2024 – LECTURES PRÉ AUTOMNALES : POÈTES JARDINIERS / La chronique de DENIS BILLAMBOZ

DENIS BILLAMBOZ

Ils sont poètes mais ils sont aussi jardiniers, l’un est né en Bourgogne mais n’y vit plus, l’autre y vit mais n’y est pas né, ils sont tous les deux des amis de lettres. C’est pour toutes ces raisons que je les ai réunis dans cette chronique poético-bucolique.

Saison sans visage

Louis Dubost

Tarabuste

Louis est un poète jardinier, il bine ses recueils de poésie comme il bêche ses carrés de légumes dans son potager. Dans le présent opus, il évoque moins souvent son cher jardin et tout ce qu’il y plante. Il se penche sur son avenir qu’il pressent de moins en moins long. Il semble penser de plus en plus au moment où il ne pourra plus cultiver son jardin, où il faudra dire adieu à son petit monde et à tous ceux qu’il aime. Même, s’il s’apprête à affronter sa fin, il ne se résigne pas à l’accueillir trop vite.

« … // non la mort / ne me dit rien // plus précisément / ce n’est rien / qu’un mot comme / dieu / paix / espérance // … »

Et pourtant, il sait que l’échéance n’est plus très éloignée, « … // aujourd’hui / J’ai l’âge de mon père / quand il est mort // … ».

Mais avant la mort, il y a la vieillesse avec toute la cohorte des ennuis qu’elle génère, les souffrances, l’affaiblissement physique et cérébral, la fatigue, l’usure, … et la rébellion contre cette lente mais inexorable descente.

« La veille la fatigue / dans tout le corps // les questions harassées / comme un poids mort / dans chaque os // Et puis au réveil / on se tient debout / … »

La vieillesse c’est le temps qui passe, le temps qui est passé : « … / une heure à perdre / une minute d’inattention / une seconde égrenée / comme les précédentes // on aura quelque chose / à dire et pas le temps / ni un seul mot pour le dire // … »

« Le passé est passé / comment espérer / recomposer le corps /// le passé verrouille / à jamais / ce que l’on est / on n’a pas le choix // … »

Ce recueil est plein de nostalgie du temps passé mais aussi d’appréhension de l’avenir et de ce qu’il comporte mais Louis ne s’apitoie pas, il est lucide, il sait ce qui l’attend : « A force / de jouer à vivre // on n’écoute plus / le temps venir à soi // et le temps s’enfuit // sans tourner la tête // … » et il continue à biner son coin de terrain s’inquiétant du temps qu’il fait : « On est là / à maudire l’été // la tête ailleurs à s’occuper du jardin // … »

J’ai à peu près le même âge que Louis, je sais ce à quoi il pense, nous savons tous les deux que notre fin est de plus en plus proche, que nos corps sont plus lourds, moins vifs et nos cerveaux plus lents, mais nous savons aussi qu’il ne faut pas abandonner la vie, qu’il faut encore biner son jardin et cultiver ses poèmes pour vivre encore dans la paix et la sérénité. J’ai aimé ce recueil empli d’une douce nostalgie, de tendresse, d’émotion simple, d’acceptation de l’avenir et de douces poésies bucoliques. Nous avons tous les deux au moins un pied bien ancré dans notre terre originelle. Et, comment ne pas citer ce joli ver : « l’aile de l’hirondelle / recueille / ce qui reste du jour », je l’ai adoré comme bien d’autres… !

« Les mots s’éparpillent / entre qui-vive / et qui meurt »

Le recueil sur le site de l’éditeur

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Images d’archives

Jean-Jacques Nuel

Editions du Petit Pavé

Dans ce recueil composé de poèmes de dix à vingt vers tous teintés d’une douce et mélancolique nostalgie, Jean-Jacques raconte comment il a parcouru sa vie en arpentant les routes, autoroutes, gares, aéroports, et autres axes de transport. Pourtant, il semble encore bien jeune, même plus que moi, pour se livrer à cet exercice, Certes la vie a changé depuis qu’il est né dans la capital des Gaules, « en déroulant le fil / d’actualité de Facebook / tu mesures à quel point / tu n’es plus de ce monde /… ». Il ne reconnait plus la ville où il est né, celle qui restera à jamais sa ville, sa maison natale n’est même plus identifiée, elle est fondue dans un de ces temples du monde moderne dédié au dieu commerce. « le nom ne figure plus / sur la boîte aux lettres au 17 / de la grande rue / piétonne / et le café en bas / de l’immeuble a laissé place à une boutique / de prêt-à-porter / les souvenirs sont coupés / de leurs racines / … »

Comme je l’ai dit plus haut, Jean-Jacques est un peu plus jeune que moi, j’ai donc traîné mes baskets là où il est passé, l’A6, l’A7, la Gare de Lyon à Paris, l’aéroport Saint-Exupéry, où il faut traverser la zone commerciale avant d’accéder aux portes d’embarquement, un hôtel près de la gare de Lyon mais pas l’Ibis, celui qui est en face que je fréquente depuis quelques décennies, nous nous sommes peut-être croisés sur le boulevard Diderot … ? Nous avons connu la même époque, les mêmes lieux et certainement quelques personnes, au moins celles qui ont brillé sous les feux de la rampe. « … / c’était leur destin / de vivre sous les projecteurs / le tien était de rester dans l’ombre / et de mener une vie ordinaire / … », tout comme le mien.

