LE GRAND MAÎTRE DES ÉLASTIQUES

alphabet-elastiques.jpgLe Grand Maître des Élastiques avait auparavant exercé les fonctions de Maître des Cordes. À la contrainte des formes, à la rigidité des lignes, il avait préféré la transformation des volumes, l’incurvation des droites et l’assouplissement de la ligne. Un corps enfermé dans des cordes savamment entrelacées en est entièrement prisonnier : pas moyen de remuer un doigt, un cheveu ; aucune ligne de fuite, aucun jeu n’est permis. Dans sa nouvelle discipline, le Grand Maître distendait les murs, les frontières. Plus aucun barrage ne s’opposait à ses projets. Sous son action, les cartes bientôt se déformaient, les territoires s’étendaient. Il allongeait les langues des humains, mais aussi leurs membres : bras, jambes et appendices divers. Il les faisait toucher les nuages et baigner dans des puits artésiens, des fosses abyssales. Sous son action, le monde n’était plus fait que de matière caoutchouteuse, extensible à souhait. Les marionnettes humaines se dilataient aussi bien qu’elles se rétractaient, reprenant ses dimensions originelles après un temps d’élargissement maximal. Mais il pouvait aussi très vite réduire à rien tout ce bazar. L’homme n’avait plus de mesures propres. Il pouvait aussi bien s’élargir à l’échelle du cosmos ou se rapporter aux dimensions d’un fétu de paille. Extension, relâchement. Les textes aux lettres défigurées ne signifiaient plus rien, les dessins d’art devenaient des brouillons informes. Le langage des étoiles ânonait le jargon des atomes. 

Le Grand Maître des Elastiques étirait de même le temps aux dimensions du cosmos, comme il pouvait comprimer les durées. Tel être humain pouvait en un temps infime rallier le pays de l’enfance comme connaître l’instant de sa mort avant de renaître à l’instant présent.

On l’aura compris, le Grand Maître des Elastiques agissait aussi bien sur les biens matériels que sur les liens mentaux. Il mettait en relation une roue de bicyclette avec une chaîne de montagnes, un pendule de Foucault avec une cloche de Bâle, un œil de perdrix avec un pied-de-biche, un neurone avec une synapse, un syntagme avec une hypostase, un fil de fer avec un fleur de lys, un halo avec un lasso, un arc de cercle avec une flèche wallonne, un polar débile avec une boule de billard, un Omar m’a tuer avec un shérif amorphe, un communiste cubain avec un Stone, une pop star ordinaire avec un Bob Dylan, un révolver à aube avec un fusil à soleil, un casse-cou avec un cor de chasse, un journal satirique avec un satyre banal, un faux plafond avec un fond de plat, une tête d’épingle avec un attache-homme-tronc, un ornithorynque sourd avec un anaconda muet, un lemniscate enjoué avec un arobase ajouré, une rein jaune avec un poumon rose, un marbre rare avec une morve mauve, un nez nu avec une langue chargée, douze paires de nonces avec un tour du monde, une anagramme avec cent mots (au moins) traduits de l’araméen avec un palindrome en caractères chinois.

Le Grand Maître des Elastiques ne connaissait pas de limite, c’était son seul défaut.

Un jour, lors d’un exercice d’extension gigantesque, tel qu’il  en avait pris l’habitude pour travailler la forme, il s’éleva trop haut et trop longtemps (plusieurs milliers d’années-ténèbres) dans la couche atmosphérique  et gela ses capacités cérébrales définitivement. Tout son corps s’étiola et se dispersa sur les astres environnants. On raconte que des reliquats de son ancien corps subsistent dans des musées ou des temples intergalactiques. Chacun de nous, à force, en possède, dans ses os, son sang, son génome.

Depuis, le monde est comme assigné à résidence et chacun, ne pouvant plus jouir de ses anciens stratagèmes, vit sa vie avec les moyens physiques qui lui sont dévolus, sans plus chercher à voyager dans l’espace ni dans le temps. Tout au plus savons-nous encore étendre, en souvenir de ces temps magiques, un élastique entre nos deux doigts écartés pour d’une pichenette envoyer valser un bout de papier dur à dix mètres voire onze ou bien douze… si l’œil visé qu’on veut occire ne se trouve pas plus loin qu’un décamètre.

 

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L’HOMME QUI MARCHAIT DANS SES RÊVES de DENIS BILLAMBOZ – Épisode 35

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FIN DE L’EPISODE PRÉCÉDENT

Il ne pouvait qu’acquiescer, il ne trouvait rien à opposer à cette analyse, la campagne qu’il traversait maintenant, du côté de Bulawayo, au sud du Zimbabwe, là où est née Nozipo Maraire qui l’accompagnait dans cette promenade au travers des champs qui avaient même perdu le souvenir des cultures que des fermiers venus d’ailleurs y avaient fait prospérer. La brousse retrouvait son aspect sauvage et fier, les fermiers avaient été expulsés ou étaient partis avant de se faire renvoyer ou même maltraiter. Seuls quelques uns résistaient encore dans des coins perdus dans les collines. Les autochtones n’avaient pas su récupérer le savoir de ceux qu’ils renvoyaient et la nature ne produisait plus rien pour les pauvres gens qui essayaient encore de vivre dans cette brousse.

ÉPISODE 35

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Nozipo Maraire

– Nozipo, ta mère avait raison, le pouvoir appartient à l’Afrique, à la jeunesse, à ceux qui ont eu la chance d’apprendre. Ils doivent enseigner, montrer l’exemple, imposer les valeurs ancestrales. Les femmes ont un rôle très important à jouer, ce sont elles qui ont élevé les enfants, qui ont souvent trouvé la nourriture quand elle était rare, qui ont gratté la terre de leurs ongles pour faire pousser quelques patates douces ou du manioc afin que la famille ne meure pas de faim. Elles connaissent mieux que les hommes la souffrance, la terre nourricière, la douleur de voir partir les enfants, …. Elles ont leur mot à dire et même des mots, des mots lourds, des mots prépondérants.

– Merci mon ami, notre tâche est bien lourde mais nous devons la regarder en face.

– Vous trouverez des justes pour vous encourager et vous soutenir dans votre combat contre la misère.

– Je comprends ton message, la Rhodésie de Chenjeraï Hove et d’Yvonne Vera, n’est plus, ils ont porté le poids de la lutte contre l’envahisseur mais, maintenant, nous devons nous tourner vers l’avenir du Zimbabwe et ne pas ressasser à l’infini les mots qui nous permettaient d’évacuer nos souffrances et notre humiliation. Il faut donner un avenir à ce pays, je sais, je comprends, mais que la tâche est difficile !

– Et peut-être encore plus que nous le croyons, mais ce n’est pas une raison pour ne pas l’affronter. Tiens, au fait, Yvonne est à Bulawayo, nous pourrions peut-être la visiter, elle pourrait nous raconter l’histoire de Phephelaphi qui, mariée à un homme plus âgé qu’elle, a, un jour, décidé de partir à la recherche de son identité pour n’être pas seulement la plus belle de la région.

– Comme le Zimbabwe n’est pas seulement le plus beau pays d’Afrique, il doit lui aussi offrir un avenir à tous ses habitants.

– Nous pourrions peut-être aussi demander à Chenjerai de passer nous voir, nous pourrions ainsi évoquer les temps difficiles de la ségrégation, de la lutte pour l’indépendance, mais aussi, et surtout, les temps à venir.

– C’est une excellente idée avant que je file à Harare.

Tsitsi Dangbarembga ne pourra pas se joindre à nous, elle voyage beaucoup, elle est souvent en Angleterre ou ailleurs encore et c’est bien dommage car elle pourrait nous raconter la triste histoire de son amie qui voulait elle aussi faire des études et quitter la ferme dans la brousse.

– Tu vois les femmes sont omniprésentes dans toutes les situations difficiles. Ce sont elles qui détiennent les clés de l’avenir du pays.

 

– Bonjour !

– Bonjour, répondit-il en faisant un geste mécanique de la main.

C’était sa voisine qui le saluait du pas de sa porte, espérant pouvoir lui soutirer quelques mots aimables mais il était encore sur le sentier de la brousse et il n’avait pas envie d’être une fois de plus détourné de son voyage dans le sud de l’Afrique. Il hâta donc le pas, laissant sa voisine désolée et déçue de ne pas avoir pas pu récolter quelques ragots à distribuer avec une parcimonie gourmande à ses amies et rivales de papotage. Il venait encore de perdre une occasion de redorer son blason auprès de la population du quartier mais, bof, il s’en moquait un peu et même pas mal. Il était mieux au milieu de ses amis écrivains qui savaient lui raconter de biens belles histoires, vécues parfois, même si souvent elles parlaient de souffrance, de douleur, d’exploitation, de guerre, de lutte, d’humiliation et de tout ce que les hommes peuvent faire subir à leur prochain. Là était, pour lui, la vie, là était l’avenir, là était le savoir, là était l’humanité.

