C’est une quête. Celle de O qui cherche à Être. L’Autre va l’accompagner dans la réalisation de son souhait.
Avec son écriture, sur un mode surréaliste, Louis Mathoux nous prend par la main et le cœur pour nous emmener sur un chemin d’épreuves initiatiques à la recherche de ce Graal.
Si tu veux Être, déclara l’Autre, tu dois rompre avec ce qui te vide de ta propre substance, pille tes appétits profonds, et par là, te dépeuple de toi-même.
Il est question ici de dépassement, de transformation, de rédemption… Suivre un chemin de croix pour accéder enfin à soi, dans la complétude de l’autre, la Femme, au centre de tout et source de tout.
Pour Être, commanda l’Autre, tu dois souffrir !
(…)
Jusqu’à quel point ? demanda-t-il.
Jusqu’à ce que tu aies dépassé la toute- douleur du Christ sur sa croix, répondit l’Autre.
Un recueil inspiré, à la manière d’un conte philosophique et spirituel.
Ma vie commence véritablement avec les voyages, dont le Canada, Montréal, où je vis plusieurs années. Période fondatrice : une phrase de Marcel Proust me révèle à ma vocation littéraire. À 28 ans, je décide de me consacrer entièrement à l’écriture. Poésie et aphorismes (aucune publication à ce jour, besoin de mise en ordre), nouvelles (publication dans la revue Moebius, Québec, 2008), journal et large correspondance ; et le roman, genre auquel je me destine depuis ma rencontre avec l’écriture. Un premier roman, Le Choix de Clara (inédit) ; commencement du second en 2020, Tékéï (en cours d’écriture).
Retour en Belgique. S’en suit des années de chaos. Aspérités. Multiple déménagements. Événements traumatiques. Gouffres. Ne parvenant plus à me tenir à mon travail littéraire comme Avant (bien que je cesserai jamais d’écrire), je rencontre le dessin et la peinture (2008). Moyen d’expression moins viscéral, ontologique que l’écriture — moins douloureux sans doute à ce moment-là — (je ne me définis pas en tant que peintre) ; cependant ce nouveau médium me permet de continuer à répondre à l’impérieuse nécessité créatrice qui habite l’artiste : Comment être au Monde ? Comment se dire dans le Monde ?
Ainsi, je travaille en parallèle à l’écrit à une œuvre picturale. Mes thèmes principaux sont la femme, l’amoureux, la nature, le végétal, les arbres, le nu. Mes dessins et peintures actuels mêlent — vision imaginaire ou réelle — l’Arbre et la Femme, ce que j’appelle mes FemmArbragories (pour le travail du dessin). Au-delà de l’évocation purement formelle, l’Arbre, à la fois tendu vers le Ciel et ancré dans la Terre, se relie encore au féminin dans sa dimension sacrée, liée à son pouvoir créateur. S’entremêle la femme à l’arbre : je la vois, je la guette, je l’invente. J’aime que certaines aient un côté hybride, fantastique. Parfois je leur ajoute une queue pour rappeler notre nature sauvage, nous humain-animaux-nature. Les yeux, c’est la Conscience.
Me faire connaître n’a pas été une priorité ni une nécessité pendant longtemps. L’impératif de l’oeuvre et de la création d’abord. Je fais partie des lents. Et puis il y a le chemin… La vie… Je dirais qu’une vocation artistique peut dessiner un chemin de vie difficile, houleux — malgré la ténacité de votre conviction intime. Je n’avais pas imaginé une seule seconde que les choses pourraient se passer ainsi pour moi ; je crois qu’on appelle ça la vie. C’est la mienne. Je n’ai cependant jamais envisager me consacrer à autre chose que la Création.
Mes influences : Virginia Woolf, Anaïs Nin, Henry Miller, William Faulkner, Paul Bowles, Vincent Van Gogh, Frida Kahlo, Georgia O’Keeffe, Corin Vanden Berghe, Marcel Proust, Romain Gary (dont il n’aurait pas fallu tomber amoureuse, ce n’est plus d’actualité). Ainsi que toute personne rencontrée, habitée par un goût de vérité et de liberté.
Encore jamais mariée.
Passion pour le Tarot de Marseille (Jodorowsky).
Je vis depuis 2012 à Schaerbeek (Bruxelles) dans un studio au 23ème étage, avec aujourd’hui Nana, chatte British shorthair.
Je suis sur Facebook ou via courrier électronique : laurence.emily27@gmail.com
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Aphorismes et Poèmes autour de l’écriture, l’art
Les mots me brûlent comme une braise ardente qui s’est attaquée à ma mémoire
et se consume à l’enfantement de mes sens sur le papier.
Tout est souvenir,
c’est ça qui est vivant.
La solitude de Pessoa
Avec qui d’autre que l’écriture puis-je partager ma solitude ?
Avec mes chats ? Mais ce n’est dès lors plus une solitude — puisqu’ils existent indépendamment de moi. Tandis qu’elle, elle devient moi ou je deviens elle. Ce que je ne peux faire avec mes chats.
Parfois ils me rendent folle les mots dans ma tête
Toute la journée, je cherche ma vie. Je cherche où est ma vie. Je cherche à me fuir. Puis je finis toujours (et comme surprise) par me retrouver à écrire (ou tenter de le faire) ; à mettre de l’ordre dans cette folle foule de mots qui remue sans cesse dans ma tête. Les mots m’assaillent. S’agitent. Me possèdent. Je suis à leur service. Je dois les retenir un peu. Puis, comme sous hypnose, je me vois les écrire.
C’est vrai qu’ils me rendent parfois folle, les mots dans ma tête.
