TROIS POÈMES d’ÉRIC ALLARD traduits par STÂNIȘOARA STÂNCEL MĂRGINEAN en suédois et en roumain / Illustrations de CLAIRE MÉRIEL

DES ÉPAVES DE PRIÈRE

pendant que tu regardes l’océan
à travers les phares

une fée troque ses ailes
contre une nageoire caudale

un voilier se crashe
contre une falaise de craie

une église sous-marine
recueille des épaves de prière

sur une étoile de mer
une sirène écrit son rêve

en lettres de sel

+

EPAVE DE RUGǍCIUNE

ȋn timp ce tu privești oceanul
prin faruri

o zȃnȃ ȋși schimbӑ aripile
cu aripioare caudale

o barcӑ cu pȃnze naufragiazӑ
pe o stȃncӑ de cretӑ

o bisericӑ submarinӑ
primește epave de rugӑciune

pe o stea de mare
o sirenӑ ȋși scrie visul

cu litere de sare

+

BÖNEVRAK

medan du tittar på havet
genom fyrar

en fe byter sina vingar
till stjärtfenor

en segelbåt kraschar
på en kritklippa

en undervattenskyrka
tar emot bönevrak

en sjöjungfru skriver sin dröm
på en sjöstjärna

med bokstäver av salt

+

LE DON *

qu’as-tu fait du bleu
du champ de jacinthes ?

qu’as-tu fait du blé
qui chantait dans le jaune ?

qu’as-tu fait du rouge
qui perlait à ton cou ?

qu’as-tu fait du rêve
qui veillait sur le vert ?

j’ai tout donné à la lumière
pour dessiner ton ombre

+

DARUL

ce ai fӑcut cu albastrul
cȃmpului de zambile ?

ce ai fӑcut cu grȃul
care cȃnta ȋn galben ?

ce ai fӑcut cu roșul
care atȃrna perle ȋn jurul gȃtului tӑu ?

ce ai fӑcut cu visul
care veghea asupra verdelui ?

am dat totul luminii
ca sӑ-ți desenez umbra

+

GÅVAN

vad har du gjort med den blåa färgen
av hyacintfältet ?

vad har du gjort med vetet
som sjöng i det gula ?

vad har du gjort med det röda
som pärlade runt din hals ?

vad har du gjort med drömmen
som vakade över det gröna ?

jag har gett allt till ljuset
för att rita din skugga

___________

+

UN GRAND TRAIN DE VIE

j’ai perdu mon regard
sur un quai de gare

et mes yeux sur les rails
ont roulé sur ta peau

tu l’avais par mégarde jetée
par la vitre d’un wagon-lit

mon regard et ta peau
font désormais bon ménage

ils mènent un grand train de vie
dans la salle des pas perdus

+

O VIAȚǍ LUXOASǍ

mi-am pierdut privirea
pe peronul unei gӑri

și ochii mei ațintiți pe șine
s-au rostogolit peste pielea ta

tu ai aruncat-o din greșeala
pe fereastra unui vagon de dormit

privirea mea și pielea ta
fac de atunci casӑ bunӑ

ele duc o viațӑ luxoasӑ
ȋn camera pașilor pierduți

+

EN LYXIG LIVSSTIL

jag har tappat min blick
på plattformen på en tågstation

och mina ögon på spåren
har rullat över din hud

du hade slängt den av misstag
genom fönstret i en sovvagn

min syn och din hud
sedan då kom de bra överens

de lever en lyxig livsstil
i rummet av de förlorade stegen

Les oeuvres illustrant ce post sont de Claire Mériel. Elle font partie de sa série intitulée Paysages évanescents.

Le site de CLAIRE MÉRIEL

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STÂNIȘOARA STÂNCEL MĂRGINEAN

est née en 1974 au cœur de la Transylvanie (en Roumanie), vit actuellement en Suède.

Elle a une licence et un master en langue et littérature roumaines et françaises, obtenu en Roumanie et des cours de spécialisation en littérature francophone canadienne contemporaine, en langue suédoise et en traduction littéraire, réalisés à l’Université de Stockholm. Elle a également obtenu, à la même Université, un diplôme de Superviseur pour des étudiants en pédagogie.

En ce qui concerne sa vie professionnelle, Stȃnișoara exerce, à présent, un métier didactique au niveau des langues et civilisation suédoises, françaises et roumaines, en même temps qu’elle fait des travaux de critique littéraire, linguistique et pédagogique.

Son plaisir de travailler avec les langues a éveillé en elle le désir de se lancer dans le monde de la traduction littéraire. Elle a récemment commencé un master en théorie de la traduction, à l’Université de Stockholm. Parmi les écrivains les plus consacrés, sur lesquels Stȃnișoara s’est déjà appuyée, en tant que traductrice, il y en a les suivants : Bernard Friot, Astrid Lindgren, Matei Vișniec, Sonia Elvireanu et Marian Drăghici.

Sur Les Belles Phrases ENSOLEILLEMENTS AU COEUR DU SILENCE de SONIA ELVIREANU, traduit en suédois par STÂNIȘOARA STÂNCEL MĂRGINEAN

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LES LECTURES d’EDI-PHIL #46 : TOP 10 des LECTURES BELGES 2022

Les lectures d’Edi-Phil

Numéro 46 (décembre 2022)

Coup de projo sur le monde des Lettres belges

sans tabou ni totem, bienveillant mais piquant…

Spécial Tops de fin d’année !

Top 10 des lectures belges 2022

Philippe REMY-WILKIN (par Pablo Garrigos Cucarella)

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(1)

Vincent ENGEL, Retour à Montechiarro, roman, Le livre de poche/Fayard, Paris, 2001, 725 pages.

Alain BERENBOOM, Hong Kong Blues, roman, Genèse éditions, Bruxelles/Paris, 2017, 317 pages.

(3)

Charles BERTIN, Journal d’un crime, roman, Espace Nord, réédition 2022 d’un texte édité en 1961, Bruxelles.

(4)

Gérard BEDORET, Olivier CORTEN et Pierre KLEIN, De Salamanque à Guantanamo, une histoire du droit international, BD, Futuropolis, Paris, 2022, 251 pages.

(5)

Marc QUAGHEBEUR, Belgiques, recueil de nouvelles, Ker, Hévillers 2022.

(6)

(7)

Bernard ANTOINE, Aquam, roman, Murmure des soirs, Esneux, 2022.