Il rentra donc chez lui rapidement pour accomplir toutes les tâches quotidiennes que personne n’assumerait à sa place et que, de toute façon, il assurait sans difficulté, presque mécaniquement, sauf en ce qui concernait la cuisine où il mettait une attention à la hauteur de sa gourmandise donc il ne pouvait pas se laisser dissiper pendant cette besogne. Pour le reste, lessive et ménage notamment, il pouvait accomplir toutes ces corvées sans attention particulière et laisser divaguer son esprit au gré de ses lectures et rêveries. De toute façon, ces tâches requéraient moins d’agilité que le parcours qu’il devait emprunter entre les champs de mines abandonnés par les divers belligérants qui s’étaient étripés pendant de longues années sur tout le territoire de l’Angola.

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Pepetela

Pepetela qui avait été ministre de l’éducation nationale après avoir combattu courageusement au sein d’un mouvement qui avait lutté pour l’indépendance du pays, lui avait envoyé un guide pour qu’il ne s’égare pas au milieu de l’un de ces champs de mines qui faisaient encore de nombreuses victimes chaque année. Ce brave garçon était chargé de l’amener à Luanda chez José Eduardo Agualusa qui voulait l’emmener à la rencontre d’un personnage très étonnant qui lui raconterait des choses très intéressantes sur l’histoire récente du pays. Ils traversèrent de nombreuses campagnes restées stériles depuis le début des hostilités, beaucoup d’hommes étaient morts dans les combats et les familles avaient été anéanties par les rebelles ou les troupes soi-disant régulières. Désormais on ne rencontrait plus que quelques vagabonds qui essayaient de délimiter un coin de terrain non miné pour cultiver quelques plantes qui pourraient faire vivre leur famille ou ce qu’il en restait.

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Luanda 

La ville n’était pas plus reluisante que la campagne, partout des stigmates de la lutte endeuillaient Luanda, on aurait pu croire que la vieille sorcière qui habitait, selon la légende, sous la cité, voulait se venger de toutes les maltraitances que le peuple, et surtout les étrangers qui tiraient les ficelles de ces combats sans fin, lui avaient infligées. Elle s’ébrouait, bousculant des immeubles dans un amas de décombres, creusant des gouffres, transformant la ville en un vaste champ de ruines. Mais Pepetela et son guide connaissaient bien cette ville et les habitudes de la sorcière, ils purent donc se faufiler jusqu’à la maison d’Agualusa, pas tout à fait une maison mais un peu plus qu’une cabane tout de même. Une seule pièce avec une table bancale et des sièges fabriqués par le maître des lieux avec ce qu’il avait trouvé dans les décombres d’autres demeures. Celui-ci les accueillit courtoisement et leur souhaita la bienvenue en son palace en attente d’importantes rénovations, après que le guide de Pepetela avait fait les présentations. Le maître de séant ne les invita pas à s’asseoir, il voulait les accompagner, sur le champ, chez Félix qu’il voulait leur faire découvrir.

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José Eduardo Agualusa

Chemin faisant, ils rencontrèrent un homme très agité qui courait depuis le matin, disait-il, à la recherche d’un gaillard capable de saigner un cochon qu’il élevait depuis des mois et qu’il espérait transformer en côtelettes et autres morceaux pour nourrir sa famille étendue à une vaste parentèle. Ils ne pouvaient rien pour lui et le laissèrent donc à ses tribulations « cochonesques », poursuivant leur cheminement laborieux entre les ruines pour rejoindre Félix, l’albinos qui habitait avec un gecko, et qui était capable de vendre un passé à quiconque en avait besoin. Ils trouvèrent ce nègre-blanc dans sa petite cabane, pas encore une maison mais presque, construite sur les fondations de ce qui avait été réellement une maison, avec des matériaux de récupération et meublée avec les reliques du mobilier des maisons détruites alentour, un vaste bric-à -brac où tout ce qui tenait debout et était à la bonne hauteur pouvait faire office de siège. La table avait été confectionnée avec une vieille porte posée sur deux éléments de cuisine en formica et le lit n’était qu’un amoncellement de vieilles couvertures jetées dans un coin en attendant d’être étendues pour que le propriétaire des lieux puisse s’allonger et essayer de dormir. Sur l’un des chevrons qui soutenaient les tôles ondulées qui faisaient office de toit, le gecko, immobile, comme pétrifié, les observait de ses yeux ronds et vides.

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Le guide avertit le singulier marchand que son maître, l’ancien ministre, souhaitait qu’il raconte à son honorable invité, les étranges activités qu’il menait depuis la fin des combats qui avaient laissé le pays en ruines. Sans trop se faire prier, eu égard à la référence à l’ancien ministre, Félix raconta comment il s’était progressivement spécialisé dans la reconstitution du passé de ceux qui avaient tout perdu, leur famille, leurs amis, leur maison, leur histoire et même leur passé. Il fouillait dans les documents officiels qui avaient subsisté aux nombreux incendies qui avaient embrasé la ville, dans les vieux journaux qu’il retrouvait, il interrogeait ceux qui avaient pu être des témoins, des voisins ou simplement de vagues connaissances. Et à partir de ces matériaux, il remontait un arbre généalogique plausible agrémenté de quelques faits divers qui avaient certainement affecté la vie de l’intéressé.

Il enchaîna ensuite pour ajouter que, de fil en aiguille, il en était venu à fabriquer des passés honorables pour des personnes dont les activités, pendant les combats, n’avaient pas été exemptes de tout reproche, ou qui avaient trempé dans des combines pas très claires ou, parfois, trop claires pour le gouvernement en place. Cette activité lui permettait de vivre mais il devait travailler beaucoup pour s’assurer que le passé qu’il vendait à un nouveau riche, n’appartenait pas encore à un survivant, il fallait que le propriétaire du passé sans tache, voire honorable, soit bien décédé et qu’il n’ait pas d’héritiers susceptibles de demander après lui ou de le rechercher pour n’importe qu’elle raison.

Il lui demanda si cette activité ne lui posait pas trop de problèmes de conscience, le marchand de passé haussa les épaules en un « bof » mimé et ajouta :  » Dans ce pays, il n’y a plus rien, il faut tout reconstruire à partir des débris de ce qui existait avant. Cette table est faite avec la porte de la maison qui était à cet endroit et des morceaux de meubles qui appartenaient à la cuisine de la maison voisine, et maintenant c’est ma table, à moi, et personne ne songera jamais à le contester ; donc je fais de même, je récupère des bonnes actions en déshérence, des bons lignages, des parents sans descendance et je les affecte à des personnages bien vivants qui participeront à l’écriture de l’histoire actuelle de notre pays. Chaque civilisation se construit sur les ruines de celle qui la précédait, où est le problème ? » La démonstration était irréfutable, ils restèrent bouche bée et laissèrent leur hôte à ses activités rénovatrices.

Il avait méticuleusement passé l’aspirateur dans tous les recoins de son salon-salle à manger et il voulait profiter de cette bouffée d’énergie soudaine pour repasser quelques uns des vêtements qui s’amoncelaient, depuis un temps certain déjà, en une pile de plus en plus vertigineuse, dans un coin de sa chambre. Un travail qui ne requérait aucune réflexion particulière et qui lui permettrait de méditer sur le sort des Angolais qu’il venait de rencontrer dans ses divagations oniriques. Il pensait au sort de ces pauvres hères qui ne pouvaient plus vivre dans leur pays et qui ne trouvaient que très difficilement un accueil dans des pays mieux nantis. Il se demandait si le père de la petite Loriane qui était recherché pour menées politiques subversives dans l’enclave de Cabinda, n’aurait pas pu s’acheter un passé tout neuf et s’installer à Luanda dans une maison dénichée par Félix. L’homme avait choisi et la petite Loriane avait subi, elle aussi, les conséquences des choix de son père, comme souvent les enfants sont les premières victimes des actes de leurs parents. Ce n’est pas le petit Matapari, du haut de ses neuf ans, qui allait dire le contraire lui qui observait les adultes dans son coin de Congo et qui avait bien du mal à comprendre pourquoi ils avaient un tel comportement.

Ce petit Matapari, Emmanuel Dongala aurait pu l’emmener au Cameroun pour jouer avec les enfants de la rue de Patrice Nganang et, peut-être également avec la petite fille que Léonora Miano avait tirée des griffes des pervers, sadiques et autres assoiffés de pouvoir, d’argent, de chair fraîche et de tout ce qui brille. Tous ces vaniteux qui laissent croire que celui qui a est. Ces enfants auraient pu s’asseoir en rond, dans la poussière de la rue, et jouer à « quand je serai grand je serai » ou bien « quand je serai grand j’aurai ». Ils auraient pu ainsi rêver à un avenir possible, supportable et peut-être même réjouissant. Les petites filles auraient peut-être épousé des princes charmants ou simplement de beaux jeunes hommes courageux et travailleurs, les jeunes garçons seraient peut-être devenus policiers ou instituteurs ou encore hommes riches. Ils auraient certainement des voitures, des voitures qui brillent et qui pétaradent en traversant le village. Ils « feraient la France » ou même « feraient l’Europe » et reviendraient avec de l’argent plein les poches, des super fringues, une montre qui brille, un téléphone qui fait des photos-et-Internet et tout un tas de choses insignifiantes qui brillent et posent leur propriétaire.