Entre Ciel et Terre
Il me semble qu’en quelque endroit où je m’assoie, mon regard est différent, mon regard est autre ; qu’il change selon le lieu, le temps, la position de mon buste ou l’inclinaison de ma tête. À chaque endroit, dans chaque instant, je suis autre. Et mes pensées dans le temps vagabondent. Tantôt allègrement, tantôt tristement je me noie et mon cœur se serre. Tantôt je souris, tantôt je pleure. Tantôt ici, tantôt ailleurs. Toujours ailleurs.
Où est ma vie ? si ce n’est dans la confusion sublime et troublante de l’enchevêtrement des temps qui me ravissent comme fait le vent et m’entraînent vers des abîmes dont je ne peux mesurer le vertige, vers des hauteurs dont je ne peux percevoir la cime. Entre Ciel et Terre. Le corps dans le vide comme en état de lévitation, l’âme envolée, sans poids ; toujours sans loi. C’est là que vit le mystère de l’absolu que je crois apprivoiser toujours un peu plus.
Aujourd’hui je le sais. Demain n’existe pas, si ce n’est dans un cahier dont les pages que je tourne, à l’écho, me révèlent toujours in extremis leur secret.
La forêt
Tu me disais je t’aime et tes bras m’enlaçaient nue dans la forêt
Chaque jour mon ventre s’ouvrait à toi, homme des bois
Homme aux cheveux longs dans le dos, au visage sale et beau
Et aux yeux pers comme l’enfer
Tes mains dans mes cheveux, cette branche contre laquelle
Je m’appuyais
Et l’odeur des arbres qui nous regardaient :
Ma jeunesse en feu et toi un peu plus vieux
Aime-moi,
Hurlait la voix à l’intérieur
Même la mousse aimait la douceur de ton regard pour moi
Mon corps allongé sur elle, mes cheveux blonds la coloraient
Et tes mains larges les étalaient tels des rayons de soleil,
Tu disais, le souffle dans mon cou : on dirait un myosotis en fleurs !
Quelques fois, nous riions
Mais seulement lorsque nos rires pouvaient s’échapper au vent
Il ne faut rien tenter de retenir, disais-tu
Et moi, jeune encore, je pleurais
Assoupie, il m’arrivait de rêver dans tes bras
Mais ta barbe me piquait le visage
Alors le bruit de l’animal qui passait par là lui aussi,
Faisait que rien ne dure
Au crépuscule, la forêt te rappelait, tu avais tant besoin d’elle
Une ombre se glissait, manant ! je t’insultais !
Puis m’en allais, courant,
Effrayée par l’adieu
Aujourd’hui, je respire un peu plus fort au fond de ma mémoire
Et le goût de tes larmes m’est âprement révélé
Mes cheveux ne sont plus jaunes et comme un fantôme qui cherche à hanter
Je retourne dans la forêt où tout est enterré en secret
Orage
À l’instant le tonnerre gronde d’un cri grave, lourd et fracassant : simultanément s’éclipse la lumière, tremble le ciel et la terre s’inonde, fertile, d’une pluie de grêlons gros comme la lune et cette myriade frappe, martèle, canarde nos maisons, nos routes, nos champs et cette tempête sans vent violente nos enfants et les chats qui ont peur ; se terre l’animal ; se sidèrent les regards déchirés par l’éclair jaillissant tel un torrent de lumière qui transperce.
– Feu de Pluie !
Et nous nous croyons grands !
J’entends la sirène des pompiers.
BLEU DE
NUIT
BLEU DE
NUIT OPA
LESCENTE
LUMIÈRE OM
BILICALE PEN
SÉE
L’HEURE ENFLE ET AF
FLEURE ÉCOUTER LE CO
NTEUR SOLITAIRE QUI
VEILLE ET ÉVEIL
LE À
L’ÉMERGENCE DES
MOTS AMOUREUSE
MENT AMOUREUX
CHERCHER LE C
OEUR CHERCHER L
E LIEU
Bouquet de roses
Elles ont la tête basse comme l’échine courbée. Les roses. C’était des roses rose. Aujourd’hui elles flirtent avec le mauve, un bistre clair en bordure des pétales séchées
On dirait qu’elles se sont promenées le long de la mer, respiré l’iode et aussi, leur chevelure maintenant légèrement teintée
Bouquet de roses
Bouquet de fleurs séchées
Elles ressemblent à des nonnes, leurs cornettes serrées sur la tête, mais leur bouche est énorme. Gourmande la bouche, ou encore en forme de Ôm. Oui, il y en a une qui semble prier ; vous savez le Ôm des bouddhistes
Tentent-elles de rejoindre l’esprit de l’univers ?
Implorent-elles la clémence des ainés ? — millions d’années
Des nonnes
Des nonnes rassemblées dans un bouquet de roses
Les feuilles vertes désséchées elles aussi,
racornies ; elles craquellent — noircies quelque fois
Si on les met ensemble,
elles ont un bruit d’automne
Un bruit coloré
Bientôt, je les jetterai
Les roses rose devenues lilas
Sur la plage, les nonnettes seront passées
Dans les parcs
Dans les parcs il y a des arbres qui la nuit tendent leurs bras
pour chercher la puissance de leurs racines
Nous ne les voyons pas, ces mains vers le ciel tendues
pendant la nuit endormie et nous avec
Peut-être est-ce pour cela les cris du fou dans l’obscurité humide ?
Moi les arbres je les enlace, je les touche de ma main,
paume à plat et je sens leur sève : cette vie il me la donne
— je la demande et je l’implore même parfois ;
me la donner, me la transmettre ; la vie toujours hasardeuse
de leurs mains qui la nuit poussent de leurs troncs de
leurs branches devenues bras géants
Oh embrasse-moi arbre !
Enlace-moi !