Jean-Pol HECQ, Mother India, Des nouvelles de l’Inde, recueil de nouvelles, Genèse, Paris/Bruxelles, 2022.

(8)

Luc DELLISSE, Belgiques, 2021, 137 pages.

Laurent DEMOULIN, Belgiques, 2021, 142 pages

(10)

Frédéric SAENEN, Camille Lemonnier, Et s’il entrait dans la Pléiade ?, Lamiroy, collection L’article, Bruxelles, 2021, 44 pages.

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J’ai parlé de tous ces livres en 2022 dans ma mini-revue Les lectures d’Edi-Phil, de quelques-uns aussi dans Le Carnet (Bédoret/Corten/Klein, Antoine, Hecq) ou lors de l’opération Lisez-vous le belge ? (Bertin, Quaghebeur). Un seul, Montechiarro, a été passé sous silence car un gros dossier est mis en réserve pour une revue prestigieuse, à paraître en mars 2023.

Philippe REMY-WILKIN.

LA FABRIQUE DES MÉTIERS  – 129. COUPE-PLAINTE


Quand vous en avez assez de vous plaindre, de vous larmoyer, de scier les nerfs de vos contacts Facebook, faites appel au coupe-plainte !

Il possède les outils pour arrêter vos jérémiades, très vite et sans mal.
C’est comme la piqûre vaccinale – que les antivax assimilaient (il n’y a pas si longtemps) et réassimileront au prochain virus à une extraction de dent de sagesse, à la bombe atomique, à l’apocalypse climatique, à l’invasion d’un pays indépendant par un avatar de tsar, et pire que tout à la privation de leur liberté de paresser. 

En rasant vos lamentation à la racine, le coupe-plainte vous redonne de l’espoir, foi en la vie neuve et procure une nouvelle vigueur à votre réseau d’amis – qui bientôt, certes, n’en pourront plus de vos manifestations de bonne humeur et trouveront le premier motif pour vous bloquer, s’ils ne vous ont pas méprisé avant… en espérant vous revoir bientôt en pleurs pour retrouver confiance en eux tout en vous consolant d’une suite d’émojis sympas et de gifs sautillants à souhait.

Le coupe-plainte positive, il zennise, assis en lotus ou suspendu dans les airs sur l’absurdité du monde (tant qu’il n’aura pas piqué une colère froide pour n’avoir pas été écouté pendant son sermon).

Avec le coupe-plainte, vous retrouvez vos effusions de foi en la religion de votre enfance ou en l’Action laïque. Vous égorgez à nouveau avec tact et entrain vos moutons de l’Aïd-el-Kébir et vos poissons martyrs du Vendredi-Saint, vous coupez la tête à vos poules de Pâques pour des œufs saignants et en règle. Vous retrouverez foi en la médecine nucléaire, en l’informatique quantique, en l’intrication (cette nouvelle poule au pot pour pseudo littéraires en mal d’idées) sans oublier l’édition plus ou moins subventionnée et plus ou moins chroniquée gracieusement.

Il faudrait à peine vous pousser pour que vous croyiez aux vertus de la science, sauf celle des Bogdanov, passés de vie à trépas, aux tables de vérité de la logique de Wittgenstein (et non celle de votre conseiller en prévention), aux puces de l’intelligence artificielle (l’humaine est trop faillible) et aux ruses de la littérature générale (la colonelle provoquant du reflux gastrique et des selles salées).

Mais ne nous voilons pas la face, nous constatons ici même les limites des effets du coupe-plainte qui peut donner lieu à de graves éruptions de lyrisme (avec débordement de bave) et de bien-être dommageables pour la peau et la poésie mainstream.  

Ecoutons ce que disait le maître yogi Sagui Chatri à son disciple dans la posture du Chien tête baissée (invitant pourtant aux effusions) : Point trop de lyrisme tu absorberas si tu veux garder la peau lisse et une digestion parfaite !, cependant que riait la mouche de la vache sacrée avant de succomber à un spray d’insecticide indien.

Plus concrètement, en cas d’abus du coupe-plainte et excès d’optimisme qui vous ferait voir le parlement wallon pour un spa, on administrera un contrepoison efficace recommandé par La Fabrique des Métiers : l’ABRÉGEUR de LOUANGES.

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MADAME IRMA, PERLES FINES (Ed. Lamiroy) / La lecture de GAËTAN FAUCER

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Florilèges d’absurdités et de bêtise en tous genres. Un régal pour les yeux et les neurones. 

C’est comme un pot de marmelade ! On sait que c’est du costaud, que ce sera du lourd… on y met un petit doit, puis un deuxième et le reste suit ——> jusqu’au plaisir suprême !

Madame Irma nous fait voyager dans plusieurs univers. Installez-vous dans un siège, bien confortablement et partez à l’aventure avec elle.

La marmelade devient alors un entremets succulent que l’on lèche avec délicatesse, page après page. 

L’auteure est une comique comme je les aime. C’est-à-dire : de l’humour, beaucoup d’absurdité et des réflexions à souhait.

Le concentré parfait pour les amateurs d’humour non politiquement correct. Ouvrage à glisser dans des mains intelligentes (il y en a encore !). 

On raconte qu’un deuxième opus est sur le point de paraître. Quelque part, vers février…mais chut, je n’ai rien dit !

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Madame Irma, Perles fines, Editions Lamiroy, coll. Kro et Madame Irma, 88 pages couleur, format 20 x 20 cm, 20 €. Editions Lamiroy 

En (sa)voir plus sur le site des Editions Lamiroy

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2022 – FLEURS D’AUTOMNE : CACTUS ESTIVAUX / La chronique de DENIS BILLAMBOZ

DENIS BILLAMBOZ

Comme l’été a été particulièrement chaud et sec, j’ai fait provision de Cactus et je suis donc en mesure de vous en transmettre une partie. Voici donc une chronique résultant de l’assemblage de trois commentaires de lecture de trois auteurs de cette maison d’édition : Philippe SIMON, Christophe BONNEAU et Karel LOGIST. Trois auteurs que je ne connaissais pas, trois découvertes, trois beaux souvenirs de lecture…

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Tyrannie de la poussière

Philippe Simon

Cactus Inébranlable Éditions

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Voilà un nouvel auteur que je découvre au Cactus inébranlable et, dès son troisième aphorisme, il m’a déjà convaincu … ou presque :

« En général ceux qui sont revenus de tout ne sont jamais allés bien loin. »

Vous conviendrez avec moi que c’est plein de finesse et d’esprit, tout ce que j’aime. Pas étonnant, l’homme, d’après sa biographie, possède une culture littéraire déjà bien diversifiée et tout aussi étoffée. Il utilise certaines figures de style, j’ai notamment remarqué quelques zeugmas, de même qu’il n’hésite pas à détourner des expressions consacrées pour leur donner un autre sens souvent fort incongru ou plein d’humour. Comme il l’écrit : « Je veux juste laisser chanter les mots, au gré du cœur et des maladresses », ce dont nous nous réjouissons !

