Après la mode antique du pilos, puis des divers bonnets, capuches, casques, casquettes, chapeaux (cloches, claques ou bien classes), coiffes, couvre-chefs, hauts-de-forme ayant orné le crâne de nos ancêtres, parents ou amis au crâne fragile, vint la mode des animaux vivants sur la tête à laquelle, moins par amour des bêtes que par souci de dissimuler une calvitie naissante, je choisis de sacrifier.
D’abord, je portai une mygale qui orna avantageusement ma tonsure mais, un moment tétanisé par le soleil, le pauvre arachnide fila se réfugier dans le gris de ma couronne capillaire et j’eus toutes les peines du monde à le faire réintégrer la place chauve, tel un migrant de Calais un moment écarté par des murs adventices de la voie rapide filant vers l’Angleterre, ce mirage extra-européen. J’optai ensuite pour en guise de calot un cabot, un chien errant, pitoyable mais qui sur mon occiput non moins pitoyable se nomadisa et forma un assemblage fourrure-poil-peau plutôt seyant. De plus, l’animal d’un certain âge trouvait plaisir à voir le monde d’un peu plus haut et à se faire transbahuter aux frais de mes vieilles jambes. Mais il sentait trop le chien et j’en eus bientôt les narines irritées.
Je portait alors le cochon de lait mais il était si rose et appétissant que je ne résistais pas, en guise d’en cas, d’en prélever les bons morceaux avec mon cutter. Il dépérit vite, et, quand il ne fut plus qu’un squelette, il tomba inanimé.
Je le remplaçai illico par un poisson rouge dans son bocal mais, malgré ma maîtrise du transport de tête, de l’eau me tombait constamment par saccades (surtout quand je courais après le bus) sur les yeux et on pensait alors que je pleurais (la séparation d’un être cher) alors que rien de sentimental ne m’affecte jamais.
Du poisson, je passai au faucon, connu comme oiseau statique hormis la tête toujours dodelinante et comme à l’affût. Mais un jour qu’un pigeon chiant l’avait passablement énervé, il me planta son bec crochu dans le crâne et j’écopai de dix points de suture sans compter le sang ainsi qu’un bout de cervelle (heureusement inefficient) versés sur la chaussée, qui fit, certes, le régal de quelques rats assoiffés.
Je demeurai dans l’ordre des tétrapodes à plumes et portai allègrement pendant un temps un perroquet jaco. Mes contemporains ne cessaient de me coller, en pensant que je leur faisais enfin la conversation alors qu’ils disputaient répétitivement avec le psittacidé qui avait à dire sur tout, tel un commentateur de réseau social pérorant sur l’info politique du jour, et qui ne voyait rien, car le bougre s’était réfugié sous un keffieh à cause de la chaleur à moins qu’il ne se fût converti à une forme de refus palestinien de ses territoires occupés.
Mes oreilles ne supportèrent plus son charabia et je portai alors fièrement un paon.
Un paon qui faisait la roue mais, pour rouler à vélo, ce n’est pas jojo. La roue du haut interfère avec les roues du bas, et ça provoque des problèmes de mobilité. Je me fracturai une hanche en tombant et, après six mois de réadaptation, je ne pus plus charger qu’un petit animal. C’est alors qu’on me vit avec une tortue domestique. L’aspect casqué de la chose me fit participer pour la première fois à des manifestations, tantôt du côté de la police (quand je fus rétribué comme soutien aux forces de l’ordre) tantôt du côté des manifestants (quand je redevins chômeur). Ma tortue prenait bien les coups ; de plus, elle s’accrochait avec ses petites pattes griffues à mes pavillons auriculaires qui furent bien plus décollés après cette période tortueuse. Je portai ensuite, dans le désordre, un petit panda communiste (qui chuta, creva et conduisit à un grave incident diplomatique avec la Chine qui menaça d’un désastre économique mon petit royaume), un crocodile dans un sac et même un éléphant adulte à la trompe qui raclait la poussière et aux défenses qui énucluèrent les pare-brises de quelques 4X4.
La pachyderme acheva de me tasser les vertèbres et, depuis, je ne porte plus qu’un kiné nain qui est beaucoup plus léger, ne sent presque pas, ne parle qu’avec les mains et ne sait pas faire la roue. Aux arrêts, il me palpe avantageusement, me remet les côtes en place, réajuste mon cou, flatte mes épaules. Pendant les courses, il me masse le cuir chevelu, et j’ai la tête pleine d’étoiles ; je cours à nouveau comme un lapin sans tête…
J’ai, je crois bien, trouvé mon couvre-chef idéal.
Avec la collection des P’tit Cactus de Jean-Philippe Querton qui s’est imposée dans le monde de l’édition francophone belge et au-delà, on sait maintenant que les aphorismes se déclinent suivant différents genres, diverses sensibilités…
Les dernières livraisons mettent davantage l’accent sur des aphorismes qui disent aussi le quotidien des auteurs, leurs humeurs, à la façon d’un journal intime. Des aphorismes qui ne jouent pas seulement sur les mots mais qui sont aussi l’expression d’une vision du monde, d’une sensibilité unique.
C’est le cas avec cette dense livraison de Thierry Roquet dont on connaît déjà l’univers poétique singulier et dont on reconnaît ici l’esprit.
Une partie d’entre ces aphorismes (que l’auteur définit comme une chasse au court) sont d’ailleurs écrits à la première personne et décrivent son quotidien, sa vie de couple et de salarié; ce sont ceux qui m’ont touché le plus tant ils sont vrais et justes. Sans apprêt et sans illusion mais avec un fond de tendresse pour l’humanité qui caractérise l’auteur.
Même si ceux où il se joue des mots et de ses maux n’ont rien à envier aux maîtres du genre (Quand un chômeur, il refroidit vite – Douche froide)
Si les apophtegmes flirtent avec la déprime, la dépréciation de soi, ils sont plus vivifiants que bien des ouvrages de développement personnel et le recueil délivre des sentences définitives sur l’homme (a)social, comme, entre autres, celle-ci : être soi-même jusqu’au bout, parmi les autres, équivaut à un suicide social (Philosophiquement vôtre).