Prends-moi dans tes bras !
Je me colle à toi
Je respire le goût de tes racines amères et
une fraction de seconde je vois toutes vos mains enlacées
vers le ciel ;
ça fait des torsades et il y a les étoiles qui chantent muettes
des berceuses aux enfants et les chants du monde
résonnent sur la terre avec la lune qui veille et
attire les eaux et le sang
des menstrues des femmes ;
et nos rêves soupirent ; et nous nous dormons
Chaque nuit j’entends le fou crier dans le parc
Il ne comprend pas —
c’est trop vous savez, personne ne peut comprendre la
puissance des arbres la nuit, ce tremblement dans
la terre et la transcendance du ciel
flammes
les flammes étaient
gigantesques et semblaient
soupirer
cruelle volupté
étant donné le cataclysme
humain que représente
l’incendie ;
chacun restait figé,
la tête dans le ciel nous regardions
et de nos mines atterrées
transparaissait aussi,
— on ne peut s’en garder tant
le spectacle était grandiose —
l’étonnement
merveilleux
dans nos yeux
face aux flammes qui s’élèvent,
dansent, ondulent, se contorsionnent, rient
entre elles elles semblent
grimacer,
narguer le ciel, narguer la terre
et l’eau qui n’éteint pas —
chavirent les brandons
dans le ciel
aspirés
calcinés
feu
à qui appartiens-tu ?
L’homme peine contre le vent
L’homme peine, courbé en avant.
L’homme peine et ses jambes peinent, lentement, douloureusement,
un pas après l’autre,
une jambe après l’autre,
dans une infinie lenteur l’homme progresse ;
Ses jambes peinent si lentement, elles s’avancent, — l’une puis l’autre,
elles se suivent, s’entrecroisent dans un mouvement parallèle,
ses jambes vieilles et vieillies, percluses d’arthrose
(et de vieillesse)
Crampes, sensations d’extrême faiblesse dans les membres
inférieurs, les jambes
qui pas à pas
portent
encore
le vieil homme qui marche et peine contre le vent.
Une feuille tombe
Une feuille tombe
Comment est-elle montée si haut ? J’habite au 23ème étage
Elle danse et je la regarde
Cherche-t-elle l’oubli d’elle-même ? suspendue à l’air comme
à un fil
Je suis sûre qu’à travers son balancement, ses va-et-vient
(la sinuosité de son voyage et ses rythmes)
se tissent un ouvrage ancien
d’un temps à jamais »humain trop humain » ―
Qu’il y a des fils d’or qui se dessinent et qu’on pourrait
Le ciel, le cœur/ Der Himmel, Das Herz est une anthologie de 109 poèmes d’Odile Caradec, tirés de plusieurs de ses recueils. La traduction en allemand est de Rüdiger Fischer et les très belles illustrations sont de Claudine Goux.
De l’aveu même de son auteure, l’œuvre de Monique Marta, qui se décline, même si « un sombre secret dit la préférence du regard sur les mots », en poésie et en peinture largement sur un papier qui peut être « de solitude », « s’organise autour de quelques grands thèmes, le temps, l’amour, l’oubli, l’inconscient », toutes pistes qui méritent d’être explorées. A ces thèmes, il convient d’ajouter, comme le fait fort bien observer Arnaud Villani dans la préface – heureusement intitulée « Comme une bouffée d’air du large, l’amour fou de la vie » – qu’il consacre à Sortir du Cercle, un des plus récents recueils de Monique, l’amitié, la vérité, le corps, la nature, un ésotérisme protéiforme, qui touche même parfois, que l’on songe à cette Isis à la tour de 2019 ou encore à la Femme oiseau, à ce mysticisme qui transparait, par exemple, dans une ligne comme « … qui me brisera sinon le souffle du Très-Haut », et vient irriguer sa pensée toute entière ainsi qu’en témoignent ses textes sur Marguerite Porete, Hildegarde de Bingen ou la Reine de Saba, ou bien l’essai, encore en chantier, sur la philosophe Simone Weil. Mentions spéciales pour la douleur, qui « brûle, mord, pince les muscles, les nerfs, les os » mais « ne se laisse pas aisément nommer », la mort, ce moment où « le Rien (prend) la place du Tout », la solitude, « Seule à seule / Dans la compagnie douce des souvenirs », la nostalgie de l’enfance – « je me retire dans mon jardin d’enfance » – et celle d’aimer, qui débouche fort logiquement sur une libre évocation de la sexualité. Monique, en bref, touche à tout ce qui fait, plus que jamais, en ce siècle de consumérisme aussi débridé que délétère, d’un être humain en tous points semblable aux autres le digne représentant d’une espèce en voie de disparition accélérée, un poète. Et un poète qui « rêve à l’absolu des phrases » et pense en l’occurrence, ce qui en dit long sur sa manière de voir les choses, que, « quand la Bête a pris possession de l’homme, / l’enchaînant à / périssable matière », « le ciel n’est que lointain mirage / pour Sisyphe enchaîné, / proie des ombres / plus que de la lumière » – sans jamais cependant nous laisser oublier qu’il y a dissociation entre l’homme « qui appelle l’instant » et « son cœur » qui appelle, lui, « l’éternité » … C’est dire la variété des thèmes abordés par ce poète – et ce peintre pour qui « un dessin dit le feu du silence » – dans la complémentarité de sa tentative duelle d’être au monde et de vaincre l’absence ! Et de fait, il appert que ce qu’elle balaie, la plupart du temps avec la petite touche métaphysique qui lui est chère, n’est rien d’autre que le champ de notre pauvre condition humaine – tout en « rest(ant) sur les hauteurs » … « Précieux », souligne Monique, « est le rêveur voulant dire la parole / au doigt de l’image et du mot » !