Dans ses aphorismes, il évoque notamment le monde qui se défait, l’écologie, la société, l’économie en déconfiture, la vie de plus en plus difficile pour plus en plus de terriens :

« Nous habitons à crédit notre époque percluse de dette. »

« Supprimer les fromages au lait cru ! Autant supprimer les fromages ». L’apprenti producteur de lait que je fus ne peut qu’abonder avec enthousiasme.

Il distille aussi quelques propos plus philosophiques, plus politiques, plus empreints de réflexion sur la décomposition sociale.

« C’est si facile de risquer la peau des autres. C’est d’ailleurs le principe même de la guerre. »

« Il y a des provocateurs. Moi, je serais plutôt « anti ». il y a des anticonformistes. Là, j’en suis. »

« La solitude, mais bien sûr qu’elle existe ! Elle habite au nord du drame, là où diables et dieux n’ont jamais cru à l’existence de l’âme. »

Mais je prends un certain plaisir à conclure cette liste, en citant ce dernier aphorisme empreint de sarcasme et d’ironie

« Une promenade avec un vélo électrique ? Pourquoi pas l’amour avec une poupée gonflable ? »

Philippe n’est peut-être jamais passé dans ce coin de Corse où j’ai récemment lu cette inscription au fer forgé :

« La créativité est la gourmandise de la pensée. » Mais, s’il ne l’a pas lue, je suis sûr qu’il la ferait sienne bien vite.

L’ouvrage sur le site de vente en ligne du Cactus Inébranlable

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Faut-il dire la vérité aux éléphants ?

Karel Logist

Cactus Inébranlable Éditions

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Je ne connaissais pas Karel Logist avant de lire ce recueil mais il ne m’a pas fallu beaucoup de temps avant d’éprouver une certaine empathie avec lui. L’exergue qu’il a choisi m’a tout de suite mis dans les meilleures dispositions pour ma lecture, en effet, un auteur qui, se citant, écrit : « Toute définition de l’aphorisme rend son auteur infréquentable » ne peut que donner envie de le lire, de le lire vite. Je n’ai pas été déçu car, dès la première page, j’ai noté quelques aphorismes du meilleur cru, pleins de lucidité, d’esprit et d’humilité : « Le poète ne cherche pas ses mots, il les rencontre ». Celui qui cherche n’est qu’un besogneux, le talentueux est celui qui est spontanément inspiré. J’ai aussi beaucoup aimé celui-ci : « Vieillard volage, il trompait le temps avec une jeunesse qui n’était plus à lui » qui m’a séduit non seulement par sa finesse d’esprit mais surtout par la manière dont l’auteur l’a rédigé. Je pourrais aussi en rapporter de nombreux autres qui m’ont particulièrement ravi mais je me contenterai de ne citer que quelques exemples car ils sont trop nombreux à m’avoir épaté et il serait inconvenant de ne pas en laisser la primeur aux lecteurs.

Mais comme « À l’impossible, nul ne renonce », j’en proposerai encore quelques-uns particulièrement inspirés pour leur mettre l’eau à la bouche : « On a beau accusé son âge ; le vrai coupable court toujours. », « Avant de vouloir tout arrêter, si nous arrêtions de tout vouloir ? », ce joli paradoxe entre l’avance et la ponctualité : « Il avait beau être en avance sur son temps, c’était quelqu’un de très ponctuel. » et cet autre entre la richesse et la vacuité : « Il avait acquis un certain train de vie, dont les compartiments restaient vides. »

Mais je ne pourrais clore cette chronique sans citer celui-ci qui contient une pointe d’humour vachard comme j’aime bien. Ce n’est pas spécialement la mise en cause de la profondeur de la pensée de BHL que je n’ai jamais analysée, qui m’a fait rire mais surtout sa comparaison avec la profondeur savamment étudiée du débraillé de son col de chemise. « Ce qu’il y a de vraiment profond dans la pensée de BHL, c’est l’échancrure de ses cols de chemise. » Trop drôle !

Cet auteur à la vaste culture et à la pratique protéiforme de l’écriture, comme le laisse supposer sa biographie, dispose ainsi d’un large champ littéraire à explorer pour y faire les plus belles rencontres. Je n’oublierai pas non plus de signaler que ce recueil est joliment agrémenté de collages de Robert Varlez qui représentent surtout des personnages improbables, fantastiques, composés d’éléments provenant de divers autres personnages, …, juste ce qu’il fallait pour faire vivre les textes de Karel Logist.

L’ouvrage sur le site du Cactus Inébranlable

Carnet de doutes, le site de Karel LOGIST

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Les voluptés de la discrétion

Christophe Bonneau

Cactus Inébranlable Editions

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Certes Christophe Bonneau n’est pas un novice dans le monde des lettres mais il ne fait pas partie de la cohorte de ceux qui sont prêts à tout et surtout à n’importe quoi pour publier un recueil. Il prend son temps, chaque matin, il écrit quelques aphorismes pour mettre ses neurones en jambe. Avec, ce recueil, il a rejoint la tribu, devenue cohorte, des auteurs de P’tits cactus, ce qui est une référence dans le monde des lettres.

Ses « aphorismes et observations » précise-t-il en sous-titre à ce recueil évoquent la vie que l’on mène dans l’humanité perturbée que nous connaissons depuis quelques décennies. Il dit ce qu’il voit, ce qu’il entend, ce qu’il ressent, ce qu’il en déduit et aussi les craintes qu’il a pour le futur de la planète et de la société qui l’occupe.