Certes, Jean-Jacques est encore jeune mais il est déjà assez mature pour jeter un œil sur la vie qu’il a mené et qu’il a plus subie que dirigée, « … / c’est comme si un taxi / m’avait emporté à la naissance / me conduisant ci me conduisant là / sans que je n’aie rien demandé / … » Et pour mesurer tout ce qu’il a abandonné en cours de route, surtout ses belles illusions, « comme les brouillards matinaux /sous l’action du soleil / les illusions se dissiperont / sous la lumière blessante / d’une lucidité tardive /… ». Ce bilan comporte certes un peu d’aigreur, de déception, de désillusion, …, même sur le plan littéraire où les poètes d’aujourd’hui ne parviennent pas à faire oublier ceux d’hier et même d’avant-hier. « … les poètes d’aujourd’hui ne manquent pas / les lectures publiques font salle comble / mais où sont les talents d’antan ? » 

Ce bilan n’est cependant pas exempt de quelques jolis souvenir : amourettes passagères, amours qu’on croit pour toujours et des aventures interdites qui laissent courir de biens agréables frissons par tout le corps. « … / ils goûtaient le frisson / des couples illégitimes / et les heures volées / à l’emploi du temps / … » Et pour solder le tout, Jean-Jacques se moque bien gentiment des lieux communs qui encombrent désormais notre langage : malgré leur allure de formule philosophique : « Niveau zéro » dans les parkings, « Tout doit disparaître » régulièrement sur de nombreuses vitrines. Les marchands ont détourné le langage.

Le recueil sur le site de l’éditeur

Le site de Jean-Jacques NUEL

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GUSTAVE MEREMANS dit MERMANE, TRAITEUR, HELLÉNISTE ET ROMANCIER DOUROIS par DANIEL CHARNEUX (Pyramide Noires Ed.) / Une lecture d’Eric ALLARD

Carlo di Antonio, le bourgmestre de Dour, se souvient dans sa préface du traiteur Meremans, « installé rue Grande à Dour à la fin du siècle dernier ». Mais Gustave Meremans avait une autre passion, l’écriture. Né à Soignies en 1913, il est décédé dans sa maison de Dour en décembre 2003.

Dans cet ouvrage publié par la maison d’édition de la Maison culturelle de Quaregnon pour les vingt ans de la disparition de Meremans, Daniel Charneux, après avoir retracé le parcours de l’homme, chronique les livres du Dourois en incluant plusieurs extraits de chacun.

C’est en 1965 que Meremans donne son premier roman, sous le nom de Mermane et sous le titre Le rendez-vous de Nuremberg dans une petite maison d’édition, les Editions Pierre de Meyère, où Pierre Coran publiera son premier roman.

Il relate « le rendez-vous que se donnent à Nuremberg un jeune Français et une jeune Allemande  quinze ans après le fin du conflit. » Il s’agit d’une histoire d’amour sur fond de seconde guerre mondiale à l’issue fatale pour la jeune femme qui versera dans la folie. Une autofiction, avant la lettre, fait remarquer Daniel Charneux.

Un premier roman qui, hélas, ne connaîtra pas le succès qu’en attendait son auteur et qui mettra un terme à la relation établie avec l’éditeur.

Le second roman est publié en 1966 à compte d’auteur, sous le titre Terre ingrate, avec des illustrations du peintre montois Marcel Gillis, qui recueille davantage d’articles. Ce nouveau drame se situe entre le Borinage et la Sicile, sur fond de grèves. Daniel Charneux écrit : « La tragédie grecque rejoint la bluette boraine. Thanatos, une nouvelle fois, a raison d’Eros. »

Féru de culture grecque classique, Meremans s’emploie à faire publier son essai sur Euripide chez Gallimard et entre ainsi en relation avec André Malraux, avec lequel s’ensuivra une correspondance jusqu’à la mort du ministre de la Culture du Général de Gaulle, sans toutefois que l’helléniste obtienne la préface demandée. L’ouvrage sortira à compte d’auteur sous son vrai nom cette fois, en 1972.

Grâce à la fille de Gustave, Daniel Charneux a pu avoir accès à d’autres livres non publiés de l’auteur dourois, notamment un texte écrit sur son chat après la disparition de l’animal et un tapuscrit de cinq cents pages consacré à Homère.

Daniel Charneux établit des relations entre l’œuvre de Gustave Meremans et les livres d’Albert Camus, né la même année que Meremans. À travers la relation de ses différents livres, Charneux nous livre le portrait attachant d’un homme complexe, tourmenté, qui aura su dépasser ses zones d’ombre, des souffrances, par l’écriture de quelques livres dont la commémoration du vingtième anniversaire de sa disparition entraînera, comme le préfacier l’appelle de ses vœux, la réédition d’un ou l’autre de ses livres.

Daniel Charneux, Gustave Mermans dit Mermane, traiteur, helléniste et romancier dourois, Pyramides noires Éditions, Quaregnon, 2023, 60 p., 5 €.

Daniel Charneux sort de l’ombre un Dourois méconnu : le traiteur Gustave Meremans était aussi un écrivain et un érudit ! – un article de SudInfo

Le site de la Maison culturelle de Quaregnon

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La FABRIQUE DES MÉTIERS : 166. TRADUCTEUR DE TRACT

L’Observatoire de la Vie Sociale qui fonctionne sur fonds malpropres (faute de subsides régionaux) a identifié la source du marasme actuel avec les dysfonctionnements que l’on sait : (as)saisonnement de la poésie, écrivains voyageurs (au bilan carbone explosé), socialisme sous pression des lobbies, faillite du système de santé et des services publics, pollution industrielle, état de l’a(gri)culture, cinéma parlant dominé par une masculinité toxique…

L’Observatoire a mis un nom sur le mal originel : les tracts des Années 70.

Les tracts de légende sont rédigés dans une langue revendicative, vernaculaire, datant d’incultes révoltes sociales de la fin des sixties-début des seventies n’ayant donné qu’une vaine récolte, en renforçant les inégalités et les pouvoirs qu’elles étaient censé combattre.

