point que la petite lieutenante abandonne le job qu’elle détestait de plus en plus, moins le job que les collègues. Elle ne croit plus en sa mission, elle pense que ceux qui ont le pouvoir sont tous pourris.

« Parfois, je me demande si l’Etat, ce n’est pas le crime organisé légalisé. Et puis je ne crois pas aux révolutions, la nature de l’homme, elle, reste ce qu’elle est. Le pouvoir ça pourrit tout. »

Elle s’était juré de ne pas franchir certaines limites, de ne pas toucher à certains produits, même si elle les vendait elle-même, de limiter sa consommation, de ne pas baiser avec n’importe qui, mais la drogue c’est comme le jeu, fait pour risquer toujours plus, aller toujours plus loin. Et, après des folles années de fêtes enflammées à Paris, à Marrakech, à Berlin, à Amsterdam…, de délires hallucinés, de frissons de la peur de se faire prendre, les premiers signes de la désescalade se manifestent et l’atterrissage n’est pas forcément celui qu’elle a prévu.

Ce texte trépidant, speed, écrit comme à la Kalachnikov, dans un vocabulaire très contemporain, populaire, jeune mais jeune très branché dans le milieu des stups, un langage qu’il faut parfois décoder mais un langage qui entraîne le lecteur dans la vitesse de son écriture et dans le vol plané de l’auteure sur les ailles de ses hallucinations. La jeune fille de bonne famille, qu’elle pense toujours être restée, explique comment elle est passée du rôle de chasseresse à celui de gibier. Elle n’est pas née dans le monde qu’elle aurait souhaité habiter, elle n’a même plus l’espoir qu’avait des rebelles nés avant elle.

« J’aime beaucoup les auteurs de la Beat Generation, d’ailleurs. Eux, ils avaient du taf, le sexe libre et les acides de la Madone. De quoi être béat, en effet. Nous on a le sida, le RSA et des profs de merde. On est la Shit Generation. ».

Alors la meilleure solution c’est l’évasion, l’envol vers un autre monde sur les ailes des délires artificiels.

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Mathilde-Marie de Malfilâtre

Et malgré cette descente infernale dans la spirale de la drogue et de tout ce qui l’entoure, ces jeunes donnent des conseils aux citoyens pour qu’ils contribuent à ce que le monde tourne mieux. C’est très étonnant d’entendre ceux qui vendent les produits parmi les plus toxiques de la planète, faire l’apologie du bio, du vegan, et de toutes les manières de s’alimenter pour conserver la meilleure santé possible. La drogue ça conduit à bien des excès, y compris de langage ! Je ne connais pas cette jeune auteure, je ne sais pas si elle a conservé son job, je sais seulement qu’elle a écrit un livre qui interpelle et fait vibrer, mais j’ai l’impression que dans ce livre, elle a mis pas mal de provocation pour démontrer que la drogue n’est pas une solution même si on peut le laisser penser après un usage à très court terme.

J’ai retenu cette interpellation très violente qui démontrent bien le désespoir dans lequel vit une partie de notre jeunesse, celle qui est tentée par les abus en tout genre et l’évasion vers les substances hallucinogènes, cette invitation, cette injonction adressée aux citoyens pour qu’ils prennent leur sort en main et cesse de s’abandonner au désir et bon vouloir des faiseurs de fric et obsédés du pouvoir.

« N’oublie jamais que c’est toi qui as le pouvoir de faire changer les choses. Oui, toi, connard. Par chacun de tes actes, de tes choix et de tes achats, tu peux faire de ce monde autre chose que ce qu’il est. Alors réveille-toi gentiment, hein, ducon ».

Oui, Mathilde-Marie, sur cette voie, je te suivrai !