Tous se particularisent par le jeu subtil entre le titre dont ils sont affublés (avec l’aide d’Éric Dejaeger, souligne Roquet, auquel le recueil est en quelque sorte dédié) et le (mini)corps de l’aphorisme. Il arrive même que le titre le dépasse…
Thierry égrène aussi plusieurs rencontres de qualité (entre un reflet et un aveugle de naissance, entre un pervers narcissique et une victime expiatoire…) et quelques promenades nocturnes où le gaillard part promener… sa bite (et qui valent par les remarques savoureuses que lui rétorquent sa chérie).
Le souci du temps qui passe, la vaine quête de l’identité et autres questions existentielles irriguent ce recueil qui ne s’intitule pas par hasard L’ampleur des astres car tout est par cela mis en perspective avec le vide immense du cosmos.
Idéal donc pour entrer dans l’univers roquettien par la belle porte des phrases vives et nécessaire pour ceux auxquels manqueraient encore à leur collier de publications du Cow-boy de Malakoff* cette nouvelle perle.
Un recueil à lire, puis à partager !
Le chouette dessin de couverture est signé Emelyne Duval.
Éric Allard
Quelques extraits
Piqûres & rides
Fais gaffe, le taon passe.
J’en salive déjà
Après mon entretien dent-bouche, je vais demander une augmentation de molaire.
Pessimiste-optimiste
Ca fait un bon moment que je n’ai plus ressenti de coup de déprime et ça m’inquiète un peu.
Origine
N’oublions jamais d’où nous venons : du trou du cul de la galaxie. Ça dégaze sec ! Et ça vous met des parfums d’étoiles dans les narines!
Vive la Bretagne !
Lorient est à la pointe de l’Occident.
Fort comme un chêne
Glander, c’est résister à l’occupation.
Sur les conseils de mon médecin
J’ai engagé un détective privé pour surveiller ma tension.
Bio ou rien
Celui qui se cultive tout seul pousse sans doute un peu de travers.
Le mariage et la filiation homosexuels préoccupent les Japonais tout autant que les Occidentaux, dans ce roman, Ito Ogawa expose son point de vue sur ce sujet sans militantisme forcené mais avec une grande ouverture d’esprit, n’éludant aucun aspect de la question. A cette fin, elle constitue une famille atypique : une femme divorcée et son fils, une jeune fille qui ne sait pas encore qu’elle est enceinte, quatre personnes qui, tour à tour, racontent un morceau de la vie qu’elles essaient de construire ensemble.
Dans une gare de Tokyo, Izumi, mère de famille en cours de divorce, est attirée par une jolie jeune fille, encore lycéenne, qui semble en plein désarroi, elle craint qu’elle cherche à se jeter sous un train et accourt auprès d’elle pour l’en dissuader. Elle l’emmène chez elle pour la rassurer et la convaincre que la vie peut être encore belle pour elle aussi. Une relation sentimentale se noue rapidement entre les deux femmes qui, ne voulant pas d’une histoire d’amour intermittente, décident de vivre ensemble mais pour cela elles doivent quitter la ville car la famille de Chiyoko, la jeune fille, ne supporte pas cette union qu’elle juge préjudiciable à son image et sa notoriété.
Avec le fils d’Izumi, les deux femmes partent alors pour le pays des étoiles, un coin de campagne perdu au pied de la montagne où elles se réfugient dans un ancien atelier délabré qu’elles arrangent pour le mieux. Petit à petit elles construisent une vie, une vie familiale comme n’importe qu’elle autre famille japonaise. Izumi raconte la rencontre, la fuite, l’installation au Machu Pichu, le nom qu’elles ont donné à ce coin de campagne aussi difficile d’accès que la célèbre montagne andine. Chiyoko raconte, elle, la construction de la famille, le projet professionnel des deux femmes, la possibilité de former un vrai couple. Et les enfants à leur tour prennent la parole pour évoquer, à travers leur regard d’enfant, cette famille atypique, comment ils ont, eux, vécu cette différence et comment ils se projettent dans l’avenir.
Ito Ogawa
A mon sens ce roman n’est pas un livre militant pour une cause quelconque, c’est juste un texte sur la tolérance et l’acceptation. L’auteure nous laisse penser que chacun doit s’accepter comme il est et que chacun doit accepter les autres comme ils sont. « Quoi qu’il arrive l’important c’est d’accepter et de pardonner ». Dans ce texte on rencontre aussi des personnes différentes non seulement par le sexe et les pratiques sexuelles qui sont plus ou moins bien acceptées par leur entourage et la société en général. Ito Ogawa propose une jolie parabole pour expliquer la différence et son acceptation : « Elles (les fleurs) ont beau trouver la teinte de la fleur voisine plus jolie, et l’envier, elles ne peuvent pas modifier à leur guise la couleur qui leur a été dévolue. Alors, il ne leur reste plus qu’à vivre cette couleur de toutes leurs forces ».
Ce roman est aussi un joli plaidoyer pour la vie familiale qui devrait être accessible à chacun quelque soit son sexe et ses mœurs, l’auteure conseille vivement à celles et ceux qui se sentent rejetés de construire une famille avec celles ou ceux qu’ils aiment. « Vous n’avez qu’à construire une famille à vos couleurs, en prenant votre temps. Parce que les liens du sang ne font pas tout. » Au Machu Pichu, « Une famille, ce n’était pas une question de sexe ou d’âge », c’était de l’amour, des disputes, de la douleur, de l’humiliation, des amis, la maladie et tout ce qui fait la vie de tout un chacun mais peut-être avec un peu plus de contraintes encore.
Au Japon, l’homosexualité semble être encore moins bien acceptée qu’en Occident, c’est du moins ce qui ressort de ce roman écrit avec beaucoup de finesse et de pudeur, les personnages sont disséqués avec délicatesse jusqu’au fond de leur âme. L’auteure ne prend qu’un parti, celui de la tolérance, de l’ouverture d’esprit, de l’acceptation et du droit de chacun à disposer de son corps et du sens qu’il souhaite donné à son existence. La famille qu’elle a créée n’est peut-être pas très crédible mais elle rassemble en son sein toutes les questions qui ont été soulevées autour de l’union homosexuelle dans des scènes où la description des plus petits détails apporte un supplément de vie.