Les prédateurs et autres monstres de domination masculine ont renforcé leur emprise, pestant sur l’écriture inclusive et les défenseurs des minorités.

Les holdings financiers et leurs pions sur l’échelon politique ont ravagé la planète et fait passer les lanceurs d’alerte écologique pour des doux rêveurs ou de dangereux hurluberlus menaçant la liberté d’éructer en paix du gaz carbonique. L’insulte au genre humain a gagné sur la saine critique du mécanisme capitaliste.

Ladite époque fut celle où la parole s’est libérée en proportion de la production de marchandises et de spiritueux, où la vocifération prédominait sur la réflexion, où le gros rire l’emportait sur la satire fine.  

Nombre d’espèces animalières et végétales ont disparu. Seuls les artistes et écrivants ont perduré, et se sont multipliés, de telle sorte qu’ils sont devenus la principale espèce du genre humain dépensant du papier, juste devant les fabricants de confettis et les illustrateurs de livres jeunesse.

Aujourd’hui les faiseurs de tracts indigestes ont trépassé ou bien terminent leur vie en posant des selfies d’eux-m’aiment sur les réseaux sociaux basés sur la pictogrammation des émotions, plus barbus que chevelus, plus blanc froissé que noir corbeau, plus contestés que contestataires, mais sont restés fidèles à la blanche poudre sacrée plus qu’au sacrement des alliances de teintures.

S’il n’est pas le descendant du fabricant de tract, le traducteur de dépliant propagantiste ne jure que par le circuit court et le moteur hybride même si tout doucement ses maîtres à ne pas penser politique lui permettent de douter du bien-fondé de l’énergie tyrolienne, du silence pesant sur la moteur électrique et du poème photovoltaïque, tirant sa lumière des écrans de l’iPhone plus que des ténèbres de l’âme.
Pour ces raisons ultimes, il est le plus ancré dans son temps pour traduire bénéfiquement dans la langue du jour les tracts rédigés dans un esprit révolu contre des entités opprimante mal définie par l’antique fabricant de folders factieux.

Dès le Gloubi-boulga éclairci, le lecteur du tract déconstruit pourra se déplacer en trottinette électrique, en vélo d’appartement à roulettes à mobilité quantique, jusqu’au lieu de la manifestation pour faire entendre ses mots d’ordre doux tout en défilant silencieusement dans les allées du pouvoir démocratique et consumériste pour ne pas changer d’un iota un état de choses resté intact, faute de tracts jamais formulés poétiquement.

THE WRITE BELGIQUE, le TÉLÉ-CROCHET de la CHAÎNE d’INFO LITTÉRAIRE CONTINUE

À l’initiative de Bénédicte Linard, l’énergique ministre de la Culture qui bat ainsi en brèche les viles critiques à l’encontre de son action pour la littérature régionale, un télé-crochet calqué sur The Voice Belgique verra le jour au Printemps des poètes prochain sur la chaîne de littérature continue LN24 (Littérature Nationale 24 h).

Quatre jurés, plus choisis pour leur tempérament que pour leurs compétences éditoriales (les quatre ayant déposé le bilan de leur maison ; on trouvera ainsi le taiseux, le fort engueule, le pédant, le tatoué), siégeront dans les fauteuils tournants. Un technicien veillera à ce qu’aucun ne s’endorme durant les blind auditions ou ne bascule hors de son siège, comme pris de vertige à l’énoncé d’un texte plus renversant que de coutume.

Face à eux, des auteurs auront une minute trente pour défendre leur texte et faire se retourner un au moins un des jurés pendant que ceux-ci échangeront des regards complices et quelques mots d’auteur. Ensuite, face au candidat sans voix (façon de ne pas parler), ils se bassineront : le fort-en-gueule vannera le taiseux, le pédant critiquera avec force citations la peau encombrée du tatoué tandis que celui-ci vantera son dernier tattoo au front face à un public aux anges de l’irr2alité ; tout cela dans une ambiance bon enfant, limite littérature jeunesse.

Grâce à la règle du « super block », le taiseux pourra bloquer le fort en gueule afin d’obtenir dans son équipe un candidat adepte de l’écriture minimaliste et la tatoué stopper le pédant pour rallier un auteur plus bukowskien que brautiganien.

Les équipes une fois formées, les duels se feront sur base de textes inédits, écrits sous la houlette d’un super animateur d’atelier d’écriture (un auteur sans éditeur fixe), avec le soutien, il va sans dire, des coachs respectifs.

Enfin, les auteurs devront réécrire, à la façon du Pierre Ménard de Borges (une émission de quarante-cinq secondes en fin de soirée, après la chronique de littérature vieillesse, rappellera l’enjeu du texte de l’écrivain argentin), un extrait d’un standard de la littérature patrimoniale et le dire avec toute l’émotion et la retenue nécessaires (l’auteur est un performer) face au quatuor des spécialistes.

Le gagnant verra un de ses textes publié aux Editions LN24 (dirigée par Pascal Vrebos) et sa promotion sera faite dans toutes les émissions de la chaîne : Vivement dimanche que je lise, Investigations littéraires, Les Douze Coups de l’éditeur, La Toute Petite Librairie, L’Amour est dans la littérature Romance, Le Meilleur Ecrivassier, Complément d’en-tête, Un livre presque parfait, Toute la Poésie s’explique, Les Grandes Querelles littéraires, Renvoyé spécial (de Paris), Pense-texte (ou la philosophie pour les auteurs nuls), Secret d’histoires belges…

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LA FABRIQUE DES MÉTIERS – 165. DYNAMISEUR DE CARRIÈRE

Certaines carrières se meuvent au ralenti quand elles ne sont pas à l’arrêt. Comme en grève.