Le livre sur le site de l’éditeur

 

JOURS DE DÈCHE

Didier Delome

Le Dilettante

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Il le sait depuis longtemps, ça devait finir comme ça. Le cortège des expulseurs va débarquer dans sa galerie pour le mettre définitivement dehors avec ses animaux. Il ne veut pas leur offrir ce plaisir, il va organiser sa sortie de chez lui et de ce monde. Il prépare minutieusement son suicide mais comme trop souvent dans sa vie, il le rate. Perdant il est, perdant il restera même à l’approche de sa mort. Il était galériste, dandy flambeur, possédait un vaste loft où il exposait les œuvres qu’il voulait vendre, laissait vivre sa ménagerie personnelle : des chats, des chiens et cinq perroquets, et habitait personnellement. La vie était belle, il ne comptait pas, il a progressivement décliné jusqu’à crouler sous les dettes après avoir utilisé toutes les ficelles, tous les artifices, toutes les astuces plus ou moins honnêtes pour calmer ses créanciers. Il est arrivé au bout de sa vie de galeriste flambeur, il a raté sa sortie, il doit abandonner ses animaux chéris faire face à son avenir.

Son avenir n’est pas si noir qu’il le croyait, une petite lueur brille encore au bout de son chemin, une certaine Madame M, une fonctionnaire des services sociaux convaincue qu’il pourra s’en sortir si elle lui donne le coup de pouce nécessaire à l’installation dans une nouvelle vie. Pour commencer, elle lui trouve une chambre d’hôtel payée grâce à diverses aides mais pour huit jours seulement. Huit jours qu’elle renouvellera de très nombreuses fois en se faufilant dans le maquis des aides sociales. Mais les aides ne sont pas éternelles même si elles peuvent durer un bon bout de temps. Il faut qu’il trouve un travail et, là encore, la « bonne fée » se démène comme une diablesse pour lui trouver des stages, des formations, des entretiens d’embauche mais rien n’y fait, personne ne veut d’un bientôt soixantenaire asthmatique et enveloppé. Il n’a pas envie non plus de travailler pour un autre, lui qui a toujours été son seul maître. Il a une autre idée…

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Didier Delome

L’éditeur écrit que « Didier Delome raconte ses jours de dèche », je veux bien le croire, je ne connais pas ce personnage. Ces jours de dèche l’ont ramené au rudiment de la vie, au stricte nécessaire de l’existence même si, grâce à la « bonne fée », il n’a jamais connu la rue. C’est la dèche mais pas la galère destructive que beaucoup d’autres ont connue. Cette nouvelle façon de vivre avec pour seule préoccupation de dépenser le moins possible pour pouvoir manger encore le lendemain, lui permet de découvrir la ville autrement. Il fait de longues balades, découvre des coins charmants et agréables qu’il n’avait même jamais remarqués auparavant.

« … je m’arrête dans un square ravissant rue de Bretagne, devant lequel je passais avant des millions de fois sans jamais y prêter attention ni m’y arrêter. Aujourd’hui j’apprécie de m’y reposer à l’ombre … »

Il découvre surtout qu’on peut vivre sans aucune pression, sans le souci de paraître, de gagner beaucoup d’argent, d’épater la galerie, ses alentours et la ville entière.

« Une nouvelle vie commence pour moi ; bien plus prometteuse que ce je viens de connaître ces derniers mois si déprimants … ».

Il redécouvre les valeurs élémentaires de la vie, « Je me réhabitue aux joies infimes de l’existence », d’autant plus qu’il a eu une bonne idée : écrire ses pérégrinations dans le maquis de l’administration pour bénéficier des aides sociales tellement vantées par les politiciens et dans cet autre encore plus touffu de la recherche d’un emploi. L’idée est bonne mais il lui faudra aussi se faufiler dans le maquis de l’édition pour trouver un bon éditeur. Mais cela est une autre histoire que Didier écrira peut-être un jour… ? Le passage par la case redémarrage à zéro est parfois salutaire et salvateur.

Le livre sur le site de l’éditeur

LE PRÉSENT D’INCERTITUDE de HENRY BAUCHAU, une lecture de Jean-Pierre LEGRAND

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Jean-Pierre LEGRAND

J’ai croisé Henry Bauchau il y a plus de dix ans au café Métropole, place de Brouckère, à Bruxelles. C’était déjà un très vieux monsieur, très émacié à la fois par l’âge et une ascèse qui avait toujours été la sienne. Il émanait de lui une indicible faiblesse démentie par un regard vif, mélange à la fois de volonté inflexible et de bienveillance.