Sammy écrit des livres mais ils ne se vendent pas, son éditrice ne se gênent pas pour l’éjecter de la maison d’édition en mettant le doigt là où ça fait mal, elle a d’autant moins de scrupules qu’elle comptait bien profiter des charmes du beau quadra qui, hélas pour elle, c’est avéré être homo. « Encore des Juifs, encore des gays ! Je n’en peux plus, Samuel ! Ecoute, tu tournes en rond. Et ce n’est pas crédible ! Qui peut imaginer un seul instant que l’on puisse passer ses journées à prier à la synagogue et ses nuits dans des … backrooms ! » Lassé de sa famille trop juive, blasé de ses déambulations dans les milieux homosexuels du Marais, déçu par ses amis carriéristes, privé de son moyen d‘existence et de moins en moins enclin à chercher un job, Sammy saisit l’opportunité du départ d’un pote vers New York pour, lui aussi, partir vers la Grosse Pomme dans le quartier de Williamsburg dont il savait seulement que Kerouac y avait vécu.
A Williamsburg, il lui faudra accomplir un pénible parcours initiatique avant de comprendre ce qui cloche dans sa relation au monde actuel, il s’épuisera à faire la plonge dans un restaurant italien, il échouera « au test de la sainteté hassidique et de l’hétérosexualité débonnaire » au contact d’un rabbin intégriste et entre les jambes de sa fille nymphomane avant, un soir d’errance et de désespoir, d’entendra souffler l’esprit de la beat generation, la voix de son gourou de jeunesse, la voie du grand Jack Kerouac. Alors il comprendra qu’une nouvelle classe est entrain de ruiner le monde. « Leur idéologie rance se résumait à une somme syncrétique et bancale de fausses bonnes idées : écologie : éthique, partage, production locale, art en mineur, progressisme sociétal et libéralisme économique honteux. »
Frédéric Chouraki
« Même s’il s’en défendait, Sammy avait toujours jugé le milieu gay de même que la communauté juive avec contemption pour ne pas dire un dédain certain. » Il leur reprochait de faire partie de cette nouvelle classe coupable de conduire l’Occident malade vers une nouvelle phase de déclin, d’appartenir à « cette vermine complaisante pseudo-progressiste et ahistorique qui ne croit que dans la tiédeur et le mélange. »
Avec ce texte empreint d’une réelle nostalgie du bon vieux temps de la beat generation, de la liberté sexuelle, de la liberté de penser et toutes les autres libertés, du bon vieux temps où le monde n’était pas encore totalement englué dans les notions de profit, de rentabilité et d’égalitarisme mou, Frédéric Chouraki achève son texte par une véritable diatribe à l’encontre de ceux qui nous dirigent.
Ce livre n’est cependant pas un pamphlet politique, c’est un roman gouleyant, drôle, enrichi de très nombreuses références cinématographies et littéraires, notamment. Un texte écrit avec une écriture actuelle, vive, colorée, gouailleuse comme de l’Audiard ou du Blondin qui aurait macéré dans le bouillon culturel de la Beat Generation assaisonné au sel de la sémantique gay et juive. Il faut connaître au moins un peu le langage juif et des bribes de parisien du Marais pour ne pas laisser échapper toutes les allusions et insinuations glissées par l’auteur.
N’y aurait-il pas, « dans la marge de la production pléthorique qui encombrait (bre), chaque automne, les tables des librairies, l’espace pour une voix fantaisiste et légèrement anarchique ? »
Ghérasim Lucan, de son vrai nom Salman Locker, naît à Bucarest en 1913. Il prend part dans les années trente aux activités du groupe surréaliste roumain avec Tristan Tzara, Victor Brauner, Benjamin Fondane, Constantin Brancusi mais n’adhérera jamais au groupe surréaliste français quand il viendra vivre à Paris dans les années 50.
Toute sa vie, il refusera toutes les idéologies, toute forme de compromission.
Il se donne la mort à l’âge de 80 ans en se jetant dans la Seine le 9 février 1994, comme l’avait fait 24 ans avant lui son ami Paul Celan.
Gilles Deleuze qui écrira sur sa poésie a dit de lui qu’il était le plus grand poète français de son époque.
Son oeuvre a inspiré toute une poésie de l’oralité parmi lesquels Serge Pey, J.-P. Verheggen, Olivier Cadiot, Christophe Tarkos…
Près de la glace c’est une erreur là où je suis ce n’est qu’une colombe mais l’autre pensait : il se passe quelque chose dans une position délimitée glissant entre mes lèvres est-ce la fin du monde ? c’est un délice quoi qu’il en soit son corps léger respire par l’orage
Dans une position délimitée
près de la glace qui respire
son corps léger glissant entre mes lèvres
est-ce la fin du monde ?