Elles n’explosent jamais et font le désespoir de celles et ceux qui, à défaut de s’asseoir dans le fauteuil du patron ou le canapé de la DRH, se verraient mieux en chômeurs de longue durée émargeant au CPAS local.
Le dynamiseur de carrière remédie éclatement à cet état de fait défaillant et fait le salarié, peinant à la tâche, se morfondant sur son sort, parvenir à un poste, sinon de prestige, lui permettant du moins de regarder enfin de haut ses collègues restés sur le carreau à continuer de lécher le vernis de mocassin cuir (avec mors et semelle crantée) de ses supérieurs si ce n’est pas l’extrémité de leurs organes reproducteurs d’illégalité sociale.

Une bonne langue pallie une carrière en suspens ou en dents de requin-scie en activant les fonctions salivaires. C’est souvent la mèche qui produira la flamme attendue et fera décoller l’avion à création de la réussite professionnelle.

Le dynamiseur de carrière revitalise les qualités intrinsèques du salarié en rehaussant son taux vibratoire. Dans ce but, il veillera à un bon entretien de l’appendice lingual comme de l’orifice anal de son client. Il dispensera des éléments de maintien, des cours de diction et des rudiments de comédie. Pour plus d’efficacité, il délivrera des conseils en communication d’entreprise propres à approcher les décideurs et à se rendre indispensable. Il les aidera à dépasser des pudeurs personnelles, un sentiment d’infériorité, à se débarrasser d’un excédent d’éthique et apprendra les techniques de mise en valeur des puissants locaux tout en leurs laissant croire qu’ils ont avantage à vous compter dans leur entourage. 

Le dynamisage ayant eu lieu, le client devra se méfier de ses anciens condisciples ou amis de longue dette, de ces sans-grades qui proposent leur impureté en carafe, cherchent à se rendre indispensable ou à accompagner votre ascension aquatique désormais sans limite de profondeur jusqu’au sommet de la cascade.

Le dynamiseur de carrière agit aussi dans le domaine artistique ou littéraire (quel écrivain ne gribouille pas ?, quel peintre ne scribouille pas ?) pour booster un début de carrière adipeux. Il vous indiquera les lieux et personnes à rencontrer, comment devenir un de leurs proches. Il vous donnera des recettes pour, avec un minimum de talent dans le secteur occupé ou pas l’ombre d’un, briguer des postes importants et enlever un maximum de publications ou d’expositions en peu de temps voire quelques prix soldés. Il vous indiquera comment capitaliser sur votre succès naissant de façon à devenir un intouchable du secteur, s’indignant volontiers et rageusement en cas de réserve sur son oeuvre, sur la pureté de son parcours et le fond huileux de sa pensée, flatté sans façon par celles et ceux qui trop lucides sur ses capacités minérales n’ont pas pris en compte, ces con(ne)s, ses ressorts de malignité dans le domaine aquatique.

Bref, le dynamiseur de carrière vous conduira à la source d’où vous rêvez de partir, dans un bouillonnement d’onde qui vous ravira d’autant qu’elle vous conduira à l’embouchure rêvée, celle qui donne sur la mer de la notoriété, d’où, que vous créiez de l’emploi ou des oeuvres précaires, vous pourrez vous croire insubmersibles jusqu’au jour de la crémation qui succède au réchauffement de carrière.

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2024 – SOUVENIRS DE LECTURES ESTIVALES : LES CARNETS NORMANDS / La chronique de DENIS BILLAMBOZ

DENIS BILLAMBOZ

En passant de Bruxelles à la Normandie LES CARNETS DU DESSERT DE LUNE n’ont rien perdu de leur qualité. Le personnel a changé, le bon goût littéraire n’en a pas pour autant pas été altéré. J’en veux pour preuve les deux recueils qui constituent cette chronique, dont la lecture m’a enchanté : un de Stéphanie QUÉRITÉ et l’autre de Cécile GUIVARCH. Nous pouvons être ainsi assurés que la poésie poussera aussi drue et aussi riche que les herbages des prairies en cette bonne terre normande.

Rouge poitrine

Stéphanie Quérité

Les Carnets du Dessert de Lune

Même si Les Carnets du dessert de lune ont émigré en Normandie, ils n’ont en rien perdu du flair qui les caractérisait quand ils sévissaient en Belgique. J’en veux pour simple preuve le recueil que je viens de lire, des poèmes de Stéphanie Quérité que je ne connaissais pas encore. Cette auteure (autrice est vraiment trop laid), mère de famille séparée de son mari, a connu un moment de solitude pendant le confinement imposé par et les autorités pour réponde à l’agression de la Covid. Elle avait pour seule compagnie des oiseaux sur le rebord de sa fenêtre, des oiseaux au poitrail rouge, des rouges-gorges. « … en néerlandais Rouge-gorge / se disait Roodborstje / ce qu’il serait plus juste / de l’appeler Rouge-poitrine »

Les oiseaux l’ont souvent accompagnée dans ses relations avec les hommes, elle les met en scène dans ce recueil pour raconter une histoire d’amour, la sienne peut-être… ? « J’ai la sensation d’être enroulée d’oiseaux qui m’appellent à eux. Et moi, empêchée d’en devenir un par les murs de mon foyer » En cas de rupture, les enfants sont souvent un obstacle pour que les conjoints dégagés de leur engagement retrouvent leur liberté désirée.