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Je retrouve un peu de tout cela dans « Le Présent d’incertitude » le beau journal qu’Henry Bauchau a écrit au cours des années 2002-2005.

Ecrite dans un style épuré de tout effet convenu, la phrase de Bauchau est une invitation à la promenade ; le pas est tranquille, on respire, on goûte toutes les inflexions de la langue.

De nombreuses entrées sont possibles : écrivant au rythme de la vie qui passe, Bauchau évoque la difficulté de l’œuvre à faire, la fatigue de l’âge faite des limitations croissantes de la vieillesse et de la disparition de « l’allégresse du corps ». C’est qu’en effet, Henry Bauchau a alors quatre-vingt-dix ans. Mais n’allez pas croire qu’à ses yeux, la vieillesse n’est que naufrage. Non, l’âge s’accompagne d’une perte, mais ce qui est perdu nous accorde en compensation une plus grande paix intérieure : la disparition des choix qui parfois nous crucifiaient plus jeunes fait place à une plus grande concentration sur l’essentiel, la voie tracée qu’il faut continuer en l’approfondissant, la transfiguration que nous apporte encore toute beauté à notre portée. Le grand âge fait peur mais toute la vie est ainsi faite à qui en saisit l’enjeu qui est de ne jamais cessé de naître :

Aux deux extrémités du parcours

C’est la douleur de naître la plus déchirante

Et qui dure et s’oppose à la peur que nous avons de mourir.

(Louis-René des Forêts)

Mais chez ce très vieil homme une chose touchante demeure encore : le plaisir de la rencontre, de l’amitié qui survit à toutes les vicissitudes. Il y a bien entendu cette amitié pleine de tendresse qui le lie à un écrivain comme Nancy Huston mais fait plus rare cher un homme de cet âge, un goût pour la magie de l’inattendu. Henry Bauchau nous raconte ainsi la venue impromptue dans sa maison de campagne de Louvecienne d’un chanteur basque. L’homme, de fière allure, lui dit avoir été frappé à la lecture de « Œdipe sur la route » par le chant d’Alcyon, « composé uniquement de voyelles et de sons, célébrant la montagne, le ciel, les eaux la vie des troupeaux. Il m’a dit que les bergers pyrénéens dont il a recueilli les chants, chantent toujours ainsi, trouvant le sens sans passer par le langage. Nous avons sympathisé par la parole, aussi par le silence. La prochaine fois, m’a-t-il dit, je chanterai ». J’espère beaucoup de cette rencontre heureuse et inattendue conclut Bauchau .

Mais « une présence faite d’ombre et/de lumière infuse chaque heure qui passe « : l’épouse adorée, Laure Bauchau, décédée quelques années plus tôt. En petites touches sensibles et toujours très pudiques le romancier l’évoque : elle en devient l’occurrence principale de ce journal. De ces lignes sincères transparaissent les difficultés traversées mais aussi la joie de la complétude. Ces pages sont sans doute les plus touchantes de l’œuvre, comme l’est toujours l’évocation d’un bonheur disparu, dont la souffrance qu’elle provoque est le prix de retrouvailles sans cesse renouvelées.

Au final, dans ce journal Bauchau s’approprie ce serment poignant que se fait Hypérion dans l’œuvre éponyme d’Hölderlin :

« Je veux être fort, ne plus rien me dissimuler et d’entre tous mes bonheurs arracher à la tombe, le plus heureux ».

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Le livre sur le site d’ACTES SUD

HENRI BAUCHAU chez ACTES SUD

2018 – LECTURES DE VACANCES : MOTS CONTRE MAUX, par Denis BILLAMBOZ

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Denis BILLAMBOZ

C’est une chronique un peu particulière que je vous propose aujourd’hui, les trois recueils de poésie que j’ai réunis tout naturellement sont les trois tomes d’une somme de poèmes imprimés mais non publiés. Ces poèmes ont été écrits par Martine, une femme souffrant d’une maladie invalidante qui a choisi de se battre avec ses armes. Elle n’a pas fait d’études littéraires mais elle a une vraie sensibilité poétique et elle possède excellemment la langue française et l’art de la versification. Elle dit sans fausse pudeur mais sans exhibitionnisme non plus sa souffrance, son désespoir, sa lutte, le regard des autres mais aussi son mal à vivre dans un monde qui ne respecte pas plus les êtres que la nature. Elle ne cherche ni fortune ni gloire, elle voudrait seulement que ses messages soient lus. Avis aux éditeurs qui passeront par là.