mais l’autre pensait : c’est Un délice
il se passe quelque chose quoi qu’il en soit
par l’orage ce n’est qu’une colombe
là où je suis c’est une erreur
Est-ce la fin du monde qui respire
son corps léger? mais l’autre pensait :
là où je suis près de la glace
c’est un délice dans une position délimitée
quoi qu’il en soit c’est une erreur
il se passe quelque chose par l’orage
ce n’est qu’une colombe
glissant entre mes lèvres
Ce n’est qu’une colombe dans une position délimitée là où je suis par l’orage mais l’autre pensait : qui respire près de la glace est-ce la fin du monde? quoi qu’il en soit c’est un délice il se passe quelque chose c’est une erreur glissant entre mes lèvres son corps léger
LE NERF DE BOEUF
PRENDRE CORPS
je te flore /
tu me faune /
je te peau / je te porte / et te fenêtre /
tu m’os / tu m’océan / tu m’audace / tu me météorite /
je te clé d’or / je t’extraordinaire / tu me paroxysme / tu me paroxysme / et me paradoxe / je te clavecin / tu me silencieusement / tu me miroir / je te montre / tu me mirage / tu m’oasis / tu m’oiseau / tu m’insecte / tu me cataracte / je te lune / tu me nuage / tu me marée haute / je te transparente / tu me pénombre / tu me translucide / tu me château vide / et me labyrinthe / tu me parallaxes / et me parabole / tu me debout / et couché / tu m’oblique / je t’équinoxe / je te poète / tu me danse / je te particulier / tu me perpendiculaire / et sous pente / tu me visible / tu me silhouette / tu m’infiniment / tu m’indivisible / tu m’ironie / je te fragile / je t’ardente / je te phonétiquement / tu me hiéroglyphe / tu m’espace / tu me cascade / je te cascade à mon tour / mais toi / tu me fluide / tu m’étoile filante / tu me volcanique / nous nous pulvérisable / nous nous scandaleusement / jour et nuit / nous nous aujourd’hui même / tu me tangente / je te concentrique / concentrique / tu me soluble / tu m’insoluble / en m’asphyxiant / et me libératrice / tu me pulsatrice / pulsatrice / tu me vertige / tu m’extase / tu me passionnément / tu m’absolu / je t’absente / tu m’absurde / je te marine / je te chevelure / je te hanche / tu me hantes / je te poitrine / je buste ta poitrine / puis ton visage / je te corsage / tu m’odeur / tu me vertige / tu glisses / je te cuisse / je te caresse / je te frissonne / tu m’enjambes / tu m’insupportable / je t’amazone / je te gorge / je te ventre / je te jupe / je te jarretelle / je te peins / je te bach / pour clavecin / sein / et flûte / je te tremblante / tu m’as séduit / tu m’absorbes / je te dispute / je te risque / je te grimpe / tu me frôles / je te nage / mais toi / tu me tourbillonnes / tu m’effleures / tu me cerne / tu me chair cuir peau et morsure / tu me slip noir / tu me ballerine rouge / et quand tu ne haut talon pas mes sens / tu es crocodile / tu es phoque / tu es fascine / tu me couvres / et je te découvre / je t’invente / parfois / tu te livres / tu me lèvre humide / je te délivre / je te délire / tu me délire / et passionne / je t’épaule / je te vertèbre / je te cheville / je te cil et pupille / et si je n’omoplate pas / avant mes poumons / même à distance / tu m’aisselle / je te respire / jour et nuit / je te respire / je te bouche / je te baleine / je te dent / je te griffe / je te vulve / je te paupière / je te haleine / je t’aime / je te sens / je te cou / je te molaire / je te certitude / je te joue / je te veine / je te main / je te sueur / je te langue / je te nuque / je te navigue / je t’ombre / je te corps / je te fantôme /
je te rétine / dans mon souffle / tu t’iris /
je t’écris /
tu me penses
par Claudine Simon & Elise Dabrowski
par Arthur H
LA DÉRAISON D’ÊTRE
le désespoir a trois paires de jambes le désespoir a quatre paires de jambes quatre paires de jambes aériennes volcaniques
absorbantes symétriques il a cinq paires de jambes cinq paires
symétriques ou six paires de jambes aériennes volcaniques sept paires de jambes volcaniques le désespoir a sept et huit paires de jambes
volcaniques huit paires de jambes huit paires de
chaussettes huit fourchettes aériennes absorbées par les
jambes il a neuf fourchettes symétriques à ses neuf
paires de jambes dix paires de jambes absorbées par ses jambes c’est-à-dire onze paires de jambes absorbantes
volcaniques le désespoir a douze paires de jambes douze
paires de jambes il a treize paires de jambes le désespoir a quatorze paires de jambes
aériennes volcaniques quinze quinze paires de jambes le désespoir a seize paires de jambes seize
paires de jambes le désespoir a dix-sept paires de jambes
absorbées par les jambes dix-huit paires de jambes et dix-huit paires
de chaussettes il a dix-huit paires de chaussettes dans les
fourchettes de ses jambes c’est-à-dire dix-neuf paires de jambes le désespoir a vingt paires de jambes le désespoir a trente paires de jambes le désespoir n’a pas de paires de jambes mais absolument pas de paires de jambes absolument pas absolument pas de jambes mais absolument pas de jambes absolument trois jambes
L’ÉCHO DU CORPS
prête-moi ta cervelle
cède-moi ton cerceau
ta cédille ta certitude
cette cerise
cède-moi cette cerise
ou à peu près une autre
cerne-moi de tes cernes
précipite-toi
dans le centre de mon être
sois le cercle de ce centre
le triangle de ce cercle
la quadrature de mes ongles
sois ceci ou cela ou à peu près
un autre
mais suis-moi précède-moi
séduction
entre la nuit de ton.nu et le jour de tes joues entre la vie de ton visage et la pie de tes pieds entre le temps de tes tempes et l’espace de
ton esprit entre la fronde de ton front et les pierres de
tes paupières entre le bas de tes bras et le haut de tes os
entre le do de ton dos et le la de ta langue entre les raies de ta rétine et le riz de ton iris entre le thé de ta tête et les verres de tes
vertèbres entre le vent de ton ventre et les nuages de
ton nu entre le nu de ta nuque et la vue de ta vulve entre la scie de tes cils et le bois de tes doigts • entre le bout de tes doigts et le bout de ta
bouche entre le pois de tes poils et la poix de ta poitrine entre le point de tes poings et la ligne de tes
ligaments entre les pôles de tes épaules et le sud-est de
ta sueur entre le cou de tes coudes et le coucou de ton