Dans ces poèmes, peut-être un seul et long poème en forme d’épopée amoureuse, sensuelle et même charnelle, Stéphanie évoque le destin d’un couple ayant perdu l’élan qui poussait les conjoints dans les bras l’un de l’autre. «  Nous avions perdu le geste / de la prise de risque. / Nous avions perdu l’élan / du dire ce qui est / lorsque que ce qui est / est … » L’usure qui provoque la rupture, la rupture qui impose la solitude, « J’avais perdu la sensation / d’être habitée ». C’est à ce moment qu’un rouge-gorge s’est fracassé contre une fenêtre et que l’héroïne a compris qu’il fallait qu’elle se ressaisisse. Cette nouvelle vie est inspirée par un autre oiseau : le héron. « Ca commencerait par là / ça pourrait / commencer par sa voix / sa voix à elle qui dirait / … » qui dirait « Ca commence comme ça … » mais c’est lui qui dirait… Et, à travers ce long poème, Stéphanie raconte dans une métaphore évoquant le oiseaux la vie de son couple qui peu à peu se délite, une vie qui s’est brisée, une vie qui lui laisse quelques regrets même si elle ne pourrait plus partager sa vie avec un autre. « Je ne pourrais plus jamais donner / un seul m² de mon habitat à un autre que moi »

Dans ce poème, Stéphanie utilise des répétitions, des assonances, des sonorités qui donnent encore plus de rythme et de force à son texte. Ce texte qui m’a aspiré comme pour que je lise plus vite, avec plus de conviction, ce joli poème sur fond de couple en décomposition. Comme un déboire, une déception, qui laisse des stigmates indélébiles.

« Sortir et pleurer. / Prendre la mesure de ce que le corps a traversé. / Pleurer / Se laisser submerger / des vagues d’avant . de tous ces hommes d’avant / qui reviennent m’englober / qui reviennent avec leur peur au ventre / et me tenir par là /… »

Le recueil sur le site de l’éditeur

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Sa mémoire m’aime

Cécile Guivarch

Les Carnets du Dessert de Lune

J’ai découvert Cécile avec un précédent recueil dans lequel elle évoque son grand-père, « Abuelo ». Dans une partie en vers, elle raconte ce grand-père qu’elle n’a pas connu, celui qui a fui vers une île pour participer à une autre révolution après l’échec de sa guerre en Espagne. Dans une autre partie en prose, elle raconte le pays où elle vit, le pays dont sa mère a difficilement apprivoisé la langue, où sa grand-mère n’a jamais oublié le grand-père exilé. Dans ce nouveau recueil de textes courts, juste quelques lignes par page, restant fidèle à son attachement familial et à ses origines, elle évoque encore une fois son amour pour cette mère qui rencontrait des difficulté avec sa nouvelle langue et qu’elle aimait tant. Un véritable acte de foi, de dévotion et d’amour pour sa mère et pour sa famille, ses racines et la lignée des femmes qui l’ont amenée jusque dans cette terre d’exil.

« J’écris ma mère. J’écris maman. J’écris mon sang … J’entends ma mère. J’entends maman. Je n’ose plus bouger. Ces mois d’attente. A se demander si tout ira bien »

Dans ce recueil de courts textes de poésie en prose, Cécile fait revivre cette mère génitrice, refuge pour l’enfant qu’elle était, salvatrice dans les mauvaises passes de l’adolescence, rigoureuse quand il fallait remettre l’enfant sur les bons rails de la vie, …,  et ainsi va la vie de l’enfant qui grandit auprès de sa mère qui lui raconte son pays, ses origines, sa langue, son histoire, son exil…

« … Des heures passées sous la vigne sur ses genoux sur les genoux de ma grand-mère de mon arrière-grand-mère… » La lignée féminine fermement ancrée dans son sol natal.

« Elle raconte son pays. … Elle n’oublie rien. J’archive dans ma mémoire. Chaque petit détail. Des motifs se modifient. Donnent d’autres couleurs aux clichés »

Ainsi, Cécile se construit dans l’amour et les mots de sa mère. A son tour, elle devient mère de ses enfants et, un peu aussi, mère de sa mère qui perd progressivement le souffle et la mémoire. Elle l’accompagne jusque à la fin sur son chemin d’errance. « … Sa mémoire m’aime. J’cris je l’aime. Une mémoire l’aime »

« Je suis toujours sa petite fille et mère maintenant. Mère de mes filles. Mère de ma mère… »

Dans ce recueil, Cécile, propose une poésie fluide qui coule comme un frais ruisseau. Elle choisit ses mots avec soin afin qu’ils sonnent à la hauteur des émotions qu’elle exprime, sans éclat superflu, juste un gazouillis comme celui de l’eau qui s’écoule lentement dans un frais vallon. Dans ses textes coulent les verbes, fleurissent les mots à l’unisson de son langage.

« Ma mère cachée à l’ombre d’une phrase. L’ordre des mots et des choses parfois modifiés… »

J’ai beaucoup apprécié ce texte où la douceur, la musique et le rythme des mots et des phrases se conjuguent avec la vie de la mère et de la fille mais aussi avec le texte véritable bouillon de tendresse, de chaleur humaine et surtout d’amour filial. Quelle réjouissance de lire ces mots quand le boucan des armes et des paroles menaçantes frappent à notre porte !

Le recueil sur le site de l’éditeur

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LE CIEL JALOUX DES ROSES d’ALAIN DUAULT (Gallimard) / Une lecture de NICOLE HARDOUIN

Toute la vie on l’use ensuite

                                                A repriser des souvenirs

                                P. Emmanuel in Chanson du dé à coudre

« Vous aimez tellement voyager ? j’aime partir surtout »

Parti avec l’auteur ce n’est pas suivre un guide, c’est mettre ses pas dans ceux d’un homme qui vibre en ignorant sa soif pour échapper au requiem des ombres quand les étoiles ont mangé la margelle du puits, lorsque que le crépuscule interroge l’ossature du silence et que la nuit se déchire dans un éboulement d’impatience. Il se met en route pour contempler ces étonnants poèmes pétrifiés que sont les jardins secs de Kyoto, le vent y tisses ses octaves, plus rien n’existe, on regarde indéfiniment /quel signe nous fait ce jardin ? C’est alors que les désirs se bousculent et que les rêves ouvrent leur livre d’heures.