Mais, voilà, ça c’est pour le rêve et il faut bien que les enfants rêvent pour construire leur avenir mais leur avenir c’est la misère, la souffrance, la douleur, les privations, l’humiliation, etc…, etc…, la cohorte habituelle des épreuves qui s’est abattue sur l’Afrique depuis que l’homme blanc y a mis les pieds. Et ces jeunes, vingt ans plus tard, ne se retrouvaient pas au milieu de la rue mais sur un banc à peine plus loin, et ils racontaient ce qu’ils avaient vécu, ce qu’ils avaient vu, ce qu’ils avaient enduré, rien qui ne ressemblait à leurs rêves d’enfants, rien que des malheurs pour adultes. Et le train n’a pas fini de déverser son lot de misère, l’Afrique s’enfonce dans le chaos, ses élites s’en vont, partent, fuient, attirées par les lumières des cités qui étaient riches et ne le sont plus, découragées par l’immensité de la tâche qu’il faudrait accomplir pour remettre leur pays sur les bons rails. Mais Léonora, elle, croyait que même si la misère était immense, une petite lucarne était encore ouverte et que l’espoir pouvait en couler comme l’eau de la source. Mais, pour cela, il faudrait que l’Afrique redevienne africaine, qu’elle retrouve ses valeurs ancestrales, qu’elle échappe à la concupiscence de tous les rapaces qui s’acharnent sur elle actuellement et qu’elle rejette, elle-même, ceux qu’elle juge néfastes à son avenir.

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Leonora Miano

(Re)lire la chronique, Misère à Luanda, de Denis Billamboz

LE BEST HIER de GAËTAN FAUCER

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Aux douze coups de minou, les chats sont grisés.

 

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La reine niée fait peur.

 

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La jument est à cheval sur les principes.

 

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Même la fine mouche aime les grosses merdes.

 

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Dans l’œuvre de Colette, il y avait beaucoup de chats pitres.

 

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Il fait des bêtises, le lion sot.

 

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A une certaine époque, le cynisme avait du chien.

 

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Cette vielle panthère joue les cougars !

 

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Dire que tous les coqs n’aiment pas la poule dance.

 

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Un certain chat d’Iran retombait toujours sur ses pattes… en plus d’avoir le regard perçant!

 

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Le ragout n’a pas le goût du rat !

 

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Le boucher expose ses viandes par hordes.

 

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Si le faucon est un oiseau, le vrai con, lui, n’en est pas un !

 

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Marcher sur un tas de merles, même du pied gauche, ne porte pas bonheur…

 

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Aux îles Canaries, les chats sont rois.

 

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Le boeuf tourne le dos aux abattoirs.

 

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Le poisson classé cas bio est labellisé.

 

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Au restaurant, le poisson de mer a une légère note de salé.

 

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Dire que le crapaud tombe en quenouille.

 

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Les éléphants de mer aussi portent des cornes…

 

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Le fermier et son cheval de trop.

 

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Forcement, les cerfs en hardes sont féroces !

 

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Che Guevara était des fois Che lou…

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Pour s’amuser, le rat va au bal musqué.

 

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Dans certains cas, le grizzli est un peu ours.

 

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La maman éléphante couche son éléphant tôt.

 

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L’histoire d’O n’est pas un conte de poule d’eau.

 

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C’est très beau quand les cerfs volants prennent de l’élan…

 

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La palourde est le plus léger des coquillages.

 

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Souvent les grues se mélangent au panier de crabes.

 

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Le cafard retombe toujours sur ses blattes.

 

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Le coq galant paie un ver à sa poule.

 

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Ce rongeur est un véritable bricoleur, il lapin tout seul !

 

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Dire que le kiwi ne mange même pas de kiwi !

 

 

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Le rat sourit.

 

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Certains lieux sont en voie de disparition.

 

Gaëtan FAUCER est l’auteur d’un recueil d’aphorismes, LE NOIR ME VA SI BIEN, paru aux Éditions NOVELAS

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AVT_Gaetan-Faucer_1900.jpeg« La Fille devant soi »

de Gaëtan Faucer pièce jouée par les élèves du
Fulmar, les 3 et 4 juin 2016 à 20h30

Mise en scène: Gwenn Feron
Avec Anne-Lies Van den Eynde, Elena Penalva, Enora Senofante, Eloïse Senofante, Mariam Arnous, Sarah Roblain, Florent Kehr, Mike Rasowski et Will Bens
Création lumières et régie Hassan Ghannan 

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L’HOMME QUI MARCHAIT DANS SES RÊVES de DENIS BILLAMBOZ – Épisode 34

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FIN DE L’EPISODE PRÉCÉDENT

A l’approche de la clinique, tout juste un dispensaire d’après ce qu’il vit plus tard, Damon devenait plus nerveux, il ne savait pas comment régler cet affrontement qui dressait ces deux excellents professionnels l’un contre l’autre. Comme souvent, le manque de travail génère l’ennui, du temps à meubler, à meubler avec des femmes, avec des femmes qu’on se dispute pour être celui qui aura les faveurs de celle qui fait rêver les mâles du secteur. C’est le retour au règne animal, l’homme chasse la femelle mais, bien souvent, la femelle choisit son compagnon. Il ne voulait surtout pas se mêler de cette rivalité, il avait accepté cette expédition car elle le conduisait dans le bush, là où il avait fort envie d’aller, et plus particulièrement en direction du nord-est, en direction du Namaqualand dans cette partie sauvage du veld où Zoë Wicomb était née et où elle l’attendait dans une ferme qui aurait pu être celle de son amie, Frieda Shenton, partie étudier en Europe et mal reçue à son retour.

ÉPISODE 34

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Zoé Wicomb

Elle était installée sur la terrasse, sous un arbre qui dispensait généreusement son ombrage en espérant la protéger du mieux qu’il put de la chaleur qui régnait alors. Elle semblait l’attendre bien qu’il n’ait même pas fixé la date de son arrivée tant le voyage lui semblait, de son bureau quand il préparait son périple, aléatoire et hasardeux. Mais, finalement, le voyage n’avait pas été si compliqué qu’il l’avait craint et il avait atteint cette ferme dans les délais approximatifs qu’il s’était fixés. Elle l’accueillit avec beaucoup de chaleur et d’amitié, l’invitant à se désaltérer d’abord, à se restaurer ensuite et enfin à prendre un petit repos avant toute autre activité. Il avait une envie folle de gambader dans les hautes herbes comme le faisait régulièrement Frieda, chaque fois qu’elle revenait à la campagne, pendant les vacances scolaires. Il savait bien cependant qu’il n’avait plus l’âge de se livrer à de tels exercices et qu’il devrait se contenter de quelques promenades dans le bush avec son amie. Mais avant tout, il fallait reprendre des forces.

Zoë l’avait accompagné à travers les herbes à éléphant qui envahissaient cette partie du bush, vers un petit vallon qui accueillait autrefois Frieda quand elle était trop en manque de son pays, elle entrait alors en communication avec la terre qu’elle considérait sienne, comme une mère qu’on ne peut partager qu’avec ceux qui la reconnaissent aussi comme telle. Elle écoutait chanter la petite source qui la berçait dans la douce quiétude qui la baignait et qui la ramenait à son enfance dans ce pays enchanteur. Il fallait être né dans ce pays pour y vivre avec une telle intensité, certes son climat pouvait être très chaud mais en général il était agréable et toujours supportable. Il fallait surtout avoir le courage de se confronter avec une nature exubérante, primaire, indomptée qui ne s’offrait qu’aux âmes puissantes. Frieda aimait cette nature altière qu’il fallait affronter comme un animal sauvage, sans crainte, les yeux dans yeux. Elle était, ainsi, devenue une véritable femme du bush que même ses études à la ville n’avaient pas ramollie. Et pourtant…

Pourtant, elle n’était pas toujours acceptée comme telle, certains lui reprochaient son abandon de la campagne, son départ pour la ville, ses envies de carrière qu’ils interprétaient comme une forme de dédain envers le petit monde du veld. D’autres pensaient qu’elle ne serait jamais des leurs, qu’elle resterait la petite métisse qu’elle était et que la tache originelle était indélébile. Elle avait une part de sang noir qui la séparerait toujours d’eux. Zoë était assise à ses côté, un peu triste, « Tu vois dit-elle, ils n’ont pas voulu d’elle et aujourd’hui cette ferme est vide et le pays quasi désert ». « Tout cela est bien triste » ajouta-t-il. Ils reprirent leur chemin, ils voyaient une jeune fille brune, bronzée qui courait dans les herbes folles à perdre haleine et qui riait, riait, riait… image d’un temps révolu, image d’un bonheur brisé.