Poète pour qui, de surcroît, l’écriture est principe d’organisation du monde, dou-blé, comme je le disais, d’un peintre, pour qui « la couleur irise la transparence », Monique, qui doit toutefois s’exhorter à « ne plus avoir peur de dire » mais pour qui, aussi, « se taire relève de la violence », pense que le « mot (qui) se forme (…) jaillit « du désordre ». Mais n’en ignore pas pour autant la vertu lénifiante : « Vent / Contre vent / Les mots seuls s’envolent / qui me frôlent / et consolent ». L’ins-piration de l’un, néanmoins, est comme celle de l’autre, fondée en tout état de cause sur cette « expression symbolique » qui, comme le dit Jean Chevalier, « tra-duit l’effort de l’Homme », et le H majuscule prend ici toute sa signification, « pour déchiffrer et maitriser un destin qui lui échappe à travers les obscurités qui l’entourent », est naturellement la même. « La vie déroulera son papyrus / et les mots brilleront /du sens qui se révèle », semble commenter Monique qui admet chercher « le nom qui parle encore de l’infini », « le mot disant l’ouvert ». « Nom-mer », écrit-elle par ailleurs, dans une invocation de la pensée magique où « l’in-cantation », par exemple, « conjure l’incendie », « c’est avoir du pouvoir sur quelque chose, y compris la douleur » – et la « page (…) peu à peu calligraphie la brisure du verbe en un symbole inespéré » !
J’ai déjà eu l’occasion de souligner l’importance dans la peinture de Monique Marta de ces signes, souvent liés à une géométrie plus ou moins sacrée, à une tradition plus ou moins revendiquée, cubes ou triangles, runes ou caractères hébraïques qui témoignent de son goût pour les autres cultures, les autres visions du monde pour lesquelles elle se passionne, sans toutefois perdre de vue ses propres racines. Il arrive que ces signes, dont l’apparition nécessite parfois la mise en œuvre de rituels, soient matérialisés par des pratiques ou des objets, auxquels elle attache une importance certaine, comme lorsqu’elle confesse n’être « confiante (qu’) aux seules lignes de (s)a main, à cette pierre serrée entre (s)es doigts », à « l’œil-de-tigre », qui passe pour protéger contre les mauvaises énergies, « pendant entre ses seins » – dans un monde où « l’oracle, auquel on ne croyait pas, se réali(se) » !
En arrière-plan, bien entendu, comme dans Cri vert, déjà, et d’autant plus nécessairement que « vivre libre, c’est être à l’intime de la nature », se profile cette dernière, retentissant « d’un éclat de rire » dans cette « odeur de forêt » qui « attend la raison du rêve ». Là, l’arbre, l’oiseau, la sève, le soleil, l’herbe, « la martre, le vert scarabée, l’éphémère papillon » vers lesquels le poète « baisse (s)on regard », et « la source qui coule à l’humus du soir » rendent compte de l’« âpre beauté des choses » dans une harmonie qui s’accomplit dans une sorte d’indifférenciation entre les règnes, allant peut-être même jusqu’à prendre la forme d’une sexualisation du monde, le goût de « la chair des choses ».
Dans la mesure où « tout regard est voyeur dans le ballet des sexes », c’est parfois par le biais de la sexualité des oiseaux, par exemple, qui font « l’amour avec le rien » comme cette mésange dont le sexe « brise ses feuilles », ou celle supposée des plantes qu’elle évoque aussi librement qu’indirectement elle effleure celle des humains, au moyen d’images que l’on qualifiera, eu égard à son vers sur « le rare érotisme de l’image », de coquines mais néanmoins très évocatrices, et je pense notamment aux arums de sa Lune de Printemps, à la « rose (qui) est voie possible à l’éclat du désir » ou à ces anthuriums encore dans lesquels elle voit « l’offrande de Vénus » tandis qu’un « dard s’abreuve dans la coupe rubine, comme homme au rendez-vous d’Eros » …
Ce qui réveille en elle, quand « le manque est à la tâche », « l’envie d’aimer dans l’arc tendu du vivre », une nostalgie donc de l’amour, les appétits, peut-être, du « pauvre corps laissé en jachère », « corps que le temps garde si éloigné » d’elle, mais ne nous confie-t-elle pas chercher existence « dans la solitude de l’étoile, le jeu sexuel de l’être », peut-être une des versions de la « lecture des contraires », et « la création du mot » qui lui est de ce fait directement associée. Une approche ancienne, du reste, puisqu’on lisait déjà, en 1982, dans l’inédit Cri vert : « of-frande / page blanche / ouverte à l’éternelle rencontre » … que « souvent fait du-rer » un silence ! Un corps, toutefois, qui n’en prend pas moins les dimensions d’un univers, quand les veines y deviennent « rivières / qui s’en vont à la mer », la « peau / limite extrême / de l’entre-deux du monde », et l’« œil / comme un soleil / retenant la lumière ». Tout simplement !