« La société, à la fois objet de conservation et sujet de conversation. »

« L’enfant déjà, pose sa main sur le caddie. »

« Un écrivain qui lit. / Un cuisinier qui mange. / Un musicien écoutant de la musique. / Un crétin devant TF1. »

Pour ce faire, il s’attarde sur différents thèmes comme la vie, la mort, la vieillesse,  l’amour et toutes les choses banales et triviales qui composent notre quotidien. Mais ce qui semble le plus l’impressionner, le fasciner, le décourager c’est l’immensité et l’étonnante capacité à se régénérer sans jamais mollir de la « connerie humaine. »

« Les gens qui n’ont pas d’idées taxent souvent ceux qui en ont de bornés. »

« Certaines poignées de mains ressemblent à des poignées de porte. »

« Leur intérieur : internet. / Leur extérieur : le téléphone portable. »

Pour compenser cette connerie envahissante, il démontre une vaste culture surtout dans le domaine cinématographique et musical, la musique semble lui être particulièrement chère, il l’évoque avec enthousiasme dans de nombreux textes. Il nous réserve aussi quelques espiègleries amusantes, humoristiques, satiriques, sarcastiques ou même surréalistes, …

« Comme un chewing-gum, une nouvelle relation a beaucoup de goût au début. »

« Est allé au bout de lui-même, / s’est retourné, / n’a pas vu grand-chose, / s’est juré de ne plus jamais s’y rendre. »

Et la musique, bien sûr, « La musique est le seul art qui peut se permettre de ne rien dire. » ; « Il est des gens qui, en se taisant, nous parlent plus que bien d’autres. ». Alors…

L’ouvrage sur le site du Cactus Inébranlable

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L’ABONNEMENT ANNUEL aux P’TITS CACTUS, c’est 12 recueils d’aphorismes pour 95€ !

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PROSES SOUFFLÉES (241-260) d’ÉRIC ALLARD / OEUVRES de FERDINAND PIRE

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241.

À la base, j’étais triangle. On ne m’a pas permis d’atteindre les sommets. Je suis resté dans un coin jusqu’à ce qu’une fenêtre s’ouvre sur une perspective de prismes droits. Depuis, dans une boîte en verre, j’enseigne en ligne la trigonométrie à des points d’interrogation.

242.

Je trempe ma trompe dans ta traîne. Le temps me torture. Le train terrorise les rails. Tout tremble dans ma tête. Je traite avec les fermiers, ces fumiers, pour dormir dans ton étable et avaler ton lait. Tes pis me plaisent tant, et ton poil et ton poitrail. Tu es ma vache préférée !

243.

Dans une autre nuit, je n’aurais pas vu le jour. Insensible à la couleur, je me serais fait invisible. Insensible à la chaleur, je me serais fait flamme pour brûler ta langue. Insensible au bruit et à la fureur, je me serais fait silence pour respirer le parfum de l’immortelle.

244.

Qui a inventé l’amitié que je lui arrache le cœur, que je lui fasse rendre gorge ? Quel labeur de repousser les marques d’affection, pour maintenir son quant-à-soi, le principe sacré de l’isolement ! Cracher sur l’aspirant camarade vous préserve d’un avilissant attachement.

245.

Des fées, des fées !, clament les conteurs. Des faits, des faits !, réclament les journalistes. Des fêtes !, revendiquent les confinés. Des fleurs !, implorent les jardiniers. Des flammes !, supplient les incendiaires. Et puis quoi, encore !, gueule le magasinier.

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246.

La figue se fend par où le fruit s’infecte. La pomme me glisse des mains et s’affaisse parmi les épluchures. Du jus foule le sol. J’entends le cri des fraises qu’on écrase. Sur ta peau, une tache de son me renseigne sur la source du silence. Je suce un noyau de bruit.

247.

Tu piques mes pas de danse. Et je reste pantelant sur la piste. Comme un éléphant sans trompette, je verse dans la fosse d’orchestre des touches de piano en ivoire. Un DJ blanc m’abat de douze balles dans le do et je meurs la au sol, sans ré si dense, sans fa mi musical.

248.

Je sais que tu m’aimes quand tu craches dans mon verre. Je sais que tu m’éclabousses quand je te fais marcher sur l’eau. Je sais que tu me hèles quand tu me fais signe de t’aimer et que tu me fleuris quand tu m’envoies sur les roses. Sais-je autre chose de ce que tu fais sans moi ?

249.

Je mets en scène ma vie. Du saut du lit au tomber de rideau. Tous les jours la même pièce-cuisine-chambre à coucher. Un one-man-show répétitif dans un décor convenu avec un public intégré à l’action. A l’entr’acte, les spectateurs du four regardent avec moi le jité de la mi-journée.

250.

Quand ses draps le tirent vers la nuit, mets ton fantôme à l’ombre, le temps qu’il se refasse une literie ! Prends l’aube comme elle vient, retiens tes chimères, fais-toi du soleil des spectres numineux ! Enfile un linceul propre pour aller guincher au bal des vampires !

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251.

Dans ma collection d’armes et d’instruments de musique, j’apparie: un orpharion à une arbalète, un katana à un shamisen, un cornet à bouquin avec un yatagan, un Beretta 92 à un théorbe, une hallebarde à un balafon… Je joue du couteau et je tire des notes mortelles.

252.

Dans la mémoire collective, on se souvient davantage de la fable de l’éléphant et du roseau que de celle du chêne et du moineau. Mais l’allégorie qui mérite d’être retenue est celle de la pie et du souvenir volé dans une histoire depuis longtemps oubliée.

253.

Rue des Filatures, je t’ai filée. Rue de la Timidité, je t’ai abordée. Rue des Appogiatures, j’ai insisté. Rue des Baisers, tu m’as lourdé. Rue des Émasculés, tu m’as châtré. Rue du Saule, tu m’as pleuré. Rue des Rosiers, on m’a enterré. C’était une ville qui ne me valait rien.

254.

Je tombe du ciel dans ton assiette. Et tu me prépares un plat de tête. La faim s’accroche aux rideaux. Par la fenêtre, je maîtrise le paysage. M’ouvriras-tu la porte si je te dis que j’ai avalé tout ce que tu désirais ? Pour finir, je lèche les bords du vol où tu as vu.

255.

Ses dents sur son pénis dessinaient d’incisives sensations. Ses seins avivaient son sang. Puis, ses doigts, ses lèvres, sa langue édictèrent leur désir… Il avait surmonté les affres de la fellation. D’un tison, le frelon avait tiré un feu pâle, puis s’était effacé.

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256.

J’échangerais bien un regard contre une poignée de nuit si je savais sur quel quai le train de l’étoile dépose son chargement de lumière. Faut-il encore que je me lève avant l’aube et qu’aucune planète du système solaire n’écarte le transporteur du ciel de sa destination.

257.