Son séjour était bien trop court tant il aimait ce pays qui semblait l’avoir adopté, mais son amie devait rentrer en ville pour assurer ses activités et lui devait poursuivre son périple vers une autre partie du bush, dans l’Etat d’Orange, où Karel Schoeman l’attendait pour un de ces jours prochains que les aléas du voyage se chargeraient bien de fixer sur le calendrier. Il quittait ce petit coin du Namaqualand le cœur serré mais il avait, dans une autre poche de son coeur, une folle excitation à l’idée de retrouver un autre paysage fastueux et un ami rencontré en Suisse quelques années auparavant.

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Karel Schoeman

Et, désormais, il était là avec cet ami assis sur les marches d’une vieille ferme presque abandonnée où ils avaient pu, tous les deux, trouver un hébergement assez sommaire. Ils s’étaient retrouvés avec plaisir mais Karel ne débordait pas de joie, il semblait triste, des idées sombres l’agitaient.

– Karel, quelque chose ne tourne pas rond ?

– Je ne sais pas, il y a un drôle d’ambiance ici, il se passe des choses bizarres.

– Tu as vu, entendu, senti des choses anormales ?

– Oui, non, je ne sais pas bien !

– Explique !

– Les gens sont aimables et même gentils mais ils semblent me fuir.

– Tu es venu ici pour une raison particulière ?

– Bien sûr, je devais recevoir l’héritage de mes parents maintenant décédés, une vieille ferme en mauvais état, mais je n’arrive pas à savoir seulement où elle est, dans ce village mais je ne sais pas où !

– Personne ne veut te le dire ?

– Personne ! Tout le monde fuit la question, l’évite, l’élude, comme si elle brûlait la langue et les oreilles !

– Tu as une idée ?

– Les gens sont très malheureux ici, beaucoup partent, la pression sur eux est très forte, alors ils se regroupent pour faire des fêtes et se regonfler le moral ; mais j’ai l’impression que ces fêtes cachent des actions moins innocentes.

– Quoi à ton avis ?

– Je ne sais pas exactement mais les fermiers se sentent abandonnés, pas en sécurité, à la merci de certaines bandes d’anciens employés et ils ressassent des événements du temps passé qu’il ne faut surtout ramener à la surface.

– La ségrégation n’est pas morte !

– Non, il reste de nombreuses empreintes notamment dans ces campagnes éloignées des grandes villes. Les fermiers craignent d’être la cible de certains revanchards qui voudraient régler des vieux comptes.

– Et ta maison là-dedans ?

– Il a dû se passer, là-bas, quelque chose pendant la période trouble, quelque chose qui aurait laissé des traces, des stigmates, qu’il ne faut surtout pas voir.

– Tu vas rester ici ?

– Oui, je veux savoir, je veux savoir si ma famille est impliquée !

– Bon courage !

– Je n’ai pas l’intention d’écrire l’histoire à l’envers, ce qui a été, a été, inutile d’y revenir mais je voudrais savoir pour savoir mais aussi pour que la situation ne dégénère pas à nouveau. Les fermiers complotent, ils sont aux abois, ils se dissimulent mal. J’ai peur qu’ils dérapent dans la violence et que des drames entachent à nouveau cette région.

– Le désespoir semble le principal habitant de cette petite bourgade ! Il faudra encore du temps avant que l’histoire locale s’écrive enfin dans la paix.

– Quelques générations peut-être !

Il avait rarement vu un tel désespoir, il était abattu de laisser son ami dans cette situation, il culpabilisait comme si un drame avait déjà éclaté. Il espérait vivement que le pouvoir prenne en considération ces pauvres hères isolés, perdus dans d’une population qui ne les aimait pas beaucoup et qui pouvait même, dans quelques cas isolés, devenir plutôt agressive. Mais il voulait se rassurer en pensant que la grande majorité ne voulait plus que la paix et l’égalité.

La paix ils l’avaient eue, eux les métisses afro-asiatiques, mais l’égalité ils pouvaient toujours attendre pour que les nouvelles lois égalitaires soient transposées dans les mentalités. C’était l’avis d’Achmat Dangor, un métisse lui-même, qui avait subi toutes les humiliations que les non blancs avaient dû supporter avant la fin de l’apartheid, il avait même été banni pendant de longues années. Et ils étaient là, tous les deux, assis à la terrasse d’un café de Joburg, comme disait son ami pour évoquer la ville de Johannesburg, profitant des nouvelles libertés acquises depuis la fin de la ségrégation mais se désolant que, malgré leurs activités souvent commerciales et lucratives, ils soient régulièrement humiliés, rabaissés, privés de droits élémentaires. Certes, l’argent leur apportait certaines satisfactions mais il devait régulièrement faire face à la morve de ceux qui avaient le plus profité du régime racial, et qui prenait un réel plaisir à les rabaisser en leur refusant une affaire, la main d’une fille, un délai, un report de dette, un prêt, une facilité quelconque, … ils n’avaient pas droit à ce que ces blancs considéraient comme leur domaine protégé, leur chasse gardée. Il faudrait encore bien des générations avant qu’une société multiraciale et égalitaire s’instaure définitivement à la pointe de l’Afrique.

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Achmat Dangor

Ils discoururent encore longuement de tous les malheurs, infamies et humiliations que les asiatiques et les métisses avaient dû supporter, peut-être à un autre degré que les noirs, mais tout de même suffisamment pour faire d’eux une catégorie humaine inférieure à celle des blancs et les tenir hors de la caste des êtres qui se prétendaient supérieurs. Il profita de cette conversation pour lui demander des nouvelles des expériences tentées par Bessie Head, une autre métisse, qui avait choisi, elle, de s’exiler dans ce pays qui n’était pas encore le Botswana et qui n’était alors que le Bechuanaland, un vaste territoire sous contrôle britannique. Il n’eut pas le temps de comprendre la réponse de son ami, son téléphone sonnait dans poche et, mécaniquement, il l’extirpa :

– Allo, Monsieur…. (une voix manifestement étrangère qu’on aurait dite contrainte pour essayer d’oublier son accent vernaculaire, identifiait clairement une de ces nombreuses plateformes téléphoniques qui passaient leur temps à importuner des braves gens pour leur vendre n’importe quel produit ou service dont tout le monde pouvait se passer sans aucun problème.)

– Oui !

– Allo, Monsieur vous êtes bien retraité et vous habitez bien dans une maison individuelle ?

– Mais, cher Monsieur, cela ne vous regarde en rien, je ne vous ai pas demandé si vous aviez moins de trente ans et si vous habitiez toujours chez vos parents !

– Mais Monsieur…

– Maintenant la plaisanterie a assez duré et vous direz à vos employeurs de vous procurer des messages plus corrects, on ne s’invite pas comme ça chez les gens pour leur poser des questions indiscrètes ! Bonsoir Monsieur ! (et il raccrocha rageusement).

Il s’était encore laissé surprendre par un de ces cons qui passaient leur temps à lui pourrir la vie, ses siestes, ses rêves, ses évasions et son voyage au Botswana avec Bessie Head. Il était en colère, il ne supportait plus ces importuns qui venaient troubler sa paisible vie de retraité et qui tentaient, pas très correctement de plus, d’extorquer quelques sous à des gens soi-disant moins démunis et souvent plus faciles à apitoyer. On avait essayé de lui vendre les pires choses, des fenêtres tous les trois jours comme s’il en changeait toutes les semaines, toutes sortes de prestations téléphoniques auxquelles il ne comprenait rien, de l’énergie (en boîte ?), du vin qu’il devait être impossible de vendre après dégustation et même récemment des obsèques organisées comme un défilé du quatorze juillet. Il avait à peine ri, il était choqué, il fallait avoir un esprit mercantile particulièrement développé pour oser dire à une personne, plus près de sa fin que de son épanouissement, qu’il fallait qu’elle songe à choisir entre le chêne et le sapin pour ne pas laisser ce cruel dilemme à ses héritiers. Il avait purement et simplement raccroché, trop soufflé pour proférer la moindre réaction. S’exclamant pour lui seul : « les cons ! »

Décidément ce monde était déjà bien pourri, il y avait déjà pas mal de véreux dans le fruit. Il avait perdu le contact avec le Botswana, il se prépara donc une tasse de thé pour évacuer les dernières brumes de sa sieste africaine et profiter des premiers rayons de soleil printaniers pour se dégourdir les jambes avec une petite balade dans la campagne avoisinante. Il prit donc le sentier qui courait le long de la colline et dominait le paysage, un paysage qui revenait à la campagne originelle, où les cultures avaient été abandonnées, une belle victoire pour la nature sauvage mais certainement un problème majeur pour les pauvres populations qui vivaient encore là.