Par bonheur, « une ferveur sauvage donne la clef /des profondeurs » et les eaux se mêlant, l’âme vacille « quand le corps pèse / sur la fragilité du corps », et le temps « s’abolit » à « l’instant où », nous dit Monique, « je me perds / en notre embrasement », à l’instant où tout ceci se résoud en une « éternité de vagues / de spasmes / de sel / d’écume », en fin de compte « apocalypse (des) désirs » … Mais, puisqu’il est plus sage peut-être de préférer au « vertige » « l’affleurement du plaisir », la règle du jeu est tout de suite posée : ce qui a droit de cité, c’est le « corps partagé. Et non gardé pour soi dans la froideur d’un lit. Corps senti au plus près de l’étreinte. Corps offert. A peine possédé. Prêté plutôt. Cadeau d’un soir ». Car, si « éperdu, le plaisir cherche la nuit » – et aussi « le retour du songe » –, c’est « dans les débris complices de l’alcôve » que tout se passe tandis que dans les « bras fauves et sauvages » de l’amant « se défont le ciel et la conscience ». Mais si « le corps dit le plaisir fauve », encore, « le cœur damné dit le désespoir d’aimer » et la fin (brutale ?) de l’amour – « amour défunt » – fait frémir le « corps penché », « vaincu », mais entraîne également un dérèglement du réel, puisqu’un « poison amer / mord l’horizon », qu’« une vapeur d’alcool / tremble / sur la rive » et que « le ciel sanglote / endolori »…
Le sentiment de la perte, et pas seulement dans l’amour – « Pourrai-je un jour me passer de nous ? » –, est très présent dans l’œuvre de Monique, et sans doute est-ce ce qui se traduit, dans ses peintures, par ces nombreuses portes, donnant sur l’obscurité, dans sa poésie par un vers comme : « En vérité, mon corps a gagné en transparence ; on ne le voit plus guère. D’ailleurs, je ne sais plus si j’existe en-core » qui fait écho au sentiment de « dérive sur le fleuve du temps ». En fait, si « la parole », qui éclate « en pluie », est promesse de quelque chose, celle-ci n’est pas tenue : « l’érosion du retour », peut-être le passage, encore, du temps, et « l’hésitation ont achevé l’étreinte ». Et l’impression d’harmonie qui souvent pré-domine au premier coup d’œil est rapidement balayée par la présence avouée de la « faute », « la main de la faute, / sans force, sur le cœur », la hantise du « néant qui marche », comme si quelque chose, de l’ordre de l’innocence peut-être, avait été d’emblée perdu. Une innocence liée aux jeunes années et à leurs jeux ne tirant pas à conséquence : « Qui, pour le retour à la rivière d’enfance ; aux jeux de balle sur la muraille ; aux courses dans la forêt ? » … Liée encore au souvenir de cet enfant de dix ans, « ange enfui / qui jamais ne revint / ne laissant nulle trace / dans l’air ou la poussière / Mais souvenir d’amande /comme une nostalgie » … Chez Monique Marta, on est hanté par la « faiblesse de l’ombre » et la « saveur de pé-ché ». Ailleurs, elle parle de « la souillure du jour » qu’efface le sommeil, « la souillure et le chagrin du jour », jugeant que « fou est celui qui ignore la souil-lure », peut-être parce que « l’homme, esclave du temps, souille à jamais la lu-mière » ! « L’ange tombé » ne craint-il pas « la pure lumière » ?
Car « le rêve se tord dans la lumière » au « soleil des damnés », soleil qui par ailleurs s’effondre « en bémol », le « réveil harcèle le moindre devenir » et le jour, « déchu », est chagrin, mais l’enthousiasme, « le goût de ce qui va venir », « l’amour fou de la vie », la volonté d’espérer « la merveille, qui soulève le poète » au matin peut le transfigurer en une « juste apothéose », tandis que la nuit, « invitation au repos » que « l’esprit, enluminé », tout en l’attendant, refuse par-fois et où, « dans l’obscur », prennent alors forme d’indéchiffrables messages, n’en est pas moins, avec constance, « retour à soi », « paix du moi qui se retrouve, avec ce qui toujours aima ».
Vivre, proclame pourtant fièrement le poète, même si ce n’est « plus que d’amitié », « là où la question se pose d’être ou de ne pas être », mais « savoir se retirer, comme le nuage s’étire au ciel ; puis disparaît » – « se retirer comme on vient au monde », « dans le grand silence de l’absence » !
Dans son magnifique poème « Les Dentelles de Montmirail », René Char, pour qui, comme pour Monique, « la poésie vit d’insomnie perpétuelle », écrit : « Nous n’avons qu’une ressource avec la mort : faire de l’art avant elle ». « L’œuvre de l’artiste », vient lui faire écho Monique Marta, « est emphase d’existence », « force de création, libération » … C’est sans doute aussi ce qui guide sa plume, aussi bien que son pinceau, elle dont le « corps fragile en divin équilibre » comme elle le déclare elle-même dans un texte précisément intitulé « L’Equilibriste », est « dans l’instant, tiré entre deux forces », que l’on identifiera rapidement au ciel et à l’enfer, « dans le seul trait tendu d’une paix à venir » … Et c’est encore Char que je vais mettre à contribution pour conclure ces quelques lignes, Char dont une des plus fameuses maximes rend si bien compte, à mon sens, de la nature de la quête d’une Monique Marta pour qui « il y a fête dans la rencontre » et qui souhaite se « lier par l’esprit à ceux qui sont absents, les vivants et les morts » : « La quête d’un frère », ici Humain, « signifie presque toujours la recherche d’un être, notre égal, à qui nous désirons offrir des transcendances dont nous finissons à peine de dégauchir les signes ».
Patrick Lepetit
POÈMES
Le miroir tremble
sous le regard fauve
de qui le fouille
et l’embrase
Une ferveur sauvage donne la clef
des profondeurs
La fièvre geint dans le gouffre
Un cristal veille
chassant l’unique cercle
ouvert sur cette main
qui traîne l’irrémédiable nuit
Le linceul est au tombeau
comme le chasseur à la bête
Vois la flèche et la blessure ;
le sang qui goutte
au cauchemar de la ténèbre !