cou entre le nez de tes nerfs et les fées de tes fesses entre l’air de ta chair et les lames de ton âme entre l’eau de ta peau et le seau de tes os entre la terre de tes artères et le feu de ton
souffle entre le seing de tes seins et les seins de tes
mains entre les villes de ta cheville et la nacelle de
tes aisselles entre la source de tes sourcils et le but de ton
buste entre le musc de tes muscles et le nard de tes
narines
entre la muse de tes muscles et la méduse de
ton médius entre le manteau de ton menton et le tulle de
ta rotule entre le tain de ton talon et le ton de ton
menton entre l’œil de ta taille et les dents de ton sang entre la pulpe de ta pupille et la serre de tes
cernes entre les oreilles de tes orteils et le cervelet de
ton cerveau entre l’oreiller de tes oreilles et la taie de ta tête entre le lévrier de tes lèvres et le poids de tes
poignets entre les frontières de ton front et le visa de
ton visage entre le pouls de tes poumons et le pouls de
ton pouce entre le lait de tes mollets et le pot de ta
paume entre les pommes de tes pommettes et le plat
de tes omoplates entre les plantes de tes plantes et le palais de
ton palais entre les roues de tes joues et les lombes de tes
jambes entre le moi de ta voix et la soie de tes
doigts entre le han de tes hanches et le halo de ton
haleine
entre la haine de ton aine et les aines de tes
veines entre les cuisses de tes caresses et l’odeur de
ton cœur entre le génie de tes genoux et le nom du
nombre du nombril de ton ombre
LA MORPHOLOGIE DE LA METAMORPHOSE
C’est avec une flûte
c’est avec le flux fluet de la flûte
que le fou oui c’est avec un fouet mou
que le fou foule et affole la mort de
La mort de la mort de
c’est l’eau c’est l’or c’est l’orge
c’est l’orgie des os
c’est l’orgie des os dans la fosse molle
où les morts flous flottent dessus
comme des flots
Le fou est ce faux phosphore qui coule
phosphore qui cloue la peau du feu
aux eaux aux flots de la porte
alors que la mort de la mort
de la mort morte et folle
n’est que le lot le logis de la faute
qui fausse la logique de loup doux
de la forme
de la forme en forme de mot en forme de mort
en forme de phosphore mort
qui flotte au-dessus de la fausse forme
c’est le loup du faux cette forme
le faux loup qui fait qui ferme
les fausses portes
qui coule sous la fausse faute
et qui fout qui fout qui fouette
la peau d’eau de la mort
La mort la mort morte en faux en forme de flot qui flotte au cou de la forme eau forte et phosphore doux âme molle de l’effort de l’or de l’or mou de l’amorphe
La logique de l’amorphe fouette et foule l’analogie folle elle la fouette dans sa fausse loge qui est en or comme en or comme l’horloge qui orne le logis d’un mort
Mais le mort le mot d’or d’ordre
le mot le mot d’or d’ordre
de la mort de la mort
c’est mordre c’est mordre les bornes de la
forme et fondre son beau four dans le corps de la
femme
Feu mèche et fouet
la femme fourchette le refus du monde
flamme qui monte haut très
très haut et en or
hors de l’horloge très elle se montre
hors de l’horloge des formes très
et hors du mètre
qui ferme et qui borne les ondes
Tache molle aimée et mince mince et mauve sur un faux fond or orange et oblong
La mort longe le mélange des formes
mais le mort le faux mort le mot
le métamort faux
fausse la métamort fausse et amorphe
il fausse la métamorphose de la mort
la morphologie de la mort folle et amorphe
la morphologie longue longue et amorphe
mort folle de la faute
faux fouet de l’effort qui flotte
reflux d’une horloge qui s’écroule et remonte
fausse métamorphose d’une vraie porte en or
et de l’or en faux phosphore
flou comme les flots du cou
et rond comme un mètre long long
comme un mètre de trois mètres blonds
fou qui montre au clou une fausse orange folle
et au loup le faux logis de la flûte
morphologie de la folle de la follement aimée
de la bien-aimée affolante
dans sa peau affolante
la fausse fourchette affolante du phosphore
analogique et c’est ainsi que la mort est bien morte elle est bien morte la mort la mort folle la morphologie de la la morphologie de la métamorphose de
l’orgie la morphologie de la métamorphose de
LA VOIE LACTÉE
L’atome, la tomate, une simple tomate sur une tige en rage atomique et on peut, si, on le peut si cela vaut vraiment la peine debout, de bouger une bougie dans la bouche de l’homme et la paix, la peine de mettre le feu au bout, un tout, un tout petit peu et on peut de nouveau bru brûler au vol, au volcan où le père, perpétuellement à l’affût d’une canne, fut à jamais tué d’un coup d’aile, ainsi que la colle, l’acolyte du bourreau, son accolade, mais tout cela délimiterait un peu trop les trois héros de la boue natale et le mythe de la proie et de la pomme.
On sait que la pomme n’est rien, n’est rien d’autre qu’un sein, un symbole du lâchez-pas la chair de la chimère, une chaise atmosphérique et sa chaîne, bol de lait qui traîne saoul sous la peau, nuée noyée dans la braise centrale, cent plats portés sur un plateau platonique tonique à la portée d’un manque d’haleine, plateau de seins sphériques féeriques, éther, éternellement plantés dans la plaie de l’homme.
Elle est la fronde tirée sur tout et surtout la frontière de tout, de tout ce qui tousse et tout étouffe, elle bouche l’issue du goût, du gouffre, borne la forme du corps et sans fer s’enferme, sue, suce et suffoque.
Sa chair est sue, sucrée, elle effraie, elle est fraîche, et au contact tact de la tiède, de la tienne, c’est comme une tache dans l’air que ta chair celée se laisse toucher par la sienne.
L’homme et le monde partagent entre eux le ver qui ronge le cœur de la pomme et comme une éponge aux yeux ouverts bien au delà du miel et du mal, le malheur absorbe l’absurde surtout sur toute la longueur de sa courbe qui naît, qui naît ailleurs et qui n’est d’ailleurs qu’une formule.
Et la vie n’est rien, n’est rien en dehors de cette langue, de cette langueur des bornes courbées sous le poids d’une formule.
Ayant à remplir d’abord la forme d’un sein en chaleur, c’est comme la vipère dans la vie du père que la courbe rampe à la recherche d’une bouche mais celle-ci étant privée de dents, son ascendant est la balle, la balance, ainsi le sein est bien obligé de verser son lait dans une autre version de la hantise qui est innée à sa néantisation.