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J. Nozipo Maraire

– Nozipo, la nature a retrouvé sa parure originelle.

– Oui, hélas !

– Pourquoi, hélas ?

– Parce qu’ici, avant, il y avait de belles cultures et des gens pour planter, semer, entretenir, récolter, …, et maintenant ces campagnes sont en friche, elles ne donnent plus rien, les habitants partent et ceux qui restent ont faim.

– Tu sembles bien pessimiste !

– Et encore plus que tu le crois !

– A ce point !

– Oh oui ! J’aurais dû mieux écouter ma mère, quand je suis partie aux Etats-Unis pour faire mes études, elle m’a écrit une longue lettre pour me dire tout ce qu’elle n’avait pas pu, ou su, me dire avant et je n’ai pas écouté avec suffisamment d’attention le message qu’elle m’adressait. Et, aujourd’hui, inutile de relire ce qu’elle écrivait, j’ai ce message, là, inscrit sous mes yeux tous les jours depuis que je suis revenue au pays pour voir comment il allait réellement.

– Et ce message ne comporte pas beaucoup d’espoir ?

– Bien peu. Ma mère m’a raconté mon peuple, son histoire, la vie difficile dans la brousse, l’esclavage, nos traditions, … tout ça, je le garde dans mon cœur, dans mon sang, dans mes tripes, … à jamais. Mais elle nous a dit aussi que l’indépendance a été un dur combat, un combat que nous n’avons pas su transformer en victoire. Nous avons copié les blancs, nous les avons singés, mais nous n’avons pas su retrouver notre africanité et imposer nos valeurs et notre culture. Nous nous sommes contentés de la vengeance et des règlements de compte en bradant les plus beaux fruits de notre pays aux nouveaux colons, ceux qui ne s’intéressent qu’aux richesses qu’ils accaparent prestement, en passant.

– Le pouvoir a failli ?

– Pas que le pouvoir, nous tous avons failli, ma mère m’avait pourtant bien dit que, nous les élites, nous avions un devoir envers notre pays et nous ne l’avons pas écoutée comme nous n’avons pas entendu tous les sages de ce pays. Nous avons laissé les responsabilités aux ambitieux, aux assoiffés de pouvoir et d’argent qui ont remplacé les colons sans apporter un iota de plus ; au contraire, ils étaient assez médiocres pour se mettre au service de tous les trafiquants qui arpentent l’Afrique dans tous les sens pour accaparer ses richesses.

Il ne pouvait qu’acquiescer, il ne trouvait rien à opposer à cette analyse, la campagne qu’il traversait maintenant, du côté de Bulawayo, au sud du Zimbabwe, là où est née Nozipo Maraire qui l’accompagnait dans cette promenade au travers des champs qui avaient même perdu le souvenir des cultures que des fermiers venus d’ailleurs y avaient fait prospérer. La brousse retrouvait son aspect sauvage et fier, les fermiers avaient été expulsés ou étaient partis avant de se faire renvoyer ou même maltraiter. Seuls quelques uns résistaient encore dans des coins perdus dans les collines. Les autochtones n’avaient pas su récupérer le savoir de ceux qu’ils renvoyaient et la nature ne produisait plus rien pour les pauvres gens qui essayaient encore de vivre dans cette brousse.

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À suivre

APHORISMES & PÉRILS

par Denis BILLAMBOZ

J’ai écrit les lignes ci-dessous concernant les attentats et la belle résistance des humoristes belges, notamment ceux qui se sont fédérés pour publier le journal Même pas peur après le massacre de Charlie Hebdo, juste après la boucherie du Bataclan mais bien avant celles de Bruxelles. En relisant ces lignes, j’ai trouvé qu’elles prenaient hélas une nouvelle saveur et qu’il devient nécessaire de crier encore plus haut notre envie de vivre libre en dehors de toutes menaces et contraintes imposées par quiconque ne détient pas son pouvoir du peuple. Donc mon titre prend plus de sens encore quand j’évoque les aphorismes et les périls qu’ils dénoncent. Alors, même si l’humour met en danger, nous continuerons à dégainer les armes du poète et du caricaturiste sans crainte aucune.

 

couverture-texticules-1-.jpg?fx=r_550_550LES TEXTICULES DU DIABLE

Jean Luc DALCQ 

Cactus Inébranlable Editions

« Allons enfants de la brasserie le jour de boire est arrivé », Jean-Luc Dalcq donne le ton d’entrée dans ce recueil d’aphorismes qui constitue pour moi le quatrième étage de la fusée lancée par Cactus inébranlables en septembre dernier, contre la sinistrose et la morosité. C’était avant l’offensive mortelle des pleutres tout juste capables de s’attaquer à des pauvres bougresses et bougres qui ne demandent qu’à vivre en paix avec leur prochain. Quel acte de courage ! Mais Cactus ne sombrera pas dans la peur et la panique, il l’a déjà prouvé lors de précédents événements, tout aussi violents, en lançant un journal en forme de défi : « Même pas peur ». Et donc, malgré l’ambiance tendue, je continuerai à commenter des recueils et autres ouvrages insolents, iconoclastes, persifleurs, défiant toutes les formes d’autorité et de pouvoir insuffisamment respectueux des citoyens avec les armes de l’écrivain : l’ironie, la moquerie, la dérision et tout ce qui permet de dénoncer l’abus, la bêtise, l’incohérence, l’intolérance et tous les travers qui accablent nombre d’entre nous.

Jean-Luc Dalcq faisait partie de la cohorte des écrivains et dessinateurs qui ont choisi de vivre debout et de l’énoncer bien fort dans le manifeste publié par Cactus inébranlable et les Editions du Basson. Aujourd’hui, Jean-Luc a choisi de nous raconter des histoires humoristiques, émouvantes, incongrues, …, avec un minimum de mots, juste ce qu’il faut pour ravir le lecteur et l’inciter à tourner la page pour découvrir la suivante. Mais en tournant la page, le lecteur découvrira une petite ration de d’humour et d’ironie condensée dans quelques aphorismes du meilleur cru. Ces petits textes que l’auteur désigne sous le néologisme de « texticule », probable raccourci pour désigner un texte minuscule mais aussi allusion grivoise comme chacun l’a compris. Dalcq est friand des ces grivoiseries et autres allusions polissonnes défiant la morale étriquée. Il préfère l’amour léger, le libertinage coquin et ne dédaigne pas un brin de paillardise de salle de garde.

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Capitiane Lonchamps, Neige, 2010 de la série Le Petit Parisien, supplément littéraire du 10 mars 1896. Le crime du bois de Vincennes, un père assassin de son fils. Technique mixte sur imprimé, 26 x 26 cm.

 

Et tout ça pour construire un joli recueil composé de textes minimums entrecoupés d’aphorismes, le tout prônant un art de vivre libre et heureux, même si un filet d’aigreur et d’amertume filtre entre les lignes. L’auteur a choisi de nous emmener sur les sentiers du plaisir coquin en narguant les religions et les institutions rigides, tout un programme, un vrai art de vivre dont voici un court échantillon :

* « On dit que l’argent n’a pas d’odeur, mais lorsqu’on en a pas, ça se sent ! »

* « La sagesse c’est ce que les vioques ont trouvé de mieux pour rester dans le coup. »

* « Pour un alcoolique chasser le naturel, il revient au goulot. »

* « La mondialisation, c’est la répartition du malheur à l’échelle mondiale. »

* « Le libéralisme des uns doit s’arrêter là où commence la liberté des autres. »

L’aphorisme qui résumerait le recueil :

 « L’orgasme reste le voyage le plus intense et finalement le moins coûteux. »

Et celui qui nous inviterait à la méditation après les derniers événements :

 « Si l’univers est si pollué, c’est sans doute à cause de toutes ces idées noires pulvérisées dans l’air. »

 

massot-28ac6.jpgSANS ENVIE DE RIEN

Jean Louis MASSOT (1955 – ….)
Cactus Inébranlable Editions

J’ai découvert Jean-Louis Massot à travers son travail d’éditeur chez « Les carnets du dessert de lune » lors de la lecture d’un recueil d’Eric Dejaeger publié en 2014 : « Le violon pisse sur son powète ». Cette fois, je l’ai croisé comme auteur de ce recueil d’aphorismes édité par « Cactus inébranlable », le troisième épisode de mes lectures des cinq ouvrages publiés par cet éditeur à l’occasion de la rentrée littéraire de septembre 2015. Ce recueil comporte la particularité d’être illustré à chaque page par le célèbre dessinateur Gérard Sendrey avec lequel Massot semble développer une belle complicité, c’est du moins ce qui ressort de ce recueil où les dessins sobres mais fort explicites de l’illustrateur complètent merveilleusement les sentences de l’auteur.