 

LES BORNES DU TEMPS – LA RÉVOLTE EXPULSÉE

Martine BORES

Inédit

« Dans un coup de tonnerre

Au cœur de la forêt

Un mal fourbe et secret

Me terrassa les nerfs »

Comme le confie cet incipit, Martine est affectées d’une maladie invalidante, elle dépeint dans une courte introduction le brutal changement qui a affecté sa vie.

« Tout commence avec l’irruption brutale d’une maladie fourbe et intraitable. Progressivement, le mal gagne du terrain. Le corps résiste comme il peut, mais le mal est puissant. C’est là que l’esprit met la main à la pâte en malaxant les mots qui nourriront son moral… »

Elle ne s’est pas écroulée, elle a choisi de lutter contre son mal avec ses meilleures armes : les mots.

« Ne pas baisser les bras, inventer des projets

Alimenter l’esprit, ne pas laisser figer

Un rêve d’avenir un espoir intangible

D’enfin réconcilier impossible et possible. »

Et les mots pour Martine, c’est la poésie qu’elle écrit avec une réelle virtuosité, Elle n’a rien appris de cet art, elle a les mots et l’art de les accommoder en elle. Elle m’a confié : « Au début, mes écrits m’ont juste permis de survivre. Ensuite, j’ai ressenti le besoin d’exprimer tout ce qui me touchait. Je ne sais pas écrire, Ce sont justes des instantanés, des touches d’émotion plaquées par mon cœur. » Ces quelques mots très émouvants montrent sa très grande sensibilité et sa volonté de ne traduire que des émotions, des instantanés, des images, des sensations qui affectent son quotidiens ou l’avenir qu’elle essaie de concevoir.

Au début, c’est à la compassion que j’ai cédé, comment accepter cette maladie qui enferme ceux qui en sont affectés, dans un piège infernal ?

« Comme un chat qui s’amuse avec une souris

En retardant le temps de sa fin salutaire

Certaines maladies condamnent à la vie

Ceux qui doivent payer leur lourd tribut sur terre. »

Et puis vient l’admiration devant le courage de cette femme qui refuse de baisser les bras et lutte avec ce qu’elle a de meilleur en elle, en l’occurrence les mots qu’elle aligne dans des vers de belle qualité, des vers qui sonnent jusqu’au fond des cœurs et des tripes. Mais il ne faut pas réduire ce recueil à une lutte contre la maladie même si ce combat est fort émouvant et que je compatis avec Martine dans cette lutte de tous les instants, c’est aussi une œuvre d’art, une œuvre littéraire qu’il faut considérer comme telle. Martine est une poète comme les autres, elle a son style, son vocabulaire, ses muses, sa façon d’exprimer ses émotions.

« J’aurais tant voulu dépasser

Le temps compté de cette vie

Déchirer mon cœur pour laisser

Une œuvre d‘art qui lui survit. »

Et au-delà de la littérature, Martine à une vie, elle sort de la cage de sa maladie pour jeter un regard sur le monde, s’apitoyant sur ceux qui souffrent comme elle, plus qu’elle, et surtout sur ceux qui sont victimes des terribles injustices de ce monde.

« Ce que d’autres enfants étalent crânement,

Ou quand ils font la queue pour manger

Ravalant leur honneur dans leur isolement,

Je sais que je n‘envie pas leur espoir gagé. »

Même si la lutte contre le mal est un combat de chaque minute, Martine conserve un regard sur le futur et la façon de l’affronter.

« Avec ces mots gentils offerts comme des fleurs

Nous présumons que pour nous qui voyons encore,

L’avenir mentira à l’ombre de nos cœurs

Pour nous faire accepter l’image de nos corps. »

L’avenir de ses mots la préoccupe autant que le sien, elle craint qu’ils ne lui survivent pas et qu’ils disparaissent dans la poussière du temps dispersée par le vent de l’oubli.