Couché sur les mots, je contemple le ciel des livres. Ils remuent sous moi et je sens leurs vibrations. Tout ouïe pour les bruits de l’air, je goûte la texture du silence. Rien ne s’écrit plus tant que je suis là. Des vagues de fiction s’échouent sur le sable de mes cahiers.

258.

Sur le divan du géomètre, je fais le point sur mon amour d’une droite. D’une pente de trente degrés, résistera-t-elle à mon inclination ? S’allongera-t-elle ? Ne dois-je pas plutôt succomber aux avances d’un plan qui me fait du plat depuis que je suis né sous x ?

259.

Quand on se sera débarrassé de nonante-cinq pourcent de la poésie sentimentale, il restera à éliminer cinq pourcent de poésie consensuelle, me dit le nouveau directeur de la centrale de poésie correctionnelle qui compte bien apposer sur l’ensemble de la production poétique locale la toute nouvelle certification Inno2023.

260.

Nucléon et noyau d’olive. Anion et graine de lin. Quark et gruau d’avoine. Boson de Higgs et bâton de réglisse… Quand la matière alimentaire complémente la physique nucléaire, je me nourris des élémentaires molécules de savoir pour irradier la poésie des particules.

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FERDINAND PIRE

Oeuvres à la Galerie SAINT JACQUES

Oeuvres sur ARTNET

Sa page Wikipedia

Sa page Facebook

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MAROLLES La Cour des chats de VÉRONIQUE BERGEN (CFC Editions) / La lecture de JEAN-PIERRE LEGRAND

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J’ai toujours détesté le Palais de justice de Bruxelles. Je le trouve fort laid. Cette disgrâce qui tient à mes goûts personnels en rejoint une autre, bien plus objective : celle de l’injustice faite aux centaines de familles délogées du quartier des Marolles pour permettre la construction de ce temple pharaonique et sinistre d’une justice alors implacable pour les pauvres.

Les Marolles : c’est à ce lieu depuis toujours en marge que Véronique Bergen consacre un essai passionnant qui lui tient d’autant plus à cœur qu’elle y a vécu de longues années.

Le texte, vibrant de passion, de tristesse et de colère, s’ouvre sur la sombre litanie des rues détruites, à jamais perdues. On en dénombre des dizaines. En majorité des impasses. Pourquoi donc cet acharnement ? Sous les prétextes sanitaires ou humanitaires, Véronique Bergen débusque la vieille obsession de contrôle panoptique des populations et singulièrement des plus défavorisées . La volonté planificatrice a toujours vu une sorte de défit ou de poing perpétuellement levé dans ce lacis de ruelles et de passages dérobés aux regards, qui a « servi non seulement la vie en marge, la clandestinité mais aussi les émeutes et la victoire des émeutiers dans l’attachement à la singularité du lieu ».  Dans cette affection passionnée, « nulle position de repli mais une ouverture au différent, une poétique du brassage, des alliances avec tout ce qui fait l’école buissonnière. »

Dès le XIIIème siècle, le rejet des Marolles hors de la première enceinte de Bruxelles signe une marginalisation structurelle qui, au fil du temps, va se retourner en une marginalisation choisie, vécue, incarnée en un esprit frondeur et contestataire servi par une langue d’essence séditieuse aux mots qui giclent – le brusseleer/marollien – et un humour retors, la zwanze, mélange subtil d’ironie fine et imagée, de sens de l’observation et de la répartie.
Rebelles aux principes de planification et de fonctionnalisme, les Marolles sont dès leur origine, « un corps sans organe qui pousse par le milieu » et s’étend en rhizomes. Pauvres elles sont de toute éternité le royaume de la débrouille, de la récupération : les chiffonniers y sont alors le maillon central d’une économie diffuse, fragile et solidaire.

Nez au vent, Véronique Bergen nous entraîne dans sa flânerie à l’écoute attentive de la vie des pierres et de l’histoire humaine qu’elles abritent, sans oublier le petit peuple des chats qui, au Moyen-Âge, régnait sur la Kattenhof, un terrain vague à l’emplacement de l’actuelle place Jean Jacobs. Elle s’enflamme à l’évocation des combats passés et présents avec leurs fréquentes défaites mais aussi leurs quelques victoires d’autant plus précieuses. En 1969, dans l’opposition aux travaux d’extension du Palais de justice, un slogan claque, aussi percutant que ceux des étudiants un an plus tôt : « nous logeons mal mais nous habitons bien ! ». Impossible de mieux dire l’âme des Marolles …

Le miracle du quartier est de se relever sans cesse, de « remarolliser ce que la Ville a voulu démarolliser / démoraliser », de se réensauvager sur ses ruines.   Mais le miracle a ses limites : tout ce qui a résisté à l’urbanisation sauvage et à la « brussellisation » est aujourd’hui menacé d’un mal plus insidieux : la « gentrification ». A Bruxelles comme ailleurs, tout l’art de l’attelage pouvoirs publiques – promoteurs est de laisser pourrir des îlots entiers pour les déclarer ensuite insalubres. S’ensuivent des rénovations parfois réussies mais assorties de nouveaux loyers impayables qui rejettent les pauvres (ou même de moins pauvres) hors des endroits convoités. Ainsi se défont progressivement la vie d’un quartier, le tissu social, les liens de solidarité entre les habitants. En filigrane l’essai de Véronique Bergen pose la question de la place de la pauvreté dans nos villes. Sous les vocables trompeurs de « revitalisation », de « mixité sociale » et de « quartiers en devenir » se dissimule une politique urbanistique qui sacrifie trop souvent les populations les plus précaires au profit de classes aisées et d’une vision productiviste tournée vers le tourisme. Mais la lutte est engagée : tout un réseau s’est mis en place qui entend sauvegarder les derniers espaces populaires : « un contre-feu vivace à la planification de villes- pour- personne ».

L’attachement de Véronique Bergen à ce quartier palimpseste où se superposent plusieurs couches architecturales, problématise notre rapport à l’histoire. L’autrice semble vouloir désamorcer par avance les critiques faciles des fanatiques de la marche en avant pour qui tout regard jeté dans le rétroviseur témoigne d’un conservatisme vieillot et stérile. A plusieurs reprises l’essayiste réaffirme la nécessité de conjuguer respect du passé et ouverture aux devenirs de la Ville. Indice de l’extrême cohérence de la pensée de l’autrice, c’est dans l’un de ses précédents ouvrages, Tout ange est terrible, consacré à Marie-Jo Lafontaine, que je trouve en germe l’expression la plus fine de cette conception éloignée de tout fétichisme des vieilles pierres. Dans des lignes consacrées à l’enfance, elle souligne dans l’œuvre de l’artiste l’émergence bienfaisante de « blocs d’enfance » compris non comme le retour nostalgique à un paradis perdu mais comme son rayonnement dans le présent. L’enfance, écrit-elle, « s’avance comme un chemin à tracer dans l’axe du devenir, à impulser dans le présent et dans le futur et non comme des choses passées à retrouver ».  Bruxelles et ses Marolles ont aussi leurs blocs d’enfance, de passé : les nier ou les détruire, c’est tourner le dos à la vie.

