par DENIS BILLAMBOZ
La rentrée littéraire ne concerne pas que les romanciers, les auteurs de textes courts, aphorismes et autres formes de jongleries avec le langage et les mots ont aussi fait la leur. Et, en la matière, le grand spécialiste, c’est désormais le célère Cactus inébranlable qui a publié pas moins de sept recueils simultanément pour cette rentrée, non pas parce que c’est la rentrée littéraire pour les médias mais surtout parce que c’est son métier et aussi sa vocation et sa passion de faire connaître ces auteurs talentueux et trop méconnus. Je vous propose aujourd’hui une première livraison de trois recueils qui m’ont certes diverti mais qui m’ont surtout enchanté. Les maîtres du langage ne sont pas morts !
MICKOMIX
L’ESPRIT FERA PEUR!
Cactus inébranlable
Mick c’est évidemment Mickaël mais omix ce n’est certainement pas Serré, alors c’est peut-être komix ou alors comix comme les fameux dessins que Wikipédia définit comme : « Le terme (qui) sert à désigner la bande dessinée underground américaine. Il a été forgé en remplaçant par un « x » les deux dernières lettres du mot « comics » (« bande dessinée » en anglais) afin de souligner l’importance de la sexualité dans ce courant de la bande dessinée ». Alors, on pourrait supposer que Mick c’est Mickaël qui décoche les « Faux adages et vraies maximes » annoncés par le sous-titre de ce recueil et que komix c’est Serré celui qui tient le crayon qui dessine les jolies illustrations, un peu polissonnes, qui agrémentent les pages de cet opus.
Mickomix, d’après le titre cherche à effrayer le lecteur en lui décochant des adages totalement bidon :
« Con pétant. Con sentant »
Et des maximes qui ne sont pas toujours totalement fausses :
« C’est quand on s’éteint qu’on voit la lumière au bout du couloir ».
Mais tout cela n’est qu’humour et espièglerie, l’essentiel reste que Mickomix est un expert en blague en tout genre, qu’il manipule les mots, l’aphorisme et l’assonance dont il joue comme certains du pipeau. Il se définit lui-même, selon l’éditeur, comme « … artiste athée, mais créant ».
Mick flingue les mal pensants qui pourrissent la vie des honnêtes citoyens :
« C’est dans les bas-fonds
d’investissement que nagent les
requins de la finance ».
pendant que Komix, lui, se régale en diffusant des aphorismes coquins, sulfureux et même un peu paillards :
« Non passoire chéri, j’ai mal aux trous »
« Le cul d’une vieille pute est à la porté de toutes les bourses »
Voilà, un recueil qui fera passer un bon moment à tous ceux qui ne sont pas coincés et qui comprennent l’humour même quand il est un peu gaillard ou quand il s’en prend aux trop bien pensants qui ne pensent qu’à eux et bien peu aux plus démunis. L’auteur a présente lui-même le menu du jour proposé aux lecteurs :
« Aphorismes, vrai faussaire
à faux adages, vraies maximes
à faux-fuyants, vrais poltrons
apophtegmes, toi-même !
& autres petites pensées éparses »
C’est clair comme le menu d’un restaurant bardé d’étoiles mais c’est beaucoup plus drôle. Alors, on restera sur cette fameuse conclusion assénée par l’auteur :
« Les gros porcs sont tous des gros ongulés. »
Ca c’est bien vrai !
Le livre sur le site de l’éditeur
Le blog de Mickomix
Jacky LEGGE
(L’)ARMES À FEU ET À SANG
Cactus inébranlable
Si le sous-titre apposé par l’auteur : « Réflexions sans importance, sauf quelques-unes » me semble un acte de modestie très exagéré, je suis par contre beaucoup plus interpellé par le premier mot du titre qui, à mon sens, contient déjà à lui seul l’essentiel du recueil. En effet, le jeu de mot sur « (L’)Armes » dévoile les intentions de l’auteur en suggérant les larmes que l’usage des armes provoque bien trop souvent hélas. Dès le titre Jacky Legge nous laisse entrevoir le message de paix qu’il voudrait adresser à tous ceux qui font usage des armes pour toute sorte de raisons plus mauvaise les unes que les autres.
« Il y a trop d’armes lourdes entre des mains légères, soupira le Parrain »
« En temps de guerre, la Mort coupe les épis de blé vert »
L’éditeur nous raconte que l’auteur est un « explorateur littéraire passionné par les cimetières », il a donc rencontré au cours des ses promenades de nombreuses tombes de jeunes militaires morts pour défendre des causes qu’ils ne comprenaient pas toujours.
« La guerre est le cancer de l’humanité ; il est sans rémission. »
« Les permissions n’ont pas de sens pour les orphelins de guerre »
Sous l’humour et la causticité de ses « réflexions sans importance » se dissimule mal sa compassion pour les innocentes victimes qui n’ont jamais rien demandé.