« Assurément promis aux flammes de l’enfer

Ils n’auront soufflé que le temps qui m’est compté

Comme l’air frais de la forêt de conifères

Si reposante dans la chaleur de l’été. »

Martine a écrit d’autres recueils que je vais lire lentement pour bien les déguster et ne rien laisser échapper de ce qu’elle veut nous transmettre, suivant scrupuleusement son conseil : « Ce qui compte ce n’est pas la finalité mais le chemin, et certains sont plus ardus que d’autres. » J’espère que le chemin de ses vers ne s’arrêtera pas au fond d’un tiroir, que certains auront, comme moi, l’envie de les partager.

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LES BORNES DU TEMPS – LES PENSÉES EN ACTION

Martine BORES

Inédit

J’ai lu dans le tome I de cette trilogie poétique le difficile chemin que Martine raconte avec beaucoup de pudeur et de courage, combattant la douleur et le handicap sans jamais baisser les bras même si elle laisse filtrer des moments découragement qu’elle surmonte bien vite. Dans ce tome 2, elle nous montre surtout comment avec son esprit et ses mots, elle mène ce combat pour conserver espoir et dignité. La volonté est sa force principale, elle ne doit plus rien à personne, elle ne reconnait plus aucune autorité, son combat est son seul devoir.

« Puisque je n’ai plus rien à perdre désormais

Je peux tout envoyer promener sans problème, »

Se battre mais se battre pour un objectif : « Je veux me battre pour vivre » et non pas seulement pour survivre, pour vivre des envies, des désirs, des joies

« Je préfère garder ma volonté intacte

En me battant avec ma hargne raisonnée,

Et si ma lutte peut avoir le moindre impact

Pour une issue heureuse alors j’aurai gagné. »

Le combat est multiforme, démultiplié, il faut lutter contre le temps qui ne passe pas assez vite, contre les insomnies, contre la facilité médicamenteuse qui pourrait générer la dépendance et le ramollissement cérébral.

« Le temps passe et son obsession

Qui n’arrange rien à l’affaire

Lui font craindre la prostration

Qu’entraîneraient les somnifères. »

Le combat, c’est d’abord le regard des autres,

« J’évitais d’inspirer une tendre pitié

De paraître écartée de projets trop hautains, »

Où la pitié prend la place de l’amour, du désir, de l’admiration, de tout ce qui peut flatter et réjouir quand on se sent aimer. Quand on ne considère plus alors vos besoins et vos désirs que

« Comme si vos besoins n’étaient que des manies »

L’amour disparait du paysage du patient,

« Mutilée de l’amour j’ai nié ses secrets

Qui apportent la paix à un cœur désarmé. »

Seule la mouche dépose son baiser sur ses lèvres.

« Qu’elle reste après tout la seule désormais

A montrer une telle attirance pour vous. »

Il y a dans ces recueils, une dualité entre le « je » et le « il » entre l’auteure et le poète. Martine parle à la première personne quand elle veut faire passer des messages plus personnels sur son combat, sa volonté d’agir, son immersion dans l’écriture…

« Mes textes qui ont accosté

La rive d’où certains les voient

Donnent sa légitimité

A ma solitude sans voix. »

Le poète lui prend plus de recul, il analyse, propose, constate, déduit, généralise, …

« L’esprit doit partir en vadrouille

Chercher d’autres pensées ailleurs

Pour ne jamais laisser la rouille

S’infiltrer dans son intérieur. »

Martine a rencontré le poète et ils ont marié talent et sensibilité, volonté et détermination pour parcourir ce chemin tellement ardu sans jamais perdre dignité, conservant précieusement le sens de l’ironie et de l’autodérision pour ne pas perdre le rire qui est le moteur de l’espoir, l’expression de l’envie de vivre pour vivre et non pas pour survivre.