Dans ce recueil Jean-Louis Massot évoque tout ce qu’il aurait voulu être et tout ce qu’il n’aurait pas voulu être avec beaucoup de malice et de spiritualité mais aussi un doigt de désabusement vis-à-vis de ses congénères qui l’ont souvent déçu et un réel agacement à l’endroit des gouvernants qui imposent un peu trop souvent leurs aberrantes décisions (c’est du moins ce que suggère l’auteur). Digne héritier des surréaliste belges, il manie avec adresse les armes redoutables que sont l’ironie, la malice et la dérision pour laisser entrevoir sa personnalité cachée : amoureux jamais comblé, musicien dans l’âme faute de mieux, poète rêveur, militant de toutes les causes pouvant faire progresser l’humanité sur le chemin de la sagesse, du bon sens et l’art de vivre en harmonie entre soi sur une planète respectée.

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J’ai tiré de son carquois, un peu au hasard car le choix aurait été trop cornélien, quelques flèches bien acérées qui ne manquent ni de finesse, ni de poésie :

« J’aurais aimé être un degré de plus dans la fantaisie ».

« Je n’aurais pas voulu être une suite sans fin ».

« J’aurais tant aimé être la cerise sur le gâteau ».

« Je n’aurais pas voulu être le lauréat d’un mauvais concours de circonstance ».

« J’aurais aimé être le déraillement d’un train de mesures économiques ».

« Je n’aurais pas voulu être aux petits soins pour un malade du pouvoir »

Mais, évidemment, pour déguster pleinement ses sucreries acidulées, il faut avoir sous les yeux les dessins de Gérard Sendrey.

Le site des Cactus Inébranlable Editions

LES PHARMACIES

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Cet homme passait ses journées à visiter les pharmacies. Lors de ses balades, il était en quête de cette enseigne au caducée, où s’entremêle à la coupe régénératrice le serpent du poison, annonçant la devanture chamarrée de boîtes de médicaments derrière laquelle coulissaient le long d’un comptoir des gens en blanc. Elle l’avertissait possiblement d’une trouvaille que ses annuaires ne renseignaient pas toujours. De l’heure d’ouverture à la fermeture, il venait prendre livraison de ces produits qui ne s’échangeent que contre un papier dûment signé et rédigé d’une écriture chiffrée et uniquement compréhensible du gérant des lieux. Il achetait aussi sans compter les médicaments en vente libre, les nouveautés comme les vieilles médications…

Depuis toujours, il aimait l’odeur suave de la pharmacie au fil des années de plus en plus aseptisée et contrecarrée par les fragrances des produits de soins du corps, et le côté compassé, paternaliste du pharmacien, quel que soit son âge… Ce médecin malgré lui, ce grand servant de la Chimie, cet alchimiste de quartier, cet appariteur de molécules, ce maître des décoctions, interface entre le rebouteux de village et l’amateur de potions savantes, ce doctrinal descendant d’Homais, dispensateur de tisanes et de crèmes de peau, d’analgésiques et d’excitants, d’anxiolytiques et de fils dentaires, d’antitussifs et de sprays pour la gorge, de préservatifs et d’onguent vaginal, d’antimigraineux et de veinotoniques, d’antiseptiques et de fébrifuges… De médications sous toutes les formes : en gélules, en comprimés, en sirop, en pommade, en suppositoires ou en cachet (ah, ce désuet nom de cachet !), tout ce qui permet de s’introduire dans les arcanes du corps pour le revivifier.

Mais plus que tout, ce qu’il aimait, c’était la séduction discrète des assistantes en pharmacie, ces petites mains, si délicates et si fines, de l’industrie pharmaceutique. Manoeuvrant entre ombre de l’arrière-boutique où se préparent les remèdes maison, les spécialités, les mélanges mesurés de poudre et de liquide, et pleine lumière de la vente au comptoir où sous le blanc cassé du tablier filtre un fragment de peau, le triangle coloré d’une blouse, la frange d’une manche, un carré de tissu attestant de leur vêtements propres et, par-delà, de leur vie privée, de leurs amours cachées ou respectables.

C’est tout juste si notre promeneur ne leur attribuait pas pour lui-même, pendant le temps où elles le servait, un nom de travail emprunté au lexique de la phytothérapie qu’il avait étudiée avec toute la dévotion du néophyte: Fleur d’oranger, Belle-de-jour, Cannelle, Violette, Salvia auréa, Grande berce, Bourdaine, Cranberry, Aloe angelica…

Après la fermeture de toutes les officines, au soleil couchant, il rentrait chez lui, un peu las mais comblé. Toujours à la bourre du fait de ses pérégrinations diurnes, il enfilait la blouse immaculée caractéristique de sa profession et rentrait par la porte arrière de son cabinet, sans saluer le monde qui s’impatientait dans un garage hors-d’usage aménagé en salle d’attente. Seul lui importait lors de la visite de ses seuls rendez-vous de fin d’après-midi (il avait cessé depuis longtemps de consulter en journée pour s’adonner à sa penchant), la rédaction de l’ordonnance du patient qu’il dupliquait à l’aide d’un vieux carbone bleu. Les doubles constitueraient le prétexte de la tournée du lendemain d’un nouveau panel de pharmacies à découvrir.

Son père pharmacien n’avait cessé de lui répéter : Tu ne feras jamais ce métier opiniâtre et si dévalué, tu feras médecin ou rien ! Et il avait tellement aimé son père…

E.A.

 

JUSTE UN PETIT SOURIRE (Souvenir d’Axionov) par DENIS BILLAMBOZ

Juste un petit sourire

(souvenir d’Axionov)

 

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A l’heure du fromage

Il entonna la chevauchée des Vaches qui rient

 

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Un ténia égaré

Cherchait à rentrer à bon porc

 

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Avec son crâne d’œuf

Il entretenait une poule

Et draguait des cocottes

 

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Il était irascible en permanence

Un vrai sérial colère

 

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Mou comme une endive braisée

Un (héma)tome sur les bras

Il avait été piqué

Par un chicon d’bougnat

 

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Pour récolter des belles tomates rouges

Il faut avoir la main verte

 

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Les Américains votent bientôt

Je crains qu’ils se Trump encore

 

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La fabrique de skis a dérapé

En changeant de direction

 

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Dire que les Chinois ont inventé la poudre

Est un peu abusif.

Ils n’ont inventé

Ni la poudre d’escampette

Ni la poudre aux yeux

Ni la poudre de ris (de veau)

 

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Survivant de Sajarevo :

sauvé d’une sale salve slave

 

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A la Monnaie

J’ai vu une pièce

Qui ne vaut pas un kopeck

 

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Elle se croyait chic

Mais n’était que négligée

Dans sa jupe qui plisse partout

 

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Il avait la gueule de bois

Il avait mangé des noix d’acajou

 

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Son numéro de charme

Avait laissé l’écuyère de bois

 

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Devise coréenne :

Honni Kim mal y pense

 

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Les moines à la chasse

Burent le calice jusqu’à l’hallali

 

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 Ayant mené une vie vertueuse

Il s’était grâcement enrichi

 

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L’abeille de Cadix

Fait le miel de l’amour

Tique tique ail ail

 

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Il touchait le fond

Il n’avait pas touché ses fonds

 

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Mort vivant :

En vie sans envie

 

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Il rêvait de publier un roman noir

Dans la Collection Blanche

 

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Il recherchait le meilleur

Il trouva le mec plus ultra

 

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Souffrant de vague à l’âme

Il eut un malaise vagal

 

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A ceux voulant pacifier

Il ne faut pas s’y fier

 

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Ce con il ne gagnait jamais

Il finissait toujours second

 

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Elle lui refusa un petit bonheur

Ce n’était pas sa bonne heure

 

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Il disait qu’elle était mauvaise langue

Il ne l’avait même pas essayée

Il ne l’avait même pas goûtée

 

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Les vieilles familles

Ne sont pas toujours

Des familles de vieilles

Quoique… !

 

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La macroéconomie

N’est pas une économie de maquereaux

La Maqueron économie non plus

Quoique… ?

 

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Porté sur l’alcool

Il picolait sec

Des vins doux

 

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L’HOMME QUI MARCHAIT DANS SES RÊVES de DENIS BILLAMBOZ – Épisode 33

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FIN DE L’ÉPISODE PRÉCÉDENT

Je voudrais aussi que tu m’expliques un peu le panthéon hindouiste car je mélange joyeusement Shiwa, Parvani, Vichnou, Ganesh et compagnie sans compter toutes les formes que chacun revêt.

– Je t’expliquerai l’essentiel lors de la visite du lac sacré où les lieux de culte sont nombreux mais je ne rentrerai pas dans tous les détails, c’est beaucoup trop complexe.

Après un dernier regard sur la ville bien paisible à cette époque et à cette heure qui devenait assez tardive, ils descendirent tranquillement vers le centre ville pour terminer cette journée par un repas digne de leur amitié, tout en devisant sur le passage de Le Clézio à Maurice et sur l’inspiration qu’il avait pu y trouver pour écrire certaines de ses œuvres comme Le Chercheur d’or par exemple.