La boue couvre le monde
Se brise le miroir
Demeurent, si tu le peux,
la ferveur
le cristal
et la main pour le sceau
irrémédiable
et que nul ne pardonne
+
L’inépuisable sommeil
trouve plaisir
au vertige du néant
La fosse est instrument de torture
comme l’éclat du soleil
pour cet ange tombé
craignant la pure lumière
Une étrange grimace
déforme le visage
trace antique du vice
signe de l’insatiable soif
d’une divinité possible
L’horreur du vide
appelle la gravité
passe le pont fragile
aux pas menus du funambule
Un goût amer monte à la bouche
saveur de péché
exigeant l’anathème
L’hérétique défi
crache
l’imprononçable Nom
et tombe
au feu vorace
Je regarde mes veines
et mes veines sont ces rivières
qui s’en vont à la mer
La mer
ciboire salé
et boîte de Pandore
où je puise à l’infini
jusqu’à la mort
Je regarde les lignes de ma main
traces d’anciens chemins
se rappelant un ciel
pour d’éventuels extra-terrestres
Ma peau
limite extrême
de l’entre-deux du monde
Et cet œil
comme un soleil
retenant la lumière
Soleil
tragique et délicieuse mémoire
Main pâle
comme d’outre-tombe
Main parée de l’anneau
au doigt petit
de l’écoute et des secrets
Main pâle
sortie du rêve
ou des nuées
qu’écris-tu en signes que j’ignore
noirs
sur la page immaculée du temps ?
Dois-je apprendre l’hébreu
le sanskrit
une autre langue ?
ou la course des planètes
sur le ciel de mon zodiaque ?
Main pâle
quoi comprendre
de l’indéchiffrable message
venu de l’obscur de ma nuit ?
La vie déroulera son papyrus
et les mots brilleront
du sens qui se révèle
où mystère resteront
+
A Marguerite Porete, morte sur le bûcher, en Place de Grève, le 1° juin 1310.
Ô âme simple
Anéantie
qui poursuis non-vouloir
Humble es-tu
haute et libre
La Raison borgne te
condamne
quand l’Epoux t’illumine
lui le sans-pourquoi
le Loin-Près de
ton cœur innocent
Silence est ta défense
Parole de diamant
ton miroir (1) consumé
En vain ta prison
le bûcher !
Ta pure lumière
a traversé les siècles
Perdure le sacrifice
de ton âme apaisée
Honte à cette injustice
qui ton corps méprisa
le faisant flamme
Et pour ta rayonnante gloire
flamme
noble flamme
d’amour
______
(1) Le livre de Marguerite Porete, qui fut brûlé avec elle.
+
Creuse en toi au plus dur des ténèbres
Casse la couche sombre
Sois le mineur de l’ombre
Obstine-toi
Vois plus loin que les larmes
la sueur
et l’angoisse
Du gouffre où tu t’enfonces
perfore ce qui résiste
Brise l’inattaquable
Mets à bas l’artifice
l’illusion
Espère la merveille
.
Sois cet engoulevent (1)
qui fera de l’épée
l’arme de ton combat
.
pour un nouveau défi
d’ultime libération
_________
(1) Patron des forgerons
+
L’indicible ennemi est
mensonge
dans la clarté du soir
L’écho parcourt la grève
tel le croassement du
corbeau
qui
sur le sillon tournoie ;
trébuche
à la froideur du roc
La brumeuse parole
porte
en son scintillement
le secret
de l’antique lumière
que l’ennemi
dévore
Et l’écho portant masque
de l’oiseau sombre
libère
dans sa transformation
le jour déchu
en juste apothéose
+
Le soleil diapré de la mémoire
luit dans les miroirs de l’ange
souffle luminescent
facettes palpitantes
au cercle encombré du temps
Corps opaque
pour transparence
tu offres ta dureté
à la perceptible clarté
vue dans l’onde du rideau
Le matin est oblique
l’aurore propitiatoire
Le poète
à sa table penché
gardera la blessure
de son
scintillement
+
Ô pâle et angélique visage
de cet enfant de mes dix ans
qui me manda pour fiancée
Le parc
tamisé de lumière
était un paradis
Je refusai l’anneau
L’ange s’en fut
qui jamais ne revint
ne laissant nulle trace
dans l’air ou la poussière
Mais souvenir d’amande
comme une nostalgie
+
Vent contre vent
Persiennes ouvertes sur le rêve
Nuit étoilée où passent les comètes
Chuchotements
Le jour se lève sur nos mots délacés
Tu me souris de ta frontière lointaine
Un souffle
derrière ma nuque suggère ta
présence
Peut-être vieillirons-nous ensemble
chacun à sa fenêtre
tissant le fil doré
de nos plus profonds fantasmes
.
Vent
Contre vent
Les mots seuls s’envolent
qui me frôlent
et consolent
.
Pourrai-je un jour me passer de nous ?
+
Monique MARTA
Monique Marta est née en 1952 sur la côte méditerranéenne, dans une famille de quatre enfants.
De formation littéraire (DEA en Sciences de l’Information et de la Communica-tion) et linguistique (Maîtrise), est écrivain, poète, ex-enseignante, conférencière et artiste.
Publiée, à l’âge de quatorze ans, pour une chanson : « Coquelicot ».
1970 : « Une petite bulle de verre », Hachette, bibliothèque verte.
1979 : « Canard ou pas canard », comédie dramatique, jouée à Nouméa.
1984 : « Marchant en ma fidélité », éd. Aléatoire (poésie).
1994 : « Signes », éd. Tipaza (poésie).
2000 : Lauréate des Arts et Lettres de France, section « humour » (poésie).
2002 : « Inutile », éd. Tipaza (poésie).
2020 : « Poèmes de la Marche du Pont », éd. Rafael de Surtis (poésie).
« Sortir du cercle », éd. Unicité (poésie).