« Si rire vaut un bifteck

Quand on n’aime pas la viande,

Pour moi c’est un vrai bonheur

Que d’en demander encore. »

François Rabelais le disait déjà il y a bien longtemps : « Pour ce que le rire est le propre de l’homme… »

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LES BORNES DU TEMPS – PATIENCE ET LONGUEUR DE TEMPS…

Martine BORES

Texte inédit

Voici le troisième opus de la trilogie poétique que Martine a écrite pour évoquer sa cruelle maladie et la lutte qu’elle a entreprise pour opposer ses mots à ses maux. « A tout moment, les mots lui auront donné le courage de lutter », précise l’auteur de la mise en page de ces vers, celui qui a armé son bras pour conduire sa lutte poétique. Après le temps de la révolte, de la difficulté d’accepter cette terrible fatalité, vient le temps des pensées, de la réflexion sur la façon d’opposer la meilleure résistance à cette épreuve sans fin, et puis quand on a lutté pour finir par accepter en organisant sa vie le mieux possible, vient le temps de la patience, de l’attente. Mais que ce temps est long car il est si difficile à meubler qu’il parait interminable. Chaque mouvement est une épreuve, une entreprise qu’on s’impose avec modération. Alors, tout étant difficile, on entreprend moins, de moins en moins et le temps s’étire de plus en plus en monotone longueur, noyé dans le marais des habitudes. « Les habitudes sont les béquilles du temps ».

Alors, le moindre de ses désirs peut paraître, pour les autres, un caprice, comme tout ce qui est tu peut sembler être un repli sur elle-même.

« Elle lit un reproche au-dessus de leurs lèvres

Quand ils mettent le doigt sur ses fréquents replis, »

Je dois tout de même préciser que ce recueil, comme les deux précédents, n’est pas toujours écrit à la première personne, certaines choses semblent concerner directement l’auteure, d’autres sont d’un intérêt plus général. Mais que ce soit pour l’auteure ou pour les autres patients hébergés avec elle, la principale question demeure le futur qu’il est difficile d’évoquer, qui inquiète, qui n’est même pas pour Martine porteur d’aucun espoir.

« Je n’attends rien de bon d’une vie qui maltraite

Au hasard des destins les corps ou les esprits, »

Il lui semble que ce futur

« Il faisait preuve d’un manque de pouvoir-vivre. »

Mais si le futur n’est pas porteur, l’espoir lui-même reste, une inquiétude, une forme d’angoisse même :

« Je ne saurais plus vivre une vie au dehors »

Même si elle s’intéresse à notre monde qui ne tourne pas très rond et surtout à toutes les atteintes que nous infligeons à notre planète qui, elle aussi, connaît une réelle douleur et semble en bien grand danger, elle n’oublie pas que la vie n’est pas qu’angoisse et crainte, douleur et maladie, elle est aussi amour, amitié, émotions … Mais les sentiments et les sensations sont eux aussi fortement concernés par la maladie. Comment aimer les invalides, comment éprouver et partager des sentiments avec eux. ? Martine semble bien réservée sur ce point :

« Méfiante envers les émotions

Aux effets, parfois pernicieux, »

Pour elle, l’amour c’est quelque chose de grand, de lyrique, qui domine tous les aléas de la vie même les plus douloureux :

« Lui par amour pour elle, il lui offre sa mort ».

Mais le futur, c’est aussi et même peut-être surtout la mort. On pense souvent que ceux qui souffrent d’une longue maladie et ceux qui sont âgés sont plus familiarisés avec l’idée de la mort et de sa proximité. Ils la connaissent peut-être mieux mais ne l’appréhendent pas forcément avec plus de sérénité. Martine avoue :

« J’estimais le grand âge amplement suffisant

Pour accepter la mort comme un but apaisant,

Mais je n’avais jamais pleuré sur ma maman. »

Ceux qui fanfaronnent sont peut-être les plus fragiles face à la dernière échéance.

« Mais leur courage à vivre, en tout point encensé

N’est-il pas simplement la crainte de mourir ? »

Martine, elle, elle n’a pas peur, elle a ses mots pour affronter le mal et la mort, elle les malmène. Et parfois ils la désespèrent.

« Mais quand j’en ai fait des poèmes

Je peux redevenir sereine. »

Je voudrais garder ces deux vers comme conclusion, ne jamais les oublier pour, quand le jour viendra de fermer mes livres, les avoir encore en ma mémoire :

« Je n’oublierai jamais que mes derniers poèmes

Respiraient simplement comme un mal apaisé. »

C’est plein de douceur, de sagesse et de sérénité.