Partir pour New York et ses odeurs de marrons grillés, glisser d’une rue aux avenues, tout oser dans cet entassement, ce désordre magnifique, tout le monde a tout vu à New York, personne n’a rien vu.

Partir pour cette ville entre les fleuves : Hanoi et ses pipes à eau, voir l’île de la tortue se souvenir de sa légende, l’auteur désaltère ses souvenirs : j’ai tant aimé ce pays bleu posé sur l’île de jade.

Partir dans le présent des ombres furtives, lorsque les paysages s’en vont dans un ciel en agonie, dans la nudité du vent loin dans des mantilles d’embruns, au hasard des routes et des horizons lieux comme ce fleuve turbulent qu’est le Mékong, lieux où le temp ne passe pas, où l’on peut être qui l’on désire, sachant qu’unvoile en cache toujours un autre et que le silence scelle les paupières d’un amour perdu.

Partir pour Lisbonne ville d’amour, avec les mots porteurs d’antiques marées avant que le temps ne les efface dans les parfums aimés aux odeurs d’iris, d’ambre qui crissent au seuil du soir, souvenir d’une jeune femme qu’on a aimé autrefois. Alain Duault se fond dans l’intranquillité de l’imaginaire, c’est ce mot de Pessoa qui lui a donné l’envie de Lisbonne, du fado ce chuchotement de l’âme de Lisbonne.

L’écrivain ose l’accord des harpes nocturnes, plonge dans la crue des chimères, litanies éparpillées en déliant l’infinitude de l’invisible avec les phrases de l’envers, celles qui se déploient quand on a tout oublié, celles de l’endroit qui tentent encore comme les fantômes avec leurs mains de vent dans la baie d’Halong.

Alain Duault

Partir, pour découvrir cette dentelle pétrifiée par le temps, éternité du deuil d’amour : le Taj Mahal, cette larme sur le visage de l’éternité suivant la belle définition de Tagore,paysages dont on ne revient pas sauf à casser le fil d’Ariane qui retient à la vie, mais nous ne sommes qui nous sommes pas,la vie est brève et triste en ces heures où le paysage est une auréole de vie.

Partir avec Noureev, aller en sa compagnie dans les souks pour choisir des soies, voir les rouleaux dépliés, piles, effondrées, hautes tours de soie accumulées rivières de textures variées, il m’a fait voir l’Inde que je n’ai jamais retrouvé sans lui.

Et bien évidemment Partir pour Bayreuth, surtout pour obtenir, non sans mal, ce merveilleux sésame pour assister au Ring de 2026.

Dans ce très beau recueil, Alain Duault tire l’aube de la nuit, jongle avec les fleurs de lune jusqu’à étourdir les étoiles.

Nous laisserons le lecteur mettre ses pas dans tous les lieux que l’auteur a visités, lire et relire les poèmes qui les accompagnent et dont le dernier se termine par ces mots tellement actuels : tu sais que tu vas mourir si tu ne t’en vas pas quelle que soit ta peur quelle que soit l’espérance.

En refermant de recueil nous repensons aux vers de Pessoa qu’Alain Duault pourrait faire siens :

La beauté est le nom de quelque chose qui n’existe pas, et que je donne aux choses en échange du plaisir qu’elles me donnent.

Nicole Hardouin

Alain DUAULT, LE CIEL JALOUX DES ROSES, Poèmes carnets de voyage, Editions GALLIMARD, 2023.

Le livre sur le site de la Librairie Gallimard

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SAISON DE PERCALE de CÉCILE HOEBEKE (Un coquelicot en hiver) / Une lecture d’Éric ALLARD

Ce livre, sous-titré « Je t’aime absolument », qui se passe entre Mons et Charleroi, se présente comme un journal couvrant principalement la période du confinement, de mars 2020 à août 2021, quand le monde vivait masqué, quand la distance s’est immiscée dans les relations interpersonnelles, avec l’interdiction de s’embrasser ou la nécessité de plastifier les aliments…

Cécile Hoebeke raconte l’histoire d’un amour naissant, ou plutôt renaissant, car datant de ses quinze ans, du temps du scoutisme où Colin, l’intendant du camp lui donnera son « totem de meute », Raksha au-delà, tiré du Livre de la Jungle de Kipling). Epoque où elle commence à tenir un journal…

En rappel de leurs années scoutes, elle redeviendra son écureuil roux et lui, son caribou.

Hélas, comme faisant un triste écho à la crise du Covid qui décime des vies, cachant les visages et déprimant au-delà du raisonnable, mais sans rapport direct, le Journal relate l’annonce de la maladie jusqu’au décès de l’Aimé mais non pas de l’amour ayant (ré)uni durant cette période inédite les amoureux de longue date, malgré toutefois une rupture de deux mois qui doit, il semble, beaucoup à la maladie de Colin qui pèse sur son moral et sa capacité à aimer encore…

« Quand un caribou est très fatigué, l’écureuil a beau sautiller, puis tenter de se calmer, il devient triste ou fâché s’il ne peut plus grimper. Alors, forcément, c’est encore plus compliqué : chacun rentre frustré dans son habitat… et voilà. »

Le Journal est écrit dans un style atypique, comme traduit de la langue du cœur, qui n’hésite pas à éluder les prépositions, à jouer sur les assonances, sur des inversions de mots. Cela confère à l’ensemble un ton, un rythme singuliers.

