DENIS BILLAMBOZ
Ils sont poètes mais ils sont aussi jardiniers, l’un est né en Bourgogne mais n’y vit plus, l’autre y vit mais n’y est pas né, ils sont tous les deux des amis de lettres. C’est pour toutes ces raisons que je les ai réunis dans cette chronique poético-bucolique.
Saison sans visage
Louis Dubost
Tarabuste
Louis est un poète jardinier, il bine ses recueils de poésie comme il bêche ses carrés de légumes dans son potager. Dans le présent opus, il évoque moins souvent son cher jardin et tout ce qu’il y plante. Il se penche sur son avenir qu’il pressent de moins en moins long. Il semble penser de plus en plus au moment où il ne pourra plus cultiver son jardin, où il faudra dire adieu à son petit monde et à tous ceux qu’il aime. Même, s’il s’apprête à affronter sa fin, il ne se résigne pas à l’accueillir trop vite.
« … // non la mort / ne me dit rien // plus précisément / ce n’est rien / qu’un mot comme / dieu / paix / espérance // … »
Et pourtant, il sait que l’échéance n’est plus très éloignée, « … // aujourd’hui / J’ai l’âge de mon père / quand il est mort // … ».
Mais avant la mort, il y a la vieillesse avec toute la cohorte des ennuis qu’elle génère, les souffrances, l’affaiblissement physique et cérébral, la fatigue, l’usure, … et la rébellion contre cette lente mais inexorable descente.
« La veille la fatigue / dans tout le corps // les questions harassées / comme un poids mort / dans chaque os // Et puis au réveil / on se tient debout / … »
La vieillesse c’est le temps qui passe, le temps qui est passé : « … / une heure à perdre / une minute d’inattention / une seconde égrenée / comme les précédentes // on aura quelque chose / à dire et pas le temps / ni un seul mot pour le dire // … »
« Le passé est passé / comment espérer / recomposer le corps /// le passé verrouille / à jamais / ce que l’on est / on n’a pas le choix // … »
Ce recueil est plein de nostalgie du temps passé mais aussi d’appréhension de l’avenir et de ce qu’il comporte mais Louis ne s’apitoie pas, il est lucide, il sait ce qui l’attend : « A force / de jouer à vivre // on n’écoute plus / le temps venir à soi // et le temps s’enfuit // sans tourner la tête // … » et il continue à biner son coin de terrain s’inquiétant du temps qu’il fait : « On est là / à maudire l’été // la tête ailleurs à s’occuper du jardin // … »
J’ai à peu près le même âge que Louis, je sais ce à quoi il pense, nous savons tous les deux que notre fin est de plus en plus proche, que nos corps sont plus lourds, moins vifs et nos cerveaux plus lents, mais nous savons aussi qu’il ne faut pas abandonner la vie, qu’il faut encore biner son jardin et cultiver ses poèmes pour vivre encore dans la paix et la sérénité. J’ai aimé ce recueil empli d’une douce nostalgie, de tendresse, d’émotion simple, d’acceptation de l’avenir et de douces poésies bucoliques. Nous avons tous les deux au moins un pied bien ancré dans notre terre originelle. Et, comment ne pas citer ce joli ver : « l’aile de l’hirondelle / recueille / ce qui reste du jour », je l’ai adoré comme bien d’autres… !
« Les mots s’éparpillent / entre qui-vive / et qui meurt »
Le recueil sur le site de l’éditeur
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Images d’archives
Jean-Jacques Nuel
Editions du Petit Pavé
Dans ce recueil composé de poèmes de dix à vingt vers tous teintés d’une douce et mélancolique nostalgie, Jean-Jacques raconte comment il a parcouru sa vie en arpentant les routes, autoroutes, gares, aéroports, et autres axes de transport. Pourtant, il semble encore bien jeune, même plus que moi, pour se livrer à cet exercice, Certes la vie a changé depuis qu’il est né dans la capital des Gaules, « en déroulant le fil / d’actualité de Facebook / tu mesures à quel point / tu n’es plus de ce monde /… ». Il ne reconnait plus la ville où il est né, celle qui restera à jamais sa ville, sa maison natale n’est même plus identifiée, elle est fondue dans un de ces temples du monde moderne dédié au dieu commerce. « le nom ne figure plus / sur la boîte aux lettres au 17 / de la grande rue / piétonne / et le café en bas / de l’immeuble a laissé place à une boutique / de prêt-à-porter / les souvenirs sont coupés / de leurs racines / … »
Comme je l’ai dit plus haut, Jean-Jacques est un peu plus jeune que moi, j’ai donc traîné mes baskets là où il est passé, l’A6, l’A7, la Gare de Lyon à Paris, l’aéroport Saint-Exupéry, où il faut traverser la zone commerciale avant d’accéder aux portes d’embarquement, un hôtel près de la gare de Lyon mais pas l’Ibis, celui qui est en face que je fréquente depuis quelques décennies, nous nous sommes peut-être croisés sur le boulevard Diderot … ? Nous avons connu la même époque, les mêmes lieux et certainement quelques personnes, au moins celles qui ont brillé sous les feux de la rampe. « … / c’était leur destin / de vivre sous les projecteurs / le tien était de rester dans l’ombre / et de mener une vie ordinaire / … », tout comme le mien.
Certes, Jean-Jacques est encore jeune mais il est déjà assez mature pour jeter un œil sur la vie qu’il a mené et qu’il a plus subie que dirigée, « … / c’est comme si un taxi / m’avait emporté à la naissance / me conduisant ci me conduisant là / sans que je n’aie rien demandé / … » Et pour mesurer tout ce qu’il a abandonné en cours de route, surtout ses belles illusions, « comme les brouillards matinaux /sous l’action du soleil / les illusions se dissiperont / sous la lumière blessante / d’une lucidité tardive /… ». Ce bilan comporte certes un peu d’aigreur, de déception, de désillusion, …, même sur le plan littéraire où les poètes d’aujourd’hui ne parviennent pas à faire oublier ceux d’hier et même d’avant-hier. « … les poètes d’aujourd’hui ne manquent pas / les lectures publiques font salle comble / mais où sont les talents d’antan ? »
Ce bilan n’est cependant pas exempt de quelques jolis souvenir : amourettes passagères, amours qu’on croit pour toujours et des aventures interdites qui laissent courir de biens agréables frissons par tout le corps. « … / ils goûtaient le frisson / des couples illégitimes / et les heures volées / à l’emploi du temps / … » Et pour solder le tout, Jean-Jacques se moque bien gentiment des lieux communs qui encombrent désormais notre langage : malgré leur allure de formule philosophique : « Niveau zéro » dans les parkings, « Tout doit disparaître » régulièrement sur de nombreuses vitrines. Les marchands ont détourné le langage.
Le recueil sur le site de l’éditeur
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