 

Saint-Sauveur- Les bornes du temps
Les Bornes du temps, sculpture de François Hornn (visible à Saint-Sauveur, France)

LA GRANDE VIE de CHRISTIAN BOBIN, une lecture de Philippe LEUCKX

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Philippe LEUCKX

Lu jadis « La folle allure », « Le Très-Bas », et quelque autre titre.

L’auteur, nourri de Dieu et de ce qui peut l’être divinement par une perception exacte, humble, spontanée du vivant, convoque ses merveilleuses lectures de Desbordes-Valmore, de Grosjean et d’ autre « enfant de boucher de Guéret ».

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Le sens de la formule, celui de la métaphore ramassée induisent cette phénoménologie des pures réalités, si souvent délestées de notre distraction notoire. Il a l’oeil, le cœur pour asseoir dans ses phrases ce que l’aveugle commun ne voit plus, n’a jamais vu.

Bobin du Creusot, qu’il énonce assez souvent, baguenaude du papillon à l’arbre, du chagrin au lézard sans tomber dans les bondieuseries ou à l’école du rien d’un Delerm – ce qui me semble chez lui facile et un brin convenu.

L’auteur coud, petits fragments après d’autres, une certaine leçon de choses – à l’image de ce qui ne prend guère d’ans comme cette magnifique « lettre d’une femme en bleu », à l’aune des Ronsard immortels.

Sans doute, c’est un bonheur d’écriture qui prévaut, tant les thèmes semblent aller de soi : le miracle de vivre, même adossé à la « tombe » du père, plus d’une fois hélé le temps de ce livre; la force de la nature pour l’entomologiste patient; la vraie vie silencieuse des âmes…

Hommage au père, à la mère pourvoyeuse des poèmes – comme toutes les mères selon Christian Bobin, le livre recèle des trésors d’humaine animalité quand il s’agit de parler de ce petit chat dont le poète a conservé trace sur la main.

« La cloison fine » qui nous sépare de la vie éternelle est la métaphore de cette écriture qui tisse entre les réalités un voile de poésie, la « poésie grande vie », excipit d’un beau recueil en six parties, qui prend parfois allure de lettre, de confidente mémoire, de partage (« l’écriture est une petite fille qui parle à sa poupée »,p.24, oui, c’est vraiment ça, je l’éprouve aussi en scrutant d’un oeil bonhomme ma Laura)

Merci à Chlo Hé.

P.L.

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La Grande Vie sur le site de Folio/Gallimard

CHRISTIAN BOBIN chez Gallimard

CONFITEOR de JAUME CABRÉ, une lecture de Jean-Pierre LEGRAND

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Jean-Pierre LEGRAND

Jaume Cabré est un auteur catalan célébré depuis plusieurs années.

« Confiteor » est l’ un de ses derniers livres. C’est un chef d’œuvre de près de plus de 800 pages, impossible à résumer, qui entremêle histoire, philosophie et musique, le tout sur fond d’une très belle histoire d’amour.

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Le personnage principal et narrateur, Adria Ardèvol est un personnage déroutant. Enfant surdoué et mal-aimé, devenu professeur de philosophie et d’histoire des idées, il est atteint de la maladie d’Alzheimer. Juste avant que sa mémoire ne s’éteigne, il écrit. Au recto de chacune des pages de son manuscrit, son récit prend la forme d’une vaste lettre/confession à l’amour de sa vie, Sara, décédée quelques années plus tôt. Au verso, Adria tente de mettre au clair le « Problème du Mal » œuvre qui le tourmente depuis des années.

Adria se raconte et ce faisant tente d’organiser le chaos qui peu à peu le submerge. Le récit se construit devant nous, patchwork complexe ou s’entre-tissent les souvenirs vécus et quatre siècles d’histoire de l’Occident chrétien avec ses deux pôles démoniaques que sont l’Inquisition espagnole et la Shoah.