ÉPISODE 33

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Il en avait très envie depuis très longtemps, il en rêvait depuis que Mandela avait redonné une certaine dose de dignité à ce pays, il ne lui manquait plus qu’une occasion pour effectuer le long voyage qui l’emmènerait à l’autre bout du continent noir, pour rencontrer, ou essayer de rencontrer, des écrivains blancs, noirs, métisses, asiatiques, tous ces représentants de peuples désormais mêlés dans une seule république.  Son voyage à Maurice lui avait fourni l’occasion qui lui manquait depuis si longtemps, un petit saut de puce en avion le propulserait rapidement à Pretoria, Le Cap ou Johannesburg, ou n’importe où ailleurs dans ce vaste pays qui le fascinait, l’intriguait et l’inquiétait aussi un peu.

Il prépara minutieusement ce séjour qu’il souhaitait le plus riche possible du point de vue littéraire, et il prit de nombreux contacts pour effectuer un vaste périple qui lui permettrait de visiter les différentes facettes de cette littérature à travers des auteurs qu’il connaissait ou qu’il souhaitait découvrir à cette occasion. Il avait notamment pris l’attache de Zakes Mda, le pleureur d’un township du Cap qui, métier oblige, connaissait beaucoup de monde dans le secteur.

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Zakes Mda

Il avait donc atterri au Cap et il avait bien vite rejoint le lieu de rendez-vous que  Zakes avait proposé, sans même s’arrêter en ville pour un petit détour touristique, il y reviendrait plus tard avec son ami, pour le moment il avait très envie de retrouver cet autre ami qu’il ne connaissait que par des échanges de courriels sur Internet. Il était tout excité à l’idée de rencontrer ce personnage hors du commun qui gagnait sa vie en pleurant les morts dans les enterrements. Il le rejoignit, comme convenu, dans un bar banal, presque crasseux, sur une plage qu’il lui avait indiquée car, évidemment, il ne fallait pas espérer trouver le domicile de quelqu’un dans un township quand on débarquait d’Europe et qu’on n’avait jamais mis les pieds en Afrique du sud. Il l’avait reconnu au premier coup d’œil parce qu’il trônait près de la porte d’entrée avec, devant lui, comme il l’avait annoncé, un livre, « Michael K, sa vie, son temps » que lui aussi avait lu quelques années auparavant.

Après le premier contact, l’émotion de la rencontre tant attendue, l’excitation de découvrir l’autre qu’on ne connait qu’un peu seulement, dont on s’est fait surtout une image à l’aide de quelques photos échangées,  une idée à travers ses écrits, il lui fallut un instant pour se familiariser avec l’apparence du personnage qui était maintenant, là ,devant lui. Mais bien vite, Ils prirent la route du domicile du pleureur qui lui expliquait, à travers la vitre du bus délabré qu’ils avaient emprunté, l’origine et la construction de ces fameuses banlieues qui défrayaient si souvent la chronique pour la violence qui y régnait et le poids politique qu’elles arrivaient à faire peser sur le pouvoir. Il comprenait facilement les explications de son compagnon de route car il avait lu un roman d’une Anglaise, Madge Swindells, qui expliquait assez bien le début de la construction d’un de ces townships avec l’afflux de populations démunies qui cherchaient à s’implanter dans une métropole pour essayer d’y vivre et au moins d’y trouver à manger. Le moindre espace devenait rapidement la base sur laquelle un de ces miséreux pouvait planter quatre bouts de bois et deux tôles ondulées pour fabriquer un abri provisoire en espérant l’agrandir un jour, un autre…, plus tard, jamais peut-être, mais on verra bien, l’avenir c’est très loin et aujourd’hui est encore long et il faut trouver à manger pour résister à tout ce temps qui passe.

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Township du Cap

Il pensait aussi à la manière dont les favelas brésiliennes s’étaient construites autour des grandes villes et notamment à un livre de Jorge Amado, « Les pâtres de la nuit » qui racontait l’installation d’un groupe de paysans errants qui n’avait plus d’autres solutions pour vivre encore un peu que de poser ce que chacun avait encore, rien ou presque, et espérer vivre des reliquats des citadins. Mais ça c’était une autre histoire et il y reviendrait un jour peut-être. Pour le moment, ils marchaient le long de rues mais peut-on appeler ça des rues ? Difficile ! Des sentes, des venelles, des pistes, … il ne savait pas bien comment dénommer ces espaces qu’ils parcouraient et qui les conduisaient à l’intérieur du township. Les autochtones devaient bien avoir un mot pour désigner ça mais comme il ne connaissait rien de leur langue qui mélangeait une bonne dose de leurs divers langages vernaculaires avec un peu de « pidgin », d’afrikaner et d’autres dialectes ou langues exotiques.

Ils étaient maintenant dans le logis de son ami, une bicoque très rudimentaire mais solide tout de même et bien tenue. Ces banlieues étaient par endroit un peu plus cossues – même si ce terme paraissait bien osé pour qualifier ces quartiers – et étaient, dans certaines rues, plus que des bidonvilles. Ils organisèrent leur séjour et, pour commencer, leur campement et leur cohabitation pour les quelques jours qu’il pensait passer dans la région du Cap. Zakes lui fit les recommandations d’usage : ne pas sortir seul, ne pas prendre partie dans les éternelles discussions qui animent tous les coins de rue, éviter toute allure ostentatoire ou provocatrice, etc…, la litanie habituelle, le code de bonne conduite de l’étranger dans un milieu en perpétuelle ébullition.

Après avoir mangé, à la fortune du pot, quelques denrées qu’il avait amenées avec lui, ils évoquèrent son séjour Au Cap. Son premier désir était de rencontrer le Prix Nobel de littérature, John Maxwell Coetzee qu’il admirait particulièrement et qui pourrait lui parler des derniers développements sociaux qui s’organisaient depuis la fin du régime de la honte. Zakes lui promis de faire le maximum, il connaissait un peu tout le monde dans le secteur car tous les gens qui ont une position sociale à peine au-dessus des autres sont souvent amenés à assister aux enterrements qui constituent une occasion très intéressante de saluer bon nombre de personnes : électeurs, clients, admirateurs, … et, lui, il était toujours là pour donner un tuyau, guider une personnalité égarée dans le cimetière, mettre en relation des personnes qui ne se connaissent pas encore et qui pourraient trouver quelques intérêts à conjuguer. Bref, il était devenu comme un témoin, doublé d’un acteur, de la vie souterraine de la région, celui qui sait tout, qui connait tout le monde, qui sait qui fréquente qui et qui haït qui. Donc, il devrait pouvoir lui arranger quelques minutes avec le Prix Nobel, d’autant plus qu’il avait été averti à l’avance et qu’il avait ainsi pu prendre quelques renseignements concernant l’emploi du temps de Coetzee.

Il avait donc été assez facile de convenir d’une date et d’un lieu pour rencontrer le maître qui était, maintenant, en leur compagnie dans une brasserie chic non loin des majestueuses falaises qui protègent le continent contre le déferlement des vagues.

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J.M. Coetzee

– Merci d’accepter de nous rencontrer, nous savons bien que votre emploi du temps est très encombré…

– … mais non, pour les amis des lettres, il y a toujours une petite place pour échanger.

– Merci tout de même, c’est un honneur qui ne nous est pas réservé très souvent.

– Je connais bien Zakes qui n’est pas qu’un client de cimetière, c’est aussi un homme de plume et un excellent écrivain.

– C’est pour cette raison que j’avais pris son attache.

– Vous seriez capable de faire rougir un noir, ponctua Zakes.

– Comme votre temps est précieux, je ne vais pas vous entretenir plus longtemps de mon admiration pour vos écrits et ceux de notre ami commun, je voudrais surtout évoquer l’Afrique du sud d’aujourd’hui, celle que connaitrait Michael K s’il était encore de ce monde.

– Pour bien comprendre l’Afrique du sud, il faudrait faire un grand retour en arrière et réfléchir sur tout ce qui s’est passé ici depuis l’arrivée des blancs et des asiatiques qu’il ne faut pas oublier car ils ont, eux aussi, joué un rôle important. Et je ne voudrais surtout pas refaire toute cette histoire, c’est un travail qui ne m’appartient pas et qu’il faut désormais laisser aux historiens. L’Afrique du sud est devenue un grand brassage de peuples, de langues, de cultures, d’idées, de traditions, de croyances, d’intérêts, etc…, etc… Et ce brassage gigantesque a provoqué des chocs titanesques comme en produisent les plaques telluriques quand elles se rencontrent. Il ne faut pas juger l’Afrique du sud sur ce qu’elle est mais sur le chemin qu’elle a parcouru, les communautés ne sont pas encore égales, je le sais, je suis fils de Boers, Michael était noir, Zakes est noir et ils le savent, ou le savaient, encore mieux que moi. Mais Zakes peut témoigner lui aussi qu’un long chemin a déjà été parcouru.