2021 : « Marie-Madeleine-Hildegarde de Bingen/Dans le Miroir de Dieu », éd. Unicité (essai).
2022 : « La Reine de Saba-Un itinéraire spirituel », éd. Unicité (essai).
Membre de la SGDL (Société des Gens de Lettres)
Traduite en bulgare, portugais, espagnol, anglais, arabe (pour la poésie).
En tant qu’artiste : expositions et illustrations de livres ; livres d’artiste.
Crée et anime la revue « Vocatif » (1983-2021)
Conférencière, elle s’est spécialisée dans le Moyen-Âge : Héloïse et Abélard, la Chanson de Roland, les troubadours, femmes poètes, la Quête du Graal, Hilde-garde de Bingen, les Gnostiques…
Niçoise, elle aime se retirer dans sa petite maison des Alpes-de-Haute-Provence, près des montagnes qu’elle aime.
J’ai 53 ans. Je vis en Normandie où j’enseigne les lettres depuis 29 ans.
Si je n’ose publier mes poèmes que depuis 2017, je peux dire que j’écris depuis toujours et c’est davantage une manière de vivre qu’une activité. En tout cas je ne conçois pas l’écriture poétique comme telle. Si j’ai pour habitude de dire que l’inspiration n’existe pas c’est que je ne connais pas l’attitude qui consiste à chercher le quoi dire et le comment.
J’écris beaucoup, plusieurs heures par jour, y compris lorsque j’enseigne, partout, toute la journée, sur un coin de table ou sur un coin de bureau et toujours dans un cahier à spirales- et cette nécessité de dire est une façon d’être et de vivre, ce qui n’exclue pas un vrai travail du poème par la suite bien évidemment. Je ne connais pas d’affres d’écriture. Je la vis comme un plaisir quasi-musculaire et je ne suis jamais mieux que lorsque j’écris beaucoup, que ma journée est dédiée à cela.
On aura remarqué que l’amour est mon thème de prédilection. Ce n’est pas la traduction d’un bonheur candide ou béat-je ne m’interdis d’ailleurs pas d’autres thèmes plus sociaux voire politiques- mais plutôt la conviction que l’on n’écrit au fond jamais autre chose.
J’ai la métaphore facile et c’est heureux. Faire naître des images belles et insolites me semble être la mission de la poésie et j’ai du mal avec la tendance actuelle qui consiste à écrire dans un langage de tous les jours dénué de toute image. Je ne ponctue pas mes poèmes laissant le soin aux lecteurs de trouver leur propre respiration et beaucoup de recensions ont dit de mon écriture qu’elle était exigeante envers le lecteur. Je crois qu’il faut être exigeant. Pour soi. Pour la vie. Pour la salubrité du monde.
Disons d’emblée qu’il ne s’agit ici ni d’une exégèse canonique, ni d’une approche scientifique : elles sont légions en la matière. Claude LUEZIOR, avec la franchise ouverte et sincère d’un Candide, n’a pas trouvé de vecteur plus adapté que l’humour pour nous présenter sa lecture parfois effarée de l’Ancien Testament. On est loin de toute herméneutique, loin des règles mystiques traditionnelles, loin des Pères de l’Eglise, de Saint Augustin, Saint Isidore ou Eusèbe de Césarée, mais plus proche d’un François Laplanche qui cite Karl Barth : « Ce que je dis de Dieu, c’est un homme qui le dit. »
LUEZIOR l’amoureux des arts, le poète, le romancier, avance ici en terrain miné avec beaucoup d’entrain, de bienveillance et un certain panache. Il ne serait pas étonnant qu’il rallie à sa courageuse campagne, tout un peuple de lecteurs. Comment résister à sa réaction de potache, celle d’un enfant devant Spielberg et Charlot réunis ? Claude LUEZIOR est léger mais ne raconte pas à la légère. Il rit mais s’indigne, tout en citant les versets bibliques concernés. Voyons un exemple »frappant » (ici tout est »frappant »!) : celui-ci, intitulé Il faut savoir et qui précède Le Déluge…
« Reprenons depuis le début : Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu, il lecréa. Et Dieu vit tout ce qu’il avait fait, et voici que cela était très bon (Genèse, 1,27 et 1,32). Et pourtant, Yahvé dit en son cœur: ce qui forme le cœur de l’homme est mauvais dès sa jeunesse (Genèse, 8,21). Diagnostic final : l’œuvre du Tout-Puissant est-elle à ses propres yeux bonne ou mauvaise ? «
Comment résister à l’aventure de Noé dans le chapitre Soyons indulgents ! « Noé était âgé de six cents ans quand eut lieu le déluge. » (Genèse,7,6). LUEZIOR s’exclamera d’ailleurs plus tard : « belle gériatrie ! »Il rajoute : »On excusera bien ses erreurs. Ce d’autant qu’il n’était pas très fort en mathématiques. Un peu pressé, il n’avait fait monter à bord qu’un seul escargot. Tantôt mâle, tantôt femelle et avec une patience infinie, le (la) bougre(sse) se débrouilla tout seul. »
Et de préciser : « Prévoyant, le patriarche demanda à Yahvé quelques somnifères pour des crocodiles au sale caractère et pour un couple de singes qui commençaient à semer la pagaille : des êtres déraisonnables qui prétendaient, à l’époque déjà, avoir un lien de parenté avec Noé ! En ces temps prédiluviens et carrément écologiques, on lui fournit plutôt un couple de tsé-tsé, des mouches spécialistes ès sommeil. Ce qui fut tout à fait indiqué, notamment pour le paire de renards qui jetaient un regard lubrique en direction d’un coq et de sa doulce moitié. »
Évidemment, les choses s’enveniment avec « Caïn et Abel : le premier tue l’autre. Dramatique engeance ! On a si peu disserté quant à la douleur des parents… » Elles se multiplient et s’amplifient par la suite avec Moïse, David, Salomon… Alors, devant la lecture de tant de miasmes et de plaies soi-disant envoyées par Dieu, ajoutées à tant de turpitudes et d’exterminations dans nos sociétés humaines passées, présentes et à venir, que faire sinon rire parfois, pleurer, souvent ? Il nous y invite avec sa plume parfois cocasse, souvent indignée, parfois insolente, souvent humaniste, tout en frémissant devant ces déluges de violence détaillés dans un Ancien Testament d’il y a bientôt trois millénaires.