Cette tourmente philosophique, historique et amoureuse, Cabré l’organise sans jamais nous perdre grâce à un tour de force narratif centré sur un objet qui peu à peu symbolise toute la richesse et l’ambivalence de l’homme. Cet objet quasi-magique, véritable totem du récit, c’est un violon de grande valeur dont Cabré nous révèle les tribulations en partie authentiques. Réalisé à Crémone en 1764 par Storioni, le rival de Stradivarius puis volé à la suite du meurtre de son premier propriétaire, ce violon est acquis par une famille juive pour lui être bien plus tard confisqué à Auschwitz par un médecin/tortionnaire nazi. Il sera racheté en toute connaissance de cause par le père d’Adria. Collectionneur compulsif et antiquaire, celui-ci bâtit la fortune familiale sur des acquisitions douteuses et sa collaboration avec les autorités franquistes. Œuvre d’un artisan génial fait d’un bois exceptionnel, ce violon suscite les passions. Il possède bien plus qu’il n’est possédé et comme l’or du Rhin de Wagner conduit ceux qui le convoitent à leur perte. Pureté de la musique, beauté du geste et extrême cupidité c’est tout cela que cristallise ce magnifique instrument.

Ce vaste roman aborde de nombreuses questions mais qui, presque toutes, gravitent autour du Mal et de l’énigme de la destinée humaine. Au terme de sa vie dans la confusion de la maladie et peut-être grâce à elle, Adria se rend compte que nous sommes tous, nous et nos affects un « putain de hasard ». Les faits s’embrouillent avec les actes et les événements, les gens se heurtent, se trouvent ou s’ignorent également au hasard. Tout arrive au petit bonheur la chance. A moins que ce ne soit exactement l’inverse et rien n’est dû au hasard, tout étant dessiné à l’avance. .. Impossible de choisir entre ces deux postulats parce que les deux sont vrais… On l’a compris, Adria ne croit en rien mais ne peut totalement s’en satisfaire. N’est-il donc aucun lieu dans cet infini de l’Ouvert comme dirait Rilke où l’on ne puisse retrouver la femme aimée ou l’enfant disparu ?

Au seuil du grand vide que creuse la maladie dans son cerveau, Adria qui toute sa vie a réfléchi et pensé, n’a plus guère de certitudes si ce n’est celle que si l’art peut nous sauver, il ne sauvera pas le monde. Alors, que nous reste-t-il au bout du compte ?

Il faut, comme le dit magnifiquement Yourcenar que cite Cabré, « tâcher d’entrer dans la mort les yeux ouverts ».

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Jaume CABRÉ

Le livre (+ extraits & entretiens) sur le site d’ACTES SUD

JAUME CABRÉ chez Actes Sud

UN HIVER AU VÉSINET de FRANÇOIS BOTT, une lecture de Philippe LEUCKX

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Philippe LEUCKX

83 printemps, une carrière de critique littéraire au Monde, entre autres, une quarantaine de volumes, et un dernier recueil de dix-huit nouvelles, ciselées – le style et la douce mélancolie ordonnent ces textes autour de vies ordinaires, qu’il s’agit de sauver à coups de petites phrases bien senties, au cœur de Paris ou de la province.

« demoiselles qui disparaissent avec des impatiences, des brusqueries d’étoiles filantes, plantant là leurs fiancés, qui n’y comprennent rien » (p.82)

« Il tenait des petits carnets qu’il appelait des « carnets de rattrapage ». Il avait noté : « Ecrire, c’est découvrir et faire ressentir la beauté de la pluie, la beauté de l’ennui, la beauté des choses… » (p.130)

L’apologue du nouvelliste à propos de son propre travail éclaire ces petits récits striés de tendresse.

Se mettre dans la peau d’un bébé qui découvre pas à pas la vie ou dans celle d’une vieille demoiselle (« il fallait être précautionneux avec ces sentiments encore fragiles », p.77) ou d’un ange : le temps d’explorer la vie, l’amour, « ces choses qui deviendront, avec le temps, de mystérieux et profonds souvenirs », excipit éclairant de la dernière nouvelle, p.166.

Bott est avec Jean Blot et Philippe Lacoche un merveilleux conteur des vies tranquilles et denses, celles qu’un regard distrait ne voit jamais.

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François BOTT, Un hiver au Vésinet, La Table Ronde, 2018, 176p., 14,00€.

Le livre (+ les premières pages) sur le site de Gallimard 

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