Entourée de sel qui livre sa rage à une salive d’absinthe, entourée de ses lèvres rouges mais absentes, la bouche sans dents boit, lave, voile l’acte de téter, elle boit la Voie Lactée comme on lèche ou comme un chien qui aboie.
L’acte de suer dessus, l’acte d’être déçu au-dessous de soi-même et le sein, le simple fait de vouer, de vouloir ex ex exciter et exercer la succion sur un monde à excréter ex à exécrer aidé dé dé et déjà créé, crève le rêve du vampire et le sue, le suce en retour, se retourne souvent contre le vampire même, qui expie, expire, essaie et sec et ce qui qui étant, qui est encore pire, ce qui empire encore plus le pis, le pire, c’est qu’en expirant le corps secrète, il secrète le secret des mots et des mobiles, le secret de sa mobilité.
Et c’est dans le noyau du feu foetal, dans le noyau foetal et focal d’une pêche immobile que l’homme noie à jamais le sec, le secret de son péché figé, fixé et pétri pétrifié à jamais.
Ses jambes perdent pied entre la pêche et la pomme et il tombe raide dans un de ces rien du tout, dans un de ces aériens tombeaux du beau où le laid n’est qu’un bien, un but, un sein, un simple attribut du mal, du malheur d’être.
Naître dans son propre tombeau sévit, vire et crève, c’est vivre la vie d’un décapité qui rêve.
Sa captivité constitue tue à l’aise les œufs qui palpent des pépins et des tétins qui palpitent, les seules thèses qui palpitent dans une tête perdue, eperdument suspendue et pendue entre les deux pôles d’une vie subie subite, entre les deux épaules de la victime.
Dans le même centre excentré excentrique où la vie n’est que l’excès expansif d’une plaie morte, entre les deux tempes d’une tempête viol viol biologique, la tête tragique de l’homme loge en même temps deux antithèses tactiques, constantes et amantes, constamment prêtes à centrer leurs tics lubriques sur un sein, à s’entretuer sur le sein d’une synthèse réelle et luisante,-réalisant ainsi une sorte d’extase infirme-infinie, seule prothèse coupable capable dessous, de soulager sa panique, sa rage logique et sa tourmente.
Tout état, tout, tout est à tout étage âme, tout est à jamais corps coordonné, donné, ordonné dans un corps et une âme emmurés à jamais dans un tout mou et muet, noué, ficelé, scellé à jamais à la roue des torts, des tortures où tout est mutuellement mutilé, déterminé, terminé, miné, état, état établi et obstrué, délimité, réglé, bouché et de toutes parts encerclé clef.
Et pas de clef à la serrure de ce porc, de cette porte, pas de clef et pas de serrure, et si nos sens, si l’innocence tire à faux sur le vide qui l’absorbe, si pour sortir de l’absurde on doit d’abord l’aborder et dégorger, égorger l’essence d’une vie qui noue, qui nous borne et nous tente, et forcer les ondes qui ouvrent et qui ferment une porte existante, ne pas oublier que les pores, que les portes de prix, de prison, par dix ou par mille parmi nous, dissimulent partout une cour intérieure qui les entoure et les voile comme une loi qui se voit et qui se dévoile simultanément à la mort, à la morgue, orgue en orgasme dans tous les organes de lait de l’être, et que celui-ci se complaît dans son complexe complet où plaie, plèbe, blé et blessure réfléchissent l’être qui lèche ainsi sa morsure et qui fléchit sous la flèche qui le reflète.
Où où ouvrir les prisons sur la scène du nouveau-né ou sur rien ne veut rien dire sinon défi, défilé creusé dans les cimes, dans les cimetières qui sont des berceaux, des os, des seaux de lait enterrés dans la matière d’une matrice d’où on déterre tous les jours le même ver de lait de l’être fou, fourré dans ce rien qui est tout, dans ce rien qui s’entoure de toutes parts par lui-même et qui sape, qui s’appelle pomme ou prison.
Une prison c’est l’être lui-même cloîtré derrière sa clef et son cercle, et comme une louve au rire acre mais fier, l’ouvrir s’aime mieux à l’écart, c’est mieux écarter la rupture entre le cri sacré du moi et les griffes de l’autre, c’est à dire un moi, un moyen de sacrifier la créature à quelque chose d’autre, massacrer le créateur dans sa créature, et avec les os de l’écho du chaos et dans une sorte de coma de combat entre l’homme et l’atome, la tomate, l’automate, recréer le créé et être ainsi par rapt, par rapport à lui, la parade d’un para-être qui surgit et s’insurge à l’intérieur de soi-même comme le coma, comme une comète en coma dans le ventre de la terre.
COMMENT S’EN SORTIR SANS SORTIR, un récital fimé en 1989
La femme-tronc a ses adeptes. Rien de plus logique, si on y pense. Quand on fait l’amour à une femme pleine de branches, celles-ci nous ennuient plus qu’autre chose. Le houppier, le feuillage, ce n’est pas ce qu’on vise dans la femme. La ramure empêche plus qu’elle ne favorise l’accession à l’essence de la femme, à son fût. Puis la femme-tronc est moins lourde même si elle vaut son pesant d’organes. La femme-tronc est l’avenir de l’homme des bois.
Le bouquet
Je t’ai acheté un bouquet de têtes pressées. Décapitées du matin. Après son travail à l’aube, le bourreau compose des arrangements délicats très appréciés des amoureux fous.
Fous-moi, fouette-moi !
Fous-moi, fouette-moi tant que tu peux, je te veux tout en moi!, lui serinait le roi, nu, à quatre pattes, devant son majordome qui peinait à enfoncer à l’intérieur du royal postérieur quoi que ce fût. Je ne te plais donc point, lui repartit le roi, l’anus en larme, l’œil injecté d’une vilaine goutte de sang. Le fion du Petit Prince m’inspire davantage, reconnut le majordome qui toutefois ne désespérait pas de combler pleinement de même son vieux roi ventripotent.
L’attente
Cet homme attendait le temps à l’abribus depuis une éternité quand un aimable gnome vint lui annoncer que le temps était en grève.
Flûte !
Flûte j’ai oublié mon pipeau chez le marchand d’instruments à vent, et maintenant le vent est passé !