« Toute sa vie, la veuve pleura le temps trop bref qui sépara la déclaration d’amour de la déclaration de guerre » (cette réflexion n’est pas qu’une formule littéraire, j’ai connu cette situation dans ma famille).
« La guerre est un cirque où les fauves ont dévoré les clowns. »
« La guerre, c’est toujours le massacre du printemps. »
Ce recueil n’est pas qu’un plaidoyer contre la guerre, c’est aussi un bel exercice littéraire dans lequel Jacky Legge dévoile un réel talent et un esprit très affuté. Certaines de ses réflexions sont, en plus d’être très pertinentes, très drôles.
« L’odeur de compote provoquait des nausées à Guillaume Tell et à son fils »
« L’héroïne est une arme blanche redoutable »
« Seuls les Inuits restèrent indifférents à la Guerre froide »
Je ne saurais clore ce propos sans évoquer les illustrations de Priscilla Beccarri qui agrémentent le recueil, des dessins qui collent bien au texte, des victimes innocentes des armes assassines.
J’ai gardé cette réflexion pour la fin, elle m’a bien fait rire, je la trouve très drôle.
« Un franc-tireur, c’est pas cher.
Un sous-marin, non plus. »
La violence est à la portée de tous !
Le livre sur le site de l’éditeur
Francesco PITTAU
LES HAMSTERS DE L’AGACEMENT
Cactus inébranlable
Francesco Pittau, c’est un peu « Tête-Dure » le héros éponyme de ce roman que j’ai tellement aimé, un gamin taciturne, rêveur, imaginatif et débrouillard qui est devenu un adulte poète amer et acide qui supporte mal la stupidité, la bêtise et même la connerie de ses congénères. Il a peut-être la tête toujours aussi dure mais ce que ce recueil révèle c’est surtout qu’il a la dent dure envers ses collègues manieurs de plume qu’il maltraite volontiers, dénonçant tous ces « écriveurs » sans talent qui déversent leur mot sur le papier en espérant envahir les rayonnages des librairies.
« Il y a beaucoup trop de poètes géniaux et pas assez de boulangers capables de faire une bonne brioche aux raisins. »
Il n’a aucune pitié pour ces sans talent ambitieux, il les classe avec ceux qu’il affectionne particulièrement : les cons, les cons qui occupent une place de choix dans son recueil.
« Il y en a qui ont des têtes de cons, puis il y en a qui ont des têtes d’écrivains… et c’est souvent les mêmes. »
« Les cons disent qu’on est toujours le con de quelqu’un, en espérant ainsi échapper au diagnostic. Bien sûr qu’un moment d’inattention peut toucher n’importe qui, mais y en a pour qui c’est l’abonnement 24 heures sur 24. »
Il a une idée bien précise pour traiter ces dévoreurs de papier :
« Un coup de pied au cul, une baffe dans la tronche, une torsion des oreilles, un arrachement du nez, un genou dans les couilles… et tout ça pour son bien ! »
Si Pittau décoche des flèches empoisonnées à tous les cons qu’ils écrivent ou non, lui, il ne risque pas la vindicte de ses collègues de plume, lui, il écrit des aphorismes comme Verlaine écrivait des vers, c’est un poète, un vrai :
« La nuit collait au visage comme une seconde peau et les étoiles s‘incrustaient au fond des orbites, vives brûlantes, pareilles à des rêves inachevés. »
« Sur son pain de rêve, il déposa une cuillère de confiture de nuit avant de prendre une gorgée de matin de soleil inattendu. »
Il s’inscrit comme beaucoup d’auteurs réunis chez Cactus Inébranlable dans la droite ligne des surréalistes belges. Il manie avec adresse l’absurdité, le burlesque, l’ironie pour énoncer des vérités évidentes, la fatalité fatale, l’ironie désarmante, l’imbécilité imbécile, … :
« Il pissait comme vache qui pleut »
« Quand tu montes une descente et que tu descends une montée, il est bien possible que tu commences à comprendre le sens de l’existence. »
« Il faut bien admettre que la civilisation du Canada Dry et de la Tourtel est en train de remporter la manche. »
« Depuis qu’une loi reconnaît les animaux comme des êtres doués de sensibilité, on les zigouillera dorénavant à coups de boules de coco et on les égorgera à la fraise tagada. »
« Si l’ironie pouvait se contracter comme la grippe, le monde irait mieux. »
Un recueil copieux, désopilant, une leçon de bon sens mais aussi quelques moments de pure poésie qui confirment que « Tête-Dure » n’est pas une réussite isolée, l’auteur a un talent fou. Et pour vous en convaincre, je vous offre quelques vers pour la route.
« Le petit matin
Se pendait au rideau
Avec ses doigts dorés
Avant de pousser ses
Cris de soleil et d’azur
Comme une bouche de bébé. »
Tout savoir sur le livre sur le site de l’éditeur
Le site du Cactus Inébranlable