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Véronique Bergen, MAROLLES – La Cour des chats, CFC éditions, collection La ville écrite, octobre 2022

Le livre sur le site de vente en ligne des CFC Editions

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2022 – FEUILLES D’AUTOMNE : ENFANTS JUIFS DANS LA TOURMENTE / La chronique de DENIS BILLAMBOZ

DENIS BILLAMBOZ

Les témoignages de la vie des Juifs ayant survécu à la Shoah ne sont pas venus très vite, il était trop dur pour eux de parler. Dans cette chronique j’ai rassemblé deux livres écrits par des auteurs qui ont rencontré des personnes ayant échappé à la barbarie nazie et qui n’ont témoigné que lorsqu’elles sont devenues adultes, quand elles ont compris qu’il fallait dire ce qu’elles avaient subi. Henri ROANNE-ROSENBLATT raconte la vie romancée du cinéaste Saül BIRNBAUM et Samuel HERZFELD rapporte le témoignage de Jürgen LÖWENSTEIN. Bien réel, lui !

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Le cinéma de Saül BIRNBAUM

Henri Roanne-Rosenblatt

M.E.O.

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Les Edifions M.E.O. rééditent ce livre paru en 2012, à l’occasion de la sortie du film qui en est inspiré, Le Chemin du bonheur. Ce chemin c’est la vie de Saül Birnbaum depuis que sa mère l’a envoyé, en 1939, à Bruxelles dans un Kinderstransport organisé par la Croix rouge pour échapper à la vindicte nazie qui déferlait alors sur l’Autriche après son annexion au Deutsch Reich par l’Anschluss. Né à Braunau-sur-Inn, comme Hitler, à la frontière entre l’Allemagne et l’Autriche, Saül fréquente l’école locale en compagnie de Hilde la nièce d’Hitler. Malgré la douleur de la séparation et le risque de ne jamais revoir son fils, sa mère ne peut pas assurer seule sa sécurité après la séparation d’avec son mari. Saül arrive en Belgique où une famille l’accueille comme son propre enfant mais, dès que les lois antijuives prennent effet, elle doit le confier à une mercière avec qui il va partager sa vie jusqu’à sa mort. Il rencontre alors la femme d’un journaliste qui l’initie au cinéma et à la sexualité…

Sa tante réfugiée au Canada lui propose de la rejoindre, il y reste pendant quelques courtes années avant de rejoindre New-York où il réussit dans le commerce de Delicatessen et assouvit sa passion pour le cinéma. Un jour il offre une caméra à son neveu John qui filme des scènes de famille, il lui propose de de mettre en images une nouvelle qu’un célèbre auteur a laissé en gage au magasin pour payer ses repas. Après moult tribulations et la construction de plans de financement tous plus scabreux les uns que les autres, Saül finit par convaincre une vedette de l’écran, un réalisateur et son neveu de tourner le film. Grâce à un concours de circonstances particulièrement heureux, le film est primé à Cannes et connait un succès mondial jusqu’en Autriche où Saül revient pour régler ses comptes.

Ce roman décrit alternativement deux temps de l’histoire de Saül, son enfance et son adolescence et sa passion pour le cinéma et sa carrière de producteur éphémère à New-York. C’est l’histoire d’un petit juif d’Europe centrale arrivé, comme de nombreux autres dont des acteurs, des réalisateurs, des producteurs, des auteurs, des musiciens et divers autres artistes et intellectuels encore, par des chemins détournés sur les côtes américaines où ils ont souvent réussi une belle carrière. Ils possédaient un savoir-faire, une culture, une instruction, …, qui leur a permis de s’intégrer, souvent brillamment, dans une nouvelle société. Ce livre c’est donc l’histoire d’un petit juif qui réussit dans son métier et dans la production d’un film au moins, l’histoire d’un peuple en mouvement pour échapper à son massacre, une page, peut-être la plus cruelle de l’histoire de la planète, l’histoire de certains qui ont réchappé au génocide. Mais c’est aussi une vaste fresque en l’honneur du cinéma américain de l’après-guerre, l’histoire de son épopée : son financement plus ou moins occulte, plus ou moins frauduleux, les pressions idéologiques, politiques, médiatiques, démagogiques, publicitaires, … qu’il subit. Mais c’est aussi toute la magie que cet art a déversé sur le monde quand nous étions plus jeunes, beaucoup plus jeunes…

Dès les toutes premières pages de ce livre, j’ai pensé au film d’Axel Corti : « Welcome in Vienna », si vous lisez ce livre vous admettrez que je ne m’étais pas tellement égaré. Et, pour mieux m’imprégnez de cette intrigue, j’irai voir « Le Chemin du bonheur » dès qu’il sera projeté dans ma ville.

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Pour commander le livre sur le site des Editions M.E.O.

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Jürgen Löwenstein – Destin d’un enfant juif de Berlin

Samuel Herzfeld

Editions Jourdan

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En 2007, adolescent, Samuel Herzfeld est conduit par ses parents en Israël, il y rencontre Jürgen Löwenstein avec son numéro de déporté à Auschwitz tatoué sur le bras, mais ce n’est qu’en 2013 qu’il peut évoquer avec lui son enfance et son adolescence de jeune juif dans l’Allemagne nazie. Jusqu’à cette date, il s’était, comme de nombreux survivants de la Shoah, enfermé dans un profond mutisme convaincu de n’être pas plus compris que cru et cette tranche de vie était tellement douloureuse à revivre en la racontant … Et pourtant, il fallait que les générations suivantes sachent, comprennent ce qui était advenu même si personne ne pouvait réellement ressentir la violence et l’horreur de ce que qu’avait dû subir les Juifs à cette époque.