Le pélican (à Roland Jaccard)
J’ai un bec de pélican, je plonge dans les eaux de la Seine et je rapporte sur les berges des corps de jeunes filles se baignant que j’emporte tel le Roland Jaccard de la Piscine Deligny. Mais elles crient, se débattent, me repoussent et finissent par sauter à l’eau en hurlant que je ne serai jamais Roland Jaccard. On m’enlève mon bec de pélican et on me rejette à ma vie de rat musqué dans les égouts de Paris (qui ne valent pas les palaces de Lausanne) d’où je n’aurais jamais dû sortir.
Je plais
Je plais à mon pharmacien comme j’ai plu à ma nourrice. Je plais à ma femme comme j’ai plu à son amant. Je plais à mon père comme j’ai plu à mon prof de gym. Je plais à mon gendre comme j’ai plu à mon banquier. Je plais au temps présent comme j’ai plu au temps jadis. Je plais au ciel comme j’ai plu à la terre entière. Je plais au sang comme j’ai plu à la bière. Je plais au centre comme j’ai plu à la périphérie. Je plais au hasch comme j’ai plu à l’héro. Je plais aux lignes comme j’ai plu aux plans. Je plais aux plantes comme j’ai plu aux pierres. Je plais au soleil comme j’ai plu à la pluie… On ne plaît jamais assez !
Le volcan
Le volcan s’est éteint et ma lave est tombée en poussière. C’était une lave artificielle et un volcan de pacotille. Comme toutes mes éruptions.
L’armoire
J’ai une armoire remplie d’éléphants. Que je n’ai jamais ouverte car je ne saurais quoi en faire. J’ai une peur bleue des trompes grises.
Le clou
Ce sculpteur de clous qui voyait grand en sculpta, une nuit, un qui atteignit la lune. Ensuite, d’un petit coup de marteau, il la cloua au ciel.
C’est avec ces mots que s’ouvre le nouveau recueil de poèmes en vers libres de Thierry Radière qui donne le ton sous l’aspect de voix multiples se répondant d’un moi à l’autre du poète. L’écriture, le partage d’histoires et d’émotions servent de lien vital à la création d’un mode de communication plus sensible. C’est à un exercice de présentification que nous invite le poète pour s’ouvrir à notre propre futur comme à l’actualité d’autrui. Pour laisser du silence à l’avenir.
Thierry Radière s’appuie sur son quotidien et ceux qui le partagent pour, avec les outils de l’imaginaire et de la mélancolie, questionner le monde et formuler ses réponses par l’opération de la poésie.
Très vite, au poème suivant, on y lit en guise d’explication de titre :
il faudra bien du temps
de la solitude en barre
et des sourires forcés
pour se faire accepter.
L’expression, la connaissance de soi et du monde mettent du temps. Est inconséquent à moins d’être génial le jeune poète qui croit accéder à cette compréhension rapidement, sans l’épreuve de la langue et de l’esseulement.
grandir
c’est apprendre
à choisir sa gare
ou pas
si les terrains
sont vagues
et les destinations
à inventer
Les emballements d’images, ces visions (qui) pointent des seins, tombent dans la verticalité du poème en produisant des effets délibérément comiques ou en délivrant de rares émotions.
je n’aspire qu’à un peu
d’enchaînement au fil du
temps l’aiguille tendue
vers la glissade
Entre immobilité et nuages, dans le flou des jours et des pensées, et les temps capricieux, délivrés des saisons, à travers sa route de mots et d’échos, Thierry Radière cherche et trouve le raccourci du silence.
Dans un des beaux poèmes du recueil, le poète avance en haïkus. Par petites touches, il dessine une avancée, aussi indécise que décisive. Il transforme les balafres de l’existence en notations brèves qui sont autant de tattoos sur la peau du temps.
Un court mais intense recueil qui, par le ravissement de ses expressions, en dit long sur l’existence et sur ce qui la précède ou l’accompagne : l’essence des jours, le sel de nos vies…
Depuis toujours, le poète a composé sa vie en vue de cette tâche noble et exigeante : écrire. Et il nous fait don des images qui composent et éclairent son subtil univers.
Intéressante biographie que nous propose Joëlle Tiano, dans la Collection « à 20 ans » des Editions « Au Diable Vauvert ». Nous découvrons en détail la jeunesse de George Sand, Aurore encore à cette époque. La petite Aurore, élevée à Nohant par sa grand-mère paternelle, grandit partagée entre cette dernière et sa mère, qui est partie vivre à Paris et rejoindre sa première fille, née d’un précédent lit. On ressent dans cette histoire le déchirement qu’a dû connaître la petite fille. Sa grand-mère était très bonne pour elle, mais la mère, lointaine, était magnifiée et adorée.
Ces influences ont tôt fait de forger à Aurore un certain caractère. De plus, ses origines maternelles modestes et paternelles bourgeoises, voire nobles, devaient être difficiles à concilier. Ce début de vie assez difficile et particulier a dû cimenter pour toujours la volonté de la future George Sand.
Nous passons en revue son adolescence, sa période mystique, son envie d’entrer au couvent, puis ses multiples prétendants au mariage. Son dévolu se jettera sur Casimir, peu après le décès de sa bonne maman, sa grand-mère. Elle a dû retourner chez sa mère à la suite de ces tristes événements, mais les choses ne se passent pas bien. Elle aspire à fuir cette mère jusqu’à présent quasi inexistante et dont elle se détache de plus en plus. Alors elle épouse le jeune homme, et devient rapidement mère.
Les années passant, elle se rend compte que cette vie n’est pas faite pour elle, elle a d’autres ambitions, surtout celle d’être indépendante, et va enfin se révéler.
Ce livre apporte beaucoup d’éléments sur la jeunesse de George Sand. Ces premières années sont révélatrices, on peut retrouver beaucoup d’influences ou de repères dans ce que sera son oeuvre. C’est une belle approche.