Cela dit, Claude LUEZIOR précise en quatrième de couverture : » Ce qui est rassurant, c’est l’avènement, beaucoup plus tard, d’un rebelle, incarnation du pardon et de la tendresse : le Nazaréen Jésus-Christ. »
Le sage Noé, charpentier amateur de son état, était tout à la fois insigne zoologue et botaniste.
Dans sa cage à poulets (le Livre saint affirme dans son arche (…) de 300 x 50 coudées [1] sur trois étages), il enferma par paires quelques millions d’espèces, toute nourriture comprise pour quarante jours.Pour faire bonne mesure, l’on précise plus loin qu’il s’agissait en fait de sept couples de tous les animaux purs (selon des critères mal définis, d’ailleurs) et d’un couple de tous ceux qui sont impurs [2].Heureusement, les dinosaures avaient déjà rendu leur bonne âme au Seigneur. Quelques tyrannosaures auraient tôt fait d’avaler le reste de la compagnie.
Prévoyant, le patriarche demanda à Yahvé quelques somnifères pour des crocodiles au sale caractère et pour un couple de singes qui commençaient à semer la pagaille : des êtres déraisonnables qui prétendaient, à l’époque déjà, avoir un lien de parenté avec Noé !
En ces temps pré-diluviens et carrément écologiques, on lui fournit plutôt un couple de tsé-tsé, des mouches spécialistes ès sommeil. Ce qui fut tout à fait indiqué, notamment pour la paire de renards qui jetaient un regard lubrique en direction d’un coq et de sa doulce moitié.
Lignes apocryphes
Malgré cette promiscuité et sûrement grâce à Dieu, les choses ne se passèrent finalement pas si mal. Bien entendu, les girafes, toujours un peu guindées, se plaignirent d’un torticolis et les éléphants finirent par inventer le régime contre l’obésité.
On ne parle pas des poissons volants qui, hors contingent, furent à la fête, ni des hippopotames qui rirent un bon coup.
Les baleines furent dispensées de figurer dans cette histoire pour raison de corpulence et les sardines ironisèrent sur le manque de place dans la boîte à Noé.
Soyons indulgents !
Noé était âgé de six cents ans quand eut lieu le déluge [3].
On excusera bien ses erreurs.
Ce d’autant qu’il n’était pas très fort en mathématiques. Un peu pressé, il n’avait fait monter à bord qu’un seul escargot. Tantôt mâle, tantôt femelle et avec une patience infinie, le (la) bougre (sse) se débrouilla tout seul.
Voici que mes doigts parcourent ce portail, velours de métal encore prégnant de mon enfance. Entrer dans l’univers matriciel. Revenir dans le soupir du vent, respirer le sourire d’un parfum, sentir les paupières d’un seuil entrouvert.
Réveiller le silence. Descendre les trois marches. Passer en revue les bosquets de roses percluses d’attente puis monter jusqu’au faîte, à la ligne de partage entre tuiles et cieux. Là s’oxydent les souvenirs, là s’emmêlent des racines plongeant dans les voûtes majestueuses d’un oubli. La vareuse paternelle jette ses ocres, une invisible main astique un cuivre, un plumitif naissant joue les gammes des mots qui le fuient. La pendule muette remonte l’espace sans égrainer ses minutes : quel absurde horloger a-t-il émietté le temps en unités alors qu’il n’est que fluidité ?
Maison de brique et de broc. Palais pour poète en déshérence.
Tu es vasque pour mythes ébréchés, nécropole d’émois où se bousculent encore les ombres du jardin premier. Ta façade, ridée de fissures bénignes, a la noblesse d’un visage à peine fripé par la bourrasque : stigmates sur un front que l’amour n’a cessé de préserver.
Ouvrir mes paumes nues à tes ombres sentinelles, à tes arcades, gardiennes du mystère. De chaque creux s’évade une silhouette, en chaque coin luit une patine, un suintement d’âme, quelque toile arachnéenne tissant une illusion.
Célébrer le solennel et recueillir l’identité d’un trésor perdu puis retrouvé dans l’immobile lamentation des heures. Vivre tes voiles qui s’évaporent, jubiler sur la frange incertaine de tes oripeaux, trésor d’une épaisseur de vivre cousue main, humble et pénétrant joyau sur l’étoffe de ma mémoire.
Plus loin, je respire ta pelouse où batifolent des fleurs sauvages, locataires par myriades qui profitent joyeusement des vacances. Les branches baroques des arbres se disent centenaires et lancent l’ivresse de leurs bourgeons ; clématites et lierres s’articulent savamment autour d’un angelot n’ayant pour respirer que sa vénielle prière de stuc.
D’un côté, tu es bure de pierre et de l’autre, foisonnance végétale : binôme où s’allient l’âme gardienne des choses et la création de la chlorophylle.
Maison de Famille si grave qu’elle m’entraîne en une indicible prière. Si gravide en souvenirs que ma fibre fœtale s’y loge comme nymphe en son cocon de soie. Rugueuse et brillante, ta silhouette est mienne. Au seuil d’un Paradis.