Jûrgen appartenait à une famille de Juifs allemands de la société moyenne, peu religieuse, qui ne voulaient surtout pas être assimilés aux Juifs de l’Est, à leur sens, rustres et incultes. Jamais, il n’aurait pensé que le pouvoir nazi les assimilerait à ces pauvres gueux. Et pourtant, les brimades, les répressions, les exactions, les violences, …, se sont abattues avec de plus en plus de violence sur le peuple juif jusqu’à ce que la « solution finale » soit mise en application.

Jürgen a très vite été intéressé par le sionisme et il a pu après plusieurs refus intégrer un camp de préparation à l’exil en Israël. Il est ainsi passé d’un camp à l’autre, pour à chaque fois, au gré des décisions législatives nazies, se retrouver dans un camp à la discipline plus sévère et aux tâches plus harassantes. Il finit par aboutir dans un de travail forcé d’où il sera extrait pour être interné à Auschwitz où son passé de travailleur forcé lui a permis de passer dans le camp des détenus et ainsi éviter d’être immédiatement gazé. Commence alors le long calvaire que d’autres auteurs comme Primo Levi, Imre Kertész, …, ont déjà décrit depuis longtemps. Le parcours de Jürgen comprend toutes les atrocités subies par ces détenus, y compris la marche de mort, mais aussi une bonne part de chance qu’il revendique aisément. Il fait partie du très faible nombre de ceux qui sont revenus, ceux qui sont sortis de l’enfer, ceux qui se sont retrouvés seuls dans une société qu’ils ne connaissaient pas et qui ne les reconnaissait plus.

Le retour à la vie normale ne fut pas non plus très aisé, le passage en Israël, auquel il tenait tant et depuis si longtemps, était très difficile mais l’indépendance lui permis d’obtenir un droit d’accueil dans ce nouveau pays où il ne fut pas reçu à bras ouverts. Il était certes juif mais aussi allemands et certains Juifs ne pouvaient pas l’accepter. Malgré tout, grâce à des connaissances des camps de travail, il put participer à la construction d’un kibboutz près de la frontière jordanienne où il résida jusqu’à sa mort en 2018.

Il lui fallut très longtemps avant d’évoquer son histoire et celle des siens disparus dans les camps de la mort, plus longtemps encore avant de fouler à nouveau le sol d’Allemagne et de Pologne et de visiter le camp d’Auschwitz qu’il redécouvert plus comme un lieu de tourisme que comme le camp de l’horreur où il avait vécu.

Ce livre, c’est l’histoire d’un jeune Juif allemand ordinaire pris dans les engrenages de la folie nazie qui fait partie du très faible nombre de ceux qui ont survécu à la solution finale. Ils étaient si nombreux au départ comme nous l’a rappelé Jean Ferrat …

« Ils étaient vingt et cent, ils étaient des milliers
Nus et maigres, tremblants, dans ces wagons plombés
Qui déchiraient la nuit de leurs ongles battants

… ». Et si peu au retour !

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Le livre sur le site des Editions JOURDAN

ENTRETIEN de Julien-Paul REMY avec Samuel HERZFELD, auteur de JÜRGEN LÖWENSTEIN, DESTIN D’UN ENFANT JUIF DE BERLIN 

D’autres lectures de ce livre sur LES BELLES PHRASES

La lecture par Nathalie DELHAYE

La lecture par Jean-Pierre LEGRAND

La lecture de Philippe Remy-WILKIN et Guy STUCKENS

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VESDRE de LUC BABA (L’Arbre à paroles) / La lecture de PHILIPPE LEUCKX

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Lu d’une traite ce beau récit poétique, « Vesdre » de Luc Baba.

C’est nu, épuré, radical, comme quand une blessure vous laisse juste le cri.

Le poète, après quelques pages où il nomme les beautés de sa terre, s’attache à décrire, jour après nuit, l’intense bataille contre l’eau, lors de la crue terrible de l’an passé.

Ces mots perforent la réalité épouvantable, visent à saisir l’impensable surgi de l’eau : les morts, la boue, les plastiques, la déflagration d’une rivière et de ses berges.

L’horreur.

Les pages, toutes constituées du témoignage d’un sinistré, coupé de tout, disent avec effroi la perte, la solidarité née des ordures et des huiles répandues, de l’odeur affreuse dans la vallée.

Tous ont perdu, face à la crue, personnes, souvenirs, intérieurs choyés, vue imprenable. Tous ont souffert à l’aune des enfants, des personnes âgées.

Dans une langue, où le chagrin est corseté, le poète déroule ici l’humanité souffrante comme peu le font, dans une oeuvre d’urgence, littéraire et généreuse. « J’imagine, dit-il, que nous n’aurons plus que le don des autres » (p.61)

En dépit du doute, de la « sale nuit », les messages du poète disent au plus près la douleur et la beauté d’exister. On lui en sait gré.

Luc BABA, Vesdre, L’Arbre à paroles, 120p., 14 euros.

L’ouvrage sur le site de la Maison de la poésie d’Amay

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2022 – FEUILLES D’AUTOMNE : CLIN D’OEIL AUX REVUISTES / La chronique de DENIS BILLAMBOZ

DENIS BILLAMBOZ

On évoque souvent les auteurs et les éditeurs, on se mobilise pour leur apporter notre soutien et, trop souvent, on oublie les éditeurs de revue, les revuistes qui découvrent régulièrement d’excellents talents notamment dans le domaine poétique. J’ai pu lire récemment deux revues ayant édité un numéro spécial : MOT À MAUX qui cesse sa parution en éditant un numéro spécial en l’hommage de LE DÉ BLEU de Louis DUBOST, découvreur de nombreux poètes en Vendée notamment et le GRENIER JANE TONY qui a confié un numéro spécial à Parme CERISET, auteure d’une excellente production.

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Laisser des traces

Numéro spécial – juin 2022

Mot à Maux – N° 21

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Louis Dubost, poète vendéen originaire de Bourgogne, m’a adressé ce numéro spécial de la revue de poésie Mot à Maux créée par Daniel Brochard, un autre poète vendéen, qui s’est accroché à cette publication pour trouver l’équilibre qu’une maladie psychiatrique lui contestait. Aujourd’hui, Daniel cesse la publication de cette revue et, pour ce dernier numéro, il a demandé à Louis Dubost de lui fournir une liste de poètes de sa connaissance qu’il a contactés pour leur demander une contribution à ce dernier numéro. Ils sont plus de trente à avoir répondu à cette invitation. Il leur avait aussi demandé leur avis sur « les traces » laissées par Le Dé bleu, une maison d’édition de poésie animée par Louis Dubost qui a édité de nombreux recueils entre 1974 et 2009.