De nombreuses citations, entre autres, de Christian Bobin, et des mentions de chansons (de Souchon, Polnaref, Ferrat, Gainsbourg, Anne Vanderlove…) émaillent la relation des faits. L’écume des jours de Vian, avec l’amour fatal qui lie Colin et Chloé, est aussi évoqué.

Un livre qui, malgré une évidente gravité, ne verse pas dans l’amertume, l’apitoiement, mais exalte la capacité de résilience de l’autrice qui a survécu durant sa jeunesse à une anorexie mentale.

Un livre allègre, énergisant, un hymne à la vie, à ce qui perdure au-delà de la réalité des faits. Mais aussi un livre débordant, de tendresse, d’ouverture au monde et à autrui, d’amour partagé avec les proches de la narratrice : ses parents, ses trois enfants, ceux qu’elle retrouve dans le cadre de son activité de kinésithérapeute dans l’enseignement spécialisé, un bouleau qu’elle va régulièrement enlacer, les oiseaux ou son chat appelé Chat-blye, inspiré du nom de son vin préféré…

Un ouvrage qui respire la joie de vivre, le contact avec la nature, et qui incarne l’espérance dans le lendemain car « l’avenir est à apprendre ».

À l’image du percale, qui est « un tissu de coton très fin de qualité supérieure utilisé en literie», ce livre réconforte pour passer les hivers de la vie dans l’attente de la belle saison des cœurs.

Cécile Hoebeke, Saison de percale, Un coquelicot en hiver, 2023, 152 pages, 15 €.  

Le livre sur le site de l’éditeur

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MA VIEILLE TANTINE QUI PUE DE LA GUEULE A UN ENORME FIBROME ET SE DEPLACE AVEC UN DEAMBULATEUR POURRAVE de Pascal WEBER, Jean-Louis NOLLOMONT et Éric DEJAEGER (Tirtonplan) / Une lecture d’Éric ALLARD

Ils ont dû se mettre à trois, Weber, Nollomont & Dejaeger, pour décrire, en 60 saynètes drôles, les frasques de leur vieille tantine qui, malgré les qualifications susmentionnées n’a pas une mobilité réduite, possède des ressorts insoupçonnés et une libido de jeune fille (majeure, il va sans dire). Elle sait donner le change comme personne avec un humour qui n’appartient qu’à ses neveux.

Ainsi apprend-on, entre autres, au fil de la lecture que :

  • elle demande au toubib en train de l’ausculter combien de temps mettra sa fièvre pour descendre de cheval
  • elle est nommée pour le prix Goncourt (…) elle qui n’a jamais écrit que des cartes postales et des lettres anonymes
  • les pompiers ont découvert la malheureuse couchée à même le sol, cuisses largement ouvertes, en train de se consumer de désir
  • elle rêve d’aller faire, à poil et pétée comme un coing, du saut à l’élastique au sommet de la tour de Pise
  • elle a une façon de plier bagage si artistique qu’elle la tient probablement de sa passion pour les origamis

À la lecture des différents épisodes, on apprend aussi qu’elle excelle en cuisine, qu’elle s’intéresse à la littérature du monde et à la philosophie chinoise, que Le Tellier, Hervé (pas Sophie, la marraine des Miss France), compare son sourire à celui de Mona Lisa, et que, même si ce n’est guère avouable, elle apprécie la corrida pour ses matadors, et qu’elle a 17 854 followers sur le réseau social des boomers et que Dieu, cela reste à vérifier auprès de théologues invertis, l’aurait créée à son image.  

Malgré ce qu’on pourrait croire à la lecture de cette liste, il y a peu de chance qu’elle fasse l’objet d’une chanson de Barbelivien, même si Didier faisait le plein de Super

Difficile de faire ici la part du vrai et du faux, même si, connaissant la réputation des neveux, il y a fort à parier qu’ils ont trafiqué la triste réalité à leur sauce verbale, rehaussée de beaucoup de sel pour pimenter ce personnage qui aurait bien sa place au musée du rire du Collège de Pataphysique.

Une nouvelle publication des Editions Tirtonplan, à commander, s’il en reste, chez les auteurs et qui vous sera offerte – vous en bavez d’avance, bande de salopiaud(e)s – avec une image de leur vieille tantine « en string léopard rose fluo du plus pitoyable goût ».

Court toujours, le blog d’Eric DEJAEGER

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LES MOTS DE MAUD de JEAN JAUNIAUX (M.E.O.) / Une lecture de JEAN-FRANÇOIS FOULON

Je venais à peine de terminer le beau roman de Jean Jauniaux, Les mots de Maud, édité en 2008 chez Luce Wilquin, que je découvre dans la revue « Nos Lettres » de l’AEB (Association des écrivains belges) que ce livre vient d’être réédité chez M.E.O. en 2023. Le problème, c’est que la nouvelle version est légèrement différente nous dit-on. Tant pis, je m’en tiendrai à l’ancienne, celle qui m’a charmé. Je ne peux m’en prendre qu’à moi-même d’avoir traîné à lire un recueil essentiel.

C’est un livre qui parle de l’écriture et des mots. Un écrivain a connu un succès certain en publiant des romans de gare sous un pseudonyme. En dédoublant sa personnalité, il était en quelque sorte devenu son propre « nègre ». Toute sa vie, il a donc tenu un rôle, misant sur une littérature facile qui plaisait à un grand public. Le revers de la médaille, c’est qu’il n’a jamais vraiment exprimé qui il était vraiment, ni ce qui lui semblait important. Quand il décide d’arrêter d’écrire, sa fortune étant faite, et de se retirer au bord de la mer, il se retrouve seul. La plage vide qui est désormais tout son horizon symbolise bien cette vacuité.