– Il faut en effet l’admettre mais nous partions de si loin qu’il reste encore beaucoup de chemin à faire.

– Oui, le chemin est encore long, semé d’embûches, comme on dit souvent, mais si les hommes et les femmes, surtout les femmes qui ont un rôle prépondérant à jouer en Afrique, ne sombrent pas dans les errements du passé, l’Afrique du sud deviendra un grand pays multiethnique et multiculturel avant la fin de ce siècle.

– Effectivement (il éprouvait le besoin d’apporter quelque chose au débat, plus pour justifier son intérêt que pour enrichir réellement celui-ci), l’Afrique du Sud a démontré récemment sa capacité à accueillir un grand événement mondial et sa capacité à se mobiliser, toutes communautés confondues.

– Oui l’Afrique du sud avance à grands pas mais il ne faudrait pas qu’elle sombre dans un optimisme trop béat et qu’elle ne reste pas à l’écoute de tout ce qui agite la planète actuellement. L’humanité réserve souvent de bonnes surprises mais aussi, tout aussi souvent, de bien mauvaises.

Ils échangèrent encore pendant quelques instants sur l’avenir de l’Afrique du Sud, sur les soubresauts qui agitaient le monde arabe, sur la crise économico-financière qui menaçait les pays les plus riches, … mais le temps filait comme le sable entre les doigts des enfants sur la plage et le maître avait des obligations littéraires à remplir. Ils se séparèrent donc après s’être promis de conserver une relation au moins épistolaire grâce aux moyens de communication modernes.

Le gros 4×4 japonais, de cette marque qui a désormais quasiment évincé d’Afrique la mythique Land Rover, véritable dromadaire des pistes de latérite, fendait les flots verts du bush qu’une houle  ondulait en vagues larges et paisibles. Il avait accepté la proposition que Damon Galgut lui avait lancée et qui consistait à l’accompagner au fin fond du  bush, là où il se rendait pour visiter un hôpital perdu dans une campagne quasi déserte  qui n’avait même plus assez de malades à faire soigner pour occuper le personnel médical et notamment deux médecins qui transformaient progressivement leur ennui en agressivité l’un envers l’autre.

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Damon Galgut

Je ne sais pas comment cet établissement peut encore exister ? lui dit Damon, je crois que l’administration ne sait même pas que cette immensité verdoyante fait partie de notre pays. Les bureaucrates chargés d’appliquer la politique de santé n’ont jamais dépassé la limite des régions très civilisées, ici c’est déjà l’aventure, le grand désert, un autre monde, un ailleurs où ils ne risqueraient pas de s’aventurer. Ils craindraient trop de se trouver nez à nez avec un lion, enserrés dans les spires d’un serpent gigantesque, pourchassés par un rhinocéros en rut ou je ne sais quelle fantasmagorie inventée par leur esprit inculte. Ils ne connaissent rien de cette campagne… Le monde, pour eux, se limite à quelques grandes métropoles et à la bande côtière. Le veld c’est l’abandon, le royaume des animaux plus que celui des hommes, encore le domaine des pionniers tel qu’il était quand les premiers européens ont osé s’aventurer au cœur de ce territoire. Et, depuis la fin de la ségrégation raciale institutionnalisée, les blancs ont peu à peu quitté leurs terres, vidant le pays de ses rares occupants.

Derrière les vitres le paysage défilait à bonne vitesse malgré la médiocrité de la piste qu’ils empruntaient, l’océan vert n’était peuplé que de quelques îlots d’une verdure plus sombre, un baobab parfois, des petits épineux d’autres fois ou encore quelques arbustes qu’il ne connaissait pas suffisamment pour les identifier depuis son siège. Mais, très rarement, des habitants, pauvres noirs déguenillés en quête de quelque activité pour gagner une maigre croûte, paysans se rendant nonchalamment à leur champ, femmes surchargées de récipients pour la provision d’eau ou de marchandises à troquer sur un marché dans un coin de brousse connu des seuls autochtones. La vie semblait réservée au règne végétal et n’accepter que des animaux qui prospéraient selon les lois de la chaîne alimentaire sans être perturbés par des humains trop peu nombreux pour créer un quelconque déséquilibre écologique.

A l’approche de la clinique, tout juste un dispensaire d’après ce qu’il vit plus tard, Damon devenait plus nerveux, il ne savait pas comment régler cet affrontement qui dressait ces deux excellents professionnels l’un contre l’autre. Comme souvent, le manque de travail génère l’ennui, du temps à meubler, à meubler avec des femmes, avec des femmes qu’on se dispute pour être celui qui aura les faveurs de celle qui fait rêver les mâles du secteur. C’est le retour au règne animal, l’homme chasse la femelle mais, bien souvent, la femelle choisit son compagnon. Il ne voulait surtout pas se mêler de cette rivalité, il avait accepté cette expédition car elle le conduisait dans le bush, là où il avait fort envie d’aller, et plus particulièrement en direction du nord-est, en direction du Namaqualand dans cette partie sauvage du veld où Zoë Wicomb était née et où elle l’attendait dans une ferme qui aurait pu être celle de son amie, Frieda Shenton, partie étudier en Europe et mal reçue à son retour.

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UNE MERVEILLE DU PEU : SILVIO D’ARZO ET SA « MAISON DES AUTRES » – VERDIER

images?q=tbn:ANd9GcRU2j4zdhlpY05aYKlLOxmbthHSX-wd-Qn5-bt1Jy3UhYqQtBvfjGD9gQpar Philippe LEUCKX

 

 

 

 


9782864327912.jpgD’un jeune écrivain, mort à trente-deux ans, en pleine ère néo-réaliste, Ezio Comparoni, connu sous le pseudonyme de Silvio D’Arzo, ce court roman, paru à plusieurs reprises (en 1952, 1953, 1960, 1980, 1981, 1988 pour cette version française due à Bernard Simeone et Philippe Renard, traducteurs, italianistes accomplis, tous deux partis trop tôt), se distingue d’emblée par une écriture d’une sobriété, d’une densité, d’une pureté, d’une transparence exceptionnelles.
La préface d’Attilio Bertolucci (poète et père de l’auteur de « Novecento ») éclaire un parcours rare : débuts d’Ezio à 15 ans (« Maschere »), un roman à vingt ( » l’enseigne du Bon Coursier ») et d’autres oeuvres d’une longue période particulièrement créatrice (1942-1952) : « Essi pensano ad altro », « Penny Wirton e sua madre »…
« Maison des autres » (suivi de « Un moment comme ça ») a connu diverses versions. Celle proposée en français par Simeone, le traducteur, compte cinquante-six pages de toute beauté, ou comment du peu peut surgir l’intense vie d’un lieu presque oublié – montagne – avec quelques âmes, quelques bêtes, et un temps, presque enfoui.

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Un prêtre et une vieille. Des saisons froides qui enclosent le monde réduit à portion congrue.
Une vraie rencontre entre deux âmes qui se flairent, s’observent, se comprennent, se fuient, se rapprochent, pour un mystère dont le livre garde le secret jusqu’au terme.
Une vieille et sa chèvre, unies pour un travail épuisant de lavandière de montagne.
Un sens aigu d’un monde perdu, au bout du monde, que Silvio décrit en maître : ne pas déborder du cadre, laisser au prêtre-narrateur le soin de ne pas en dire trop pour que le lecteur s’apaise d’un drame, qui se profile, est déjà là.
Une immense nostalgie nous étreint.
Comme le passage d’un chagrin sur le visage d’un enfant.
Un chef-d’oeuvre absolu.
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Silvio D’Arzo, « Maison des autres », Verdier, 1988, 96p., 10,96€ (6,20€ en poche) Réédition de 2013.
Le livre sur le site des Éditions VERDIER

LA SCIENCE PROGRESSE… Des experts sont sur le point de distinguer deux titres l’un de l’autre du nouvel album de Christophe MAÉ

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Régulièrement des voix se lèvent pour contester les scientifiques, qui ne penseraient pas, qui seraient incapables de citer un philosophe vivant voire un artiste autre que Paulo Coelho ou la Citroën Picasso, qu’ils ne feraient qu’appliquer un programme depuis Galilée & Newton voire Archimède.

C’est faux, un fait indéniable démontre le contraire. Des experts en musicologie se penchent depuis des années sur les albums de Christophe Maé, depuis que le barde carpentrassien est apparu en 2007 sur la scène musicale alors qu’il aurait pu, sur sa lancée professionnelle de pâtissier, aboutir à la présentation du Meilleur Pâtissier aux côtés de de Cyril Lignac (une grande perte pour la pâtisserie, une catastrophe pour la musique de variété, une aubaine pour les producteurs de chanson-tarte-à-la-crème).

Mais les experts sont sur une piste et, comme le chante Ferré, sur des mots de Caussimon, faut laisser faire les spécialistes… Le temps est proche où on pourra enfin distinguer un titre de Maé d’un autre titre de Maé.

Vive ces humbles artistes qui font progresser la Science!