Parmi les auteurs qui ont fourni une contribution à ce dernier numéro, j’ai remarqué quelques poètes que j’ai déjà lus : Albane Gellé, Luce Guilbaud, Thierry Radière, dont j’ai commenté une vingtaine de livres au moins, et, bien sûr, Louis Dubost lui-même qui est un véritable ami virtuel dont j’ai aussi commenté plusieurs recueils. Tous les contributeurs, ou presque, ont un rapport quelconque avec la Vendée, ils y sont nés, ils y résident ou ils y ont une quelconque attache.

Ce numéro spécial contient donc près d’une cinquantaine de poèmes qui évoquent les moments de la vie, le monde tel qu’il est ou tel qu’il devrait être et bien d‘autres sujets encore. On y rencontre divers émotions, sentiments et états d’âmes qui peuvent aller du cri de désespoir de Souad Benani Schweizer devant le flot de migrants cherchant vainement un avenir possible dans un ailleurs moins violent : « L’homme n’est plus, notre humanité a disparu ! » à la douceur d’autres poèmes comme celui-ci de Denis Pelsy « Si peu de toi dans un grain de lumière ! / Et pourtant ta trace est reconnaissable, / luisante comme une étoile / qui aurait parcouru un ciel de jais, / entre alpha et oméga ».

A l’initiative de Daniel Brochard, ce numéro est aussi l’opportunité de rendre hommage à la maison d‘édition Le Dé bleu fondée par Louis Dubost en 1974. Alain Perrocheau évoque la notion de trace laissée sur la feuille mais peut-être aussi dans les esprits, dans la littérature régionale et ailleurs encore : « A chaque pas du crayon / Qui fourmille / Sur la page lisse / Et s’ingénie faussement / A laisser trace féconde. / … ». Plusieurs auteurs ont déposé dans les pages de cette revue leur sentiment sur cette maison : Gabriel Arnaud, Luce Guilbaud (à laquelle Louis Dubost rend aussi un hommage), Nathalie B. Plon et Patricia Cottron-Daubingé. Cet ultime numéro comporte aussi deux entretiens de Daniel Brochard avec Hervé Martin et Albane Gellé.

Ce dernier numéro est un véritable morceau d’anthologie en l’honneur de la poésie, de tous ceux qui en écrivent et de tous ceux qui en éditent comme Le Dé bleu, Salvart, Mot à Maux qui ne disparait pas complètement puisqu’elle se transporte sur la Toile, et tous les autres éditeurs et revuistes cités tout au long des textes proposés par les contributeurs. Et, n’oublions les nombreux lecteurs qui ont régulièrement parcouru les poèmes proposés par Daniel Brochard et qui le suivront encore longtemps sur la Toile. C’est aussi l’occasion de saluer le formidable travail effectué depuis de longues années par Daniel pour faire vivre la poésie à un moment où elle n’est, hélas, plus très en vogue.

Et pour finir ce propos sur une note plus optimiste, je laisse le soin à deux des auteurs de revendiquer la liberté qui doit toujours entourer la poésie : Hervé Martin : « La poésie est libre et n’est pas « au service. Elle est le fruit d’un être humain dans sa rencontre avec le monde » et Alain Perrocheau : « Le poème est un lieu de liberté / Le poème est un lien de liberté ».

Le site de la revue MOT À MAUX

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Danse ardente

Parme Ceriset

Les Chants de Jane – Grenier Jane Tony – N° 32 – mai/juin 2022

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La revue Les Chants de Jane, éditée par le Grenier Jane Tony, a consacré son numéro 32 de mai/juin 2022 à Parme Ceriset sous le titre Danse ardente. Parme Ceriset, je connais son histoire tellement peu banale, tellement douloureuse, tellement pleine d’espoir, de courage, de volonté et de détermination. Parme était atteinte d’une maladie évolutive qui la condamnait à brève échéance, quand elle eut atteint la limite de son espérance de vie, elle a subi une greffe qui lui a redonné la vie après un long combat qu’elle a raconté dans un livre, édité à L’Harmattan, Le serment de l’espoir, que j’ai lu. Je l’avais découverte dans un beau recueil de poésie édité chez Bleu d’encre qui évoquait, lui aussi, sa maladie, son combat, sa guérison et sa nouvelle vie.

Dans ce numéro spécial en forme de recueil, Parme fait danser les gars et les filles comme elle fait danser les mots sur ses pages. Elle les fait danser pour lutter contre la guerre et tous les événements qui troublent actuellement la quiétude de notre planète. Elle l’annonce dès les quatre vers inscrits en exergue à ce « recueil » : « Dans l’enfer de la guerre, elle danse, sous / les pluies de lave, elle chante, / personne ne saura jamais rien de son pacte avec l’espérance ». 

Dans ses vers pleins de tendresse et pourtant si combatifs – chez elle la lutte s’habille de tendresse et de douceur sans jamais laisser place la résignation – elle chante la vie qu’elle a failli perdre, la mort qu’elle a vaincu, les filles et les gars qui dansent et luttent pour espérer encore et toujours. Elle écrit aussi le monde que nous n’aimons plus assez et l’amour qui peut, parfois, surprendre, décontenancer mais aussi renaître pour apporter un élan nouveau, une autre façon de s’aimer. L’amour c’est compliqué, il faut un poème pour le dire et Parme sait très bien les écrire : « Le soleil se souvient / du temps où il était amoureux d’elle / du temps où elle rayonnait aux joies du matin /des champs où elle aimait l’amant en cachette… / Mon Dieu comme elle avait célébré l’amour ! / Comme la passion avait lui dans son regard / Jamais elle n’aurait cru devoir quitter l’aurore… »

Et puis, au fond d’elle restera toujours cette lutte implacable qu’elle a menée contre la maladie et qui resurgit parfois dans ses vers : « Elle a dompté la mort, / elle a dansé dans la clairière / sur le corps de l’homme des forêts, / son chant, comme une prière à l’extase retrouvée… ».

Elle est force, elle est douceur ; elle est détermination, elle est résilience ; elle est amour, elle est rupture, elle est espoir, elle est certitude ; elle sait hier, elle est demain…, elle nous entraîne dans la danse de ses mots pour croire encore et toujours en la vie malgré tous les arias que les hommes inventent pour la rendre plus difficile.

Le recueil sur le site du Grenier Jane Tony

Le site de Parme CERISET

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