Mais seul, il l’a toujours été, en fait. D’abord, il a perdu sa mère quand il était enfant, et c’est là le grand drame de sa vie. Il a été élevé par un père un peu original, qui était perdu dans ses lectures et qui s’occupait bien peu de son fils. Ce père a d’ailleurs un curieux rapport aux livres car il a décidé de lire tous les ouvrages de la grande bibliothèque dont il a la garde. Veuf, perdu dans son chagrin et sa solitude (lui aussi), il dresse donc un rempart de livres entre sa personne et le monde, pour le plus grand désespoir de son fils. Le repas sont lugubres, le père continuant à lire tout en mangeant.

« L’enfant n’a jamais réussi à attirer l’attention du père, à ce qu’il lève la tête du livre et le regarde, lui dise un mot, un vrai, pas un qui soit déjà imprimé, et adresse un sourire à ce visage qu’on aurait dit écrasé par la muraille infranchissable des pages. » (op. cit. p. 39) 

Une fois, pourtant, quand Jean-Baptiste (c’est le prénom de notre héros) encore enfant s’était aventuré dans les dunes enneigées et sur la mer gelée (derrière « mer » faut-il entendre « mère », celle dont il recherche désespérément l’affection ?), le père s’est tout de même inquiété car la glace aurait pu céder. Mais en-dehors de cet épisode, on peut dire que l’enfant reste désespérément seul.

 Si les livres l’ont séparé du père, une fois adulte, il voudra écrire et maîtriser les mots. Est-ce une sorte de vengeance envers son géniteur (en multipliant les livres que celui-ci devra lire) ? A moins que ce ne soit pour trouver la clef qui ouvrira la porte de son affection. Il passe ses nuits auprès des clochards et des marginaux, les enregistrant et puisant dans le récit de leur malheur la trame de ses romans de gare. Il hante donc la nuit qui lui fait pourtant peur (comme à un enfant) et tente d’apprivoiser l’angoisse qui l’étreint depuis toujours (depuis la mort de la mère).  Il côtoie tous ces marginaux qui se cachent, comme lui, dans l’obscurité, en marge de la société.

Il est ordonné. Il classe tout (les enregistrements, les notes qui ont servi à écrire ses livres, des listes de vocabulaire, etc.). Il y a un côté pathologique dans cette manière de procéder, qui n’est finalement qu’une tentative de maîtriser la réalité.

Il aime les mots rares. Malheureusement, pour ses romans de gare, il est obligé d’épurer et de supprimer ceux qui sont trop compliqués.

« Estrans, oyats, troènes…Il aime ces mots que personne n’utilise. Peu importe d’en connaître le sens pour s’imprégner de leur pouvoir d’évocation et de leur musique. Ce sont ces mots-là qu’il devait éradiquer des manuscrits. Pourtant malgré la vigilance des correcteurs, il réussissait souvent à en glisser l’un ou l’autre dans les romans. Il les appelait mots-musiques, des mots choisis pour leur seule sonorité même s’ils n’avaient aucune raison d’apparaître dans le récit. » (op. cit. p.30)

Il a décidé qu’il écrirait vingt-six romans de gare, puisqu’il y a vingt-six lettres dans l’alphabet, le premier titre commençant par la lettre A et ainsi de suite jusqu’à Z (« Zanzibar », un mot avec une belle sonorité, qui fait rêver. Zanzibar, c’est le bout du monde, la fin du voyage).

A côté de ces activités de romancier, Jean-Baptiste est aussi un écrivain public. Il aide les gens à rédiger des discours de circonstance, des biographies, des courriers de candidature, des textes politiques, des programmes de gouvernement, etc.  Dans ce type d’écriture, il n’est pas lui-même non plus. Une nouvelle fois, il n’est qu’un nègre, qui écrit pour les autres Plus c’est mauvais et creux, plus ses textes sont efficaces. C’est désolant. Lui dont la vie tourne autour des mots (il passe sa nuit à écouter et à enregistrer ceux des marginaux, la matinée à écrire les romans de gare et l’après-midi à composer des discours) n’a jamais l’occasion de dire l’essentiel. Surtout, il ne parvient pas à dire le manque de la mère, celle dont il a été privé dès son plus jeune âge. Bref, il a rendu sa vie aussi vide et dénuée de sens que son enfance l’a été.

A cinquante ans, il se retrouve seul, sans conjoint et sans amis. Alors devant les dunes qui se terminent par la mer, il repense à Maud. Maud est une femme qui un jour lui avait envoyé un manuscrit afin de lui demander son avis. Et voilà qu’il s’était mis à lui répondre. Une longue correspondance avait commencé entre eux, où l’émotion et le trouble, pour la première fois, étaient au rendez-vous. Elle est aussi seule que lui et ils ont besoin de cette correspondance qui les lie. Les mots, encore eux, étaient là, bien présents, mais cette fois ce sont des mots qui ont un sens. Malheureusement Maud est malade et l’histoire d’amour qui naissait entre eux ne pourra pas avoir lieu. Alors Jean-Baptiste écrit l’histoire de Maud, une histoire dont elle devient le personnage. Voilà enfin un livre qu’il signera de son vrai. Grâce à Maud il est enfin devenu un vrai écrivain. Et tant pis s’il ne l’a connue qu’à travers les mots.

Après, il osera écrire une lettre à sa mère. Il écrit à la place du petit garçon qu’il a été et devient donc son propre nègre. Et là, enfin, il comprendra le sens des derniers mots que sa mère avait prononcés en mourant.  Des mots d’amour, plus forts que la mort. Comme les mots de Maud. Car la littérature, la vraie, c’est cela, un hymne à la vie, contre la mort qui nous menace.

Le roman, réédité, sur le site des Editions M.E.O. 

L’ivresse des livres, le site de Jean Jauniaux    

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