Quelques ouvrages sont cités, souvent « Histoire de ma vie » où l’auteure de ce livre a recueilli certains passages. Mais c’est un livre surtout ciblé sur cette jeunesse singulière, les références bibliographiques sont peu présentes, mais ne manquent pas pour autant. Tout est axé sur la chrysalide qui deviendra papillon.
À la première phrase, il avait compris que c’était le livre de sa vie. Il l’avait lu et relu des dizaines de fois et il n’en restait pas moins épris, raide dingue, bleu de bleu de ce livre. Il pouvait demeurer en admiration devant la première de couverture ou la quatrième ; feuilleter ses pages lui procurait des sensations inouïes. Il restait des heures à contempler sa tranche, la préface, la postface, les pages liminaires, tout le paratexte.
Pour ses amis, après avoir été un objet de curiosité, le livre était devenu sujet de plaisanterie puis d’agacement. Pour sa femme, un véritable objet de jalousie, un motif de scènes terribles. Elle en était arrivée à ne plus le voir en peinture, il n’était plus question qu’on y fasse allusion.
Ses amis (qui avaient trouvé le livre bien ordinaire), ses collègues de bureau (qui n’avaient jamais rien lu), son patron (qui ne comprenait pas qu’on pût s’intéresser à autre chose que lui), sa femme, donc, s’allièrent pour le faire renoncer à cet amour contre nature (il en reste en ce domaine malgré l’ouverture d’esprit extraordinaire, et parfois pittoresque, de ces dernières décennies) et firent tout pour l’éloigner du bouquin chéri.
Mais l’homme résistait à ces manoeuvres multiples.
Sur le net, il avait trouvé des extraits du livre en téléchargement libre. Il en cachait des pages dans la maison sous le tapis de sol, dans les vieux jouets des enfants et, au bureau, dans ses classeurs de travail. Il finit par apprendre le texte par cœur comme ces personnages de Fahrenheit 451.
Mais peut-on aimer par cœur sans revoir jamais l’élu de ses jours, sans toucher ce qui lui tient de support, sans le humer, le parfumer, le caresser, le lécher, le presser contre soi et se presser contre lui, de tous ses pores, jusqu’à verser quelques sécrétions…
La lecture des phrases, imprimées ou non, était à chaque fois source d’éblouissement et d’un contentement vif non moins qu’intense.
Le livre, son livre, était un objet et un être, un contenant enveloppant une individualité foisonnante de richesse et de beauté. Aujourd’hui, notre homme vit heureux sans femme ni amis ni boulot, en seule compagnie du livre de sa vie dont il ne se lasse jamais comme il se doit avec un amour aussi vif qu’éternel.
« Profanes » de Jeanne Benameur convoque un nombre restreint de personnages mais réussit à faire d’un décor unique le lieu de mutations et de respirations nouvelles. Un vieux chirurgien du cœur, Octave, décide de terminer ses jours en invitant quatre personnes, trois femmes, un homme, à venir s’occuper de lui, au fil de ses journées, en parfaite alternance. Ainsi, Hélène, Yolande, Béatrice et Marc, peu à peu, se glissent dans la peau de cette étrange villa, pleine de souvenirs et de mémoire. Octave a perdu sa fille, n’en a jamais guéri, séparé de sa femme. Le temps, celui des journées partagées, celui du souvenir âpre, celui des clartés gagnées sur la nuit, à force d’échanges, de poésies (Ocave s’adonne au haïku), le temps est le grand compagnon du vieil homme, tendu cependant, mais fécond comme quelque chose que l’on remporte sur soi, une sombre victoire.
Jeanne Benameur
L’histoire se déroule en peu de jours et laisse en la mémoire du lecteur une richesse insoupçonnée de caractères, de psychologies et de climats. L’écriture, très fine, très poétique, souvent elliptique, maitrise ses champs : on sent l’auteur proche des thèmes qu’elle traite avec une infinie élégance et une aisance douce.
L’on retiendra longtemps les conciliabules prégnants entre Octave et ses amis du jour ou de la nuit. Voilà un roman intimiste qui plaira aux plus exigeants.
Le livre traduit de l’Espagnol Julio LLamazares est une prodigieuse analyse d’un destin humain, aux prises avec une nature hostile et le Temps, inexorable dévoreur.
Un homme vit dans un hameau isolé des Pyrénées espagnoles, complètement vidé de ses habitants. Il est marié à Sabina et possède une chienne fidèle.
Au fil du temps, les habitants sont partis, laissant le village s’effondrer sur lui-même.
La mort de Sabina, l’attente épuisante, le lent travail sur lui-même et sur sa mémoire qui peu à peu s’altère, la mort des choses et la perte des liens acheminent le roman vers la déliquescence.
Julio Llamazares
Le lecteur sort de ce livre effrayé par la dose de réalisme et d’étrange que le romancier a pu injecter à sa fiction : tout y est vraisemblable et prégnant, comme toute existence qui se sait presque finie, étouffée par tant de contraintes.
Soseki (1867-1916) l’auteur de « l’Oreiller d’herbes », est mort il y a juste cent ans.
L’auteur japonais excelle à décrire des personnages englués dans la solitude. Ici, un homme de lettres, professeur déchu, Shirai Dôya, deux jeunes hommes, amis d’études, Nakano et Takayanagi.
L’écriture est au cœur du roman : Dôya passe toutes ses journées à écrire sans en retirer un avantage pécuniaire ni beaucoup de notoriété. Son ancien élève du secondaire, Takayanagi, veut quant à lui faire de l’écriture sa vie mais n’y parvient guère.
Dans un jeu de relations amicales d’entraide et de compréhension, les trois personnages de Soseki révèlent l’impitoyable société d’alors, peu amène pour les créateurs littéraires, fascinée par les apparences et la fonction. On sent l’auteur critique de ces usages, dans des descriptions d’un univers attaché à ses convenances.
Une grande finesse d’analyse perce les enjeux de cette histoire aigre-douce, dont l’amertume tient surtout à ces parcours d’écrivains de l’ombre, tout à leur art et abandonnés dans une vie qui les ignore.
Un classique naturaliste, sans doute, dans l’acuité des observations, et par une écriture qui cerne au plus près l’essence de la vie.